2. Le risque d'une mise en cause insidieuse de la filière du retraitement
a) Controverse autour de La Hague
Une
controverse s'est développée depuis le début de
l'été 1997, sur les risques que susciteraient les
installations de La Hague.
• Certains mettent en avant l'impact des
rejets
de ses
installations sur l'environnement. Celui-ci est cependant
en constante
diminution
et ne représente par exemple sur le site de La Hague, que
moins de 0,02 millisievert (mSv)
69(
*
)
dans l'environnement immédiat
du site, alors que les instances internationales ont fixé par
précaution le seuil réglementaire à
1 millisievert
70(
*
)
.
Comme l'a rappelé le professeur Georges Charpak devant votre commission
d'enquête,
cet impact représente moins de 1 % de l'impact
de la radioactivité naturelle en France
(2,4 mSv). Il est
négligeable devant les fluctuations géographiques de cette
radioactivité naturelle (en France : de 1 à 6 mSv). Il est
enfin du même ordre de grandeur que l'impact radiologique d'une centrale
de 1.000 mégawatts brûlant du charbon, du seul fait des
radioéléments naturels contenus dans le charbon.
La thèse défendue par Jean-François Viel et par Dominique
Pobel, impliqués avec leurs collègues de l'INSERM depuis 1990
dans la surveillance du site, était qu'on ne pouvait exclure, en 1995,
à partir de l'étude descriptive des statistiques
géographiques, un excès de leucémies infantiles au
voisinage de La Hague. L'étude, bien que statistiquement non
significative, montrait dans le canton de Beaumont-La Hague un excès de
leucémies de quatre cas observés pour 1,4 attendu dans
la tranche d'âge de 0 à 24 ans entre 1978 et 1993.
Or, outre que cet écart peut être attribué au
hasard
71(
*
)
,
il n'a jamais
été prouvé que ces leucémies résultaient
d'une exposition aux radiations ionisantes émanant de la centrale de La
Hague
. On sait en effet que les radiations ionisantes sont cause de
leucémies, mais pas aux doses auxquelles sont exposées les
populations au voisinage des centrales fonctionnant normalement. Telles
étaient les conclusions du rapport du professeur Spira remis aux
ministres de l'environnement et de la santé en octobre 1997 et
recommandant la poursuite des travaux amorcés par MM. Viel et Pobel.
La controverse n'a cependant pas été inutile,
dans la
mesure où elle a permis de mettre en évidence certaines
vérités et de remédier à certains
dysfonctionnements.
Elle a permis de clarifier une situation
perturbée
, même si les conséquences sur
l'économie touristique de cette région ont pu avoir de
manière temporaire une incidence fâcheuse.
Ainsi,
des situations anormales ont été corrigées
,
comme celle pouvant conduire éventuellement à l'exposition du
public par un séjour à proximité du tuyau évacuant
les effluents liquides au cours de marées de forts coefficients.
Un
contrôle indépendant de l'exploitant a pu être
réalisé
au lieu même de rejet et à 1,7 km
en mer, montrant le caractère très limité de
l'accumulation des éléments radioactifs dans les sédiments
et constatant le faible impact sur la faune locale éventuellement
destinée à la consommation de l'homme.
Plus généralement, le problème de l'indépendance du
réseau de prélèvements pour les fins du contrôle
réglementaire a été soulevé
et a
été retenue la nécessité de mettre en place une
organisation spécifique
, offrant au public la garantie
nécessaire de séparation du contrôleur et du
contrôlé, quand bien même la bonne foi et la
technicité de l'exploitant ne peuvent être mises en question.
L'actualité récente vient de nous fournir une nouvelle
illustration de la
nécessité d'introduire davantage de
rationalité, mais aussi peut-être de transparence
, dans ce
type d'information, avec les problèmes de mesure de la contamination
résiduelle des emballages de combustibles usés acheminés
l'an dernier depuis des centrales nucléaires jusqu'au centre de
retraitement de La Hague.
b) Le transport ferroviaire des combustibles usés
Chaque
année, environ 200 conteneurs de combustibles irradiés quittent
les centrales nucléaires d'EDF à destination de l'usine de
retraitement de la COGEMA à La Hague. Ces conteneurs sont presque tous
transportés par rail jusqu'au terminal ferroviaire de Valognes, dans la
Manche.
Or, comme l'a confirmé le directeur de la sûreté des
installations nucléaires (DSIN), depuis le début des
années 1990 au moins il a été constaté par la
COGEMA à l'arrivée à Valognes, une contamination
surfacique d'un pourcentage important de ces conteneurs et/ou wagons de
transport. Ainsi, en 1997, 35 % des convois utilisés par EDF
présentaient une contamination surfacique, en au moins un point, sur les
150 points de contrôle, supérieure à la limite
réglementaire. Celle-ci est fixée à 4 becquerels par
cm² (norme internationale correspondant à un seuil de
propreté qui est très inférieur à tout seuil
sanitaire).
La COGEMA a régulièrement informé EDF de cette situation,
mais l'établissement public semble avoir fait preuve de
négligence en ce domaine.
Ceci est très regrettable
,
et, comme l'indiquait
72(
*
)
notre
collègue Jean-François Le Grand, président du conseil
général de la Manche : "
A chaque fois que vous ne
dites pas quelque chose et que quelqu'un d'autre le découvre, il y a
immédiatement suspicion ".
Cette suspicion a un impact négatif, tant sur les entreprises
concernées que sur l'économie touristique de la région,
alors que les conséquences sanitaires de cette contamination
résiduelle des emballages
de combustibles usés
semblent
inexistantes
, comme l'affirme le rapport remis au Gouvernement le
13 mai dernier par M. LACOSTE, directeur de la DSIN.
"
Au plan sanitaire, il ressort des premières investigations que
le non-respect de la norme de 4
becquerels par cm² ne semble
pas avoir eu de conséquences car
les réglementations
sanitaires sont respectées tant pour les travailleurs de COGEMA à
Valognes que pour le public ;
- pour les travailleurs de COGEMA, la dose maximale atteinte a
été de 3,85 mSv/an à comparer à une norme de
20 mSv/an ;
- pour le public, la dernière estimation très majorante
calculée par l'IPSN est de 0,003 mSv/h à
2 mètres du convoi, à comparer avec une norme de
0,1 mSv/h ;
-
les doses susceptibles d'avoir été reçues par le
personnel de la
SNCF restent à préciser.
Elles doivent a
priori être nettement inférieures à celles du personnel de
COGEMA.
"
En dépit de l'absence de risque sanitaire, il ne conviendrait pas moins
de remédier à cette situation qui a été entretenue
par l'absence de rigueur et de clarté dans le comportement des
exploitants, par les divergences de méthodes de calcul pour les
contrôles effectués respectivement par EDF -au départ des
convois- et par la COGEMA -à leur arrivée- et, sans doute,
par
l'absence d'un contrôle réel exercé au nom de
l'État.
Depuis juin 1997, la situation s'est cependant
améliorée : le contrôle de la sûreté du
transport des matières radioactives et fissiles à usage civil a
été confié à la DSIN et le pourcentage de
conteneurs contaminés est descendu à environ 15 % en 1998.
Dans ce contexte, votre commission d'enquête souhaite que le
Gouvernement veille à ce que l'opinion publique soit informée
dans la transparence, et non manipulée comme d'aucuns tentent de le
faire.
Prenons donc garde aux conséquences désastreuses d'une
déstabilisation de la filière nucléaire, entretenant les
peurs irrationnelles qu'inspire une énergie qui reste marquée
dans la mémoire collective par la tragédie d'Hiroshima.
*
* *
Le
retraitement-recyclage contribue significativement à une gestion
rationnelle et maîtrisée de la France et de la planète. Il
présente incontestablement des avantages spécifiques en termes
d'économies de la fin du cycle, par une gestion rigoureuse et
optimisée des déchets ultimes.
Votre commission d'enquête souhaite, par conséquent, que l'option
du retraitement soit confortée.
Celui-ci ne permet cependant pas d'éliminer ces derniers. Aussi
convient-il de poursuivre activement les recherches permettant de traiter le
sort de ces déchets.