B. LA POLICE DE PROXIMITÉ : CONCEPT ET RÉALITÉS
1. Le concept de police de proximité
a) Les objectifs
La
sûreté est une mission première de l'Etat. Elle est aussi
un droit fondamental pour tous et en tous lieux. C'est en application de ces
principes que, dans le prolongement du colloque de Villepinte en 1997, le
Gouvernement a décidé le développement et la
généralisation de la police de proximité, lors du conseil
de sécurité intérieure du 27 janvier dernier.
" Pour répondre à sa vocation
7(
*
)
, la police nationale doit
aujourd'hui évoluer en profondeur et transformer ses modes
d'intervention. A une police chargée principalement du maintien de
l'ordre public doit progressivement se substituer une police qui, sans
négliger ses missions traditionnelles, ait comme objectif premier la
sécurité de nos concitoyens au quotidien et soit capable
d'apporter des réponses adaptées à la petite et moyenne
délinquance de masse, comme aux incivilités.
Le développement des violences en milieu urbain, à l'école
ou dans les transports en commun, la mise en cause croissante de mineurs de
plus en plus jeunes, les dégradations de biens de plus en plus
fréquentes, appellent en effet une autre réponse de la police.
Celle-ci doit gagner la confiance de la population et procéder moins par
opération réactive que par un travail de terrain en profondeur,
laissant à la prévention et à la dissuasion, autant de
place qu'à la répression.
La police de proximité devrait créer ainsi les conditions d'une
meilleure sécurité quotidienne de nos concitoyens.
Il s'agit d'une nouvelle doctrine d'emploi, avec de nouvelles missions et des
modes d'intervention et d'organisation différents.
La police de proximité, c'est d'abord une police qui ne se borne pas
à réagir aux événements ou à traiter les
plaintes, mais qui sait anticiper et agir afin de prévenir les troubles
à l'ordre public, les actes délictueux et les incivilités.
C'est ensuite une police qui connaît son territoire et qui est bien
connue de ses habitants. Son implantation et ses modes de travail permettent un
maillage fin du terrain ainsi qu'une connaissance approfondie des
caractéristiques sociales et culturelles des populations qui vivent dans
chaque quartier.
C'est aussi une police qui répond mieux aux attentes de la population et
qui est en dialogue permanent avec celle-ci ; une police qui apporte des
réponses efficaces et rapides aux problèmes
d'insécurité au quotidien, sait aller au-devant des citoyens, et
se mettre à l'écoute des plaignants et des victimes. "
" Anticipation " et " écoute " sont donc avec
" proximité ", les maîtres mots d'une police
rénovée dans le sens que souhaite le ministre de
l'intérieur.
b) Des modes d'action nouveaux
" Ces objectifs doivent se traduire en principe et modes
d'action nouveaux, à savoir principalement :
- un partenariat actif avec tous les acteurs locaux dans le cadre des
contrats locaux de sécurité et des instances locales de
concertation : conseils communaux de prévention de la
délinquance, comités de quartier, centres de loisirs
jeunes... ;
- une action policière ordonnée autour de territoires
clairement identifiés : secteurs, quartiers, îlots,
permettant une présence policière visible et reconnue des
habitants ;
- une responsabilisation des fonctionnaires à tous les niveaux,
dont l'action donne lieu à une évaluation et un suivi
rigoureux ;
- une polyvalence du policier de proximité, véritable
généraliste de la sécurité, disposant d'une
compétence élargie ;
- un contact permanent avec la population, fondée sur le dialogue,
l'écoute permanente, un accueil attentif, dans un souci de service au
public.
La mise en oeuvre de ces nouveaux modes d'action implique des adaptations dans
l'organisation et le fonctionnement des commissariats qui interviendront
après une nécessaire phase d'expérimentation. Elle suppose
aussi de nouveaux instruments opérationnels et des équipements
adaptés.
La doctrine d'emploi de la police de proximité, les objectifs à
atteindre, les principaux outils opérationnels à mettre en oeuvre
et le calendrier général définis au niveau central
garantissent une cohérence d'ensemble de la démarche. En
revanche, les conditions de réalisation de la réforme et de sa
généralisation doivent être fixées au niveau
départemental et de chaque circonscription.
Une instruction du ministre de l'intérieur diffusant la doctrine,
décrivant la démarche de généralisation et fixant,
le cas échéant, des priorités pour la
généralisation sera adressée aux préfets de
département fin 1999 début 2000.
L'instrument premier de cette mise en oeuvre déconcentrée sera
l'élaboration d'un schéma départemental de
développement de la police de proximité.
Le schéma départemental de police de proximité, sur la
base d'un diagnostic précis récapitulant les
caractéristiques des zones de compétence de la
sécurité publique déterminera le cadre du programme
triennal de mise en oeuvre de la police de proximité du
département avec les territoires éligibles, les besoins, ainsi
que les moyens humains et matériels à mobiliser.
Une articulation avec les contrats locaux de sécurité devra
être prévue par ce document.
Une communication et une concertation en profondeur seront conduites tout au
long de la réforme pour faciliter l'adhésion du public et des
personnel aux orientations arrêtées et à leur mise en
oeuvre. "
La police de proximité apparaît ainsi comme une police
territorialisée, responsabilisée et partenariale.
2. La mise en oeuvre
a) L'expérimentation
Dans les
circonscriptions relevant de la direction centrale de la sécurité
publique, une phase d'expérimentation est d'ores et déjà
engagée.
Dans un premier temps, l'expérimentation a été
engagée dans cinq circonscriptions de sécurité publique
(Beauvais, Châteauroux, Nîmes, Les Ulis, Garges-les-Gonesse),
choisies après une étude de faisabilité et la
définition, pour chacune, d'un projet de service.
L'expérimentation a été étendue, dès cet
été, à 62 nouveaux sites (quartiers ou communes) dans
les départements les plus touchés par la délinquance. Les
projets de service correspondants sont élaborés.
Les premiers résultats de ces expérimentations feront l'objet,
après évaluation, d'un large échange à l'occasion
d'assises nationales de la police de proximité, en mars 2000.
La généralisation de la réforme sera alors mise en oeuvre,
progressivement en trois phases, pour s'achever au premier semestre 2002.
Elle sera déconcentrée et concertée.
b) Les mesures d'accompagnement
" Les collectivités locales seront invitées
à participer à cette démarche dont la mise en oeuvre est
subordonnée à une action concertée d'ensemble à
l'échelon local.
Parce qu'il s'inscrit dans le cadre d'une nouvelle doctrine d'emploi, parce
qu'il suppose de nouvelles conditions d'exercice du métier de policier,
une nouvelle organisation territoriale et une présence accrue sur la
voie publique, le développement de la police de proximité doit
être accompagnée par :
Un plan de formation ambitieux
: la formation initiale des
fonctionnaires sera redéfinie, au moment où la police nationale
connaît le changement complet de génération que provoquera,
dans les cinq ans qui viennent, l'arrivée de 25.000 fonctionnaires
et de 20.000 adjoints de sécurité.
Le développement de la police de proximité sera également
accompagné d'un plan de formation continue portant sur les nouvelles
conditions d'exercice du métier, sur l'évolution des
compétences qu'implique ce changement et les outils opérationnels
qui en seront le support.
Le schéma directeur de la formation dans la police nationale qui vient
d'être adopté illustre la priorité donnée à
cette action.
Un redéploiement des personnels en faveur des missions de
proximité
: plusieurs mesures ont été prises
à cet effet :
• redéploiement de 1.200 policiers au profit de
26 départements les plus sensibles d'ici à la fin de
l'année, conformément aux conclusions du conseil de
sécurité intérieure du 27 janvier dernier ;
• fidélisation territoriale d'unités mobiles afin de
permettre un redéploiement d'effectifs au profit des missions de police
de proximité dans les agglomérations sensibles ;
• redéploiements internes aux services de police, et
notamment de sécurité publique, en faveur des quartiers
difficiles ;
• affectation prioritaire des adjoints de sécurité aux
missions d'accueil et d'îlotage ; et élargissement de leurs
activités à des tâches de garde et de logistique, afin de
favoriser le redéploiement de personnels titulaires.
des moyens de fonctionnement locaux et équipements
adaptés.
L'évolution en cours exige des moyens suffisants.
En effet, outre les adaptations immobilières éventuellement
nécessaires, un effort d'accompagnement sera indispensable en ce qui
concerne les véhicules, les équipements, les effets
vestimentaires, les moyens informatiques et les transmissions.
La dotation des circonscriptions de sécurité publique choisies
pour l'expérimentation de la police de proximité sera
renforcée dès 1999 et complétée en 2000.
Les moyens nécessaires à la généralisation sont,
par ailleurs, dégagés au titre du projet de loi de finances
2000. "
c) Les instruments auxiliaires
La mise
en oeuvre de la police de proximité repose sur la collaboration aux
missions de sécurité de partenaires extérieurs
intéressés (à travers les contrats locaux de
sécurité), l'affectation d'adjoints de sécurité et
le recrutement d'agents locaux de médiation sociale.
•
Les contrats locaux de sécurité
Selon le rapporteur pour avis des crédits de la police de la commission
des lois de l'Assemblée nationale, M. Mermoz, les contrats locaux de
sécurité (CLS) constituent les " clefs de voûte de la
démarche globale qu'est la police de proximité. "
Prévus par une circulaire interministérielle du
28 octobre 1997, ils s'inscrivent effectivement dans la logique de
cette démarche qui associe prévention, sanction et
éducation civique.
Les insuffisances constatées au début de la mise en oeuvre de la
procédure tendent à s'améliorer, qu'il s'agisse :
-
des diagnostics de sécurité préalables
8(
*
)
:
ils permettent
généralement d'aboutir à un plan d'action répondant
à la situation locale mais restent encore, dans un quart
des cas
environ, insuffisants et peu exploitables, notamment en ce qui concerne
l'analyse critique de la réponse apportée aux problèmes
locaux
;
-
du partenariat
qui ne se limite plus aux élus et aux
services de l'Etat. Sans signer nécessairement le contrat, d'autres
partenaires concernés (sociétés de transports en commun,
bailleurs sociaux, commerçants) figurent dans les fiches d'action (voir
ci-dessous) et participent souvent aux instances d'information et de
concertation que sont devenues les conseils départementaux de
prévention de la délinquance ;
-
de l'élaboration de plans d'actions
, déficiente au
début, qui s'améliore grâce, justement, aux fiches d'action
susvisées.
Le bilan actuel est de 110 contrats et 2.045 actions dont 283
relatives au développement de la police de proximité, 238
à l'amélioration de l'accueil du public et 183 à
l'assistance aux victimes.
•
Les adjoints de sécurité
Ce sont, d'après le rapport précité de M. Mermaz, une
" pièce maîtresse " de la mise en oeuvre de la police de
proximité, notamment parce qu'ils permettent de structurer et de
renforcer les patrouilles d'îlotiers et d'améliorer les conditions
d'accueil du public.
Les trois quarts sont affectés dans les départements très
sensibles ou à Paris.
Les adjoints de sécurité sont des " emplois-jeunes "
dont le statut a été précisé par un décret
du 30 octobre 1997. Agés de 18 à 25 ans, ils sont
engagés pour cinq ans sur la base d'un contrat de droit public. Ils
doivent permettre de faire face à des besoins non satisfaits en
matière de prévention, d'assistance et de soutien,
particulièrement dans les quartiers les plus sensibles.
Leurs missions sont très variées mais ils ne peuvent pas
participer à des missions de police judiciaire ou de maintien de
l'ordre. Ils portent une arme quand leurs missions le justifient.
Les candidats sont recrutés dans le cadre départemental sur la
base d'une sélection reposant sur des tests psychologiques et un
entretien. Aucun diplôme n'est exigé.
Les adjoints bénéficient d'une formation initiale d'une
durée de 10 semaines, au lieu de 8 semaines initialement,
comprenant une partie théorique en école de huit semaines et un
stage de deux semaines dans un service. Un tuteur leur est affecté dans
des conditions précisées par la circulaire du
16 août 1999.
•
Les agents locaux de médiation sociale
Ainsi qu'il a été indiqué à votre rapporteur,
" les principales fonctions confiées aux agents locaux de
médiation sociale visent à améliorer la
sécurité d'espaces et de bâtiments publics (rues et places
de quartier, gares, véhicules de transport, gymnases) ou privés
(halls d'immeubles du parc social, centres commerciaux). Leur présence
active, notamment par le dialogue avec la population, vise à
réduire le sentiment d'insécurité quand cela est possible.
Le contact recherché avec les publics fragiles ou en difficulté,
l'animation préventive, sont au nombre des missions d'utilité
sociale qu'ils accomplissent couramment.
L'amélioration des relations entre, d'une part, les institutions, que
leur formation et leur activité quotidienne doivent justement leur faire
connaître, et, d'autre part, la population dans les quartiers difficiles
se rattache directement à leur rôle de médiation.
Si la médiation constitue une priorité, l'animation
préventive et la présence, dès lors qu'elles sont
adaptées aux caractéristiques du territoire
considéré, constituent les missions les plus importantes
assignées à ces personnels. Les correspondants de nuit et les
agents d'ambiance dans les transports publics semblent être, pour le
moment, deux métiers qui émergent car ils ont fait la preuve de
leur utilité et ont bénéficié dans de nombreux cas
d'une démarche de professionnalisation soutenue par les employeurs.
Les collectivités locales, et en particulier les communes, sont les
principaux employeurs de ces personnels. Viennent ensuite et, à moindre
degré, les transporteurs publics et privés, les bailleurs sociaux
et les associations.
Une circulaire en date du 15 décembre 1997 recommande aux
préfets de veiller à ce que le recrutement des agents locaux de
médiation sociale " reflète le plus fidèlement
possible, la diversité des habitants des villes et des quartiers
sensibles où ils seront amenés à exercer leurs
missions ".
Comme les adjoints de sécurité, les agents locaux de
médiation sociale sont des " emplois-jeunes " de droit commun.
8.192 emplois correspondants ont été créés
(mais pas encore tous pourvus), d'un coût budgétaire total de
57,3 millions de francs.
Les contrats locaux de sécurité, les adjoints de
sécurité et les agents locaux de médiation sociale peuvent
être des facteurs importants de réussite de la police de
proximité dans la mesure où ils contribuent, en matière de
sécurité :
- à l'implication des collectivités et d'autres partenaires
concernés (transports publics, offices d'HLM) ;
- à une forme de " mixité sociale " (19 % des
adjoints de sécurité proviendraient des quartiers sensibles.
Près de 30 % des agents de médiation sont issus de
l'immigration et 7,5 % sont de nationalité étrangère).
Votre rapporteur est favorable à ces nouveaux instruments. Il souhaite,
de façon générale :
- une meilleure concertation entre les commissaires de police et les
élus ;
- que la formation et l'encadrement des adjoints de sécurité
fassent l'objet d'une particulière attention (d'autant que la
majorité sont dotés d'une arme de service) et que
l'intégration d'une partie d'entre eux dans la police
9(
*
)
s'effectue dans des conditions
équitables et rigoureuses.