B. UNE RÉFORME À MINIMA QUI SE CONTENTE DE TIRER LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES DE L'OUVERTURE PARTIELLE DU CAPITAL D'AIR FRANCE
Le
projet de loi soumis à votre examen comporte trois articles modifiant
les dispositions du code de l'aviation civile relatives à Air France.
Les deux premiers articles tendent à supprimer certaines
procédures relatives aux relations entre l'Etat et l'entreprise.
L'article 1
er
prévoit ainsi :
- de supprimer les dispositions de l'article L.341-1 du code de
l'aviation civile relatives aux conditions générales
d'exploitation du transport aérien par Air France et aux subventions
pour les lignes exploitées en concurrence avec d'autres
sociétés françaises de transport aérien, dans la
mesure où celles-ci relèvent désormais de
règlements communautaires applicables à tous les transporteurs
aériens communautaires ;
- de supprimer l'autorisation préalable des deux ministres de
tutelle en matière de prise de participations d'Air France dans des
entreprises présentant un caractère annexe par rapport à
son activité principale.
L'article 2 prévoit d'abroger les dispositions relatives à
la contrainte d'équilibre financier figurant à
l'article L.342-2, superfétatoire au regard de l'objet même
de l'entreprise, et, s'agissant des obligations devant faire l'objet de
contrats préalables qui lui sont imposées dans
l'intérêt général, de prendre en compte le cas
spécifique des obligations de service public définies par le
règlement (CEE) N° 2408/92 du Conseil du
23 juillet 1992 concernant l'accès des transporteurs aux
liaisons aériennes intracommunautaires.
Enfin, l'article 3 modifie l'article L.342-3 du même code en
substituant aux dispositions relatives à la possibilité, pour la
compagnie, d'émettre des emprunts pouvant bénéficier de la
garantie de l'Etat, de nouvelles dispositions relatives à
l'élargissement du conseil d'administration de la société
Air France.
Ces dispositions porte le nombre des membres du Conseil d'administration de
dix-huit à vingt-et-un, par dérogation à l'article 4
de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 modifiée
relative à la démocratisation du secteur public, qui imposait
dix-huit membres.
Selon l'exposé des motifs, cette extension permettra d'assurer
l'entrée d'administrateurs représentant les nouveaux actionnaires
aux côtés des représentants de l'Etat actionnaire et des
salariés actionnaires ainsi que des administrateurs salariés
élus.
La principale disposition du projet de loi est donc l'élargissement
du conseil d'administration afin de tenir compte de l'entrée de nouveaux
actionnaires privés et du renforcement de l'actionnariat des
salariés. Les autres dispositions -semble-t-il- n'étaient pas
indispensables au bon fonctionnement de l'entreprise.
Ainsi, l'alignement des dispositions du code de l'aviation civile sur le droit
communautaire était certes nécessaire à la
cohérence juridique des textes et au respect de la hiérarchie des
normes. Dans la mesure où les règlements communautaires
visés sont directement applicables et obligatoires dans tous leurs
éléments, les dispositions actuelles du code de l'aviation civile
qui leur étaient contraires ne peuvent recevoir une pleine application.
De même, l'allégement de la tutelle de l'Etat annoncée dans
l'exposé des motifs relève pour une large part d'un toilettage
technique de dispositions qui sont soit sans portée réelle -comme
la contrainte d'équilibre financier- soit inappliquées, comme les
dispositions relatives aux conditions d'exercice des transports aériens.
On ne saurait en tout cas identifier ce toilettage technique avec une
réforme des relations entre l'Etat et Air France. De ce point de vue
l'exposé des motifs est plus généreux que ne l'est le
texte lui même. Ainsi la volonté affichée de recentrer la
tutelle de l'Etat sur le conseil d'administration, s'accompagne du maintien du
contrôle général et du contrôle économique et
financier prévu par l'article L.342-1 du code de l'aviation civile.
Si le contrôle de l'Etat doit s'opérer à travers sa
présence majoritaire au sein du conseil d'administration, comme le
souligne l'exposé des motifs, on peut s'interroger sur la
nécessité de maintenir ce type de tutelle économique et
financière qui constitue un héritage de l'époque où
les entreprises publiques étaient soumises pleinement à la
tutelle administrative de l'Etat. Supprimer ce type de contrôle
supposerait, il est vrai, de revoir les règles générales
applicables aux entreprises publiques.
La portée juridique et pratique des deux premiers articles laisse donc
à penser que leur vocation première était d'accompagner
l'article trois, même s'il faut louer le souci du Gouvernement
d'actualiser les dispositions d'un code qui, élaboré pour
l'essentiel dans les année cinquante, mériterait sans doute une
réforme d'ensemble.
Votre rapporteur observe toutefois que l'augmentation du nombre
d'administrateurs, seule mesure relative au conseil d'administration qui
exigeait le recours à la loi -la composition de ce conseil relevant du
décret- n'était elle-même pas indispensable à
l'introduction de nouveaux administrateurs représentant les actionnaires
privés et au renforcement de la présence des salariés
actionnaires.
Il était, en effet, possible d'atteindre cet objectif sans modifier le
nombre global d'administrateurs. En diminuant le nombre des
personnalités qualifiées à trois et en prévoyant un
vote prépondérant du Président, l'Etat pouvait conserver
la majorité du conseil d'administration avec neuf représentants
dont trois personnalités qualifiées. Cette solution a semble-t-il
été écarté en raison de la crainte que les
personnalités qualifiées pourtant nommées par l'Etat ne
manifestent à l'occasion de certains votes une trop grande
indépendance.
Seule la volonté de l'Etat de conserver une large majorité au
sein du conseil d'administration explique de ce fait l'augmentation du nombre
d'administrateurs. Le projet de loi permet ainsi à l'Etat d'obtenir une
majorité de 11 membres sur 21 et, au sein de sa majorité, de
renforcer la présence des représentants en titre de l'Etat au
détriment des personnalités qualifiés.
Cet objectif était-il suffisant pour que l'on modifie le code de
l'aviation civile ? Il est sans doute naturel que l'actionnaire
majoritaire souhaite s'assurer le contrôle effectif du conseil
d'administration. On peut toutefois regretter que la voie empruntée par
le gouvernement entraîne l'interruption du mandat d'administrateurs
désignés il y a à peine trois ans. En effet, la
continuité permet un suivi des dossiers propice au sérieux des
travaux. La prorogation de l'actuel conseil d'administration avec l'adjonction
des nouveaux membres aurait sans doute, de ce point de vue, été
préférable.
Cette nouvelle réforme aura, en outre, pour conséquence de
provoquer de nouvelles élections et un climat de campagne
électorale qui, par le passé, a souvent été
l'occasion de raviver les tensions entre les différentes
catégories de personnels. Les dispositions du projet de loi permettant
au Gouvernement de prévoir des élections au sein de deux sections
de l'assemblée générale composées respectivement du
personnel navigant technique (PNT) actionnaire et des autres salariés
actionnaires traduisent les accords passés par la direction avec les
pilotes. Elles ont néanmoins l'inconvénient de raviver le clivage
entre les PNT et les autres catégories de personnels, qui ont
déjà assez mal perçu leur faible représentation au
sein du comité d'audit et de stratégie.