II. LES CONCOURS FINANCIERS DE L'ETAT DANS LA LOI DE FINANCES POUR 1999
Le pacte
de stabilité, qui a régi les relations a financières entre
l'Etat et les collectivités locales entre 1996 et 1998, a marqué,
à double titre, la
participation des collectivités locales
à l'effort de redressement des finances publiques
.
En acceptant que le taux de croissance de l'enveloppe normée soit
limité à celui des prix à la consommation, les
collectivités locales ont contribué à la
maîtrise
des dépenses de l'Etat
.
Par ailleurs, elles ont mis à profit cette période de rigueur
pour assainir leur situation financière, en réduisant le volume
de leurs dépenses au profit du désendettement. Celui-ci a
été favorisé par la baisse des taux d'intérêt
et, comme le souligne notre collègue Joël Bourdin dans son rapport
au nom de l'Observatoire des finances locales remis en juillet 1998, par une
politique de gestion active de leur dette.
Cette démarche a été couronnée de succès,
à tel point que, depuis 1996, les collectivités locales
dégagent une capacité de financement. Elles
contribuent
aujourd'hui positivement au solde des administrations publiques
au sens du
traité sur l'Union européenne, rendant ainsi à l'Etat des
marges de manoeuvre budgétaires.
Pourtant,
cette attitude constructive des collectivités locales n'a
pas conduit le gouvernement à tirer complètement les
leçons de la période qui s'achève
. Les dispositions
relatives aux collectivités locales figurant dans le projet de loi de
finances pour 1999 ne permettent pas à celles-ci d'appréhender
sereinement l'augmentation à venir de leurs charges.
Les choix du gouvernement témoignent, en cette matière, d'une
politique à courte vue car, si les collectivités locales devaient
ne plus dégager une capacité de financement, l'Etat devrait alors
soit diminuer ses dépenses, soit accroître la pression fiscale
pour maintenir constant le solde agrégé de l'ensemble des
administrations publiques au sens du traité sur l'Union
européenne.
A. UN CONTRAT DE CROISSANCE PEU NOVATEUR
Le
contrat de croissance proposé par le gouvernement conserve
l'architecture du pacte de stabilité.
Il maintient le principe de
l'enveloppe normée composée de dotations qui évoluent
selon leur rythme propre et d'une variable d'ajustement.
Mais
le contrat de croissance rompt la dynamique engendrée par les
collectivités locales pendant la durée d'application du
pacte
. En effet, celles-ci avaient choisi de ne pas prendre leur mal en
patience pendant la période de faible progression de leurs ressources.
Elles en ont, au contraire, profité pour se réorganiser de
façon à mieux rebondir par la suite. Le gouvernement d'alors
avait encouragé cette démarche en limitant les transferts de
charges aux collectivités locales.
Les modalités du contrat proposé par le gouvernement actuel
risquent de
briser l'élan
pris depuis trois ans par les
collectivités locales. En effet, si le taux de progression de
l'enveloppe normée des concours financiers aux collectivités
locales comportera en effet une fraction du taux de croissance du produit
intérieur brut, ce taux de progression n'est pas à la mesure des
alourdissement de charges à venir.
1. L'augmentation des concours financiers de l'Etat n'est pas à la mesure de l'alourdissement des charges transférées
Le
contrat de croissance proposé par le gouvernement a été,
à juste titre, qualifié de "
timide
" par notre rapporteur
général dans le premier tome de son rapport général
sur la loi de finances pour 1999.
La liste est en effet longue des
dépenses transférées
nouvelles
qui vont peser sur les collectivités locales dans la
période qui s'ouvre. A l'impact de l'accord salarial dans la fonction
publique du 10 février 1998 et de la mise en oeuvre des emplois jeunes,
analysés par le rapporteur général, s'ajoutent en effet,
par exemple, les conséquences de la loi sur l'exclusion ou encore les
conséquences du doublement des préversements pour le fonds de
solidarité logement décidé par le ministre du logement.
La frilosité de la fraction du taux de croissance du produit
intérieur brut prise en compte dans le calcul de la progression des
concours financiers de l'Etat, couplée à la probable
réduction des recettes fiscales en raison des modalités de la
compensation aux collectivités locales de la suppression de la part
"salaire" de l'assiette de la taxe professionnelle, rognera les marges de
manoeuvre financières que les collectivités locales
étaient parvenues à s'aménager sur la période
récente.
Cette évolution est source de
tensions financières
pour
les collectivités locales car, d'une part, leurs marges seront
absorbées par les dépenses de fonctionnement, et, d'autre part,
elles doivent également financer la reprise inéluctable de leur
investissement
. Comme le souligne Joël Bourdin dans son rapport au
nom de l'Observatoire des finances locales, "
les collectivités
locales semblent être encore dans une position d'attente avant la
nécessaire reprise de l'investissement direct qui devra intervenir dans
les prochaines années. En effet, elles devront notamment faire face
à des contraintes fortes, européennes et nationales, liées
aux mises aux normes des services publics (eau, assainissement, collecte et
traitement des ordures ménagères)
."
Confrontés à l'assombrissement de leurs perspectives
financières, les élus locaux oseront-ils se lancer dans ces
programmes lourds ? A l'heure où une enquête de l'Association des
maires de France laisse entendre que 45% des maires pensent qu'ils ne
solliciteront pas un nouveau mandat en 2001, il semble que le gouvernement ait
mal évalué
l'impact psychologique
des mesures
proposées par le projet de loi de finances pour 1999.
2. Le sacrifice de la DCTP
Le pacte
de stabilité décidé dans la loi de finances pour 1996 a
marqué la contribution des collectivités locales à
l'effort national de redressement des finances de l'Etat.
La modalité du pacte la plus contraignante pour les
collectivités locales n'était pas la prise en compte du seul taux
d'inflation pour calculer l'augmentation de l'enveloppe normée d'une
année sur l'autre, mais la mise en place d'une enveloppe
normée
.
L'enveloppe normée présente un avantage : elle permet d'avoir une
vision pluriannuelle de l'évolution du montant des concours financiers
aux collectivités locales.
Mais elle a l'inconvénient d'être à terme
autodestructrice
. En effet, si la somme des dotations composant
l'enveloppe (à l'exception de la variable d'ajustement) augmente
durablement plus vite que l'enveloppe normée elle même, le montant
de la variable d'ajustement va progressivement tendre vers zéro, puis
disparaître. L'enveloppe normée n'existera plus, à moins de
désigner une nouvelle variable d'ajustement.
La création de l'enveloppe normée a donc conduit au sacrifice de
la dotation de compensation de la taxe professionnelle, dont le montant baisse
dans des proportions croissantes d'année en année alors que,
avant 1996, son montant était indexé sur les recettes fiscales de
l'Etat.
Si l'indexation en vigueur avant 1996 avait été
appliquée au montant de la DCTP de 1998, le montant inscrit dans le
projet de loi de finances pour 1999 ne serait pas de 12
milliards
de francs, en baisse de 11,12
%, mais de 14,8
milliards
de francs, en hausse de 5,88
%.
Ce chiffre ne permet pas de donner une idée de la perte de bases non
compensées pour les collectivités locales puisque le montant de
la DCTP a été déconnecté de l'évolution
réelle des bases par, dans un premier temps, l'indexation forfaitaire de
la DCTP sur les recette fiscales de l'Etat puis, dans un deuxième temps,
sa transformation en variable d'ajustement.
En revanche, il
donne une idée du sacrifice consenti par les
collectivités locales du fait de la baisse de la DCTP année
après année
. Pour reprendre l'expression du président
de l'association des maires de grandes villes de France, M. Michel Delebarre,
le manque à gagner, qu'il estime à au moins 7 milliards de
francs, résultant de la mise en place de l'enveloppe normée, par
rapport à ce qui leur aurait été alloué à
droit constant, constitue la "
prime acquittée par les
collectivités locales pour bénéficier de la garantie
triennale de sécurité financière offerte par l'Etat
".
Le tableau ci-dessous retrace, pour 1998 et 1999, les évolutions respectives de l'enveloppe normée, de la dotation globale de fonctionnement, de la DCTP et de la somme des dotations composant l'enveloppe normée "hors DCTP".
Comparaison en pourcentage, des évolutions de l'enveloppe normée et de ses composantes
|
Evolution 98/97 |
Evolution 99/98 |
Enveloppe normée |
+ 1,20 |
+ 3,91 |
DGF |
+ 1,68 |
+ 2,51 |
DCTP |
- 4,85 |
- 11,12 |
Enveloppe normée hors DCTP |
+2,10 |
+ 5,40 |
En
1999,
les écarts de pourcentage auront des conséquences non
négligeables en volume pour les collectivités non
éligibles à l'une des dotations de solidarité.
La baisse de DCTP qu'elles enregistreront ne sera pas de 11,12%, qui sera la
baisse moyenne, mais de
23,6%, soit, pour chacune d'entre elles, un montant
supérieur à l'augmentation de leur DGF
. L'amendement
proposé par la commission des finances du Sénat permet de ramener
la baisse de la DCTP des collectivités non éligibles à une
dotation de solidarité de 23,6% à 15%.
Au cours de la réunion du comité des finances locales du 17
novembre 1998, le directeur général des collectivités
locales a indiqué que
le montant de la DCTP serait réduit
d'environ 25% durant les trois années du contrat de croissance
. A
inflation et à taux de croissance constants, les baisses
envisagées sont de 1,9 milliard de francs en 1999, 1 milliard de franc
en 2000 et 700 millions de francs en 2001.
L'évolution de la DCTP augure mal du devenir de la compensation de la
part salaires de l'assiette de la taxe professionnelle, et conduit à
s'interroger sur la pertinence du maintien d'une enveloppe
normée.
B. PÉRÉQUATION ET DÉCENTRALISATION
1. Les orientations péréquatrices du gouvernement
a) La péréquation dans la loi de finances pour 1999
Les
dispositions du projet de loi de finances pour 1999, dans sa rédaction
d'origine ou à la suite des modifications apportées au cours de
la première lecture du texte à l'Assemblée nationale, ont
en commun leur dimension péréquatrice. Trois exemples sont
particulièrement évocateurs :
-
la réforme de la taxe professionnelle
: le gouvernement a
prévu de compenser aux collectivités locales la perte de recettes
liée à la suppression de la part "salaires" de l'assiette de la
taxe en leur versant, dans un premier temps une dotation dont le montant est
établi, pour chaque collectivité, en fonction des bases
existantes en 1999 et des taux votés en 1998, indexée sur l'
"indice de la DGF". A compter de 2004,
le prélèvement sur
recettes de l'Etat à partir duquel est organisée la compensation
sera intégré à la DGF.
Le gouvernement n'a dit comment il comptait répartir ces crédits
une fois qu'ils feront partie de la DGF. Néanmoins, il est probable
qu'ils s'intégreront dans la logique des critères d'attribution
de la DGF, qui sont très péréquateurs. Si tel était
le cas, non seulement la compensation de la suppression de la part salaire de
la taxe professionnelle serait déconnectée de l'évolution
réelle des bases, mais les collectivités ne seraient plus
compensées en fonction de leurs bases et de leurs taux passés. En
somme, le montant de la compensation serait modulé en fonction de la
richesse des collectivités
7(
*
)
.
-
la réforme des droits de mutation à titre onéreux
: l'article 27 du présent projet de loi de finances réduit le
taux des droits de mutation à titre onéreux perçus par les
départements et supprime la taxe additionnelle régionale.
La compensation aux département est automatique et organisée par
l'article L. 1614-5 du code général des collectivités
territoriales relatif à la fiscalité transférée aux
collectivités locales dans le cadre des lois de décentralisation.
Le compensation aux régions, en revanche, fait l'objet d'un dispositif
ad hoc. Les pertes de recettes pour les régions seront compensées
non par un dégrèvement, qui aurait permis une compensation au
franc le franc, mais par un concours budgétaire inscrit au budget du
ministère de l'intérieur. Alors que le projet de loi finances
prévoyait un système de compensation commun à toutes les
régions, l'Assemblée nationale a introduit un dispositif de
modulation du montant des versements en fonction de la richesse des
régions
. Ainsi, celles dont les droits de mutation par habitant sont
supérieurs à 59 francs verront leur compensation
limitée à 95 %.
Le gain pour l'Etat de cette opération, 240 millions de francs, a
permis de financer, sans dégrader le solde, le relèvement de 15
à 20 % du taux de croissance du produit intérieur brut pris
en compte dans l'indice de progression de l'enveloppe normée. De cette
façon, la réduction d'une enveloppe destinée à des
collectivités "favorisées" a permis d'alimenter l'enveloppe
normée, et plus précisément la dotation de compensation de
la taxe professionnelle, qui bénéficie à l'ensemble des
collectivités qui percevaient une taxe professionnelle en 1987
8(
*
)
.
-
la modulation de la baisse de la dotation de compensation de la taxe
professionnelle (DCTP) en fonction de la richesse des collectivités
: le contrat de croissance et de solidarité, dont les principales
caractéristiques sont fixées par l'article 40 du présent
projet de loi de finances, prévoit que toutes les collectivités
ne supporteront pas la baisse de la dotation de compensation de la taxe
professionnelle dans les mêmes proportions. Celle-ci sera limitée
à la moitié de la baisse moyenne pour les collectivités
éligibles à la dotation de solidarité urbaine, à la
fraction "bourgs-centres" de la dotation de solidarité rurale, à
la dotation de fonctionnement minimale des départements et au fonds de
correction des déséquilibres régionaux. Par ailleurs,
l'article 40 bis du présent projet de loi de finances organise
l'exonération totale de baisse pour les communes éligibles
à la DSU et les bourgs-centres.
La DCTP étant une enveloppe fermée, il résulte de cette
disposition que les montants attribués aux autres collectivités
au titre de la DCTP seront moindres.
b) Une démarche "théorisée"
Dans le
cadre de la préparation de la "sortie" du pacte de stabilité, la
direction générale des collectivités locales a mis en
place un
groupe de travail sur la péréquation
dont les
travaux, de très grande qualité, constituent le support
"théorique" de la démarche du gouvernement.
La note de synthèse des travaux du groupe, datée du 29 juin 1998,
réalise un état des lieux de la péréquation
financière, dont l'objectif est "
d'atténuer les
disparités entre collectivités locales par une
redistribution
inégalitaire, mais équitable des ressources
en fonction
d'indicateurs physiques et financiers
."
La
péréquation volontaire
, essentiellement
représentée par les mécanismes de mutualisation de la taxe
professionnelle, est distinguée de la
péréquation
obligatoire
. Celle-ci comprend :
- une
péréquation "verticale",
qui repose sur
l'élaboration de critères péréquateurs pour la
répartition des concours financiers de l'Etat aux collectivités
locales. Cette dimension est perceptible tant au sein des dotations de l'Etat,
notamment la DGF et ses composantes, que des compensations versées par
l'Etat au titre d'allégements consentis aux redevables d'impôts
locaux. Ainsi, les réfactions applicables aux montants théoriques
de compensations s'exercent soit uniquement sur les collectivités les
plus favorisées, soit de manière différenciée selon
le degré de richesse des collectivités ;
- une
péréquation "horizontale"
entre collectivités
locales, peu développée, et basée sur des dispositifs tels
que la dotation de fonctionnement minimale des départements, le fonds de
compensation des déséquilibres régionaux ou les fonds,
national et départementaux, de péréquation de la taxe
professionnelle.
Conclusions du groupe de travail sur la péréquation
Le
développement de la péréquation obligatoire a conduit
à un
resserrement des écarts
entre les
collectivités locales. L'effort a notamment porté sur les zones
rurales (...).
Les limites des mécanismes de péréquation ont pu
également tenir aux faiblesses des marges de manoeuvre
dégagées sur la DGF
. En effet, en période de faible
croissance économique, la progression de la DGF est contrainte et, en
dépit de la faible progression de la dotation forfaitaire, la croissance
de la dotation d'aménagement est restée limitée.
De la même façon,
les montants consacrés à la
péréquation fiscale ont pu paraître marginaux au regard des
masses financières en jeu
, notamment en termes de taxe
professionnelle. Cette situation peut paraître aggravée par le
fait que la redistribution est elle-même peu ciblée, hormis
certains mécanismes particuliers comme le FSRIF.
Il apparaît donc que
la péréquation, même si elle
a incontestablement progressé reste insuffisante
. Toutefois, dans la
mesure où elle s'opère au sein d'une enveloppe fermée ou
dont les marges de progression restent limitées, elle reste le fruit
d'un compromis entre la recherche d'une meilleure équité et la
volonté de respecter les équilibres financiers des
collectivités.
2. Les effets pervers d'une recentralisation des recettes
Le
groupe de travail sur la péréquation considère que la
péréquation "
consiste à égaliser les
situations
". Cette affirmation met en lumière la
principale
limite, à terme, d'une politique de péréquation : son
incompatibilité avec l'idée même de ressources propres pour
les collectivités locales.
Compte tenu de l'hétérogénéïté des
niveaux de richesse entre les différentes collectivités, la
fiscalité locale permet à celles dont les bases d'impositions
sont les plus importantes de bénéficier de produits
supérieurs tout en pratiquant des taux inférieurs à ceux
des collectivités moins bien dotées.
Le meilleur moyen d'égaliser les ressources des collectivités
locales serait de supprimer la fiscalité locale et de redistribuer son
produit aux différentes collectivités en fonction, par exemple,
d'un indice composé du nombre d'habitant, de la superficie et de la
richesse moyenne par habitant.
Même si personne aujourd'hui ne se déclare partisan d'une telle
formule, les dispositions relatives aux finances locales contenues dans la loi
de finances pour 1999 s'en distinguent par leur degré, mais pas par leur
philosophie sous-jacente. En effet, la réforme de la taxe
professionnelle, la modulation de la compensation aux régions et le
plafonnement de la baisse de la DCTP ont en commun de contribuer à
une
recentralisation des ressources des collectivités locales, l'Etat
se chargeant de définir les critères en fonction desquels il
répartira ensuite ces sommes entre les collectivités.
Cette tendance est regrettable à plusieurs titres. S'agissant de la
réforme de la taxe professionnelle, la transformation en concours
budgétaires de recettes correspondant au produit de taux votés
par les collectivités locales
supprime un sixième du pouvoir
fiscal des collectivités locales
, remettant par là en cause
une partie de leur
autonomie
.
Comme le montre l'OCDE dans une étude consacrée aux politiques
régionales et d'aménagement du territoire
9(
*
)
, "
la possibilité pour les
administrations locales de voter leurs taux d'imposition est un
élément clé d'autonomie fiscale
". Cette conclusion a
d'autant plus d'importance en France où, comme le soulignait notre
collègue Pierre Mauroy lors du débat sur la
décentralisation organisé le 3 novembre dernier au Sénat,
"
il existe en effet, presque mécaniquement, une tendance de l'Etat
à recentraliser et, cela, quelle que soit la couleur du
gouvernement
".
La transformation de recettes fiscales directes en concours budgétaires
constitue un
risque pour les ressources des collectivités
locales,
non seulement en raison du mode de calcul de cette compensation,
mais également du fait de
l'absence de garanties
présenté par une recette provenant du budget de l'Etat
. Le
sort de la DCTP en atteste tristement.
Enfin, comme l'a montré notre rapporteur général dans le
tome I de son rapport sur le projet de loi de finances pour 1999, "
la
dépendance financière nuit à l'efficacité
économique
". L'étude de l'OCDE déjà
mentionnée le souligne, "
la nécessité pour des
administrations locales moins dépendantes de subventions centrales de
trouver des ressources fiscales est un
puissant facteur de mobilisation des
acteurs locaux en faveur du développement économique
" car
"
de plus en plus, les administrations locales sont aussi perçues
comme les mieux placées pour définir des stratégies de
développement originales, capables de promouvoir des
caractéristiques régionales qui leur sont propres
".
Dès lors, il apparaît que les orientations du gouvernement, qui
confisquent aux collectivités locales une grande partie de leur pouvoir
sur les taux de la taxe professionnelle, ne vont pas dans le bon sens : elles
privent les collectivités qui procèdent à des
investissements afin de favoriser l'implantation d'entreprises sur leur
territoire d'une partie des gains résultant de l'élargissement
des bases.
3. Pour un équilibre efficace entre solidarité nationale et dynamisme économique
La
cohésion du territoire national est un impératif pour un pays
soumis à la concurrence internationale
. Au niveau européen,
telle est d'ailleurs la justification des crédits du fonds de
cohésion dont bénéficient les Etats en "retard de
développement", l'Espagne, le Portugal, l'Irlande et la Grèce :
pour que le marché unique fonctionne de manière optimale, il faut
harmoniser le niveau de développement des Etats-membres.
La cohésion est également nécessaire pour éviter
que les écarts de richesses internes ne s'autoalimentent
et, in
fine, ne se creusent. Dans un Etat décentralisé, où les
collectivités locales bénéficient de ressources propres
importantes et de marges de manoeuvre fiscales, ce risque est renforcé :
l'activité économique est susceptible de se concentrer dans les
parties les plus riches du territoire, où les infrastructures sont les
meilleures et, les bases étant larges, les taux d'impositions locales
sont les plus bas.
L'enjeu de la péréquation est de lutter contre ces
déséquilibres sans mettre en péril le dynamisme des
responsables locaux
.
Le budget de l'Etat est l'instrument péréquateur par
excellence
Le gouvernement peut décider d'orienter ses dépenses, ses
effectifs et ses installations vers les parties du territoire les moins
favorisées. Un tel choix serait péréquateur à
double titre car, d'une part, les collectivités les moins
favorisés bénéficieraient proportionnellement de plus de
crédits budgétaires, et, d'autre part, ces concours accrus aux
parties du territoire défavorisées seraient financés
indirectement par les collectivités les plus riches qui, par habitant,
contribuent plus aux recettes du budget général.
La génération de
contrats de plan
qui s'achève a
d'ailleurs été marquée par la volonté de l'Etat de
moduler son effort financier en fonction de la richesse des
collectivités cocontractantes.
Comme le souligne le rapport remis au Conseil économique et social en
mai 1997 par M. Jean Billet, l'Etat, lors du comité
interministériel d'aménagement du territoire de Mende du 12
juillet 1993, a déterminé trois critères, le potentiel
fiscal, la taux de chômage et la variation de l'emploi. A partir de ces
critères, il a constitué trois groupes de régions, qui ont
bénéficié de manière inversement proportionnelle
à leur richesse de l'accroissement des crédits consacrés
par l'Etat aux contrats de plan.
De plus, la part de l'Etat dans la clef de répartition des financements
est, dans l'ensemble, d'autant plus réduite que le cocontractant est
riche.
Part de l'Etat dans les engagements des contrats de plan Etat-région (1994-99)
(en % du total des engagements)
Limousin
|
64
|
Pays de
la Loire
|
46
|
Au sein des crédits de l'Etat, les subventions de fonctionnement versées aux collectivités jouent également un rôle péréquateur de premier plan. La tableau ci-dessous retrace, depuis 1994, la montée en puissance des mécanismes péréquateurs présidant à la répartition entre les collectivités de la principale dotation de l'Etat, la dotation globale de fonctionnement .
DGF et péréquation 1993-98
(en millions de francs)
|
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
DGF totale, dont : |
96.219 |
98.143,50 |
99.811,94 |
103.576,00 |
104.881,97 |
106.333,40 |
DSU |
1.000 |
1.260,00 |
1.420,22 |
2.120,60 |
2.165,00 |
2.274,85 |
DSR |
- |
1.026,56 |
1.300,22 |
1.564,00 |
1.640,32 |
1.770,16 |
DGF group. |
3.145 |
3.765,23 |
4.168,58 |
4.661,40 |
5.018,73 |
5.286,66 |
DFM |
133 |
214,97 |
254,90 |
384,97 |
424,97 |
524,03 |
Total péréquation |
4.278 |
6.266,77 |
7.143,92 |
8.730,97 |
9.249,02 |
9.855,69 |
% péréquation |
4,45 |
6,39 |
7,16 |
8,43 |
8,82 |
9,27 |
Source : DGCL
L'accroissement de la proportion des crédits des
dotations
de l'Etat accordée aux collectivités les moins riches est
favorable à la péréquation dans un contexte de
maîtrise des dépenses publique
, et donc de faible augmentation
en volume des concours de l'Etat aux collectivités locales.
Néanmoins,
la contrepartie de la réorientation des concours
budgétaires vers des objectifs péréquateurs devrait
être le maintien de la liberté fiscale des collectivités
locales.
Car, en prolongeant les orientations actuelles du gouvernement, on
s'aperçoit que, d'une part, les critères d'attribution des
dotations budgétaires sont de plus en plus péréquateurs,
donc défavorables aux collectivités les mieux dotées, et
que, d'autre part, l'Etat compense les réductions de bases d'impositions
des impôts locaux qu'il décide par le biais de dotations
budgétaires.
Une telle logique n'est pas péréquatrice mais
démobilisatrice, puisque les collectivités les plus dynamiques
perdent à la fois le bénéfice de l'augmentation de leurs
bases d'impositions et une partie de leurs subventions budgétaires.
Il y a dans cette démarche un risque d'
assèchement
du
système : si les collectivités les plus riches ne
bénéficient plus des fruits de leur dynamisme, celui-ci va
s'émousser, et les écarts de richesses entre collectivités
seront nivelés par le bas.
L'harmonisation fiscale sur un ensemble économique
cohérent
Les disparités de richesses entre collectivités locales
géographiquement proches peuvent conduire celles-ci à se lancer
dans une
concurrence fiscale
qui aboutit, d'une part, à creuser
les écarts de richesses et, d'autre part, à une localisation
imparfaite des activités économiques sur l'ensemble de la zone.
Ce phénomène a conduit à développer les dispositifs
de "péréquation volontaire", selon la terminologie de la
direction générale des collectivités territoriales (DGCL) :
-
la loi du 10 janvier 1980
permet aux communes qui le souhaitent de
partager avec d'autres communes ou avec l'établissement public de
coopération intercommunale qui crée ou gère leurs zones
d'activité, la totalité ou une partie du foncier bâti et/ou
de la taxe professionnelle perçue auprès des entreprises. Ce
dispositif peut conduire soit au partage des gains suite à un
investissement commun, soit à la mise en oeuvre d'une solidarité
au profit des communes les plus défavorisées ;
-
l'intercommunalité à fiscalité additionnelle
conduit chaque commune à financer le groupement au prorata de ses bases.
Ainsi, les communes les plus favorisées financent une proportion plus
importantes des charges communes ;
-
la taxe professionnelle unique
permet, selon la DGCL, "
la
péréquation la plus importante en matière de taxe
professionnelle. En effet, cette ressources, dont les communes ne disposent
plus, va directement alimenter le budget du groupement, qui l'utilise pour
mettre en oeuvre ses compétences sur l'ensemble du groupement et assurer
son projet global de développement économique
".
La taxe professionnelle unique permet de combiner péréquation
et efficacité économique
puisqu'elle contribue à
résorber la principale source d'inégalité de richesse
entre les collectivités
10(
*
)
tout en créant les
conditions d'une véritable coopération : la concurrence fiscale
disparaissant, les collectivités peuvent mettre en oeuvre des
stratégies de développement équilibré à
l'échelle de l'ensemble de leur territoire commun.
La faculté offerte aux collectivités de mettre en oeuvre une taxe
professionnelle unique a été
peu utilisée en milieu
urbain
. En 1997, 72 % des établissements publics de
coopération intercommunale à taxe professionnelle unique
comptaient moins de 20.000 habitants.
La prochaine discussion au Parlement du projet de loi sur
l'intercommunalité sera l'occasion de mettre en oeuvre des dispositifs
incitatifs et de rendre la taxe professionnelle unique plus attrayante pour les
structures intercommunales.