N°
408
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 9 juin 1999
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur la proposition de loi de MM. Roland du LUART, Gérard LARCHER, Philippe ADNOT, Jean BERNARD, Jean BIZET, Paul BLANC, Gérard BRAUN, Auguste CAZALET, Gérard CÉSAR, Michel CHARASSE, Gérard CORNU, Jean-Patrick COURTOIS, Désiré DEBAVELAERE, Jean-Paul DELEVOYE, Fernand DEMILLY, Michel DOUBLET, Philippe FRANÇOIS, Alain JOYANDET, Mme Anne HEINIS, MM. Pierre LEFEBVRE, Jacques LEGENDRE, Jean-François LE GRAND, Guy LEMAIRE, Pierre MARTIN, Jacques OUDIN, Xavier PINTAT, Ladislas PONIATOWSKI, Henri de RAINCOURT, Henri REVOL, Michel SOUPLET, Martial TAUGOURDEAU, Jacques VALADE et Alain VASSELLE portant diverses mesures d'urgence relatives à la chasse ,
Par Mme
Anne HEINIS,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Jean François-Poncet,
président
; Philippe François, Jean Huchon,
Jean-François Le Grand, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Marc Pastor, Pierre
Lefebvre,
vice-présidents
; Georges Berchet, Jean-Paul Emorine,
Léon Fatous, Louis Moinard,
secrétaires
; Louis
Althapé, Pierre André, Philippe Arnaud, Mme Janine Bardou, MM.
Bernard Barraux, Michel Bécot, Jacques Bellanger, Jean Besson, Jean
Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye,
Gérard César, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Roland
Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Marcel
Deneux, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Xavier Dugoin, Bernard
Dussaut
,
Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre, Alain
Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Serge Godard,
Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis,
MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Joly, Alain
Journet, Gérard Larcher, Patrick Lassourd, Edmond Lauret, Gérard
Le Cam, André Lejeune, Guy Lemaire, Kléber Malécot, Louis
Mercier, Bernard Murat, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron,
Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Ladislas Poniatowski, Paul Raoult,
Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Jean-Jacques
Robert, Josselin de Rohan, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette
Terrade, MM. Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, Henri Weber.
Voir le numéro :
Sénat
:
394
rect.
Chasse et pêche. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Force est de le reconnaître : depuis plusieurs années, la
réglementation relative à l'organisation de la chasse en France
fait l'objet de multiples contestations, au niveau tant national
qu'européen, sur des thèmes aussi divers que les périodes
de chasse du gibier d'eau, la chasse à l'ortolan ou à la palombe,
les compétences respectives de l'Office national de la chasse et des
fédérations départementales de chasseurs, le statut des
gardes-chasse, la sécurité des chasseurs et des promeneurs en
période de chasse, la chasse à la passée du gibier d'eau
ou de nuit à partir de postes fixes ou encore l'application de la
" loi Verdeille "...
Les très nombreuses décisions de justice rendues en ces
matières par les tribunaux français sont loin d'être
toujours cohérentes, traduisant ainsi les évolutions
contrastées de l'opinion publique à l'égard d'une
activité de loisir pratiquée par 1,5 million de personnes et
enracinée dans une tradition historique forte.
A tort ou à raison, la chasse incarne un acquis fondamental de la
Révolution française à travers l'abolition du
privilège du droit de chasse, satisfaisant ainsi les revendications des
paysans du XVIIIe siècle qui ne supportaient plus de voir leurs
récoltes détruites soit par les passages des chevaux ou des
chiens, soit par la présence des animaux sauvages contre lesquels ils
n'avaient pas le droit de se défendre.
Mais la transformation de la société française qui, de
profondément rurale, est devenue majoritairement urbaine, s'est traduite
par des évolutions culturelles contrastées et un abandon
progressif de certaines références à des us et coutumes
centenaires. A bien des égards, le débat sur la chasse illustre
cette évolution.
Dans ces conditions, le vote d'une loi d'orientation sur l'organisation
générale de la chasse en France apparaît désormais
indispensable. Elle aura pour objectif de dégager, à partir d'un
consensus entre tous les partenaires concernés : chasseurs,
protecteurs et usagers de la nature, un corps de principes rénové
réglementant l'exercice de la chasse.
De façon plus immédiate, deux décisions de justice
récentes fragilisent la réglementation de la chasse et pourraient
avoir des conséquences graves dès la prochaine saison de chasse.
Dans un arrêt du 7 avril 1999, le Conseil d'Etat a
annulé pour excès de pouvoir une instruction du
31 juillet 1996 de l'Office national de la Chasse notamment parce
qu'elle organisait un régime de tolérance s'agissant de la chasse
de nuit ou à la passée du gibier d'eau.
Compte tenu de cette décision, on peut considérer que ces modes
de chasse qui se pratiquent dans plus de 42 départements sont
désormais dépourvus de base juridique.
Dans un arrêt rendu le 29 avril dernier, la Cour européenne des
Droits de l'Homme a considéré que l'application de la " loi
Verdeille " en imposant aux petits propriétaires non chasseurs de
faire apport de leurs terrains à une association communale de chasse
agréée (ACCA) portait atteinte de façon
disproportionnée au droit de propriété et à la
liberté d'association eu égard à l'intérêt
général poursuivi.
Etant donné l'importance des ACCA dans certains départements du
Sud-ouest et du rôle très positif qu'elles ont en ce qui concerne
la gestion des territoires de chasse et la bonne conservation de la faune
sauvage, il convient d'éviter leur éclatement.
C'est dans le souci de permettre un déroulement harmonieux de la
prochaine saison de chasse que votre commission a examiné le contenu de
la proposition de loi n° 394 rectifié
déposée par MM. Gérard Larcher et Roland du Luart et
plusieurs de leurs collègues d'appartenances politiques diverses et
membres du groupe d'étude sur la chasse. Ce texte prévoit deux
mesures d'urgence relatives l'une à la chasse de nuit du gibier d'eau et
l'autre aux règles constitutives des territoires de chasse
gérés par les ACCA. Elle vous proposera d'adopter ce dispositif
assorti de quelques modifications.
I. LA CHASSE DE NUIT DU GIBIER D'EAU : UN RÉGIME JURIDIQUE PRÉCAIRE ET INCERTAIN
A. UN RÉGIME DÉROGATOIRE QUI REPOSE SUR LA COUTUME
1. Un principe général d'interdiction de chasser la nuit
L'article 9 de la loi de police de la chasse du 3 mai 1844, repris à
l'article L.224-4 du code rural, énonce que "
le permis donne
à celui qui l'a obtenu, le droit de chasser de jour, soit à tir,
soit à courre.
De plus, le droit pénal de la chasse punit sévèrement la
pratique de la chasse de nuit puisque l'article L.228-5 du code rural indique
que "
seront punis de l'amende prévue pour les contraventions de
la 5
ème
classe et d'un emprisonnement de dix jours à
un mois, ceux qui auront chassé pendant la nuit
".
La prohibition générale de la chasse de nuit tient,
essentiellement, à des raisons de sécurité et de
surveillance. Outre que les actions de chasse menées la nuit comportent
des risques évidents pour la sécurité de ceux qui y
participent, il est clair que le braconnage de nuit, notamment du grand gibier,
est beaucoup plus difficilement contrôlable.
D'où l'interdiction posée de la chasse de nuit, pour des raisons
de sécurité publique, par la loi de 1844 alors même que
depuis 1790, l'abolition des privilèges avait donné le droit de
chasser à tous et en tous temps.
Malgré la clarté de son énoncé, l'application
de ce principe a toujours soulevé des problèmes, en raison de la
difficulté à définir la nuit ! La jurisprudence a
parfois privilégié l'application de l'heure légale,
à savoir celle de l'Observatoire de Greenwich augmentée d'une
heure, tout en admettant que les heures de lever et de coucher du soleil
n'étaient pas identiques sur l'ensemble du territoire.
Les tribunaux ont d'ailleurs souvent privilégié une analyse
pragmatique des faits en indiquant que "
la nuit doit s'entendre du
temps quotidien pendant lequel la clarté est insuffisante pour permettre
de distinguer la forme et la couleur des objets "
1(
*
)
2. Une tolérance pour la chasse de nuit du gibier d'eau
La
réglementation instituée par la loi du 3 mai 1844 avait
pour objet la lutte contre le braconnage de nuit, notamment du grand gibier, ce
qui explique le principe général d'interdiction posé
à l'article 9 de la loi. Mais cet article prévoyait
également que "
néanmoins les préfets des
départements sur avis des conseils généraux prendront des
arrêtés pour déterminer :
- l'époque de la chasse des oiseaux de passage ;
- le temps pendant lequel il sera permis de chasser le gibier d'eau dans
les marais, sur les étangs, les fleuves et rivières ".
Les travaux préparatoires autour de la loi de 1844 montrent très
clairement que le législateur était favorable à
l'autorisation de certaines chasses de nuit pratiquées dans plusieurs
départements, car elles ne présentaient aucun danger.
Entre 1850 et 1989, va s'instaurer un droit parallèle spécifique
pour le domaine public maritime incluant la pratique de la chasse en bateau ou
à partir des huttes, hutteaux, tonnes et gabions. Ce droit
parallèle va s'étendre de fait à toutes la chasse du
gibier d'eau, même si une réglementation exclusivement maritime
trouve difficilement à s'appliquer s'agissant des postes fixes
installés sur le domaine terrestre.
Le régime dérogatoire prévu par l'article 9 de la loi du
3 mai 1844 ne sera pas réellement élaboré dans
les formes recommandées.
Néanmoins, l'administration, à travers la
réglementation élaborée par l'Office national de la chasse
(ONC), a encadré la pratique cynégétique de la chasse de
nuit ou à la passée : instruction 77/126 du
12 juillet 1977, note d'information aux gardes 742/83 du
5 juillet 1983, circulaire 86/246 du 26 mars 1986,
circulaire 88/467 du 13 juillet 1988, circulaire 90/732 du
25 octobre 1990 et, enfin, circulaire 96/351 du
31 juillet 1996 qui vient d'être en partie annulée par
le Conseil d'Etat.
En ce qui concerne la chasse du gibier d'eau à la passée,
notamment aux heures crépusculaires, la circulaire du
31 juillet 1996 retient la période en-deçà des
deux heures avant le lever du soleil et au-delà des deux heures
après son coucher.
Quant à la chasse à la hutte, au hutteau, à la tonne ou au
gabion, elle est reconnue comme constituant un usage local et autorisée
à ce titre dans quarante-deux départements métropolitains.
En 1981, l'administration a d'ailleurs procédé au recensement des
installations concernées sur le domaine terrestre et a ainsi
comptabilisé 8.016 installations. Une étude
complémentaire sur le domaine public maritime a relevé
1.569 installations.
3. L'absence d'une réglementation claire au niveau européen
Dans le principe, la plupart des Etats européens
interdisent la chasse de nuit, mais un certain nombre d'entre-eux
prévoient des dérogations, notamment pour la chasse du gibier
d'eau. Parmi les quinze pays de l'Union européenne, l'Autriche, la
Belgique, l'Espagne, la Finlande, l'Irlande et le Royaume-Uni autorisent des
exceptions pour la chasse de nuit.
Du point de vue des textes, la directive 79/409/CEE du 2 avril 1979
relative à la conservation des oiseaux sauvages ne contient pas de
dispositions spécifiques relatives à la chasse de nuit.
L'article 8 de la directive, relatif à la chasse ou la capture
d'oiseaux, interdit tous les moyens ou méthodes de capture ou de mise
à mort massive ou non sélective, énumérés
à l'annexe IV.
Sont ainsi interdits, par cette annexe, tous les dispositifs de lumière
artificielle ou qui éclairent les cibles, ainsi que les dispositifs de
visée comportant un convertisseur d'image ou un amplificateur d'image
électronique pour tir de nuit. Il ne s'agit donc pas d'une interdiction
expresse et généralisée de la chasse de nuit,
mais
plutôt de la condamnation d'un certain nombre de procédés
prohibés lorsque la chasse de nuit est pratiquée
.
Néanmoins, il faut indiquer que la Commission européenne soutient
une position restrictive d'ensemble à l'encontre de la chasse de nuit en
se fondant sur l'application du critère de non
sélectivité
2(
*
)
.
Rappelant que l'article 7 de la directive dans son paragraphe 4,
dispose que la pratique de la chasse doit respecter un objectif de
régulation équilibrée et de conservation, des
espèces d'oiseaux concernés, la Commission européenne
souligne que la pratique de la chasse de nuit, en raison de son absence de
sélectivité, n'est en principe pas compatible avec les objectifs
défendus par la directive.
Mais ce critère ne trouve pas à s'appliquer dans le cas de la
chasse du gibier d'eau à la passée ou pratiquée de nuit
à partir d'un poste fixe. L'expérience montre en effet que les
chasseurs qui pratiquent ce type de chasse, du fait de leurs connaissances sur
l'avifaune, sont capables d'identifier "
leur gibier et de faire la
distinction entre espèces chassables et non chassables
". De
plus, dans ces conditions de chasse, le tir s'effectue posé ce qui
laisse au chasseur le temps d'identifier son gibier.
B. LE VIDE JURIDIQUE RÉSULTANT DE L'ARRÊT DU CONSEIL D'ÉTAT DU 7 AVRIL 1999
L'arrêt du Conseil d'Etat du 7 avril 1999 statue
sur deux
recours présentés, l'un le 21 janvier 1997 par le
Syndicat indépendant de la garderie nationale de l'environnement (SIGNE)
et l'autre, présenté le 31 janvier 1997, assorti d'un
mémoire complémentaire en date du 2 juin1997, par le
Rassemblement des opposants à la chasse (ROC).
Les deux requérants demandaient l'annulation pour excès de
pouvoir de l'instruction du 31 juillet 1996 du directeur de l'Office
national de la chasse, relative aux dispositions applicables à la police
de la chasse au gibier d'eau.
Le Conseil d'Etat -qui n'a jugé recevable qu'un seul de ces deux
recours- a annulé pour excès de pouvoir les dispositions de
l'instruction du 31 juillet 1996, considérant que celle-ci n'est pas
interprétative, mais réglementaire et non conforme aux normes
juridiques auxquelles elle se rapporte.
Le Conseil d'Etat condamne plus particulièrement :
- les recommandations relatives au tir au gibier d'eau à une distance
inférieure à 30 mètres de la nappe d'eau, comme
étant contraires aux articles R 224-5 et R.224-6 du code rural qui
autorisent seulement le tir au-dessus de la nappe d'eau ;
- les dispositions relatives à l'éjointage des appelants qui
méconnaissent l'interdiction de mutiler les appelants vivants
édictée par l'article 8 de la directive n°79/409/CEE du
2 avril 1979, faute d'avoir précisé que
l'éjointage doit être limité à la taille des
rémiges ;
- la mesure prescrivant aux agents de l'Office national de la chasse de ne
relever les infractions que dans la période en-deçà des
deux heures avant le lever du soleil et au-delà des deux heures
après son coucher, parce qu'elle méconnaît l'interdiction
légale de la chasse de nuit.
Avec ce dernier considérant, le Conseil d'Etat rappelle strictement le
contenu de l'interdiction générale posée par l'article
L.224-4 du code rural et indique qu'une instruction administrative ne saurait
contrevenir à une loi. Il ne tient pas compte du texte fondateur
constitué par l'article 9 de la loi du 3 mai 1844 ni des travaux
préparatoires de cette loi, qui auraient pu lui permettre de justifier
l'existence d'un régime dérogatoire pour la chasse de nuit au
gibier d'eau.
Compte tenu de cette annulation, il faut considérer que la pratique
de la chasse de nuit ou à la passée du gibier d'eau est
désormais dépourvue de base juridique.