II. LES PRINCIPALES MUTATIONS QUI AFFECTENT LA POLICE NATIONALE
A. L'ÉVOLUTION DE LA DÉLINQUANCE
1. Remarques liminaires
Il est
tout d'abord évident que malgré la qualité de l'appareil
statistique utilisé, les résultats enregistrés ne
correspondent pas parfaitement à la réalité des
infractions commises.
Il est envisagé de mettre au point de nouveaux indicateurs pour
distinguer la délinquance " réactive " constatée
à l'occasion des dépôts de plainte des particuliers, de la
délinquance " proactive " discernée directement par la
police dans l'exercice de ses activités, dont l'augmentation peut
résulter de l'amélioration de l'efficacité des services.
D'autre part, ne sont pas pris en compte les infractions pénales
involontaires, les faits qui relèvent de la contravention et les
incivilités, qui ne peuvent pas être définies juridiquement.
STATISTIQUE DES CRIMES ET DÉLITS
La
statistique des crimes et délits commis en France, dont la communication
incombe au ministère de l'intérieur, est établie à
partir d'une méthode de collecte commune à la police et à
la gendarmerie nationale retenue au terme des travaux d'un groupe
interministériel regroupant des représentants des
ministères de l'intérieur, de la justice, de la défense,
ainsi que de l'INSEE. Cette statistique comptabilise " tout fait de
caractère pénal, présumé crime ou délit,
commis ou tente, porté pour la première fois à la
connaissance d'un service de police ou de gendarmerie, et consigné dans
une procédure transmise à l'autorité judiciaire.
Destinée à permettre à la fois l'adaptation des politiques
publiques de sécurité et la réaction des services de
police ou de gendarmerie, cette statistique ne prend en compte ni les
infractions pénales involontaires ni les contraventions. Les
incivilités, en l'absence de définition juridique, peuvent
englober à la fois des manquements aux règles de vie en
société et des infractions mineures que la victime ou le
témoin n'envisage pas de porter à la connaissance de la police.
Toutefois, les faits pénaux rapportés sont bien entendu
comptabilisés selon leur catégorie juridique. Les enquêtes
de victimation, au-delà de leurs délais de réalisation et
de l'appréciation de leur pertinence, ne sauraient fournir mensuellement
une mesure portant sur 105 index, contrairement à la statistique
descriptive actuelle.
La fiabilité de ces statistiques est notamment garantie par :
- la nomenclature en 107 index (
105 infractions et
2 regroupements)
et 12 colonnes (
mis en cause,
écroués, gardes à vue, etc.)
, les unités de
compte (
différentes en fonction de la nature de l'infraction :
procédure, victime, véhicule, auteur, etc.)
, l'application de
la méthodologie (
définie depuis 1998 au niveau
interministériel : Justice, Défense, Intérieur,
INSEE)
- Le contrôle de la collecte et de la centralisation :
assuré par la hiérarchie (contrôles au niveaux
départemental et national), les corps d'inspection (I.G.S-I.G.P.N.,
contrôle général des Armées) et l'INSEE.
- Une action commune de la Police et de la Gendarmerie qui s'est notamment
traduite par la diffusion d'instructions méthodologiques communes.
Le système français est un des rares dispositifs statistiques
européens autorisant des analyses de tendances longues, sans rupture de
séries (depuis 1972).
Or, le sentiment d'insécurité peut différer de
l'insécurité réelle. Ainsi peut s'expliquer le malentendu
né d'une interprétation erronée de l'enquête
réalisée par l'INSEE pour le compte de l'IHESI (Institut des
hautes études de la sécurité intérieure). Cette
étude révélait le fossé existant entre la
délinquance ressentie par le public et celle déclarée aux
services de police et de gendarmerie. L'écart de un à cinq,
relevé par l'enquête concernant les délits sur la voie
publique, provenait probablement de ce qu'elle portait non seulement sur les
coups et blessures volontaires mais aussi sur les " menaces ou
chantages " qui ne sont déclarés aux forces de police que
dans 16 % des cas.
Ainsi, comme l'a déclaré le ministre de l'intérieur
à l'Assemblée nationale, cette enquête reflète
surtout un climat. Elle révèle que les atteintes aux personnes
ont l'impact le plus fort sur le sentiment d'insécurité.
2. Constatations
Si
imparfaites qu'elles puissent être, les statistiques n'en
reflètent pas moins des tendances préoccupantes de
l'évolution de notre société, qui justifient la
priorité budgétaire dont la police fait l'objet et l'adaptation
de ses méthodes et de la répartition de ses effectifs.
Même si on peut tenter de faire valoir, à court terme, que la
délinquance est globalement contenue, elle a atteint en longue
période, un niveau intolérable sous l'influence de
différents facteurs (urbanisation, chômage,
déstructurations familiales et sociales...).
Surtout, elle paraît d'une part, marquée par une concentration
dans certaines zones et, d'autre part, affectée par des
différences entre les évolutions des différentes
catégories d'infractions.
Trois principales tendances se dégagent :
- l'augmentation de la violence
- la progression de la délinquance de masse
- l'implication croissante des mineurs.
Les tableaux suivants le confirment :
On note dans ce tableau l'évolution très forte des coups et
blessures volontaires (+5,97 %) ainsi que celle, préoccupante
également, mais qui trouble moins, au quotidien, la vie de nos
concitoyens, des infractions à la législation sur les
stupéfiants.
Toutes tendances confondues, les infractions de masse, qui sont les plus
fréquentes, ont augmenté, même si des progrès sont
enregistrés pour certaines catégories d'entre elles (vols de
véhicules et cambriolages).
Cette délinquance se caractérise, en outre, par une assez grande
impunité, le phénomène étant lié à
celui de l'implication croissante des mineurs dans les infractions commises.
Près de 22 % des faits de délinquance sont désormais
commis par des moins de 18 ans.
C'est dans les vols que leur part est la plus forte mais leur participation aux
crimes contre les personnes a doublé en dix ans et leur part dans les
règlements de compte entre malfaiteurs -en nombre, heureusement, encore
limité- a atteint 26,7 % en 1998.
L'analyse, par département, par circonscription de
sécurité publique en Ile de France et dans les villes de plus de
100.000 habitants, des taux de criminalité pour
1.000 habitants montre une concentration de celle-ci dans les zones
urbaines ainsi que de fortes disparités : de 26 pour 1.000
dans le Gers ou le Lot à 134 à Paris, la centaine
étant fréquemment dépassée dans les grandes villes
et les communes de banlieue parisienne.
3. Appréciations
Les
évolutions qui viennent d'être rappelées inspirent à
votre rapporteur les commentaires suivants :
Il faut se garder d'entrer dans des " querelles statistiques ".
Ces dernières, on l'a vu, ne sont pas parfaitement fiables. Une baisse
ne signifie pas que la partie soit gagnée, une hausse peut
résulter d'un accroissement de l'efficacité des services de
police (délinquance " proactive "). Il faut lutter contre le
sentiment
d'insécurité, en augmentant la présence
des policiers sur la voie publique, améliorer l'accueil dans les
commissariats et s'adapter, surtout, aux évolutions de la
criminalité et de la délinquance.
Concernant les délinquants mineurs, l'impunité dont ils
peuvent sembler souvent bénéficier provoque un profond
désarroi chez les policiers, les victimes et la population en
général.
En ce domaine, comme en d'autres (celui par exemple des étrangers en
situation irrégulière), les relations entre la police et la
justice doivent être améliorées.
On note, depuis deux ou trois ans, une évolution intéressante et
positive à ce sujet des parquets, notamment lorsque les procureurs
figurent parmi les signataires des contrats locaux de sécurité.
Mais cette tendance n'est pas uniforme.
L'hétérogénéité des comportements des
parquets d'une part, le décalage entre ces derniers et les magistrats du
siège, d'autre part, constituent des motifs de préoccupation.
Différentes lectures de l'ordonnance de 1945 protectrice des mineurs
peuvent, en effet, être faites.
Il convient de diversifier la dépression en amont en multipliant les
sanctions-réparations en nature et en espèce et de
réfléchir à une éventuelle réforme du code
de procédure pénale.
Le ministre de l'intérieur a déclaré, aux rencontres
nationales des acteurs de la prévention et de la délinquance,
à Montpellier, le 18 mars 1999 : " La
prévention, si souhaitable qu'elle soit, aussi large que possible, ne se
suffit pas toujours à elle-même. La sanction a aussi une valeur
éducative ".
Il a rappelé, lors de son audition par votre commission des finances, le
2 novembre dernier, la création, en application d'une
décision du Conseil de sécurité intérieure du
27 janvier 1999, de centres de placement immédiats de mineurs.
L'action de la police nationale face au
problème
de la
délinquance des mineurs
Les personnels spécialisés
Les policiers affectés dans les brigades des mineurs
L'extension de compétences des brigades des mineurs, appliquée
dans un premier temps au traitement des violences en milieu scolaire, est
également progressivement mise en place. Programmée
prioritairement sur les 26 départements très sensibles (note
à l'attention des DDSP du 29 mars 1999), elle a d'ores et
déjà été décidée pour les brigades
nouvellement créées ainsi que pour les circonscriptions de
Marseille, Aix-en-Provence, Lille, Lens et Strasbourg.
Par ailleurs, prévue sur deux ans, la formation de
17.500 fonctionnaires du corps de commandement et d'encadrement et du
corps de maîtrise et d'application, au traitement de la
délinquance des mineurs devrait bientôt s'achever. Ce sont
finalement 20.000 fonctionnaires, prioritairement ceux affectés
dans les 26 départements les plus sensibles, en contact
régulier avec des mineurs qui auront été formés.
Les policiers " référents et correspondants
police-jeunes "
Pour chaque circonscription de police ont été
désignés en août 1998 des " correspondants locaux
police-jeunes ", dont l'action est coordonnée au niveau du
département par le " référent police-jeunes "
(Décision du CSI du 8 juin 1998).
Ces derniers ont été réunis le 26 octobre 1998,
en présence du ministre de l'Intérieur par intérim, afin
de définir les objectifs et modalités de mise en oeuvre de ce
dispositif et de leur présenter le programme de formation défini
en collaboration entre la DCSP et la DFPN.
Trois sessions de trois jours ont permis d'assurer la formation des
95 référents à qui a été remise une
fiche technique élaborée par la direction centrale de la
sécurité publique précisant leur rôle et leurs
missions.
Le référent-jeunes est l'interlocuteur reconnu et
identifié par l'ensemble des administrations, services, structures
partenariales avec lesquels il est amené à travailler. Il permet
d'orienter de manière opérationnelle l'action des services de
police eux-mêmes dans la lutte contre la délinquance des mineurs
en associant la participation des îlotiers ou d'autres fonctionnaires
spécialisés. Son action conduit à une meilleure
individualisation et une plus grande rigueur du suivi judiciaire,
éducatif et social des mineurs délinquants, notamment des
multiréitérants, par la transmission d'une information plus
complète.
Une politique judiciaire adaptée
Des mesures spécifiques ont été mises en oeuvre.
L'information des magistrats concernant les mineurs délinquants
dépasse le strict cadre des procédures judiciaires et est
complétée par un récapitulatif périodique de
" l'activité " des mineurs réitérants et la
transmission d'éléments sur les effets induits et l'influence
néfaste qui découle des agissements des mineurs
délinquants sur leur environnement le plus immédiat.
La convocation par officier de police judiciaire pour les mineurs
délinquants permet de donner une suite rapide à l'acte
délinquant, et le traitement en temps réel des procédures
concernant les mineurs favorise un contact régulier entre policiers et
magistrats, diminue le nombre d'affaires classées, valorise le travail
de l'enquêteur, lutte contre le sentiment d'impunité des mineurs.
L'accélération du traitement des procédures vise, ainsi,
à restituer à la sanction pénale ses vertus
éducatives.
Une incitation au dépôt de plainte plus systématique,
notamment à l'égard des personnels de l'éducation
nationale, permet d'engager une action réellement efficace sur le plan
judiciaire mais aussi éducatif (circulaire du 2 octobre 1998
relative à la lutte contre la violence en milieu scolaire et circulaire
précisant les modalités de coopération entre les services
de police et l'éducation nationale devant prochainement être
signée).
Par ailleurs, la mise en place de la systématisation des
procédures judiciaires, même simplifiées, pour des
infractions telles que le vol à l'étalage ou la consommation de
stupéfiants permet la détection des jeunes en risque de
dérive sociale.
Enfin, la loi du 1
er
juillet 1996 portant modification de
l'ordonnance de 1945, texte législatif de référence en
matière de traitement de la délinquance des mineurs, a
institué une procédure de comparution à délai
rapproché des mineurs auteurs.