EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Obligations de transparence pour les entreprises dans les collectivités d'outre-mer

Cet article vise à renforcer les obligations de transparence pesant sur les entreprises dans les collectivités d'outre-mer.

La commission a adopté un amendement visant à réécrire l'article en vue de le recentrer sur un renforcement des sanctions en cas de défaut de dépôt des comptes par les entreprises.

I. La situation actuelle

A. Une obligation non respectée de dépôt des comptes et une possibilité non utilisée par les préfets d'exiger la transmission des comptes

Aux termes des articles L 232-21 à L 232-26 du code de commerce, lors de la clôture de chaque exercice annuel, toute société commerciale doit obligatoirement déposer ses comptes annuels au registre du commerce et des sociétés (RCS). Ces documents comprennent le bilan, le compte de résultat et l'annexe comptable1(*). L'obligation de publicité des comptes résulte aussi du droit communautaire, aux termes de la quatrième directive 78/660/CEE du Conseil du 25 juillet 1978.

Ce dépôt assure une certaine transparence financière et garantit l'information des tiers, qu'il s'agisse de l'administration fiscale, des partenaires commerciaux, des investisseurs, etc.

Lors de la clôture de chaque exercice annuel, une société commerciale doit ainsi concrètement déposer ses comptes annuels au greffe du tribunal de commerce pour être annexés au registre du commerce et des sociétés (RCS). Ce dernier est en effet tenu par le greffe sous l'autorité du président du tribunal. À réception par le greffe, les comptes annuels font l'objet d'une publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Bodacc).

Les manquements à cette obligation de dépôt de comptes peuvent conduire à d'éventuelles sanctions pour les sociétés défaillantes.

Les sanctions existantes en cas de défaut de dépôt de ces comptes

Le dépôt des comptes annuels étant une obligation légale pour les sociétés commerciales, plusieurs sanctions peuvent être imposées en cas de non-respect de cette obligation. Il s'agit ainsi d'inciter les dirigeants à régulariser leur situation. Ces sanctions peuvent être de nature pénale ou civile.

Le défaut de dépôt de ces comptes constitue tout d'abord une infraction pénale qui constitue une contravention de cinquième classe pouvant donc faire l'objet d'une sanction sous la forme d'une amende de 1 500 €, portée à 3 000 € en cas de récidive.

Par ailleurs, en matière civile, le président du tribunal de commerce peut, de sa propre initiative ou à la demande de tout intéressé ou du ministère public, adresser une injonction au dirigeant de déposer les comptes dans un délai d'un mois, sous peine d'astreinte.

Si cette injonction n'est pas respectée, le président peut choisir de liquider l'astreinte, qui est alors à la charge personnelle du dirigeant de l'entreprise. Les dirigeants pouvant en effet être tenus pour responsables à titre personnel du non-respect de l'obligation, l'astreinte sera mise à leur charge en cas de non-respect de l'injonction de dépôt des comptes.

Il faut souligner qu'aux termes de l'article R. 247-3 du code de commerce, l'amende fait assez rapidement l'objet d'une prescription puisque l'action publique pour non-dépôt des comptes se prescrit en effet par un délai d'un an à compter de la date à laquelle les comptes auraient dû être déposés.

Plus généralement, comme à l'accoutumée, les décisions d'injonction ou de liquidation d'astreinte peuvent être contestées par des recours en réformation ou en cassation.

En pratique, les entreprises implantées en outre-mer respectent beaucoup moins que leurs homologues de l'hexagone leurs obligations de dépôt et de publication des comptes, comme le souligne le rapport de Mme Bellay au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale2(*) sur la proposition de loi visant à prendre des mesures d'urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d'outre-mer : à la Martinique, par exemple, seulement 24 % des sociétés déposent leurs comptes, contre 85 % au niveau national.

Un dispositif spécifique aux collectivités d'outre-mer a donc été mis en place en vue de permettre aux services de l'État de pouvoir contraindre les sociétés commerciales à leur communiquer leurs comptes.

C'est ainsi qu'en outre-mer, le droit existant, issu de l'article 22 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, prévoit que ces entreprises, bénéficiant d'une aide publique en faveur de leur activité économique, sont tenues de répondre, dans un délai de deux mois, à toute demande du représentant de l'État dans le territoire de lui transmettre leurs comptes sociaux et la comptabilité analytique de l'activité régulée ou subventionnée.

L'article en vigueur précise qu'en cas de refus, le représentant de l'État peut demander au juge des référés d'enjoindre à l'entreprise en cause de produire les documents demandés sous astreinte. Ces dispositions ont été introduites en 2012 car, en outre-mer, de nombreuses entreprises ne respectent pas leurs obligations de dépôt de leurs comptes annuels, malheureusement, selon les informations recueillies par votre rapporteur lors de ses auditions, elles n'ont pas conduit à des changements dans les pratiques, surtout que les préfets ne font pas usage de cette nouvelle prérogative consistant à exiger de se voir transmettre les comptes.

B. Le rôle des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR)

Dans chaque collectivité d'outre-mer de l'article 73 et à Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre et Miquelon et Wallis-et-Futuna, le code de commerce prévoit qu'un observatoire « analyse le niveau et la structure des prix, des marges et des revenus et fournit aux pouvoirs publics une information régulière sur leur évolution »3(*). Il existe un OPMR commun à la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et la Guyane, ainsi qu'un OPMR pour chacun des territoires suivants : La Réunion, Mayotte, Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Les OPMR ont une gouvernance spécifique : politique (députés, sénateurs, représentants des COM), administrative (représentants des services de l'État), économique (syndicats d'employeurs et d'employés, du conseil économique et social régional, des chambres consulaires) mais aussi technique (personnalités qualifiées) et associative (associations de consommateurs).

Les OPMR sont présidés par un juge de la chambre régionale des comptes, ce qui est gage d'indépendance, malgré un rattachement fonctionnel des OPMR aux préfectures qui en assurent le secrétariat technique.

En pratique, les OPMR disposent de très peu de moyens, ils déplorent régulièrement la faible participation à leurs réunions ainsi que leur accès lacunaire aux données nécessaires pour exercer leurs missions, notamment concernant les marges, et plus particulièrement les marges des acteurs de la grande distribution (fortement concentrés), y compris ce qu'on appelle les « marges arrières » c'est-à-dire les avantages ou services commerciaux (ristournes, placement en tête de gondole etc.) que le distributeur vend à son fournisseur et payés par ce dernier, contribuant à renchérir le coût total du produit sans pour autant mettre le fournisseur à l'abri de tentatives de surfacturations.

Le sujet des marges arrières revient régulièrement dans les débats sur la vie chère outre-mer alors même que la comptabilisation des marges arrières dans le taux de marge des distributeurs est régulée au niveau national depuis la loi de modernisation économique (LME) de 2008. Elles sont, depuis, incluses dans la détermination du seuil de revente à perte (SRP).

En vue de contribuer à résoudre le problème d'absence de dépôt des comptes annuels pour les sociétés commerciales, les présidents des OPMR se sont vus offrir la possibilité de demander au président du tribunal de commerce d'adresser aux dirigeants de société ne procédant pas au dépôt des comptes une injonction de le faire à bref délai sous astreinte. L'article 2 de la loi n° 2015-1268 du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des outre-mer a ainsi modifié l'article L. 611-2 du code de commerce afin de prévoir cette faculté. Malheureusement, cette dernière n'est pas utilisée, d'autant qu'en réalité les OPMR ne disposent pas plus globalement, selon la formule employée dans les réponses aux questionnaires de votre rapporteur, de « moyens pour analyser les comptes » des entreprises.

II. Le dispositif envisagé

A. Une transmission systématique au préfet des comptes et d'autres informations telles que les marges

Cet article vise à renforcer les obligations de transparence pesant sur les entreprises bénéficiant d'une aide publique en faveur de leur activité économique, dans les collectivités d'outre-mer de l'article 73 ainsi qu'à Saint Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre et Miquelon et Wallis-et-Futuna.

Le dispositif proposé au I de l'article consiste à remplacer les dispositions introduites par l'article 22 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 précitée - à la fois très peu utilisées par les préfets et souvent contournées par les entreprises comme le rappellent à juste titre les auteurs de la proposition de loi - par une obligation de transmission systématique au préfet mais également à l'observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) du territoire concerné, au 30 juin de chaque année, des comptes sociaux et de la comptabilité analytique des entreprises visées. Le champ est un peu élargi puisqu'il est proposé que les entreprises concernées soient :

- celles soumises à une mesure de régulation économique en application des articles L. 410-2 et L. 410-3 du code de commerce ;

- celles qui bénéficient d'une aide publique en faveur de leur activité économique ;

- ou encore celles dont le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé dans le territoire concerné est supérieur à 550 000 euros.

Le II de l'article introduit, par ailleurs, de nouvelles obligations incombant à la fois aux entreprises mentionnées au I et à certains commerçants (commerçants en gros et commerçants détaillants dont la surface de vente est supérieure ou égale à 300 mètres carrés) : ces derniers doivent transmettre trimestriellement au préfet, à l'Insee et à l'Observatoire des prix, des marges et des revenus du territoire concerné :

- les taux de marge en valeur pratiqués sur les produits commercialisés et leurs évolutions ;

- les taux de marge pratiqués tout au long de la chaîne d'approvisionnement, de livraison et de commercialisation des produits et leurs évolutions ;

- les prix d'achat et de vente des produits alimentaires et non alimentaires pratiqués et leurs évolutions ;

- les prix de cession interne pour les filiales des entreprises détenues à plus de 25 % par leur société mère et leurs évolutions.

B. Un régime de sanctions en cas de non-transmission

Pour s'assurer de l'application de ces nouvelles obligations, le III de l'article prévoit des sanctions en cas de non-transmission des données. Le préfet pourra ainsi saisir le juge des référés qui pourra appliquer une injonction de transmettre les documents sous trois semaines et sous astreinte, dont le montant ne pourra être inférieur à 2 % du chiffre d'affaires journalier moyen hors taxes réalisé en France par la société par jour de retard à compter de la date fixée par l'injonction. Ce dispositif de sanction serait en outre assorti d'une mesure de type « name and shame » permettant de rendre publique l'injonction adressée à l'entreprise et donc de dissuader le contournement de la loi. À noter que la proposition de loi examinée par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale le 4 décembre dernier et mentionnée ci-dessus prévoit elle aussi de renforcer les sanctions en cas de non-publication des comptes, en prévoyant que le président du tribunal de commerce adresse aux sociétés concernées une injonction sous astreinte, dont le montant ne peut être inférieur à 1 % du chiffre d'affaires journalier moyen hors taxes réalisé par la société, au titre de cette activité, à l'échelle mondiale ou le cas échéant en France. Bien que le taux diffère, il s'agit dans les deux cas d'introduire une astreinte « plancher ».

En vue de respecter le secret des affaires, le IV de l'article prévoit que les informations recueillies au titre du I comme du II de l'article ne seraient pas diffusées auprès des consommateurs ni rendues publiques.

Pour laisser le temps aux opérateurs économiques concernés de s'organiser pour respecter ces nouvelles dispositions, le V de l'article précise que ces dernières n'entreraient en vigueur que le 1er janvier 2026 et que leurs modalités d'application seraient précisées par décret.

III. La position de la commission

A. De nouvelles obligations contraignantes pour les entreprises et risquant de ne pas améliorer la situation

Plusieurs options s'offraient à la commission en réponse au dispositif proposé par cet article 1er. Compte-tenu de l'alourdissement engendré par ces nouvelles obligations contraignantes pour les entreprises et conduisant à augmenter le travail des services de l'État, il était tentant de s'y opposer et de supprimer l'article.

Ces nouvelles obligations de transmission des comptes et de données concernant les marges des entreprises posaient, de plus, un problème de fréquence des données transmises (trimestrielle pour les taux de marge par exemple) ainsi que de périmètre des entreprises concernées (jusqu'à quelles entreprises élargir ces nouvelles obligations ?).

En outre, l'accumulation de données reçues par les préfectures posait la question de leur utilisation concrète : il n'était pas du tout certain que les services concernés auraient pu en faire un usage utile et la situation risquait fortement de ne pas s'améliorer.

Au total, ces solutions ne sont pas apparues comme pertinentes au regard des objectifs poursuivis, à commencer par celui de lutter efficacement contre la vie chère outre-mer.

Cependant, plutôt qu'une suppression pure et simple, votre rapporteur a, dans un contexte d'opacité des économies ultramarines et de tensions politiques locales récurrentes, procédé à un arbitrage différent, amenant à soutenir l'esprit de ce dispositif et conduisant à le traduire dans une nouvelle procédure permettant d'améliorer la situation en faisant mieux respecter l'obligation existante de dépôt et de publicité des comptes.

B. La proposition d'un dispositif de compromis

En effet, votre rapporteur partage l'objectif d'un renforcement de la transparence comptable des entreprises, qui est une exigence à la fois du droit communautaire et du droit national. De même, elle comprend le projet défendu ici d'une plus forte concurrence entre entreprises outre-mer par une meilleure capacité d'appréhension de la structure des marges réelles des sociétés. Des mesures conduisant à améliorer la compréhension des mécanismes de formation des prix serait de nature à profiter aux économies locales et aux consommateurs.

Le manquement à l'obligation de dépôt de ses comptes par une société constitue, comme il a été vu, une infraction pénale qui constitue une contravention de cinquième classe passible d'une amende de 1 500 €, portée à 3 000 € en cas de récidive et le président du tribunal de commerce peut adresser au dirigeant de la société une injonction de procéder au dépôt de ses comptes annuels.

Cette procédure juridictionnelle, par nature longue et incertaine, doit être conservée mais ne constitue pas le meilleur levier pour inciter les entreprises à déposer leurs comptes.

C'est pourquoi il est proposé d'ajouter à la procédure civile existante prévue par l'article L 123-5-1 du code de commerce, un nouveau régime de sanction civile destiné aux collectivités d'outre-mer de l'article 73 et à Saint Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre et Miquelon et Wallis-et-Futuna, donnant aux préfets le pouvoir de demander au président du tribunal de commerce, statuant en référé, d'adresser une injonction aux dirigeants défaillants en vue de les contraindre à déposer les comptes de leurs sociétés.

La sanction en cas de non-transmission des comptes pourrait prendre la forme d'une injonction avec une astreinte pouvant aller jusqu'à 5 % du chiffre d'affaires journalier moyen HT par jour de retard.

Il peut être observé que dans le même esprit que ce projet de dispositif de sanctions renforcées, l'article 8 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, dite loi Egalim, a créé l'article L 123-5-2 du code de commerce disposant que le président du tribunal de commerce peut adresser à certaines sociétés4(*) une injonction de déposer leurs comptes à bref délai sous astreinte d'un montant qui ne peut excéder 2 % du chiffre d'affaires journalier moyen hors taxes réalisé en France.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 2
Diverses modifications du code de commerce afin d'accroître la concurrence outre-mer

Cet article vise à modifier six dispositions du code de commerce afin d'adapter le droit de la concurrence et de renforcer la régulation économique dans les territoires ultramarins. Il est proposé :

- de limiter l'opposabilité du secret des affaires lorsque l'État demande à une entreprise régulée ou subventionnée de lui transmettre ses comptes sociaux et sa comptabilité analytique ;

- d'étendre les situations dans lesquelles les prix peuvent être réglementés par les pouvoirs publics ;

- d'abaisser les seuils de notification au-delà desquels les opérations de concentration d'entreprises doivent être notifiées à l'Autorité de la concurrence ;

- d'élargir les possibilités de saisine de l'Autorité de la concurrence ;

- de compléter les missions des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) ;

- de renforcer les prérogatives des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR).

La commission a adopté un amendement visant à recentrer ces modifications sur les mesures jugées les plus pertinentes, c'est pourquoi elle a :

- supprimé la mesure de coordination relative au secret des affaires ainsi que l'extension des situations dans lesquelles le Gouvernement peut règlementer les prix ;

- en matière de seuils au-delà desquels les opérations de concentration d'entreprises doivent être notifiées à l'Autorité de la concurrence, abaissé le seuil individuel de notification de 5 à 3 millions d'euros de chiffre d'affaires pour le secteur du commerce de détail ;

- étendu la possibilité de saisine de l'Autorité de la concurrence aux départements d'outre-mer ;

- étendu la possibilité de saisine de l'Autorité de la concurrence par les CDAC pour les entreprises détenant une part de marché de 25 % d'une zone de chalandise, au lieu de 50 % aujourd'hui ;

- renforcé les prérogatives des OPMR avec la possibilité pour eux de saisir les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

I. La situation actuelle - De nombreuses mesures existantes pour assurer la concurrence certaines étant spécifiques à l'outre-mer

A. Sur l'opposabilité du secret des affaires

Aux termes de l'article L. 151-1 du code de commerce, est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

- elle n'est pas connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ;

- elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

- elle fait l'objet de la part de son détenteur de mesures de protection raisonnables pour en conserver le caractère secret.

Les articles L. 151-4 à L. 151-6 du code de commerce précisent ensuite les conditions dans lesquelles l'obtention, l'utilisation et la divulgation du secret des affaires sont illicites et sont donc susceptibles d'engager la responsabilité civile de l'auteur de ces atteintes. Ainsi, une telle obtention est illicite lorsqu'elle intervient sans le consentement de son détenteur et en violation des mesures suivantes prises pour en conserver le caractère secret : une interdiction d'accès à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique ou d'appropriation ou de copie de ces éléments, qui contiennent ledit secret ou dont il peut être déduit ; une interdiction ou une limitation contractuellement prévue d'obtention du secret des affaires ; ou encore lorsque l'atteinte résulte de tout comportement déloyal contraire aux usages en matière commerciale.

Il existe cependant plusieurs cas de dérogation à la protection du secret des affaires, en vue notamment de garantir le respect de droits fondamentaux.

B. Sur les dérogations au principe de liberté des prix et de la concurrence

Par principe, les prix des biens, produits et services sont librement déterminés par le jeu de la concurrence.

Toutefois, par exception, conformément aux dispositions de l'article L. 410-2 du code de commerce, la loi peut en disposer autrement, notamment dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison :

- soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement ;

- soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'État pris après avis de l'Autorité de la concurrence (ADLC) pouvant réglementer les prix.

Par ailleurs, le Gouvernement peut arrêter, par l'adoption d'un décret pris après consultation du Conseil national de la consommation, des mesures temporaires contre des hausses ou des baisses excessives de prix. De telles mesures peuvent être motivées par :

- une situation de crise ;

- des circonstances exceptionnelles ;

- une calamité publique ;

- une situation manifestement anormale de marché dans un secteur déterminé.

C. Sur les seuils de notification des opérations de concentration d'entreprises

Autorité administrative indépendante (AAI), l'Autorité de la concurrence (ADLC) est chargée du contrôle des concentrations d'entreprises en France. Une concentration d'entreprises s'entend comme la fusion de deux ou plusieurs entreprises existantes, par la prise de contrôle totale ou partielle d'une entreprise par une autre ou encore par la création d'une entreprise commune par deux sociétés existantes5(*).

Une opération de concentration doit être notifiée à l'Autorité de la concurrence avant sa création. Néanmoins, des seuils ont été fixés par le législateur afin de déterminer les opérations susceptibles de modifier la structure d'un marché ou d'un segment de marché et de soulever des problématiques concurrentielles.

Par conséquent, trois types de seuils de notification ont été fixés6(*) :

des seuils généraux7(*) lorsque les conditions suivantes sont réunies :

. le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 150 millions d'euros ;

. le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé en France par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 50 millions d'euros.

des seuils, plus bas, spécifiques aux magasins de commerce de détail8(*) lorsque les conditions suivantes sont réunies :

. le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 75 millions d'euros ;

. le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé en France dans le secteur du commerce de détail par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 15 millions d'euros.

des seuils, plus bas, spécifiques aux départements d'outre-mer9(*), à Mayotte, aux îles Wallis et Futuna, aux collectivités d'outre-mer de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy :

le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 75 millions d'euros ;

. le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé individuellement dans au moins un des départements ou collectivités territoriales concernés par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 15 millions d'euros, ou à 5 millions d'euros dans le secteur du commerce de détail, sans qu'il soit nécessaire que ce seuil soit atteint par l'ensemble des entreprises concernées dans le même département ou la même collectivité territoriale.

Selon les informations communiquées au rapporteur, depuis 2008, l'Autorité de la concurrence a rendu 80 décisions de contrôle d'opérations de concentration en outre-mer, dont 53 ont été rendues sur le fondement des seuils de chiffres d'affaires spécifiques fixés par l'article L. 430-1 du code de commerce.

Par ailleurs, il convient de rappeler que sont seulement notifiées à l'Autorité de la concurrence les opérations de concentration qui ne relèvent pas de la compétence de la Commission européenne, chargée de la politique européenne de concurrence, définie par le règlement européen du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations d'entreprises10(*).

L'article 1er de ce règlement définit notamment les opérations de concentration qualifiées de « dimension communautaire » lorsqu'elles répondent aux critères suivants :

- le chiffre d'affaires total réalisé sur le plan mondial par l'ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 milliards d'euros et le chiffre d'affaires total réalisé individuellement dans l'Union européenne par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions d'euros ;

- ou que chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires total dans l'Union européenne à l'intérieur d'un seul et même État membre.

L'article 22 de ce même règlement prévoit la possibilité pour les autorités nationales chargées de la concurrence de renvoyer à la Commission européenne des opérations de concentration qui ne sont pas de dimension communautaire mais qui affectent le commerce au sein du marché intérieur ou menacent d'affecter de manière significative la concurrence sur le territoire d'un ou de plusieurs États membres.

Alors que la Commission européenne avait récemment élargi l'interprétation de cet article 22, en acceptant le renvoi par les autorités nationales d'opérations de concentration qui sont également « sous les seuils » fixés au niveau national - permettant notamment de mieux appréhender les acquisitions prédatrices ou consolidantes, en particulier dans l'économie numérique - le récent arrêt Illumina/Grail de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 3 septembre 2024 a mis un terme à cette interprétation extensive.

D. Sur l'élargissement des possibilités de saisine de l'autorité de la concurrence

En l'état actuel du droit11(*), l'Autorité de la concurrence (ADLC) peut se saisir d'office sur proposition de son rapporteur général, peut être saisie par le ministre chargé de l'économie, par les entreprises ou, pour toute affaire qui concerne les intérêts dont ils ont la charge, par les organismes suivants12(*) :

- les commissions parlementaires ;

- les collectivités territoriales ;

- les organisations professionnelles et syndicales ;

- les organisations de consommateurs agréées ;

- les chambres d'agriculture ;

- les chambres de métiers ;

- les chambres de commerce et d'industrie ;

- l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Arcom) ;

- les présidents des observatoires des prix, des marges et des revenus des collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution et des collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Wallis-et-Futuna et de Saint-Pierre-et-Miquelon.

En complément, pour les territoires ultra-marins, il est également précisé que l'ADLC peut être expressément saisie par les régions d'outre-mer, le département de Mayotte, les îles Wallis et Futuna, la collectivité de Saint-Barthélemy, la collectivité de Saint-Martin et la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon13(*).

E. Sur les compétences des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC)

Introduit par la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, l'article L. 752-6-1 du code de commerce prévoit que, dans les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution et les collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, et en conformité avec l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) doit tenir compte de la puissance économique déjà détenue dans la zone par l'entreprise qui sollicite une autorisation d'exploitation commerciale.

Il permet ainsi aux CDAC de saisir pour avis l'Autorité de la concurrence si la part de marché, calculée en surface de vente, d'une entreprise sollicitant une autorisation d'exploitation commerciale est susceptible de dépasser 50 % de la zone de chalandise considérée au terme de l'opération.

La loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer a donné un caractère suspensif à la saisine de l'Autorité de la concurrence par une CDAC : sa décision est suspendue à la remise de l'avis de l'Autorité, qui, après réception de l'intégralité des pièces du dossier, dispose d'un délai maximal de vingt-cinq jours ouvrés pour répondre. En l'absence d'avis rendu dans ce délai, la CDAC peut valablement statuer.

F. Sur les compétences des observatoires des prix, des marges et des revenus d'outre-mer (OPMR)

Dans chaque collectivité d'outre-mer de l'article 73 et à Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre et Miquelon et Wallis-et-Futuna, le code de commerce prévoit qu'un observatoire « analyse le niveau et la structure des prix, des marges et des revenus et fournit aux pouvoirs publics une information régulière sur leur évolution »14(*). Il existe un OPMR commun à la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et la Guyane, ainsi qu'un OPMR pour chacun des territoires suivants : La Réunion, Mayotte, Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Votre rapporteur renvoie au commentaire de l'article 1er dans le présent rapport pour une présentation détaillée du rôle des OPMR, de leur gouvernance et de leurs difficultés pratiques à assurer leurs missions en raison d'une absence de moyens.

II. Le dispositif envisagé - Plusieurs dispositions destinées à accroître l'intensité de la concurrence entre les entreprises présentes outre-mer, de façon à lutter contre la vie chère

A. Sur l'opposabilité au secret des affaires

Le 1° de l'article 2 de la présente proposition de loi fait figure de mesure de coordination avec l'article 1er de la proposition de loi : il consiste en effet à préciser que le secret des affaires n'est pas opposable au cours d'une instance relative à une atteinte à ce secret dès lors que son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue dans le cadre de l'application des dispositions de l'article 22 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, modifié par l'article 1er de la présente proposition de loi. Ce 1° de l'article 2 est donc une conséquence du dispositif proposé par l'article 1er.

B. Sur les dérogations au principe de liberté des prix

Le 2° de l'article 2 de la présente proposition de loi vise à compléter les situations dans lesquelles les prix peuvent être réglementés à titre dérogatoire par les pouvoirs publics. En l'état actuel du droit, l'article L. 410-2 du code de commerce prévoit qu'une telle réglementation est possible dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison de « monopole » ou de « difficultés durables d'approvisionnement ». Il est proposé d'ajouter deux facteurs permettant une régulation dérogatoire des prix par les pouvoirs publics : les « situations anormales de marché » et les « marges commerciales excessives ».

C. Sur les seuils de notification des opérations de concentration des entreprises

Le 3° de l'article 2 de la proposition de loi vise à abaisser les seuils au-delà desquels les opérations de concentration d'entreprises situées dans les territoires ultramarins doivent être notifiées à l'Autorité de la concurrence (ADLC), afin de renforcer la lutte contre les atteintes potentielles à la concurrence et les éventuels abus de position dominante.

Il est ainsi proposé :

- d'abaisser de 75 à 50 millions d'euros le chiffre d'affaires total mondial hors taxes réalisé par les entreprises parties à la concentration devant être notifiée à l'Autorité de la concurrence ;

d'abaisser et d'harmoniser à 3 millions d'euros du chiffre d'affaires total hors taxes réalisé individuellement par au moins deux entreprises parties à la concentration le seuil déclenchant une notification obligatoire à l'Autorité de la concurrence, alors que ce seuil est actuellement fixé à 15 millions d'euros pour tous les secteurs d'activité, à l'exception des commerces de détail pour lesquels ce seuil est fixé à 5 millions d'euros.

Ces abaissements de seuils sont donc de nature à accroître substantiellement le nombre de notifications à l'Autorité de la concurrence et le contrôle exercé par cette dernière sur les concentrations outre-mer.

D. Sur l'élargissement des possibilités de saisine de l'Autorité de la concurrence

Le 4° de l'article 2 de la proposition de loi élargit les possibilités de saisine de l'Autorité de la concurrence, définies à l'article L. 462-5 du code de commerce et rappelées supra, aux départements d'outre-mer - seules les régions étant prises en compte en l'état actuel du droit15(*) - ainsi qu'aux observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR).

E. Sur les compétences des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC)

Dans le but de rendre plus systématique l'usage de cet outil prévenant les monopoles et les concentrations, le dispositif prévu au 5° de l'article 2 propose d'aller plus loin que le droit en vigueur en donnant la possibilité aux CDAC de solliciter l'avis de l'Autorité de la concurrence pour toutes les opérations conduisant une entreprise à détenir une part de marché de 25 % d'une zone de chalandise, contre 50 % actuellement.

Cette évolution élargirait donc substantiellement le champ des saisines de l'Autorité, bien qu'il s'agisse toujours d'une possibilité offerte aux CDAC.

F. Sur les compétences des observatoires des prix, des marges et des revenus d'outre-mer

Enfin, le 6° de l'article 2 propose de renforcer les pouvoirs et les prérogatives des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) en leur conférant un pouvoir d'investigation leur permettant d'apprécier le niveau et la structure des prix et des marges des entreprises outre-mer ainsi que leur évolution.

L'article L. 910-1 A du code de commerce qu'il est proposé de modifier a été introduit par la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, créant les OPMR avec pour mission d'analyser le niveau et la structure des prix, des marges et des revenus et de fournir aux pouvoirs publics une information régulière sur leur évolution.

Il est proposé de modifier cet article du code de commerce :

- afin de mentionner explicitement une mission d'éclairage des pouvoirs publics sur « la formation des prix et des marges », et non seulement, comme actuellement, une mission « d'analyse du niveau et de la structure des prix, des marges et des revenus » et d'information régulière aux pouvoirs publics sur leur évolution ;

- afin que les OPMR puissent analyser les données nécessaires à l'exercice de leurs missions en les demandant directement aux entreprises ou en sollicitant les administrations et le service statistique public. Ainsi, « les entreprises qu'il sollicite lui remettent tous éléments utiles permettant d'apprécier leurs prix, leurs prix de cession interne, leur taux de marge et leurs évolutions tout au long de la chaîne d'approvisionnement, de livraison et de commercialisation des produits » ;

- en outre, ce 6° propose, d'une part, que les OPMR puissent saisir les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes afin de vérifier les informations transmises par les entreprises investiguées et, d'autre part, qu'il soit possible pour un tiers des membres des OPMR, pour les organisations professionnelles et pour les associations de consommateurs agréées de saisir les OPMR sur des problématiques de marché en leur demandant d'émettre un avis sur les évolutions de prix des produits et de marges dans certains secteurs de production, d'approvisionnement ou de distribution.

III. La position de la commission - Un recentrage sur les mesures jugées les plus pertinentes

A. Sur l'opposabilité au secret des affaires

Par cohérence avec les dispositions alternatives proposées à l'article 1er, la commission a décidé de supprimer la mesure de coordination relative au secret des affaires prévue par le 1° de l'article 2 de la présente proposition de loi : il n'est plus pertinent de préciser que le secret des affaires n'est pas opposable au cours d'une instance relative à une atteinte à ce secret dès lors que son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue dans le cadre de l'application des dispositions de l'article 22 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer.

B. Sur les dérogations au principe de liberté des prix

La commission a également supprimé l'extension des situations dans lesquelles le Gouvernement peut règlementer les prix à titre dérogatoire en face de situations de « monopole » ou de « difficultés durables d'approvisionnement », aux « situations anormales de marché » et aux « marges commerciales excessives ». En effet, ces deux dernières situations sont déjà largement couvertes par le droit existant. Surtout, ces dispositions auraient peu d'effets pratiques puisque le déclenchement de la règlementation des prix continuera de dépendre, dans tous les cas, de l'appréciation du Gouvernement, à droit constant comme avec le dispositif proposé par ce 2° de l'article 2 de la présente proposition de loi.

C. Sur les seuils de notification des opérations de concentration des entreprises

Lors de son audition, l'Autorité de la concurrence (ADLC) a fait valoir auprès de votre rapporteur qu'un abaissement généralisé des seuils spécifiques à l'outre-mer, qui ne s'appuie sur aucune étude d'impact, risquerait d'augmenter de manière sensible le nombre d'opérations soumises à obligation de notification, créant une charge supplémentaire pour ces entreprises ainsi qu'une surcharge administrative importante pour les services de l'ADLC, sans que cette évolution ne la conduise nécessairement à examiner des opérations problématiques en matière de concurrence.

En conséquence, la commission n'a pas jugé souhaitable d'abaisser le seuil de 75 à 50 millions d'euros du chiffre d'affaires total mondial hors taxes réalisé par les entreprises parties à la concentration déclenchant un contrôle de l'Autorité de la concurrence ni d'abaisser de 15 millions d'euros (5 millions d'euros pour le commerce de détail) à 3 millions d'euros le seuil du chiffre d'affaires total hors taxes réalisé individuellement par au moins deux entreprises parties à la concentration entraînant une notification obligatoire à l'Autorité de la concurrence.

Comme l'a indiqué à votre rapporteur la DGCCRF lors de son audition, un seuil à 3 millions d'euros de chiffre d'affaires tous secteurs confondus serait beaucoup trop bas et s'appliquerait à des secteurs dépourvus de liens avec la problématique soulevée pour les produits de première nécessité.

Ce seuil trop bas, tous secteurs confondus, pourrait, en outre, entraîner un risque de rigidification de l'économie avec une nouvelle difficulté à surmonter pour les nouveaux entrants alors même que ces derniers pourraient précisément venir dynamiser le jeu concurrentiel.

Au total, une telle généralisation, source de complexité pour les acteurs économiques (le dossier de notification exigé par l'Autorité de la concurrence est coûteux et long à établir) et donc pour le développement économique de ces territoires, ne serait clairement pas proportionnée à l'objectif poursuivi, voire serait contreproductive.

En revanche, la commission a considéré qu'il pouvait être pertinent d'abaisser de 5 millions d'euros à 3 millions d'euros le seuil pour le commerce de détail du chiffre d'affaires total hors taxes réalisé individuellement par au moins deux entreprises parties à la concentration entraînant une notification obligatoire à l'Autorité de la concurrence, car c'est effectivement ce secteur qui concentre en premier lieu les enjeux de lutte contre la vie chère outre-mer. Lors de son audition, l'Autorité elle-même a considéré qu'une telle évolution pourrait avoir du sens.

D. Sur l'élargissement des possibilités de saisine de l'autorité de la concurrence

Alors que de très nombreux acteurs peuvent déjà saisir l'Autorité de la concurrence, il convient d'en limiter la multiplication, raison pour laquelle la commission a fait le choix de maintenir cette possibilité introduite par la proposition de loi pour les départements d'outre-mer mais de l'écarter pour les Observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) dont ce n'est pas le rôle.

E. Sur les compétences des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC)

L'élargissement des possibilités de saisine, par les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC), de l'Autorité de la concurrence, au sujet d'entreprises sollicitant une autorisation d'exploitation commerciale et susceptibles de détenir une part de marché de 25 % d'une zone de chalandise au terme de l'opération, au lieu de 50 % aujourd'hui, n'a pas suscité d'opposition de la part des acteurs entendus par votre rapporteur, qu'il s'agisse de la direction générale des outre-mer (DGOM), de la DGCCRF ou encore de l'Autorité de la concurrence. Une telle saisine, ne peut, de fait, que contribuer utilement à la lutte contre les abus de position dominante dans une zone de chalandise donnée.

Toutefois, il convient de noter que l'Autorité n'a été saisie qu'une seule fois par une CDAC, en 2013, au sujet d'un projet d'agrandissement du principal magasin de distribution alimentaire de Saint-Barthélemy.

Il n'est donc pas garanti que cette modification législative conduira à des évolutions significatives, même si la réduction de moitié du seuil pertinent pourrait augmenter le nombre de saisines.

F. Sur les compétences des observatoires des prix, des marges et des revenus d'outre-mer

La commission comprend les objectifs du dispositif proposé par le 6° de l'article 2, en tant qu'il consiste à renforcer les pouvoirs des OPMR sans créer de contraintes excessives pour les entreprises. Néanmoins, la question de l'extension des missions des OPMR est nécessairement liée à celle de leurs moyens budgétaires et humains. À titre d'exemple, l'OPMR commun pour toutes les collectivités de la zone Antilles-Guyane ne dispose que d'un seul ETP propre en plus du secrétariat assuré par les agents de la préfecture. Les autres OPMR n'ont pas de moyens propres. Le dispositif proposé implique une discussion en loi de finances sur les moyens de ces observatoires avant de chercher à démultiplier leurs missions alors qu'ils peinent déjà à exercer celles qui leur ont été confiées.

Le fait de renforcer le pouvoir des OPMR avec la possibilité pour eux de saisir les agents de la DGCCRF semble en revanche une extension bienvenue de leurs prérogatives car elle ne suppose pas un accroissement de leurs moyens. La commission a donc soutenu cette disposition.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 3
Éligibilité des produits de première nécessité importés à l'aide au fret

Cet article vise à rendre éligibles à l'aide au fret les produits de première nécessité et à prévoir que les opérateurs qui en bénéficient apportent aux autorités les éléments utiles permettant d'établir la répercussion effective de cette aide sur les prix de commercialisation des produits.

La commission a supprimé l'article.

I. La situation actuelle - L'aide au fret bénéficie aux entreprises ultra-marines qui importent ou exportent des matières premières ou des déchets

Pami les facteurs qui contribuent à expliquer les écarts de prix avec l'hexagone à l'origine de la vie chère en outre-mer, la dépendance de ces territoires au transport maritime (et dans une bien moindre mesure, aérien) pour leur approvisionnement, qui entraîne des coûts et des délais supplémentaires (fret, assurance, frais de transport, taxes, coûts de stockage, etc.), joue assurément un grand rôle.

C'est la raison pour laquelle les autorités françaises ont obtenu de la Commission européenne l'autorisation de mettre en oeuvre pour les régions ultrapériphériques (RUP) un régime d'aide d'État de soutien au fret destiné à compenser ce handicap structurel, sur le fondement des dispositions de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

En conséquence, l'article 24 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 200916(*) a créé une aide au fret au bénéfice des entreprises situées dans les départements d'outre-mer, les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique et à Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna, destinée à abaisser le coût du fret.

Dans la rédaction actuelle de cet article, issue de l'article 71 de la loi n° 2017-256 du 28 février 201717(*), sont concernées par cette aide au fret les entreprises ultra-marines pour les matières premières ou produits :

importés dans ces départements ou ces collectivités depuis l'Union européenne ou les pays tiers ou acheminés depuis ces départements et collectivités pour y entrer dans un cycle de production ;

expédiés après un cycle de production locale vers l'Union européenne, y compris vers certains de ces départements et collectivités d'outre-mer.

Les entreprises ultra-marines bénéficient également d'une aide au fret destinée à abaisser le coût du fret des déchets :

importés dans ces départements et ces collectivités depuis l'Union européenne ou les pays tiers ou acheminés depuis ces départements et ces collectivités aux fins de traitement, en particulier de valorisation ;

expédiés vers l'Union européenne, y compris vers certains de ces départements ou collectivités, aux fins de traitement et en particulier de valorisation.

Dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution et la collectivité de Saint-Martin, il convient de noter que cette aide au fret peut être cofinancée par l'allocation spécifique supplémentaire mentionnée à l'article 12 du règlement (UE) n° 1301/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au Fonds européen de développement régional (FEDER) et aux dispositions particulières relatives à l'objectif « Investissement pour la croissance et l'emploi », et abrogeant le règlement (CE) n° 1080/2006.

L'aide au fret couvre les dépenses de transport engagées par les entreprises bénéficiaires, sur justification de leurs frais effectifs.

La base éligible de l'aide est égale au coût prévisionnel annuel hors taxes des dépenses de transport le plus économique, nécessaire et approprié, maritime ou aérien, incluant les assurances, les frais de manutention et de stockage temporaire avant enlèvement et, s'agissant des déchets, les coûts spécifiques de conditionnement, de contrôles de sûreté et de sécurité des matières premières ou des déchets transportés.

Le montant de l'aide apportée par l'État ne peut dépasser 25 % de la base éligible, lorsque l'entreprise bénéficie d'une aide financière dans le cadre de l'allocation additionnelle spécifique de compensation des surcoûts liés aux handicaps des régions ultrapériphériques prévue par le FEDER ou d'une aide des collectivités territoriales ou de leurs groupements.

En l'absence de ces aides, le montant de l'aide apportée par l'État peut être porté à 50 % de la base éligible. L'ensemble de ces aides financières ne peut avoir pour effet de porter le niveau de compensation des coûts de transport au-delà de 100 % de la base éligible.

En permettant la compensation des surcoûts d'approvisionnement des entreprises liés à l'éloignement géographique des territoires ultramarins, l'aide au fret constitue un dispositif de soutien qui vise à encourager le développement économique des entreprises locales et à faire baisser les prix pour les consommateurs, mais également à répondre aux problématiques ultramarines en matière de gestion des déchets (absence d'installations de traitement des déchets adaptées au niveau local et nécessité de les expédier en Europe continentale pour traitement).

Inscrit dans l'action 4 dédiée au « Financement de l'économie » du programme 138 « Emploi outre-mer » de la mission « Outre-mer » du budget de l'État, le montant de la part nationale de cette aide au fret est fixé chaque année en loi de finances.

Sur la période 2014-2022, ce sont ainsi 45 millions d'euros qui ont été engagés par l'État sur les crédits de la mission « Outre-mer » pour l'aide au fret et 29 millions d'euros qui ont été effectivement payés, ce qui témoigne d'une sous-consommation des crédits votés.

En 2023, ce sont 2,45 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 4,82 millions d'euros en crédits de paiement (CP) qui ont été consacrés par l'État au financement de cette mesure.

Avec 58 entreprises bénéficiaires pour 187 subventions accordées, la subvention moyenne s'est établie à 13 144 euros (contre 22 484 euros en 2021 et 36 287 euros en 2022), soit un montant en baisse de - 64 % par rapport à 2022.

Les subventions versées en 2023 ont, comme les années précédentes, bénéficié en majorité aux entreprises de l'industrie manufacturière (78 %), tant par le nombre d'établissements bénéficiaires du dispositif que par les montants consacrés.

Les autres secteurs bénéficiaires sont la production et la distribution d'eau, l'assainissement, la gestion des déchets et la dépollution, ainsi que les autres activités de service. Ces trois secteurs représentent au total 17 % des subventions octroyées.

Une étude du cabinet Ernst & Young menée en 2021 a conclu à la pertinence de l'aide au fret pour accompagner l'intégration régionale des territoires ultra-marins, ainsi qu'à son utilité pour préserver les marges des entreprises locales.

Cette même étude Ernst & Young a cependant noté que les délais de paiement et les incertitudes pesant sur les montants d'aide réduisaient les impacts du dispositif et que ce dernier restait encore difficilement accessible pour les très petites entreprises ainsi qu'à l'artisanat.

En outre, la gestion du dispositif européen et national a été couplée, ce qui a conduit à adopter des règles de gestion similaire et rend beaucoup moins souple le versement de l'aide nationale.

Dans son rapport n° 488 (2022-2023) sur la continuité territoriale outre-mer publié en mars 2023, la délégation sénatoriale aux outre-mer s'est montrée pour sa part beaucoup plus réservée sur l'aide au fret, qu'elle qualifie de « supplice de Tantale », écrivant que « ses interlocuteurs ont tous considéré que l'aide au fret n'était pas un outil adapté pour diminuer la charge du fret sur le coût de la vie dans les outre-mer. Les montants disponibles, les activités éligibles et la complexité des dossiers n'en font pas un outil opérationnel. Hormis quelques grandes entreprises de transformation, les acteurs économiques s'en détournent ».

II. Le dispositif envisagé - Pour lutter contre la vie chère outre-mer, une extension de l'aide au fret aux entreprises important des produits de première nécessité pour l'alimentation et l'hygiène, assortie d'une obligation de démontrer la répercussion de cette aide sur les prix de commercialisation des produits

Le I du présent article 3 prévoit une extension de l'aide au fret aux produits de première nécessité, pour lesquels le coût du fret représente une part importante du prix.

Dans cette perspective, il vient insérer un 5° après le cinquième alinéa de l'article 24 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer.

Il prévoit que l'aide au fret au bénéfice des entreprises situées dans les départements d'outre-mer, les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique et à Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna, destinée à abaisser le coût du fret, s'applique, en plus des matières premières et des déchets, aux produits de première nécessité pour l'alimentation et l'hygiène importés dans ces départements ou ces collectivités depuis l'Union européenne ou les pays tiers ou acheminés depuis ces départements et collectivités.

Lors de son audition par votre rapporteur, la direction générale des outre-mer (DGOM) a effectivement confirmé qu'en l'état du droit en vigueur, l'aide au fret ne concerne pas les produits alimentaires ou d'hygiène importés. L'article 24 de la loi n° 2009-594 se limite bien strictement aux matières premières importées et aux déchets.

Le II de l'article 3 prévoit que les opérateurs bénéficiant directement ou indirectement de l'aide au fret pour les produits de première nécessité pour l'alimentation et l'hygiène importés ou d'une aide publique en faveur de leur activité économique sont tenus d'apporter aux administrations concernées, au président de l'observatoire des prix, des marges et des revenus et au représentant de l'État dans le territoire tous éléments utiles permettant d'établir la répercussion effective de cette aide sur les prix de commercialisation des produits.

Il s'agit donc, pour les auteurs de la proposition de loi, de s'assurer de la répercussion effective de cette aide, mais également de toutes les aides publiques dont les entreprises ont bénéficié, sur les prix de commercialisation des produits.

III. La position de la commission - Une suppression de l'article assortie d'un renvoi de la discussion à l'examen de la proposition de loi n° 172 (2024-2025) portant diverses dispositions d'adaptation du droit des outre-mer

Alors que le rapport n° 488 (2022-2023) réalisé en mars 2023 par la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la continuité territoriale outre-mer dresse un bilan mitigé du fonctionnement et de l'efficacité de l'aide au fret qui vient en aide aux entreprises ultramarines qui importent ou exportent des matières premières ou des déchets, le I de l'article 3 de la proposition de loi propose une extension de l'aide au fret aux produits de première nécessité pour l'alimentation et l'hygiène importés dans les départements ou collectivités d'outre depuis l'Union européenne ou les pays tiers ou acheminés depuis ces départements et collectivités.

L'article 10 de la proposition de loi n° 172 (2024-2025) portant diverses dispositions d'adaptation du droit des outre-mer déposée par notre collègue Micheline Jacques le 28 novembre 2024 porte également cette proposition d'extension de l'aide au fret aux produits de première nécessité.

Cette disposition mérite d'être davantage expertisée pour évaluer sa faisabilité technique, son coût potentiel pour les finances publiques, et, surtout, son efficacité dans la lutte contre la vie chère outre-mer, comparativement à d'autres dispositifs.

Il est donc proposé de renvoyer le débat de fond sur cette mesure à l'examen de cette proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation du droit des outre-mer qui devrait intervenir dans les prochaines semaines, au printemps.

En ce qui concerne le II de l'article 3 de la présente proposition de loi, l'obligation faite aux bénéficiaires de l'aide au fret ou d'une aide publique en faveur de l'activité économique d'apporter tous les éléments utiles permettant d'établir la répercussion effective de cette aide sur les prix de commercialisation des produits n'apparaît pas opérante, dans la mesure où les opérateurs situés en amont de la chaîne de valeur (transitaires, grossistes-importateurs) qui seraient susceptibles de bénéficier de cette nouvelle aide au fret ne disposent d'aucun contrôle sur le niveau des prix à la consommation, qui sont librement fixés par les revendeurs au détail.

De fait, les prix sont libres et il n'existe aucune obligation de répercussion des aides perçues en amont sur les prix de vente au détail. Par conséquent, ces aides peuvent en principe être répercutées dans les prix de détail mais, en pratique, rien ne le garantit.

Enfin, le fait de prévoir que toutes les aides en faveur de l'activité économique devraient in fine être rendues aux consommateurs ne paraît pas applicable.

De nombreuses aides publiques visent à inciter le développement d'actions ou de comportements de la part des entreprises, et non à améliorer le pouvoir d'achat du consommateur : l'obligation de répercussion auprès du consommateur du montant de l'aide supprimerait alors le caractère incitatif de l'aide pour l'entreprise.

La commission a supprimé l'article.

Article 4
Gage

Cet article consiste en un « gage » destiné à compenser les éventuelles conséquences financières de la proposition de loi.

La commission a adopté l'article sans modification.

I. Le dispositif envisagé - Un gage destiné à compenser les éventuelles conséquences financières de la proposition de loi

L'article 4 consiste en un « gage » destiné à compenser les éventuelles conséquences financières résultant pour l'État de la proposition de loi.

II. La position de la commission - Un gage n'appelant pas d'observation ou de modification

La commission a adopté l'article sans modification.


* 1 Sous certaines conditions, les entreprises peuvent demander la confidentialité totale ou partielle de leurs comptes, c'est notamment le cas des micro-entreprises ainsi que des petites et moyennes entreprises.

* 2 Déposé le 4 décembre 2024

* 3 Article L. 910-1 A du code de commerce introduit par l'article 23 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012.

* 4 Il s'agit des sociétés commerciales transformant des produits agricoles, commercialisant des produits alimentaires, exploitant, directement ou indirectement, un ou plusieurs magasins de commerce de détail de produits de grande consommation ou intervenant dans le secteur de la distribution comme centrale de référencement ou d'achat d'entreprises de commerce de détail.

* 5 Article L. 430-1 du code de commerce.

* 6 Article L. 430-2 du code de commerce.

* 7 Article 25 de l'Ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004.

* 8 Article 96 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

* 9 Ibid.

* 10 Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises ("le règlement CE sur les concentrations").

* 11 Article L. 462-5 du code de commerce.

* 12 Article L. 462-1 du code de commerce.

* 13 Article L. 462-5 du code de commerce.

* 14 Article L. 910-1 A du code de commerce introduit par l'article 23 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012.

* 15 Parmi les collectivités concernées, seules la Martinique la Guyane et Mayotte sont des collectivités territoriales uniques (CTU). Pour mémoire, une CTU est une collectivité territoriale à statut particulier au sein de laquelle une seule assemblée exerce sur son territoire les compétences dévolues à la région et au département.

* 16 Loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer

* 17 Loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique

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