B. LE GOUVERNEMENT EST INCAPABLE D'ESTIMER LES COÛTS GÉNÉRÉS PAR LE PASSAGE AUX 35 HEURES DANS LES FONCTIONS PUBLIQUES
Le passage aux 35 heures dans la fonction publique soulève de nombreuses interrogations relatives notamment à la création de nouveaux emplois et à leur financement.
1. Des sureffectifs dont le coût est estimé à 150 milliards de francs par an
L'Inspection générale des finances a fait
état,
dans une note interne datant de l'automne 1997
139(
*
)
, d'un "
sureffectif de 10 %
au minimum dans les trois fonctions publiques, soit près de 500.000
agents en trop
". Le coût de ce sureffectif est estimé
à
150 milliards par an
.
La note
140(
*
)
fournie par l'IGF
à la mission interministérielle sur les 35 heures dans les
trois fonctions publiques est pour le moins critique, elle précise ainsi
que les durées de temps de travail observées sont
déjà largement inférieures à la norme
légale. Elle en déduit qu'il convient
"
d'écarter toute idée de diminution
générale et uniforme du temps de travail
(...) et de
mettre en place des instruments de contrôle des temps de
travail
". Le but poursuivi doit être
l'accélération de la "
démarche de modernisation
de l'administration
". L'IGF préconise dans cette perspective
une réduction du temps de travail au cas par cas plutôt que
globale et semble exclure toute nouvelle création d'emploi.
Le rapport Roché, rendu public le 10 février 1999, est plus
prudent
. Il élude l'un des aspects essentiels du dispositif de
réduction du temps de travail : la création d'emploi. S'il
entretient une certaine ambiguïté dans ce domaine, certaines
conclusions sont pourtant explicites : "
Au-delà d'un
accroissement de productivité, une compensation à la diminution
globale du temps de travail peut être trouvée dans une meilleure
mobilité d'emploi des agents, ainsi que dans la redéfinition de
certaines missions et une évolution de certains
postes
"
141(
*
)
.
Les syndicats ne se sont d'ailleurs pas laissé abuser par cette
prudence. Alors qu'ils avaient déjà dénoncé les
"
arguments tendancieux
"
142(
*
)
de l'Inspection
générale des finances, ils se sont prononcés contre les
conclusions du rapport Roché. La CFDT regrette que "
le cadre
proposé par la mission (fasse) l'impasse sur la nécessité
d'intégrer la création d'emplois aux discussions
". La
FSU considère que ce rapport "
minore la réalité
et néglige les spécificités du travail de l'ensemble des
fonctionnaires (... et soit...) essentiellement un plaidoyer pour une
réorganisation du travail qui esquive la nécessité de
créer des emplois
". FO estime que le rapport "
est
destiné en particulier, à ne pas créer d'emploi dans la
fonction publique, alors que d'ici à 2010, 700 000 fonctionnaires
doivent partir à la retraite
". La CGT, la CFE-CGC et l'UNSA se
prononcent également en faveur de créations d'emplois dans la
fonction publique. Seul, le MEDEF paraît être en accord avec les
conclusions du rapport Roché, et estime qu'il constitue
" un
constat de l'incompétence, des carences et du laxisme de
l'Etat-employeur
"
143(
*
)
.
Le rapport sur le bilan et les perspectives de la réduction du temps de
travail pour les agents de la fonction publique, prévu par l'article 14,
de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation
relative à la réduction du temps de travail, établi par le
ministre de la fonction publique aborde, certes, le thème de l'emploi
dans la fonction publique mais ce n'est pas sous l'angle de la création
d'emplois à l'occasion du passage aux 35 heures :
" le
thème de l'emploi a été au centre des
préoccupations exprimées, même si celui-ci ne peut
être traité dans son application au niveau global inter fonctions
publiques
"
144(
*
)
.
L'objectif prioritaire semble être la réduction du nombre d'heures
supplémentaires et du travail précaire :
"
l'objectif premier est d'améliorer l'efficacité du
service public
(...) en prenant en compte les
spécificités de chacune des administrations et de leurs
échelons déconcentrés : c'est dans cet esprit que le
Gouvernement entend mener à bien cette
réforme
"
145(
*
)
.
L'éventualité d'une création d'emplois n'est pas
directement abordée. Le ministre de la fonction publique a d'ailleurs
indiqué à de nombreuses reprises que la diminution du temps de
travail et la création d'emplois
" ne se déclinent pas de
la même façon dans les secteurs privé et
public
"
146(
*
)
.
Auditionné par votre commission
147(
*
)
, M. Emile Zuccarelli, ministre de la
fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation, a déclaré que " la réduction
du temps de travail devait s'appliquer aux fonctionnaires qui travaillaient en
moyenne plus de 35 heures par semaine, les autres devant, en
première analyse, conserver les mêmes horaires qu'actuellement. Il
a souligné que " l'emploi n'était pas un objectif dans la
démarche de réduction du temps de travail dans la fonction
publique, mais qu'il s'agissait de lui appliquer une avancée
sociale ".
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de
l'Etat et de la décentralisation, a également estimé
possible de déboucher, d'ici à trois mois, sur un accord relatif
à l'aménagement et à la réduction du temps de
travail qui serait valable pour l'ensemble des trois fonctions publiques.
Cet accord, à la fois suffisamment précis et suffisamment souple,
devrait ensuite être adapté au niveau de chaque fonction publique
et pour la fonction publique d'Etat, pour chaque ministère. Enfin, la
négociation devrait avoir lieu au niveau des entités
administratives déconcentrées, c'est-à-dire au niveau des
services de l'Etat, des établissements hospitaliers et des
collectivités locales employeurs.
On relèvera que Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la
solidarité après avoir longtemps refusé de parler de
création d'emplois dans la fonction publique hospitalière, assure
désormais que le passage aux 35 heures créera des emplois dans
les hôpitaux
148(
*
)
. Elle
ne précise cependant pas comment ces emplois seront financés ni
leur nombre.
Il ressort finalement de ces divers rapports et prises de position que le
passage aux 35 heures dans la fonction publique reste entouré de la plus
grande ambiguïté. La commission des finances du Sénat fait
à ce propos une remarque des plus pertinentes : "
soit il
est décidé de ne pas mettre en oeuvre les 35 heures pour les
fonctionnaires et nous nous en réjouissons, mais il faut le dire ;
soit cette orientation reste d'actualité, et il faut en évaluer
les coûts
"
149(
*
)
.
Les tergiversations relatives au passage aux 35 heures dans la fonction
publique tiennent essentiellement au coût d'une telle mesure et à
la volonté de ne pas prendre la responsabilité d'une telle
augmentation de la dépense publique alors que le système de
financement des 35 heures dans le secteur privé est déjà
largement contesté, y compris par les partenaires sociaux.