II. LE PROJET DE LOI : L'ORGANISATION D'UNE CONSULTATION DE LA POPULATION MAHORAISE EN VUE D'UNE ÉVOLUTION VERS UN STATUT DE " COLLECTIVITÉ DÉPARTEMENTALE "
Le
projet de loi aujourd'hui soumis au Sénat constitue une première
étape de la réforme du statut de Mayotte. En effet, il
prévoit la consultation de la population de Mayotte, avant le
31 juillet 2000, sur les grandes orientations d'une réforme
statutaire figurant dans un document intitulé "
accord sur
l'avenir de Mayotte
" publié au Journal officiel le
8 février dernier, qui constitue un accord politique conclu par le
Gouvernement, le président du conseil général de Mayotte
et les représentants de trois des principales formations politiques
mahoraises, à savoir le Mouvement populaire mahorais (MPM), le RPR et le
PS, à l'exception notable des deux parlementaires et du Mouvement
départementaliste mahorais (MDM).
Si ce document est approuvé par la population de Mayotte lors de la
consultation prévue par le présent projet de loi, le Gouvernement
prévoit, dans une deuxième étape, le dépôt
d'un deuxième projet de loi définissant le nouveau statut de
Mayotte sur la base de ces grandes orientations, pour au moins les dix
prochaines années, conformément aux termes de l'accord sur
l'avenir de Mayotte. Le nouveau statut ainsi envisagé pour Mayotte a
été baptisé "
collectivité
départementale
". Il prend en compte la volonté des
Mahorais de se rapprocher du statut de département d'outre-mer, tout en
tirant les conséquences du constat de l'impossibilité de
transformer immédiatement Mayotte en département d'outre-mer
compte tenu des spécificités qui ont été
évoquées dans la première partie de l'exposé
général du présent rapport.
Mayotte restera donc une collectivité territoriale à statut
particulier, dans le cadre de l'article 72 de la Constitution
21(
*
)
, et continuera à être
régie par le principe de la spécialité législative,
ainsi que l'a confirmé M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire
d'Etat à l'outre-mer, au cours de son audition devant votre commission
des Lois.
Toutefois, l'adjectif " départementale ", retenu à
l'initiative de notre collègue M. Marcel Henry, sénateur de
Mayotte, présente un caractère symbolique destiné à
marquer la volonté de rapprochement avec le statut de département
de droit commun.
A l'issue d'une période de transition de dix ans destinée
à permettre ce rapprochement, la présentation d'un nouveau projet
de loi portant sur l'avenir institutionnel de Mayotte est envisagée par
l'accord sur l'avenir de Mayotte, sur la proposition du conseil
général statuant à une majorité qualifiée.
Toutefois, l'accord ne prévoit pas de nouvelle consultation de la
population en 2010 et ne fait pas expressément référence
à la possibilité d'une évolution vers le statut de
département d'outre-mer ainsi que l'auraient souhaité les
parlementaires de Mayotte.
A. LE PRINCIPE DE LA CONSULTATION
Il
importe de rappeler que le
statut
sui generis de la collectivité
territoriale de Mayotte
défini par la loi
n° 76-1212
du 24 décembre 1976
, à la suite des refus successifs de
l'accession à l'indépendance et du statut de territoire
d'outre-mer exprimés par la population de Mayotte, avait
été
conçu comme provisoire.
C'est pourquoi le principe d'une consultation de la population de Mayotte sur
une évolution statutaire avait été prévu par
l'article premier de cette loi du 24 décembre 1976
("
au terme d'un délai d'au moins trois ans
"), puis
par l'article 2 de la loi n° 79-1113 du 22
décembre 1979 ("
dans un délai de cinq
ans
"). Ces lois avaient envisagé trois hypothèses
d'évolution :
- le maintien du statut de 1976 ;
- la transformation de Mayotte en département ;
- ou éventuellement l'adoption d'un statut différent.
Or, les délais ainsi fixés n'ont pas été
respectés et la
consultation
prévue
par ces lois
n'a jamais été organisée
22(
*
)
.
Cette situation s'explique en partie par des considérations
diplomatiques, la République fédérale islamique des
Comores ayant exprimé dès l'origine des revendications
territoriales sur Mayotte et la France ayant été condamnée
à plusieurs reprises au sein d'organisations internationales telles que
l'ONU ou l'OUA à propos de la question de Mayotte, au nom de la
règle de l'intangibilité des frontières des Etats issus de
la décolonisation.
Le statu quo a ainsi perduré et
le territoire de Mayotte continue
donc d'être régi, depuis maintenant près de vingt-cinq ans,
par un statut provisoire.
Cependant, les élus de Mayotte ont formulé des demandes
réitérées en vue de voir consacrée l'appartenance
de Mayotte à la République française et son
évolution vers un statut de département. Des propositions de loi
ont été déposées à l'Assemblée
nationale et au Sénat afin de prévoir la consultation de la
population de Mayotte sur le choix de son statut définitif :
- proposition de loi n° 323 (1985-1986), présentée
à l'Assemblée nationale le 24 juillet 1986 par
M. Henry Jean-Baptiste, député, et plusieurs de ses
collègues ;
- proposition de loi n° 1628
(11
ème
législature), présentée
à l'Assemblée nationale le 26 mai 1999 par
M. Henry Jean-Baptiste, député, et plusieurs de ses
collègues ;
- proposition de loi n° 426 (1998-1999), présentée au
Sénat le 15 juin 1999 par M. Marcel Henry,
sénateur, et plusieurs de nos collègues.
Par ailleurs, le Président de la République, ainsi que le Premier
ministre, se sont engagés à organiser une consultation de la
population mahoraise sur son avenir statutaire d'ici la fin du siècle.
Dans la perspective de la préparation de cette consultation,
deux
groupes de réflexion
sur l'avenir institutionnel de Mayotte
ont
été mis en place en 1996
: un groupe national
composé des principaux élus de l'île et de diverses
personnalités qualifiées, sous la présidence de
M. Bonnelle, ancien préfet de Mayotte, et un groupe local
constitué de représentants de la société mahoraise
sous la présidence de M. Boisadam, alors préfet de Mayotte.
Ces deux groupes de travail ont rendu leur rapport de synthèse au
secrétaire d'Etat à l'outre-mer en 1998
23(
*
)
.
Ce rapport évoque cinq voies susceptibles d'être envisagées
pour l'avenir institutionnel de Mayotte, en vue d'une évolution
progressive du statut permettant de prendre en compte les particularismes
économiques, sociaux et culturels de Mayotte :
- un statut nouveau de collectivité territoriale à vocation
départementale ;
- un statut de département d'outre-mer auquel seraient dévolues
des compétences régionales ;
- un statut de département d'outre-mer avec création d'une
collectivité régionale (leurs institutions étant
communes) ;
- un statut de département d'outre-mer avec maintien d'une
collectivité territoriale (leurs institutions étant
communes) ;
- un statut de territoire d'outre-mer.
A la suite de ce rapport, le Gouvernement a retenu une méthode
inspirée de celle qu'il a précédemment utilisée
pour la réforme du statut de la Nouvelle-Calédonie sur la base de
l'accord de Nouméa.
Ainsi, il a envoyé à Mayotte, en décembre 1998 et
juillet 1999, une mission interministérielle qui a mené des
discussions avec les élus, les représentants des principales
formations politiques et de la société civile en vue de parvenir
à un accord sur les grandes orientations d'un nouveau statut.
Ces discussions ont abouti à la mise au point, début
août 1999, d'un
document d'orientation baptisé
"
accord sur l'avenir de Mayotte
"
.
On remarquera cependant que cet accord a été conclu dans un
contexte qui différait profondément de la situation en
Nouvelle-Calédonie puisque la question d'une éventuelle accession
à l'indépendance ne se posait pas à Mayotte où la
quasi-totalité de la population souhaite rester française et
accéder au statut de département d'outre-mer afin de voir
consacré définitivement l'ancrage de Mayotte au sein de la
République française.
D'autre part, à la différence de l'accord de Nouméa pour
la Nouvelle-Calédonie, l'accord pour l'avenir de Mayotte n'a pas fait
l'objet d'un consensus au sein des formations politiques locales. En effet, en
dépit d'un accord unanime sur l'objectif de la
départementalisation, les deux parlementaires représentant
Mayotte, notre collègue Marcel Henry et M. Henry Jean-Baptiste,
député, ont refusé de signer ce document en raison de
plusieurs points de désaccord qui seront précisés dans la
suite du présent rapport.
En décembre 1999, M. Jacques Chirac, Président de la
République, s'exprimant lors de la conférence de presse de
clôture du sommet des chefs d'Etat de la Commission de l'Océan
indien à la Réunion, a annoncé l'organisation prochaine
d'une consultation de la population de Mayotte sur une évolution du
statut de la collectivité territoriale. Il a ainsi déclaré
que "
conformément aux engagements pris depuis longtemps, il y
aura un référendum qui permettra aux Mahorais de s'exprimer et,
le cas échéant, non pas de créer un département,
mais une collectivité départementale dont il conviendra de
préciser exactement la nature. Nous attendons ce
référendum pour le début de l'année
prochaine.
".
S'inscrivant dans le prolongement de ces propos, qui n'ont suscité
aucune réaction de la part des Etats étrangers et des instances
internationales, le Gouvernement a déposé sur le Bureau du
Sénat un projet de loi prévoyant d'organiser une consultation de
la population mahoraise sur l'accord sur l'avenir de Mayotte publié au
Journal officiel le 8 février 2000 après sa signature
officielle le 27 janvier.
Ainsi que l'a précisé M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, au cours de son audition devant
votre commission des Lois, la consultation prévue par le projet de loi
ne constitue pas un référendum au sens de l'article 11 de la
Constitution -l'ensemble de la population française n'étant pas
appelée à y participer-, ni une consultation s'inscrivant dans le
cadre du troisième alinéa de l'article 53 de la Constitution
24(
*
)
-la question posée
ne portant pas sur une éventuelle accession à
l'indépendance.
Le principe d'une telle consultation a été admis par le Conseil
constitutionnel dans sa décision du 30 décembre 1975
relative à une précédente consultation de la population de
Mayotte et dans sa décision du 2 juin 1987 relative à
une consultation de la population de Nouvelle-Calédonie. Cependant, aux
termes de cette dernière décision, la
jurisprudence du Conseil
constitutionnel
impose que la question posée aux populations
intéressées satisfasse "
à la double exigence de
clarté et de loyauté de la consultation
" et qu'elle ne
comporte pas d'équivoque.