EXAMEN DES ARTICLES
Article premier
(Art. 77 de la
Constitution)
Définition du corps électoral pour les
élections
aux assemblées de province et au congrès de
la Nouvelle-Calédonie
Ce
premier article a pour objet de régler une question incidente par
rapport au coeur du dispositif du projet de loi constitutionnelle
consacré à la Polynésie française : il s'agit
de préciser, au sein même de la Constitution, la définition
du corps électoral admis à participer aux élections aux
assemblées de province et au congrès de la
Nouvelle-Calédonie.
Il est ainsi proposé de compléter l'article 77 de la Constitution
qui confie au législateur organique le soin de déterminer les
règles relatives à la citoyenneté et au régime
électoral applicables en Nouvelle-Calédonie "
dans le
respect des orientations définies
" par l'accord de
Nouméa et "
selon les modalités nécessaires
à sa mise en oeuvre
", afin de revenir sur
l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel de
l'article 188 de la loi n° 99-209 du 19 mars 1999
définissant le corps électoral admis à participer aux
élections au congrès et aux assemblées de province.
Dans sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, le Conseil
constitutionnel a en effet formulé une réserve
d'interprétation concernant la définition de ce corps
électoral spécial. Il a estimé qu'il devait être
compris comme étant un " corps électoral glissant " :
"
il ressort des dispositions combinées des articles 188 et 189
que doivent notamment participer à l'élection des
assemblées de province et du congrès les personnes qui, à
la date de l'élection, figurent au tableau annexe mentionné au I
de l'article 189 et sont domiciliées depuis dix ans en
Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur établissement
en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre
1998
".
Le Conseil constitutionnel a ainsi considéré que le tableau
annexe auquel il est fait référence à l'article 188
était celui visé à l'article 189, révisé
annuellement et recensant l'ensemble des personnes établies en
Nouvelle-Calédonie quelle que soit la date de leur arrivée ayant
la qualité d'électeur au regard du droit électoral
général mais ne remplissant pas les conditions requises pour
participer à l'élection des assemblées locales.
Or, cette interprétation ne correspond pas à celle qui ressort
des travaux parlementaires lors de la discussion du projet de loi organique
statutaire : ceux-ci font apparaître que le corps électoral
restreint pour les élections au congrès et aux assemblées
de province, prévu par l'article 77 de la Constitution, était
alors conçu comme ne devant prendre en compte, pour l'application de la
condition de dix ans de résidence, que les personnes entrées en
Nouvelle-Calédonie entre 1989 et 1998, c'est-à-dire celles
inscrites au tableau annexe arrêté en vue de la consultation du 8
novembre 1998.
Le rapport de notre collègue Jean-Jacques Hyest fait au nom de la
commission des Lois du Sénat
10(
*
)
, dans son commentaire de l'article 177
du projet de loi organique, devenu l'article 188 de la loi statutaire, indique
ainsi :
"
Faisant référence au tableau annexe mentionné au
I de l'article 178
devenu l'article 189 de
la
loi
statutaire
, c'est-à-dire le tableau annexe des électeurs non
admis à participer au scrutin et pris en considération pour
dresser la liste électorale spéciale à l'élection
du congrès et des assemblées de province, ce b)
de l'article
177 devenu l'article 188 de la loi statutaire
pouvait être
interprété comme prévoyant une intégration
progressive dans la liste figurant sur ce tableau des personnes nouvellement
domiciliées en Nouvelle-Calédonie dans l'attente de remplir la
condition de dix ans de domiciliation pour accéder à la
qualité d'électeur. Or, selon les informations
délivrées à votre rapporteur, l'intention sous-jacente
à l'Accord de Nouméa n'est pas d'instaurer un corps
électoral glissant, s'enrichissant au fil du temps des personnes dont
l'inscription serait progressivement portée au tableau annexe et qui en
sortiraient pour devenir des électeurs au moment où elles
pourraient justifier de dix ans de résidence. Aussi l'Assemblée
nationale, sur proposition de sa commission des Lois et avec l'accord du
Gouvernement, a-t-elle préféré supprimer ce renvoi au I de
l'article 178 afin de lever toute ambiguïté. Reste cependant
à déterminer quel est le tableau annexe visé par l'article
177 qui aura vocation à se vider de sa substance au fur et à
mesure que les personnes qui y seront inscrites pourront justifier de dix
années de résidence en Nouvelle-Calédonie et
accéderont ainsi à la qualité d'électeur. Selon le
rapport de l'Assemblée nationale, il s'agit du tableau annexe
prévu en 1988 pour le référendum de 1998 et
arrêté à cette date, retenue comme date de
référence. Le tableau annexe visé est celui qui a
été établi en application de l'article premier du
décret n° 90-1163 du 24 décembre 1990 pris pour la mise
en oeuvre des articles 2 et 3 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre
1988 en vertu de l'article 7 du décret n° 98-733 du 20 août
1998 portant organisation de cette consultation.
"
Le rapport établi par M. René Dosière au nom de la
commission des Lois de l'Assemblée nationale est tout aussi
explicite
11(
*
)
sur ce
point : "
A quel tableau annexe fait-on référence
dans l'accord de Nouméa ? Il est clair qu'il s'agit du tableau qui
a été constitué en vue de la consultation
référendaire de 1998. Figurent sur ce tableau - et sont donc
exclues de la liste électorale spéciale - les personnes qui ne
respectent pas la condition fixée par l'article 2 de la loi
référendaire du 9 novembre 1998, c'est-à-dire celles qui
n'ont pas eu leur domicile en Nouvelle-Calédonie de la date du
référendum du 9 novembre
1988 jusqu'à la date de
consultation, qui aurait dû être celle relative à
l'autodétermination, de 1998.
...
Les personnes
installées en Nouvelle-Calédonie, après le
référendum de 1998 jusqu'à la consultation de 1998,
pourront donc voter aux élections provinciales dès qu'elles
auront rempli la condition de domicile. Les premières retrouveront ce
droit de suffrage en 1999, les dernières à la fin de
2008.
"
Ainsi, alors qu'il s'agissait au moment de la révision constitutionnelle
d'autoriser la définition d'un corps électoral restreint pour les
élections au congrès et aux assemblées de province, le
législateur organique a précisé lors de l'examen des
textes statutaires que ce corps électoral devait être conçu
comme étant figé, en prenant comme référence la
liste des personnes inscrites au tableau annexe dressé en vue de la
consultation du 8 novembre 1998 tendant à l'approbation de l'Accord de
Nouméa.
Observons en outre que retenir le critère du tableau annexe glissant
reviendrait à rendre difficilement intelligibles certaines des
conditions alternatives figurant à l'article 188 dont le libellé
reproduit pourtant fidèlement les termes de l'Accord de Nouméa.
En effet, quelle serait la portée de la référence au
tableau annexe pour la deuxième catégorie visée
(être inscrit au tableau annexe et justifier de dix années de
résidence en Nouvelle-Calédonie à la date de
l'élection) s'il s'agit du tableau annexe courant, c'est-à-dire
celui qui s'enrichit chaque année des personnes entrées en
Nouvelle-Calédonie qui ne remplissent pas les conditions requises pour
participer au scrutin local, sachant que cette condition est
précisément le fait de pouvoir justifier d'une durée de
résidence de dix ans ? En revanche, si le tableau annexe est celui
arrêté en 1998, la référence à ce tableau
retrouve une signification substantielle puisque la condition de
résidence ne s'applique alors qu'aux personnes entrées en
Nouvelle-Calédonie entre 1989 et 1998.
Cela aurait de même pour effet de vider de son sens le troisième
critère alternatif retenu au c) de l'article 188
(nécessité pour la personne atteignant la majorité
après la consultation du 8 novembre 1998 d'avoir un de ses parents
inscrit au tableau annexe et de justifier de dix années de domicile
à la date de l'élection). Si le tableau annexe en question
était le tableau courant, il suffirait à cette personne de se
prévaloir de l'application du b) de l'article 188 pour accéder
à la qualité d'électeur (être elle-même
inscrite au tableau annexe et justifier de dix années de domicile en
Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection). En revanche,
si le tableau annexe ici visé est celui qui a été
établi en vue de la consultation du 8 novembre 1998, le troisième
critère mentionné au c) concernant l'inscription de l'un des
parents reprend son sens dans la mesure où la personne concernée
n'ayant atteint l'âge de la majorité qu'après le
8 novembre 1998, il lui est impossible d'être inscrit sur ce tableau
; seul le recours au critère de l'inscription de l'un de ses parents lui
permettra d'accéder à la qualité d'électeur.
Enfin, pourquoi les signataires de l'Accord de Nouméa auraient-ils
éprouvé la nécessité d'indiquer que les
électeurs à la consultation du 8 novembre 1998 feraient
partie du corps électoral spécial aux élections aux
assemblées de province et au congrès si la seule condition
applicable était le fait de pouvoir justifier d'une durée de
résidence de dix ans en Nouvelle-Calédonie ? En effet, les
électeurs ayant participé à cette consultation
remplissaient obligatoirement, dès 1998, cette condition de
résidence.
Afin de sortir de l'impasse créée par la décision du
Conseil constitutionnel, l'avant-projet de loi constitutionnelle transmis au
Conseil d'État proposait une disposition à caractère
interprétatif revenant à une conception figée du corps
électoral précisant que les personnes justifiant de dix ans de
résidence en Nouvelle-Calédonie à la date de
l'élection accèdent à la qualité d'électeur
à condition d'avoir été inscrites, le 8 novembre 1998, au
tableau annexe.
Le Conseil d'État a préféré, ce qui paraît de
meilleure méthode, commuer cette disposition interprétative en
disposition normative en proposant de compléter l'article 77 de la
Constitution pour préciser que le tableau annexe de
référence pour déterminer le corps électoral admis
à participer aux élections des assemblées locales
(congrès et assemblées de province) est celui qui a
été établi en vue de la consultation du 8 novembre 1998.
Lors de l'examen du texte en première lecture, l'Assemblée
nationale a adopté sur l'article premier un amendement d'ordre
rédactionnel proposé par sa commission des Lois. Le
libellé de cet article reste cependant perfectible : il eût
été préférable, au lieu de faire
référence aux "
assemblées de province
"
et au "
congrès
", de retenir une dénomination
générique (assemblées délibérantes des
provinces et de la Nouvelle-Calédonie) comme le fait actuellement
l'article 77 ; par ailleurs , l'expression "
du corps
électoral aux assemblées de province et au
congrès
" constitue une ellipse qui désigne en
réalité " le corps électoral admis à
participer aux élections aux assemblées
délibérantes des provinces et de la
Nouvelle-Calédonie ".
En dépit de cette rédaction qui n'apparaît pas très
heureuse, votre commission des Lois, estimant nécessaire de trancher la
question de la définition du corps électoral spécial dans
les meilleurs délais, vous propose de confirmer l'interprétation
approuvée par le Sénat lors du vote de la loi organique
statutaire relative à la Nouvelle-Calédonie et d'adopter
l'article premier sans modification
.
Articles 2 et 3
Renumérotation des titres
XIV,
XV et XVI de la Constitution
et insertion d'un nouveau titre XIV
L'article 2, purement formel, renumérote les trois
derniers
titres de la Constitution pour permettre l'insertion d'un nouveau titre
consacré à la Polynésie française après
celui regroupant les dispositions relatives à la
Nouvelle-Calédonie.
Ce nouveau titre XIV serait intitulé, aux termes de l'article 3 :
" Dispositions relatives à la Polynésie
française ".
Votre commission des Lois vous propose d'adopter les
articles 2 et 3
sans modification
.
Article 4
(Art. 78 de la
Constitution)
Dispositions
relatives à la Polynésie française
L'article 4 rétablit un article 78 au sein de ce titre
XIV,
regroupant les dispositions fondant le nouveau statut constitutionnel de la
Polynésie française.
Comme pour la Nouvelle-Calédonie, ces dispositions sont donc
rassemblées sous un titre nouveau, distinct de celui consacré aux
collectivités territoriales (titre XII : articles 72 à 75).
•
Le premier alinéa de l'article 78
qualifie la
Polynésie française de "
pays
d'outre-mer
" tout en précisant qu'elle demeure
"
au sein de la
République
". La
Polynésie n'appartiendrait donc plus désormais à la
catégorie des territoires d'outre-mer, l'appartenance à cette
catégorie juridique résultant à ce jour de l'article 1er
de la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie
de la Polynésie française.
L'article 72 de la Constitution disposant que "
toute autre
collectivité
territoriale
" que les communes, les
départements ou les territoires d'outre-mer "
est
créée par loi
", on pouvait s'interroger sur la
nécessité de faire figurer cette nouvelle appellation dans la
Constitution. La mention du maintien de la Polynésie "
au sein
de la République
" et l'absence de disposition envisageant
à terme une accession à la pleine souveraineté, à
la différence de ce qui est prévu par l'article 77 de la
Constitution pour la Nouvelle-Calédonie, aurait pu conduire à
faire figurer le nouveau statut constitutionnel de la Polynésie sous le
titre XII dans un article distinct (par exemple dans un article 74 bis).
Toutefois, le caractère dérogatoire de ce nouveau statut,
inspiré de celui désormais applicable à la
Nouvelle-Calédonie, est de nature à justifier l'insertion d'un
titre spécifique à la Polynésie française. Il
convient en outre de rappeler que la quatrième partie du Traité
de Rome et la décision d'association du 25 juillet 1991 prise pour son
application utilisent l'expression de "
pays d'outre-mer
"
puisqu'ils définissent le régime communautaire applicable aux
"
pays et territoires d'outre-mer
" (PTOM).
Le premier alinéa de l'article 78 reprend des mentions figurant
actuellement à l'article 1er de la loi statutaire du 12 avril 1996
12(
*
) : les notions
d'"
autonomie
" et d'"
intérêts
propres
". Si la notion d' "
intérêts
propres
" figure déjà à l'article 74 de la
Constitution relatif aux territoires d'outre-mer, celle d'
"
autonomie
" sera nouvelle et de nature à justifier,
en l'absence d'accord politique comparable à l'accord de Nouméa,
un statut constitutionnel dérogatoire. L'expression "
La
Polynésie française
se gouverne librement et
démocratiquement
" marque d'emblée une
avancée vers davantage d'autonomie : le statut actuel affirme simplement
que la Polynésie française "
exerce librement et
démocratiquement, par ses représentants élus, les
compétences qui lui sont dévolues
".
Ce même alinéa renvoie à la loi organique, prise
"
après avis de l'assemblée de la Polynésie
française
", le soin de définir son statut. Le
libellé retenu par le projet de loi constitutionnelle appelle deux
observations :
- il consacre tout d'abord dans la Constitution l'existence de
l' "
assemblée de la Polynésie
française
". Comme cela a été souligné
dans le commentaire de l'article premier pour la Nouvelle-Calédonie, il
eût été également préférable à
l'article 4 d'utiliser le terme générique d'
"
assemblée délibérante
" plutôt
que de figer, au niveau constitutionnel, la dénomination retenue par le
statut actuellement en vigueur ;
- par ailleurs, on peut s'interroger sur le champ d'application et la
portée de l'expression "
après avis
" de
l'assemblée :
L'article 74 de la Constitution, qui prévoit
l'obligation de
consulter
l'assemblée territoriale
sur les lois organiques
statutaires
des territoires d'outre-mer, utilise l'expression
"
après consultation
" : cela signifie que sur tout
projet de loi de cette nature le Gouvernement doit consulter l'assemblée
territoriale sur les points qui seront soumis au Parlement ; mais l'avis
recueilli ne le lie pas : le projet de loi soumis au Parlement peut
intégrer ou non les modifications proposées par cette
assemblée, il peut correspondre au texte de l'avant-projet ayant fait
l'objet de la consultation ou consister dans une rédaction
différente. En outre, bien qu'il soit arrivé au Conseil
d'État de refuser de rendre lui-même son avis avant d'avoir eu
connaissance de celui de l'assemblée territoriale
intéressée, il n'est pas exigé que l'avis de
l'assemblée territoriale soit fourni avant l'adoption du projet de loi
en Conseil des ministres.
Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il suffit, mais il est
nécessaire, que cet avis soit "
porté à la
connaissance des parlementaires (...) avant l'adoption en première
lecture de la loi par l'Assemblée dont ils font partie
"
(décision du 27 juillet 1984).
La procédure prévue à l'article 78 pour la
Polynésie française doit s'entendre de même comme une
simple obligation de consultation préalable, conformément
à ce qui est prévu pour la Nouvelle-Calédonie. Les
expressions " après consultation ", figurant à
l'article 74, et " après avis ", figurant à l'article
77 et dans la rédaction proposée pour l'article 78, doivent
être interprétées comme ayant une portée
équivalente : si la consultation est obligatoire, l'absence d'avis
émis dans un délai imparti par la loi organique ne saurait
bloquer la procédure et l'avis rendu dans ce délai est un avis
simple.
Concernant
le champ de l'obligation de consulter l'assemblée de la
Polynésie française
, on observera qu'en dehors du domaine
statutaire ne figure pas dans le projet de loi constitutionnelle de disposition
faisant référence au
principe
dit de
"
spécialité législative
" qui, se
déduisant pour les territoires d'outre-mer de l'article 74 de la
Constitution, suppose une consultation de l'assemblée locale
délibérante sur tous les projets de loi ou d'ordonnance touchant
à l'organisation particulière de ces territoires ainsi qu'une
mention expresse dès lors que ces textes introduisent, modifient ou
suppriment des dispositions spécifiques à ces territoires.
Pareille mention a également été omise à l'article
77 pour la Nouvelle-Calédonie mais, bien que dépourvues de
fondement constitutionnel, les dispositions statutaires (article 90 de la
loi organique du 19 mars 1999) prévoyant l'obligation de consulter le
congrès sur les projets de textes modifiant des dispositions
spécifiques à la Nouvelle-Calédonie n'ont pas
été censurées par le Conseil constitutionnel. Il faut donc
considérer qu'implicitement la Nouvelle-Calédonie et la
Polynésie française continuent à bénéficier
des mêmes garanties constitutionnelles que lorsqu'elles appartenaient
à la catégorie des territoires d'outre-mer.
La fin du premier alinéa de l'article 78 précise que la loi
statutaire déterminera les
compétences de l'État qui
seront transférées à la Polynésie
française
, le calendrier et les modalités de ces transferts,
notamment la répartition des charges en résultant. Sont ainsi
repris pour partie les termes de l'article 77 concernant la
Nouvelle-Calédonie. L'article 78 se situe cependant en retrait dans la
mesure où il ne prévoit pas que les transferts
opérés seront définitifs. Les transferts de
compétences de l'État vers la Nouvelle-Calédonie
traduisant dans la réalité institutionnelle le principe d'
" autonomie " désormais consacré par la Constitution,
il ne sera pas envisageable de revenir sur les transferts opérés
sans méconnaître ce principe.
• En cohérence avec la volonté de se maintenir
"
au sein de la République
",
le deuxième
alinéa de l'article 78
énumère les
matières insusceptibles d'être transférées
:
"
la nationalité, les garanties des libertés publiques,
les droits civiques, le droit électoral, l'organisation de la justice,
le droit pénal, la procédure pénale, les relations
extérieures, la défense, le maintien de l'ordre, la monnaie, le
crédit et les changes
" ; cette sanctuarisation des
matières réputées régaliennes est cependant
prévue "
sous réserve des compétences
déjà exercées en ces matières par la
Polynésie française
", c'est-à-dire celles
résultant de la loi organique statutaire du 12 avril 1996.
• Au-delà du cadre juridique des transferts de compétence
(matières concernées, calendrier, répartition des charges
afférentes),
les quatre derniers
alinéas de
l'article 78
énoncent ce que la loi organique statutaire devra
également définir :
1)
Les
règles d'organisation et de fonctionnement des
institutions
de la Polynésie française et les conditions dans
lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée de la
Polynésie française, ayant le caractère de
lois du
pays
, pourront être soumises au contrôle du Conseil
constitutionnel avant publication :
Le quatrième alinéa de l'article 78 reproduit fidèlement
les termes du troisième alinéa de l'article 77 pour :
- renvoyer à la loi organique la définition des règles
relatives à l'organisation et au fonctionnement des institutions
polynésiennes. Les règles statutaires régissant la
Polynésie française relèvent aujourd'hui
déjà de la loi organique en vertu de l'article 74 de la
Constitution relatif au régime juridique des territoires d'outre-mer ;
- prévoir que certains actes émanant de l'assemblée de la
Polynésie française, dénommés comme en
Nouvelle-Calédonie "
lois du pays
" (expression qui,
consacrée par l'Accord de Nouméa pour la
Nouvelle-Calédonie trouve ici son origine dans la transformation de la
Polynésie française, territoire d'outre-mer, en pays
d'outre-mer), pourront être soumis au contrôle du Conseil
constitutionnel avant leur publication. A l'instar de ce qui a
été accepté pour la Nouvelle-Calédonie,
l'assemblée délibérante polynésienne disposerait
désormais d'un pouvoir normatif initial et autonome dans les
matières relevant de la compétence de la Polynésie
française, ce qui nécessite une révision de la
Constitution dans la mesure où cela heurte le principe du
caractère indivisible de la République inscrit dans son article
premier. Certaines délibérations dénommées
"
lois du pays
" ne pourront ainsi être
contestées qu'en amont devant le Conseil constitutionnel, à
l'instar de ce qui est prévu pour les lois de la République.
2)
Les conditions dans lesquelles
le délégué du
Gouvernement
a la charge des intérêts nationaux et du respect
des lois :
Cette mention ne figurait pas dans l'avant-projet de loi : elle a
été insérée par le Conseil d'État pour
consacrer dans la Constitution l'existence du haut-commissaire en
Polynésie française.
Traditionnellement, les lois statutaires organiques comportent des dispositions
prévoyant l'existence d'un haut-commissaire, dépositaire des
pouvoirs de la République et représentant le Gouvernement,
chargé de veiller à l'exercice régulier des
compétences dévolues aux institutions locales ainsi qu'à
la légalité des actes qu'elles édictent. Concernant les
départements et les territoires d'outre-mer, ces dispositions font
écho au dernier alinéa de l'article 72 de la Constitution
aux termes duquel "
le délégué du Gouvernement a
la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif
et du respect des lois
". Le Conseil d'État s'est donc
manifestement inspiré de l'article 72 alors même que la
référence au délégué du Gouvernement ne
figure pas au titre XIII regroupant les dispositions transitoires relatives
à la Nouvelle-Calédonie.
Dans la mesure où le deuxième alinéa définit un
bloc de compétences réservées à l'État et
n'ayant pas vocation à être transférées à la
Polynésie française, il peut paraître logique de faire
figurer à l'article 78 la mention du délégué du
Gouvernement, chargé des intérêts nationaux et du respect
des lois qui préciseront la répartition des compétences.
3)
Les
règles relatives à la citoyenneté
polynésienne
et à ses effets dans divers domaines
(accès à l'emploi, droit d'établissement, patrimoine
foncier) :
Comme l'article 77, l'article 78 habilite le législateur organique
à définir le régime applicable en matière de
"
citoyenneté
" locale et ses conséquences en
matière d'accès à l'emploi. Le texte proposé pour
l'article 78 ajoute cependant deux références : celle du
"
droit d'établissement pour l'exercice d'une activité
économique
" et celle de l' "
accession à
la propriété foncière
".
La notion de citoyenneté polynésienne pourra ainsi être
retenue pour édicter des règles discriminatoires en
matière d'accès à la propriété
immobilière et en matière économique pour pouvoir
s'établir et exercer une activité en Polynésie. De telles
règles portant atteinte au principe d'égalité, la
possibilité d'édicter de telles dérogations est
subordonnée à une habilitation constitutionnelle.
On peut cependant s'interroger sur la compatibilité d'une modification
de la Constitution autorisant des discriminations en matière de droit
d'établissement avec le principe de non discrimination résultant
actuellement du jeu combiné de l'article 132 § 5 de la
quatrième partie du Traité de Rome
13(
*
)
et de l'article 232 de la
décision d'association du 25 juillet 1991
14(
*
)
Notons toutefois que ce dernier
article atténue la portée du principe en offrant aux
autorités compétentes des PTOM la possibilité
d'établir des réglementations dérogatoires "
en
faveur des habitants et des activités locales
", ces
dérogations devant être "
limitées à des
secteurs sensibles dans l'économie du PTOM concerné
" et
s'inscrire "
dans le but de promouvoir ou de soutenir l'emploi
local
". Ces dérogations sont accordées par la
Commission sur demande des autorités compétentes du PTOM
concerné et après concertation dans le cadre du partenariat
Commission - État membre - PTOM.
La décision du Conseil du 24 novembre 1997 portant révision
à mi-parcours du régime d'association des PTOM a maintenu
l'exigence de non-discrimination en matière de droit
d'établissement. Une déclaration annexée au Traité
d'Amsterdam prévoit cependant un réexamen de ce régime
d'ici février 2000, les évolutions envisagées devant en
particulier comporter des aménagements à la liberté
d'établissement afin de permettre aux PTOM de mieux préserver
l'emploi local.
4)
Les conditions dans lesquelles la Polynésie française
pourra intervenir dans le domaine des relations internationales
:
Par dérogation au deuxième alinéa selon lequel
"
les relations
extérieures
" restent une
compétence étatique insusceptible d'être
transférée, le dernier alinéa dispose que la loi organique
déterminera les conditions dans lesquelles la Polynésie
française pourra "
être membre d'une organisation
internationale
", "
disposer d'une représentation
auprès des États du Pacifique
" et
"
négocier avec ces États, dans son domaine de
compétence, des accords internationaux dont la signature et
l'approbation ou la ratification sont soumises aux dispositions des articles 52
et 53
" de la Constitution.
Pareille disposition ne figure pas à l'article 77 relatif à la
Nouvelle-Calédonie alors même que le nouveau statut prévoit
que, dans les domaines de compétence de la Nouvelle-Calédonie, le
congrès peut autoriser le président du gouvernement à
négocier, dans le respect des engagements internationaux de la
République, des accords avec un ou plusieurs États, territoires
ou organismes régionaux du Pacifique et avec les organismes
régionaux dépendant des institutions spécialisées
des Nations-Unies. Ce statut prévoit également que la
Nouvelle-Calédonie peut,
avec l'accord
des autorités de la
République, être membre, membre associé d'organisations
internationales ou observateur auprès de celles-ci (articles 29 et 31 de
la loi organique du 19 mars 1999, non remis en cause par le Conseil
constitutionnel).
En outre, il résulte aujourd'hui de l'article 40 de la loi organique du
12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie
française que les autorités de la République
peuvent
délivrer pouvoir
au président du gouvernement pour
négocier et signer des accords dans les domaines de compétence de
l'État ou du territoire avec un ou plusieurs États, territoires
ou organismes régionaux du Pacifique et avec les organismes
régionaux dépendant des institutions spécialisées
des Nations-Unies, ces accords étant soumis à ratification ou
approbation dans les conditions prévues aux articles 52 et 53 de la
Constitution. Ce même article prévoit que le président du
gouvernement
peut être autorisé
par les autorités de
la République à représenter ce dernier au sein des
organismes régionaux du Pacifique ou des organismes régionaux du
Pacifique dépendant d'institutions spécialisées des
Nations-Unies.
Le deuxième alinéa de l'article 78 garantissant la
pérennité de ces compétences en matière de
relations internationales telles que définies par le statut actuellement
en vigueur (régime juridique d'autorisation émise par les
autorités de la République), son dernier alinéa ouvre la
porte à de nouvelles avancées statutaires en la
matière :
- la Polynésie française pourrait être membre d'une
organisation internationale. Cette mention figure d'ailleurs également
dans le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie, sans habilitation
expresse en la matière de l'article 77 de la Constitution, le point
3.2.1 de l'Accord de Nouméa y faisant cependant explicitement
référence ;
- elle pourrait disposer d'une représentation auprès des
États du Pacifique et non plus seulement auprès des organismes
régionaux du Pacifique ;
- qu'il s'agisse de représentation ou d'accords internationaux, la
rédaction proposée pour l'article 78 renvoie à la loi
organique le soin de déterminer "
les conditions
" dans
lesquelles la Polynésie française exercera ses
compétences ; le terme "
conditions
" est tout
à la fois neutre et imprécis, il ne fixe
a priori
aucune
limite à l'étendue de la compétence susceptible
d'être confiée à la Polynésie
française : alors qu'une procédure d'autorisation est
aujourd'hui en vigueur (article 40 de la loi du 12 avril 1996), la loi
organique pourrait désormais aller jusqu'à prévoir une
capacité d'initiative exercée librement par la Polynésie
française dans son domaine de compétence en matière de
négociation d'accords internationaux.
Pareille latitude d'action ne doit cependant pas aller jusqu'à vider de
sa portée le principe énoncé par le deuxième
alinéa de l'article 78 qui fait des "
relations
internationales
" l'apanage de l'État. Cela explique que la
rédaction proposée pour l'article 78 ne renvoie à la loi
organique que pour la négociation des accords, la signature, qui
constitue une formalité valant simple authentification ou engagement
selon les cas, demeurant de la compétence des autorités
étatiques, sauf délégation accordée aux
autorités polynésiennes ce qui correspond au régime
prévu par l'article 40 du statut actuel.
D'un point de vue formel, observons enfin que le renvoi aux articles 52 et 53
de la Constitution concernant la " signature " des accords n'est pas
très heureuse dans la mesure où ces dispositions ne traitent que
des procédures d'approbation et de ratification.
Sous réserve des observations qu'elle vous soumet, votre commission
des Lois vous propose d'adopter sans modification l'article 4
qui,
à l'Assemblée nationale, avait subi deux légères
modifications rédactionnelles.
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