3. Mise en oeuvre de la réduction du temps de travail et licenciement d'un salarié
a) Un débat soulevé par la commission des Affaires sociales du Sénat en 1998
C'est la
commission des Affaires sociales qui a, en premier, soulevé la question
des conséquences de l'application d'un accord collectif de
réduction du temps de travail sur les contrats de travail lors de la
discussion de la première loi Aubry en 1998 après que la
commission a auditionné le Pr Jean-Emmanuel Ray
129(
*
)
.
A l'occasion de cette audition, M. Jean-Emmanuel Ray avait estimé
qu'
" il serait possible à des salariés refusant une
réduction du temps de travail sans compensation salariale, de faire
pression sur leur employeur, pour obtenir la remise en question d'une mesure
unilatérale de réduction du temps de travail.
Il avait par ailleurs souligné que
" si dix salariés ou
plus d'une même entreprise refusaient une réduction du temps de
travail sans compensation salariale et demandaient leur licenciement,
l'entreprise serait alors tenue de procéder à des licenciements
économiques dans le cadre d'un plan social, susceptible d'être mal
compris par les banques ou les partenaires commerciaux de
l'entreprise "
.
Dans son rapport sur la première loi Aubry, votre rapporteur avait mis
en avant
130(
*
)
que la
généralisation de la réduction du temps de travail posait
inéluctablement la question de la compensation salariale. Il observait
alors qu'il existait
" un risque sérieux que les salariés
soient fondés à être licenciés par leur entreprise
avec des indemnités, on se trouverait dans ce cas dans une situation
paradoxale où l'entreprise se verrait dans l'obligation de licencier
avant de pouvoir embaucher dans le cadre d'un accord de réduction du
temps de travail "
.
La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation a en effet
considéré qu'une réduction de salaire induite par une
réduction de la durée du travail constituait
" une
modification d'un élément essentiel du contrat de travail des
intéressés "
(Cass. Soc. 14 février 1996,
SAGEM c/Binard et a) et que
" la réduction de la durée du
travail sans compensation salariale constituait une modification de leur
contrat que les salariés n'étaient pas tenus
d'accepter "
(Cas. Soc. 19 novembre 1997, Manoir industries
c/Akarkoub et a).
Il résultait de ces évolutions de la jurisprudence que la
réduction de salaire consécutive ou non à la
réduction du temps de travail constituait une modification de travail
qui requérait l'accord individuel des salariés concernés.
Les conséquences dommageables pour l'entreprise d'une telle situation
apparaissaient par ailleurs comme renforcées du fait de la jurisprudence
" Framatome " et " Majorette " (arrêts du
3 décembre 1996) de la Cour de Cassation qui avait
décidé que, en cas de modification des contrats de travail pour
motif économique dans une entreprise d'au moins 50 salariés,
dès lors qu'au moins 10 salariés étaient susceptibles
d'être concernés dans une même période de
30 jours, l'employeur avait pour obligation de mettre en oeuvre un plan
social.
Dans un cas extrême, si le licenciement devait être
considéré par le juge comme irrégulier, votre rapporteur
avait observé que l'employeur pouvait être éventuellement
poursuivi pour délit d'entrave (en cas de défaut de consultation
des représentants du personnel, de défaut de notification
à l'administration et/ou de non-respect des délais) et risquer
ainsi d'être condamné à une peine d'emprisonnement.