CONCLUSION
La commission d'enquête tient à remercier tous ceux qui, lors de ses auditions et de ses déplacements, tant en France qu'à l'étranger, ou au travers de leurs observations écrites, ont contribué au bon déroulement de ses travaux.
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Réunie le jeudi 14 mai 1998 sous la
présidence de
M. Jacques Valade, Président, la commission d'enquête a
adopté le rapport présenté par M. Henri Revol,
rapporteur.
Les explications de vote des commissaires appartenant au groupe socialiste
ainsi qu'au groupe communiste, républicain et citoyen, qui se sont
abstenus, sont reproduites ci-après.
EXPLICATIONS DE VOTE DES SÉNATEURS SOCIALISTES, MEMBRES DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE
Le 19
novembre dernier, le Sénat décidait la création d'une
commission d'enquête " chargée de recueillir tous les
éléments relatifs aux conditions d'élaboration de la
politique énergétique en France et aux conséquences
économiques, sociales et financières des choix
effectués ".
Compte tenu du sujet retenu mais aussi du contexte, les parlementaires
socialistes se sont interrogés sur le bien fondé de la
création de cette commission d'enquête. Ils remarquent que la
majorité sénatoriale n'a souhaité la création
d'aucune commission d'enquête durant toute la précédente
législature et les a multipliées alors que le Gouvernement issu
des élections législatives de mai 1997 n'était en place
que depuis six mois à peine. Il leur aurait paru par ailleurs plus
opportun de confier cette mission à l'office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques et technologiques qui dispose d'une
expertise en ces domaines ou encore à une mission d'information, s'il
s'agissait de mener une réflexion prospective sur l'avenir de notre
politique énergétique.
La question énergétique est un sujet trop important pour le
dynamisme de nos entreprises, pour l'emploi mais aussi pour la qualité
de vie de l'ensemble de nos concitoyens et à l'échelle
planétaire, pour l'équilibre de notre écosystème,
pour n'être traitée qu'en vertu de l'opportunité politique,
voire politicienne. Elle nécessite une réflexion approfondie.
Elle nécessite du temps, ce que ne permet pas toujours une commission
d'enquête puisque ses travaux sont limités à six mois :
à l'échelle " nucléaire ", un tel délai
est infinitésimal...
Ils regrettent que la majorité sénatoriale ait pris
essentiellement prétexte de l'annonce par le Premier Ministre de la
fermeture du surgénérateur Superphénix pour demander la
création de cette commission d'enquête. Ils rappellent que ce
choix, annoncé lors de sa déclaration de politique
générale, a été approuvé par scrutin public
à l'Assemblée nationale le 19 juin dernier et qu'il ne remet
nullement en cause le rôle central du nucléaire dans la politique
énergétique de la France, comme d'ailleurs l'ont confirmé
l'ensemble des ministres, mais aussi les différents experts entendus par
la Commission.
Dans de telles conditions, les sénateurs socialistes membres de la
commission d'enquête ont décidé de ne pas prendre part au
vote, bien qu'ayant participé activement à ses réunions.
Ils ont apprécié la qualité des travaux ainsi que des
personnes entendues.
Les sénateurs socialistes estiment que la politique
énergétique menée par la France depuis le premier choc
pétrolier de 1973 se caractérise par une grande continuité
qui, globalement a donné des résultats plutôt satisfaisants
:
- L'objectif d'indépendance énergétique a
été atteint : le taux d'indépendance est passé de
22 % en 1973 à 50 % aujourd'hui ;
- Notre approvisionnement énergétique s'est diversifiée :
le pétrole qui représentait 70 % de nos sources d'énergie
en 1973 n'en représente plus que 40 % actuellement ;
- Le recours au nucléaire pour la production d'électricité
a permis d'asseoir notre indépendance énergétique et
d'être parmi les pays les moins émetteurs de dioxyde de carbone
(trois fois moins que les Etats-Unis par habitants).
A l'heure où il s'agit de réfléchir à l'avenir de
notre politique énergétique, ce bilan mérite d'être
nuancé : en effet, la politique de maîtrise de l'énergie
s'est, au fil du temps, relâchée ; la question de l'aval du cycle
nucléaire n'a pas été résolue : et enfin, les
besoins en matière de transport qui ont été toujours
croisants ont maintenu une forte dépendance de notre pays à
l'égard de l'extérieur -à hauteur de 95 % pour notre
approvisionnement en pétrole-, alors même que cette énergie
ne connaissait pratiquement aucune autre alternative.
Par ailleurs, les sénateurs socialistes remarquent que de nouvelles
préoccupations ont vu le jour :
- Il s'agit en premier lieu de la nécessaire prise en compte des
critères environnementaux par la promotion de la notion de
développement durable dans le cadre de la définition de la
politique énergétique. On entend par développement
durable, toute politique qui consiste, tout en assurant nos besoins, à
veiller à ne pas compromettre ceux des générations
futures. Il est à noter que ce concept, qui a été
formalisé au niveau mondial lors du Sommet de la Terre à Rio en
1992, a été au centre des préoccupations du
législateur lorsqu'à la suite des travaux des
députés socialistes Christian Bataille et Jean-Yves Le
Déaut, il a adopté la loi du 30 décembre 1991 relative aux
recherches sur la gestion des déchets radioactifs.
- Il s'agit enfin de la nécessité de construire l'Europe de
l'énergie et dans ce cadre, de conforter tout en le modernisant, notre
service public de l'énergie.
Les sénateurs socialistes estiment que l'énergie nucléaire
doit rester le pilier de l'approvisionnement énergétique
français. Cependant, ils remarquent que ce poids central dans notre
bilan énergétique n'est pas sans poser quelques interrogations
sur le long terme.
Cette filière est aujourd'hui arrivée à maturité.
La période d'équipement intense est terminée. Se posent
à l'échéance 2010 deux grandes questions : le
traitement de l'aval du cycle nucléaire c'est-à-dire la gestion
du combustible nucléaire usé et de ses déchets à
haute activité et à vie longue et le renouvellement du parc. Et
plus fondamentalement, se pose une autre question pour l'avenir de la
filière nucléaire : son acceptation par la population, en
France mais aussi à l'étranger, ce qui implique que le
contrôle, la sûreté et la sécurité de ce
secteur soient assurés de manière lisible par tous et selon les
principes démocratiques.
Les sénateurs socialistes souscrivent sans aucune réserve aux
nouvelles orientations en matière de politique nucléaire telles
que définies par le Premier Ministre le 2 février dernier.
Il s'agit tout d'abord dans le souci de l'efficacité économique
et l'application du principe de précaution de diversifier nos ressources
en énergie. Ceci passe par la relance de la politique d'utilisation
rationnelle de l'énergie et le développement des énergies
renouvelables. Celles-ci constituent un enjeu important : elles assurent
déjà 40.000 à 50.000 emplois (18.000 pour
l'électricité hydraulique et 25.000 pour le bois-combustible),
contribuent à équilibrer la balance des paiements (30 Mtep
économisent 20 MDF d'importations), à notre
indépendance énergétique et alimentent une filière
industrielle.
Il s'agit enfin pour ce qui est de la filière nucléaire, de la
maîtrise de l'aval du cycle et enfin de l'indépendance et de la
pluralité de l'expertise en ce domaine. Le Premier Ministre a
annoncé des mesures allant dans ce sens. Il a rappelé
l'attachement du Gouvernement à l'application stricte de la loi de 1991
sur la gestion des déchets radioactifs et a confirmé que chacun
des trois axes de recherche définis par la loi -la séparation et
la transmutation des éléments à vie longue ; le
stockage réversible ou non en couche géologique profonde ;
l'entreposage de longue durée en surface- sera poursuivi pour qu'aux
termes de la loi, le Parlement puisse prendre les décisions qui lui
incombent.
Quant au renouvellement du parc nucléaire, des études sont
actuellement en cours, avec le réacteur franco-allemand, l'EPR,
l'European pressurized Reactor.
S'agissant du surgénérateur Superphénix, les
sénateurs socialistes rappellent que l'objet initial de ce programme
lancé dans les années 1970 était de produire de
l'électricité et de valider la faisabilité de
réacteurs surgénérateurs susceptibles de produire
davantage de matière fissiles que d'en consommer et ce dans la
perspective d'une tension sur le marché de l'uranium naturel et de
pénurie d'énergie. Le contexte a aujourd'hui changé :
le parc de centrales classiques suffit à subvenir à nos besoins
en matière d'électricité et le prix de l'uranium est
resté modéré. La surgénération est devenue
moins intéressante et surtout trop coûteuse, comme l'a clairement
démontré un rapport de la Cour des Comptes. Il est des
expériences technologiques qu'il faut savoir suspendre, dès lors
que leur intérêt économique, scientifique et industriel
n'est plus avéré, même si les recherches dans le domaine
des réacteurs à neutrons rapides doivent être poursuivies
pour l'avenir.
Par ailleurs, ils indiquent que la fermeture de Superphénix ne remettra
nullement en cause la recherche en matière de transmutation. Le
redémarrage de Phénix jusqu'en 2004, plus souple que
Superphénix pour l'expérimentation du fait de la
brièveté du cycle et conçu dès le départ
à des fins de recherche, devrait permettre de respecter les termes de la
loi de 1991.
S'agissant enfin des modalités de fermeture de la centrale de
Creys-Malville, ils considèrent que la vigilance des parlementaires doit
bien entendu s'exercer aussi bien sur le volet technique de la fermeture de la
centrale que sur les modalités économiques, sociales et
financières d'accompagnement de cette décision. Mais là
encore, le Premier Ministre à pris des engagements clairs.
Il est aussi un autre domaine stratégique pour mener à bien notre
politique de maîtrise de l'énergie, de sécurité
d'approvisionnement et respecter nos engagement sen matière de lutte
contre l'effet de serre, c'est celui des transports.
La progression de la consommation énergétique liée au
transport devrait s'accroître de 1,6 % en moyenne d'ici 2010
(+ 1,7 % pour la route ; + 2,2 % pour l'aérien)
et les émissions de gaz à effet de serre de 10 à 15 %
durant la même période. 40 % de ces gaz auraient ainsi
pour origine les transports. Par ailleurs, même si la France produit
aujourd'hui 50 % de l'énergie qu'elle consomme, le secteur des
transports dépend pour 95 % du pétrole importé. C'est dire
l'enjeu de mener une politique ambitieuse dans le secteur des transports pour
tout à la fois maîtriser notre consommation d'énergie,
assurer notre indépendance énergétique et respecter les
engagements que nous avons souscrits à Kyoto en matière de lutte
contre l'effet de serre.
Ainsi, même s'il apparaît opportun de travailler à
l'amélioration des carburants, des performances des véhicules et
de la réglementation technique pour lutter contre cette
évolution, cela n'est pas suffisant.
Il faut désormais promouvoir une autre politique des transports, moins
axée sur le tout routier, plus harmonieuse, pour une meilleure
qualité de vie, une plus grande efficacité économique et
un développement équilibré et durable des territoires.
C'est d'ailleurs l'un des engagements du Gouvernement.
La priorité accordée au transport ferroviaire dans le budget du
Ministère des transports pour la loi de finances pour 1998, doit
être soutenue pour les années à venir. L'effort
budgétaire en faveur du transport ferroviaire a été
incontestable. Au total, les concours publics au secteur ferroviaire ont
progressé en 1998 de près de 2,5 MDF, soit une augmentation
en terme de moyens engagés de près de 8 %. Des ressources
supplémentaires en faveur du transport ferroviaire et du transport
combiné ont aussi été mobilisées sur le FITTVN
(1,635 MDF), soit une augmentation de 33 % par rapport aux crédits
mobilisés l'année dernière. Une politique de
coopération entre les réseaux ferroviaires est en train de
naître. Et le développement des transports collectifs en zone
urbaine est encouragé dans le cadre de l'établissement des plans
de déplacement urbain.
Par ailleurs, dans le cadre de la révision prochaine de la loi
d'orientation pour l'aménagement et le développement du
territoire, les schémas sectoriels seront aussi modifiés pour
mieux prendre en compte la demande des usagers. Ils s'inscriront dans le cadre
des schémas de services. Les schémas de transports -au nombre de
cinq actuellement : schéma directeur routier national,
schéma directeur des voies navigables, schéma du réseau
ferroviaire, schéma des infrastructures aéroportuaires et
schéma des ports maritimes- seront remplacés par deux
schémas intermodaux, l'un relatif au transport des voyageurs, l'autre au
transport des marchandises. Il s'agit là d'une évolution
fondamentale en matière de politique des transports, puisque pour la
première fois serait définie une politique intermodale des
transports, jouant sur les complémentarités et non sur la simple
concurrence, prenant en compte l'externalité des coûts et ce, au
profit de tous.
Enfin, le nouveau paysage énergétique qui est en train de se
dessiner au niveau international mais surtout européen doit être
l'occasion de poser une définition claire et moderne du service public
de l'énergie. La construction de l'Europe de l'énergie et la
transcription en droit interne des directives sur le gaz et
l'électricité nous en donnent l'occasion. Au-delà de
l'inscription dans la loi de la définition des missions de service
public qui doivent être déclinées en vertu des principes
d'universalité, d'égalité, de qualité, de
continuité et d'adaptabilité, les sénateurs socialistes
considèrent que d'autres notions reconnues au plan européen
doivent figurer en bonne place au titre des missions d'intérêt
général. Il s'agit de l'aménagement du territoire et de la
protection de l'environnement. Par ailleurs, ils jugent nécessaire de
veiller à ce que la transposition de ces directives respecte le
caractère intégré des différentes activités
de ces deux grandes entreprises que sont EDF et GDF ainsi que le statut de
leurs personnels.
Ces différents observations ne sont pas bien entendu exhaustives. Les
sénateurs socialistes ont simplement souhaité faire part des
quelques points qui, pour l'avenir de notre politique énergétique
mériteraient d'être pris en compte.