II. UN PROJET DE LOI INQUIÉTANT POUR L'AVENIR DE L'EMPLOI QUI ROMPT AVEC LES EXPÉRIENCES PRÉCÉDENTES FONDÉES SUR LA NÉGOCIATION SANS CONTRAINTES
A. LE PROJET DE LOI TEL QU'IL RESSORT DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE POURRAIT CONSTITUER UN OBSTACLE AU DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI
1. Un dispositif fondé sur un mécanisme pervers et fragile
Les articles 1 et 3 constituent les deux bras de la
tenaille qui doit se refermer sur les entreprises pour les amener à
" créer des emplois
"
.
L'article premier
a pour objectif de dissuader les entrepreneurs d'avoir
recours au facteur travail au-delà de trente-cinq heures par semaine par
salarié ou, ce qui revient au même, il le met dans la position
d'avoir à choisir un des comportements suivants :
-
ne rien faire et supporter un surcoût
lié au
paiement d'une majoration pour les quatre heures qui sépareront la
nouvelle durée légale du travail de la durée actuelle. Ce
comportement pourrait réduire les profits ou mettre en faillite nombre
d'entreprises. En tout état de cause, une hausse des coûts
salariaux pèserait sur la compétitivité, sur les
investissements et à terme sur le développement de la firme.
-
réduire la durée du travail et embaucher
, ce qui
peut présenter un coût en terme de réorganisation de la
production mais également des gains de productivité liés
à une meilleure utilisation des facteurs de production ; c'est
l'objectif recherché par le gouvernement. Certaines entreprises peuvent
effectivement bénéficier d'une telle réorganisation mais
elles constituent une minorité.
-
substituer du capital au travail
, c'est-à-dire
réduire le temps de travail, voire le nombre de travailleurs, au
bénéfice d'investissements matériels (informatique,
machines...), cette solution est favorisée par le bas niveau actuel des
taux d'intérêt et les capacités d'autofinancement des
entreprises ; ceci pénaliserait l'emploi et augmenterait le
chômage. De grandes entreprises industrielles comme Renault ont
prévenu que le passage aux 35 heures renforcerait la tendance
à robotiser les chaînes de montage.
-
augmenter la productivité du travail
par une
réorganisation des tâches, une redéfinition des rythmes de
travail et une augmentation du rendement de chaque salarié ; la
productivité marginale du travail étant décroissante, une
durée du travail moindre augmente mécaniquement la
productivité moyenne. Dans ce cas, l'entreprise n'a pas besoin
d'embaucher puisqu'elle produit plus avec moins de salariés ; il se peut
que cette réorganisation se traduise par une intensification du travail.
-
délocaliser le site de production
vers un pays plus
favorable à l'esprit d'entreprise. De nombreuses entreprises
multinationales, y compris françaises, auraient déjà
gelé leurs investissements en France pour les redéployer dans
d'autres filiales. Ce comportement serait bien entendu préjudiciable
à l'emploi.
L'article premier
ne permet pas de déterminer lequel de ces
comportements prédominerait face à l'abaissement de la
durée légale du travail qui ne s'accompagnerait d'aucune
subvention. Un mélange de ces différents comportements est
probable dont l'impact final sur l'emploi risquerait d'être
négatif, ceci alors même que n'entre pas en compte à ce
stade la délicate question de la compensation salariale.
L'article 3
, qui prévoit un apport de fonds publics, a pour
objet d'influencer les décisions des entrepreneurs, l'entreprise qui
signerait un accord de réduction du temps de travail
bénéficierait d'un abaissement du coût du facteur travail
par rapport à celle qui ne le ferait pas. Plus
précisément, la subvention vise à ce que l'entrepreneur
privilégie une réaction particulière -des embauches- par
rapport à l'ensemble des solutions auxquelles il peut recourir (accepter
le surcoût, substituer des machines aux salariés, augmenter la
productivité du travail, délocaliser le site de production).
Les entreprises pourraient être séduites par ces incitations
financières dans la mesure où de toute façon elles peuvent
considérer qu'elles seront confrontées à terme à la
baisse de la durée légale.
Dans ces conditions, entrer dans le dispositif pourrait éventuellement
être considéré comme un moindre mal.
Ce dispositif est
donc éminemment pervers puisqu'il pourrait amener une entreprise
à adopter un comportement qu'elle réprouve pour parer à
une menace encore plus grande, entre deux mots il faut choisir le moindre.
Toutefois, ce dispositif est fragile
car il est fondé sur une
dynamique. Pour peu que les entreprises temporisent jusqu'au second texte,
l'application de l'abaissement de la durée légale deviendrait
probablement impossible ; les entreprises ne pourront en aucun cas passer
du jour au lendemain de 39 à 35 heures et le Gouvernement devrait,
selon toute vraisemblance, renoncer.