IV - Le dispositif proposé
L'article 31 du projet de loi ajoute un second chapitre
intitulé " réquisition avec attributaire " au sein du
titre IV du livre VI du code de la construction de l'habitation. La
notion de "
droit au logement
" est consacrée par la
modification de l'intitulé de ce titre IV qui,
précédemment "
Logement d'office
", devient
"
Mise en oeuvre du droit au logement par la
réquisition
".
Cet intitulé seul laisse présumer que la réquisition est
désormais conçue comme un nouveau mode de règlement
ordinaire de la question du logement des personnes défavorisées.
Le nouveau chapitre ainsi créé comprend cinq sections relatives
successivement aux principes généraux de la réquisition
(section I : articles L. 642-1 à L. 642-6),
à la procédure (section II :
articles L. 642-7 à L. 642-13), aux relations entre le
titulaire du droit d'usage et l'attributaire (section III :
articles L. 642-14 à L. 642-20), aux relations entre
l'attributaire et le bénéficiaire (section IV :
articles L. 642-21 à L. 642-26) et aux dispositions
pénales (section V : article L. 642-27).
Section I : principes généraux
•
L'article L. 642-1
fixe le cadre et les principales
caractéristiques de la nouvelle procédure de réquisition.
Le premier alinéa
prévoit que l'initiative appartient au
préfet dans le but de garantir le droit au logement dans les communes
où sont constatés d'importants déséquilibres entre
l'offre et la demande de logements "
au détriment de personnes
à revenus modestes et de personnes
défavorisées
", c'est-à-dire les communes
où coexistent un parc de locaux vacants et des personnes dont la
situation ne leur permet pas d'accéder au marché locatif
privé. Le déséquilibre est apprécié par le
préfet dans le périmètre de chaque commune, la
réquisition de locaux dans une commune déterminée ne
pouvant être engagée pour satisfaire une demande de logements
apparue dans une autre commune. L'importance des déséquilibres
susceptibles de motiver une réquisition est à
l'appréciation discrétionnaire de l'autorité
administrative.
Seuls peuvent être réquisitionnés les locaux restés
vacants depuis plus de dix-huit mois sur lesquels une personne morale est
titulaire d'un droit réel lui en conférant l'usage.
La durée de dix-huit mois, retenue comme critère pour la vacance,
peut paraître très brève en considération de
situations qui n'ont rien de rare telles que les indivisions résultant,
par exemple, d'une procédure successorale ou la nécessité
de rendre un immeuble entier libre de toute occupation avant d'entreprendre des
travaux de grande ampleur.
Les locaux détenus par des personnes physiques sont exclus du champ de
la nouvelle procédure de réquisition. Seules sont visées
les personnes morales, l'idée sous-jacente étant d'utiliser les
locaux laissés vacants par les propriétaires institutionnels pour
des raisons supposées spéculatives ou de les inciter à les
remettre sur le marché. Cependant, l'ensemble des personnes morales
étant visé, la réquisition concerne aussi bien ces
propriétaires institutionnels que d'autres structures, à
caractère familial, constituées sous forme de
sociétés civiles pour des raisons de commodité de gestion
ou pour répondre à des situations d'indivision.
Or, dans cette seconde hypothèse, on peut considérer que le
propriétaire, personne physique, se situe dans l'ombre immédiate
de la personne morale et que la forme juridique choisie n'est qu'une
commodité d'exercice du droit de propriété. En outre, il
paraît nécessaire d'éviter que la crainte de la
réquisition ne provoque une contraction de l'investissement locatif
privé.
C'est pourquoi votre commission des Lois vous propose
un amendement
tendant à exclure du champ de la réquisition les locaux
détenus par les sociétés civiles constituées
exclusivement entre parents et alliés jusqu'au quatrième
degré inclus.
Au premier alinéa de l'article L. 642-1, votre commission vous
propose également
un amendement
pour intégrer la
durée, qui constitue un élément déterminant de la
réquisition, dans sa définition. On observera qu'à la fin
de ce même alinéa, la notion de "
personnes à
revenus modestes et personnes défavorisées
", qui sert
de référence au préfet pour apprécier l'importance
du déséquilibre entre l'offre et la demande de logement, ne
correspond pas à une catégorie juridique. Sans doute eût-il
été préférable de se référer, pour
déterminer la population concernée, à la définition
délimitant la catégorie des bénéficiaires de la
réquisition.
Le deuxième alinéa de l'article L. 642-1
décrit le chaînage juridique découlant de la
réquisition : le préfet désigne un attributaire qui
exerce un droit de jouissance sur les locaux réquisitionnés et
doit les donner à bail aux personnes désignées par le
préfet comme répondant aux critères définissant les
bénéficiaires.
Cependant, la rédaction proposée, tout en explicitant le
rôle d'intermédiaire dévolu à l'attributaire, laisse
supposer que ce dernier pourrait, au moins à titre temporaire, utiliser
les locaux concernés pour son propre compte. Aussi, votre commission des
Lois vous propose-t-elle
un amendement
tendant à cet égard
à lever toute ambiguïté.
Le troisième aliéna de l'article L. 642-1
ouvre
à l'attributaire la faculté de réaliser des travaux de
réhabilitation des locaux réquisitionnés. Cette
disposition part du constat que si le bénéficiaire ne dispose pas
de ressources nécessaires pour accéder au marché locatif
privé, il n'a pas non plus les moyens de réaliser les travaux qui
s'imposent. Ceux-ci incombent donc à l'attributaire.
Aux termes du projet de loi, il est simplement tenu d'en informer le titulaire
du droit d'usage, sans autre précision. Or, la teneur des travaux, leur
importance ainsi que le délai prévu pour leur réalisation
n'est pas indifférent pour le titulaire du droit d'usage puisque, en
particulier, en vertu de l'article L. 642-15, l'indemnité qui lui sera
versée par l'attributaire sera amputée du montant correspondant
à l'amortissement de ces travaux. Aussi convient-il de garantir au
titulaire du droit d'usage que l'ensemble de ces informations lui seront
délivrées par l'attributaire.
Votre commission des Lois vous propose
un amendement
en ce sens.
Par le mécanisme susvisé de déduction des sommes
correspondant à l'amortissement des travaux, il apparaît que
c'est en définitive le titulaire du droit d'usage qui supportera le
coût des travaux de mise aux normes. Ce dispositif diffère
fondamentalement du mécanisme prévu en matière de bail
à réhabilitation où le poids de l'investissement repose
sur le preneur : en effet, le prix du bail à réhabilitation,
laissé à l'appréciation des parties, peut être
constitué par l'apport en nature que constituent les travaux
réalisés par le preneur, auquel vient s'ajouter, le cas
échéant, le versement d'une somme en espèces. En outre,
l'article L.252-1 du code de la construction et de l'habitation prévoit
qu'en fin de bail "
les améliorations réalisées
bénéficient au bailleur sans indemnisation ".
Si, dans
le régime de réquisition proposé, la charge
financière des travaux réalisés doit in fine peser sur le
titulaire du droit d'usage, alors même que son accord n'est pas requis
pour définir les travaux nécessaires, il paraît au minimum
indispensable de prévoir que c'est l'attributaire qui effectuera la mise
de fonds initiale, sachant qu'à cette avance de trésorerie
s'ajoutera, pendant la durée des travaux, le paiement de
l'indemnité due au titulaire du droit d'usage dès le début
de la réquisition, non compensée par la perception de loyers
puisque le bénéficiaire n'occupera pas encore les lieux.
Votre commission des Lois vous propose
un amendement
pour apporter cette
garantie au titulaire du droit d'usage.
Votre commission ayant proposé d'intégrer la durée de la
réquisition, élément essentiel de sa définition, au
premier alinéa de l'article L. 642-1, il conviendrait de vider
totalement de sa substance l'article L. 642-5 en
déplaçant, en fin d'article L. 642-1, la
précision selon laquelle la durée de la réquisition peut
être portée jusqu'à douze ans en fonction de l'ampleur des
travaux réalisés. Votre commission des Lois vous soumet à
cet effet
un amendement
.
Le dernier alinéa de l'article L. 642-1
constitue un ajout de
l'Assemblée nationale. Son objet est de préciser que les locaux
régulièrement affectés à un usage autre que
l'habitation peuvent, à l'issue de la réquisition, retrouver leur
affectation initiale sur simple déclaration.
Bien que l'article L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation
prévoie que les locaux régulièrement affectés
à un usage autre que l'habitation et temporairement affectés
à l'habitation pour une durée n'excédant pas treize ans
retrouvent, à l'expiration du délai, leur affectation
antérieure sur simple déclaration, il n'est pas certain que cette
disposition puisse s'appliquer en matière de réquisition. En
effet, si la durée de la réquisition est expressément
limitée dans le temps et ne peut excéder douze ans, le
caractère temporaire du changement d'affection éventuel n'est pas
spécifié. Aussi votre commission des Lois vous
propose-t- elle de maintenir cet ajout de l'Assemblée nationale.
•
L'article L. 642-2
fixe la liste des
différentes catégories d'attributaires. Il s'agit de l'Etat, des
collectivités territoriales, des organismes HLM, des
sociétés d'économie mixte dont l'objet est de construire
ou de donner à bail des logements, ainsi qu'une catégorie
résiduelle constituée par les "
organismes
agréés à cette fin par l'Etat
".
L'attributaire a vocation à jouer le rôle de maître
d'ouvrage pour la réalisation des travaux de mise aux normes minimales
d'habitabilité, et de gestionnaire de l'immeuble
réquisitionné.
Aussi doit-il pouvoir fournir des garanties d'ordre à la fois technique
et financier. Les conditions de l'agrément délivré par
l'Etat, devant permettre en particulier à certaines associations de se
porter attributaire, devront être suffisamment strictes. A cet
égard, la formule retenue par le dernier alinéa (5°) de cet
article paraît trop vague et il semble préférable de
reproduire ici l'expression figurant sous l'article L. 252-1 du code la
construction et de l'habitation relatif au bail à réhabilitation.
Votre commission vous soumet
un amendement
à cet effet.
•
L'article L. 642-3
précise que les
rapports entre l'Etat et les attributaires sont régis par voie
conventionnelle. On suppose que cette convention comportera la
désignation des biens réquisitionnés, la durée de
la réquisition, la description et le calendrier des travaux à
réaliser qui pourront, comme en 1995 et 1996, être partiellement
pris en charge par l'Etat. En effet, s'agissant d'une opération
d'intérêt général et de solidarité nationale,
l'Etat devrait logiquement contribuer au financement des travaux par l'octroi
de subventions
4(
*
)
.
Il paraît cependant nécessaire de préciser ici que la
convention devra être conclue avant que l'opération de
réquisition ne puisse être véritablement engagée,
c'est-à-dire avant toute notification au titulaire du droit d'usage des
locaux concernés de l'intention de réquititionner. Votre
commission des Lois vous soumet
un amendement
insérant cette
précision.
•
L'article L. 642-4
définit les
personnes éligibles au bénéfice d'un logement
réquisitionné. Contrairement au régime de la
réquisition actuellement en vigueur, la définition est
fondée sur une condition de ressources : le
bénéficiaire est une personne justifiant de ressources
inférieures à un plafond fixé par décret. Il s'agit
là d'un critère objectif. Vient s'ajouter un critère plus
subjectif : celui des "
mauvaises conditions de
logement
", laissé à l'appréciation du
préfet chargé de désigner les bénéficiaires.
• L'article L. 642-5
précise la
durée de la réquisition en fixant un plancher, un an, et un
plafond, six ans, ce dernier pouvant être porté à
douze ans lorsque l'importance des travaux de mise aux normes
d'habitabilité à réaliser nécessite une
période d'amortissement supérieure à six ans.
L'appréciation en revient au préfet. On peut cependant
s'interroger sur la véritable signification d'une réquisition
dont la durée atteindrait douze ans : une telle durée
confère à la réquisition un caractère confiscatoire
qui pourrait s'apparenter à une expropriation déguisée.
Pour fixer cette durée, les auteurs du projet de loi se sont
inspirés des dispositions applicables en matière de bail à
réhabilitation : l'article L. 252-1 du code la construction et
de l'habitation résultant de l'article 11 de la loi n° 90-449
du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement dispose
en effet qu'un tel bail
" est conclu pour une durée minimale de
douze ans
". Il ne saurait cependant y avoir d'assimilation entre bail
à réhabilitation et réquisition. En effet, le
régime applicable au bail à réhabilitation fournit
d'importantes garanties au propriétaire : sa conclusion suppose un
accord de volonté et nécessite un acte authentique ; le
preneur verse au bailleur un prix laissé à leur
appréciation commune ; le preneur s'engage à réaliser
les travaux d'amélioration spécifiés par le bail, leur
bénéfice restant acquis in fine de plein droit au bailleur sans
indemnité ; enfin, pendant toute la durée du bail, une
obligation d'entretien et de réparation pèse sur le preneur.
Votre commission des Lois ayant proposé d'intégrer les
éléments relatifs à la durée de la
réquisition au sein de l'article L. 642-1, elle vous soumet
un
amendement
de coordination tendant à supprimer
l'article L. 642-5.
•
L'article L. 642-6
ouvre au titulaire du droit
d'usage la faculté d'exercer un droit de reprise au bout de neuf ans,
dans les conditions prévues à l'article L. 642-18
(préavis d'un an et remboursement du coût des travaux non amorti).
Cette disposition réserve l'existence d'un droit de reprise aux seules
hypothèses où, les travaux à réaliser étant
particulièrement importants, la durée de réquisition
excède six ans. Encore ce droit ne peut-il être mis en oeuvre
qu'après neuf années, c'est-à-dire en pratique dans
les cas où la réquisition aura été
décidée pour dix à douze ans. Le point de
départ de ce délai de neuf ans est la date de prise d'effet de
l'arrêté de réquisition, c'est-à-dire sa date de
notification. Pour éviter toute ambiguïté sur ce point,
votre commission des Lois vous propose un
amendement
de précision.
On peut s'interroger sur le choix du butoir de neuf ans. Le projet de loi
semble avoir transposé aux relations entre le titulaire du droit d'usage
et l'attributaire le régime applicable aux relations entre le
nu-propriétaire et l'usufruitier résultant de l'article 595
du code civil. En vertu de cet article 595 du code civil, un bail conclu
par un usufruitier est inopposable au nu-propriétaire, en cas de cession
de l'usufruit, au-delà d'une durée de neuf ans. Le projet de loi
semble ainsi assimiler le titulaire du droit d'usage à un simple
nu-propriétaire et l'attributaire à un usufruitier donnant
à bail les locaux.
Cette transposition paraît cependant audacieuse car le titulaire du droit
d'usage propriétaire des locaux se voit réduit au rang de
nu-propriétaire. La dépossession pendant ce délai est donc
totale et irréfragable.