Article 78
Modulation des tarifs des services publics
administratifs à caractère
facultatif
I.
Commentaire du texte du projet de loi
L'article 78 ouvre la possibilité de fixer les tarifs des services
publics administratifs facultatifs en fonction du niveau de revenu des usagers
et du nombre de personnes vivant au foyer.
Il précise que les tarifs les plus élevés ne peuvent
être supérieurs au coût par usager de la prestation
concernée.
Cette disposition transcrit dans la loi une jurisprudence du Conseil d'Etat, en
l'étendant à l'ensemble des services publics administratifs
à caractère facultatif.
Elle répond en cela à une préoccupation exprimée
à de nombreuses reprises par les parlementaires et les élus
locaux à propos des écoles de musique pour lesquelles la
juridiction administrative refusait jusqu'à une date récente, au
nom du principe d'égalité, aux collectivités locales la
possibilité de fixer des tarifs différenciés selon les
revenus des usagers.
Ce n'est, en effet, que depuis un arrêt du 27 décembre 1997,
commune de Gennevilliers et commune de Nanterre, que le Conseil d'Etat a admis
cette possibilité pour les écoles de musique alors qu'il avait
d'ores et déjà admis cette dérogation au principe
d'égalité pour de nombreux services publics administratifs
facultatifs.
Selon la règle énoncée dans la célèbre
jurisprudence Denoyez et Chorques (Conseil d'Etat, Section, 10 mai 1974),
les discriminations tarifaires entre les usagers d'un même service public
ne sont possibles que si une loi l'y autorise, si existent entre les usagers
des différences de situation appréciables ou si elles
répondent à une nécessité d'intérêt
général en rapport avec les conditions d'exploitation du service.
Appliquant ces critères, l'arrêt de section du Conseil d'Etat du
26 avril 1985, ville de Tarbes, avait considéré,
à propos d'une école de musique créée et
gérée par la commune, que " les différences de
revenus entre les familles des élèves n'étaient pas
constitutives, en ce qui concerne l'accès au service public, de
différences de situation justifiant des exceptions au principe
d'égalité qui régit cet accès (et) que, d'autre
part, compte tenu de l'objet du service et de son mode de financement, il
n'existait aucune nécessité d'intérêt
général justifiant, pour la fixation des droits d'inscription,
une discrimination fondée sur les seules différences de
ressources entre ces usagers ".
Il faut souligner que si des modulations tarifaires en fonction du revenu ne
pouvaient être admises pour les écoles de musique au regard du
principe d'égalité, des tarifs différents selon que les
usagers sont ou non domiciliés dans la commune pouvaient être
établis, le Conseil d'Etat considérant qu'il existe entre ces
catégories d'usagers des différences de situation qui justifient
cette discrimination (arrêt CE Sect. 5 octobre 1984,
commissaire de la République de l'Ariège). A travers cette
jurisprudence, s'exprime l'idée qu'il serait paradoxal de
déposséder de toute liberté de gestion les
collectivités qui ont pris l'initiative de créer ces services et
qu'il n'est pas possible de les contraindre à offrir sans contrepartie
leurs services publics aux autres collectivités. Cette dernière
considération a néanmoins été
atténuée, le Conseil d'Etat précisant, d'une part, dans
le même arrêt, que le tarif le plus élevé
demandé aux non-résidents ne devait pas excéder le prix de
revient du service rendu et, étendant, d'autre part, le
bénéfice de l'égalité de traitement,
(CE Sect. 13 mai 1994, commune de Dreux), aux personnes qui ne
résident pas dans la commune mais qui ont un lien suffisant avec cette
dernière.
En ce qui concerne les services publics administratifs facultatifs, il faut
également indiquer que dans des cas de plus en plus nombreux, le Conseil
d'Etat avait été amené à admettre qu'une modulation
des tarifs puisse être décidée en fonction des
différences de revenus des usagers, l'intérêt
général qui s'attache à ce que tous les usagers du service
public puissent quelque soit leur niveau de revenu y avoir accès
justifiant, dans ces cas, la dérogation au principe
d'égalité.
Le Conseil d'Etat a ainsi jugé que les tarifs d'une crèche
pouvaient varier en fonction des ressources des familles " au nom de
l'intérêt général qui s'attache à ce qu'(une)
crèche puisse être utilisée par tous les parents qui
désirent y placer leurs enfants, sans distinction selon les
possibilités financières dont dispose chaque foyer "
(CE, 20 janvier 1989, CCAS de La Rochelle). Il en a
jugé de même pour les cantines scolaires (CE, 10 février
1993, Ville de La Rochelle) puis pour les centres de loisirs (CE, 18 mars 1993,
Mme Dejonckeere et autres).
Cette possibilité de modulation au nom de l'intérêt
général admise aisément par le Conseil d'Etat pour des
services publics administratifs facultatifs à vocation sociale ou
socio-éducative n'a donc été que récemment admise
pour les services publics culturels que sont les écoles de musique.
Les termes de l'arrêt du 27 décembre 1997 frappent par
leur symétrie avec ceux utilisés pour les services publics
" sociaux " : la modulation tarifaire est justifiée
" eu égard à l'intérêt général
qui s'attache à ce que le conservatoire de musique puisse être
fréquenté par tous les élèves qui le souhaitent,
sans distinction de leurs possibilités financières ",
opérant en ce domaine une évolution vers une conception
équitable de l'égalité.
Le principe d'égalité des usagers devant le service public qui
constitue traditionnellement en droit public français un principe de
non-discrimination garantissant l'égalité en droit devient donc
un levier permettant de garantir l'égalité réelle des
usagers.
Les conclusions du commissaire du gouvernement sont à cet égard
éclairantes. Elles relèvent, en effet, que les
considérations d'intérêt général en rapport
avec l'objet du service qui justifient que des tarifs
différenciés puissent être édictés " ne
procèdent pas d'un objectif de redistribution des revenus, lequel ne
serait pas en rapport avec l'objet du service des écoles de musique,
mais du souci de permettre réellement à tous les enfants, sans
distinction d'origine sociale, d'accéder à l'enseignement de la
musique. " Cette conception du principe d'égalité est
partagée par le Conseil constitutionnel qui autorise des
dérogations au principe d'égalité dès lors que
l'intérêt général résultant de l'objectif de
réduction des inégalités les rend possible.
Le Conseil d'Etat a précisé que cette dérogation
était compatible avec le principe d'égalité
" dès lors notamment que les droits les plus élevés
restent inférieurs au coût par élève du
fonctionnement ".
Cette condition, déjà posée par le juge en ce qui concerne
les différenciations tarifaires par rapport au critère de
résidence dans la commune est reprise par l'article 78. Elle implique
que la modulation tarifaire ne puisse avoir pour objet la redistribution des
revenus entre les usagers du service public.
Dans la pratique, cette condition limitative laisse une large marge de
manoeuvre aux collectivités locales pour fixer leurs tarifs, la
référence au quotient familial n'étant définie que
par le niveau du revenu et le nombre de personnes vivant au foyer et la
modulation demeurant en tout état de cause une simple faculté.
II. Texte adopté par l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a complété l'article 78 afin de
préciser que les modulations tarifaires ne doivent pas faire obstacle
à l'égal accès de tous les usagers au service public, ceci
signifiant que les différences de traitement entre usagers doivent
rester compatibles avec le principe d'égalité. Cette
précision bienvenue a pour objet de préciser que ces
différenciations tarifaires ont pour seul objet d'assurer
l'égalité réelle de tous les usagers du service public et
ne doivent pas avoir d'autres motifs, notamment celui de refuser à une
catégorie d'usagers l'accès au service au motif que ses revenus
lui permettent de bénéficier d'une prestation équivalente
hors du service public en cause.
III. Position de la commission
Votre commission vous propose d'adopter cet article sous réserve de
modifications rédactionnelles.