AVANT-PROPOS
La proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur est issue des travaux de la mission d'information1(*) chargée par la commission, à la suite des incidents survenus dans plusieurs établissements après le 7 octobre 2023, de dresser un état des lieux de la diffusion de l'antisémitisme à l'Université et d'évaluer la réponse apportée par les pouvoirs publics.
Adoptées à l'unanimité le 26 juin 2024, les conclusions de cette mission ont pointé l'inquiétante résurgence d'un climat d'antisémitisme à l'Université, dans le contexte des mobilisations étudiantes en faveur de la Palestine. Cet « antisémitisme d'atmosphère » se caractérise par des formes d'expression renouvelées, qui rendent son identification difficile, et son inscription dans une dynamique collective. Face à cette situation, les outils de lutte à la disposition des établissements apparaissent nettement insuffisants.
La commission a en conséquence formulé onze recommandations visant à améliorer la connaissance du phénomène, à déployer des mesures de prévention ciblées et à mieux sanctionner les dérives dans un cadre disciplinaire renforcé. Cette proposition de loi constitue la traduction de celles de ces recommandations qui relèvent du domaine législatif.
Elle comporte trois articles prévoyant une sensibilisation obligatoire à la lutte contre l'antisémitisme tout au long du parcours éducatif (article 1er), une clarification et un renforcement des dispositifs de prévention et de signalement au sein des établissements (article 2), et une évolution de la procédure disciplinaire, aujourd'hui centrée sur la fraude académique, pour l'adapter aux actes de violence, de haine et de discrimination (article 3).
À l'issue de leurs travaux, qui leur ont permis d'effectuer un suivi de la situation auprès des interlocuteurs précédemment consultés, les rapporteurs ont souligné la persistance d'un antisémitisme à bas bruit dans les établissements, en dépit du retour au calme sur la grande majorité des campus. À leur initiative, la commission a adopté onze amendements permettant de préciser et d'améliorer les trois dispositifs proposés.
I. UNE SITUATION TOUJOURS PRÉOCCUPANTE À L'UNIVERSITÉ
A. DEPUIS LE 7 OCTOBRE 2023, UN CLIMAT D'ANTISÉMITISME LARGEMENT SOUS-ÉVALUÉ DANS LES ÉTABLISSEMENTS
La mission d'information a établi que les établissements d'enseignement supérieur n'ont pas été épargnés par la forte augmentation des actes et propos antisémites observée dans l'ensemble de la société française dans le contexte de la réponse militaire israélienne aux attaques terroristes du 7 octobre 2023.
Les mobilisations étudiantes en faveur de la Palestine qui en ont découlé, associées à une remise en cause parfois radicale de la politique du gouvernement israélien, ont notamment donné lieu à des dérapages reposant sur l'assignation d'étudiants juifs à Israël.
67 actes antisémites ont ainsi été recensés par France Universités entre cette date et le 10 avril 2024, soit le double de ceux enregistrés sur toute l'année universitaire 2022-2023. Ces agissements recouvrent des manifestations d'hostilité très diverses allant du tag anonyme à l'agression physique, en passant par la diffusion de messages insultants sur des groupes de conversation en ligne.
Si le nombre de ces actes peut apparaître faible en valeur absolue, le phénomène ne saurait pour autant être considéré comme résiduel. La très probable sous-évaluation du nombre des actes perpétrés a en effet été pointée par la direction interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) et la commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). Le fort décalage entre ces chiffres et les résultats d'une étude réalisée par l'Ifop en septembre 2023, selon laquelle 9 étudiants juifs sur 10 ont déjà été confrontés à un acte antisémite, incite par ailleurs à la prudence.
Plusieurs facteurs contribuent à cette difficulté de mesure : le silence des victimes et des témoins, dont résulte une sous-déclaration commune à l'ensemble des atteintes à caractère raciste et discriminatoire ; les pratiques hétérogènes des équipes dirigeantes, dont certaines choisissent d'agir a minima pour se prémunir de toute polémique ; l'existence d'une zone grise juridique pour le recensement des actes survenant dans des contextes périuniversitaires tels que les soirées étudiantes, les lieux de stage, les réseaux sociaux ou les messageries en ligne ; les difficultés relatives à la qualification juridique de certains actes.
Les présidents d'établissements indiquent ainsi se sentir démunis pour distinguer entre la critique politique du gouvernement israélien, protégée par la liberté d'expression, et les déclarations antisémites, constitutives de délits sanctionnés par le droit pénal. Du fait de l'ambiguïté et du caractère amalgamant du terme, ces difficultés portent notamment sur les prises de position « antisionistes ». Elles portent également sur l'identification des situations de harcèlement et d'ostracisation d'étudiants juifs, qui peuvent prendre la forme de bousculades répétées dans les couloirs, de changements de place dans les salles de cours, de blagues reposant sur des clichés antisémites ou encore de l'isolement de certains étudiants dans la constitution de groupes de travail.
Ces actes sont constitutifs du climat d'antisémitisme mis en évidence par la commission. La forme diffuse de cet antisémitisme d'atmosphère, alimenté par la confusion conceptuelle et juridique qui entoure les nouvelles formes de son expression, le rend particulièrement difficile à repérer et à combattre.
* 1 La page Internet retraçant les travaux de la mission d'information est accessible à cette adresse.