A. LE CONTEXTE DANS LEQUEL INTERVIENT L'ACCORD DU 20 OCTOBRE 1997
Le cadre dans lequel s'inscrit l'accord franco-tunisien sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements est déterminé par une économie tunisienne au bilan globalement positif, et par des échanges bilatéraux dynamiques. Tant l'économie tunisienne que les relations économiques entre la France et la Tunisie doivent néanmoins relever le défi que constitue l'accord d'association conclu en juillet 1995 entre la Tunisie et l'Europe.
1. Un bilan économique globalement favorable
L'économie tunisienne présente un bilan positif : la Tunisie bénéficie du premier revenu par habitant des pays du Maghreb (environ 2 000 dollars en 1996). Ce petit pays (163 610 km² et 8,9 millions d'habitants) a atteint la plupart des objectifs du plan d'ajustement structurel mis en oeuvre, de 1987 à 1995, sous l'égide du FMI. Les quelques vulnérabilités que présente le bilan économique de la Tunisie, ainsi que l'ouverture à l'Europe, imposent la poursuite des réformes économiques déjà engagées.
a) Une situation économique relativement saine, en dépit de certaines vulnérabilités
. L'économie tunisienne connaît une
croissance
favorable :
la croissance en volume, sur la période 1987-1997, s'est
élevée à plus de 4 % en moyenne annuelle.
Le taux
de croissance du PIB est ainsi passé de 3,5 % en 1995 à 6,9 % en
1996, puis à 5,6 % en 1997, et serait de 5,4 % en 1998. Cette bonne
performance repose, pour l'essentiel, sur le développement du tourisme (
6 % du PIB) et de l'industrie de l'habillement et de la chaussure (6,4 % du
PIB).
. Une politique monétaire prudente permet de conserver une
inflation
mesurée :
la hausse des prix a été contenue à
3,7 % en 1996, et à 3,8 % en 1997. De manière
générale, les
grands équilibres internes
sont bien
contrôlés. Les dépenses de l'Etat restent stables (29 % du
PIB en 1995 et 1996), le
déficit budgétaire
ne
dépassant pas 3,9 % en 1997 (3 % prévus en 1998). La dette
extérieure ne constitue pas une difficulté majeure, car son
encours représente 49,6 % du PIB. La structure de la dette tunisienne
est considérée comme viable par les bailleurs de fonds.
. La croissance tunisienne s'appuie désormais essentiellement sur les
exportations.
De manière générale, les
échanges extérieurs représentent 70 % du PIB de la
Tunisie, ce qui atteste l'internationalisation croissante de son
économie. Les exportations tunisiennes ont augmenté de quelque 10
% entre 1994 et 1995, puis de 4 % entre 1995 et 1996, et ont progressé
de 14,4 % entre 1996 et 1997. L'évolution récente de la
structure des échanges reflète la modernisation de l'appareil
productif tunisien. En effet, la part des produits agricoles (huiles, vins,
agrumes, produits de la mer, dattes) et des matières premières
(phosphates, pétrole brut, plomb et fer), qui s'élevait en 1956
à 95 % des exportations, a sensiblement décru au profit de la
confection (50 % des exportations sont constituées par les ventes de
vêtements produits par l'industrie de la confection, et sur les 2 400
entreprises que compte ce secteur, 1 400 produisent exclusivement pour la
confection) et des produits de l'ingénierie électrique et
mécanique. Ces derniers représentent 13 % du total des
exportations, et concernent essentiellement les câbles électriques
et les composants pour l'automobile.
. La Tunisie est aujourd'hui confrontée à un
taux de
chômage
assez élevé, puisqu'il est estimé
à 17 % des actifs. Ce chiffre peut même être
considéré comme inférieur à la
réalité, car le sous-emploi touche tout particulièrement
la jeunesse : rappelons que 40 % de la population a moins de 18 ans, et que 60
% a moins de 25 ans. Les effets du chômage sont cependant
atténués par des structures sociales faisant une large part aux
solidarités familiales.
. Ce tableau globalement satisfaisant de l'économie tunisienne laisse
toutefois apparaître certaines
vulnérabilités.
- Ainsi la croissance tunisienne demeure-t-elle étroitement
dépendante d'une
agriculture encore soumise à l'aléa
climatique
et qui, de ce fait, peut enregistrer des variations de
productions importantes (notons que la mobilisation des ressources en eau est
une priorité de la Tunisie, qui dispose de 19 grands barrages, de
100 000 puits de surface et 2 000 forages). Les bonnes pluies de la
saison 1995-1996 (en 1996, l'agriculture a contribué au PIB à
hauteur de 14 %) ont permis de réduire les importations alimentaires,
alors que la sécheresse qui avait sévi pendant les deux
années précédentes avait compromis le niveau des
productions céréalières et la réalisation des
objectifs gouvernementaux. En 1997 en revanche, les achats de produits
agroalimentaires ont, en raison de l'insuffisance de la production
céréalière, progressé de 26 % par rapport à
1996. C'est pourquoi les objectifs définis par les autorités
tunisiennes dans le cadre du VIIIe plan visent, d'une part, la
sécurité alimentaire pour les produits de base et la
diversification des produits destinés à l'exportation.
- De manière générale, la dépendance de
l'économie tunisienne à l'égard des
exportations
(voir supra)
constitue un élément de fragilité
évident, compte tenu de la forte concurrence, notamment asiatique et
est-européenne, à laquelle sont désormais soumises les
exportations de produits textiles originaires de Tunisie sur le marché
européen, alors même que ces produits constituent la moitié
des exportations tunisiennes. Or la demande intérieure tunisienne
paraît insuffisamment développée à ce jour pour
prendre la relève de la consommation étrangère, et pour
asseoir la croissance tunisienne sur des bases moins incertaines. L'on observe
cependant une progression régulière du revenu par habitant (la
Tunisie se situe, à cet égard, au premier rang des pays du
Maghreb) qui pourrait peut-être, à l'avenir, atténuer cet
élément de dépendance de l'économie tunisienne.
- Le
déficit énergétique
est apparu en 1994 du fait
de la baisse continue de la production pétrolière, baisse que
l'entrée en service du gisement de gaz de Miskar, en juillet 1996, n'a
pas permis, à ce jour, de compenser. La consommation de produits
pétroliers dépasse désormais largement la production. La
production de la raffinerie de Bizerte (seule raffinerie tunisienne) est
insuffisante pour couvrir la consommation nationale. Si le solde
énergétique demeure légèrement positif
quantitativement, il est actuellement négatif en valeur. C'est pourquoi
les autorités tunisiennes insistent aujourd'hui sur les économies
d'énergie et sur la consommation de gaz naturel.
- La forte concentration des
investissements
dans le secteur des
services
(tourisme et commerce) s'explique par la
priorité
attachée par le gouvernement tunisien au secteur du tourisme.
Cette
priorité est liée au souci de compenser la baisse des revenus
pétroliers, et à la contribution essentielle des activités
touristiques à l'emploi. En effet, le secteur touristique occupe
directement 60 000 personnes, les emplois induits étant
estimés à 450 000. Le tourisme est également la
deuxième source de devises de la Tunisie, après le secteur de
l'habillement. L'objectif de 10 % de croissance annuelle fixé par le
gouvernement tunisien est régulièrement atteint, voire
dépassé.
La Tunisie possède à l'évidence un potentiel à
exploiter, qu'il s'agisse des régions touristiques du Sud, où la
capacité hôtelière paraît en plein
développement (on peut néanmoins se demander si, dans le sud, la
demande suit réellement l'augmentation de l'offre) ou du tourisme
sportif (golf, plongée, yachting, randonnées, chasse). On
constate également une augmentation très nette de la
fréquentation des clientèles canadienne, suisse, espagnole,
autrichienne et russe, ce qui atteste l'aptitude du secteur touristique
tunisien à se diversifier. Le déclin des recettes touristiques
pendant la guerre du Golfe a néanmoins rappelé la
sensibilité des activités du tourisme aux tensions politiques et
sociales (cette constatation n'est d'ailleurs pas réservée
à la Tunisie), illustrant le risque qui consisterait à miser de
manière excessive sur ce secteur. De même conviendrait-il de
s'interroger sur la relative modestie du taux d'occupation de
l'hôtellerie tunisienne, taux actuellement, en moyenne, de l'ordre de 50
%.
La réussite du secteur du tourisme doit donc probablement s'accompagner
d'un effort important en faveur du
secteur manufacturier.
Il importe, en
effet, de diversifier les productions industrielles de la Tunisie,
dominées par le textile et par le cuir : le
secteur du textile et de
l'habillement
emploie plus de 220 000 personnes (soit environ
50 % des emplois industriels) ; la forte concurrence asiatique et
est-européenne à laquelle il est soumis sur le marché
européen est un élément de vulnérabilité qui
plaide vraisemblablement pour une diversification du tissu industriel tunisien.
Les
industries mécaniques, électriques et
électroniques
comptent 700 entreprises qui emploient environ
40 000 personnes. Notons le relatif dynamisme de la production de
composants automobiles et du secteur électrique.
b) D'importantes réformes structurelles
Depuis 1987, la Tunisie est engagée dans une ambitieuse
politique de réformes économiques qui a concerné :
- la
libéralisation des prix
(la liberté des prix concerne
aujourd'hui 87 % des prix à la production et 80 % des prix à la
consommation). Rappelons que les prix des produits agricoles ont
été volontairement maintenus à des niveaux très bas
jusqu'au début des années 1980, afin de fournir à la
population urbaine des produits alimentaires bon marché ;
- la
libéralisation du commerce extérieur
(les
importations sont désormais libres, à l'exception d'une liste
limitée de produits) ;
- la
réforme du système bancaire et financier
(création d'une bourse des valeurs mobilières tunisienne,
d'un conseil du marché financier et d'un gestionnaire de titres : cette
réforme de la Bourse a fait l'objet d'une étroite
coopération avec la Société des bourses françaises
; décloisonnement de l'activité bancaire et mise en place d'un
marché des changes interbancaires, autorisant les banques à coter
les devises dans des fourchettes limitées) ;
- le désengagement de l'Etat, la
privatisation d'entreprises
publiques
du secteur concurrentiel, et la restructuration de celles qui
doivent rester sous tutelle de l'Etat (des contrats-programmes ont à cet
effet été mis en place). Par ailleurs, le code d'investissement
adopté en 1993 consacre la liberté d'investir dans les secteurs
de l'agriculture, de l'industrie et des services financiers (voir infra, 2-b).
c) L'accord d'association du 17 juillet 1995 et la nécessaire poursuite de l'effort de modernisation déjà engagé
. L'accord d'association du 17 juillet 1995 vise un
démantèlement progressif du tarif douanier applicable aux
produits industriels, et l'amélioration de l'accès des produits
agricoles tunisiens aux marchés européens.
Cet accord a fait
l'objet d'un rapport détaillé de votre commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées,
auquel votre rapporteur se permet de renvoyer
1(
*
)
.
Par rapport au précédent accord de coopération
signé en 1976 entre la Tunisie et la Communauté
européenne, l'accord d'association de 1995 présente deux
innovations : d'une part, la mise en place d'un dialogue politique et, d'autre
part, la création d'une
zone de libre-échange,
qui se
substituera au régime préférentiel non réciproque
institué, au profit de la Tunisie, par le précédent
accord. En effet, les préférences commerciales accordées
en vertu des accords de la première génération ne sont
plus conformes aux règles établies par l'Organisation mondiale du
commerce.
L'accord du 17 juillet 1995 prévoit un
délai de douze ans
en vue de la montée en puissance du libre-échange entre
l'Union européenne et la Tunisie. En ce qui concerne les
produits
industriels,
qui feront l'objet d'une libéralisation complète
à l'issue de cette période de transition de douze ans, l'accord
envisage une baisse plus ou moins rapide des droits de douane, en fonction de
la sensibilité des produits tunisiens à la concurrence
européenne. Dans cet esprit, des clauses de sauvegarde permettent
à la Tunisie de protéger des industries naissantes, ou des
secteurs confrontés à d'importantes difficultés. Quant aux
produits agricoles,
l'accord du 17 juillet 1995 vise une "plus grande
libéralisation des échanges" plutôt qu'un
libre-échange intégral. Ainsi le régime actuel de l'huile
d'olive est-il prorogé pendant quatre ans, tandis que des contingents
tarifaires sont prévus pour certains produits (fleurs coupées,
pommes de terre...). Une clause de rendez-vous est prévue pour l'an 2000
afin de faire le point.
Par ailleurs, l'accord d'association ne permet pas l'adoption de mesures
fiscales discriminatoires. Il exclut également la mise en oeuvre de
nouvelles réductions quantitatives aux importations, ainsi que la
possibilité de prendre des mesures de sauvegarde en cas de dumping ou
d'augmentation des importations susceptibles d'altérer
l'équilibre des marchés.
Rappelons enfin que l'accord du 17 juillet 1995 vise à
renforcer la
coopération sectorielle entre l'Union européenne et la Tunisie,
notamment en amorçant l'institutionnalisation du dialogue
euro-tunisien sous la forme d'un Conseil d'association. L'incidence du dialogue
politique que vise à instaurer l'accord de juillet 1995 autour du
respect des droits de l'homme et des principes démocratiques devrait
être très positive, de même que les coopérations
sectorielles (coopération dans les domaines politique, social et
culturel, coopération économique destinée à
renforcer la libéralisation et la modernisation de l'économie
tunisienne) envisagées par ledit accord. Mentionnons également la
priorité attachée par celui-ci à la sauvegarde de
l'environnement, domaine dans lequel la coopération entre l'Europe et la
Tunisie pourrait permettre de relever l'un des défis du
"développement durable".
.
L'incidence de l'accord d'association sur l'économie tunisienne
est encore, à ce jour, incertaine.
- Il est clair que l'ouverture de la Tunisie à la concurrence des
produits européens implique un
effort d'adaptation substantiel
:
il n'est pas exclu que, dans un premier temps, la confrontation de l'appareil
productif tunisien à la concurrence industrielle de l'Europe conduise
à la
disparition d'un tiers des entreprises du secteur manufacturier
-évolution que la mondialisation rend probablement
inéluctable.
- Dans l'immédiat,
l'augmentation inéluctable des importations
ne sera pas compensée par une augmentation proportionnelle des
exportations, d'où une dégradation probable de la
balance
commerciale
.
- Dans la même logique, la perte d'une part non négligeable des
droits et taxes à l'importation,
qui constituent près de
18 % des recettes fiscales tunisiennes, créera un manque à gagner
non négligeable pour le budget tunisien, ce qui pourrait contraindre le
gouvernement tunisien, dans un premier temps, à augmenter les
impôts et/ou à réduire certaines dépenses publiques.
L'indispensable mise à niveau de l'appareil productif
(ouverture
de la Tunisie aux nouvelles technologies, amélioration de la gestion des
entreprises, introduction des normes européennes) implique que des
moyens substantiels soient consacrés à la
coopération
sectorielle
encouragée par l'accord d'association, pour que la
Tunisie soit en mesure de relever dans les meilleures conditions le défi
de l'ouverture sur l'étranger.
Dans cette perspective, les
crédits
destinés à la
mise en oeuvre de la coopération entre la Tunisie et l'Union
européenne sont imputés sur l'enveloppe globale de 4,6 milliards
d'Ecus arrêtée lors du sommet européen de Cannes (juillet
1996) pour l'ensemble des partenaires méditerranéens de l'Union
européenne, et utilisée conformément au
règlement financier MEDA
. La Tunisie est l'un des pays ayant le
plus rapidement engagé les crédits MEDA : 258 millions d'Ecus lui
ont ainsi été consacrés en moins de deux ans, sur un
budget de 280 millions d'Ecus prévu pour la Tunisie sur la
période 1996-1998 (330 millions d'Ecus pour les années
1996-1999). La contribution financière de l'Union européenne se
concentre essentiellement sur :
- le
renforcement de l'équilibre social
(actions en faveur du
développement intégré des zones rurales et de
l'irrigation) ;
- l'
appui à la transition et aux réformes économiques
(encouragement des investissements, soutien au secteur privé et aux
infrastructures...).
A plus long terme, les perspectives offertes par l'accord d'association
paraissent globalement positives,
à condition toutefois que le
coût social de la transition ne soit pas trop lourd. Ainsi la
compétitivité des entreprises tunisiennes peut-elle
favoriser
les exportations
et
relancer la consommation intérieure
,
tandis que l'ouverture de l'économie et l'adoption, par la Tunisie, des
normes européennes, sont de nature à
encourager les
investissements étrangers
indispensables à la croissance
tunisienne, compte tenu de l'insuffisance des investissements productifs
nationaux.