B. UNE NOUVELLE MUE
1. La création de Réseau Ferré National
Presque quatorze sur quinze articles du projet qui nous est soumis ont pour objet d'organiser la naissance de l'établissement public de RFN : tel est bien l'objet essentiel du projet de loi qui nous est soumis.
a) Une novation logique : la séparation de l'infrastructure et de l'exploitation
Le projet de loi qui nous est soumis sépare de fait la SNCF, désormais vouée au rôle d'exploitant et au rôle de gestionnaire délégué d'infrastructure, et RFN à qui est confiée la propriété des infrastructures. Une telle séparation constitue à l'évidence un tournant historique : une véritable mue.
Au cours des entretiens qu'il a pu se ménager avec les organisations représentatives des personnels, votre rapporteur a clairement perçu l'émotion avec laquelle est accueillie une telle perspective. Les cheminots sont, en effet, traditionnellement attachés à l'unité de la SNCF.
On ne saurait cacher que le projet de loi porte partiellement atteinte à cette unité. Le détachement d'une bonne centaine d'agents auprès de RFN et la cession à RFN de quelque 130 milliards d'actifs immobiliers ne sont pas des événements négligeables pour une entité qui, comme la SNCF a développé une identité unitaire aussi forte à travers la Résistance, puis au rythme des conflits sociaux. Pour autant, les arguments défendus sur ce thème par certains sont-ils de nature à être retenus ? Tel n'est, après mûr examen, pas le sentiment de votre commission. Non seulement, le projet de loi qui nous est soumis n'amoindrit pas la SNCF mais encore fournit-il l'occasion de la sauver.
La querelle de l'unité, pour respectable qu'elle soit, doit donc être dépassée. La création de RFN constitue, en effet, une ultime solution avant une catastrophe qui apparaissait, malheureusement, inéluctable à terme.
b) Un montage ingénieux : la dette par " procuration "
En la débarrassant d'une partie considérable de son endettement mais aussi en ouvrant la voie à de nouvelles sources de financement, qu'il s'agisse de concours des collectivités territoriales (les régions), qu'il s'agisse de concours européens, le projet de loi qui nous est soumis est salvateur.
La solution proposée est novatrice alors que toutes les autres solutions possibles ont été, il faut le rappeler, mises en oeuvre et ont trouvé leurs limites : la reprise par l'État de la dette à travers le service annexe de la dette en 1989-1990, puis la création, dans le droit fil de la directive n° 91-440 d'un compte " Infrastructures ".
Si la question du montant de dette susceptible d'être assumé à travers RFN mérite un examen attentif et constitue, à l'évidence, un champ ouvert de discussion, en revanche nul ne saurait prétendre de bonne foi qu'aucun effort financier n'est fait pour résoudre les difficultés de la SNCF.
En outre, s'il est vrai que l'inscription d'une dette au passif de RFN n'efface pas, au sens strict, la dette de la SNCF, cette inscription a pour effet d'alléger la charge de la SNCF de façon incontestable.
En dépit des commentaires des adversaires du projet, l'article 6 du projet de loi qui prévoit d'inscrire au passif de RFN une dette de 125 milliards de francs vis-à-vis de la SNCF, -dette qui allégerait d'autant la dette accumulée par la SNCF- constitue donc une chance unique et historique pour cet établissement. En effet, à travers le financement de la dette nouvellement imposée à RFN, c'est, pour partie l'Etat, et donc le contribuable qui viendra participer à l'effort en faveur de la SNCF. Cette chance doit être mesurée avec prudence par l'ensemble des intervenants du transport ferroviaire car, à coup sûr, elle ne se représentera pas.
c) Une clarification équilibrée : les modalités de mise en place de RFN
Une répartition des compétences est opérée entre l'Etat, la SNCF et RFN, ainsi qu'en témoigne le tableau ci-après :
Les modalités d'institution de RFN paraissent équilibrées :
- définition des modalités d'exercice des missions précises de RFN par un décret en Conseil d'État ;
- dans ce cadre, conclusion d'une convention entre RFN et la SNCF, pour définir les conditions d'exécution et de rémunération de ces missions. A défaut de convention dans les six mois après la publication du décret cité plus haut, fixation de ces conditions par un autre décret en Conseil d'État ;
- délégation exclusive par RFN à la SNCF de la gestion du trafic et des circulations ainsi que du fonctionnement, de l'entretien et de la sécurité ;
- ouverture à RFN du droit de confier à la SNCF des mandats de maîtrise d'ouvrage portant sur des ensembles d'opérations et ce, par dérogation à la loi " Sapin " de 1985 ;
- mise en place d'un conseil d'administration à trois collèges (salariés, personnalités qualifiées, dirigeants) conformément aux dispositions de la loi de 1983 relative à la démocratisation du secteur public et désignation du président, sur proposition du conseil, par décret ;
- soumission de RFN aux règles applicables aux entreprises industrielles et commerciales mais aussi au contrôle de l'État ;
- partage, par décret en Conseil d'État, des biens apportés à RFN et des biens, liés à l'exploitation ou à sa gestion, demeurant affectés à la SNCF ;
- adaptation du régime fiscal de la SNCF à sa nouvelle situation domaniale ;
- intégration des biens immobiliers de RFN dans le domaine public et application à ces biens des règles de la grande voirie ;
- ouverture à RFN de la possibilité de percevoir des redevances d'usage de ses infrastructures et de recevoir des concours financiers (État, collectivités territoriales, etc...) ;
- maintien, à titre transitoire, des compétences de la SNCF jusqu'à l'adoption de la convention et à la prise des décrets visés plus haut.
Au total, on le constate, il s'agit d'un système simple, d'un système raisonnable, qui appelle peu de compléments ou de corrections.
Certains ont émis des réserves sur le nombre, à leurs yeux excessifs, des décrets en Conseil d'État nécessaires pour l'application de ce texte. Tel n'est pas le sentiment de votre commission qui juge, au contraire, que chacun des décrets prévu sera indispensable et que le Parlement est parfaitement dans son rôle lorsqu'il définit des normes générales qu'il appartient ensuite au règlement de mettre en oeuvre.
d) Une garantie nécessaire : le sort des personnels
L'énumération qui précède comporte une lacune : les personnels de RFN. Force est de constater que le projet de loi est muet sur ce point.
Certes, détenant le statut d'établissement public, RFN aura, par définition, le pouvoir de recruter directement des personnels.
Mais, les entretiens de votre rapporteur avec les organisations représentatives des personnels de la SNCF l'ont convaincu de la nécessité de clarifier ce point important. En effet, l'absence de précision laisse subsister une part d'incertitude qui, très logiquement, nourrit chez les cheminots une relative inquiétude s'agissant de l'emploi, inquiétude avivée par la conjoncture économique globale.
Ainsi, la CGT dans le document qu'elle a transmis, le 24 septembre 1996, faisait-elle remarquer (page 4) : " Ce sont 40.000 emplois qui sont en cause ".
Pour votre commission, il importe de bien définir la dimension du problème posé.
Actuellement, force est de convenir que le nombre des agents futurs de RFN n'est pas déterminé. Compte tenu des missions que RFN aura à assumer, les auteurs du projet de loi estiment que l'ordre de grandeur est de 100 à 200 personnes. Le chiffre ainsi avancé est modeste.
On peut penser que nombre de ces agents proviendront de l'actuelle Direction des Infrastructures de la SNCF. Il faut toutefois noter que l'article 10 du projet prévoit que les agents assermentés de la SNCF pourront continuer à contrôler la conservation du domaine public de RFN, ce qui semble viser les 1.200 agents, agents de maîtrise, chefs de districts et cadres de la voie qui se consacrent actuellement à cette tâche.
Pour votre commission, il importe surtout que des garanties soient accordées aux agents de la SNCF qui seront détachés auprès de RFN.
La convention prévue à l'article premier du projet organisera, bien entendu, une telle mise à disposition. Selon les indications fournies à votre rapporteur, ces agents seront détachés sur la base du volontariat.
Votre commission juge indispensable que le projet de loi affirme que ces agents conserveront leur statut. Il importe, en outre, que les personnels choisis pour venir animer RFN le soient avec soin afin que RFN joue un véritable rôle de concepteur et d'animateur en matière d'infrastructures. Il doit y avoir une exigence à cet égard.
De quoi s'agit-il, en effet ? RFN ne doit pas être une simple caisse d'amortissement de la dette de la SNCF, une quasi-structure de cantonnement où ne seraient employés que des agents comptables.
RFN doit avoir une ambition. Il doit définir des programmes, en matière d'infrastructures, un peu à la façon de l'Eisenbahnbundesamt allemand. Il doit véritablement assumer ses responsabilités de propriétaire des infrastructures et de conseiller de l'État, s'agissant de la consistance des infrastructures. Il doit avoir une capacité d'expertise autonome par rapport à celle de la SNCF.
Il faut donc lui donner les moyens en personnel d'être, en complément, et aux côtés de la SNCF, un pôle d'excellence.