III. PRÉPARER LE NUCLÉAIRE DU FUTUR
Le
fait que des centaines de centrales depuis deux décennies aient
fonctionné sans incident grave démontre la maturité de la
technique nucléaire.
La catastrophe de Tchernobyl a cependant
occulté cette réalité, ainsi que l'affirme le rapport du
Commissariat général du Plan : " Énergie
2010-2020 "
59(
*
)
.
Le nucléaire reste cependant une technologie jeune, qui peut et doit
encore progresser. Dans cette perspective, les efforts de recherche doivent
être poursuivis sur les nouvelles générations de centrales,
qui devront satisfaire à des exigences toujours plus fortes en termes de
sûreté, d'impact sur l'environnement et de
compétitivité.
Afin de se préparer au renouvellement du parc nucléaire
français, et de laisser ouverte la voie nucléaire d'ici à
cette échéance, à savoir probablement 2020
60(
*
)
, la France doit s'attacher à
développer les filières du réacteur du futur. Tel est
l'objet des recherches sur le réacteur à eau pressurisé et
sur le réacteur hybride.
Elle doit également s'inscrire dans le plus long terme et s'attacher
à étudier la possibilité de construire un réacteur
totalement " propre ", c'est-à-dire ne produisant pratiquement
ni actinides, ni produits de fission. Dans cette perspective, la fusion
nucléaire pourrait apparaître comme une solution très
séduisante pour un terme cependant encore très
lointain.
A. LES FILIÈRES DU RÉACTEUR DU FUTUR
Il
apparaît fondamental que la continuité et la
pérennité de la filière nucléaire soient
assurées. Dans cette perspective, il est important de poursuivre les
réflexions en tenant compte du calendrier de mise en oeuvre des
nouvelles technologies.
S'agissant des réacteurs à eau, l'avenir semble tracé
jusque vers 2050
, avec notamment le
REP 2000
, prochain standard
de centrales nucléaires d'EDF destiné à succéder
à l'actuel palier N4 (c'est-à-dire le dernier palier de centrales
construites) et qui devrait être
équipé de l'îlot
nucléaire franco-allemand EPR
(European Pressurized Water Reactor).
C'est probablement au-delà de cette date, que les
réacteurs
hybrides
pourraient trouver tout leur intérêt.
1. Le projet franco-allemand : le réacteur EPR
a) Un modèle de coopération franco-allemande dont la pérennité suscite cependant quelques inquiétudes
Le
projet EPR est un
projet franco-allemand
de développement d'un
îlot nucléaire susceptible de prendre le relais des centrales en
cours d'exploitation. Il est mené en partenariat entre Framatome,
Siemens, Nuclear Power International (NPI), EDF et les électriciens
allemands.
Il a démarré en
1992
par une phase de réflexion
conjointe sur les principales orientations techniques de sûreté
des futurs réacteurs à eau sous pression. En 1995, on est
entré dans la phase de définition technique du prototype ; depuis
mi-1997, la phase dite d'optimisation a pris le relais, tendant à
augmenter la puissance de tranche et à diminuer les coûts tant
d'investissement que d'exploitation, ceci dans le respect des objectifs et des
contraintes de sûreté. L'avant-projet détaillé de
l'EPR devrait être terminé à la fin de cette année,
les études de réalisation pouvant
alors
débuter
en 1999
.
Cette coopération franco-allemande s'est avérée jusqu'ici
très fructueuse et s'est déroulée de façon
très satisfaisante, en respectant notamment les délais et les
coûts prévisionnels
.
Les coûts d'ingénierie des constructeurs, estimés à
750 millions de francs pour la phase de développement du projet,
sont partagés à égalité entre les partenaires
français et allemands, la part française étant
partagée entre EDF et Framatome dans un rapport 2/3-1/3. En France, la
recherche et développement est effectuée principalement par le
CEA, dans le cadre d'accords de collaboration tripartite avec les partenaires
industriels EDF et Framatome.
En Allemagne, elle est principalement effectuée par le Centre de
recherche de Karlsruhe (FZK) en collaboration avec les partenaires industriels
Siemens et les électriciens allemands et par divers laboratoires
universitaires et industriels dans le cadre d'un groupement de recherche AGIK
(Arbeits-Gruppe-Innovative-Kerntechnik).
Un accord de coopération entre le CEA et FZK permet d'harmoniser les
actions de recherche et développement dans les deux pays.
Par ailleurs, il existe de nombreuses coopérations internationales aux
niveaux européen et mondial, principalement dans le domaine de la
sûreté.
Le coût de la phase d'optimisation est estimé à
344 millions de francs, également partagés à
égalité entre les partenaires allemands et français avec
la même répartition que dans la phase précédente
entre EDF (2/3) et Framatome (1/3) pour la part française.
Récemment,
des tensions
ont quelque peu troublé la
sérénité de la coopération franco-allemande
concernant le projet de réacteur EPR. Elles ont conduit certains
à s'inquiéter de la pérennité de celle-ci.
Après les préoccupations manifestées par Siemens à
l'occasion du projet de fusion entre Framatome et Gec-Alsthom
évoqué un temps, c'est aujourd'hui l'alliance de Siemens avec le
britannique BNFL -à l'automne prochain- qui suscite des interrogations
en France. BNFL est, en effet, concurrent des Français dans la
fourniture des combustibles et des services de retraitement.
Siemens assure vouloir poursuivre la coopération et s'estime convaincu
que son rapprochement avec BNFL ne risque en aucune manière de nous
pénaliser sur l'EPR. Il n'en reste pas moins que si Siemens et Framatome
font alliance en Turquie et en Europe de l'Est, ils restent concurrents sur le
plus grand marché potentiel : la Chine.
b) Un premier impératif : l'EPR doit être la " Rolls " de la sûreté
Le
projet EPR est qualifié d'" évolutionnaire ", en ce
sens qu'il s'inscrit dans la continuité des réacteurs N4
français et Konvoi allemand, dont il retient les meilleures options.
Au-delà et pour la première fois, il intègre des objectifs
de radio-protection et des hypothèses d'accidents graves dès la
conception du réacteur, impliquant la fusion du coeur.
D'une façon générale,
les exigences en termes de
sûreté sont très élevées
. Il s'agit de
répondre à une double préoccupation :
- d'une part, réduire encore les risques d'incidents ou d'accidents
en améliorant la fiabilité des systèmes et
matériels ;
- d'autre part, favoriser la sûreté en exploitation en
facilitant les opérations d'exploitation courante, conduite et
entretien, et en rendant encore plus performants les moyens et la
facilité de diagnostic en situations incidentelles ou accidentelles.
Rappelons que les autorités de sûreté françaises
devront approuver le concept de l'EPR, la DSIN devant notamment élaborer
un " rapport préliminaire de sûreté ", avant que
le Gouvernement puisse prendre un éventuel décret d'autorisation
de création d'une centrale de ce type.
c) Un second impératif : la " surcompétitivité " économique
La
compétitivité constitue le second impératif majeur du
futur réacteur EPR, et pourra être obtenue grâce à
une amélioration à la fois des performances et de la
disponibilité.
Au stade actuel des recherches, on peut se féliciter des
résultats prometteurs obtenus en ce qui concerne le coût du
kilowatt/heure (kWh) attendu des futures centrales nucléaires
intégrant un îlot nucléaire de conception EPR. Les
études montrent que l'utilisation judicieuse du retour
d'expérience des tranches existantes, la confrontation des
expériences allemandes et françaises et l'intégration
dès la conception de l'objectif d'optimisation économique
globale, devraient permettre d'obtenir une réduction significative du
coût du kWh, y compris en acceptant certains coûts d'investissement
supplémentaires liés à la poursuite de
l'amélioration de la sûreté.
Il faut avoir conscience qu'eu égard au surcoût
d'investissement d'une centrale nucléaire par rapport à des
centrales classiques concurrentes (au charbon et au gaz), le choix -tant en
France qu'à l'étranger- du nucléaire ne pourra se
justifier que si le kilowatt/heure nucléaire s'avère
surcompétitif par rapport aux autres technologies.
D'après nombre de personnes auditionnées par la commission
d'enquête, on peut penser que tel sera le cas.
A cet égard, les électriciens français et allemands
estiment que le projet comporte encore des marges significatives
d'amélioration de sa compétitivité économique, qui
pourraient être dégagées lors de sa phase d'optimisation.
A l'heure actuelle, on évalue à seulement 17 centimes le
coût de production du kilowatt/heure qui serait produit par la
technologie de l'EPR et ses concepteurs s'emploient à abaisser encore ce
seuil
61(
*
)
.
Dans ces conditions, il reste à éclaircir les conditions dans
lesquelles pourra être mis en service le réacteur EPR.
d) Le problème du calendrier de mise en oeuvre du réacteur EPR
Si le
réacteur EPR satisfait aux exigences en termes de sûreté et
de compétitivité, dans quelles conditions pourra-t-il, s'il
recueille également l'acceptation du public, être mis en service ?
A cet égard, il semble que deux calendriers puissent être
envisagés :
L'hypothèse " au plus tôt "
: avec le lancement
d'une première réalisation dans le prolongement de la phase
d'optimisation du projet. Selon le CEA, ceci impliquerait qu'une
décision soit prise vers 2000, conduisant à un début de
construction vers 2002, pour un démarrage à l'horizon 2008. La
DSIN, dans cette hypothèse, envisagerait plutôt une mise en
service en 2009
62(
*
)
.
Cette première réalisation, qui jouerait le rôle d'un
démonstrateur a la faveur de Framatome, dans la mesure où elle
permettrait de valider la conception du réacteur, d'établir la
compétitivité future du palier et d'assurer le retour
d'expérience. Elle permettrait également plus facilement au
constructeur d'entretenir son savoir-faire.
En outre, elle faciliterait les exportations de centrales fonctionnant avec un
réacteur EPR à l'étranger. Enfin, cette hypothèse
est considérée par le CEA comme étant celle qui
permettrait le mieux de maintenir l'option nucléaire ouverte à
l'horizon 2010.
Un tel calendrier ne pourrait cependant se heurter à la situation du
nucléaire dans les deux pays concepteurs : forte opposition à
l'heure actuelle de l'opinion publique et volonté de diversification
énergétique en Allemagne ; relative jeunesse du parc
nucléaire et surcapacité de production
d'électricité en France
63(
*
)
.
La construction d'une pré-série pose également le
problème du financement. En effet, on ne bénéficierait pas
dans ce cas de l'effet d'économies d'échelle permis par le
lancement d'une série.
L'hypothèse " au plus tard "
entraînerait le
lancement de la première réalisation directement dans le cadre
d'un palier, dans l'objectif de remplacer les réacteurs du palier
900 MW qui seront arrêtés à partir de 2017, dans
l'hypothèse actuellement envisagée d'une durée de vie de
quarante ans.
Dans ces conditions, le choix du calendrier de lancement d'une centrale
fonctionnant avec le réacteur EPR apparaît à certains
prématuré.
Il convient, en tout état de cause,
d'attendre l'agrément du projet EPR par l'autorité de tutelle
(qui devrait se prononcer, en principe, fin 1999). Dans le respect des
prescriptions de ce dernier,
il conviendra cependant de prendre position
assez rapidement, les facteurs de nature à conditionner l'arbitrage
étant les suivants
:
- conditions de sûreté, de compétitivité et
d'impact sur l'environnement d'une telle centrale ;
-
durée de vie des centrales actuelles
, qui dépend
à la fois de leur degré d'usure, de leur niveau global de
sûreté, de leur compétitivité
économique
64(
*
)
et de la
décision politique de fermeture ;
- conditions du maintien de l'outil industriel et des savoir-faire des
constructeurs ;
- nécessité d'exporter cette technologie, ce qui pourrait
être rendu plus difficile en l'absence d'une sorte de
" vitrine " européenne.
C'est pourquoi votre commission d'enquête se prononce en faveur de la
première hypothèse, c'est-à-dire du lancement au plus
tôt d'un réacteur EPR, et estime que la France pourrait proposer
un site pour l'accueillir celui-ci.
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques vient d'ailleurs de se prononcer, par la voix de notre
collègue député Claude Birraux, pour le lancement d'un
réacteur de ce type, dès 2003,
"
sinon, le tissu
scientifique et industriel se délitera, et le coût
nécessaire à la reconstitution des compétences serait
prohibitif
.