EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 5 mars 2025, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-Pierre Grand sur le projet de loi n° 104 (2024-2025) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République Française et l'Observatoire du réseau d'antennes d'un kilomètre carré (SKAO) relatif à l'adhésion de la France à l'Observatoire.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur. - Monsieur le Président, Mes chers collègues,

L'accord qui vous est soumis aujourd'hui a pour objet l'adhésion de la France à l'Observatoire du réseau d'antennes d'un kilomètre carré (dont l'acronyme, d'après sa dénomination anglaise, est « SKAO »), signé à Londres le 11 avril 2022 entre la France et cet Observatoire.

Cette convention, à visée purement scientifique, sans lien avec les questions d'affaires étrangères ou de défense qui constituent l'ADN de notre commission, n'en nécessite pas moins une ratification parlementaire dans la mesure où il fait l'objet d'un accord gouvernemental. Il relève de la diplomatie scientifique, et permettra de mettre en valeur l'excellence française dans le cadre d'une organisation scientifique internationale prestigieuse.

Projet phare dans le domaine astrophysique, SKAO constituera à terme une ambitieuse infrastructure internationale d'observation spatiale, déployée sur deux sites, en Australie et en Afrique du Sud, dans le but d'étudier des questions scientifiques essentielles allant de la naissance de notre univers aux origines de la vie. Douze pays sont actuellement membres de cet Observatoire : l'Afrique du Sud, l'Allemagne, l'Australie, le Canada, la Chine, l'Espagne, l'Italie, l'Inde, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume Uni et la Suisse ; il compte en outre quatre « observateurs » : la Corée du Sud, la France, le Japon et la Suède, parmi lesquels deux ont entamé un processus d'adhésion à part entière : la Suède et la France.

Physiquement, l'Observatoire est composé, outre son siège implanté à Manchester, de deux réseaux d'antennes géants, permettant d'observer un élément chimique essentiel de l'Univers : l'hydrogène atomique, qui représente 75% de sa masse et y est présent depuis l'origine. Les deux réseaux d'antennes sont complémentaires en termes de fréquences couvertes :

Le premier réseau, situé dans le désert de Murchison, en Australie occidentale, couvre les plus basses fréquences, comprises entre 50 et 350 Mhz. Il est prévu d'y implanter, d'ici 2030, 78 592 antennes dites « à dipôles log-périodiques » (en forme de « sapin de Noël »), et à terme plus de 131 000.

Le second site, implanté dans le désert de Karoo en Afrique du Sud, sera dédié aux fréquences comprises entre 350 Mhz et 15 Ghz, captées au moyen de 144 antennes paraboliques de 15m de diamètre prévues d'ici 2030, avec un objectif à terme de 197 antennes.

Le projet SKAO était initialement conçu comme modulaire : sa première phase, en cours de déploiement, dite « SKA1 », correspond à 10% environ de la surface collectrice d'1km2 prévue par le projet final, et bénéficie d'un financement et d'un calendrier fermes jusqu'en 2030. L'objectif suivant sera de finaliser SKA1, ce qui fait actuellement l'objet de pourparlers entre les pays membres de l'Observatoire. Les phases suivantes, qui ambitionneraient de multiplier par 10 les capacités de SKA 1 pour parvenir à l'objectif ultime du « kilomètre carré », demeurent optionnelles et ne sont pas véritablement programmées à ce stade. La montée en puissance des deux réseaux d'antennes se fera en fait progressivement, en fonction du financement qui sera disponible après 2030.

Grâce à son envergure unique au monde et à sa capacité d'observation hors pair, SKAO est porteur d'espoirs scientifiques qui augurent une révolution de nos connaissances cosmologiques : il devrait permettre notamment des avancées majeures dans la compréhension des âges sombres de l'Univers, de l'énergie noire, de la formation des étoiles, de l'évolution des galaxies, du magnétisme cosmique et des ondes gravitationnelles. Pour la communauté astronomique mondiale, il représente l'un des projets les plus ambitieux et prometteurs jamais entrepris, et constitue un saut qualitatif immense par rapport aux instruments existants : Comparé au Very Large Array américain, le meilleur instrument actuel dans les fréquences intermédiaires, SKA1-MID aura une résolution 4 fois supérieure, sera 5 fois plus sensible, et 60 fois plus rapide. De même, SKA1-LOW sera 8 fois plus sensible et 125 fois plus rapide que le radiotélescope européen LOFAR, le meilleur instrument actuel dans la gamme des basses fréquences.

On saluera la démarche de développement durable particulièrement vertueuse intégrée au projet SKAO depuis sa conception : ainsi, d'importants efforts ont été réalisés en vue de limiter sa consommation énergétique, de développer la part des énergies renouvelables, qui devrait atteindre 80%, et de réduire l'impact sur la biodiversité en Australie comme en Afrique du Sud.

Une attention toute particulière a également été portée au dialogue avec les populations autochtones, de sorte que sur les deux sites SKAO fait figure de modèle d'intégration locale. En Australie, le peuple aborigène Wajarri a été associé au projet, et a obtenu une modification des sites d'implantation prévus initialement afin d'éviter tout impact sur son patrimoine culturel. En Afrique du Sud, un archéologue et un paléontologue ont été nommés pour garantir la préservation des ressources patrimoniales du site. Dans les deux cas, SKAO a forgé des liens avec les populations, mettant en valeur leurs cultures et participant au développement local.

J'en viens aux enjeux que représente le projet pour notre pays, qui sont triples :

Le premier enjeu, en termes de bénéfices scientifiques, n'est plus à démontrer et l'ensemble des membres de la communauté astronomique française appelle de ses voeux la participation de notre pays au projet. La France a notamment réussi à négocier pour ses scientifiques le pilotage des questions relatives au « milieu interstellaire », qui constitue un volet-clé du projet, touchant aux molécules les plus complexes de l'univers.

S'agissant de l'enjeu financier, l'accord prévoit que la France contribue à hauteur de 48 M €, soit 2,86 % du budget total, sur la période 2022-2030 correspondant à la phase de déploiement de SKA1. Ce montant, qui fait l'objet d'une indexation de 4% par an, se trouvera de plus augmenté par une contribution exceptionnelle comprise entre 3,8 M€ et 4,6 M€ du fait de divers surcoûts. Aucun budget n'est défini à ce jour pour les phases ultérieures. Au total, le coût annuel moyen sur la période 2022-2030 devrait avoisiner pour la France 6 M€, ce qui, compte tenu de l'intérêt majeur du projet, apparaît entièrement justifié.

Enfin, l'enjeu industriel a constitué un point important des négociations en amont de l'accord. Le préambule du texte énonce en effet le principe selon lequel « un niveau approprié de retour sur investissement industriel est garanti à la France ». Concrètement, les négociations ont permis de garantir un « juste retour industriel » estimé à 20 M€, qui devrait bénéficier pour l'essentiel au groupe Atos/Eviden, auquel incombera le défi majeur de concevoir et de réaliser, avec un impact environnemental minimum, des méga-centres de données dédiés à l'Observatoire, qui devront être en mesure de traiter un volume de données annuel équivalant au trafic internet mondial de 2015.

Historiquement, la France s'était activement impliquée via le CNRS dans la conception du projet, dès les années 1990, avant de faire le choix, en 2011, de quitter l'Organisation, faute de financement, au grand regret de la communauté astronomique française ; cependant, cette dernière, qui n'a cessé de réaffirmer depuis lors l'intérêt majeur du projet, a finalement obtenu en 2018 qu'il soit réinscrit dans la Stratégie nationale des infrastructures de recherche. Aussi, convaincu qu'il serait particulièrement dommage qu'un tel projet se fasse sans la France, c'est avec un sincère enthousiasme que je vous propose d'autoriser la ratification de cet accord d'importance majeure pour notre communauté scientifique.

Avant de vous laisser la parole pour d'éventuelles questions, je ne résiste pas à l'envie de partager avec vous les premières images époustouflantes, recueillies par SKA-LOW en août 2024, de la Voie lactée et d'autres galaxies comme Centaurus A et M87.

(Vidéo)

Je vous précise enfin que l'examen en séance publique de ce texte devrait se tenir mercredi prochain, selon une procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des Présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

Je vous remercie.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.

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