Accord sur l'investissement entre la République française et la République tunisienne
M. Bertrand DELANOË, Sénateur
Rapport législatif 419 - 1997 / 1998 - Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées
Table des matières
- A. LE CONTEXTE DANS LEQUEL INTERVIENT L'ACCORD DU 20 OCTOBRE 1997
- B. COMMENTAIRE DE L'ACCORD SUR L'ENCOURAGEMENT ET LA PROTECTION RÉCIPROQUES DES INVESTISSEMENTS
- CONCLUSION DU RAPPORTEUR
- EXAMEN EN COMMISSION
- PROJET DE LOI
-
ANNEXE -
ETUDE D'IMPACT44 Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des parlementaires.
N° 419
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 6 mai 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, autorisant l'approbation de l' accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un échange de lettres),
Par M. Bertrand DELANOË,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM. Xavier
de Villepin,
président
; Yvon Bourges, Guy Penne, François
Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, Charles-Henri de
Cossé-Brissac,
vice-présidents
; Michel Alloncle, Jean-Luc
Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë,
secrétaires
; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre
Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette
Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier
Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert
Falco, Jean Faure, André Gaspard, Philippe de Gaulle, Daniel
Goulet
,
Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian
de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe
Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul
d'Ornano, Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait,
André Rouvière, André Vallet.
Voir le numéro
:
Sénat
:
348
(1997-1998).
Traités et conventions.
- Tunisie
.
Mesdames, Messieurs,
Le présent projet de loi tend à autoriser l'approbation de
l'accord sur l'encouragement et la protection réciproques des
investissements, signé à Paris, le 20 octobre 1997, à
l'occasion de la visite d'Etat du Président Ben Ali.
Cet accord s'ajoute aux quelque soixante-dix accords de même objet qui
lient la France à ses différents partenaires économiques,
et qui visent à assurer à nos investissements à
l'étranger un traitement juste et équitable, conforme aux
principes du droit international.
L'accord du 20 octobre 1997 s'appuie sur des clauses classiques -et
désormais bien connues de votre commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées-
très largement inspirées d'un modèle-type établi
dans le cadre de l'OCDE. Cet accord intervient dans un contexte qu'il importe
d'éclairer, qu'il s'agisse des conséquences, sur
l'économie tunisienne, de l'accord d'association conclu entre la Tunisie
et l'Union européenne le 17 juillet 1995, ou des perspectives
d'apurement de certains contentieux bilatéraux qui,
particulièrement sensibles, ont longtemps entravé la conclusion
du présent accord.
C'est pourquoi votre rapporteur fera précéder son analyse de
l'accord franco-tunisien du 20 octobre 1997, d'une part, d'un tableau de la
situation économique de la Tunisie, quelques jours après
l'entrée en vigueur de l'accord d'association, et, d'autre part, d'un
bilan des relations économiques bilatérales, qui souligne la
portée substantielle de l'accord sur l'encouragement et la protection
réciproques des investissements.
A. LE CONTEXTE DANS LEQUEL INTERVIENT L'ACCORD DU 20 OCTOBRE 1997
Le cadre dans lequel s'inscrit l'accord franco-tunisien sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements est déterminé par une économie tunisienne au bilan globalement positif, et par des échanges bilatéraux dynamiques. Tant l'économie tunisienne que les relations économiques entre la France et la Tunisie doivent néanmoins relever le défi que constitue l'accord d'association conclu en juillet 1995 entre la Tunisie et l'Europe.
1. Un bilan économique globalement favorable
L'économie tunisienne présente un bilan positif : la Tunisie bénéficie du premier revenu par habitant des pays du Maghreb (environ 2 000 dollars en 1996). Ce petit pays (163 610 km² et 8,9 millions d'habitants) a atteint la plupart des objectifs du plan d'ajustement structurel mis en oeuvre, de 1987 à 1995, sous l'égide du FMI. Les quelques vulnérabilités que présente le bilan économique de la Tunisie, ainsi que l'ouverture à l'Europe, imposent la poursuite des réformes économiques déjà engagées.
a) Une situation économique relativement saine, en dépit de certaines vulnérabilités
. L'économie tunisienne connaît une
croissance
favorable :
la croissance en volume, sur la période 1987-1997, s'est
élevée à plus de 4 % en moyenne annuelle.
Le taux
de croissance du PIB est ainsi passé de 3,5 % en 1995 à 6,9 % en
1996, puis à 5,6 % en 1997, et serait de 5,4 % en 1998. Cette bonne
performance repose, pour l'essentiel, sur le développement du tourisme (
6 % du PIB) et de l'industrie de l'habillement et de la chaussure (6,4 % du
PIB).
. Une politique monétaire prudente permet de conserver une
inflation
mesurée :
la hausse des prix a été contenue à
3,7 % en 1996, et à 3,8 % en 1997. De manière
générale, les
grands équilibres internes
sont bien
contrôlés. Les dépenses de l'Etat restent stables (29 % du
PIB en 1995 et 1996), le
déficit budgétaire
ne
dépassant pas 3,9 % en 1997 (3 % prévus en 1998). La dette
extérieure ne constitue pas une difficulté majeure, car son
encours représente 49,6 % du PIB. La structure de la dette tunisienne
est considérée comme viable par les bailleurs de fonds.
. La croissance tunisienne s'appuie désormais essentiellement sur les
exportations.
De manière générale, les
échanges extérieurs représentent 70 % du PIB de la
Tunisie, ce qui atteste l'internationalisation croissante de son
économie. Les exportations tunisiennes ont augmenté de quelque 10
% entre 1994 et 1995, puis de 4 % entre 1995 et 1996, et ont progressé
de 14,4 % entre 1996 et 1997. L'évolution récente de la
structure des échanges reflète la modernisation de l'appareil
productif tunisien. En effet, la part des produits agricoles (huiles, vins,
agrumes, produits de la mer, dattes) et des matières premières
(phosphates, pétrole brut, plomb et fer), qui s'élevait en 1956
à 95 % des exportations, a sensiblement décru au profit de la
confection (50 % des exportations sont constituées par les ventes de
vêtements produits par l'industrie de la confection, et sur les 2 400
entreprises que compte ce secteur, 1 400 produisent exclusivement pour la
confection) et des produits de l'ingénierie électrique et
mécanique. Ces derniers représentent 13 % du total des
exportations, et concernent essentiellement les câbles électriques
et les composants pour l'automobile.
. La Tunisie est aujourd'hui confrontée à un
taux de
chômage
assez élevé, puisqu'il est estimé
à 17 % des actifs. Ce chiffre peut même être
considéré comme inférieur à la
réalité, car le sous-emploi touche tout particulièrement
la jeunesse : rappelons que 40 % de la population a moins de 18 ans, et que 60
% a moins de 25 ans. Les effets du chômage sont cependant
atténués par des structures sociales faisant une large part aux
solidarités familiales.
. Ce tableau globalement satisfaisant de l'économie tunisienne laisse
toutefois apparaître certaines
vulnérabilités.
- Ainsi la croissance tunisienne demeure-t-elle étroitement
dépendante d'une
agriculture encore soumise à l'aléa
climatique
et qui, de ce fait, peut enregistrer des variations de
productions importantes (notons que la mobilisation des ressources en eau est
une priorité de la Tunisie, qui dispose de 19 grands barrages, de
100 000 puits de surface et 2 000 forages). Les bonnes pluies de la
saison 1995-1996 (en 1996, l'agriculture a contribué au PIB à
hauteur de 14 %) ont permis de réduire les importations alimentaires,
alors que la sécheresse qui avait sévi pendant les deux
années précédentes avait compromis le niveau des
productions céréalières et la réalisation des
objectifs gouvernementaux. En 1997 en revanche, les achats de produits
agroalimentaires ont, en raison de l'insuffisance de la production
céréalière, progressé de 26 % par rapport à
1996. C'est pourquoi les objectifs définis par les autorités
tunisiennes dans le cadre du VIIIe plan visent, d'une part, la
sécurité alimentaire pour les produits de base et la
diversification des produits destinés à l'exportation.
- De manière générale, la dépendance de
l'économie tunisienne à l'égard des
exportations
(voir supra)
constitue un élément de fragilité
évident, compte tenu de la forte concurrence, notamment asiatique et
est-européenne, à laquelle sont désormais soumises les
exportations de produits textiles originaires de Tunisie sur le marché
européen, alors même que ces produits constituent la moitié
des exportations tunisiennes. Or la demande intérieure tunisienne
paraît insuffisamment développée à ce jour pour
prendre la relève de la consommation étrangère, et pour
asseoir la croissance tunisienne sur des bases moins incertaines. L'on observe
cependant une progression régulière du revenu par habitant (la
Tunisie se situe, à cet égard, au premier rang des pays du
Maghreb) qui pourrait peut-être, à l'avenir, atténuer cet
élément de dépendance de l'économie tunisienne.
- Le
déficit énergétique
est apparu en 1994 du fait
de la baisse continue de la production pétrolière, baisse que
l'entrée en service du gisement de gaz de Miskar, en juillet 1996, n'a
pas permis, à ce jour, de compenser. La consommation de produits
pétroliers dépasse désormais largement la production. La
production de la raffinerie de Bizerte (seule raffinerie tunisienne) est
insuffisante pour couvrir la consommation nationale. Si le solde
énergétique demeure légèrement positif
quantitativement, il est actuellement négatif en valeur. C'est pourquoi
les autorités tunisiennes insistent aujourd'hui sur les économies
d'énergie et sur la consommation de gaz naturel.
- La forte concentration des
investissements
dans le secteur des
services
(tourisme et commerce) s'explique par la
priorité
attachée par le gouvernement tunisien au secteur du tourisme.
Cette
priorité est liée au souci de compenser la baisse des revenus
pétroliers, et à la contribution essentielle des activités
touristiques à l'emploi. En effet, le secteur touristique occupe
directement 60 000 personnes, les emplois induits étant
estimés à 450 000. Le tourisme est également la
deuxième source de devises de la Tunisie, après le secteur de
l'habillement. L'objectif de 10 % de croissance annuelle fixé par le
gouvernement tunisien est régulièrement atteint, voire
dépassé.
La Tunisie possède à l'évidence un potentiel à
exploiter, qu'il s'agisse des régions touristiques du Sud, où la
capacité hôtelière paraît en plein
développement (on peut néanmoins se demander si, dans le sud, la
demande suit réellement l'augmentation de l'offre) ou du tourisme
sportif (golf, plongée, yachting, randonnées, chasse). On
constate également une augmentation très nette de la
fréquentation des clientèles canadienne, suisse, espagnole,
autrichienne et russe, ce qui atteste l'aptitude du secteur touristique
tunisien à se diversifier. Le déclin des recettes touristiques
pendant la guerre du Golfe a néanmoins rappelé la
sensibilité des activités du tourisme aux tensions politiques et
sociales (cette constatation n'est d'ailleurs pas réservée
à la Tunisie), illustrant le risque qui consisterait à miser de
manière excessive sur ce secteur. De même conviendrait-il de
s'interroger sur la relative modestie du taux d'occupation de
l'hôtellerie tunisienne, taux actuellement, en moyenne, de l'ordre de 50
%.
La réussite du secteur du tourisme doit donc probablement s'accompagner
d'un effort important en faveur du
secteur manufacturier.
Il importe, en
effet, de diversifier les productions industrielles de la Tunisie,
dominées par le textile et par le cuir : le
secteur du textile et de
l'habillement
emploie plus de 220 000 personnes (soit environ
50 % des emplois industriels) ; la forte concurrence asiatique et
est-européenne à laquelle il est soumis sur le marché
européen est un élément de vulnérabilité qui
plaide vraisemblablement pour une diversification du tissu industriel tunisien.
Les
industries mécaniques, électriques et
électroniques
comptent 700 entreprises qui emploient environ
40 000 personnes. Notons le relatif dynamisme de la production de
composants automobiles et du secteur électrique.
b) D'importantes réformes structurelles
Depuis 1987, la Tunisie est engagée dans une ambitieuse
politique de réformes économiques qui a concerné :
- la
libéralisation des prix
(la liberté des prix concerne
aujourd'hui 87 % des prix à la production et 80 % des prix à la
consommation). Rappelons que les prix des produits agricoles ont
été volontairement maintenus à des niveaux très bas
jusqu'au début des années 1980, afin de fournir à la
population urbaine des produits alimentaires bon marché ;
- la
libéralisation du commerce extérieur
(les
importations sont désormais libres, à l'exception d'une liste
limitée de produits) ;
- la
réforme du système bancaire et financier
(création d'une bourse des valeurs mobilières tunisienne,
d'un conseil du marché financier et d'un gestionnaire de titres : cette
réforme de la Bourse a fait l'objet d'une étroite
coopération avec la Société des bourses françaises
; décloisonnement de l'activité bancaire et mise en place d'un
marché des changes interbancaires, autorisant les banques à coter
les devises dans des fourchettes limitées) ;
- le désengagement de l'Etat, la
privatisation d'entreprises
publiques
du secteur concurrentiel, et la restructuration de celles qui
doivent rester sous tutelle de l'Etat (des contrats-programmes ont à cet
effet été mis en place). Par ailleurs, le code d'investissement
adopté en 1993 consacre la liberté d'investir dans les secteurs
de l'agriculture, de l'industrie et des services financiers (voir infra, 2-b).
c) L'accord d'association du 17 juillet 1995 et la nécessaire poursuite de l'effort de modernisation déjà engagé
. L'accord d'association du 17 juillet 1995 vise un
démantèlement progressif du tarif douanier applicable aux
produits industriels, et l'amélioration de l'accès des produits
agricoles tunisiens aux marchés européens.
Cet accord a fait
l'objet d'un rapport détaillé de votre commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées,
auquel votre rapporteur se permet de renvoyer
1(
*
)
.
Par rapport au précédent accord de coopération
signé en 1976 entre la Tunisie et la Communauté
européenne, l'accord d'association de 1995 présente deux
innovations : d'une part, la mise en place d'un dialogue politique et, d'autre
part, la création d'une
zone de libre-échange,
qui se
substituera au régime préférentiel non réciproque
institué, au profit de la Tunisie, par le précédent
accord. En effet, les préférences commerciales accordées
en vertu des accords de la première génération ne sont
plus conformes aux règles établies par l'Organisation mondiale du
commerce.
L'accord du 17 juillet 1995 prévoit un
délai de douze ans
en vue de la montée en puissance du libre-échange entre
l'Union européenne et la Tunisie. En ce qui concerne les
produits
industriels,
qui feront l'objet d'une libéralisation complète
à l'issue de cette période de transition de douze ans, l'accord
envisage une baisse plus ou moins rapide des droits de douane, en fonction de
la sensibilité des produits tunisiens à la concurrence
européenne. Dans cet esprit, des clauses de sauvegarde permettent
à la Tunisie de protéger des industries naissantes, ou des
secteurs confrontés à d'importantes difficultés. Quant aux
produits agricoles,
l'accord du 17 juillet 1995 vise une "plus grande
libéralisation des échanges" plutôt qu'un
libre-échange intégral. Ainsi le régime actuel de l'huile
d'olive est-il prorogé pendant quatre ans, tandis que des contingents
tarifaires sont prévus pour certains produits (fleurs coupées,
pommes de terre...). Une clause de rendez-vous est prévue pour l'an 2000
afin de faire le point.
Par ailleurs, l'accord d'association ne permet pas l'adoption de mesures
fiscales discriminatoires. Il exclut également la mise en oeuvre de
nouvelles réductions quantitatives aux importations, ainsi que la
possibilité de prendre des mesures de sauvegarde en cas de dumping ou
d'augmentation des importations susceptibles d'altérer
l'équilibre des marchés.
Rappelons enfin que l'accord du 17 juillet 1995 vise à
renforcer la
coopération sectorielle entre l'Union européenne et la Tunisie,
notamment en amorçant l'institutionnalisation du dialogue
euro-tunisien sous la forme d'un Conseil d'association. L'incidence du dialogue
politique que vise à instaurer l'accord de juillet 1995 autour du
respect des droits de l'homme et des principes démocratiques devrait
être très positive, de même que les coopérations
sectorielles (coopération dans les domaines politique, social et
culturel, coopération économique destinée à
renforcer la libéralisation et la modernisation de l'économie
tunisienne) envisagées par ledit accord. Mentionnons également la
priorité attachée par celui-ci à la sauvegarde de
l'environnement, domaine dans lequel la coopération entre l'Europe et la
Tunisie pourrait permettre de relever l'un des défis du
"développement durable".
.
L'incidence de l'accord d'association sur l'économie tunisienne
est encore, à ce jour, incertaine.
- Il est clair que l'ouverture de la Tunisie à la concurrence des
produits européens implique un
effort d'adaptation substantiel
:
il n'est pas exclu que, dans un premier temps, la confrontation de l'appareil
productif tunisien à la concurrence industrielle de l'Europe conduise
à la
disparition d'un tiers des entreprises du secteur manufacturier
-évolution que la mondialisation rend probablement
inéluctable.
- Dans l'immédiat,
l'augmentation inéluctable des importations
ne sera pas compensée par une augmentation proportionnelle des
exportations, d'où une dégradation probable de la
balance
commerciale
.
- Dans la même logique, la perte d'une part non négligeable des
droits et taxes à l'importation,
qui constituent près de
18 % des recettes fiscales tunisiennes, créera un manque à gagner
non négligeable pour le budget tunisien, ce qui pourrait contraindre le
gouvernement tunisien, dans un premier temps, à augmenter les
impôts et/ou à réduire certaines dépenses publiques.
L'indispensable mise à niveau de l'appareil productif
(ouverture
de la Tunisie aux nouvelles technologies, amélioration de la gestion des
entreprises, introduction des normes européennes) implique que des
moyens substantiels soient consacrés à la
coopération
sectorielle
encouragée par l'accord d'association, pour que la
Tunisie soit en mesure de relever dans les meilleures conditions le défi
de l'ouverture sur l'étranger.
Dans cette perspective, les
crédits
destinés à la
mise en oeuvre de la coopération entre la Tunisie et l'Union
européenne sont imputés sur l'enveloppe globale de 4,6 milliards
d'Ecus arrêtée lors du sommet européen de Cannes (juillet
1996) pour l'ensemble des partenaires méditerranéens de l'Union
européenne, et utilisée conformément au
règlement financier MEDA
. La Tunisie est l'un des pays ayant le
plus rapidement engagé les crédits MEDA : 258 millions d'Ecus lui
ont ainsi été consacrés en moins de deux ans, sur un
budget de 280 millions d'Ecus prévu pour la Tunisie sur la
période 1996-1998 (330 millions d'Ecus pour les années
1996-1999). La contribution financière de l'Union européenne se
concentre essentiellement sur :
- le
renforcement de l'équilibre social
(actions en faveur du
développement intégré des zones rurales et de
l'irrigation) ;
- l'
appui à la transition et aux réformes économiques
(encouragement des investissements, soutien au secteur privé et aux
infrastructures...).
A plus long terme, les perspectives offertes par l'accord d'association
paraissent globalement positives,
à condition toutefois que le
coût social de la transition ne soit pas trop lourd. Ainsi la
compétitivité des entreprises tunisiennes peut-elle
favoriser
les exportations
et
relancer la consommation intérieure
,
tandis que l'ouverture de l'économie et l'adoption, par la Tunisie, des
normes européennes, sont de nature à
encourager les
investissements étrangers
indispensables à la croissance
tunisienne, compte tenu de l'insuffisance des investissements productifs
nationaux.
2. Des échanges bilatéraux privilégiés, confortés par les perspectives d'apurement de contentieux sensibles
La France et la Tunisie sont liées par des relations
privilégiées, confortées par des visites de haut niveau
organisées à un rythme régulier. Mentionnons les visites
récentes des ministres français de la Justice, de la
Défense, de l'Intérieur et des Affaires étrangères,
ainsi que les séjours, à un an d'intervalle, des
présidents de nos deux assemblées parlementaires. La France a
accueilli, dans la perspective de la visite d'Etat du président Ben Ali,
des visites régulières des ministres tunisiens des Affaires
étrangères, de la Coopération internationale et de
l'investissement extérieur, ainsi que du premier ministre,
M. Karoui.
La récente visite d'Etat du président Ben Ali, en octobre 1997,
ainsi que l'apurement de certains contentieux bilatéraux, ont
très opportunément contribué à relancer des
relations dont le rôle dans la poursuite du dialogue
euro-méditerranéen mérite d'être souligné.
a) Le dynamisme des relations économiques franco-tunisiennes
. En ce qui concerne le
commerce bilatéral,
la
France est, de loin, le premier partenaire de la Tunisie, avant l'Italie et
l'Allemagne, autres partenaires traditionnels de la Tunisie.
Premier client
de la Tunisie, la France achète 25,6 % des
exportations tunisiennes, (20,7 % pour l'Italie et 15,6 % pour l'Allemagne),
soit environ 7,7 milliards de francs. Cette prépondérance
s'explique par l'importance des investissements français en Tunisie, par
la proximité géographique et culturelle entre les deux pays, et
par un certain dynamisme des PME françaises en Tunisie (qu'il serait
cependant justifié de renforcer, en raison de l'intérêt que
présentent les partenariats privés entre entreprises
françaises et tunisiennes).
La France est aussi le
premier fournisseur
de la Tunisie, avec une part
de marché de quelque 24,1 % (18,5 % pour l'Italie, 12,5 % pour
l'Allemagne et 4,4 % pour les Etats-Unis). Notre pays enregistre une balance
commerciale positive, de l'ordre de 1,8 milliard de francs actuellement.
Le commerce franco-tunisien représente environ 25 % des échanges
entre la France et les pays de l'Union du Maghreb arabe (Maroc, Libye, Tunisie,
Algérie, Mauritanie).
Les importations françaises en provenance de Tunisie croissent à
un rythme annuel moyen de 7,3 %. Elles concernent principalement le secteur
textile (habillement, bonneterie), les appareils électriques, ainsi que
les produits de l'agriculture (huile d'olive, fruits) et de la pêche. La
part des produits énergétiques (pétrole brut) paraît
désormais décroissante.
Les
exportations françaises vers la Tunisie
sont dominées
par les produits destinés à l'industrie textile tunisienne, les
biens d'équipement professionnels, les produits mécaniques et
électriques, les véhicules et les produits pharmaceutiques.
Rappelons que les principaux partenaires commerciaux de la Tunisie sont, outre
la France, l'Italie, l'Allemagne, la Belgique et l'Espagne.
La France est également particulièrement active dans le domaine
des
services
. Ainsi les plus importantes filiales
étrangères implantées en Tunisie dans le secteur de la
banque et des assurances sont-elles françaises. La constatation est la
même en ce qui concerne les transports, les bureaux d'étude et les
services médicaux privés. Les entreprises françaises sont
également très présentes dans le secteur du tourisme. Les
Français sont, à cet égard, le deuxième contingent
de touristes (540 000 en 1996) après les Allemands (810 000).
. La France est le
premier bailleur de fonds bilatéraux de la Tunisie
(115 millions de dinars, soit environ 700 millions de francs). Notons en
outre que la France contribue au programme européen MEDA à
hauteur de 20 % environ.
C'est avec la Tunisie que la France utilise la plus large palette d'instruments
de coopération financière, depuis l'aide-projet jusqu'aux lignes
de partenariat, sans omettre les interventions de la Caisse française de
développement. Depuis la fin des années 1980, les crédits
publics bilatéraux se sont élevés à une moyenne de
733 millions de francs par an.
- L'aide-projet
vise à financer les grands projets
d'infrastructures publiques. Un nouveau protocole de 150 millions de
francs a été signé en novembre 1996.
- Les
interventions de la CFD
, présente en Tunisie depuis 1992,
s'effectuent sous forme de prêts à conditions ordinaires,
destinés essentiellement à l'aménagement du territoire, au
développement intégré et, de manière plus
originale, à la formation professionnelle. Ces prêts comportent un
élément-don d'environ 35 %.
-
L'
aide au partenariat et au développement du secteur
privé
vise le développement des entreprises.
Le
protocole de partenariat
est constitué de lignes de
crédit alimentées par prêts du Trésor, et
chargé de financer des entreprises en partenariat franco-tunisien.
Depuis leur création, en 1990, ces aides ont permis de créer
3 500 emplois, et de financer une centaine de projets pour un montant de
385 millions de francs, le total des investissements effectués dans ce
cadre s'élevant à 1 400 millions de francs. Ce protocole a
été renouvelé en 1995 pour 50 millions de francs.
Le
protocole PME-PMI
, signé en décembre 1995, vise
à financer des investissements réalisés par des
entreprises tunisiennes dans le cadre de programmes de mise à niveau. Ce
dispositif permet de rétrocéder à l'entreprise qui
investit une part de l'élément-don du prêt accordé.
Ce protocole de 155 millions de francs, pratiquement entièrement
utilisé à l'été 1997, devrait être
prochainement renouvelé.
. La
coopération culturelle, scientifique et technique
franco-tunisienne est aujourd'hui caractérisée par une
certaine érosion des crédits d'intervention (- 37 % en cinq ans).
Ceux-ci ont représenté 104 millions de francs en 1997, ce qui
fait de la Tunisie, malgré le caractère relativement modeste de
cette enveloppe, le premier bénéficiaire au monde par habitant
des moyens consacrés par la France à la coopération
internationale.
La coopération franco-tunisienne concerne principalement le domaine de
l'éducation
: 300 enseignants, 22 coopérants, 300
boursiers tunisiens d'études postdoctorales, 1 558 bourses de stage, 476
séjours linguistiques de haut niveau, 1 600 missions de formateurs en
Tunisie, formation en France de 6 000 étudiants tunisiens, scolarisation
en Tunisie de 2 641 élèves tunisiens dans deux lycées
français (Tunis et La Marsa) et deux collèges. Depuis deux ans
ont été réglés deux contentieux intéressant
la coopération culturelle franco-tunisienne. Les conditions de
l'utilisation du réseau de diffusion de France 2 par la chaîne
tunisienne pour la jeunesse ont ainsi été précisées
par échange de lettres, tandis qu'une partie de l'ancien lycée
Carnot de Tunis a été rétrocédée à la
France pour abriter le futur Espace culturel français. Notons, par
ailleurs, la réalisation de grandes opérations de prestige dans
le cadre de la coopération culturelle franco-tunisienne :
Planétarium de la Cité des sciences, salles du Musée de
Carthage consacrées à cent ans de fouilles françaises,
Institut national des sciences appliquées et de technologies
(inauguré par le président Ben Ali en présence du ministre
français de l'Education nationale, en novembre 1996).
La coopération française, scientifique et technique, fait l'objet
d'une demande importante en Tunisie, ce dont on ne peut que se
féliciter. Cette demande nous impose cependant des devoirs particuliers,
qu'il importe d'honorer.
L'ouverture de la Tunisie sur l'Union européenne et l'apport des
financements européens imposent désormais un
recentrage de
l'action de la France,
en synergie avec les interventions
européennes, afin d'améliorer l'efficacité du dispositif
de coopération franco-tunisienne. Dans cette perspective est
actuellement entreprise une révision de la convention franco-tunisienne
de coopération culturelle, scientifique et technique du 29 mai 1985,
actuellement en vigueur. C'est dans ce même esprit que s'inscrit
l'
accord-cadre de partenariat
signé à l'occasion de la
visite d'Etat du président Ben Ali,
et qui vise,
en
complément de l'aide attribuée par le biais du programme
MEDA
, à appuyer les réformes économiques et les
programmes de mise à niveau lancés par le gouvernement tunisien :
aménagement des zones industrielles, appui à la modernisation des
infrastructures, au développement des entreprises, et à la
formation professionnelle.
La coopération franco-tunisienne doit donc aujourd'hui se donner les
moyens de relever le
défi que représente l'ouverture de la
Tunisie, par le biais de l'accord d'association avec l'Union européenne,
à d'autres partenaires privilégiés que la France.
C'est donc à un nouveau dynamisme de la coopération
franco-tunisienne que nous invite l'accord d'association euro-tunisien.
b) L'importance des investissements français en Tunisie
La France est, traditionnellement, le premier investisseur
étranger en Tunisie, avec 30,6 % de parts d'investissement. Le stock de
capital est de l'ordre de 3,2 milliards de francs. On compte environ 400
filiales d'entreprises françaises en Tunisie.
. Les investissements étrangers sont appelés à jouer
un
rôle déterminant dans le développement de la Tunisie et la
restructuration de ses entreprises,
compte tenu de
l'insuffisance de
l'investissement national privé
. Le gouvernement tunisien s'est donc
attaché à définir
un régime favorable aux
investissements étrangers.
Cette politique est passée par la
décision relative à la convertibilité du dinar pour les
transactions courantes, par la création d'un marché des changes,
par l'élaboration d'une législation adaptée, et par la
mise en place de deux zones franches.
- Le
code d'incitation aux investissements
(loi du 21 décembre
1993) a permis de simplifier les procédures d'investissements et de
garantir la liberté d'investir. Il autorise les étrangers
à détenir jusqu'à 100 % du capital des projets ; cette
disposition ne concerne pas les terres agricoles, ni les activités de
services non totalement exportatrices. Le code des investissements
prévoit également des avantages communs à toutes les
activités : dégrèvement de 35 % sur les
bénéfices investis, suspension de la TVA sur les acquisitions
d'équipements, droits de douane limités à 10 % sur les
équipements importés n'ayant pas d'équivalents
fabriqués en Tunisie, et possibilité d'option pour un
régime d'amortissement dégressif.
- Les
zones franches
de Bizerte et de Zarzis bénéficient
de l'exonération fiscale, de la suspension des droits de douane pour les
importations d'effets personnels des personnels étrangers, et de la
garantie de transfert sur les produits réels nets de la cession ou de la
liquidation. Notons qu'une loi de 1987 fait bénéficier les
entreprises exportatrices de l'exonération totale de l'impôt sur
les bénéfices, et d'un régime forfaitaire de contribution
fiscale du personnel étranger, fixé à 20 % de la
rémunération brute.
. Les
investissements étrangers
restent très
concentrés dans le secteur de
l'énergie
(près de 90
% de l'ensemble) et, dans une moindre mesure, dans le domaine du
tourisme
. La participation étrangère dans l'industrie
manufacturière et dans le secteur bancaire est, en revanche, moins
importante.
Les investissements européens (français, allemands, italiens,
belges) représentent quelque 60 % du total des investissements
étrangers. La présence américaine (17 % du total) est
forte surtout dans le secteur pétrolier. Les investissements des pays
arabes sont relativement importants dans les secteurs de la banque et du
tourisme.
.
Les
investissements français
concernent, de longue date,
les
grandes entreprises
, dans les secteurs de la banque (BNP, CIC,
Société Générale), de l'assurance (GAN, AGF,
Mutuelles du Mans), les hydrocarbures (Elf, Total), de la construction (Dumez,
Bonna), et de l'industrie (Air Liquide, Valeo). Les récentes
implantations françaises concernent Bouygues (réalisation d'un
parc technologique), Roussel-Uclaf et UPSA (secteur pharmaceutique), la
Lyonnaise des eaux, présente en Tunisie depuis 1935, Elf et Total, qui
continuent de développer leurs activités dans le domaine des
hydrocarbures, Air Liquide (production d'oxygène et d'azote) et, dans le
secteur touristique, les groupes ACCOR et FRAM. Il convient de souligner le
dynamisme des entreprises françaises présentes en Tunisie dans le
domaine du
tourisme
: les Français sont le deuxième
contingent de touristes en Tunisie (540 000 en 1996) après les
Allemands (810 000).
De nombreux projets sont actuellement en cours, parmi lesquels :
- CEGELEC : centrale électrique à Sousse (260 millions de francs)
et montage de postes à haute tension (90 millions de francs) ;
- Airbus industrie : renouvellement d'une partie de la flotte de Tunis Air ;
- Thomcast : installation d'un réseau en ondes courtes (54 millions de
francs).
Notons que l'implantation de
PME françaises est un
phénomène plus récent.
Les PME françaises sont
relativement nombreuses aujourd'hui à
délocaliser leurs
activités de production
(chaussure, habillement, pièces
automobiles) en Tunisie.
De l'avis des observateurs, la Tunisie offre des perspectives favorables aux
entreprises françaises. La
proximité culturelle et
géographique
constitue un atout évident, qui compense la
relative exiguïté du marché intérieur tunisien, mais
qui ne doit pas pour autant dispenser l'investisseur français de tout
effort pour mieux connaître les spécificités de la Tunisie.
De manière générale, les positions
privilégiées détenues par la France dans ce pays ne
doivent plus être considérées comme acquises, la Tunisie
étant aujourd'hui -et cela est encore plus vrai après
l'entrée en vigueur de l'accord d'association de juillet 1995- largement
ouverte à la concurrence internationale.
c) Une part substantielle des contentieux relatifs aux biens immobiliers en voie de règlement
Les contentieux relatifs aux biens immobiliers détenus
en Tunisie, pour la plupart avant l'indépendance, par des ressortissants
français, constituent un dossier très sensible dont le
règlement prochain exercera des conséquences favorables sur les
relations bilatérales.
Ces contentieux tiennent, d'une part, aux difficultés auxquelles sont
confrontés les Français qui, propriétaires de biens
immobiliers en Tunisie acquis avant l'indépendance, souhaiteraient
vendre ceux-ci et, d'autre part, au problème des nationalisations de
terres agricoles possédées par des ressortissants français.
- Les propriétaires français de biens immobiliers en Tunisie qui
souhaiteraient vendre ceux-ci sont soumis par la loi tunisienne à un
statut particulier. Destinée à l'origine à lutter contre
toute spéculation et tout transfert illégal de capitaux, la
procédure à laquelle est soumise la vente de ces biens est
longue
(trois à cinq années étant des délais
fréquemment observés)
et complexe
et a, de facto,
contribué à
empêcher les propriétaires
français de disposer librement de leurs biens.
Ces
difficultés tiennent, pour l'essentiel, à la
nécessité d'obtenir, avant la vente de tout bien immobilier, une
double
autorisation préalable
(des autorités centrales
comme des autorités locales), dont le refus n'est pas
systématiquement motivé. Ces diverses conditions ont
contribué à vulnérabiliser la situation des
propriétaires français désireux de vendre des biens dont
le rapport était, par ailleurs, souvent plus que médiocre (loyers
très bas, perçus de manière extrêmement
aléatoire).
Deux
accords bilatéraux, conclus en 1984 puis en 1989,
ont
organisé la
cession aux Tunisiens de ce patrimoine,
constitué alors d'environ 7 000 propriétés
détenues initialement par quelque 30 000 personnes (ce décalage
s'explique par le nombre de biens possédés en indivision). Un
tiers des propriétaires français a accepté de vendre
à l'Etat tunisien dans les conditions fixées par ces accords,
l'Agence d'indemnisation des Francais d'outre-mer se chargeant,
côté français, de l'ensemble des formalités
requises, l'Etat tunisien assurant pour sa part la revente des immeubles
concernés aux occupants tunisiens. Les prix de vente ont
été fixés, sur la base de l'accord de 1984, à des
niveaux estimés très faibles (de l'ordre de deux fois et demi les
prix constatés en 1956). Plusieurs années ont pu
s'écouler, de surcroît, avant que les propriétaires
perçoivent effectivement le produit de la vente, en raison des
limitations longtemps apportées par les autorités tunisiennes aux
sorties de devises.
Par ailleurs, un tiers des propriétaires français ne
s'étant pas fait connaître des autorités tunisiennes
après l'entrée en vigueur de l'accord de 1984, leurs biens ont
été transférés automatiquement, par le biais de
procédures d'offres publiques d'achat définies par l'accord de
1984, à l'Etat tunisien.
Le tiers restant des propriétaires français a refusé de
procéder à la vente dans les conditions prévues par
l'accord de 1984. Depuis que celui-ci est parvenu à
échéance, ces propriétaires revendiquent de
réaliser leur patrimoine dans les mêmes conditions que les
propriétaires tunisiens
, alors même que la procédure de
la double autorisation préalable, par ailleurs discriminatoire, les
empêche de procéder à la vente de leurs biens.
C'est précisément sur la
suppression de cette procédure
d'autorisation préalable
que s'appuie, depuis 1995-1996, la position
française sur ce dossier complexe et sensible. Les autorités
tunisiennes ont accédé à cette demande avant la visite
d'Etat du président Ben Ali, en octobre 1997, acceptant ainsi de mettre
fin à plusieurs décennies de pratiques contestées par les
propriétaires français. C'est désormais aux
propriétaires français de biens immobiliers en Tunisie de
parvenir à vendre leurs biens. L'ensemble de ce patrimoine
représente quelque 2 000 immeubles, évalués à ce
jour à 500 millions de francs environ. La situation actuelle, certes
toujours difficile, est rendue moins délicate par le fait que les
transferts de fonds ne sont plus bloqués, sous réserve de la
communication d'un dossier à la Banque centrale de Tunisie, et de la
délivrance d'un quitus fiscal attestant que le vendeur a acquitté
tous ses impôts.
Rappelons que les lacunes du dispositif mis en place à partir de
l'accord de 1984 avaient conduit le Sénat à rejeter le projet de
loi autorisant l'approbation de celui-ci
2(
*
)
.
- Reste un contentieux lié à la
nationalisation des terres
agricoles
. Une loi tunisienne de 1964 permet, en effet, de procéder
à
l'expropriation pure et simple, sans indemnisation, des
propriétaires de terres agricoles
. Or la détermination de la
nature agricole d'un bien dépend, selon la loi tunisienne, de la
situation de celui-ci non seulement au moment de la décision de
nationalisation, mais aussi en fonction de sa vocation à l'époque
où a été adoptée ladite loi. C'est ainsi que les
autorités tunisiennes ont nationalisé des terrains devenus
urbains.
Ce contentieux sur les terres agricoles ne paraît pas résolu
à ce jour, à la différence des difficultés
précédemment évoquées.
*
* *
Il est clair que le règlement des difficultés posées par la vente des biens immobiliers français en Tunisie conditionnait la signature de l'accord sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements. En effet, celui-ci invite les deux Parties à appliquer aux sociétés et nationaux de l'autre Partie un "traitement non moins favorable que celui accordé à ses nationaux ou sociétés", ce que ne permettait pas, par exemple, l'exigence de double autorisation de vente.
*
* *
B. COMMENTAIRE DE L'ACCORD SUR L'ENCOURAGEMENT ET LA PROTECTION RÉCIPROQUES DES INVESTISSEMENTS
De manière générale, l'accord franco-tunisien du 20 octobre 1997 se démarque peu des clauses contenues dans l'accord-type élaboré par l'OCDE, et dont s'inspirent les accords relatifs à la protection des investissements auxquels la France est Partie. En dépit de cette très large similitude, les stipulations du présent accord revêtent une signification particulière, qu'il s'agisse du champ d'application défini par cet accord ou des engagements souscrits par les Parties, en raison des contentieux auxquels elles contribuent à mettre un terme.
1. Un champ d'application défini de manière relativement souple
. Comme tous les accords de même objet, l'accord
franco-tunisien du 20 octobre 1997 présente une
définition non limitative des investissements concernés.
Selon l'article premier, le terme d'investissement renvoie donc notamment,
"mais non exclusivement", aux "avoirs tels que les biens, droits et
intérêts de toutes natures" : biens meubles et immeubles et tous
les autres droits réels (usufruits, hypothèques...), actions,
obligations, créances, droits d'auteurs, droits de
propriété industrielle (brevets d'invention, licences, marques
déposées...), et concessions.
Cette liste non limitative appelle trois remarques :
- d'une part, les
biens immobiliers
sont couverts par le présent
accord, qui contribue donc à l'apurement des contentieux
franco-tunisiens ci-dessus évoqués, et relatifs aux biens
immobiliers acquis par des Français avant l'indépendance ;
- d'autre part, l'article ler du présent accord ne porte que sur les
investissements effectués "conformément à la
législation de la partie contractante sur le territoire (...) de
laquelle" ils ont été réalisés. Cette stipulation,
par ailleurs classique, paraît confirmer l'impossibilité, pour les
investisseurs français, d'acquérir des
terres agricoles
,
car la loi tunisienne l'interdit. Cette clause ne semble pas non plus de nature
à résoudre le problème des Français
expropriés car leurs biens ont été qualifiés de
terres agricoles, même s'ils ne possédaient pas cette
caractéristique au moment de leur achat, car ces investissements sont
désormais contraires à la loi tunisienne, et n'entrent donc pas,
de ce fait, dans le champ d'application du présent accord.
- Enfin, le
champ d'application dans le temps
de l'accord du
20 octobre 1997 est précisé par l'échange de lettres
joint à cet accord, qui se réfère aux
investissements
réalisés à partir de l'entrée en vigueur du
présent accord
, "ainsi qu'aux investissements
existants
à cette même date". L'échange de lettres permet donc
implicitement d'étendre le champ d'application de l'accord du 20 octobre
1997 aux
investissements réalisés avant
l'indépendance
, ce que refusaient les autorités tunisiennes
jusqu'à une date très récente.
On remarque toutefois que cette référence aux investissements
existant effectivement au moment de l'entrée en vigueur de
l'accord
exclut du champ d'application de celui-ci les investissements
ayant, à ce jour, fait l'objet d'une expropriation.
. De manière classique, le
champ d'application géographique
de l'accord du 20 octobre 1997 s'étend à la zone
maritime des deux Parties, sur laquelle celles-ci exercent des droits
souverains.
. La
définition des investisseurs
retenue par le présent
accord comme par les accords de même objet conclus par la France
n'appelle pas de commentaire particulier : il s'agit des
nationaux
français et tunisiens
, c'est-à-dire de personnes physiques
possédant la nationalité de l'une des deux Parties, ou de
"sociétés", c'est-à-dire de
personnes morales
constituées sur le territoire de l'une des Parties conformément
à la législation de celui-ci, et y possédant leur
siège social, ou contrôlées par des nationaux de l'une des
Parties (ou par des personnes morales ayant leur siège social sur le
territoire de l'une des Parties).
2. Engagements souscrits par les Parties
a) Le "traitement juste et équitable" appliqué aux investisseurs de l'autre Partie
.
De manière générale, la France
et la Tunisie s'engagent à
admettre et à encourager les
investissements
effectués par des ressortissants
de l'autre
Partie (article 2), et à assurer à ces investissements un
"traitement juste et équitable, conforme aux principes du droit
international", en proscrivant toute entrave -de droit ou de fait-
à l'exercice de ce droit (article 3).
.
A cet effet, le pays accueillant des investissements de l'autre Partie
doit
appliquer aux investisseurs le même traitement qu'à ses
nationaux ou sociétés
(article 4) : cette stipulation met un
terme au statut particulier appliqué par la Tunisie jusqu'à une
date récente, aux propriétaires français de biens
immobiliers acquis avant l'indépendance (voir supra, A, 2-c).
.
De manière classique, les obligations définies par le
présent accord n'empêchent pas que certains investisseurs fassent
l'objet d'
engagements particuliers,
et, le cas échéant,
plus favorables
à l'investisseur que le régime
prévu par le présent accord (article 10).
.
Notons que l'obligation d'appliquer aux investisseurs de l'autre
Partie un "traitement non moins favorable que celui accordé à des
nationaux ou sociétés" ne s'étend pas aux
privilèges susceptibles d'être consentis à des
ressortissants d'Etats tiers par la France ou la Tunisie, dans le cadre
d'unions douanières
, de zones de libre-échange ou de toute
autre forme de
coopération économique régionale.
Cette précision renvoie à l'Union européenne.
L'échange de lettres joint au présent accord précise
qu'elle s'applique également à l'
Union du Maghreb arabe
,
créée en 1989 à Marrakech entre le Maroc,
l'Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie. Les ambitions
d'intégration et de coopération régionale affichées
par les fondateurs de l'UMA ne revêtent pas encore de contenu
précis. Le commerce avec les pays de la zone ne représente pas
plus de 5 % des échanges extérieurs de chacun des membres de
l'UMA, et le projet de banque maghrébine n'a pas encore vu le jour.
Cette relative défaite s'explique probablement par les tensions
bilatérales persistant entre les Etats membres. En décembre 1995,
le Maroc a demandé la suspension des activités de l'UMA pour
protester contre la position de l'Algérie, qualifiée
d'ingérence, sur la question du Sahara occidental.
Notons que, tout en étant favorable aux efforts d'intégration
régionale, la France privilégie une approche
méditerranéenne globale, essentiellement à travers le
partenariat euro-méditerranéen.
.
L'obligation relative au traitement juste et équitable qui doit
être appliqué aux investissements de l'autre Partie comprend
l'engagement de faire bénéficier ceux-ci d'une
"protection et
d'une sécurité pleines et entières".
Ainsi l'article 5 proscrit-il les
mesures d'expropriation ou de
nationalisation
, ainsi que toutes les mesures revenant à
déposséder les investisseurs de l'autre Partie. Cette stipulation
ne semble cependant pas condamner, en elles-mêmes, les mesures
adoptées par les autorités tunisiennes afin de nationaliser les
terres agricoles possédées par des propriétaires
français (voir supra, A, 2-b). En effet, l'article 5 autorise ce type de
décision à condition qu'elle ne soit pas discriminatoire, et,
surtout, qu'elle soit prise pour cause d'utilité publique.
Toutefois, l'article 5 impose, en cas de dépossession, le paiement d'une
"
indemnité prompte et adéquate
", dont le montant doit
correspondre à la valeur réelle des investissements
concernés à la veille du jour où ces mesures sont
prises ou connues du public"
. Cette clause constitue incontestablement une
véritable
garantie
pour les investisseurs français en
Tunisie, si l'on considère que les nationalisations de terres agricoles
n'ont, à ce jour, donné lieu à aucune indemnisation, et
que, surtout, ces indemnités sont soumises au principe du
libre
transfert
.
b) La liberté de transfert
Le présent accord consacre le principe de
liberté de transfert (article 6), prévu par tous les accords de
même objet négociés sur la base du texte-type de l'OCDE
précédemment mentionné.
Cette obligation concerne non seulement les intérêts, dividendes,
bénéfices et autres revenus courants, les redevances, les
remboursements d'emprunts, mais aussi le produit de la cession ou de la
liquidation d'un investissement, ainsi que les indemnités de
dépossession visées par l'article 5.
Cette stipulation représente un progrès évident par
rapport à ce que prévoyait la
convention franco-tunisienne du
9 août 1963
. En effet, ce texte subordonnait le libre transfert des
dividendes, intérêts et redevances à la situation des
réserves de change de la Tunisie. En cas de cessation d'exploitation, le
transfert du produit de la liquidation des biens à caractère
industriel et commercial était limité à une partie
"raisonnable" de ce produit. Le transfert de la totalité du produit de
la liquidation d'un investissement n'était possible que pour les
investissements postérieurs à l'indépendance.
Les difficultés suscitées par la question des
avoirs
bloqués
(essentiellement immobiliers) des ressortissants
français soulignent l'intérêt que représente le
présent accord. Rappelons, à cet égard, que le principe du
libre transfert des comptes et avoirs détenus en Tunisie par les
ressortissants français -personnes physiques et morales- avait, certes,
été posé par des accords bilatéraux de 1986, 1987
et 1989, mais que ce principe était alors assorti de procédures
complexes qui en limitaient la portée pratique.
c) Des procédures classiques de règlement des différends
L'accord du 20 octobre 1997 distingue, comme tous les accords
de même objet, les procédures de règlement des
différends opposant un investisseur à un Etat, des
procédures applicables aux litiges survenant entre les deux Etats
Parties.
.
L'article 8 invite les Parties à régler à
l'amiable les différends relatifs aux investissements opposant un
investisseur à l'autre Etat. Faute d'accord dans les six mois, ce litige
devrait être soumis à l'
arbitrage du CIRDI
(Centre
international pour le règlement des différends) qui, placé
sous l'égide de la Banque Mondiale, offre des moyens de conciliation
pour régler des désaccords d'ordre juridique en relation directe
avec un investissement. A ce jour, aucun jugement du CIRDI n'a
été rendu contre la France, et un seul investisseur
français a requis l'intervention du CIRDI, dans le cadre d'un
contentieux l'opposant à l'Argentine. L'article 7 n'empêche pas un
investisseur de s'adresser aux tribunaux internes, si cette formule lui semble
préférable.
.
l'article 11 concerne les litiges relatifs à
l'interprétation du présent accord,
susceptibles de
survenir entre la France et la Tunisie. Si la voie diplomatique ne permet pas
de parvenir à une solution dans un délai de six mois, le
différend est soumis à un
tribunal d'arbitrage
constitué de trois membres. En cas d'échec, l'article 10
prévoit l'intervention du secrétaire général des
Nations unies afin de procéder à de nouvelles désignations.
CONCLUSION DU RAPPORTEUR
Compte tenu du contentieux sensible qu'il contribuera à
apaiser, le présent accord a une portée plus importante que la
plupart des conventions relatives à l'encouragement et à la
protection réciproques des investissements. Son application devra faire
l'objet d'un suivi à la fois vigilant et optimiste.
Il convient donc de saluer l'adoption d'un texte qui, en améliorant la
situation de tous nos compatriotes présents sur le marché
tunisien ou possédant des biens dans ce pays ami, en confirmant la bonne
volonté de la Tunisie à l'égard de ses partenaires
français, et en encourageant les investissements français en
Tunisie -dans l'intérêt des deux pays-, permettra d'ouvrir un
nouveau chapitre de l'histoire des relations entre la France et la Tunisie,
où n'interviendront plus les litiges hérités de la
période coloniale.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées a examiné le présent
projet de loi au cours de sa réunion du 6 mai 1998.
A la suite de l'exposé du rapporteur, Mme Paulette Brisepierre a
rappelé les similitudes entre la situation des propriétaires
français de biens acquis avant l'indépendance en Tunisie et au
Maroc, et les solutions apportées par les accords de garantie des
investissements signés par la France avec ces deux pays. Elle a
évoqué la "reconversion intellectuelle" qui devrait, selon elle,
être effectuée au Maroc et en Tunisie pour faire entrer dans les
moeurs l'idée que ces biens bénéficient de protections
juridiques, même si, a-t-elle souligné, la bonne volonté
des autorités marocaines et tunisiennes ne fait aucun doute.
M. de Villepin, président, revenant sur la vigilance et l'optimisme qui
doit accompagner, selon M. Pierre Delanoë et Mme Paulette Brisepierre, la
mise en oeuvre effective de l'accord franco-tunisien, a souligné
l'importance de la présence de PME françaises sur le
marché tunisien pour la modernisation de l'appareil productif de la
Tunisie. Evoquant la récente visite d'une délégation de la
commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées au Centre français du commerce extérieur, il
a rappelé l'intérêt que présentent les travaux de
cet organisme pour mieux faire connaître les marchés
étrangers.
Puis la commission a, suivant l'avis de son rapporteur, donné un avis
favorable à l'adoption du projet de loi autorisant l'approbation de
l'accord franco-tunisien sur l'encouragement et la protection
réciproques des investissements.
PROJET DE LOI
(Texte proposé par le Gouvernement)
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un échange de lettres), signé à Paris le 20 octobre 1997, et dont le texte est annexé à la présente loi 3( * ) .
ANNEXE -
ETUDE D'IMPACT4(
*
)
- Etat de droit et situation de fait existants et leurs
insuffisance : sans objet.
- Bénéfices escomptés en termes :
* d'emploi : (p. impossible à quantifier ;)
* d'intérêt général : enrichissement de nos
relations diplomatiques ;
* financiers : permettra au Gouvernement d'accorder lagarantie de la Coface
pour les investisseurs français, conformément à la loi de
finances rectificative pour 1971 ;
* de simplification des formalités administratives : aucune ;
* de complexité de l'ordonnancement juridique : sans objet.
1
Sénat, n° 444, 1995-1996.
2
Voir le rapport Sénat (n° 33, 1984-1985) de M. Michel
Alloncle.
3
Voir le texte annexé au document Sénat n° 348
(1997-1998).
4
Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des
parlementaires.