B. MARDI 10 FÉVRIER 1998
Sous la présidence de M. Bernard Seillier,
vice-président, la commission a procédé à des
auditions
sur le
projet de loi n° 512
AN
(11ème législature)
d'orientation et d'incitation
relatif à la
réduction du temps de travail.
Elle a tout d'abord entendu
M. Michel Coquillion
,
secrétaire
général adjoint
de la
Confédération
française des travailleurs chrétiens
(CFTC), et
Mme Laurence Merlin
,
conseillère technique
, sur le
projet de loi d'orientation et d'incitation
relatif à la
réduction du temps de travail
.
Evoquant le contexte dans lequel le projet de loi avait été
préparé,
M. Michel Coquillion
a rappelé que la
pré-conférence du 3 octobre 1997 avait mis en évidence
qu'une croissance plus soutenue ne créerait pas suffisamment d'emplois
pour obtenir une baisse significative du chômage.
Il a souligné également l'échec des négociations de
branches entreprises dans le cadre du volet relatif à l'emploi de
l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 et il a
déclaré que la CFTC avait préconisé une extension
de la loi " de Robien ", éventuellement assortie d'un
système d'incitation plus fort.
S'interrogeant sur les conséquences de la vive réaction du
Conseil national du patronat français (CNPF) et des
fédérations patronales à l'encontre de l'actuel projet de
loi, il s'est demandé si le dispositif proposé pourrait
fonctionner sans une volonté mutuelle de création d'emplois
supplémentaires.
Il a déclaré que le projet de loi ne répondait pas
entièrement aux priorités de la CFTC qui étaient de faire
prévaloir l'objectif de création d'emplois pour lutter contre la
précarité, de privilégier la négociation comme
méthode et d'utiliser la réduction du temps de travail pour
assurer une meilleure harmonisation des rythmes de vie et réduire le
recours aux heures supplémentaires.
S'agissant de l'objectif de création d'emplois, la CFTC s'est
interrogée sur le décalage prévu dans le dispositif d'aide
financière entre le niveau de la réduction du temps de travail,
fixé à 10 %, et celui des embauches supplémentaires,
estimé à 6 %.
M. Michel Coquillion
a souligné que le taux d'embauche de
6 % de l'effectif apparaissait faible pour des entreprises en pleine
croissance susceptibles de recruter au-delà de ce seuil, tout en
admettant qu'il serait difficile de traiter différemment les entreprises
selon leurs perspectives de croissance.
Par ailleurs, constatant que les salariés subissaient déjà
des surcharges de travail, il s'est inquiété du risque d'un
recours accru aux heures supplémentaires, payées ou non, en
raison du surcroît de productivité demandé aux entreprises.
Concernant la nature des emplois subventionnés, il a regretté que
le projet de loi soit trop vague et qu'il ne garantisse pas contre le risque de
développement de contrats précaires.
S'agissant de la méthode retenue, il a constaté que le passage de
l'horaire légal de travail à 35 heures par semaine était
fondé, non plus sur une incitation, comme le souhaitait la CFTC, mais
sur une forme " d'obligation de négocier ". Il a estimé
que le succès d'un tel dispositif reposait sur la volonté de tous
les partenaires sociaux, en s'inquiétant à cet égard des
réserves émises par le CNPF.
M. Michel Coquillion
a remarqué que si le projet de loi laissait
une place importante à la négociation, il convenait pour autant
de ne pas négliger le rôle normatif et d'harmonisation sociale des
négociations de branches.
Il a considéré que si la négociation de branches ne devait
jouer qu'un rôle marginal au profit de la négociation
d'entreprise, le risque était élevé, dans le contexte
actuel, que la réduction du temps de travail ne débouche sur des
contraintes accrues pour les salariés.
S'agissant de la réduction du temps de travail, il a estimé que
celle-ci supposait une réorganisation des horaires en vue d'une
meilleure harmonisation avec les rythmes de vie des salariés. A cet
égard, il a souligné que le dispositif ne devait pas être
un prétexte pour accroître la flexibilité dans les
entreprises, au détriment de la vie personnelle des salariés et
de leur famille.
Il a néanmoins déclaré comprendre le besoin de souplesse
de ces mêmes entreprises dans un environnement économique
concurrentiel, tout en soulignant que cette souplesse accrue devait être
négociée en tenant compte des besoins des salariés.
Concernant les heures supplémentaires,
M. Michel Coquillion
a
regretté que le projet de loi ne prévoie pas suffisamment de
dispositions pour limiter le recours aux heures supplémentaires.
A cet égard, il a rappelé que la CFTC souhaitait une baisse du
contingent des heures supplémentaires et, qu'en l'absence d'accords sur
la réduction du temps de travail, les heures supplémentaires
fassent l'objet, au-delà de 35 heures de travail, d'une surcotisation
patronale au profit du fonds paritaire pour l'emploi de l'Union nationale pour
l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC).
Par ailleurs, il a regretté le " mutisme " de la loi sur la
question essentielle du niveau des salaires, en rappelant qu'il devrait
être expressément prévu, dans le texte, que les
salariés ne subiraient aucune perte de salaire.
S'agissant du niveau du salaire minimum interprofessionnel de croissance
(SMIC), il s'est déclaré favorable à la création du
revenu minimum mensuel (RMM) annoncée par le Gouvernement afin
d'éviter de pénaliser les salariés des entreprises dont la
durée du travail hebdomadaire serait maintenue à 39 heures.
Toutefois, il s'est inquiété, pour l'avenir, des risques de
divergence entre le niveau de progression du revenu minimum mensuel et celui du
SMIC horaire, en soulignant qu'il fallait éviter l'écueil d'un
salariat " à deux vitesses ".
Il a indiqué que, pour les entreprises bénéficiant d'une
aide, une limitation du recours aux heures supplémentaires devrait
être prévue afin d'éviter le maintien, en pratique, d'une
durée réelle de travail de 39 heures hebdomadaires.
Il a estimé que les minima conventionnels de salaire pourraient
être revus dans le cadre des négociations de branches, en
soulignant qu'actuellement 60 % des branches avaient des grilles de
rémunération non conformes à la loi.
S'agissant du champ d'application du texte,
M. Michel Coquillion
s'est
félicité que celui-ci porte sur les sociétés
d'économie mixte et sur certains établissements publics.
Il s'est demandé si des aides financières particulières ne
devaient pas être prévues pour les entreprises publiques
engagées dans des secteurs d'activité concurrentiels ou pour les
établissements soumis à des obligations budgétaires
particulières, notamment dans le domaine hospitalier.
Concernant le seuil des entreprises de plus de vingt salariés
mentionné dans le projet de loi, il a rappelé que la CFTC aurait
préféré une référence au seuil de dix
salariés qui existe déjà dans de nombreux autres domaines.
S'agissant du niveau des aides, la CFTC a constaté qu'il était
plus faible que celui prévu dans le cadre du dispositif de la loi
" de Robien " et qu'il n'était pas proportionnel au salaire,
ce qui pénaliserait les entreprises à main-d'oeuvre
qualifiée.
Il a estimé que la majoration effective de l'aide pour les entreprises
à bas salaires induirait une tendance à la concentration des
salaires au niveau du SMIC.
Enfin, il a regretté que le projet de loi n'indique pas clairement si
les aides avaient vocation ou non à être pérennisées.
Il a déclaré que la CFTC approuvait les possibilités de
mandatement ouvertes par le projet de loi et qui avaient déjà
été prévues par l'accord du 31 octobre 1995.
S'agissant du suivi des accords, il a estimé que le principe d'un
contrôle, a posteriori, par le comité départemental de la
formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi (CODEF)
n'était pas une bonne solution, en raison du trop grand nombre d'accords
qui seraient signés et des difficultés d'appréciation.
Enfin, regrettant que les sanctions prévues par le dispositif de la loi
" de Robien " aient été trop rarement
appliquées, il a estimé impératif de prévoir un
remboursement des aides en cas de non-respect de ses engagements par
l'entreprise, tout en souhaitant que l'on tienne compte de la situation
particulière des entreprises en difficulté.
M. Louis Souvet, rapporteur
, a interrogé M. Michel Coquillion sur
sa perception du débat à l'Assemblée nationale, le risque
de blocage du dialogue social, les incertitudes pesant sur le second texte
prévu en 1999, le recours accru au SMIC et les modalités du
contrôle du respect des engagements pris par les entreprises.
En réponse,
M. Michel Coquillion
a constaté que le choix
du Gouvernement de légiférer sur l'horaire hebdomadaire de
travail " fermait la porte " à la négociation et
suscitait logiquement des oppositions.
S'agissant du blocage des négociations, il a constaté que
celui-ci était réel au niveau interprofessionnel et entre les
branches et qu'il était préjudiciable aux entreprises comme aux
salariés. Il a rappelé que la CFTC préférait en
tout état de cause le choix de la négociation, tout en
s'inquiétant d'un nouveau recours du Gouvernement à la loi en cas
d'impossibilité de négocier.
Rappelant que la CFTC avait négocié les accords de la loi
" de Robien ", il a précisé qu'elle négocierait
également dans le cadre de l'actuel projet de loi, sinon sur la
création d'emplois supplémentaires, du moins sur la
réorganisation du temps de travail et l'annualisation.
Il a expliqué que la CFTC n'était pas défavorable au
principe de l'annualisation si celle-ci n'entraînait pas de contraintes
excessives au détriment des salariés. Il a constaté,
à cet égard, l'éventualité de l'apparition de
difficultés dans les secteurs aux niveaux d'activité très
variables en cours d'année.
S'agissant du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), il s'est
inquiété du risque d'une évolution divergente du revenu
minimum mensuel (RMM) et du SMIC.
M. André Jourdain
s'est interrogé sur les critères
retenus pour l'attribution de l'aide prévue par le projet de loi, la
question de la formation des travailleurs non qualifiés et le recours au
multisalariat.
M. Claude Huriet
s'est interrogé sur la compatibilité de
la réduction du temps de travail avec la politique de gestion en flux
tendus, sur les risques de développement du travail au noir et sur
l'alternative en cas d'échec de la réduction du temps de travail
à 35 heures dans la lutte contre le chômage.
M. Jean Chérioux
s'est interrogé sur le contenu des
accords de branches en matière de réorganisation du temps de
travail.
M. Guy Fischer
s'est interrogé sur l'impact du projet de loi en
matière de création d'emplois et sur les risques de contraction
de la masse salariale.
M. Serge Franchis
s'est interrogé sur la complexité du
dispositif administratif tout en se demandant si celle-ci ne tendait pas
à faire passer la création d'emplois au deuxième plan.
En réponse,
M. Michel Coquillion
a souligné tout d'abord
que le projet de loi ne permettait pas de prendre en compte la
possibilité d'affecter tout ou partie de la réduction du temps de
travail à des actions de formation des salariés dans le cadre de
l'entreprise.
S'agissant du multisalariat, il a indiqué que cette solution s'adressait
en fait à des travailleurs relevant de plusieurs contrats de travail
à temps partiel et qui n'étaient donc pas concernés pas la
semaine de 35 heures. Il a toutefois insisté sur la difficulté de
cumuler deux emplois à temps partiel.
Il a considéré que la diversité des politiques suivies par
les entreprises, en matière de gestion de stocks, démontrait
l'utilité de la négociation d'entreprise dans le domaine de
l'organisation du temps de travail, à la condition que celle-ci
s'opère dans le cadre des limites fixées par la
négociation de branche.
Il a reconnu que la réduction du temps de travail faisait courir le
risque d'un accroissement du travail au noir de la part de salariés qui
disposeraient de plus de temps libre.
Il s'est déclaré intimement convaincu que le dispositif
proposé pourrait entraîner des créations d'emplois, tout en
reconnaissant que, si le CNPF n'entrait pas dans le jeu des
négociations, tous les effets pervers seraient possibles.
S'agissant de la flexibilité, il a estimé que l'annualisation du
temps de travail appliquée sans nuances pouvait entraîner à
court terme des suppressions d'emplois et que le délai dans lequel une
économie plus flexible serait susceptible de créer des nouveaux
emplois était sans doute trop long compte tenu du niveau actuel du
chômage.
Puis, la commission a entendu
Mme Michèle Biaggi
,
secrétaire confédérale
, chargée de la
négociation collective, accompagnée par
Mme Isabelle
Mutel
,
assistante confédérale
de la
Confédération générale du travail-Force
ouvrière
(CGT-FO).
Mme Michèle Biaggi
a présenté la position du
syndicat Force ouvrière sur le projet de loi relatif à la
réduction du temps de travail. Elle a indiqué que la lutte contre
le chômage appelait une amélioration du pouvoir d'achat des
salaires, des retraites et des minima sociaux (pour soutenir la consommation),
l'extension du dispositif de cessation anticipée d'activité aux
salariés ayant commencé très tôt leur vie active en
contrepartie d'embauches et la réduction de la durée du travail
sans perte de salaire.
Affirmant que Force ouvrière n'abandonnait aucune de ses revendications,
elle a estimé que la réduction ou l'aménagement du temps
de travail, qui correspond à la mise en oeuvre d'une logique
malthusienne de partage du travail, mais répond aussi à une
revendication ancienne du mouvement syndical, ne pouvait à elle seule
résoudre le problème du chômage.
Mme Michèle Biaggi
a ensuite évoqué le contenu du
projet de loi actuellement en discussion devant le Parlement. Elle a
désapprouvé l'instauration d'un seuil pour déterminer la
date d'application de la nouvelle durée légale du travail, cette
mesure risquant d'instituer le principe d'une différenciation des
règles sociales applicables aux entreprises en fonction de leur taille.
Elle a jugé frileux l'amendement qui prévoit la
présentation au Parlement d'un rapport consacré à
l'application de la réforme aux salariés de la fonction publique.
Elle a craint que l'annualisation du temps de travail, mentionnée
à plusieurs reprises dans l'exposé des motifs du projet de loi,
ne conduise rapidement à l'annualisation des
rémunérations. A cet égard, elle a rappelé que
l'impact, sur l'emploi, des accords d'annualisation et de réduction du
temps de travail, qui ont déjà été signés,
était quasi nul.
Elle a estimé que la réduction du temps de travail ne devait pas
porter atteinte au pouvoir d'achat et elle a indiqué que Force
ouvrière avait déjà transmis, au ministère de
l'emploi et de la solidarité, ses observations sur le projet de
création d'une rémunération mensuelle minimale.
Evoquant les heures supplémentaires,
Mme Michèle Biaggi
a
indiqué que Force ouvrière demandait leur surtaxation, ainsi que
l'abaissement du contingent annuel autorisé. Si la
Confédération Force ouvrière approuve le principe du
renvoi de la fixation des modalités du passage aux 35 heures à la
négociation collective, elle n'approuve pas le souhait du Gouvernement
de faire primer la négociation d'entreprise sur la négociation de
branche et elle condamne la référence à la technique du
mandatement de salariés dans l'entreprise pour négocier et signer
les accords.
Abordant la question des aides à la réduction du temps de
travail,
Mme Michèle Biaggi
a rappelé que Force
ouvrière était hostile aux exonérations de charges
sociales lorsqu'elles n'étaient pas compensées en totalité
par l'Etat.
Enfin, elle a indiqué que Force ouvrière constatait avec
satisfaction que le projet de loi offrait la possibilité de
réduire le temps de travail sous forme de repos supplémentaire ou
d'abondement du compte épargne-temps et qu'il comportait certaines
avancées en matière de temps partiel.
M. Louis Souvet, rapporteur,
a demandé à Mme
Michèle Biaggi quelle était la position de Force ouvrière
sur la coexistence de deux salaires minimums. Il l'a également
interrogée sur l'ampleur des créations d'emplois qui
résulteraient de la réduction à 35 heures de la
durée du travail et sur le contenu des négociations ouvertes pour
la mettre en oeuvre.
Mme Michèle Biaggi
a affirmé que la coexistence de deux
salaires minimums suscitait beaucoup d'interrogations, notamment en ce qui
concerne les modes d'indexation, la situation des nouveaux embauchés
travaillant 35 heures, l'intégration des primes dans la
rémunération mensuelle minimale, les taux de majoration
applicables aux heures supplémentaires, le mode de calcul de
l'exonération de cotisations sociales et l'avenir des minima
conventionnels.
Elle a considéré que le champ des négociations qui
devaient être entreprises était très large et qu'il
comprenait notamment le régime des nouvelles embauches, la situation des
jeunes et la cessation d'activité pour les personnes ayant
commencé très tôt leur vie professionnelle. Elle a
rappelé que son syndicat était tout à fait disposé
à négocier et a fait part de sa conviction que certains
employeurs partageaient ce souhait.
M. André Jourdain
a interrogé Mme Michèle Biaggi
sur le régime des heures supplémentaires. Il a indiqué
que, selon des économistes, le travail à temps partiel avait
permis d'améliorer les conditions économiques et sociales de
nombreux salariés aux Pays-Bas.
M. Serge Franchis
a indiqué qu'il croyait comprendre que Force
ouvrière ne croyait pas beaucoup aux effets sur l'emploi de la
réduction du temps de travail. Il a demandé si, compte tenu de la
situation de l'emploi, Force ouvrière pouvait préférer
souscrire à l'objectif de réduire le chômage plutôt
que de formuler d'autres revendications traditionnelles.
Mme Joëlle Dusseau
, constatant que Force ouvrière
désapprouvait l'instauration de seuils pour le passage aux
35 heures, a demandé à Mme Michèle Biaggi si cette
position la conduisait à préférer une date butoir
identique pour toutes les entreprises, 2000 ou 2002, ou encore la suppression
de toute date butoir. Elle lui a également demandé de
préciser la nature des études qui ont montré l'absence
d'impact sur l'emploi des accords d'annualisation et de réduction du
temps de travail déjà signés.
M. Guy Fischer
a exprimé la crainte que des accords " au
rabais " ne soient conclus en échange de la réduction du
temps de travail.
Répondant aux orateurs,
Mme Michèle Biaggi
a
indiqué que la situation des salariés à temps partiel aux
Pays-Bas et en France était différente. Elle a rappelé que
le recours aux heures supplémentaires devait être
découragé afin de générer des embauches. Elle a
indiqué que la situation du marché du travail ne constituait pas
un obstacle au maintien de toutes les revendications de Force ouvrière,
même si l'objectif de réduction du chômage était
central.
Elle a affirmé qu'un salarié ne devait pas être soumis
à une législation sociale différente selon qu'il
appartenait à une entreprise employant plus ou moins de vingt personnes
et elle a indiqué qu'elle s'appuyait sur les études de
l'Observatoire de la négociation collective pour constater le peu
d'impact sur l'emploi des accords d'annualisation du temps de travail. Elle a
déclaré partager les craintes de M. Guy Fischer sur la conclusion
d'accords " au rabais ".
M. Marcel Lesbros
a évoqué la situation des personnels
saisonniers. Il a demandé à Mme Michèle Biaggi si son
syndicat avait réfléchi à cette importante question.
M. Louis Souvet, rapporteur,
a souhaité que Mme Michèle
Biaggi réagisse aux propos de nombreux économistes qui
considèrent que la réduction du temps de travail aurait pour
intérêt de faciliter l'acceptation de la flexibilité par
les salariés à travers un " donnant-donnant ".
Mme Michèle Biaggi
a indiqué que Force ouvrière
avait commencé à étudier la question de la situation des
travailleurs saisonniers, notamment en ce qui concerne leur accès
à la protection sociale et la négociation collective. Elle a
confirmé à M. Louis Souvet qu'elle estimait que la
flexibilité n'était pas créatrice d'emplois.
Enfin, la commission a entendu
M. Pierre Gilson
,
vice-président
de la
Confédération
générale des petites et moyennes entreprises
(CGPME),
chargé des affaires sociales, et
M. Georges Tissié
,
directeur des affaires sociales
.
M. Pierre Gilson
a souhaité tout d'abord rappeler que les petites
et moyennes entreprises (PME) étaient, parmi les entreprises, celles qui
créaient véritablement de l'emploi dans le secteur marchand :
1.419.000 emplois nets avaient été créés par
les établissements de moins de 200 salariés, dont
1.248.000 par ceux de moins de 50 salariés, entre le
1
er
janvier 1981 et le 31 décembre 1996, selon
l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC).
M. Pierre Gilson
a
considéré que le rôle
prépondérant des PME dans la création d'emplois et surtout
le potentiel qu'elles représentaient en la matière impliquait
qu'elles puissent disposer de l'environnement le plus favorable, notamment dans
ce domaine fondamental qu'était la durée du travail. Il a
souligné que les éléments d'information parvenant des
organisations adhérentes de la CGPME confirmaient de manière
unanime qu'une réduction forcée, massive et uniforme de la
durée légale du travail hebdomadaire à 35 heures,
avec ou sans maintien des salaires, serait dangereuse pour l'ensemble des
entreprises et qu'elle représenterait une menace particulièrement
grave pour les PME.
M. Pierre Gilson
a en effet expliqué que les problèmes de
temps de travail, y compris la question de la productivité, ne se
posaient pas de la même façon dans les grandes entreprises que
dans les entreprises petites et moyennes, qui diffèrent
elles-mêmes entre elles selon leur domaine d'activité. Il a
souligné que tout ce qui contribuait à handicaper les PME
était susceptible d'avoir des répercussions immédiates sur
l'emploi.
Après avoir indiqué que certaines petites et moyennes entreprises
pouvaient certes accroître leur productivité en augmentant la
durée d'utilisation des équipements par le travail posté,
M. Pierre Gilson
a souligné que toutes les PME devaient en
revanche surmonter certaines difficultés communes : celle liée
à la recherche de personnels qualifiés supplémentaires,
qui faisaient cruellement défaut sur le marché du travail, et
celle soulevée, en cas de diminution de la durée du travail, par
le nécessaire rééquilibrage des postes entre eux, car il
n'était naturellement pas possible de créer des fractions
d'emploi. Pour illustrer cette dernière notion,
M. Pierre Gilson
a rappelé qu'une petite entreprise était composée
d'emplois spécialisés et non interchangeables (un
ingénieur, un contremaître, un commercial, une secrétaire,
un manutentionnaire...) et qu'il paraissait difficile d'embaucher un
ingénieur pour quatre heures, un commercial pour quatre heures ou une
secrétaire pour quatre heures.
M. Pierre Gilson
a estimé que certaines grandes entreprises qui
avaient déjà prévu d'embaucher de nouveaux salariés
seraient susceptibles de bénéficier de l'effet d'aubaine
suscité par la loi. Il a ajouté que les prestataires de services
et les commerçants, de par la nature même de leur activité,
avaient, en revanche, peu de possibilités de compenser, par des gains de
productivité, le surcoût lié à la diminution du
temps de travail. Il a en outre craint un report par les grandes entreprises
donneuses d'ordre des difficultés soulevées par la
réduction du temps de travail sur leurs PME sous-traitantes.
M. Pierre Gilson
a estimé qu'on pouvait sérieusement
douter de la corrélation entre forte baisse du temps de travail,
même hebdomadaire, et création nette d'emplois. Il a
souhaité rappeler un exemple historique qu'il a jugé significatif
: celui de la réduction de la durée légale hebdomadaire du
travail de 48 heures à 40 heures en 1936. Au début de
l'année 1936, il y avait 400.000 demandeurs d'emploi pour 20.800.000
actifs et à la fin de la même année, après cette
réduction importante du temps de travail, 864.000 demandeurs
d'emploi et 19.400.000 actifs. Il a ajouté que l'Allemagne avait
introduit, il y a quelques années, les 35 heures dans la branche
sidérurgique et qu'elle comptait aujourd'hui 5.000.000 de
chômeurs.
M. Pierre Gilson
a par ailleurs noté qu'aux termes des documents
distribués lors de la séance préparatoire à la
conférence sur l'emploi, les salaires et la réduction du temps de
travail du 10 octobre, quatre des six plus grands pays
industrialisés avaient une durée annuelle du travail
supérieure à celle de la France et un taux de chômage
inférieur. On constatait en outre que les deux pays de l'Union
européenne ayant la plus forte durée hebdomadaire du travail, le
Portugal et la Grande-Bretagne, avaient des taux de chômage parmi les
plus faibles et qu'à l'inverse la Belgique, où la durée
hebdomadaire du travail était la plus faible, avait un taux de
chômage parmi les plus élevés.
M. Pierre Gilson
a estimé que la réduction du temps de
travail proposée par le Gouvernement risquait d'avoir des
conséquences dramatiques pour bon nombre de PME et il a regretté
que l'on brise ainsi une dynamique de croissance qui semblait émerger en
1998. Il a jugé que le projet de loi gouvernemental allait se traduire
par une position d'attentisme, dans la mesure où personne ne savait
exactement ce qui allait se passer, attentisme particulièrement
dangereux dans un contexte de compétition mondiale.
M. Pierre Gilson
a souligné que l'Etat devrait aider les
entreprises plutôt que de concevoir des systèmes freinant
l'activité et le développement de celles-ci. Il a jugé que
le risque était grand que s'accentuent encore les
phénomènes de délocalisation, jusque-là propres aux
grandes entreprises mais qui s'étendaient maintenant aux petites et
moyennes entreprises.
M. Pierre Gilson
a déclaré que la CGPME portait une
appréciation tout à fait négative sur le projet de loi
soumis à l'examen du Parlement. Il a considéré que le
texte proposé était en effet normatif et ne permettait donc pas
de véritables négociations, les résultats de ces
négociations étant fixés par avance.
Après avoir évoqué les différentes dispositions
contenues dans le projet de loi,
M. Pierre Gilson
a souligné
que la négociation, dans les entreprises n'ayant pas de
représentation syndicale, serait également rendue plus difficile
par le fait que les interlocuteurs du chef d'entreprise ne pourraient
être que des salariés expressément mandatés par une
ou plusieurs organisations syndicales reconnues représentatives sur le
plan national et non directement des élus du personnel : il a
jugé que ceci était contraire aux dispositions de l'accord du 31
octobre 1995 sur la négociation collective signée par les
partenaires sociaux.
M. Pierre Gilson
a ajouté que le projet de loi risquait de
réduire les rentrées de cotisations des régimes de
sécurité sociale, notamment du régime
général, et de conduire, en conséquence, à une
nouvelle augmentation des prélèvements sociaux obligatoires :
l'exposé des motifs précisait en effet que l'aide
financière destinée à faciliter la réduction du
temps de travail, accordée sous forme de déduction de cotisations
patronales de sécurité sociale, donnerait lieu, à compter
du 1
er
janvier 1999, à un remboursement partiel de la part de
l'Etat aux régimes concernés.
M. Pierre Gilson
a conclu
qu'aucune compensation pour les régimes de sécurité
sociale n'était donc prévue pour l'année 1998 et que la
loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 ne
prévoirait qu'un remboursement partiel. Il a considéré que
cette disposition était irréaliste et contraire à
l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale qui
prévoyait que les exonérations de cotisation seraient
compensées dans les recettes du régime général de
la sécurité sociale par un remboursement de l'Etat.
M. Pierre Gilson
a conclu son intervention en déclarant que ce
projet de loi n'intervenait pas à un moment opportun pour les
entreprises, dans un contexte où ces dernières se voyaient, de
surcroît, infliger des contraventions pour dépassement du temps de
travail des cadres.
Craignant un blocage du dialogue social,
M. Louis Souvet, rapporteur,
a
demandé à M. Pierre Gilson si les incertitudes pesant sur le
second texte prévu en 1999 n'inciteraient pas les partenaires sociaux
à différer tout accord jusqu'à cette date.
Il s'est interrogé sur la possibilité laissée aux
entreprises de continuer à réduire leurs coûts dans le
nouveau contexte créé par ce projet de loi et a souhaité
connaître quelles compensations seraient nécessaires aux
entreprises pour que l'application de cette loi n'ait pas de
conséquences trop négatives.
Après avoir souligné le risque que la diminution du temps de
travail dans les PME ne se traduise par une augmentation des cadences
supportées par le personnel, il s'est interrogé sur le sens que
pouvait prendre l'obligation d'interruption de l'activité quotidienne
prévue par l'article 7 du projet de loi adopté par
l'Assemblée nationale. Il a jugé que cette disposition
était par exemple totalement inapplicable dans le cas des transports
scolaires.
Soulignant la spécificité du statut et des contraintes des
cadres, il s'est ému des nombreuses amendes infligées aux
entreprises, ces derniers mois, pour dépassement du temps de travail des
cadres.
En réponse aux questions du rapporteur,
M. Pierre Gilson
a
déclaré que les PME appliqueraient naturellement la loi, laquelle
ne laissait en réalité aucune place à la
négociation. Il a considéré que le passage aux
35 heures allait devoir être compensé par une diminution des
coûts très difficile à atteindre.
Il a ajouté que si le projet de loi avait prévu une
possibilité réelle d'annualisation du temps de travail, les
entreprises auraient sans doute pu absorber une partie du surcoût
découlant des 35 heures.
Evoquant la situation des transports scolaires, il a considéré
que l'article 7 du projet de loi, relatif à l'obligation d'interruption
de l'activité quotidienne, apparaissait irréalisable et porteuse
d'un surcoût considérable.
M. Alain Gournac
a souhaité savoir si la réduction du
temps de travail était, avant l'annonce du projet de loi, une
priorité pour le personnel des PME.
Il s'est enquis des conditions dans lesquelles la CGPME avait abordé la
table ronde du 10 octobre 1997 et a interrogé M. Pierre Gilson sur
l'existence d'une réelle concertation préalable à cette
table ronde.
Après s'être déclaré inquiet de la multiplication
des contrôles de l'inspection du travail portant sur le temps de travail
des cadres, il s'est demandé si la réduction du temps de travail
ne risquait pas de se traduire par un développement du travail au noir.
Enfin, il a souhaité connaître sur quelles bases et quelles
études la CGPME s'appuyait pour déclarer que le projet de loi ne
créerait pas d'emplois.
Après avoir estimé que la hausse régulière du
chômage entraînait une situation sociale très
préoccupante,
M. Serge Franchis
a demandé à
M. Pierre Gilson si davantage de croissance et de flexibilité
pouvaient suffire à elles seules à créer des emplois et il
a souhaité connaître les contre-propositions formulées par
la CGPME pour combattre le chômage.
Après avoir déclaré que les PME seraient les plus
pénalisées par ce projet de loi alors même qu'elles
étaient susceptibles de créer des emplois,
M. André Jourdain
a souhaité savoir si le coût
de la main-d'oeuvre était plus important dans les PME que dans les
grandes entreprises. Il s'est interrogé sur les conséquences
qu'aurait le passage aux 35 heures sur la politique de formation des
personnels. Il a craint que celle-ci ne soit négligée.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
a souligné que la
problématique de la réduction du temps de travail était
très différente dans les PME et dans les grandes entreprises.
Elle a rappelé toutefois que la loi dite " de Robien "
s'était traduite par de nombreux accords dans les PME et par la
création d'emplois dans ces entreprises. Elle a considéré
que le contexte économique, marqué par une reprise de la
croissance, semblait se prêter à une réduction du temps de
travail et que le Gouvernement avait souhaité prendre en compte de
manière particulière les difficultés que pouvait soulever
ce projet de loi pour les PME. Elle a conclu qu'il convenait donc d'être
moins pessimiste sur les conséquences de la réduction du temps de
travail.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
a estimé que ce projet de loi
devait permettre une négociation dans les entreprises sur les conditions
de travail, permettant éventuellement des réorganisations et des
gains de productivité.
Elle a demandé à M. Pierre Gilson si la décision de
distinguer entre deux échéances (2001 et 2003) pour
l'entrée en vigueur de la loi était bonne ou néfaste. Elle
a enfin considéré qu'il était indispensable de
prévoir dans les entreprises à la fois une formation aux
nouvelles technologies pour l'ensemble des personnels et une formation à
la gestion destinée aux chefs d'entreprise.
M. Jacques Machet
a souligné que 60 % des chômeurs
n'avaient aujourd'hui aucune formation, ce qui constituait un problème
particulièrement préoccupant.
En réponse à M. Alain Gournac,
M. Pierre Gilson
a
indiqué que la réduction du temps de travail ne constituait
manifestement pas une priorité pour les salariés, dans la mesure
où elle n'avait jamais figuré parmi leurs revendications. Il a
confirmé que la conférence du 10 octobre 1997 n'avait
donné lieu à aucune concertation préalable. Il a enfin
précisé que l'appréciation négative qu'il portait
sur le projet de loi en termes de créations d'emplois provenait des
informations qui remontaient du terrain.
En réponse à M. Serge Franchis,
M. Pierre Gilson
a
indiqué que la CGPME soulignait régulièrement que
1,2 million d'entreprises françaises n'avaient aucun salarié
et qu'il serait, dans ces entreprises, certainement possible de créer
500.000 emplois.
M. Georges Tissié
a ajouté qu'aucune politique de l'emploi
n'avait été assez durable depuis vingt ans pour que l'on puisse
en observer effectivement les résultats. Il a considéré
qu'une politique forte et continue d'allégement des charges et des
prélèvements était susceptible de favoriser la
création d'emplois.
M. Pierre Gilson
a confirmé que les chefs d'entreprise avaient
effectivement besoin de règles fixes et permanentes.
En réponse à M. André Jourdain,
M. Pierre Gilson
a
estimé qu'il était impossible de répondre à la
question portant sur la part du coût de la main-d'oeuvre dans les charges
des PME et des grandes entreprises : il n'existait pas deux PME identiques et
la part prise par la main-d'oeuvre dans les coûts de production
dépendait des choix effectués par chaque entreprise ; il a
jugé que le passage aux 35 heures rendrait probablement plus
difficiles les politiques de formation du personnel.
M. Georges Tissié
a souhaité souligner que la
création d'emplois n'était pas liée à une
réduction du temps de travail ou à une organisation du travail
compliquée et sophistiquée.
En réponse à Mme Marie-Madeleine Dieulangard,
M. Pierre
Gilson
a déclaré qu'il convenait de relativiser les
résultats de la loi " de Robien " : 15.000 emplois avaient
été maintenus et seuls, 15.000 emplois avaient été
réellement créés.
M. Pierre Gilson
a conclu en indiquant que la CGPME n'était pas
opposée à la réduction du temps de travail, mais qu'il
fallait que cette réduction se fasse de manière
négociée dans le cadre de l'entreprise : l'instauration d'une
obligation de réduction du temps de travail assortie de dates butoirs
était une erreur pour l'avenir du pays.
M. Georges Tissié
a ajouté qu'il eût
été préférable d'utiliser les dispositifs existant
déjà en matière de modulation du temps de travail.
C. MERCREDI 11 FÉVRIER 1998
Sous la présidence de M. Jean-Pierre Fourcade,
président puis de M. Bernard Seillier, vice-président, puis
de M. Jean-Pierre Fourcade, président, au cours d'une première
séance tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord
procédé à
l'audition de M. Guy Robert
,
secrétaire général
de
l'Union nationale des
professions libérales
(UNAPL) sur le
projet de loi d'orientation
et d'incitation
relatif à la
réduction du temps de
travail
.
M. Guy Robert
a tout d'abord rappelé que les professionnels
libéraux représentaient environ 600.000 entrepreneurs travaillant
dans les secteurs juridique, médical, technique ou informatique.
Il a précisé que ce secteur comprenait 1,2 million d'emplois
de salariés qui étaient soit des emplois d'exercice
libéral, soit des emplois fortement spécialisés.
Il a évoqué les barrières psychologiques des entrepreneurs
qui constituaient un " frein à l'embauche " dans le secteur
libéral où, d'après certaines études, 40.000
emplois pourraient être créés.
Il a indiqué que les professionnels libéraux recouraient en
moyenne au service de deux ou trois salariés, même s'il existait
des entreprises, notamment des cabinets d'avocats, qui pouvaient compter
jusqu'à 1.000 salariés.
Il a souligné le caractère " non conflictuel " des
relations entre les professionnels libéraux et leurs salariés en
faisant observer que ces derniers conservent souvent le même employeur
tout au long de leur carrière professionnelle.
Il a noté enfin l'absence de licenciement massif et de plans sociaux
dans un secteur où la mondialisation n'a pas d'effet direct.
S'agissant du projet de loi d'orientation et d'incitation à la
réduction du temps de travail, il a regretté qu'il s'agisse d'une
" loi-couperet ", alors que l'UNAPL aurait
préféré l'ouverture d'une négociation sur le temps
du travail secteur par secteur.
Il a souligné que pour les professionnels libéraux, qui emploient
généralement un ou deux salariés, il serait impossible de
procéder à des recrutements supplémentaires pour effectuer
un travail sur une journée ou deux dans un mois.
Il a regretté que la législation ne facilite pas la
création de groupement au service des entreprises libérales qui
pourraient éventuellement permettre de procéder aux embauches
supplémentaires rendues nécessaires par la réduction du
temps de travail.
Evoquant l'insuffisance de la formation des jeunes sortant du système
scolaire, il a souligné que celle-ci expliquait assez largement les
réticences à l'embauche des professionnels libéraux.
S'agissant du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), il a
estimé que le projet de loi risquait d'entraîner une
révision systématique des grilles de salaires actuellement
prévues dans les conventions collectives et qu'il en résulterait
un " recentrage " des nouvelles embauches à un niveau de
salaire égal à celui du SMIC.
Il a considéré que pour compenser les effets de la
réduction du temps de travail, le recours aux heures
supplémentaires serait inéluctable dans les petites entreprises,
tout en soulignant que les marges de manoeuvres financières
étaient étroites dans le secteur.
Il a souligné les difficultés qui seraient occasionnées
par le projet de loi pour certaines entreprises dont l'activité peut
être fortement variable selon les périodes de l'année,
notamment pour les architectes.
En conclusion, il a souhaité qu'une véritable négociation
sur le temps de travail puisse s'amorcer de manière pragmatique et
sereine entre les différentes parties prenantes sans blocage, ni langue
de bois.
Il a insisté sur le caractère essentiel du renforcement des aides
à l'installation et au regroupement des professionnels libéraux.
M. Louis Souvet, rapporteur,
s'est interrogé sur le nombre
d'emplois nouveaux qui pourraient être suscités par le texte, les
amendements qui devraient lui être apportés et la nature des gains
de productivité possibles dans le secteur des professions
libérales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président,
s'est interrogé sur le
régime fiscal des professionnels libéraux.
En réponse,
M. Guy Robert
a indiqué que les 600.000
professionnels libéraux, chefs d'entreprise, étaient
imposés pour leur grande majorité sous le régime des
bénéfices non commerciaux et que les autres étaient
astreints au paiement de l'impôt sur les sociétés. Il a
précisé que le secteur représentait 200 professions
libérales différentes et que 57 syndicats adhéraient
à l'UNAPL.
Il a confirmé que compte tenu des 1,2 million d'employés, le
secteur des professionnels libéraux représentait au total environ
1,8 million d'emplois.
S'agissant des pistes de réforme alternative, il a souligné qu'en
matière de négociation sur le temps de travail, il serait
nécessaire de privilégier la flexibilité, l'annualisation
ainsi que le traitement des variations saisonnières d'activité.
Tout en se déclarant, d'une manière générale, peu
favorable aux aides publiques aux entreprises, il a souligné que le
dispositif des aides financières prévues par le projet de loi
était totalement inapplicable à la très grande
majorité des professions libérales compte tenu du faible nombre
de leurs salariés.
S'agissant des conséquences du projet de loi, il a estimé que les
entreprises du secteur libéral péricliteraient, n'embaucheraient
pas, embaucheraient éventuellement des salariés au niveau du SMIC
ou encore devraient recourir aux heures supplémentaires.
Au sujet des gains de productivité, il a souligné que, pour la
plupart des professionnels libéraux, il serait impossible d'augmenter
les cadences dans des conditions comparables à celles de l'industrie.
M. André Jourdain
s'est inquiété des
conséquences de la loi en matière d'aménagement du
territoire. Il s'est demandé si la réduction du temps de travail
n'aurait pas pour conséquence d'entraîner des licenciements dans
les entreprises qui ne comptent qu'un seul salarié ; il s'est
interrogé sur le recours au temps partiel par les salariés dans
le secteur des professions libérales.
M. Guy Fischer
s'est interrogé sur le potentiel de
créations d'emplois dans le secteur des professions libérales,
sur les difficultés de recrutement liées aux insuffisances de
formation et sur les risques de contraction de la masse salariale
consécutifs à la réduction du temps de travail.
M. Dominique Leclerc
s'est demandé si le secteur des
professionnels libéraux ne serait pas davantage
" asphyxié " par le surcroît de charges provoqué
par la réduction du temps de travail.
M. Jean Chérioux
s'est interrogé sur la frontière
entre professionnels libéraux et patrons de petite et moyenne
entreprise.
M. Jean-Pierre Fourcade, président
, s'est demandé si la
compensation sous forme de jours de repos introduite par amendement à
l'Assemblée nationale constituait un élément de souplesse
ou un facteur de coût supplémentaire.
En réponse,
M. Guy Robert
a tout d'abord indiqué qu'il
souhaitait aborder les travaux devant le Parlement dans un esprit constructif
afin de déboucher sur des solutions moins " artificielles "
que celles qui sont aujourd'hui proposées.
Il a estimé que la compensation, sous forme de jours de repos,
représentait un élément de souplesse utile.
S'agissant du temps partiel, il a estimé que cette solution était
adaptée dans l'hypothèse de certaines formes spécifiques
d'exercice libéral, notamment si le professionnel lui-même a
choisi de recourir à cette solution.
Il a confirmé que si la loi devait générer des embauches
supplémentaires, celles-ci seraient effectuées à un niveau
de rémunération égal ou proche de celui fixé par le
SMIC.
Interrogé par
M. Jean-Pierre Fourcade, président
, sur le
chèque " premier emploi ",
M. Guy Robert
a
estimé que l'idée était intéressante tout en
constatant qu'en réalité, il était difficile de parvenir
à une simplification totale en matière de formalités
d'embauche compte tenu de la diversité des organismes et administrations
impliqués.
Puis, la commission a procédé à
l'audition de M. Jean
Delmas, président
de
l'Union professionnelle artisanale
(UPA)
accompagné de
M. Pierre Burban, secrétaire
général
et de
Mme Brigitte Laurent, chargée des
relations avec le Parlement
sur le
projet de loi d'orientation et
d'incitation
relatif à la
réduction du temps de
travail
..
M. Jean Delmas
a tout d'abord rappelé que, selon les
déclarations du Gouvernement, le projet de réduction du temps de
travail s'inscrivait dans une démarche de création d'emplois et
de diminution du nombre des demandeurs d'emploi et que l'UPA partageait cette
volonté.
Il a constaté que la capacité de création d'emplois
n'était pas identique dans tous les secteurs économiques et pour
toutes les entreprises : de 1980 à 1995, les entreprises de plus de 200
salariés ont perdu 1.150.000 emplois, alors que celles de moins de 20
salariés ont créé 1.050.000 emplois.
Il a évoqué en outre les dernières statistiques de l'Union
nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC) confirmant que
55 % des salariés travaillaient dans des entreprises de moins de 50
salariés et 37 % d'entre eux dans des entreprises de moins de 20
salariés.
Constatant que la capacité des petites entreprises à créer
des emplois était toutefois freinée par le coût du travail,
il a considéré que le projet de loi allait encore alourdir
celui-ci.
Il a estimé qu'il aurait été plus urgent d'engager une
réforme de l'assiette des cotisations patronales conduisant à un
allégement des charges pesant sur la main-d'oeuvre employée par
les petites entreprises et de diminuer le taux de TVA applicable aux
activités de main-d'oeuvre, comme cela avait été au
demeurant envisagé lors du dernier sommet sur l'emploi à
Luxembourg.
Il a noté que les incidences de la réduction du temps de travail
ne seraient pas identiques dans tous les secteurs. Dans les secteurs en
sureffectifs, la réduction du temps de travail serait moins
pénalisante, financièrement avantageuse, et sans doute peu
créatrice d'emplois ; dans les petites entreprises, la diminution du
temps de travail risquait de pénaliser la bonne marche des entreprises
qui ne pourraient dégager des gains de productivité suffisants.
Il a estimé que ce projet de loi avait été
élaboré en tenant compte de la situation de grandes entreprises
et en ignorant la spécificité des petites entreprises artisanales.
Il a noté que les différentes interventions effectuées par
l'UPA avant le débat à l'Assemblée nationale avaient
favorisé une prise de conscience puisque le dispositif d'accompagnement
financier avait été modifié afin de favoriser l'emploi
dans les petites entreprises et les entreprises de main-d'oeuvre.
Il a souligné néanmoins que le dispositif voté en
première lecture à l'Assemblée nationale ne
présentait pas d'avancées suffisantes et qu'il était
devenu d'une telle complexité qu'il serait difficilement applicable dans
les entreprises artisanales.
Il a regretté que l'article premier, contrairement aux demandes de
l'UPA, fixe de manière autoritaire la réduction de la
durée légale du travail.
Il a considéré que l'Etat aurait dû laisser les partenaires
sociaux négocier avant de modifier le code du travail et a
demandé la suppression de l'article premier.
Par ailleurs, il a souligné que le report à 2002, pour les
entreprises de 20 salariés et plus, de la réduction de la
durée légale du travail n'était qu'un " leurre ".
Il a rappelé que l'exposé des motifs du projet de loi
précisait que ce délai supplémentaire visait à
permettre aux petites entreprises de mieux s'adapter aux problèmes
d'organisation du travail.
Il a considéré que le projet de loi créait, de fait, une
discrimination de traitement entre grandes et petites entreprises, et ce
même si deux amendements adoptés par l'Assemblée nationale
avaient tenté d'atténuer ce problème.
En effet, il a considéré que les entreprises de moins de 20
salariés étaient exclues en fait du dispositif d'accompagnement
financier dégressif prévu par l'Etat, ce qui entraînait des
distorsions de concurrence.
En revanche, il a approuvé l'article 2 du projet de loi, en soulignant
que seule la négociation, notamment au niveau de la branche pour les
petites entreprises, permettrait d'adapter l'aménagement du temps de
travail aux spécificités de chaque secteur économique. Il
a souligné toutefois, que le vote de l'article premier, par
l'Assemblée nationale, vidait totalement de son sens cette disposition.
Il a rappelé que l'UPA désapprouvait toutes les aides publiques
aux entreprises génératrices de distorsion de concurrence ; il a
confirmé que l'UPA contestait le dispositif d'aides prévu
à l'article 3 du projet de loi et a souligné que les
critères retenus pour l'attribution des aides n'avaient en
réalité d'effet qu'à partir de 50 salariés.
Il a constaté que plus l'entreprise était importante, plus l'aide
compensait le coût de l'embauche de salariés
supplémentaires : à partir d'un effectif de 50 salariés,
l'aide de l'Etat par emploi créé serait de 159.000 francs alors
que, pour une entreprise d'un salarié, cette aide serait de
18.000 ou 20.000 francs.
Il a noté toutefois qu'un amendement adopté à
l'Assemblée nationale précisait que le montant de l'aide pouvait
être majoré pour les petites entreprises et qu'un autre amendement
avait prévu des majorations spécifiques pour les entreprises de
main-d'oeuvre.
Il a regretté toutefois que cette dernière mesure soit
réservée aux salariés dont les niveaux de
rémunération sont proches du SMIC et que les catégories
des entreprises pouvant en bénéficier ne soient pas
précisées dans la loi.
Par ailleurs, il a noté que les dispositions concernant le dispositif
défensif excluaient de fait les petites entreprises puisqu'elles
étaient réservées aux entreprises susceptibles d'engager
une procédure de licenciement collectif et de conclure un accord
d'entreprise.
Il a approuvé la possibilité d'organiser la réduction du
temps de travail par un accord de branche étendu pour les entreprises de
moins de 50 salariés.
En revanche, il a déclaré que l'UPA était
" hostile " au principe du mandatement de salariés par des
organisations syndicales pour la conclusion de ces accords.
Il a rappelé que l'accord du 31 octobre 1995 relatif à
l'aménagement du temps de travail n'avait pu être mis en oeuvre
dans de nombreuses branches de l'artisanat car certaines organisations
syndicales avaient conditionné l'application de l'accord de branche
à l'existence d'un accord d'entreprise.
Or, il a souligné qu'il était inconcevable, dans le secteur
artisanal, d'exiger une négociation dans des entreprises qui comptaient
en moyenne trois salariés et que, pour des raisons de réalisme,
seule la négociation de branche était adaptée à
l'artisanat et aux petites entreprises.
Par ailleurs, il a noté avec satisfaction qu'un amendement voté
à l'Assemblée nationale avait créé un dispositif
d'appui et d'accompagnement en faveur des branches professionnelles s'engageant
dans une démarche de réduction du temps de travail et qui devrait
permettre aux organisations professionnelles de conseiller au mieux les
artisans pour s'adapter aux nouvelles contraintes.
S'agissant de la compensation en jours de repos ou dans le cadre d'un compte
épargne-temps, il a estimé que cette disposition permettrait de
clarifier les conditions dans lesquelles la réduction du temps de
travail pourrait s'effectuer. Toutefois, il a regretté le refus du
Gouvernement d'inscrire dans le texte lui-même que la réduction du
temps de travail pourrait s'effectuer dans le cadre d'une annualisation.
Il a estimé en effet que l'annualisation serait, pour la plupart des
secteurs de l'artisanat, le seul moyen pour réduire le temps de travail
sans porter atteinte à la viabilité de l'entreprise.
S'agissant du SMIC, il a indiqué que l'existence de deux SMIC à
partir du 1er janvier 2000, apparaissait inévitable pour ne pas
porter atteinte au fonctionnement des plus petites entreprises.
Il a considéré indispensable que les entreprises de moins de
20 salariés qui maintiendraient un horaire hebdomadaire de travail
de 39 heures ne se voient pas imposer une augmentation de 11,4 % du
coût du travail.
En conclusion, il a rappelé que l'UPA était prête à
engager des négociations sur l'aménagement du temps de travail
dès lors que l'Etat s'engagerait sur les cinq points suivants :
laisser les branches professionnelles aménager librement le temps de
travail des entreprises qu'elles représentent, notamment dans le cadre
de l'annualisation ; compenser, notamment par une réduction des charges,
l'augmentation du coût du travail qui résulterait d'une
réduction du temps de travail ; laisser aux petites entreprises, la
possibilité de recourir aux heures supplémentaires pour s'adapter
aux surcroîts imprévus d'activité ; lutter
énergiquement contre le travail clandestin que la réduction du
temps de travail ne pourra qu'amplifier, notamment dans le secteur du
bâtiment ; analyser les effets induits de la réduction du temps de
travail, notamment sur l'apprentissage et les contrats en alternance.
Il a souligné, en conclusion, que le projet de loi était loin de
répondre à ces cinq orientations.
M. Louis Souvet, rapporteur
, s'est interrogé sur les apports du
débat à l'Assemblée nationale, les risques de blocage du
dialogue social, les conséquences des incertitudes pesant sur le second
projet de loi prévu en 1999 et les risques de distorsions de concurrence.
M. Jean-Pierre Fourcade, président
, s'est interrogé sur le
nombre d'entreprises et de salariés dans le secteur des professions
artisanales.
En réponse,
M. Jean Delmas
a précisé que les
professionnels artisanaux représentaient 830.000 entreprises et 1,8
million de salariés.
Il a précisé que 50 % de ces entreprises comptaient 3
salariés ou moins et, qu'au niveau européen, 92 % des
entreprises comptaient moins de 9 salariés.
Concernant les éventuelles créations d'emplois, il a
déclaré qu'il souhaitait de nouvelles embauches, mais qu'il
doutait de leur réalité compte tenu des incertitudes qui pesaient
sur les entreprises artisanales " dans l'attente de
l'inconnu ".
Il a souligné que le dispositif ne pourrait pas fonctionner d'une
manière propice à la création d'emplois tant que le
Gouvernement n'aurait pas clairement indiqué les conditions dans
lesquelles pourrait être opérée l'annualisation du temps de
travail.
Il s'est déclaré favorable à des accords de branches en
matière d'organisation du temps de travail afin d'éviter les
distorsions de concurrence entre entreprises, tout en remarquant que la notion
de représentation syndicale restait à " inventer " pour
les entreprises de moins de 3 salariés.
Il a estimé nécessaire que se développe une
représentation syndicale issue du monde de l'artisanat et proche des
préoccupations des salariés de ce secteur.
Il a reconnu que le renvoi à une seconde loi, en 1999, pouvait
entraîner des effets d'attente de la part de certaines entreprises.
En réponse au
président Jean-Pierre Fourcade
, il a
précisé que l'on pouvait distinguer 40 branches d'importances
inégales au sein du secteur des professions artisanales.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
s'est félicitée de la
tonalité sans a priori et argumentée de la position de l'UPA.
Elle s'est interrogée sur les conditions de validation des accords
d'entreprises par les branches et sur les gains de productivité
éventuels dans le secteur des professions artisanales.
Mme Joëlle Dusseau
a constaté que l'analyse de l'UPA
était complète, nuancée et permettait de saisir certaines
difficultés de mise en oeuvre de la réduction du temps de
travail. Elle s'est interrogée sur l'annualisation, le recours aux
heures supplémentaires ainsi que sur les possibilités de
regroupement des petites entreprises.
M. Serge Franchis
a évoqué les origines structurelles de
la non-représentativité des syndicats dans les petites
entreprises.
M. Guy Fischer
s'est interrogé sur la mise en oeuvre du principe
de subsidiarité entre accords d'entreprise et accords de branche dans le
domaine de la réduction du temps de travail.
M. Jacques Machet
a souligné les contraintes d'ordre
administratif qui pesaient sur les artisans.
M. Jean-Pierre Fourcade, président
, s'est interrogé sur
l'impact du recours aux jours de repos prévus par l'article 4 du projet
de loi.
En réponse,
M. Jean Delmas
a souligné les
difficultés actuelles d'une négociation au niveau des branches
dans la mesure où les organisations syndicales prenaient insuffisamment
en compte les caractéristiques du secteur artisanal.
Il a rappelé que l'UPA souhaitait conserver sa spécificité
dans le cadre du dialogue social, auquel elle ne participe que depuis un an,
aux côtés du Conseil national du patronat français (CNPF)
et de la Confédération générale des petites et
moyennes entreprises (CGPME).
Il a constaté qu'en raison des tensions actuelles, la situation
n'était pas propice à une négociation sur le temps de
travail et qu'en pratique la marge de manoeuvre ouverte par le projet de loi
aux partenaires sociaux était des plus réduites.
Concernant le regroupement de petites entreprises, il a observé que,
s'il existait des exemples dans le domaine agricole, cette solution ne semblait
pas véritablement créatrice d'emplois supplémentaires.
Concernant les solutions envisageables en matière de négociation
sur le temps de travail, il a évoqué l'ouverture de
négociation sur l'annualisation dans le cadre de limites qui seraient
éventuellement fixées au niveau législatif.
Il a souligné enfin l'importance des accords de branches dans le secteur
artisanal afin d'éviter des distorsions de concurrence trop
accentuées entre les entreprises au sein d'une même branche.
Puis, la commission a procédé aux auditions
de M.
Jean-René Masson, secrétaire national
de la
Confédération française démocratique du travail
(CFDT),
M. Gilbert Fournier,
secrétaire
confédéral
, et
Mme Christine Reffet,
secrétaire confédéral
sur le
projet de loi
d'orientation et d'incitation
relatif à la
réduction du
temps de travail
.
M. Jean-René Masson
a tout d'abord estimé que
l'Assemblée nationale avait, en première lecture, maintenu
l'équilibre général du projet de loi. Il a
déclaré qu'au-delà des crispations sur l'article premier
relatif à la durée légale, la réussite du
dispositif dépendrait de l'ampleur de la dynamique de négociation
susceptible d'être enclenchée après le vote final de la loi.
M. Jean-René Masson
a affirmé que la CFDT
considérait la réduction du temps de travail comme une
réponse possible au chômage et à l'exclusion. Il a
observé que cette action devait être complétée par
un encouragement au développement d'activités nouvelles,
d'emplois de proximité ou de services, le développement des
mesures actives de l'UNEDIC et par l'élargissement du champ
d'application de l'allocation de reclassement pour l'emploi (ARPE).
M. Jean-René Masson
a déclaré que l'on ne pouvait
se contenter d'espérer que la croissance, seule, fasse reculer le
chômage, sans explorer toutes les voies possibles.
M. Jean-René Masson
a considéré que la
réduction du temps de travail devait rechercher trois objectifs :
l'emploi plutôt qu'une hausse des salaires, la
compétitivité des entreprises, le cas échéant en
avançant vers la flexibilité, et la croissance en soutenant la
consommation.
M. Jean-René Masson
a rappelé que ces trois objectifs
étaient au coeur de l'accord du 31 octobre 1995, son préambule
précisant que l'organisation du travail devait permettre une meilleure
prise en compte des fluctuations et que la réduction du temps de travail
devait permettre de préserver ou d'augmenter le nombre d'emplois. Il a
souligné que les 1.500 accords signés dans le cadre de la
loi " de Robien " avaient permis d'innover en matière
d'organisation du travail, tout en privilégiant l'emploi.
M. Jean-René Masson
a ensuite déclaré que la CFDT
approuvait le projet de loi du Gouvernement dans ses grandes lignes, en
insistant sur l'importance des négociations. Il a fait part de la
conviction de la CFDT qu'il était possible de conduire de manière
maîtrisée, à travers une bonne articulation de la loi et
des négociations, de grandes réformes favorables à
l'emploi.
En réponse à plusieurs questions de
M. Louis Souvet,
rapporteur
,
M. Jean-René Masson
a indiqué que la
France souffrait d'une mauvaise répartition du travail entre une
majorité de salariés qui bénéficiait d'un emploi
relativement protégé et une minorité qui en payait le prix
sous la forme du chômage.
Il a estimé que les jeunes et les travailleurs âgés
étaient particulièrement victimes de cette répartition. Il
a déclaré que la CFDT n'attendait pas tout de ce texte,
considérant que seule la négociation pouvait modifier la
durée réelle du travail.
Il a estimé que le patronat avait reconnu, en 1995, que la
réduction du temps de travail était une des pistes permettant de
créer ou de préserver des emplois. Il a considéré
que les entreprises se répartiraient en trois catégories quant
à l'application du texte : celles qui pourront l'appliquer, celles qui
bénéficieront d'un effet d'aubaine et celles qui rencontreront de
réelles difficultés.
M. Jean-René Masson
a estimé que rien ne sera possible
sans la participation active du patronat, en rappelant que la CFDT avait
souhaité éviter toute radicalisation. Il a observé que de
nombreuses entreprises avaient déjà entamé des discussions.
M. Jean-René Masson
a déclaré que l'annualisation
n'était pas un sujet tabou pour la CFDT ; il a estimé, par
ailleurs, qu'une entreprise qui pouvait adapter son organisation à sa
production avait ainsi les moyens de réduire la précarité.
M. Jean-René Masson
a rappelé que la CFDT n'était
pas favorable à la multiplication des SMIC. Il a estimé que trop
de salariés recevaient ce niveau de rémunération et qu'il
convenait de favoriser les déroulements de carrière à
travers, notamment, le développement de la polyvalence des
salariés.
M. Jean-René Masson
a regretté que les syndicats soient
peu implantés dans les PME, en estimant que les négociations pour
l'application de ce texte de loi pourraient être l'occasion d'amorcer un
dialogue nouveau dans ce type d'entreprise.
En réponse à
M. Jean Chérioux, M. Jean-René
Masson
a déclaré qu'il ne percevait pas de réticences,
de la part du patronat, à négocier sur la réduction du
temps de travail.
En réponse à
M. Serge Franchis, M. Jean-René Masson
a fait part de sa confiance dans la possibilité de modifier le
fonctionnement de la société ; il a cité à cet
égard le succès que représentait la réforme de
l'assurance maladie.
En réponse à
Mme Marie-Madeleine Dieulangard, M.
Jean-René Masson
a déclaré que la CFDT était
favorable à l'activation des dépenses passives de l'UNEDIC.
Il a considéré, par ailleurs, que le mandatement était un
bon système pourvu que l'on prévoie une validation des accords
par les branches. Il a estimé que le critère à
privilégier devait être l'acceptation de l'accord par les
salariés.
A propos des précisions à apporter à l'annualisation,
M. Jean-René Masson
a réaffirmé que la CFDT ne
craignait pas un débat sur la flexibilité.
Puis la commission a procédé à
l'audition de M.
Jean-François Perraud,
secrétaire
confédéral
de la
Confédération
générale du travail
(CGT),
Mme Monique Beaussier
,
animatrice du secteur santé-famille
, et
Mme Marie-France
Boutroue
,
collaboratrice du secteur garanties collectives
sur le
projet de loi d'orientation et d'incitation
relatif à la
réduction du temps de travail
.
M. Jean-François Perraud
a tout d'abord estimé que le
texte tel qu'il avait été voté en première lecture
à l'Assemblée nationale n'avait été modifié
qu'à la marge. Il a considéré que des progrès
avaient été réalisés sur les questions de
l'obligation du remboursement de l'aide en cas de non-respect de l'accord, sur
le contrat à temps partiel et sur les possibilités de
transformation d'heures supplémentaires en congé.
M. Jean-François Perraud
a considéré que le
mandatement ne devait être utilisé qu'en dernier recours. Il a
rappelé que son organisation avait pour objectif d'améliorer
cette loi et de favoriser le développement d'une dynamique propre
à créer des emplois.
M. Jean-François Perraud
a par ailleurs insisté sur la
nécessité de privilégier le niveau de la branche sur celui
de l'entreprise pour la négociation des accords. Il a également
mis en avant les risques liés à une multiplication des salaires
minimum interprofessionnels de croissance (SMIC), notamment pour les nouveaux
embauchés qui pourraient se voir appliquer la référence la
moins favorable.
M. Jean-François Perraud
a regretté que le texte n'ait pas
été plus contraignant en matière d'heures
complémentaires et il a souhaité que les possibilités de
modulation des horaires de travail soient limitées.
M. Jean-François Perraud
a considéré que le
dispositif défensif visant à préserver les emplois devrait
être encadré et contrôlé pour éviter les abus.
En réponse à plusieurs questions de
M. Louis Souvet,
rapporteur, M. Jean-François Perraud
a déclaré
que son organisation n'était pas, par principe, opposée à
une aide publique, mais il a observé que sa capacité à
créer des emplois n'avait pas été démontrée.
Il a fait part de son désaccord à ce que cette aide mette
à contribution les caisses de la sécurité sociale.
M. Jean-François Perraud
a considéré que la
réduction du temps de travail constituait un véritable projet de
société qui devait permettre d'apprendre à travailler
autrement.
Mme Marie-France Boutroue
a précisé que la CGT
n'envisageait pas que la réduction du temps de travail puisse
s'accompagner d'une diminution du salaire. Elle a souhaité
l'inscription, dans la loi, de ce principe.
Après avoir entendu M. Jean-François Perraud
, M. Guy
Fischer
a considéré que le projet de loi n'était pas
assez précis, qu'il autorisait une forme de
déréglementation et qu'il pouvait entraîner un tassement de
la masse salariale.
En réponse à une question de
M. Jean-Pierre Fourcade,
président, M. Jean-François Perraud
a
considéré que les avantages financiers prévus par les
dispositifs " de Robien " et Aubry étaient comparables.
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, sous la
présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, président, la commission a
procédé à
l'audition de M. Jean-Emmanuel Ray
,
professeur des universités, sur le
projet de loi d'orientation et
d'incitation
relatif à la
réduction du temps de
travail
.
M. Jean-Emmanuel Ray
a indiqué que le projet de loi d'orientation
et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail
soulevait des problèmes juridiques à la fois sur le plan
individuel et sur le plan collectif.
S'agissant du contrat de travail individuel, il a souligné que la
première question était de savoir si la réduction du temps
de travail décidée unilatéralement par l'employeur
était assimilable à une modification du contrat de travail.
Il a précisé qu'un arrêt de la chambre sociale de la Cour
de Cassation du 19 novembre 1997 disposait que la réduction de
l'horaire de travail sans compensation salariale constituait une modification
du contrat de travail que le salarié n'était pas tenu d'accepter.
Il a évoqué, par ailleurs, un arrêt de la Cour de Cassation
du 28 janvier 1998 relatif à l'application de la loi " de
Robien " disposant que la modification du mode de
rémunération d'un salarié pouvait être
considérée comme une modification du contrat de travail et
pouvait conduire à la rupture de celui-ci.
M. Jean-Emmanuel Ray
a donc estimé qu'il serait possible,
à des salariés refusant une réduction du temps de travail
sans compensation salariale, de faire pression sur leur employeur, pour obtenir
la remise en question d'une mesure unilatérale de réduction du
temps de travail.
Par ailleurs, il a évoqué l'hypothèse d'une entreprise
qui, après avoir proposé une réduction du temps de
travail, assortie d'une diminution de salaire, choisirait de ne pas licencier
les salariés qui refuseraient la réduction de leur
rémunération. Il a indiqué que, dans ce cas, la
coexistence de deux catégories de salariés au sein de la
même entreprise pourrait soulever un problème
d'équité alors qu'un arrêt de la Cour de Cassation
d'octobre 1996 édicte que deux salariés en situation identique
ont droit à la même rémunération.
De plus,
M. Jean-Emmanuel Ray
a souligné que si dix
salariés ou plus d'une même entreprise refusaient une
réduction du temps de travail sans compensation salariale et demandaient
leur licenciement, l'entreprise serait alors tenue de procéder à
des licenciements économiques dans le cadre d'un plan social,
susceptible d'être mal compris par les banques ou les partenaires
commerciaux de l'entreprise.
Il a précisé qu'il ne s'agissait pas d'une hypothèse
d'école, s'agissant de personnels d'encadrement pour lesquels le
dispositif d'aide financière prévu par le projet de loi
était relativement désavantageux pour l'entreprise, compte tenu
du niveau de leur rémunération.
Rappelant que les licenciements économiques devaient être
fondés sur une " cause réelle et sérieuse ", il
s'est demandé si une réorganisation du temps de travail
effectuée sur la base du projet de loi serait considérée
par les juges comme une mesure de " maintien de la
compétitivité de l'entreprise " susceptible de justifier en
droit une procédure de licenciement économique.
Il a souligné que si les juges devaient estimer que la réduction
du temps de travail n'était pas un motif sérieux de licenciement
économique, le coût du licenciement serait alors majoré de
six mois de salaire par personne pour l'entreprise.
Enfin, en dernier lieu, il s'est demandé si les conventions collectives
conclues dans le cadre du projet de loi auraient un caractère
impératif et automatique vis-à-vis des contrats de travail.
Il a estimé que la jurisprudence n'était pas claire aujourd'hui
sur ce point, sauf à considérer que l'intérêt
général poursuivi en matière de baisse du chômage
par un accord collectif relatif à la réduction du temps de
travail était plus favorable pour le salarié que la sauvegarde
des intérêts particuliers relevant du contrat de travail.
Evoquant, dans un second volet, les problèmes collectifs posés
par le projet de loi,
M. Jean-Emmanuel Ray
s'est tout d'abord
demandé si la possibilité, prévue par le projet de loi, de
conclure un accord collectif spécifique, pouvait dispenser de la
consultation du comité d'entreprise sur un projet de
réorganisation du temps de travail et des modes de
rémunération.
Il a rappelé à cet égard que l'absence de consultation du
comité d'entreprise pourrait être considérée par le
juge comme un délit d'entrave au sens de l'article L. 483-1 du code du
travail.
En second lieu,
M. Jean-Emmanuel Ray
a évoqué la question
de l'annualisation du temps de travail.
Il a rappelé tout d'abord que les entreprises disposaient, dans le cadre
de la loi du 20 décembre 1993, des instruments juridiques et financiers
nécessaires pour procéder à cette annualisation.
Toutefois, il a indiqué qu'il existait un débat sur le point de
savoir si les accords d'annualisation devaient être
considérés comme des accords dérogatoires au sens de
l'article L. 212-9 du code du travail, susceptibles d'être
repoussés par les organisations syndicales n'ayant pas signé ces
accords et ayant recueilli plus de la moitié des voix au cours des
dernières élections.
Il a considéré que si la procédure d'opposition
était bien applicable, la mise en oeuvre d'une annualisation serait
délicate à négocier dans la plupart des grandes
entreprises.
En troisième lieu, il s'est interrogé sur la disposition
introduite par l'Assemblée nationale à l'article 4 bis du projet
de loi disposant que " la durée du travail effectif est le temps
pendant lequel le salarié est à la disposition de
l'employeur ".
Il a souligné que, prise à la lettre, cette disposition, issue du
droit européen, conduirait à intégrer dans le temps de
travail l'ensemble des trajets à caractère professionnel d'un
cadre commercial international, voire les périodes de repos prises
à l'hôpital par une infirmière. Il a également
évoqué le cas des salariés qui peuvent être
appelés directement au téléphone à leur domicile
par leur entreprise.
M. Louis Souvet, rapporteur,
s'est interrogé sur la
complexité du texte, son impact sur l'emploi, l'appréciation des
amendements adoptés par l'Assemblée nationale,
l'amélioration éventuelle de la loi " de Robien ", les
avancées possibles en matière de flexibilité et
d'annualisation et les alternatives à la faiblesse du dialogue social
dans les petites et moyennes entreprises.
En réponse,
M. Jean-Emmanuel Ray
, s'agissant de la
complexité reprochée au projet de loi, a souligné que la
question du temps de travail avait inévitablement des
répercussions importantes s'agissant du niveau des salaires, des
horaires de travail et des rythmes de vie, qui sont intimement liés
à la vie privée des salariés. Rappelant que la loi du
20 décembre 1993 était déjà un texte
relativement compliqué, il a considéré qu'il serait
difficile d'adopter une loi simple dans le domaine du temps de travail.
A propos des conséquences pratiques du texte, il a estimé que de
nombreux cadres seraient vraisemblablement conduits à reporter leurs
jours de repos sur le compte épargne-temps et qu'ils ne demanderaient
à bénéficier de celui-ci qu'à l'occasion d'un
éventuel licenciement.
De ce point de vue, il a souligné que, pour les cadres, le non-respect
en pratique de l'obligation hebdomadaire de travail prévue par le projet
de loi se traduirait par une compensation sous forme monétaire.
S'agissant de l'annualisation du temps de travail, il a estimé que les
deux dispositifs de modulation qui existent aujourd'hui dans le code du travail
étaient parfaitement compatibles avec la mise en oeuvre des 35 heures
hebdomadaires.
Concernant les petites et moyennes entreprises (PME), il a constaté que
le rapport des forces dans une économie à haut niveau de
chômage était défavorable aux salariés et il a
estimé que l'ouverture de négociations dans ce contexte ne
pourrait qu'aboutir à une flexibilité accrue.
Au sujet du mandatement, il s'est demandé si un salarié,
mandaté pour signer un accord collectif dans le cadre du projet de loi,
était réellement " habilité " à remettre
en cause un accord d'entreprise préalablement signé en
matière de rémunérations et portant, par exemple, sur les
conditions d'attribution d'une prime de fin d'année.
Il a estimé que si la réduction du temps de travail devait
être assimilée à une modification du contrat de travail,
cela favoriserait en fait les meilleurs éléments de l'entreprise,
qui seraient en mesure de la quitter dans les meilleures conditions, avant de
trouver un nouvel emploi.
M. Jean-Pierre Fourcade, président,
s'est interrogé sur la
primauté à accorder aux négociations au niveau de la
branche en matière d'organisation du temps de travail.
M. Jean-Emmanuel Ray
a souligné que la branche était
un niveau intéressant pour la négociation, dans la mesure
où elle correspondait à un élément cohérent
de régulation au sens économique, tout en regrettant les
insuffisances du dialogue social dans la plupart des branches actuelles.
Il a observé, de plus, que la négociation de branche permettrait
de résoudre les problèmes posés par le mandatement.
M. Jean Chérioux
s'est interrogé sur la modulation du
dispositif en fonction du nombre de salariés de l'entreprise au regard
du principe de l'égalité devant la loi.
M. Jean-Emmanuel Ray
a précisé que dans ce domaine la
jurisprudence montrait que l'attitude du Conseil constitutionnel était
relativement tolérante, dès lors que les dispositions
proposées avaient un caractère expérimental.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
s'est interrogée sur les
inconvénients du mandatement.
M. Jean-Emmanuel Ray
a estimé que la question qui était
posée était celle de la légitimité d'une personne
mandatée, pour une durée temporaire et par une organisation
syndicale qui n'est pas nécessairement représentée dans
l'entreprise, à conclure des accords collectifs en matière de
réduction du temps de travail, lesquels peuvent, au demeurant,
être en contradiction avec des accords ou conventions signés
auparavant.
A cet égard, il a rappelé que les règles d'agrément
des accords collectifs, par les organisations syndicales, avaient
été adoptées au début des années 50, dans un
contexte politique et syndical très différent de celui
d'aujourd'hui.
Il s'est interrogé sur l'utilité d'une réforme qui
permettrait l'entrée en vigueur d'accords collectifs en matière
d'annualisation ou de réduction du temps de travail, sous réserve
d'une signature de l'accord par les syndicats représentant au moins
50 % des salariés de la branche ou de l'entreprise.
Il a estimé en revanche que la mise en oeuvre de tels accords par
référendum serait certainement difficile à obtenir.
Revenant sur les inconvénients juridiques du projet de loi, il a
rappelé que depuis 1982 un certain nombre de contrats de travail
mentionnait expressément une durée hebdomadaire de travail de 39
heures, ce qui constituait éventuellement un motif supplémentaire
de rupture du contrat en cas d'application de la réduction du temps de
travail.
Il a précisé que l'élargissement du dispositif d'aide de
la loi " de Robien " à l'ensemble des entreprises, dans des
conditions analogues à celles prévues par le projet de loi,
représenterait une dépense de 180 milliards de francs.
Il a souligné que la loi " de Robien " présentait de
tels avantages sur le plan financier que les problèmes juridiques
liés à une éventuelle réduction de salaire avaient
en réalité été atténués, sinon
" gommés ".
Il a constaté que la situation était différente dans le
cadre de l'actuel projet de loi qui aurait globalement pour conséquence
de reporter le coût de la réduction du temps de travail pour un
tiers sur l'Etat, un tiers sur les gains de productivité et un tiers sur
les salariés.
D'un point de vue strictement économique, il a exprimé des doutes
sur la capacité de ceux qui sont à l'intérieur de
l'entreprise (" insiders ") à accepter des sacrifices au
profit des chômeurs qui sont à l'extérieur de celle-ci
(" outsiders ").
M. Claude Huriet
s'est demandé si les juristes avaient
été auditionnés dans le cadre de la préparation de
la loi et il s'est interrogé sur les conditions de mise en oeuvre de la
loi " de Robien ".
M. Louis Souvet, rapporteur,
s'est interrogé sur la mise en
oeuvre du double SMIC prévu par le projet de loi et sur l'application
des aides à la réduction du temps de travail aux entreprises en
situation de difficulté économique.
En réponse,
M. Jean-Emmanuel Ray
a estimé que le recours
à un SMIC " à deux vitesses " n'était
peut-être pas la meilleure des solutions, tout en reconnaissant toutefois
qu'un problème d'équité serait toujours posé
vis-à-vis des personnes qui entreront nouvellement sur le marché
du travail.
Par ailleurs, il a indiqué que le projet de loi devrait pouvoir
être utilisé dans un but " défensif " au
même titre que la loi " de Robien ", même s'il
subsistait, effectivement, quelques difficultés d'interprétation
sur ce point.
M. Jean-Pierre Fourcade, président,
s'est interrogé sur
les conséquences d'un durcissement des conditions du recours au temps
partiel par les entreprises.
M. Jean-Emmanuel Ray
a estimé que, dans le contexte
économique actuel, le temps partiel était plus souvent subi que
choisi par le salarié et qu'il entraînait ainsi une nouvelle forme
de précarité sociale. Il a estimé à cet
égard que les dispositions protectrices du projet de loi en
matière des périodes minimales d'interruption d'activité
répondaient à un besoin social en matière de protection
des salariés.
Il a rappelé que de nombreux pays d'Europe du nord recouraient largement
au temps partiel, dans un contexte où la famille était
considérée comme une valeur essentielle, et où le partage
du travail et des revenus était une notion largement admise dans toutes
les couches de la société, tout en soulignant que la situation
était différente en France, où le travail avait acquis une
place centrale dans la définition du rôle social des individus.
M. Jean Chérioux
s'est interrogé sur le
développement du temps partiel pour les femmes et
M. Dominique
Leclerc
sur la répercussion qu'aurait, sur le chômage,
l'instauration d'un salaire maternel.
En réponse,
M. Jean-Emmanuel Ray
a évoqué le
coût budgétaire important d'un salaire maternel et il a
souligné la nécessité de tenir compte des
évolutions sociologiques sur la place des femmes dans notre
société.
Puis la commission a procédé à
l'audition de M. Jean
Pélissier, professeur des universités
sur le
projet de
loi
d'orientation et d'incitation
relatif à la
réduction du temps de travail
.
M. Jean Pélissier
a rappelé que, depuis environ dix ans,
les différentes réformes concernant le temps de travail avaient
eu pour objet de faciliter son aménagement. Si ces réformes ont
présenté d'indiscutables intérêts, elles n'ont pas
favorisé l'emploi. En effet, contribuant à réduire les
coûts salariaux et à améliorer l'organisation de
l'entreprise, elles ont même pu constituer des incitations au
licenciement.
Il a estimé que le texte proposé par le Gouvernement suscitait
trois interrogations majeures, qui concernent la diminution de la durée
légale du travail, la réduction négociée de ce
temps de travail et le travail à temps partiel.
Evoquant le premier point, il a estimé que le projet de loi n'imposait
pas une nouvelle durée du travail mais avait pour seul effet de
déclencher des majorations de salaire à partir d'un certain
horaire hebdomadaire.
Il a indiqué que les questions importantes à résoudre
étaient la durée maximale de la journée ou de la semaine
de travail et le régime des heures supplémentaires.
M. Jean Pélissier
a ensuite abordé ce qui constitue
l'objet central du projet de loi, la réduction négociée de
la durée du travail. Il a estimé que le texte
présenté par le Gouvernement ne répondait pas à
toutes les questions juridiques qui se posaient. A cet égard, il a
examiné les questions du niveau de la négociation, de la
qualité des interlocuteurs et du contenu des accords.
Pour le niveau de la négociation, il a observé que le choix du
projet de loi était de favoriser la négociation d'entreprise ; il
a cependant indiqué qu'il conviendrait de préciser la marge de
manoeuvre des négociateurs dans la conclusion des accords d'entreprise
complémentaires aux accords de branche.
Pour les interlocuteurs, il a constaté que le projet de loi offrait aux
syndicats la possibilité de désigner des mandataires dans les
entreprises où il n'existe pas de représentation syndicale.
Il s'est interrogé sur la possibilité pour les syndicats
majoritaires d'exercer un droit d'opposition à l'encontre des accords
d'entreprise ainsi conclus.
Il a estimé que si ces accords ne comportaient pas de modulation du
temps de travail sur l'année, le syndicat majoritaire n'exercerait pas
de droit d'opposition.
En revanche, la situation des accords comportant une telle modulation est plus
délicate. En effet, l'article L. 212-2-1 du code du travail
prévoit que les accords de réduction du temps de travail
s'accompagnent d'un aménagement du temps de travail sur l'année ;
or, la Cour de cassation n'a pas encore eu l'occasion de préciser s'ils
constituaient des accords dérogatoires. Il a rappelé que certains
juristes avaient avancé le fait que, dans la mesure où l'article
L. 212-2-1 était inséré dans une partie du code du travail
intitulée " Dispositions générales ", il ne
pouvait pas concerner des accords dérogatoires.
M. Jean Pélissier
a évoqué la question du contenu
et de la portée des accords d'entreprise. Il s'est interrogé sur
l'opposabilité de ces accords à l'ensemble des salariés.
Soulignant le caractère elliptique du projet de loi en cette
matière, il a estimé qu'un amendement serait nécessaire si
le législateur voulait que les conventions collectives s'imposent
à l'ensemble des salariés, quelle que soit la rédaction de
leur contrat de travail. Il a suggéré que l'accord ne puisse
être opposable à l'ensemble des salariés que s'il avait
fait l'objet d'un référendum préalable.
M. Jean Pélissier
a enfin évoqué la question du
temps partiel. Il a estimé que la définition actuelle du temps
partiel devrait être modifiée pour être conforme au droit
européen en vigueur, selon lequel est qualifié de temps partiel
tout temps inférieur à celui qui est pratiqué dans
l'entreprise. Il a suggéré qu'un " droit de retour ",
selon des modalités à définir, soit institué au
profit des salariés qui optaient pour le temps partiel et a
souligné l'absence de protection dont étaient victimes les
salariés à temps partiel ayant des horaires très
réduits.
M. Louis Souvet, rapporteur,
a estimé au préalable que la
diminution des coûts salariaux était favorable à l'emploi.
Il a demandé à M. Jean Pélissier si le texte
adopté par l'Assemblée nationale était applicable en
l'état et si une modification de la loi " de Robien "
n'aurait
pas été préférable à un tel projet de loi.
En réponse,
M. Jean Pélissier
a réaffirmé sa
conviction selon laquelle la diminution des coûts salariaux n'avait pas
nécessairement d'effet positif sur l'emploi. Il a estimé que le
texte de l'Assemblée nationale était applicable en l'état.
En réponse à une question du rapporteur,
M. Jean
Pélissier
a estimé que le dispositif d'incitation
financière serait plus aisé à appliquer dans les moyennes
et grosses entreprises. Il a insisté notamment sur l'obstacle
constitué par le manque d'interlocuteurs dans les PME.
En réponse à une question de
M. Louis Souvet, rapporteur,
sur la nouvelle définition du travail effectif introduite par un
amendement à l'Assemblée nationale,
M. Jean
Pélissier
a confirmé qu'elle s'inspirait du droit
communautaire et de la jurisprudence de la Cour de cassation.
En réponse à une question de
Mme Marie-Madeleine
Dieulangard,
M. Jean Pélissier
a déclaré
que le Gouvernement semblait s'en remettre à la seconde loi pour
encadrer la modulation. Il a par ailleurs estimé que l'on pouvait
difficilement diminuer le salaire minimum interprofessionnel de croissance
(SMIC).
MM. Marcel Lesbros et Jean Chérioux
ont alors fait remarquer que
l'application aux hôpitaux privés et au secteur non marchand de la
loi se traduirait par une hausse des coûts salariaux qui se
répercuterait sur les comptes publics et sociaux.