B. LES RÉSULTATS
1. La transposition de la directive
La transposition de la directive dans le droit interne des États-membres n'a été complète qu'en 1994, l'échéance ayant été fixée au 3 octobre 1991. Par ailleurs, la commission a saisi la cour de justice de Luxembourg de deux cas de non-conformité entre la loi nationale et la directive.
2. L'exécution des obligations de diffusion et de production.
Dans son rapport du 31 mai 1995 sur l'application de la directive, la commission fait état d'un « bilan globalement positif », de l'exécution de ces obligations. Ainsi. 66 % des diffuseurs ont respecté l'obligation de diffusion d'oeuvres européennes en 1991 et 1992. Sont en retrait l'Italie, l'Espagne, la Belgique, la Grèce, l'Allemagne, le Luxembourg, le Royaume-Uni pour certaines chaînes satellitaires, comme on le verra ci-dessous, et la France pour une chaîne câblée.
Par ailleurs. 68.4 % des diffuseurs ont respecté l'obligation de financer ou de diffuser des oeuvres émanant de producteurs indépendants.
Cependant, la commission relève aussi les difficultés d'analyse qui résultent des différences de présentation entre les rapports nationaux, de la diversité des critères de référence retenus par ceux-ci de l'absence de statistiques sur les nouvelles chaînes et dans certains domaines (obligations intéressant les productions indépendantes et la proportion d'oeuvres récentes au sein de celles-ci). Les principales difficultés résultent cependant de la rédaction ambiguë de certaines dispositions de la directive.
3. Les effets d'une rédaction ambiguë ou laxiste
Le texte adopté en 1989 était manifestement insuffisamment précis ou excessivement laxiste sur trois points au moins :
• Le critère d'identification de
l'État membre ayant compétence sur un organisme de diffusion
télévisuelle.
Ce point est essentiel compte tenu du fait que le rattachement d'un diffuseur à l'ordre juridique d'un État membre lui permet de se prévaloir de la liberté d'émettre sur tout le territoire de l'Union européenne. Toute imprécision ou toute insuffisance ouvre aux diffuseurs la possibilité de jouer des différences entre les législations nationales pour se placer sous le régime juridique commercialement le plus favorable sans que leurs liens avec l'État membre de rattachement aient nécessairement une réalité économique tangible de graves distorsions de concurrence peuvent en résulter.
Or la directive 89-552 énonce un critère de rattachement singulièrement lâche : le diffuseur relevant de la compétence d'un État membre est soumis au droit de ce dernier. Il existe un critère subsidiaire : le diffuseur qui ne relevant de la compétence d'aucun État membre, utilise une fréquence, une capacité satellitaire ou une liaison montante située dans un État membre, est soumis au droit de ce dernier.
Ainsi, le critère principal de rattachement est fourni par les droits nationaux, non coordonnés en la matière, ce qui suscite des cas de vide de compétence ou de cumul de compétence. Le premier cas est illustré par la situation de la chaîne de télévision Red Hot Télévision, diffusée à partir des Pays-Bas et du Danemark, établie au Royaume-Uni, mais ne relevant de la compétence d*aucun de ces États selon leur droit interne. Le second cas est illustré par RTL TV que la Belgique et le Luxembourg considèrent simultanément comme relevant de leur autorité.
• Le caractère insuffisamment normatif
des quotas de diffusion ainsi que des obligations de financement ou de
diffusion d'oeuvres émanant de producteurs indépendants.
Les obligations relatives à la promotion des oeuvres européennes figurant aux articles 4 et 5 de la directive doivent être exécutées « chaque fois que cela est réalisable », « progressivement », et « par les moyens appropriés », ce qui offre une marge de manoeuvre certaine aux États-membres peu convaincus de l'opportunité d'imposer aux diffuseurs des contraintes réglementaires pesant sur leur stratégie commerciale.
De fait, le Royaume-Uni a institué un régime juridique particulièrement laxiste à l'intention des chaînes satellitaires non-européennes dont l'objectif est d'occuper, et dont la réussite serait de saturer, le créneau commercial des chaînes thématiques en diffusant à moindre prix des programmes acquis à moindre coût sur le marché américain. C'est le cas de TNT Cartoon, titulaire d'une licence au titre du régime britannique des services de satellite non national, dont la Cour de Justice de l'Union européenne a été saisie par un tribunal belge.
• La définition de l'oeuvre
L'article 4 de la directive exclut du calcul de la diffusion
majoritaire d'oeuvres européennes, les informations, les manifestations
sportives, les jeux, la publicité, les services de
télétexte, ce qui revient a contrario à assimiler aux
« oeuvres » les émissions de plateau, variétés,
« talk shows »
• Ceci permet aux diffuseurs de se
libérer à bon compte de leurs obligations en matière de
quotas de diffusion. La promotion de l'industrie européenne des
programmes, objectif de la directive, et la production d'un volume suffisant
d'oeuvres de création susceptible d'irriguer l'espace audiovisuel
européen aussi bien sur le premier que sur le second marché de la
diffusion, en sont affectées d'autant. La logique économique de
la directive voudrait que seuls-les films de cinéma, les fictions
télévisuelles, les documentaires et les films d'animation,
véritables oeuvres de création, soient considérées
comme des oeuvres.
• L'insuffisance des mécanismes de
sanction
L'article 3 §2 de la directive dispose que « les États membres veillent, par les moyens appropriés, dans le cadre de leur législation, au respect par les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de leur compétence, des dispositions de la présente directive ». Traduisant ce Principe, l'article 4 §3 dispose que les États membres communiquent tous les deux ans à la commission un rapport sur l'application des dispositions relatives à la promotion de l'industrie européenne des programmes (articles 4 et 5). Les rapports doivent mentionner les mesures adoptées ou envisagées Pour atteindre les obligations de diffusion et d'investissement fixées par la directive.
Or la commission observe que la majorité des rapports transmis ne Présente aucune mesure prise ou envisagée à l'encontre des diffuseurs en infraction. Le fait que la directive ne prescrive pas expressément l'institution de mécanismes de sanction n'est sans doute pas étranger à ce défaut.
4. Les résultats économiques de la directive
Ici encore, un examen sommaire des effets de la directive, pour autant que l'on puisse les identifier parmi les multiples facteurs de l'évolution de la production audiovisuelle, conduit à des appréciations contrastées mais Pour l'essentiel encourageantes.
• Force est de constater que la construction de
l'espace audiovisuel européen n'a guère avancé et que le
cloisonnement des marchés nationaux n'efface véritablement
jusqu'à présent que devant la production américaine.
C'est vrai pour les oeuvres cinématographiques. Le livre vert de la Commission européenne d'avril 1994 sur le renforcement de l'industrie des programmes dans le contexte de la politique audiovisuelle de l'Union européenne note que « quelque soit le support considéré, la part de marché des films européens n'a cessé de décroître au profit de films extra-européens, principalement nord-américains ».
C'est ainsi qu'en dix ans, les films européens ont perdu une grande part du marché des salles européennes, alors que l'industrie américaine réussissait à conserver son public : 420 millions de spectateurs par an alors que l'industrie européenne passait de 600 millions à 120 millions de spectateurs.
Les films européens restent en fait largement confinés sur leur marché national, tout comme les fictions audiovisuelles, généralement conçues pour une audience nationale avec un financement national : pour prendre l'exemple français, en 1994, selon le Centre national de la cinématographie (CNC). 20 % seulement des oeuvres de fiction aidées par le compte de soutien à l'industrie des programmes audiovisuels (COSIP) étaient des coproductions internationales, la plupart étant majoritairement françaises. Le financement étranger de ces oeuvres a diminué de 33 % par rapport à 1993 en apport horaire moyen et les apports étrangers ne représentent plus que 10 % du montant des devis. Cette tendance, qui n'est pas spécifique à la France, illustre la difficulté de créer un marché européen des programmes audiovisuels.
• Si l'on se tourne vers la production
audiovisuelle française, les perspectives de la libre circulation des
oeuvres sont à peine meilleures. D'après une étude
récente de TV France International et de l'Institut national de
l'audiovisuel (INA), le chiffre d'affaires à l'exportation des
diffuseurs, producteurs et distributeurs actifs dans le domaine de
l'exportation a augmenté de 15 % en 1994. Il est vrai cependant qu'une
part importante de cette progression est assurée par les jeux (qui
représentent 9 % des exportations de 1994 contre 4 % de celles de 1993)
grâce notamment au succès international de Fort Boyard et de la
Chasse au trésor. En revanche, la fiction est en repli : elle ne
représente en 1994 que 35 % des exportations contre 44 % en 1993, ce qui
la rapproche des oeuvres d'animation qui représentent 31% des
exportations (contre 27% en 1993). L'Europe occidentale représente 70 %
du chiffre d'affaires à l'exportation, ce qui peut apparaître
comme une conséquence de la directive 89-552. La production
française, qui apparaît en effet de plus en plus efficace sur le
marché français, contribue ainsi progressivement à
l'approvisionnement des diffuseurs étrangers en oeuvres
européennes.
• La réglementation française
impose aux diffuseurs des obligations plus strictes que les prescriptions des
articles 4 et 5 de la directive 89-552. Ces exigences, dont le CSA constate
d'année en année la meilleure exécution et qui n'ont pas
eu sur la situation financière des chaînes les effets
désastreux que des diffuseurs alarmistes avaient
prophétisés, se traduisent par la production de
téléfilms et de séries qui connaissent de forts
succès d'audience. Si le film cinématographique est longtemps
resté avec le sport le genre le plus porteur d'audience à la
télévision, il semble en effet qu'une évolution soit en
cours : en 1994, les fictions audiovisuelles (téléfilm,
séries-feuilletons) ont devancé les longs métrages en
termes d'audience, représentant 43 des 100 premiers résultats
contre 25 en 1993. On se souvient du succès, aux heures de grande
écoute, d'oeuvres comme l'Instit, les Maîtres du pain, le
Château des Oliviers. Ces productions, réalisées,
contrairement aux films cinématographiques, en fonction de l'attente du
public de la télévision, sont de plus en plus prisés par
les responsables de grilles de programmes : France 2 et TF1 consacrent, en
première partie de soirée, trois cases thématiques par
semaine à la fiction française et les oeuvres américaines
sont désormais programmées en dehors des heures de grande
écoute ; sur M6 longtemps considérée comme la
chaîne des séries américaines, la fiction française
augmenté de 15.7 % en 1994 par rapport à 1993.
Ainsi, la réglementation obligeant les chaînes à diffuser aux heures de grande écoute des oeuvres françaises susceptibles de satisfaire le goût du Public, les taux d'audience confirmant le succès de cette démarche, la fiction française apparaissant désormais comme un élément clé de l'articulation des grilles de programmes, la dynamique économique sommaire a été cassée, qui amenait les diffuseurs en quête de programmes attractifs et économiques à déverser sur un public en voie d'aliénation culturelle les séries répétitives amorties sur le marché d'outre-Atlantique.
L'évolution est équivalente dans les autres États membres : RTL qui diffusait presque intégralement des programmes américains lors de ses débuts en Allemagne, diffuse actuellement 35 % de fictions allemandes afin de répondre à la demande de son public.
Il est vrai que les performances sont moins remarquables dans le domaine de la production cinématographique : le film français est en léger repli depuis 1992 dans les grilles de programmes. Il n'en demeure pas moins que la réglementation de la diffusion a contribué au renouvellement de la Production française et européenne sans que l'équilibre des chaînes hertziennes généralistes en soit altéré, comme le montre dans le cas de la France l'amélioration continue des résultats financiers de celles-ci.
Appliquée avec rigueur, la politique des quotas de diffusion a donc de bons résultats en termes qualitatifs et quantitatifs et paraît susceptible de favoriser ainsi à terme l'établissement de courants significatifs d'échanges de programmes audiovisuels à l'intérieur de l'Union européenne.