N° 407
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 mars 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées (1)
sur le projet de loi autorisant l'approbation de
l'accord entre le Gouvernement
de la République française
et l'Observatoire du
réseau d'antennes
d'un kilomètre carré
(SKAO) relatif à
l'adhésion de la France
à l'Observatoire
(procédure accélérée),
Par M. Jean-Pierre GRAND,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Jean-Baptiste Lemoyne, Claude Malhuret, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Joël Guerriau, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mmes Gisèle Jourda, Mireille Jouve, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.
Voir les numéros :
Sénat : |
104 et 408 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Le présent projet de loi a pour objet l'approbation de l'accord, signé à Londres le 11 avril 2022, entre le Gouvernement de la République Française et l'Observatoire du réseau d'antennes d'un kilomètre carré (SKAO) relatif à l'adhésion de la France à l'Observatoire.
Projet phare dans le domaine de l'astrophysique, l'Observatoire du réseau d'antennes d'un kilomètre carré est une ambitieuse infrastructure internationale d'observation spatiale, déployée sur deux sites, en Australie et en Afrique du Sud, et qui devrait représenter, à terme, une surface collectrice d'environ 1km2. Il a pour objet l'étude des questions scientifiques essentielles allant de la naissance de notre univers aux origines de la vie. Grâce à sa capacité d'observation unique au monde, SKAO, qui constitue un saut qualitatif immense par rapport aux instruments existants, est porteur d'espoirs scientifiques augurant une révolution de notre compréhension de l'Univers.
Douze pays sont actuellement membres de cet Observatoire : l'Afrique du Sud, l'Allemagne, l'Australie, le Canada, la Chine, l'Inde, l'Italie, l'Espagne, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume Uni et la Suisse ; il compte en outre quatre « observateurs » dont la France. Cette dernière en effet avait dans un premier temps dû renoncer à adhérer au projet pour des raisons financières, avant de le réinscrire, en 2018, dans sa Stratégie nationale des infrastructures de recherche, ce qui a conduit à l'accord faisant l'objet du présent rapport.
Depuis sa conception, le projet SKAO a développé une démarche de développement durable particulièrement vertueuse, avec notamment d'importants efforts pour limiter sa consommation énergétique, développer la part des énergies renouvelables, et réduire l'impact sur la biodiversité en Australie comme en Afrique du Sud. Enfin, une attention toute particulière a été portée au dialogue avec les populations autochtones sur les deux sites.
Avec une participation financière fixée en 2021 à 48 millions d'euros pour la période 2022-2030, la France contribuera à hauteur de 2,86% du budget de l'Observatoire. Elle bénéficiera d'un double retour sur investissement : industriel, avec le contrat, estimé à 20 millions d'euros portant sur la réalisation des méga-centres de données dédiés à l'Observatoire ; et scientifique, dans la mesure notamment où elle pilotera les questions relatives au « milieu interstellaire », qui constituent un volet-clé du projet.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier.
1) A. PRESENTATION ET HISTORIQUE DU PROJET
1. Organisation et gouvernance
Douze pays sont actuellement membres de l'Observatoire SKAO : l'Afrique du Sud, l'Allemagne, l'Australie, le Canada, la Chine, l'Inde, l'Italie, l'Espagne, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume Uni et la Suisse ; il compte en outre quatre « observateurs » : la Corée du Sud, la France, le Japon et la Suède, parmi lesquels deux ont entamé un processus d'adhésion à part entière : la Suède et la France. Le projet SKAO rassemble ainsi l'ensemble des acteurs majeurs de la communauté astronomique mondiale, à l'exception notable des États-Unis d'Amérique, lesquels ont privilégié l'extension de leur Very Large Array (VLA). Un certain nombre de pays partenaires sont également associés au projet.
La gouvernance de l'organisation est confiée à un Conseil, au sein duquel chaque membre est représenté par deux délégués1(*) (un « institutionnel » et un « scientifique », le délégué « institutionnel » disposant d'une voix ; les observateurs ne participent pas aux votes). Le Conseil était présidé, depuis 2017 et jusqu'à une date toute récente, par Catherine Cesarsky, Haut Conseiller scientifique au Commissariat à l'Energie Atomique (CEA)2(*).
Le Conseil est garant de l'orientation stratégique et scientifique globale de SKAO, de sa bonne gouvernance et de la réalisation de ses objectifs. Il désigne le directeur général de l'organisation et vote le budget. Ses réunions sont préparées par un Comité du Conseil, uniquement accessible aux membres.
Pour ses décisions stratégiques, budgétaires, techniques et scientifiques, le Conseil s'appuie sur un Comité des finances (Administrative and Finance Committee « AFC ») et sur un Comité consultatif scientifique et technique (Science and Engineering Advisory Committee « SEAC »), auxquels la France participe comme observateur.
Le premier, l'AFC, est constitué de deux représentants par délégation. Il veille à la bonne gestion financière, l'efficacité, la transparence et la responsabilité de l'organisation, et apporte son expertise au Conseil en matière budgétaire.
Le second, le SEAC, est constitué de personnalités proposées par les pays membres pour intervenir en leur qualité d'experts (une chercheuse CNRS dans le cas de la France). Il apporte une expertise scientifique et technique, tant sur la construction de l'Observatoire que sur ses productions scientifiques.
2. La genèse du projet
Si l'idée du projet apparaît dès les années 1990, elle ne se concrétise qu'en 2011 avec la création de SKA Organisation, société privée à but non lucratif de droit britannique, qui, à compter de 2012, met en place un « bureau projet » en vue de coordonner la définition technique des instruments de l'Observatoire, et, plus largement, de dessiner la programmation de la première phase (SKA1) du projet. Cette organisation est actuellement en cours de dissolution3(*) pour faire place à l'organisation internationale SKA Observatory qui prend le relai du projet.
L'organisation internationale SKA Observatory (SKAO) fut créée par la Convention (figurant en annexe au projet de loi), signée à Rome en mars 2019 par ses sept membres fondateurs (Afrique du sud, Australie, Chine, Italie, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni), et entrée en vigueur le 15 janvier 2021.
Depuis lors, l'organisation a été rejointe successivement par la Suisse en janvier 2022, l'Espagne en avril 2023, le Canada en avril 2024, l'Allemagne et l'Inde en novembre 2024.
L'adhésion de la France fera d'elle le 13ème membre de l'organisation.
La Suède et la Corée du Sud ont quant à elles signé des accords de collaboration scientifique, qui théoriquement préfigurent de futurs accords d'accession.
La construction de SKA1 a été officiellement lancée par le Conseil de SKAO le 1er juillet 2021, avec une cérémonie de lancement des travaux en décembre 2022.
3. 2000-2021 : Le long chemin vers l'adhésion française
Ø Une implication française dès l'origine
Depuis l'origine, le projet en gestation a suscité un vif intérêt de la part de la communauté scientifique française. À partir des années 2000, le CNRS/INSU s'est investi dans sa conception et plusieurs laboratoires français ont participé aux études techniques préparatoires.
Par la suite, le CNRS sera l'un des membres fondateurs de SKA Organisation, ce qui permettra aux ingénieurs et scientifiques français de participer à ce titre à cinq des onze consortiums d'ingénierie internationaux qui ont conçu les télescopes SKA.
Ø Le retrait de la France en raison de problématiques budgétaires malencontreuses
Lorsque le projet s'est structuré en 2011 avec la création de SKA Organisation pour constituer son « bureau projet », une contribution minimale de 250 k€ a été demandée à chacun des partenaires - sachant que celles de certains pays s'élevait à 2,7 M€ par an.
Le CNRS/INSU ne pouvant dégager une telle somme en l'absence d'inscription du projet sur la feuille de route des infrastructures de recherche, la France, a dû, dans un premier temps, renoncer à participer en tant que membre à SKA Organisation.
Cependant, durant toute la période où elle a dû se mettre « en retrait » en raison de cette problématique budgétaire, elle maintient un niveau de coopération bilatérale élevé avec l'organisation sur des projets dits « SKA-éclaireurs » (notamment, la station française de l'interféromètre basse fréquence LOFAR, et sa version autonome NenuFAR, construits et opérés à l'Observatoire Radio-astronomique de Nançay).
Ø L'engagement de SKA-France
Les communautés scientifique et industrielle françaises s'organisent alors dès juillet 2016 de manière informelle au sein du consortium SKA-France pour bâtir une offre française. Ce dernier publie notamment, en 2017, un livre blanc SKA France avec la collaboration de 178 auteurs issus de 40 instituts et de six entreprises privées4(*).
Son action, relayée par la communauté scientifique française qui ne cesse de réaffirmer son intérêt pour le projet, aboutit à la création en 2018 de la Maison SKA-France regroupant sept établissements de recherche et sept entreprises dont Thales Alenia Space, Atos ou encore Air Liquide'' . En plus de fédérer les forces françaises, cette structure permet au CNRS, son chef de file, de réunir les 250 k€ annuels nécessaires à la participation française au projet.
Le 26 juillet 2018 au Cap, le CNRS, chef de file de la Maison SKA-France, devient ainsi le 12ème membre de l'Organisation SKA5(*) via la convention SKAO-CNRS (Deed of Adherence) du 12 juillet 2018.
La Maison SKA-France participe dès lors activement aux échanges autour des enjeux scientifiques et techniques qui définiront la construction et l'utilisation des futurs instruments. Pendant cette période, elle va également oeuvrer à convaincre le gouvernement français d'adhérer au projet.
Le projet SKA intègre officiellement la feuille de route nationale des infrastructures de recherche du Ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche (MESRI) en 2018, sans toutefois que cela préjuge de sa participation financière future pour la construction de l'Observatoire.
Ø 2021 : la candidature française pour devenir le 13ème État membre de SKAO
Au terme d'une instruction du Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (MESRI) et après une validation au niveau interministériel le 12 décembre 2020, l'expression d'intention de la France pour rejoindre SKAO ainsi que sa contribution à hauteur de 48 millions d'euros entre 2022 et 2030, à porter sur le Programme 172 de la Mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur (MIRES), sont validés.
La France exprime officiellement en février 2021 son souhait de rejoindre les autres pays membres lors du premier conseil de SKAO. « La délégation française entame une phase de négociation avec SKAO avec l'ambition d'une adhésion de la France dès 2022 », rapporte Nicolas Dromel, chef du Département des grandes infrastructures de recherche du MESRI.
L'adhésion de la France est acceptée à l'unanimité des membres de SKAO, et fait l'objet d'une déclaration du Président de la République française à l'occasion de sa visite en Afrique du Sud le 28 mai 2021.
L'accord d'adhésion est signé le 11 avril 2022 à l'ambassade de France à Londres, dans l'attente de sa ratification par le Parlement français, en application de l'article 53 de la Constitution.
4. Un projet « modulaire » sur le long terme
SKA est un observatoire modulaire dont des éléments peuvent être ajoutés au fil du temps en fonction des financements disponibles.
Le projet avait été historiquement décomposé en deux phases : une première phase, dite « SKA1 », ou encore Design Baseline, visant environ 10% de la capacité du projet final ; une seconde phase, ou « SKA2 », représentant l'objectif ultime ambitionné par le projet, soit une surface collectrice totale d'1 km2.
Ø 2022-2030 : un déploiement des premières infrastructures en cours, avec déjà des résultats tangibles
Le projet visant à la réalisation de la phase SKA1 est divisé en étapes Assembly Array (AA) ; la période 2022-2030 correspond à ses quatre premières étapes ; la quatrième étape « AA* » est également dite « Deployment baseline ». Leur construction, qui est d'ores et déjà intégralement financée6(*), est programmée comme suit :
Stations7(*) SKA-Low (Australie) |
Antennes. SKA-Mid (Afrique du Sud) |
|
AA0.5 |
4 |
4 |
AA1 |
18 |
8 |
AA2 |
64 |
64 |
AA* (Deployment baseline) |
307 |
144 |
Les calendriers de mise en oeuvre des deux sites sont les suivants8(*) :
Site australien (SKA-Low) :
AA0.5 : fin 2024,
AA1 : fin 2025,
AA2 : fin 2026 (« science verification »),
AA* : mi-2028 (Fin de la Deployment baseline).
Site africain (SKA-Mid) :
AA0.5 : début 2025,
AA1 : début 2026,
AA2 : début 2027 (« science verification »),
AA* : mi-2028 (Fin de la Deployment baseline).
Sont ensuite programmés, une fois l'installation opérationnelle :
2027-2030 : planning et propositions pour les Key science projects (KSP) ;
2029 : début des programmes « à risque partagé ».
Dans le détail, à ce jour :
Sur le site australien : Quatre stations sont opérationnelles. 404 emplacements de stations ont été préparés, dont 169 tapissés de grillage. Les tests de la configuration AA0.5 ont été réalisés en novembre-décembre 2024. Des premières franges9(*) ont pu être observées le 12 septembre à partir des deux premières stations installées. Des premières données ont été obtenues, notamment des images de la Voie lactée, du Soleil et de galaxies très brillantes en radio comme Centaurus A et M87. Ces premières images ont été rendues publiques lors du congrès de l'Union Astronomique Internationale en août 2024 en Afrique du Sud10(*).
(c) SKAO
(c) SKAO
Sur le site africain : une première antenne (SKA#2) a été assemblée et installée ; les antennes SKA#3&4 sont en cours d'intégration sur site. 16 fondations ont été réalisées et 250 km de route sont en cours de réhabilitation pour accéder aux antennes les plus éloignées.
(c) SKAO
Ø 2030- ? : la finalisation de SKA1
L'objectif suivant sera de finaliser la Phase 1 de SKA (SKA1, ou Design baseline, étape également dénommée « AA4 »), qui comprendra 131 072 antennes log-périodiques et 197 paraboles au total, soit 10% de la surface collectrice d'1 km2 constituant l'objectif ultime : ce sera l'enjeu des négociations pour le financement post-2030.
SKA1 représente une version certes réduite du projet final mais n'en constituera pas moins, de loin, le plus puissant observatoire radio au monde dans les bandes de fréquence couvertes par SKA.
Ø ... et au-delà...
Même si l'objectif final demeure la construction, à terme, d'un réseau d'une surface collectrice totale d'1 km2, on ne parle désormais plus d'un développement du projet en deux étapes, SKA1 et SKA2, mais plutôt d'une augmentation continue des deux réseaux d'antennes, en fonction du financement qui sera disponible après 2030, ainsi que de l'éventuelle adhésion de nouveau membres.
A ce jour aucune programmation n'est établie au-delà de la Phase 1.
* 1 Il s'agit pour la France d'un représentant du Ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche (Guy Perrin) et de la directrice de SKA-France (Chiara Ferrari).
* 2 Les États membres de SKA ont choisi en 2021 Catherine Cesarsky comme première présidente du Conseil de SKAO après qu'elle a été la présidente du Board de SKA Organisation depuis 2017. Ce choix, sans lien avec ses fonctions au titre du CEA, est motivé par son parcours et son expertise comme ancienne directrice générale de l'European Organisation for Astronomical Research in the Southern Hemisphere (ESO), qu'elle a dirigé de 1999 à 2007, période pendant laquelle elle a eu la responsabilité de la fin de la construction du Very Large Telescope européen et du lancement de l'Extremely Large Telescope.
Le Conseil est actuellement dirigé par un astrophysicien italien, le Docteur Filippo Zerbi.
* 3 Tous ses actifs ayant d'ores et déjà été transférés à l'organisation internationale SKAO, la société SKA Organisation n'est plus active et devrait être retirée du registre des entreprises du Royaume Uni à la mi-2025.
* 4 https://ska-france.oca.eu/images/SKA-France-Media/FWB_051017.pdf.
Le document identifie notamment les forces scientifiques françaises et leurs atouts industriels capables de répondre, entre autres, à des enjeux de flux de données et de développement durable.
* 5 Au titre de membre spécial de l'organisation - c'est-à-dire sans nécessité de financer les arriérés de cotisation et en restant à un niveau de contribution minimum.
* 6 Le financement est notamment garanti par le fait que le retrait du projet n'est pas possible durant les dix premières années.
* 7 Chaque station de SKA-Low comporte 256 antennes.
* 8 À la date du Conseil de novembre 2024, 78% des contrats avaient été passés et 35,3% des travaux avaient été réalisés (un léger retard par rapport aux 41,2% prévus à ce stade d'avancement). 37,6% du budget prévu pour la construction a été dépensé.
* 9 Lignes alternativement brillantes et obscures qui se manifestent dans le phénomène des interférences.
* 10 Voir https://www.skao.int/en/news/560/first-image-released-one-ska-Low-station.