EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Renforcement de l'Office anti-stupéfiants

Le présent article vise à consolider les conditions d'exercice, par l'Office anti-stupéfiants (Ofast), de sa fonction de chef de file interministériel pour la politique de lutte contre le narcotrafic.

Il répond ainsi à une recommandation forte de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France, qui a souligné la problématique de l'éparpillement des acteurs et les difficultés rencontrées par l'Ofast pour réaliser pleinement sa vocation interministérielle.

À cette fin, il tend à repositionner l'office pour le placer sous la double tutelle du ministère de l'intérieur et du ministère de l'économie et des finances, en lieu et place de son rattachement actuel au sein de la direction générale de la police nationale, dans le souci de dynamiser la coopération de l'ensemble des services impliqués, aussi bien la police et la gendarmerie nationales que la douane.

L'article confère également à l'office de nouvelles prérogatives. En matière judiciaire, celui-ci disposerait d'un « monopole criminel », de sorte qu'il serait obligatoirement saisi des crimes liés au trafic de stupéfiants. En matière de renseignement - l'Ofast ayant le statut de service du « second cercle » -, il prévoit une dérogation en sa faveur aux règles de droit commun relatives au partage de renseignements des services du « premier cercle » aux services du « second cercle », permettant de faciliter la transmission de renseignements en matière de stupéfiants.

Les amendements adoptés par la commission, à l'initiative des rapporteurs, outre diverses améliorations rédactionnelles, ont visé :

- à mieux délimiter les nouvelles prérogatives judiciaires de l'Ofast, en cohérence avec celles du Parquet national anti-criminalité, institué par l'article 2 de la présente proposition de loi, dans sa version adoptée par la commission ;

- dans le souci de favoriser et fluidifier la coopération entre les acteurs, à étendre la mesure proposée de simplification des règles relatives à la transmission de renseignements à l'ensemble des services de renseignement du « second cercle » - soit notamment les services compétents de la police et de la gendarmerie nationales, de la préfecture de police, et de l'administration pénitentiaire ;

- à sécuriser les conditions de mise en oeuvre opérationnelle de la réforme, en laissant aux acteurs concernés le temps d'adapter leur organisation. Le présent article entrerait ainsi en vigueur au terme d'un délai de trois mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi.

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

1. L'Office anti-stupéfiant, une pièce maîtresse de notre dispositif de lutte contre le narcotrafic, qui n'a pas pleinement réalisé sa vocation interministérielle

L'Office anti-stupéfiants (Ofast) est un service à compétence nationale rattaché au directeur national de la police judiciaire, au sein de la direction générale de la police nationale.

Il a été créé en 20196(*), en remplacement de l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS). L'ambition qui a présidé à sa création était de conférer à ce nouvel office une dimension fortement interministérielle. Il était d'emblée prévu que celui-ci travaille en étroite collaboration avec l'ensemble des services participant de la lutte contre le narcotrafic : police et gendarmerie nationales, douanes, services de renseignement, ministère des armées, ministère des affaires étrangères, etc. De façon significative, l'Ofast constitue ainsi, pour la France, le point de contact central dans les échanges internationaux relatifs à la lutte contre le narcotrafic.

Il lui revient également de produire une analyse de l'état de la menace, et de formuler des propositions relatives à la politique de lutte contre le narcotrafic. En principe, celle-ci a vocation à être nourrie par des échanges systématiques d'informations entre l'Ofast et les services précités.

Depuis le 1er janvier 2020, l'Ofast s'est vu confier un jour un rôle de chef de file dans la conduite des enquêtes judiciaires relatives au trafic de stupéfiants de grande envergure. Dans le détail, celui-ci est chargé :

- de procéder sur l'ensemble du territoire national à des enquêtes judiciaires relatives à des trafics de produits stupéfiants d'importance nationale et internationale ou présentant une sensibilité particulière ;

- sous le contrôle de l'autorité judiciaire, de coordonner les enquêtes de grande envergure diligentées par des services de la police et de la gendarmerie nationales ainsi que des douanes, en particulier celles qui présentent une dimension internationale marquée et visent des filières d'importation complexes ;

- de coordonner l'action des services territoriaux de la police et de la gendarmerie nationales ainsi que des douanes, le cas échéant dans le cadre de saisines conjointes décidées par l'autorité judiciaire ;

- de centraliser les informations concernant les demandes adressées aux fonctionnaires ou agents publics visant à permettre la mise en oeuvre des opérations de surveillance prévues dans le cadre du régime procédural de la criminalité organisée7(*) ;

- de coordonner avec l'ensemble des partenaires concernés la mise en oeuvre des mesures de prévention, de recherche et de constatation des infractions constitutives de trafic de stupéfiants relevant de l'action de l'État en mer.

Outre son service central basé à Nanterre, l'Ofast compte 15 antennes. Cette organisation ne déroge toutefois pas à la réorganisation des services de la police judiciaire mise en oeuvre à compter du 1er janvier 2024, de telle sorte que le service central n'assure pas la gestion directe des services territoriaux, qui sont hiérarchiquement rattachés aux directions départementales et interdépartementales de la police nationale8(*).

Au total, selon les données publiées par la Cour des comptes, l'Ofast disposait au 31 décembre 2023 d'un effectif total de 678 équivalents-temps plein (ETP), dont 200 ETP au sein du service central. Celui-ci a connu une forte montée en puissance depuis la création de l'office, ses effectifs ayant quasiment doublé (105 ETP en 2020)9(*).

Ce service est structuré en trois pôles :

- le pôle stratégie, chargé d'identifier la nature de la menace et d'élaborer une stratégie de coopération internationale ;

- le pôle opérationnel, chargé de conduire des enquêtes judiciaires sous l'autorité des magistrats des juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) et surtout de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) ;

- le pôle renseignement, chargé de recueillir notamment la remontée du renseignement, opérée par les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross). Pour accomplir ses missions de renseignement, l'Ofast dispose du statut de service dit « du second cercle » au sens de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, qui lui permet de mettre en oeuvre des techniques de renseignement au titre de la seule finalité de prévention de la criminalité et de la délinquance organisées10(*).

Dans la pratique, comme l'a montré la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier11(*), la mise en oeuvre de la compétence interministérielle de l'Ofast donne lieu à une évaluation en demi-teinte.

La commission d'enquête a ainsi pu faire le constat d'une organisation et d'un positionnement incertains au niveau national. Elle a notamment constaté, à cet égard, que son pôle opérationnel était en pratique très sollicité dans des affaires liées à la lutte contre les « mules »12(*), pourtant peu complexes, au détriment du haut du spectre de la criminalité organisée.

Elle a également pointé « des angles morts qui empêchent l'exercice d'un vrai chef de filât » :

une absence de réel pouvoir « d'évocation » sur les enquêtes, de telle sorte que la saisine ou la co-saisine de l'Ofast sur des affaires stratégiques correspondant à sa vocation repose sur la complétude des informations qui lui sont remontées, notamment par les services de la police ou des douanes, et donc in fine sur la confiance que se font les différents acteurs ;

des relations semblant distantes avec l'administration des douanes, du fait d'échanges d'informations insuffisants avec la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), service de renseignement « du premier cercle », mais aussi d'une différence de culture (« la douane est orientée vers les flux de marchandises, là où la police - ou la gendarmerie - s'intéresse d'abord aux personnes ») ;

- une vision minimale de son chef de filât, l'Ofast étant très soucieux de l'autonomie d'action des différentes administrations impliquées.

2. Le dispositif proposé : une consolidation des conditions d'exercice du chef de filât de l'Ofast

L'article 1er de la présente proposition de loi vise à traduire la recommandation n° 15 de la commission d'enquête, visant à consolider les conditions d'exercice du chef de filât de l'Ofast.

En premier lieu, le I du présent article tend à positionner l'Ofast sous la double tutelle du ministère de l'intérieur et du ministère de l'économie et des finances, en lieu et place de son rattachement à la direction générale de la police nationale. Une telle position paraît de nature à favoriser la circulation efficace de l'information et la bonne coopération des services de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des douanes.

Au-delà de ces deux ministères de tutelle, le même I évoque également la vocation interministérielle de l'office, qui devra exercer ses missions en liaison étroite avec l'ensemble des acteurs concernés par la lutte contre le narcotrafic.

Le II du présent article tend à préciser certaines prérogatives de l'Ofast.

Premièrement, il vise à lui conférer un « monopole criminel ».

Ainsi, il incomberait à l'Ofast de procéder, sur l'ensemble du territoire national, aux enquêtes judiciaires relatives aux crimes relevant du trafic de stupéfiants. Concrètement, cela implique qu'il soit saisi par un magistrat de l'ensemble des affaires relatives aux crimes de direction d'un groupe de narcotrafiquants ainsi que de production ou d'import/export de stupéfiants.

L'Ofast serait également seul compétent sur les enquêtes relatives aux délits liés au trafic de stupéfiants, lorsqu'ils sont ou apparaissent d'une très grande complexité, en raison notamment du grand nombre d'auteurs, de complices ou de victimes, ou du ressort géographique sur lequel ils s'étendent.

Il serait enfin obligatoirement informé de l'ensemble des autres enquêtes de grande envergure liées au trafic de stupéfiants diligentées par les services de la police et de la gendarmerie nationales ainsi que des douanes, et pourrait demander à être saisi concurremment à d'autres services s'il le juge opportun.

Deuxièmement, le même II comporte également des dispositions relatives aux prérogatives de l'Ofast en matière de renseignement.

Outre la réaffirmation de sa fonction de centralisation des renseignements liés au narcotrafic, émanant en particulier des Cross, dont le rôle est consacré par l'article 7 de la présente proposition de loi13(*), le présent article introduit, au bénéfice de l'Ofast, une dérogation aux règles de droit commun relatives au partage de renseignements entre services des premier et second cercles, posées au 1° du II de l'article L. 822-3 du code de la sécurité intérieure.

Pour mémoire, ces dispositions, issues de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, prévoient en effet que les transmissionsaux services du « second cercle » - tels que l'Ofast - de renseignements collectés par un service de renseignement du « premier cercle » - lorsqu'elles poursuivent une finalité différente de celle qui en a justifié le recueil - soient subordonnées à une autorisation du Premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. En application du présent article, un service tel que la direction générale de la sécurité intérieure ou encore Tracfin pourrait librement transmettre à l'Ofast des renseignements relatifs à la criminalité organisée, quand bien même ceux-ci auraient été collectés dans le cadre de la poursuite d'une finalité différente.

Troisièmement, le II du présent article vise à consacrer les compétences de coordination existantes de l'Ofast en matière d'action de l'État en mer.

3. La position de la commission : un dispositif nécessaire pour remédier à l'éparpillement des acteurs de la lutte contre le narcotrafic pointé par la commission d'enquête

Les rapporteurs considèrent qu'une telle consécration du rôle interministériel et des prérogatives de l'Ofast constitue une mesure bienvenue et un signal important pour mettre de l'ordre dans l'action commune des acteurs, « éparpillés façon puzzle », selon l'expression utilisée par la commission d'enquête.

À leur initiative, la commission a adopté un amendement n° COM-55, qui a permis de mieux délimiter le champ de compétences qui serait confié par la loi à l'Ofast en matière de police judiciaire, en coordination avec le parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) ayant vocation à être institué par l'article 2 de la présente proposition de loi dans sa version adoptée par la commission14(*).

En premier lieu, le Pnaco, dans le cadre de son champ de compétence exclusif, qui porte sur les infractions les plus graves, le saisirait des enquêtes judiciaires liées à la direction d'un groupe de narcotrafiquants (art. 222-34 du code pénal) ou le cas échéant relatives à des affaires de meurtre, tortures ou actes de barbarie commis en bande organisée (art. 706-73 du code de procédure pénale, 1° et 2°) lorsqu'elles sont liées au trafic de stupéfiants.

En sus, tout procureur de la République ou juge d'instruction pourrait saisir l'Ofast, le cas échéant concurremment avec d'autres services, dans le cadre d'enquêtes ou d'instructions judiciaires relatives à des faits de trafic de stupéfiants d'importance nationale et internationale ou qui présentent une sensibilité, une gravité ou une complexité particulières.

Elle a également adopté l'amendement n° COM-17 déposé par Cédric Perrin, Catherine Di Folco et Gisèle Jourda, membres de la délégation parlementaire au renseignement. Celui-ci vise à étendre à l'ensemble des services du « second cercle » - soit notamment les services compétents de la police et de la gendarmerie nationales, de la préfecture de police et de l'administration pénitentiaire - la mesure de simplification des règles relatives au partage de renseignements entre services, prévue pour le seul Ofast par le présent article.

Dans la pratique, la mise en oeuvre de la procédure d'autorisation par le Premier ministre prévue par l'article L. 822-3 précité du code de la sécurité intérieure s'avère en effet particulièrement lourde à l'aune des exigences de réactivité requises par la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées, et notamment du narcotrafic.

Aussi, une telle simplification s'inscrit-elle pleinement dans l'esprit des recommandations de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France, en ce qu'elle est de nature à faciliter la coopération entre les différents services impliqués dans la lutte contre le narcotrafic, en fluidifiant l'échange de renseignements.

Il est à noter que cette mesure ne se heurte à aucun obstacle juridique, l'état du droit antérieur à la loi du 30 janvier 2021 précitée, qui a instauré cette procédure, ayant été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel15(*).

Enfin, la commission a adopté l'amendement n° COM-56 des rapporteurs, de façon à prévoir une mise en oeuvre différée des dispositions du présent article. Afin de laisser aux services concernés le temps d'adapter leur organisation, cette réforme n'entrerait en vigueur qu'au terme d'un délai de trois mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente proposition de loi. Ce délai est harmonisé avec celui prévu à l'article 2 concernant l'entrée en vigueur des dispositions relatives à la suppression de la Junalco et à l'instauration de compétences exclusives du Pnaco pour la poursuite de certaines affaires qui, lorsqu'elles concernent des faits liés au trafic de stupéfiants, impliqueraient une saisine de l'Ofast par ce dernier.

La commission a par ailleurs adopté l'amendement n° COM-54 des rapporteurs, d'ordre rédactionnel.

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 2
Création d'un parquet national antistupéfiants

Reprenant la recommandation n° 21 de la commission d'enquête sur l'état du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, l'article 2 crée un parquet national antistupéfiants (Pnast) qui, inspiré des parquets nationaux existants, aurait un rôle de coordination et d'intégration et un monopole sur les trafiquants du « haut du spectre ».

Pour faciliter la lutte contre le narcotrafic, qui suppose de tenir compte de l'existence d'un lien étroit entre celui-ci et les autres formes de la criminalité organisée, la commission a profondément remanié cet article. Adoptant un amendement des rapporteurs, elle a substitué au Pnast un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), compétent sur l'ensemble du spectre de cette criminalité, doté d'un lien étroit avec l'Ofast et les services de renseignement et investi d'un pouvoir fort de coordination de l'action judiciaire en matière de lutte contre les expressions les plus graves de la délinquance.

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

La commission d'enquête sur le narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a dressé le constat de l'organisation « éclatée, voire illisible »16(*) des juridictions en matière de lutte contre le narcotrafic et a pointé l'absence d'un « chef de file » de la répression au sein de l'autorité judiciaire.

Les auteurs proposent, pour combler cette lacune, la création d'un parquet national antistupéfiants chargé à la fois de lutter contre le « haut du spectre » et de coordonner l'action de l'ensemble des juridictions.

1. Les lacunes de la riposte judiciaire face au narcotrafic : un manque d'incarnation et de spécialisation

La prise en charge du narcotrafic par l'autorité judiciaire répond aux règles générales fixées en matière de délinquance et de criminalité organisées. Outre l'existence d'une cour d'assises spécialement composée (c'est-à-dire composée exclusivement de magistrats professionnels) en matière de stupéfiants, abordée à l'article 13 de la présente proposition de loi, la compétence des juridictions répond à une logique d'« escalade » fondée sur la complexité. Les dossiers de trafic « simple » (ou d'infractions connexes au même trafic) sont pris en charge par les tribunaux judiciaires ; les affaires relevant de la criminalité organisée et présentant une « grande complexité » (et notamment le trafic de stupéfiants à dimension régionale, nationale ou internationale) peuvent être confiées à l'une des huit juridictions interrégionales spécialisées (Jirs)17(*) prévues par le premier alinéa de l'article 706-75 du code de procédure pénale ; les dossiers qui comportent une « très grande complexité, en raison notamment du ressort géographique sur lequel elles s'étendent » peuvent, quant à eux, être confiés à la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), créée en 201918(*), rattachée au tribunal judiciaire et à la cour d'assises de Paris et dont le rôle est défini par le dernier alinéa de l'article 706-75 précité.

Ces juridictions échangent au sein d'instances judiciaires de coordination, créées par exemple en matière portuaire19(*) ; en théorie, elles doivent également entretenir un dialogue régulier grâce à la « double information » du parquet local et du parquet Jirs par les services d'enquête (ce qui signifie, concrètement, que les services de police ou les unités de gendarmerie doivent saisir concurremment les deux parquets des dossiers susceptibles de concerner une forme organisée de délinquance ou de criminalité ou de porter sur une infraction commise par un groupe criminel de grande ampleur) et par les parquets locaux eux-mêmes (qui sont donc supposés signaler au parquet général, pour transmission à la Jirs territorialement compétente, les dossiers complexes et/ou présentant des caractéristiques qui les rattachent à la criminalité organisée).

Bien que plusieurs circulaires et dépêches du ministère de la justice aient posé (puis rappelé) le principe de la « double information » du parquet local et du parquet Jirs, il apparaît que la situation est, en pratique, moins claire et surtout moins fluide. Ainsi, dès 2019, François Molins (alors procureur général près la Cour de cassation et chargé d'un groupe de travail sur la criminalité organisée) pointait, dans un rapport communiqué à la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, l'existence de « cas de dossiers conservés dans les juridictions de droit commun alors qu'ils auraient pu relever d'une juridiction spécialisée » ; il soulignait que de tels cas « prov[enaient] majoritairement, soit d'un refus de celle-ci de se saisir, soit d'un défaut d'information en temps utile de la juridiction spécialisée ».

Il apparaissait, selon le même rapport, que ces lacunes résultaient fréquemment d'une réticence des services d'enquête, pourtant au coeur du dispositif de double information, à informer les Jirs de l'émergence de dossiers complexes.

La compétence contrariée des Jirs

Extraits du rapport (juillet 2019) du groupe de travail sur le traitement de la criminalité organisée et financière 

« Depuis la mise en place des Jirs, le principe de la double information a été posé et rappelé dans les circulaires de politique pénale de la direction des affaires criminelles et des grâces pour permettre à chacun des parquets d'envisager de retenir sa compétence. La mise en oeuvre de la compétence concurrente des Jirs repose en effet sur la qualité de l'information et la célérité avec laquelle celle-ci est portée à la connaissance des différents interlocuteurs.

« Comme l'indique la circulaire du 2 septembre 2004, il convient de distinguer l'information opérationnelle qui doit permettre de mettre en alerte et éventuellement d'apprécier dans des délais réduits si l'enquête doit être poursuivie sous la direction du parquet local ou du parquet de la Jirs de celle qui, dans un second temps, enrichie par les premiers résultats de l'enquête et l'analyse des parquets, présidera à la décision de saisine. L'information de la Jirs doit être distinguée de sa saisine mais l'information est une phase indispensable à l'évaluation du dossier et donc à la saisine du parquet compétent. [...]

« Réticents à mettre en oeuvre ce principe de double information, les services de police et de gendarmerie font valoir qu'il les placerait, selon leurs propres termes, dans une situation de porte à faux vis-à-vis des juridictions locales et pourrait générer des conflits de loyauté à l'égard des magistrats locaux avec lesquels ils oeuvrent au quotidien. Certains magistrats entendus par le groupe de travail ont même évoqué des situations dans lesquelles certaines qualifications, notamment celle de corruption, seraient délibérément “oubliées” pour éviter d'avoir à informer le parquet Jirs et le parquet général et conserver ainsi le traitement des dossiers. »

Source : rapport précité de la commission d'enquête
sur l'état du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.

Selon Sophie Aleksic, première vice-présidente du pôle « instruction » de la Jirs de Paris et de la Junalco, ce constat est plus saillant encore s'agissant de la Junalco : en effet, non seulement celle-ci « n'a pas de pouvoir d'évocation » mais surtout, « le principe de la double information permettant d'avoir les remontées d'information, n'est pas prévu. Si l'information ne remonte pas, la Junalco ne peut pas se saisir utilement de dossiers ».

Plus largement, plusieurs des magistrats entendus par les rapporteurs ont souligné, pour les Jirs comme pour la Junalco, que des enjeux de pouvoir et des rapports de force entre juridictions pouvaient conduire certains magistrats à conserver les dossiers les plus importants, ceux-ci étant perçus comme des vecteurs d'influence, ce qui nuit à l'application du critère de la « grande » ou « très grande » complexité visé par le code de procédure pénale.

La volonté affichée par la Junalco, lors l'audition de ses représentants, de créer en son sein une cellule de pilotage et de coordination des Jirs, témoigne d'ailleurs des lacunes actuelles dans ces deux domaines.

Au-delà de ces difficultés organisationnelles, la commission d'enquête a fait le constat de la grande technicité, sur le plan à la fois matériel et juridique, de la mise en oeuvre des techniques spéciales d'enquête (TSE). Elle a considéré que, parmi les nombreux facteurs faisant obstacle au déploiement effectif de ces techniques20(*), certains concernaient l'insuffisante spécialisation des magistrats appelés à diriger des enquêtes supposant le déploiement simultané de plusieurs TSE à l'encontre d'un grand nombre de suspects.

De même, elle a noté que l'identification des avoirs criminels, condition sine qua non de leur saisie puis de leur confiscation, impliquait une spécialisation des compétences au sein de l'autorité judiciaire, a fortiori pour les profils du « haut du spectre » de la criminalité qui recourent à des montages juridiques particulièrement opaques et sophistiqués en vue de dissimuler l'identité du propriétaire réel des biens acquis grâce à l'argent de la drogue.

C'est ainsi que la commission d'enquête a plaidé pour la création d'un parquet national antistupéfiants (Pnast), dont la mise en place présenterait selon les auteurs de la proposition de loi les avantages suivants :

- doté de compétences symétriques à celles de l'Ofast rénové21(*), le Pnast pourrait se placer en pleine coordination avec la riposte envers le « haut du spectre » organisée au niveau des enquêtes judiciaires et douanières ;

- spécialisé, le Pnast pourrait plus facilement tenir compte des spécificités du trafic de stupéfiants par rapport aux autres formes de criminalité organisée (degré de menace pour les institutions, recours massif aux « petites mains », intrication du blanchiment avec l'économie légale, etc.) et serait mieux armé pour mettre en oeuvre certaines TSE réservées de facto à la répression de ce trafic (repentis, coups d'achat, infiltrations, etc.) ;

l'incarnation permise par la désignation d'un procureur national antistupéfiants permettrait, comme ce fut le cas pour le procureur national anti-terroriste, de redonner toute sa place à l'autorité judiciaire non seulement auprès des services de renseignement et du grand public, mais aussi auprès des responsables politiques qui négligent trop souvent la sphère judiciaire dans la conception comme dans la mise en application des stratégies nationales de lutte contre le narcotrafic ;

- enfin, le traitement narcotrafic dans un parquet dédié serait de nature à éviter sa dilution dans la criminalité organisée prise dans son ensemble : à cet égard, le rapport de la commission d'enquête avait établi que le trafic de stupéfiants ne représentait que 22 % des dossiers de l'actuelle Junalco22(*).

C'est dans cette perspective que l'article 2 vient définir les contours du nouveau Pnast. Faute de pouvoir prendre en charge l'ensemble des infractions à la législation sur les stupéfiants au vu du volume et de l'hétérogénéité de celles-ci, il serait, comme le parquet national financier, doté d'une compétence concurrente à celle des parquets locaux et des parquets Jirs permettant de le spécialiser sur le « haut du spectre ». Il serait ainsi compétent pour la poursuite de l'ensemble des crimes et délits de trafic de stupéfiants, tels qu'ils sont définis aux articles 222-34 à 222-40 du code pénal, y compris pour les infractions connexes et pour les auteurs mineurs.

Cependant, à l'inverse des formules prévues pour les juridictions spécialisées existantes, les auteurs proposent une règle originale de compétence fondée :

- premièrement, sur une compétence d'attribution en matière correctionnelle : le Pnast serait ainsi compétent pour les délits présentant « une très grande complexité », cette notion étant définie plus largement qu'elle ne l'est aujourd'hui pour la Junalco : elle serait en effet fondée non seulement sur l'étendue du ressort géographique de l'infraction, mais aussi sur le « grand nombre d'auteurs, de complices ou de victimes » ;

- deuxièmement, sur un monopole procédural, le texte prévoyant de confier au Pnast tous les dossiers portant sur des délits pour lesquels interviennent des « repentis » ou des « infiltrés civils »23(*) ;

- enfin, sur un monopole criminel faisant du Pnast l'autorité unique de poursuite pour la direction ou l'organisation d'un groupement de narcotrafic (article 222-34 du code pénal), la production ou la fabrication illicites de stupéfiants (article 222-35), l'importation ou l'exportation de stupéfiants en bande organisée (article 222-36), la justification mensongère de l'origine des biens ou revenus acquis grâce à un crime dont la personne concernée avait connaissance (article 222-38) et les infractions connexes à ces crimes.

Les interactions entre le Pnast et les autres juridictions seraient régies selon des modalités analogues à celles qui sont prévues pour l'actuelle Junalco, avec notamment la possibilité donnée au procureur national de requérir tout procureur de la République pour procéder ou faire procéder à des actes d'enquête ainsi que de solliciter le dessaisissement du juge d'instruction qui aurait été désigné sur un dossier relevant en réalité de sa compétence.

L'article 2 donne enfin compétence aux juridictions du tribunal judiciaire de Paris24(*), quel que soit le lieu de résidence ou de détention du condamné, pour prendre les décisions relatives à l'application des peines prononcées dans les dossiers suivis par le Pnast.

Il se déduit de ce dispositif que la Junalco (qui ne serait ni supprimée, ni même modifiée) resterait compétente pour connaître des infractions qui concernent les autres domaines de la délinquance et de la criminalité organisées. Toutefois, la proposition de loi ne modifie pas les dispositions relatives à cette juridiction, ce qui laisse ouverte la question de l'attribution de compétence en cas de dossier mêlant des faits de narcotrafic et des infractions tierces.

2. La position de la commission : privilégier la création d'un parquet national couvrant l'ensemble du spectre de la criminalité organisée

La commission a adhéré sans réserve au principe de la création d'un parquet national afin de renforcer l'efficacité de la riposte judiciaire : de même que le PNF et le Pnat, qui constituent d'indéniables succès dans leurs sphères de compétences respectives, cette nouvelle instance sera un gage de visibilité et de cohérence pour l'autorité judiciaire dans son ensemble et, loin d'instaurer une concurrence avec les Jirs et les parquets locaux, sa mise en place viendra conforter l'action de l'ensemble de la chaîne pénale.

Cependant, les auditions menées par les rapporteurs ont fait apparaître - comme au demeurant les travaux de la commission d'enquête - que des liens étroits existaient entre le narcotrafic et les autres formes de délinquance et de criminalité organisées. Face au caractère souvent inextricable de ces liens, et pour éviter les complexités procédurales et les conflits de compétences qui pourraient naître de la coexistence entre la Junalco - que la proposition de loi ne prévoit pas de supprimer - et le nouveau Pnast, la commission des lois a souhaité, en adoptant un amendement n° COM-57 des rapporteurs, opter pour un parquet national chargé de lutter contre la criminalité organisée dans son ensemble.

Ce choix ambitieux emporte plusieurs évolutions par rapport au texte initial de la proposition de loi.

Tout d'abord, le périmètre infractionnel du nouveau parquet national ne sera plus concentré sur la seule lutte contre le trafic de stupéfiants, mais étendu à l'ensemble des crimes et délits visés par les articles du code de procédure pénale définissant la criminalité organisée et ce, dès lors que leur très grande complexité le justifie. Les avancées proposées par les auteurs en ce qui concerne la définition de la « très grande complexité » seraient, par ailleurs, maintenues (renvoi explicite au grand nombre non seulement d'auteurs ou de complices, mais aussi de victimes de l'infraction ; référence à un ressort géographique étendu) : enrichies par l'amendement d'une précision sur la diversité et la gravité des infractions commises, qui constitue indéniablement un facteur de complexité de nature à justifier la saisine du parquet national, ces critères permettront de couvrir les actes commis par les réseaux les plus puissants. Outre les règlements de comptes commis en bande organisée, le parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) serait ainsi compétent pour traiter de formes de délinquance qui recoupent trop souvent les agissements des réseaux de narcotrafic, ou qui en constituent le soubassement logistique ou l'accessoire : trafic d'armes, trafic de véhicules, proxénétisme en bande organisée, formes graves de blanchiment, etc.

Les infractions correspondantes seraient, à l'issue des poursuites menées par le Pnaco, jugées - selon leur nature - par le tribunal correctionnel, la cour d'assises ou la cour d'assises des mineurs de Paris, étant précisé que ces juridictions seraient dans cette hypothèse composées de magistrats spécialisés.

Le périmètre de compétences du Pnaco exclurait cependant les infractions traitées par les parquets nationaux existants dans le domaine du terrorisme, donc par le Pnat, et de la grande délinquance financière, donc par le PNF.

Une telle extension de périmètre suppose, par esprit de réalisme, que le monopole infractionnel du Pnaco soit recentré sur les crimes les plus graves et les plus emblématiques : l'amendement adopté prévoit ainsi de le limiter à trois crimes, à savoir la direction et l'organisation d'un trafic de stupéfiants ainsi que les formes criminelles des règlements de comptes (meurtre en bande organisée, d'une part, et actes de torture et de barbarie en bande organisée, d'autre part). Afin de conforter le chaînage entre les acteurs de la répression et d'instaurer un lien fort entre les différents « chefs de file », le texte prévoit que le Pnaco sollicitera prioritairement l'Ofast y compris en co-saisine avec d'autres services - pour traiter ces crimes dès lors que, s'agissant des règlements de comptes, ils sont liés au trafic de stupéfiants.

Dans cette nouvelle rédaction, le nouveau parquet national pourrait s'appuyer sur un pouvoir d'évocation renforcé. Informé sans délai par les Jirs des affaires dont elles sont saisies, il pourrait en effet exercer sa compétence de manière prioritaire tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement : cette innovation constitue un progrès substantiel par rapport à la situation actuelle de la Junalco.

Dans les autres cas (c'est-à-dire lorsqu'une enquête ou une instruction a déjà été débutée au sein d'une autre juridiction), le Pnaco pourrait demander à se voir attribuer les dossiers les plus complexes, avec une possibilité de recours devant la chambre criminelle de la Cour de cassation si le magistrat initialement saisi refuse de se dessaisir à son profit.

Le Pnaco disposerait, par ailleurs, de prérogatives fortes de coordination. Véritable chef d'orchestre de la lutte contre la criminalité organisée sur l'ensemble du territoire, il pourrait ainsi :

régler les conflits de compétences entre les parquets locaux et les parquets des Jirs25(*) ;

- se voir transmettre l'ensemble des informations utiles à l'exercice de ses missions par tout procureur de la République ;

- disposer des éléments nécessaires à ses compétences, puisqu'il serait obligatoirement informé des opérations d'infiltration, de la transmission d'informations dans le cadre du feed-back26(*), de la réception des décisions d'enquête européenne et des cas où une personne est susceptible de bénéficier d'une exemption ou d'une réduction de peine (donc, en particulier, du recours au dispositif des « repentis »).

L'état de la menace impose une action urgente de la part des pouvoirs publics : l'amendement adopté prévoit à cet égard la création effective du Pnaco au plus tard trois mois après la promulgation de la présente loi, ménageant le délai nécessaire au « tuilage » entre l'actuelle Junalco et le nouveau parquet national.

Adoptant un sous-amendement n° COM-18 rectifié bis de Cédric Perrin, Catherine Di Folco et Gisèle Jourda, la commission a en outre souhaité que le Pnaco puisse être destinataire des informations que les services de renseignement auront jugé utile de lui communiquer : cette précision contribuera en effet, conformément aux souhaits exprimés par la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic, au « développe[ment] [de] liens fluides et confiants » entre le futur parquet national et les services de renseignement engagés dans la lutte contre la criminalité organisée.

La commission a adopté l'article 2 ainsi modifié.

Article 3
Dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment

L'article 3 prévoit cinq dispositifs distincts visant, selon les cas, à renforcer les obligations imposées aux personnes soumises aux règles de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, à faciliter l'accès des services compétents aux informations pertinentes ou à donner à l'administration la possibilité de faire temporairement cesser l'activité de commerces soupçonnés de blanchiment.

La commission a approuvé le principe de ces dispositifs, tout en adoptant trois amendements d'Étienne Blanc visant à garantir leur sécurité juridique, à renforcer leur opérationnalité ou à étendre ponctuellement leur périmètre. Elle a par ailleurs adopté un amendement du groupe écologiste visant à renforcer l'information des maires sur les suites données aux affaires en lien avec le narcotrafic. Elle a adopté cet article ainsi modifié.

1. La fermeture administrative des commerces en lien avec le narcotrafic : une mesure attendue mais qui doit être juridiquement sécurisée

L'article 3 prévoit premièrement la création d'une nouvelle possibilité de fermeture administrative des commerces soupçonnés d'agir comme des « blanchisseuses ». Sur signalement du maire, le représentant de l'État dans le département pourrait ordonner la fermeture administrative pour une durée n'excédant pas six mois desdits commerces. Le non-respect de cette mesure insérée au sein du code pénal serait puni de deux mois d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende.

Cette disposition inspirée de la législation belge est la traduction directe d'une recommandation de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic27(*), afin de « casser les liens troubles entre l'économie légale et illégale ».

Les travaux conduits par les rapporteurs ont confirmé l'intérêt d'une telle disposition, qui répond à un besoin opérationnel avéré et comblerait une lacune majeure du cadre juridique. En outre, il s'agit d'un sujet sur lequel les élus locaux, en première ligne dans la lutte contre les nuisances subies par leurs administrés du fait de l'essor du narcotrafic, sont particulièrement impliqués.

À titre d'illustration, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur a confirmé au cours de son audition que la finalité du dispositif répondait « à un besoin opérationnel réel, documenté par le rapport de la commission d'enquête mais également par de nombreuses remontées des préfets ». Selon celle-ci, « des commerces participent activement à des trafics de stupéfiants, en abritant les transactions, ou en servant de site de stockage, de point de regroupement des trafiquants ou de structure de blanchiment d'argent tout en permettant aux trafiquants de renforcer leur enracinement territorial et leur statut social [...]. Il s'agit le plus souvent d'ongleries, de pressings, de barbiers, d'épiceries, d'établissements de vente à emporter ou de restauration rapide, de bars à shisha, de sandwicheries. [...] Cependant, certains commerces notoirement connus pour blanchir les produits du trafic demeurent ouverts, au vu et au su de tous, faute de moyens coercitifs adaptés et compte tenu de la difficulté d'établir le blanchiment. Ces commerces investis par les organisations criminelles créent en outre une concurrence déloyale au détriment des sociétés, commerçants et artisans qui respectent la loi et s'acquittent de l'ensemble de leurs charges fiscales et sociales ». Les rapporteurs ne peuvent que reprendre ce constat à leur compte ; celui-ci est du reste partagé par l'ensemble des acteurs auditionnés.

De fait, les régimes sectoriels de fermetures d'établissement aujourd'hui prévus par la loi n'offrent que peu de prise sur des commerces impliqués dans le narcotrafic. À titre d'exemple, le code de la sécurité intérieure vise pour l'essentiel les débits de boissons, les restaurants ou les établissements diffusant de la musique28(*), tandis que le régime de fermeture prévu au code du travail29(*) ne s'applique qu'en cas d'infractions aux obligations qu'il prévoit. Si le code de la santé publique prévoit enfin une mesure applicable au trafic de stupéfiants, son champ est toutefois significativement plus restreint que celui proposé par l'article 330(*).

Dans ce contexte, la commission a accueilli très favorablement la volonté des auteurs de la proposition de loi de créer un régime de fermeture administrative ad hoc. Afin de garantir l'effectivité juridique de l'article 3, elle a néanmoins adopté un amendement n° COM-58 des rapporteurs procédant à sa réécriture globale. La rédaction adoptée par la commission permet ainsi :

- de transférer le dispositif du code pénal vers le code de la sécurité intérieure, moyennant un alignement des rédactions sur la terminologie habituellement utilisée pour des mesures de police administrative ;

d'étendre la finalité de la mesure à la prévention de la commission d'agissements en lien avec d'autres infractions que le blanchiment, rendus possibles en raison de la fréquentation ou des conditions d'exploitation de l'établissement concerné (trafic de stupéfiants, blanchiment, recel, participation à une association de malfaiteurs) ;

- de doubler la durée maximale de la mesure afin de la porter à un an, contre six mois dans la rédaction initiale ;

- de prévoir que l'édiction d'une telle fermeture administrative entraîne l'abrogation subséquente des autorisations et des permis délivrés à l'établissement ;

- de supprimer les dispositions conférant au maire le monopole de l'initiative de la mesure. Celui-ci exposerait fortement les maires à des représailles, et ce, alors même qu'un signalement à l'autorité administrative peut s'effectuer par d'autres moyens ;

- de renforcer le régime répressif prévu en cas de non-respect de la mesure, pour le porter à six mois d'emprisonnement, au lieu de deux mois, et 7 500 euros d'amende. Cela permet notamment l'activation du dispositif de comparutions immédiates en application de l'article 395 du code de procédure pénale, ainsi que des peines complémentaires d'interdiction de gérer un commerce pendant cinq ans, et/ou de confiscation des revenus générés pendant la période d'ouverture postérieure à la notification de la mesure. En cas de récidive, l'auteur encourrait par ailleurs des peines renforcées de confiscation, portant notamment sur tous les biens ayant permis la commission de l'infraction.

2. Des ouvertures d'accès à des fichiers pertinentes pour les services des douanes

L'article 3 modifie deuxièmement les articles L. 330-2 et L. 330-3 du code de la route pour ouvrir aux agents des douanes et des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires l'accès aux données contenues dans le système d'immatriculation des véhicules (SIV), y compris s'agissant des gages constitués sur les véhicules à moteur. L'article L. 135 ZC du livre des procédures fiscales est modifié de la même manière pour leur ouvrir également l'accès aux données figurant dans le fichier informatisé des données juridiques immobilières (FIDJI).

Par ailleurs, l'article 23 autorise l'accès au SIV pour tous les agents des douanes pour l'exercice de leurs compétences. Pour mémoire, cela est déjà le cas pour les services du ministre de l'intérieur, du ministre de la défense, du ministre chargé de l'écologie, du ministre chargé de l'industrie et du ministre chargé des transports.

La commission a approuvé ces dispositifs, qui constituent une traduction directe des recommandations de la commission d'enquête sénatoriale précitée. Selon les termes utilisés dans son rapport, celle-ci considérait, d'une part, « que pourrait être étudiée l'ouverture aux officiers de police judiciaire dûment habilités à cet effet de l'accès au FIDJI » et, d'autre part, « l'élargissement des droits d'accès au SIV ». La direction générale des douanes et des droits indirects a ainsi confirmé que l'accès aux informations contenues dans ces fichiers était de nature à faciliter l'identification des avoirs immobiliers et des biens des narcotrafiquants par ses services.

Par l'adoption d'un amendement n° COM-11 d'Étienne Blanc, la commission a par ailleurs prévu trois ouvertures supplémentaires d'accès à des fichiers présentant un intérêt dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic.

L'amendement adopté ouvre premièrement aux greffiers des tribunaux de commerce ou des tribunaux judiciaire statuant en matière commerciale l'accès aux données contenues dans le fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba), aux fins de vérification de la véracité des déclarations d'ouverture de comptes relatives aux dépôts des capitaux propres des sociétés. Issue du dernier livre blanc de la profession31(*), cette mesure est incontestablement de nature à accélérer les vérifications préalables effectuées par les greffiers dans le cadre de la création d'une société. Consulté sur ce point, le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a approuvé sans réserve l'introduction d'une telle mesure.

L'amendement adopté donne deuxièmement à l'ensemble des assistants spécialisés des pôles économiques et financiers, des JIRS et du procureur de la République financier un accès direct aux fichiers Ficoba, Ficovie (pour fichier des contrats d'assurance vie), BNDP (base nationale des données patrimoniales) et PATRIM (recherche des transactions immobilières). Pour rappel, seuls les assistants détachés par la direction générale des finances publiques bénéficient en l'état d'une telle prérogative32(*). Cela est non seulement problématique, dans la mesure où le recours à la procédure de réquisition est bien plus contraignant, mais aussi pour partie incohérent. Il est en effet étonnant que les assistants spécialisés d'une même juridiction travaillant sur les mêmes dossiers, fussent-ils originellement issus d'administrations distinctes, disposent d'accès différenciés à des fichiers pourtant incontournables pour l'efficacité de la lutte contre la fraude.

L'amendement accorde enfin aux agents de Tracfin un accès plein et entier aux données figurant dans le SIV. En l'état, ceux-ci ne disposent en effet que d'un accès partiel, pour les seuls besoins de la prévention des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et des actes de terrorisme. La possibilité de consulter ces données pour les autres finalités facilitera manifestement l'identification de l'environnement patrimonial des communautés criminelles, notamment s'agissant de la criminalité organisée et du trafic de stupéfiants.

3. Un renforcement bienvenu des règles relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme

L'article 3 opère troisièmement un renforcement des règles relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) sur deux points.

D'une part, il modifie l'article L. 561-2 du code monétaire et financier pour soumettre les vendeurs de voitures de luxe aux règles LCB-FT. Les obligations de vigilance et de déclaration à Tracfin des opérations suspectes s'appliqueraient ainsi aux « personnes se livrant à titre habituel et principal à la vente ou à la location de véhicules, lorsque la transaction porte sur un véhicule dont la valeur est supérieure à 50 000 euros ». La commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic a en effet mis en évidence le développement de l'acquisition de véhicules de luxe à des fins de blanchiment.

D'autre part, il modifie l'article L. 561-35 pour prévoir un nouveau dispositif de certification professionnelle des personnes assujetties aux règles LCB-FT. En l'état, celui-ci se borne à préciser que les personnes assujetties doivent uniquement recevoir de Tracfin des informations sur les mécanismes de blanchiment des capitaux ou de financement du terrorisme. Il est proposé de les soumettre à une obligation de certification de connaissances minimales sur le sujet, dispensée sous l'égide de Tracfin et dont le contenu est renvoyé au pouvoir règlementaire.

Si la commission a pleinement approuvé le principe de ces dispositifs, elle a adopté un amendement n° COM-12 d'Étienne Blanc visant à garantir leur pleine opérationnalité. Ledit amendement prévoit tout d'abord une détermination par décret du seuil à compter la valeur d'un véhicule entraîne la soumission de son vendeur ou de son loueur aux obligations LCB-FT. Le seuil de 50 000 euros figurant à l'article 23 est en effet incompatible avec les dispositions du règlement (UE) 2024/1624 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relatif à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, qui doit entrer en vigueur en juillet 2027.

De manière à ne pas détourner les agents de Tracfin de leur coeur de métier, le même amendement n° COM-12 renvoie par ailleurs au pouvoir règlementaire le soin de préciser les modalités de mise en oeuvre les plus appropriées de cette nouvelle obligation, laquelle pourrait a priori relever des autorités de supervision des professionnels assujettis aux règles LBC-FT.

Enfin, cet amendement étend à trois entités le droit de communication dont dispose Tracfin en application de l'article L. 561-25 du code monétaire et financier : les conseillers en gestion d'affaires, les plateformes de domiciliation d'entreprises ainsi que les plateformes de facturation électronique. Au cours de leur audition, les services de Tracfin ont fait valoir que des individus liés au narcotrafic pouvaient avoir recours aux services de ces derniers pour le blanchiment des revenus issus de leur trafic.

4. La radiation d'office du registre du commerce et des sociétés : une mesure consensuelle

L'article 3 prévoit quatrièmement la radiation d'office du registre du commerce et des sociétés (RCS) des sociétés ne transmettant pas l'identité de leurs « bénéficiaires effectifs »33(*). En l'état, ces informations doivent être mentionnées au RCS et le non-respect de cette obligation, après demande de régularisation du greffier du tribunal, peut faire l'objet d'une injonction sous astreinte du président du tribunal de commerce. L'article L. 574-5 du CMF prévoit par ailleurs une peine de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende dans ce cas de figure. L'article 3 prévoit, en complément, une radiation d'office en cas d'absence de déclaration dans un délai de six mois.

Ce dispositif fait suite à une recommandation de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic, qui y voit un instrument plus dissuasif que les sanctions actuelles, largement sous-utilisées. Les travaux conduits par les rapporteurs ont démontré un large consensus vis-à-vis de cette mesure, portée notamment par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. Suivant l'avis des rapporteurs, la commission l'a adopté sans modification.

5. L'aménagement du régime douanier de saisie sur compte bancaire

L'article 23 complète enfin l'article 323 du code des douanes afin d'autoriser les officiers de douane judiciaire « dans les conditions prévues à l'article 706-154 du code de procédure pénale, saisir une somme d'argent versée sur un compte ouvert auprès d'un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôts, de paiement ou d'actifs numériques mentionnés à l'article L. 54-10-1 du code monétaire et financier ». La commission n'a pas émis d'observation sur ce dispositif permettant de garantir l'effectivité des peines de confiscation prévues par le code des douanes.

6. Le renforcement de l'information des maires sur les suites données aux affaires en lien avec le trafic de stupéfiants

La commission a par ailleurs adopté un amendement n° COM-29 du groupe écologiste visant à garantir l'information des maires sur les suites données aux affaires en lien avec le trafic de stupéfiants. En matière judiciaire, le dispositif prévoit que « le maire est systématiquement informé par le procureur de la République des classements sans suite, des mesures alternatives aux poursuites, des poursuites engagées, des jugements devenus définitifs ou des appels interjetés lorsque ces décisions concernent [ces] infractions ». Une information analogue est prévue en matière administrative s'agissant des mesures de fermeture administrative de commerce édictées par le représentant de l'État dans le département. L'amendement prévoit par ailleurs que les « les possibilités pour le maire de participer à la lutte contre le narcotrafic sur le territoire de sa commune en opérant des signalements à Tracfin » soient abordées au sein des groupes thématiques chargés des violences commises à l'encontre des élus constitués au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

La commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.

Article 4
Procédure d'injonction pour ressources inexpliquées et systématisation des enquêtes patrimoniales

L'article 4 propose de systématiser la conduite d'enquêtes patrimoniales dans le cadre des investigations relatives à des faits de trafic de stupéfiants. Considérant que le déficit d'enquêtes patrimoniales résultait essentiellement d'un manque de moyens et d'une acculturation insuffisante des services à ce type d'investigations, la commission n'a, à l'initiative des rapporteurs, pas retenu ce dispositif.

Afin d'obliger les personnes suspectées de trafic de stupéfiants à s'expliquer sur tout écart manifeste entre leurs revenus et leur train de vie, cet article crée ensuite une nouvelle procédure d'injonction pour ressources inexpliquées. Suivant la proposition des rapporteurs, la commission a limité ce dispositif aux seuls dossiers en lien avec le trafic de stupéfiants d'une part et la criminalité organisée d'autre part.

Elle a enfin adopté un amendement des rapporteurs introduisant un dispositif complémentaire d'extension du mécanisme de présomption de blanchiment.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

1. La systématisation des enquêtes patrimoniales : une mesure difficile à mettre en oeuvre en pratique

L'article 4 modifie en premier lieu l'article 17 du code de procédure pénale pour prévoir une systématisation des enquêtes patrimoniales dans le cadre des investigations relatives à des faits de trafic de stupéfiants. Sur ce point, la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic34(*) avait en effet observé que ces « doubles enquêtes » étaient plus ponctuelles que systématiques - avec un accent sur les dossiers de blanchiment les plus complexes -, et ce alors que le « plan stupéfiants » de 2019 prévoyait pourtant déjà de les généraliser. La commission d'enquête rappelait par ailleurs à juste titre que « l'enquête patrimoniale prend d'autant plus de sens dans la lutte contre le trafic de stupéfiants que ce dernier fait partie des infractions pour lesquelles la saisie et la confiscation de l'entier patrimoine du mis en cause sont possibles ».

Si la commission ne peut que s'associer à la volonté de développer le recours aux enquêtes patrimoniales, elle n'a néanmoins pas retenu l'obligation introduite par l'article. D'une part, le dispositif proposé est pour partie satisfait depuis l'intervention de la loi n° 2024-582 du 24 juin 2024 sur les saisies et confiscations en matière pénale, dite « Warsmann », qui a inscrit la conduite des enquêtes patrimoniales parmi les missions des officiers de police judiciaire. D'autre part, la conduite effective d'enquêtes patrimoniale repose avant tout sur l'allocation de moyens à la hauteur des enjeux. La systématisation de ces enquêtes n'aurait probablement que peu d'effets pratiques en l'absence de renforts humains et matériels dans les services compétents.

Du reste, ce constat avait déjà été effectué en ces termes par la commission d'enquête sénatoriale précitée : « La systématisation des enquêtes patrimoniales nécessite par définition un renfort des effectifs et de l'expertise financière dans les services d'enquête. Il ne suffit pas de dire que les officiers de police judiciaire peuvent réaliser des enquêtes patrimoniales aux fins d'identification des avoirs criminels1 pour qu'ils puissent effectivement le faire. Sans la mobilisation de moyens supplémentaires, le Gouvernement en resterait à un voeu pieux et la situation serait insoutenable pour les forces de l'ordre comme pour les magistrats ».

En conséquence, la commission a adopté un amendement n° COM-60 des rapporteurs supprimant ce dispositif.

2. Une nouvelle procédure d'injonction pour richesse inexpliquée utile mais qui doit être circonscrite

En second lieu, l'article 4 crée une nouvelle procédure d'injonction pour richesse inexpliquée. Le procureur de la République, les officiers de police judiciaire ainsi que les agents des douanes ou des services fiscaux habilités pourraient, sur le fondement d'un nouvel article 60-1-1 A du code de procédure pénale, requérir de toute personne qu'elle justifie de ressources correspondant à son train de vie ou de l'origine d'un bien détenu. L'absence de réponse serait punie de 10 000 euros d'amende. En l'absence de réponse ou en cas de réponse insuffisante, les biens pourraient être saisis et feraient l'objet d'une présomption de blanchiment.

Ce dispositif constitue la traduction directe d'une recommandation de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic précitée. Comme cela est rappelé dans son rapport, « s'intéresser au train de vie, c'est pouvoir approcher les flux non bancarisés et les avoirs non financiers : l'absence de corrélation entre la situation réelle et la situation déclarée de certaines personnes laisse présager de leur participation à une économie parallèle voire illégale, comme celle du narcotrafic ».

Il doit par ailleurs être distingué du délit de non-justification de ressources35(*) applicable aux personnes en lien avec des criminels ou avec leurs victimes - mais qui est encore trop peu utilisé - comme des mécanismes existants en matière fiscale qui présentent un très faible rendement.

La commission a approuvé le principe d'une telle mesure, qui s'inscrit résolument dans l'objectif de « frapper enfin les narcotrafiquants au portefeuille ». Suivant l'avis des rapporteurs, elle a néanmoins estimé que le champ d'application potentiellement infini de cette nouvelle injonction pour ressource inexpliquée emportait un important risque d'inconstitutionnalité. Par l'adoption du même amendement n° COM-60 des rapporteurs, elle a donc entendu limiter son champ aux seuls dossiers en lien avec le trafic de stupéfiants d'une part et la criminalité organisée d'autre part. Sans s'interdire de revenir sur le dispositif en séance afin d'en renforcer encore davantage la robustesse juridique, elle l'a adopté ainsi modifié.

3. Un dispositif additionnel : l'extension de la présomption de blanchiment

Enfin, la commission a adopté un amendement n° COM-59 des rapporteurs introduisant un dispositif additionnel d'extension de la présomption de blanchiment. Les travaux conduits par les rapporteurs ont en effet confirmé que l'élargissement de ce dispositif répondait à un important besoin opérationnel. En matière de lutte contre la criminalité organisée en général, il apparaît en effet indispensable de se doter d'un arsenal législatif à même de répondre aux évolutions permanentes des stratégies et outils utilisés par les criminels à des fins de blanchiment.

Juridiquement, l'amendement précité complète tout d'abord l'article 324-1-1 du code pénal afin de préciser que la présomption de blanchiment qu'il prévoit « est également applicable lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières des opérations d'exportation, d'importation, de transfert ou de compensation ainsi que de placement ou de conversion [d'actifs numériques] ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler le bénéficiaire effectif du fonds ou de ces actifs numériques ».

Il procède également aux coordinations nécessaires en matière douanière pour intégrer à la présomption de blanchiment douanier prévue à l'article 415 du code des douanes les opérations de placement ou de conversion portant sur des actifs numériques. Pour rappel, les crypto-actifs ont d'ores et déjà été intégrés au champ du délit de blanchiment douanier par l'article 30 de la loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces. Cette disposition avait été adoptée sans réserve par la commission des finances, alors compétente au fond, considérant le « recours croissant à ce mode de transaction dans le cadre d'opérations de blanchiment de capitaux ». L'amendement modifie en outre l'article 415-1 du même code pour appliquer la présomption de blanchiment douanier aux bénéficiaires effectifs des fonds ou actifs numériques.

La commission a adopté l'article 4 ainsi modifié.

Article 4 bis (nouveau)
Interdiction de l'usage de mixeurs de crypto-actifs

La commission a souhaité anticiper l'interdiction de l'usage de « mixeurs » de crypto-actifs prévue au niveau européen à compter du 10 juillet 2027. En ce qu'ils permettent de rendre intraçables l'origine des crypto-actifs circulant sur la « blockchain », ces outils sont en effet utilisés de manière croissante à des fins de blanchiment des revenus issus du narcotrafic. À l'initiative d'Étienne Blanc, elle a adopté un article additionnel interdisant de telles pratiques avec un effet immédiat.

Le développement du recours aux crypto-actifs pour le blanchiment des revenus issus du narcotrafic est une réalité largement documentée. Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'impact du narcotrafic en France rappelle ainsi que ces derniers « constituent un moyen prisé de procéder à des transactions illégales puisqu'il s'agit d'un moyen de paiement anonyme, sans intermédiaire et difficilement traçable »36(*). Dans la même perspective, la dernière analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en France37(*) mentionne également le fait que ces « actifs numériques sont susceptibles d'être détournés et utilisés comme un vecteur à des fins de blanchiment par certains groupes criminels organisés ; du fait de l'opacité de certaines structures, le simple fait de convertir une devise en actifs numériques puis de reconvertir les valeurs cryptographiques dans la monnaie ayant cours légal dans le pays choisi pour l'investissement final peut s'avérer particulièrement efficace pour dissimuler l'origine illégale des fonds ». Il affirme par ailleurs sans ambiguïté, que l'utilisation de ces actifs numériques anonymisés permet la commission d'infractions sous-jacentes, au premier rang desquelles l'achat ou la vente de produits stupéfiants.

Dans ce contexte, le recours à des « mixeurs » par les narcotrafiquants complexifie encore davantage le travail d'identification de ces actifs numériques par les forces de l'ordre. Concrètement, il s'agit d'outils visant à opacifier et à rendre intraçable l'origine de ces crypto-actifs circulant sur la « blockchain » par l'usage d'un procédé de regroupement, de mélange et de redistribution d'actifs d'origines diverses. À l'issue du processus, chaque participant reçoit le même montant de crypto-actifs que celui qu'il a déposé, mais pas ceux qu'il a déposés à l'origine. Compte tenu de ces caractéristiques, les « mixeurs » sont donc utilisés de manière croissante dans les circuits de blanchiment auxquels ont recours les narcotrafiquants.

Cette situation a notamment été exposée avec force aux rapporteurs par le service de renseignement financier Tracfin au cours de son audition : « [les mixeurs] sont souvent utilisés à des fins de blanchiment de réseaux criminels et notamment en matière de trafic de stupéfiants, en ce qu'ils permettent un anonymat complet de ses utilisateurs et une confidentialité totale des échanges ».

Cette pratique fera l'objet d'une interdiction au niveau européen à compter du 10 juillet 2027. L'article 79 du règlement (UE) 2024/1624 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relatif à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, qui entrera en vigueur à cette échéance, prévoit en effet qu'il « est interdit aux établissements de crédit, aux établissements financiers et aux prestataires de services sur crypto-actifs de tenir des comptes bancaires et de paiement anonymes, des livrets d'épargne anonymes, des coffres-forts anonymes ou des comptes anonymes de crypto-actifs, ainsi que tout autre type de compte permettant l'anonymisation du titulaire d'un compte client ou l'anonymisation ou une opacification accrue des transactions, y compris par des jetons à anonymat renforcé ».

Considérant que le recours aux « mixeurs » de crypto-actifs à des fins de blanchiment des revenus issus du narcotrafic était non seulement avéré mais croissant, la commission a considéré qu'il était opportun d'anticiper l'entrée en vigueur du règlement européen précité. En conséquence, elle a adopté un amendement n° COM-14 d'Étienne Blanc prévoyant une interdiction d'utilisation des « mixeurs » de crypto-actifs avec effet immédiat. Concrètement, le dispositif adopté insère un nouvel article L. 561-14-1 au code monétaire et financier prévoyant que les prestataires de services sur actifs numériques38(*) « ne sont pas autorisés à tenir tout type de compte ou à offrir tout type de service permettant l'anonymisation ou une opacification accrue des opérations ».

La commission a adopté l'article 4 bis ainsi rédigé.

Articles 5 et 5 bis (nouveau)
Dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment

L'article 5 crée un dispositif judiciaire de gel des avoirs des personnes impliquées dans des trafics de stupéfiants. La commission a pleinement approuvé le principe de ce mécanisme qu'elle a, à l'initiative des rapporteurs, étendu à l'ensemble du champ de la criminalité organisée.

Considérant que la mise d'un dispositif de gel administratif serait complémentaire avec ce dispositif judiciaire elle a également, à l'initiative des rapporteurs, adopté un article 5 bis le prévoyant.

1. Une absence de mesure d'urgence de gel des avoirs qui nuit à l'efficacité de la lutte contre le narcotrafic

1.1. L'inexistence préjudiciable de mesure de gel des avoirs en matière de narcotrafic

Le constat selon lequel l'absence de mesure d'urgence de gel des avoirs nuit fortement à l'efficacité de la lutte contre le narcotrafic, constituait l'une des principales conclusions du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic39(*). Selon les termes ledit rapport : « la France ne dispose pas de mécanisme de gel d'urgence des avoirs des narcotrafiquants, que ce soit au niveau administratif ou au niveau pénal ; un tel dispositif trouverait notamment son utilité en cas de fuite des trafiquants, qui se réfugient le plus souvent dans des pays avec lesquels la coopération est limitée et dans lesquels ils peuvent pleinement profiter du fruit de leur activité criminelle ».

De fait, les mécanismes administratifs aujourd'hui prévus aux articles L. 562-1 et suivants du code monétaire et financier ne peuvent principalement être mobilisés qu'à des fins de lutte contre le terrorisme et, depuis l'entrée en vigueur de la loi° 2024-850 du 25 juillet 2024, de prévention des actes d'ingérences étrangères en France. Si la création d'une mesure administrative analogue à l'encontre des narcotrafiquants avait été régulièrement annoncée pendant l'année 2024 par l'ancien ministre de l'économie Bruno Le Maire, cette annonce n'a pas été suivie d'effet. Du reste, la commission d'enquête, tout en partageant pleinement l'objectif de mise en place d'un gel des avoirs, avait émis des réserves quant à la nature administrative d'un tel dispositif.

Afin de « frapper enfin les narcotrafiquants au portefeuille », elle préconisait donc plutôt d'instaurer une procédure de gel judiciaire et de saisie conservatoire des avoirs de narcotrafiquants (recommandation n° 33).

1.2. L'article 5 : la création d'un dispositif judiciaire de gel des avoirs des narcotrafiquants

Dans ce contexte, l'article 5 privilégie la création d'un mécanisme judiciaire de gel des avoirs. Pour ce faire, il complète le titre XVI du livre IV du code de procédure pénale par un nouvel article 706-33-1.

Aux termes de celui-ci, le juge des libertés et de la détention serait autorisé, sur saisine du juge d'instruction ou du procureur chargé de l'enquête, à geler les fonds « qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés [directement ou indirectement] par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes relevant [du trafic de stupéfiant] » tel que prévu aux articles 222-34 à 222-40 du code pénal. Le dispositif serait également applicable aux associations de malfaiteurs constituées en vue de commettre ces infractions

En pratique, la mesure de gel, assimilable à une saisie spéciale, interviendrait dans un délai de 48 heures à compter de la saisine du juge des libertés et de la détention, avec un délai de recours non suspensif de dix jours devant la cour d'appel territorialement compétente. Ledit recours serait ouvert au détenteur du bien ou à toute autre personne prétendant avoir un droit sur celui-ci.

Enfin, le juge des libertés et de la détention pourrait autoriser le gel des fonds, lorsque l'intéressé justifie :

- de besoins matériels particuliers intéressant sa vie personnelle ou familiale pour une personne physique ou d'une activité compatible avec la sauvegarde de l'ordre public pour une personne morale ;

- de décisions de nature à assurer la conservation de son patrimoine.

1.3. La position de la commission : un dispositif potentiellement important pour la lutte contre le narcotrafic

La création d'une mesure judiciaire de gel des avoirs des narcotrafiquants a pour l'essentiel été accueillie favorablement par les personnes auditionnées par les rapporteurs. Rejoignant les conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic, la commission considère également qu'un tel dispositif présente un intérêt certain pour l'efficacité de la lutte contre le trafic de stupéfiants, sous réserve d'une articulation adéquate avec les procédures de saisies et confiscations judiciaires existantes.

Afin de faciliter la mise en oeuvre de ce dispositif, elle a premièrement adopté un amendement n° COM-61 des rapporteurs étendant son champ à l'ensemble des infractions relevant de la criminalité organisée, et non du seul trafic de stupéfiants. La mesure de gel pourrait par ailleurs également être mobilisée à l'encontre des personnes ne pouvant justifier l'origine de leurs ressources en application de l'article 321-6 du code pénal.

L'amendement adopté entend deuxièmement renforcer l'opérationnalité du dispositif par deux biais. D'une part, il cantonne la durée de la mesure à une période de six mois renouvelable. D'autre part, il étend aux officiers de police judiciaire commis par le magistrat en charge de l'enquête de procéder avec les administrations compétentes aux échanges nécessaires à l'exécution de la mesure de gel.

Afin d'en conforter l'effectivité juridique, l'amendement adopté apporte par ailleurs des corrections mineures au dispositif. Il précise notamment les rôles respectifs des différents magistrats impliqués dans l'édiction de la mesure : il s'agirait soit du juge des libertés et de la détention, sur saisine sur procureur de la République, soit du juge d'instruction, lequel peut traditionnellement décider d'office d'une mesure patrimoniale.

2. Des dispositifs de gel des avoirs judiciaires et administratifs complémentaires

La commission a ensuite repris à son compte les observations formulées au cours de son audition par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques selon laquelle des mécanismes judicaires et administratifs de gel des avoirs pourraient tout à fait coexister. Selon les termes employés, « gels des avoirs administratif et judiciaire peuvent tout à fait coexister, à l'instar de ce qui existe s'agissant du terrorisme ; concrètement, le gel des avoirs administratif, plus rapide à mettre en oeuvre, permet de geler une situation avant de la judiciariser ; il permet également de s'intéresser à des objectifs de moindre envergure, ou dont les comptes peuvent servir de compte de rebond pour des objectifs judiciarisés ». De fait, la voie administrative se distingue par sa rapidité et serait sans doute plus appropriée s'agissant de narcotrafiquants établis à l'étranger et dont la perspective de judiciarisation est faible.

En conséquence, la commission a adopté un amendement n° COM-62 des rapporteurs, créant un article 5 bis, afin d'instituer un mécanisme administratif spécifique de gel des avoirs des narcotrafiquants, adossé à celui prévu par l'article 5 de la proposition de loi en matière judiciaire. Si l'articulation des deux dispositifs supposera un travail de coordination important entre le ministère de l'intérieur, les ministères économiques et financiers et l'autorité judiciaire, leur coexistence présente potentiellement de nombreux avantages. Concrètement, l'article L. 562-2-2 qui serait introduit au sein du code monétaire et financier est rédigé sur le modèle existant en matière de lutte contre le terrorisme. Seraient gelés, pour une période de six mois renouvelable et dans la limite de deux ans, les fonds « qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés [directement ou indirectement] par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent un trafic de stupéfiants ou y participent, et qui présentent une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics en raison de leur rôle dans ce trafic et de son ampleur ». Sans s'interdire de revenir sur le sujet en séance afin de préciser davantage l'articulation entre les deux dispositifs, la commission a adopté l'article 5 bis ainsi rédigé.

La commission a adopté l'article 5 ainsi modifié et l'article 5 bis ainsi rédigé.

Article 6
Partage d'information entre les juridictions et les services de renseignement

L'article 6 étend le dispositif de transmissions d'informations par le procureur de la République de Paris et le juge d'instruction aux services de renseignement, d'une part, à l'ensemble des procureurs de la République et, d'autre part, à la totalité des infractions relevant de la criminalité organisée.

Afin de garantir la proportionnalité du dispositif, la commission a modifié le dispositif proposé par l'adoption d'un amendement présenté par les membres de la délégation parlementaire au renseignement visant à ajuster son champ matériel et organique. Elle a adopté l'article ainsi modifié.

1. L'état du droit : des dispositifs de partage d'information en place depuis 2021

Aux termes de l'article 11 du code de procédure pénale, « sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète ». Le secret de l'enquête et de l'instruction ainsi défini connaît néanmoins de nombreuses exceptions40(*) autorisant, lorsque les circonstances le justifient, le procureur de la République ou le juge d'instruction à communiquer des informations issues de procédures judiciaires.

En l'état, deux dispositions du code de procédure pénale prévoient, dans des domaines déterminés, des dérogations de cette nature au bénéfice des services de renseignement.

Ces dérogations concernent premièrement les procédures en cours en matière d'actes de terrorisme. L'article 706-25-2 du code de procédure pénale, introduit par la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, autorise ainsi le procureur de la République antiterroriste à communiquer aux services dits du « premier cercle »41(*), de sa propre initiative ou à leur demande, « des éléments de toute nature figurant dans ces procédures et nécessaires à l'exercice des missions de ces services en matière de prévention du terrorisme ».

Ce dispositif a par la suite été étendu par l'article 10 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée. Une telle communication peut également être réalisée, selon les mêmes modalités et pour les mêmes finalités, « à destination des autorités et services compétents pour la prévention du terrorisme42(*), [...] par tout procureur de la République pour des procédures ouvertes pour un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement, lorsque ces procédures font apparaître des éléments concernant une personne dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui, soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes ».

Ces dérogations concernent deuxièmement les procédures d'enquête ou d'instruction d'une très grande complexité en matière de cybercriminalité ou concernant certaines affaires relatives à la lutte contre la criminalité organisée. Ce dispositif, résultant de l'article 20 de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement (« PATR »), figure à l'article 706-105-1 du code de procédure pénale.

Concrètement, son I autorise le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris à communiquer aux services de l'État exerçant des missions de sécurité et de défense des systèmes d'informations, de sa propre initiative ou à leur demande, « des éléments de toute nature figurant dans [les procédures d'enquête ou d'instruction sur des affaires de cybercriminalité] et nécessaires à l'exercice de leur mission en matière de sécurité et de défense des systèmes d'information ». Cette possibilité est également ouverte au juge d'instruction parisien saisi, sur avis du procureur de la République.

Le II du même article 706-105-1 prévoit un dispositif approchant en matière de criminalité organisée. Il autorise le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris ou, dans les mêmes conditions, le juge d'instruction, à communiquer aux services de renseignement du premier cercle ainsi qu'à certains services du second cercle désignés par décret en Conseil d'État des informations nécessaires à l'exercice de leurs missions au titre de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisée. Ce mécanisme ne s'applique néanmoins qu'aux dossiers relevant de la compétence de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) et portant sur un nombre limité d'infractions mentionnées à l'article 706-73 du code de procédure pénale : le trafic de stupéfiants (3°), la traite des êtres humains (5°), les délits en matière d'armes et de produits explosifs (12°) et les crimes et délits d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'un étranger en France commis en bande organisée (13°). Le dispositif s'applique par ailleurs également au blanchiment de ces infractions.

Lors de l'examen de la loi PATR, la commission avait « admis l'intérêt de ces échanges d'informations », tout en rappelant « que la préservation du secret de l'instruction ne pouvait souffrir d'exceptions trop nombreuses et qu'il était donc nécessaire de les limiter ». En conclusion, elle estimait nécessaire que « le partage d'informations, même s'il a été demandé par les services de renseignement, reste une faculté pour le juge et ne devienne pas une obligation »43(*).

2. L'article 6 : une extension importante du champ organique et matériel du mécanisme de « feedback »

Dans ce contexte, l'article 6 étend substantiellement le dispositif de partage d'information figurant au II de l'article 706-105-1 du code de procédure pénale. Alors que seuls les dossiers relevant de la compétence de la Junalco et portant sur un nombre restreint d'infractions sont actuellement concernés, il prévoit d'étendre cette faculté, d'une part, à l'ensemble des procureurs de la République et, d'autre part, à la totalité des infractions relevant de la criminalité organisée mentionnées à l'article 706-73 du code de procédure pénale. Par ailleurs, l'article restreint les conditions de transmission aux services du second cercle44(*) et prévoit que le procureur informe les services des poursuites ou des mesures alternatives aux poursuites qui ont été décidées à la suite de la mise en oeuvre de la procédure.

Ces précautions font suite aux recommandations du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic45(*). Celui-ci soulignait en effet que le dispositif actuel présentait « bien trop de fragilités juridiques pour pouvoir être pleinement mobilisé », du fait principalement de sa limitation à la Junalco, de l'exclusion de certaines infractions qui justifieraient pourtant un tel partage d'information ou encore de l'inclusion des services du second cercle. Ce dernier point était perçu comme d'autant plus problématique que, contrairement au dispositif prévu en matière de terrorisme, l'article 706-105-1 du code de procédure pénale n'interdit pas la retransmission des informations communiquées à des autorités ou services situés en-dehors de la communauté du renseignement. En conséquence, la commission d'enquête sénatoriale, considérait que « le champ des destinataires pourrait être restreint afin de rendre le dispositif plus attractif et plus rassurant pour les services concernés ».

3. La position de la commission : ajuster le périmètre du dispositif pour en garantir la proportionnalité et l'opérationnalité

En cohérence avec la position défendue lors de l'examen de la loi PATR en 2021, la commission a considéré que, pour légitime qu'elle soit, l'extension du dispositif de partage d'information en matière de criminalité organisée proposée par l'article 6 devait être davantage circonscrite.

Suivant l'avis des rapporteurs, elle a adopté un amendement n° COM-19 présenté par les membres de la délégation parlementaire au renseignement limitant, en premier lieu, son champ organique aux seules procédures relevant des compétences des procureurs du nouveau parquet national de lutte contre la criminalité organisée (Pnaco) et des juridictions interrégionales spécialisées (Jirs). Cette option est en effet plus proportionnée, eu égard à la sensibilité des informations concernées. En première ligne dans la lutte contre le narcotrafic, les magistrats concernés sont de surcroît davantage accoutumés au traitement d'informations issues du renseignement.

L'amendement adopté par la commission limite en second lieu le champ matériel du dispositif aux seules infractions relevant de la criminalité organisée pertinente. Pour rappel, le Conseil d'État avait en effet estimé dans son avis sur la loi PATR que « le champ des informations transmises devait être limité à certaines finalités et certains services pour limiter l'atteinte portée au secret de l'enquête, à la protection de la vie privée et à la présomption d'innocence »46(*). Seraient dès lors ajoutées uniquement les infractions mentionnées aux 1° (meurtre en bande organisée), 2° (torture ou acte de barbarie commis en bande organisée), 4° (enlèvement et séquestration commis en bande organisée), 7° (vol commis en bande organisée), 8° (crime aggravé d'extorsion), 9° (destruction, dégradation et détérioration d'un bien commis en bande organisée) et 21° (délits douaniers mentionnés à l'article 414 du code des douanes commis en bande organisée) de l'article 706-73 du code de procédure pénale. Les associations de malfaiteurs en rapport avec l'objet des infractions visées sont par ailleurs également intégrées au périmètre.

La commission a par ailleurs relevé que cet ajustement du périmètre du dispositif rencontrait un large consensus parmi les acteurs auditionnés, tant au sein de l'autorité judiciaire que parmi les forces de sécurité intérieure.

La commission a adopté l'article 6 ainsi modifié.

Article 7
Dispositions relatives aux cellules de renseignement opérationnel
sur les stupéfiants

L'article 7, d'une part, consacre les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants au niveau de la loi et, d'autre part, prévoit une participation systématique des parquets à ces instances fondamentales dans la lutte contre le narcotrafic. La commission a adopté un amendement du groupe écologiste complétant la composition de ces cellules.

1. Les Cross : un dispositif de partage de renseignement au bilan contrasté

La création des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) est, à l'origine, une initiative prise en 2015 à Marseille pour favoriser le partage de renseignements entre les multiples acteurs impliqués dans la lutte contre le narcotrafic. Des Cross ont par la suite été implantées dans chaque département, en application notamment du plan national de lutte contre les stupéfiants présenté le 17 septembre 201947(*).

Concrètement, les cinq missions principales des Cross telles que retranscrites dans le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic48(*) sont actuellement les suivantes :

- « centraliser et analyser l'information sur les trafics dans leur ressort ;

- « transmettre le renseignement à l'antenne de l'Ofast compétente ;

- « proposer aux instances de coordination de procéder aux « déconflictions nécessaires entre services et/ou unités le plus en amont possible de la saisine judiciaire »49(*) ;

- « transmettre les informations consolidées au procureur de la République compétent ;

- « proposer aux autorités locales (préfets et procureurs) une stratégie locale de lutte contre les trafics.50(*) »

On dénombre actuellement 104 Cross, permanentes ou non, sur le territoire national. Elles sont composées, dans des proportions variables, d'agents de la police nationale, des douanes et de la gendarmerie nationale. Dans le détail, la Cour des comptes a précisé, dans un relevé d'observations définitives publié en 202451(*), la répartition entre les 238 personnels affectés dans ces structures : « 153 policiers, 72 gendarmes et seulement 12 douaniers ». Le parquet est par ailleurs associé aux travaux de certaines Cross.

Des Cross thématiques ont enfin été ponctuellement instituées sur des territoires présentant de forts enjeux en matière de narcotrafic en raison de la présence d'importantes infrastructures portuaires ou aéroportuaires de premier rang.

Le bilan de ce dispositif de partage de renseignement est contrasté. En termes quantitatifs, le nombre d'informations transitant par les Cross est certes en croissance, comme en attestent les éléments présentés par le directeur général de police nationale Louis Laugier lors de son audition devant la commission des lois le 20 novembre 2024 : « preuve de l'efficacité et de la popularité du dispositif, les informations transmises entre janvier et septembre 2024 sont en progression de 23 % par rapport à la même période en 2023. Cette hausse est liée au bon travail des Cross, mais également au fait que les plateformes de signalement sont de plus en plus utilisées. En 2023, plus de 13 300 informations ont été reçues, soit une augmentation de 18 % par rapport à 2022 ». 

En termes qualitatifs, l'ensemble des évaluations disponibles soulignent l'existence d'importantes marges de progrès afin, notamment, d'harmoniser les pratiques entre les différents territoires. La commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic précitée relevait ainsi une « animation inégale »52(*) entre les différentes structures, des problèmes de coordination sur le terrain ainsi qu'une association parfois insuffisante des magistrats. Ce dernier point était présenté comme particulièrement problématique, notamment en ce qu'il privait le procureur de la République « de l'accès à des informations importantes comme la cartographie des points de deal ».

Compte tenu de ces éléments, la commission d'enquête estimait nécessaire de redynamiser le dispositif des Cross, en particulier par la mise en oeuvre d'actions de sensibilisation auprès de l'ensemble des forces de sécurité intérieure pour favoriser la remontée d'informations, la définition ponctuelle de « Cross cheffes de file » dans les territoires pertinents et, surtout, une intégration systématique du parquet aux réunions de ces structures.

Les conclusions formulées par la Cour des comptes dans son relevé d'observations définitives précité sont pour l'essentiel similaires. Celle-ci considère que « la coordination globale [du dispositif] est à renforcer ». Son rapport déplore ainsi des « pratiques de coordination disparates », une « réelle étanchéité [...] entre la circulation des informations sur le terrain et celles remontant à l'OFAST central » ou encore l'absence d'un « état exhaustif du portefeuille d'enquêtes de ses antennes » au niveau de l'Ofast.

Les travaux conduits par les rapporteurs ont confirmé l'actualité de ce constat. Les informations communiquées par la direction générale des douanes et des droits indirects au cours de son audition illustrent notamment la grande hétérogénéité des résultats obtenus selon les territoires. Selon celle-ci, trois catégories de Cross peuvent être distinguées : un tiers d'entre elles « a une activité soutenue dont les résultats sont positifs », tandis qu'un autre tiers a « une activité modérée, ne présentant pas un intérêt majeur pour la douane » et qu'un dernier tiers « ne fonctionne pas véritablement, faute de personnel, d'impulsion donnée localement ou de bassin criminogène peu propice à l'échange de renseignement ».

2. L'article 7 : une consécration des Cross au niveau législatif et une participation systématique des parquets à leurs travaux

Dans ce contexte, l'article 7 d'une part, consacre les Cross au niveau de la loi et, d'autre part, prévoit une participation systématique du parquet à ces instances indispensables pour faciliter le partage d'informations.

Juridiquement, il prévoit la création d'un nouveau titre V ter au livre VIII du code de la sécurité intérieure qui fixerait les quatre missions principales des Cross ainsi que leur composition.

Lesdites missions, qui ne comportent pas d'innovation particulière par rapport à la feuille de route actuelle des Cross, seraient les suivantes : centraliser et analyser les informations relatives aux trafics de stupéfiants dans le département et assurer leur transmission au préfet et au procureur de la République ; faciliter la coordination des acteurs compétents en matière de prévention et de répression de ces trafics ainsi que des infractions connexes ; proposer au préfet ainsi qu'au procureur de la République une stratégie de lutte contre les trafics de stupéfiants dans le département ; concourir à la politique nationale de lutte contre les trafics de stupéfiants en transmettant les informations qu'elle recueille à l'Ofast.

S'agissant de la composition des Cross, l'article 7 distingue deux catégories de participants :

les participants permanents : il s'agirait du préfet, des directeurs départementaux de la police nationale et de la gendarmerie nationale ou de leurs représentants ainsi que du procureur de la République ou de son représentant ;

les participants ponctuels à des groupes de travail et d'échange d'informations à vocation territoriale ou thématique créés au sein des Cross en fonction des besoins : il s'agirait des représentants du préfet, des maires des communes du département ainsi que des « représentants d'associations, d'établissements ou d'organismes oeuvrant notamment dans les domaines de la prévention, de la sécurité, de l'aide aux victimes, du logement, des transports collectifs, de l'action sociale ou des activités économiques désignés par le président du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, après accord des responsables des associations, des établissements ou des organismes dont ils relèvent ».

En outre, l'article 7 réprime la communication à des tiers des informations confidentielles partagées dans les groupes de travail et d'échange précités par une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amendes. Les modalités pratiques de fonctionnement des Cross sont enfin renvoyées au pouvoir règlementaire.

3. La position de la commission : les Cross, un dispositif qui doit faire l'objet d'une nouvelle impulsion

La commission a pris acte des arguments développés par plusieurs acteurs auditionnés selon lesquels, d'une part, l'inscription des Cross dans la loi posait un problème de souplesse et d'adaptabilité du dispositif et, d'autre part, cette inscription pouvait utilement intervenir au niveau règlementaire. Pour garantir une réponse efficace aux évolutions permanentes des méthodes utilisées par les narcotrafiquants, ces structures doivent de fait elles-mêmes pouvoir adapter rapidement leurs pratiques et leur organisation.

Suivant l'avis de Muriel Jourda et Jérôme Durain, la commission n'a toutefois pas remis en cause la consécration des Cross au niveau législatif à ce stade. Celle-ci pourrait en effet permettre de renforcer l'assise de ces instances encore en phase de développement, d'homogénéiser les pratiques entre les territoires et, surtout, d'associer systématiquement le parquet. De fait, les travaux conduits par les rapporteurs ont confirmé que cette association pourtant indispensable était encore loin d'être systématique. La conférence nationale des procureurs de la République a ainsi fait valoir au cours de son audition que les Cross devaient « être pleinement ouvertes aux parquets, ce qui [était] loin d'être le cas » et « nécessairement comporter en leur sein l'ensemble des services concourant à la lutte contre les trafiquants : policiers, gendarmes et douaniers ». Sans s'interdire de revenir sur le sujet en séance, la commission a donc adopté l'article 7 sans modification.

La commission a par ailleurs adopté un amendement n° COM-28 du groupe écologiste intégrant des magistrats de la juridiction interrégionale spécialisée à la composition de la Cross.

La commission a adopté l'article 7 sans modification.

Article 8
Expérimentation du recours au renseignement algorithmique en matière de criminalité organisée

L'article 8 vise à expérimenter, pour une durée de deux ans, le recours à la technique du renseignement algorithmique pour la détection des menaces liées à la délinquance et à la criminalité organisées.

La commission a approuvé le principe de cette expérimentation et adopté cet article. Afin d'en garantir l'opérationnalité, elle a toutefois adopté un amendement présenté par les membres de la délégation parlementaire au renseignement visant notamment à aligner les durées des autorisations délivrées par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et d'exploitation des informations obtenues sur celles prévues pour les autres cas d'usage de cette technique.

1. L'état du droit : une autorisation du recours au renseignement algorithmique limitée à certaines finalités déterminées

1.1 À l'origine, un recours au renseignement algorithmique limité à la prévention du terrorisme

L'autorisation de recourir à la technique du « renseignement algorithmique » a initialement été accordée aux services de renseignement par l'article 25 de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, à titre expérimental jusqu'au 31 décembre 2018. Après un report de deux ans de cette échéance par l'article 17 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ce dispositif a finalement été pérennisé par l'article 14 de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement.

Comme le relevait la commission lors de l'examen de cette dernière loi, « l'objet de ces algorithmes est de parvenir, par l'examen de données « de masse » prélevées sur l'ensemble de la population mais anonymisées, à détecter les menaces qui ne peuvent l'être par les moyens classiques du renseignement, singulièrement le risque de passage à l'action violente d'une personne jusqu'alors inconnue des services. [...] L'algorithme permettrait un renforcement des capacités de détection et donc d'entrave, en suppléant les moyens humains par la capacité de traitement des données permise par l'intelligence artificielle »53(*).

Concrètement, l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure dans sa rédaction issue de cette dernière loi disposait que, pour les seules finalités relatives à la prévention du terrorisme, les services de renseignement dits du « premier cercle » pouvaient être autorisés à mettre en place, « sur les données transitant par les réseaux des opérateurs et des personnes mentionnées à l'article L. 851-1, des traitements automatisés destinés, en fonction de paramètres précisés dans l'autorisation, à détecter des connexions susceptibles de révéler des menaces terroristes ».

Ce dispositif fait l'objet d'un encadrement renforcé. Son utilisation ne peut être autorisée que pour une durée de deux mois, après avis de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Aux termes de l'article L. 851-3, celle-ci dispose par ailleurs d'un accès « permanent, complet et direct à ces traitements ainsi qu'aux informations et données recueillies ; elle est informée de toute modification apportée aux traitements et paramètres et peut émettre des recommandations ». Cette autorisation est renouvelable pour une durée de quatre mois, la demande devant le cas échéant comprendre un relevé du nombre d'identifiants signalés par le traitement automatisé et une analyse de la pertinence de ces signalements.

L'exploitation des données obtenues par l'algorithme suppose, en outre, une levée de leur anonymat. Celle-ci est soumise à une autorisation du Premier ministre ou de l'une des personnes déléguées par lui, après avis de la CNCTR. Lesdites données ne peuvent alors être exploitées que pendant une période de 60 jours, étant entendu que les autres données ne présentant pas d'intérêt eu égard à la finalité poursuivie doivent être détruites immédiatement.

Si la commission avait relevé lors de l'examen de la loi PATR que l'efficacité opérationnelle du dispositif n'était pas définitivement avérée, comme en attestait la réserve exprimée par la délégation parlementaire au renseignement (DPR) dans son rapport pour l'année 2019-2020, elle avait néanmoins estimé que « la nécessité théorique de celui-ci ne faisait aucun doute [et que] les premiers résultats étaient encourageants ». En conséquence, elle avait admis sa pérennisation.

1.2 L'extension du dispositif à la lutte contre les ingérences étrangères

Le recours à la technique du renseignement algorithmique a par la suite été autorisé dans le cadre de la lutte contre les ingérences ou tentatives d'ingérence étrangères par l'article 6 de la loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France. Concrètement, l'extension du dispositif aux finalités mentionnées aux 1° et 2° de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure permet de paramétrer les algorithmiques pour détecter des connexions susceptibles de révéler, outre des menaces terroristes, des ingérences étrangères ou des menaces pour la défense nationale. Les garanties présentées précédemment sont applicables dans les mêmes conditions à ce nouveau cas d'usage.

Cette extension du dispositif à la lutte contre les ingérences étrangères n'a toutefois été autorisée par le Parlement qu'à titre provisoire, jusqu'au 1er juillet 2028. Deux rapports doivent être remis au Parlement pour l'évaluation du dispositif ; le premier au plus tard le 1er juillet 2026 et le second au plus tard le 1er mars 2028. Des versions comprenant des exemples de mise en oeuvre des algorithmes seront par ailleurs transmises à la délégation parlementaire au renseignement.

Pour rappel, cette expérimentation avait été appelée de ses voeux par la DPR dans la recommandation n° 14 de son rapport d'activité pour l'année 2022-2023. Celle-ci estimait ainsi « qu'en matière de contre-espionnage et de contre-ingérence, la technique de l'algorithme [pouvait être] de nature à renforcer les capacités de détection précoce de toute forme d'ingérence ou de tentative d'ingérence étrangère des services de renseignement. Il est en effet possible de modéliser les méthodes opératoires propres à certains services de renseignement étrangers agissant sur le territoire national, en termes de déplacements comme d'habitudes de communication, de manière à détecter sur les réseaux des opérateurs téléphoniques des comportements susceptibles de révéler une menace pour les intérêts fondamentaux de la Nation »54(*).

Lors de l'examen de la loi du 25 juillet 2024 précitée, la commission avait quant à elle « admis l'argument présenté par les services selon lequel l'identification de schémas de comportements par l'algorithme serait plus aisée en matière d'ingérence qu'en matière de terrorisme, où le nombre d'auteurs isolés a considérablement augmenté ces dernières années »55(*). En conséquence, elle avait adopté le dispositif au bénéfice de corrections mineures.

Le dernier rapport d'activité de la CNCTR précise enfin que cinq algorithmes ont été autorisés depuis l'ouverture de cette technique au service de renseignement en 2015. Il mentionne également le fait que « la faculté ouverte par la loi [PATR] d'étendre la technique de l'algorithme aux adresses complètes de ressources utilisées sur internet (URL) n'a toutefois pas encore été mise en oeuvre »56(*).

2. L'article 8 : expérimenter l'usage du renseignement algorithmique en matière de criminalité organisée

Dans ce contexte, l'article 8 prévoit d'expérimenter, pour une durée de deux ans, la technique du renseignement algorithmique dans le cadre de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées, soit la finalité prévue au 6° de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure. Dans ce cadre, les algorithmes seraient paramétrés pour détecter « des connexions susceptibles de révéler des actes de délinquance ou de criminalité organisée ».

L'encadrement de ce dispositif non codifié ne se distingue de celui applicable aux autres finalités que sur trois points :

- la durée initiale d'autorisation est fixée à six mois contre quatre mois dans les autres régimes ;

- il est prévu, avant l'expiration de ce délai, que « dès lors qu'elles sont de nature à caractériser la commission d'une infraction mentionnée à l'article 706-73 du code de procédure pénale, les données sont transmises au procureur général territorialement compétent ou, si les caractéristiques de l'infraction entrent dans le champ d'application de l'article 706-26-1 du même code, au procureur national anti-stupéfiants. Dans un tel cas, les données recueillies ne peuvent fonder, par elles-mêmes, aucune décision individuelle ni aucun acte de poursuite » ;

- la durée maximale d'exploitation des données est fixée à trente jours contre soixante jours dans les autres régimes.

Il est par ailleurs prévu que l'expérimentation fasse l'objet de deux rapports transmis au Parlement respectivement un an après son lancement et trois mois avant son terme. Le dispositif prévoit que lesdits rapports « évaluent la pertinence des paramètres de conception utilisés dans le cadre des traitements prévus ; ils analysent leur efficacité pour détecter des menaces ou des infractions liées à la délinquance et à la criminalité organisées ; ils donnent le sens des avis rendus par la CNCTR et font état du volume de données traitées et du nombre d'identifiants signalés par les traitements automatisés ainsi que du nombre de transmissions à l'autorité judiciaire dans les conditions prévues par le deuxième alinéa du IV et du détail des infractions pénales ayant justifié ces transmissions ».

3. La position de la commission : harmoniser autant que possible les différents régimes d'autorisation du renseignement algorithmique

Suivant l'avis des rapporteurs, la commission n'a pas remis en cause l'expérimentation de la technique du renseignement algorithmique pour la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées. Si elle admet que la coexistence de plusieurs régimes, dont le dernier ne serait pas codifié, est de nature à générer de la complexité, elle considère néanmoins qu'une telle technique, eu égard à son caractère très attentatoire aux libertés, ne saurait être mise en oeuvre que dans un cadre expérimental et pour une durée extrêmement limitée.

Par cohérence, elle a adopté un amendement n° COM-26, présenté par les membres de la délégation parlementaire au renseignement, alignant la durée des autorisations délivrées par la CNCTR pour l'usage du renseignement algorithmique à des fins de lutte contre la criminalité organisée sur celles existantes aujourd'hui pour les autres finalités : deux mois pour la première autorisation et quatre mois pour son renouvellement.

Dans la même perspective, l'amendement adopté étend à soixante jours le délai pendant lequel les informations obtenues peuvent être exploitées. La coexistence de délais différents selon les finalités poursuivies nuirait en effet à la lisibilité d'ensemble et complexifierait le maniement de ces outils par les services.

L'amendement adopté ajuste par ailleurs le périmètre des rapports rendus au Parlement pour l'évaluation de l'expérimentation. Il prévoit la transmission à la seule délégation parlementaire au renseignement des informations potentiellement classifiées (le volume de données traitées, le nombre d'identifiants signalés par les traitements automatisés ainsi que le nombre de transmissions à l'autorité judiciaire et le détail des infractions pénales ayant justifié ces transmissions). Il procède enfin à une coordination visant à tirer les conséquences de la création du parquet national anti criminalité organisée.

La commission a adopté l'article 8 ainsi modifié.

Article 9
Extension de la définition de l'infraction de participation à une association de malfaiteurs et renforcement de sa répression

Traduisant la recommandation n° 22 de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France, le présent article vise, d'une part, à élargir la définition de l'infraction de participation à une association de malfaiteurs et, d'autre part, à renforcer sa répression en prévoyant que, lorsque les infractions préparées par l'association de malfaiteurs sont des crimes, la participation à celle-ci est punie d'une peine criminelle.

En premier lieu, en adoptant l'amendement n° COM-63 des rapporteurs, la commission a entendu aller au bout de la logique de cette recommandation en substituant à l'élargissement proposé de la définition de cette infraction la création d'une infraction nouvelle, inspirée de la législation italienne « antimafia », qui serait constituée par la seule appartenance à une organisation criminelle.

La commission a également adopté l'amendement n° COM-64 des rapporteurs tendant, dans un souci de proportionnalité, à circonscrire la « criminalisation » proposée de la participation à une association de malfaiteurs aux cas où cette association prépare des crimes pour lesquelles la loi prévoit une peine de réclusion à perpétuité ou une circonstance aggravante en cas de commission en bande organisée. Elle a enfin adopté l'amendement n° COM-65 des rapporteurs procédant à diverses coordinations.

Elle a adopté l'article 9 ainsi modifié.

1. Le droit en vigueur : l'infraction d'association de malfaiteurs constitue un délit, quelle que soit la nature de l'infraction préparée

La participation à une association de malfaiteurs est réprimée par l'article 450-1 du code pénal.

Aux termes de cet article, constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement.

La participation à une association de malfaiteurs constitue ainsi une infraction dite « obstacle », en ce qu'elle vise à appréhender les comportements délictueux ou criminels en amont de la survenance de l'infraction qui est envisagée par les délinquants. En ce sens, elle permet de protéger la société avant la survenance d'actes dommageables. Lorsque l'infraction préparée est survenue, seule cette dernière peut être poursuivie.

La répression de cette infraction varie en fonction de la gravité des infractions préparées :

- lorsque les infractions préparées sont des crimes ou des délits punis de dix ans d'emprisonnement, la participation à une association de malfaiteurs est punie de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende ;

- lorsque les infractions préparées sont des délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, la participation à une association de malfaiteurs est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Aussi l'infraction de participation à une association de malfaiteurs est-elle un délit en tout état de cause, même si l'infraction préparée est un crime.

Le régime de répression de l'infraction prévoit également :

- s'agissant des personnes physiques, des peines complémentaires d'interdiction de droits civiques, d'interdiction professionnelle et d'interdiction de séjour (article 450-3 du code pénal) ainsi qu'une peine complémentaire obligatoire d'inéligibilité (article 131-26-2 du même code) ;

- s'agissant des personnes morales, les peines prévues par l'article 131-39 du même code (dissolution, placement sous surveillance judiciaire, fermeture définitive, exclusion des marchés publics, etc.) (article 450-4 du même code) ;

- une peine complémentaire de confiscation de tout ou partie des biens appartenant à la personne physique ou morale reconnue coupable (article 450-5 du même code).

Toutefois, la loi prévoit que toute personne ayant participé à l'association de malfaiteurs est exempte de peine si elle a, avant toute poursuite, révélé le groupement ou l'entente aux autorités compétentes et permis l'identification des autres participants (article 450-2 du même code).

Au plan procédural, la poursuite de l'infraction de participation à une association de malfaiteurs comporte certaines spécificités. En particulier, cette infraction relève du régime de la criminalité organisée lorsqu'elle a pour objet la préparation d'un crime ou d'un délit relevant également de ce régime (articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale), tels que ceux relatifs au trafic de stupéfiants57(*), ou lorsque la loi le prévoit (article 706-74 du même code). Pour mémoire, ce régime dérogatoire au droit commun permet de mettre en oeuvre, dans le cadre de l'enquête ou de l'instruction et dans les conditions précisément fixées par la loi, un certain nombre de techniques spéciales d'enquête58(*). S'agissant des infractions les plus graves, ce régime permet également de prolonger la durée de la garde à vue pour la porter à 96 heures59(*).

Enfin, il convient de distinguer l'association de malfaiteurs de la notion de bande organisée. Si la loi définit cette notion en termes identiques60(*), la bande organisée se distingue de l'association de malfaiteurs, qui constitue une infraction en tant que telle, en ce qu'elle est uniquement utilisée pour caractériser une circonstance aggravante, lorsque la loi le prévoit. La jurisprudence a en outre considéré qu'à la différence de l'association de malfaiteurs, la qualification de bande organisée suppose l'existence d'une « organisation structurée entre ses membres », posant ainsi un « critère supplémentaire de structure existant depuis un certain temps »61(*).

2. Le dispositif proposé : une extension de la définition de la participation à l'association de malfaiteurs et un renforcement de sa répression

2.1 Un élargissement de la définition de l'infraction de participation à une association de malfaiteurs

En premier lieu, le a) du 2° du I du présent article tend à modifier l'article 405-1 du code pénal de façon à élargir la définition de la participation à une association de malfaiteurs.

Ainsi, selon ses termes, les personnes ayant commis ou tenté de commettre une infraction connexe à une infraction préparée ou commise par ce groupement ou cette entente seraient considérées comme ayant participé à l'association de malfaiteurs.

Peut être rappelée à cet égard la définition des infractions connexes donnée par le code de procédure pénale, aux termes duquel  «  les infractions sont connexes soit lorsqu'elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu'elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité, soit lorsque des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit ont été, en tout ou partie, recelées »62(*).

2.2 La création d'un crime de participation à une association de malfaiteurs

En second lieu, les b) et c) du 2° du même I tendent à modifier le même article 450-1 du code pénal de façon à prévoir que, lorsque les infractions préparées sont des crimes, la participation à une association de malfaiteurs est punie d'une peine criminelle, fixée à 15 ans de réclusion et de 225 000 euros d'amende.

Enfin, le 1° du même I et le II du présent article procèdent à diverses coordinations au sein du code pénal et du code de procédure pénale.

3. La position de la commission : mieux encadrer le dispositif de répression de l'association de malfaiteurs et aller au bout de la logique de la commission d'enquête en réprimant l'appartenance à une organisation criminelle

3.1 Aller au bout de la logique de la commission d'enquête : créer une infraction nouvelle d'appartenance à une organisation criminelle

La commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a relevé, dans son rapport63(*), que l'infraction de participation à une association de malfaiteurs, en l'état du droit français, « apparaissait comme insuffisante pour appréhender pleinement les agissements des narcotrafiquants, en particulier de ceux agissants en haut du spectre compte tenu de leur capacité à s'impliquer dans le trafic de stupéfiants tout en restant le plus éloigné possible pour éviter une mise en cause judiciaire ».

Lors de son audition devant la même commission, Baudoin Thouvenot, inspecteur général de justice et membre national pour la France à l'Unité de coopération judiciaire de l'Union européenne (Eurojust), suggère ainsi que la définition de l'infraction puisse « être davantage alignée sur le modèle italien, au terme duquel l'appartenance à la mafia est un élément central et constitue une infraction en soi ». La commission d'enquête a fait sienne cette recommandation en proposant d'envisager une telle extension de l'infraction d'association de malfaiteurs sur le modèle de la loi italienne « antimafia » (recommandation n° 22).

L'élargissement de la définition de l'infraction de participation à une association de malfaiteurs proposée par la présente proposition de loi ne permet toutefois pas pleinement d'atteindre cet objectif. Il résulte des travaux conduits par les rapporteurs que la portée opérationnelle du dispositif proposé s'avérerait limitée.

Selon la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, en effet, « les infractions connexes au crime ou délit commis en application d'une association de malfaiteurs semblent faire partie, par essence, de l'association de malfaiteurs ».

Au plan technique, l'utilisation de la notion de connexité, qui est en l'état du droit une notion procédurale64(*), pour la définition de l'infraction peut également constituer une source de difficultés.

Afin de donner sa pleine portée à la recommandation de la commission d'enquête, la commission a adopté l'amendement n° COM-63 des rapporteurs, visant à créer une nouvelle infraction autonome d'appartenance à une organisation criminelle, indépendamment de la préparation de toute infraction.

Une organisation criminelle serait définie comme une association de malfaiteurs prenant la forme d'une organisation structurée préparant la commission d'un ou plusieurs crimes. Cette structure devrait exister depuis un certain temps, reprenant ainsi le critère utilisé par la jurisprudence pour caractériser la bande organisée.

L'appartenance à cette organisation serait quant à elle attestée par un ou plusieurs faits matériels démontrant que, directement ou indirectement, la personne tient un rôle dans l'organisation de cette structure, fournit des prestations de toute nature au profit de ses membres, ou verse ou perçoit une rémunération à un ou plusieurs de ses membres.

Pour respecter l'échelle des peines, l'infraction serait punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, soit un quantum plus faible que celui prévu pour le délit d'association de malfaiteurs, qui implique la préparation effective d'une infraction.

Ce dispositif se substituerait au dispositif proposé, de telle sorte que la définition de l'association de malfaiteurs resterait inchangée.

3.2 Mieux encadrer, dans un souci de proportionnalité, la « criminalisation » de l'association de malfaiteurs

La « criminalisation » de la participation à une association de malfaiteurs ayant pour objet la préparation d'un ou plusieurs crimes est également une recommandation de la commission d'enquête. Celle-ci soulignait en effet dans son rapport que : « le délit d'association de malfaiteurs en vue de commettre un crime est actuellement puni de seulement dix ans d'emprisonnement, alors même que l'économie générale de cette infraction est d'exposer le participant d'une association de malfaiteurs à la même peine que l'infraction préparée ».

Les rapporteurs souscrivent pleinement à cette mesure, largement consensuelle parmi les acteurs auditionnés.

Cependant, dans le souci d'assurer la proportionnalité du dispositif et en cohérence avec l'objectif de la proposition de loi, la commission a adopté l'amendement n° COM-64 des rapporteurs visant à circonscrire celui-ci à la préparation de crimes pour lesquels la loi prévoit une circonstance aggravante de commission en bande organisée. Afin de préserver la cohérence de l'échelle des peines, cette mesure concernait également les crimes punis de la réclusion à perpétuité.

Enfin, la commission a adopté l'amendement n° COM-65 des rapporteurs procédant à diverses coordinations manquantes dans le dispositif proposé.

La commission a adopté l'article 9 ainsi modifié.

Article 10
Délit de publication d'offres de recrutement liées au trafic de stupéfiants sur des plateformes en ligne accessibles aux mineurs

Pour lutter contre le phénomène d'« ubérisation » du trafic, qui a pour effet d'amener de plus en plus en plus de jeunes à être recrutés pour accomplir des missions de « petites mains », le présent article vise à caractériser en tant que provocation d'un mineur au trafic au sens de l'article 227-18-1 du code pénal le fait de publier une offre de recrutement sur une plateforme en ligne accessible aux mineurs, soit notamment via les réseaux sociaux. Cette infraction serait, par conséquent, punie de sept ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende.

Outre le fait d'exploiter ces jeunes et de les détourner du système scolaire, ces recrutements les mettent en situation de danger, en les exposant à des produits stupéfiants et, surtout, à la violence des règlements de comptes.

La commission a donc adopté le présent article, modifié par un amendement des rapporteurs afin d'y apporter des corrections de nature technique.

1. Le droit en vigueur : la provocation directe de mineurs à commettre une infraction liée au trafic de stupéfiants constitue une infraction pénale

Le fait de provoquer à la commission d'infractions liées à l'usage et au trafic de stupéfiants est, en l'état du droit, susceptible de recevoir plusieurs qualifications pénales en fonction du niveau de gravité des faits, qui dépend notamment de l'exposition de mineurs à ces provocations.

Aussi, l'article L. 3241-4 du code de la santé publique prévoit-il que la provocation, même non suivie d'effets, au délit d'usage illicite de stupéfiants ou à la commission d'infractions relatives aux trafics de stupéfiants prévues par les articles 222-34 à 222-39 du code pénal65(*) est punie de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

La répression de ce même délit est aggravée lorsque les faits sont constitutifs d'une provocation aux mêmes infractions directe et commise dans certaines circonstances de temps et de lieu, précisées par le même article, qui sont de nature à exposer des mineurs66(*). Dans ce cas, la peine est portée à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende.

L'article 227-18-1 du code pénal prévoit quant à lui une répression renforcée des faits de provocation au trafic de stupéfiants lorsque celle-ci remplit les trois critères suivants :

- il s'agit d'une provocation directe ;

- la provocation vise un mineur (quelles que soient les circonstances de temps ou de lieu de cette provocation) ;

- la provocation porte précisément sur le transport, la détention, l'offre ou la cession de stupéfiants.

La commission de ces faits est punie de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.

Enfin, le même article prévoit que lorsqu'il s'agit d'un mineur de quinze ans ou moins, ou que les faits sont commis dans des établissements d'enseignement ou d'éducation ou dans les locaux de l'administration, ainsi que, lors des entrées ou sortie des élèves ou du public ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements ou locaux, cette même infraction est punie de dix ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende.

2. Le dispositif proposé : la caractérisation d'un délit de publication d'offres de recrutement liées au trafic de stupéfiants sur des plateformes en ligne accessibles aux mineurs

Le présent article tend à modifier l'article 227-18-1 précité du code pénal de façon à prévoir que l'infraction définie par cet article est également constituée par le fait de publier sur une plateforme en ligne67(*) un contenu accessible aux mineurs proposant aux utilisateurs de transporter, détenir, offrir ou céder des stupéfiants.

Ces faits seraient punis des mêmes peines, soit sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.3. La position de la commission : un dispositif bienvenu pour lutter contre l'« ubérisation » des trafics et la mise en danger des mineurs qu'elle entraîne

La commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a souligné, dans son rapport68(*), les dangers du phénomène d'« ubérisation »69(*) des trafics, constatant que les modes traditionnels de mise en relation entre les trafiquants et les consommateurs de drogues ont changé, de même que les modalités de recrutement des participants au trafic de stupéfiants.

Ainsi, au-delà de la configuration traditionnelle du « point de deal » situé au pied d'un immeuble, ces opérations se font de de plus en plus en ligne, via les réseaux sociaux (Snaptchat, Instagram, etc.), en particulier depuis les périodes de confinement liées à la crise de la covid-19.

En dérive un second phénomène de « rajeunissement du trafic ». Certes, le recrutement de mineurs est pratiqué de longue date par les trafiquants, aussi bien par « opportunisme pénal » en raison du régime spécifique qui leur est applicable70(*) que par volonté de tirer parti de personnes vulnérables, « plus disponibles en termes d'amplitudes horaire ainsi que plus corvéables à merci », selon les termes d'une procureure de la République auditionnée par la commission d'enquête.

En effet, le recours accru aux plateformes en ligne a pour effet d'attirer dans les réseaux de trafiquants un nombre toujours plus important de « petites mains », souvent des jeunes adolescents, couramment désignés par l'appellation « jobbeurs ». Ces missions consistent notamment à transporter la drogue (« ravitailleurs »), amener les clients au point de deal (« rabatteurs »), à procéder à la vente (« charbonneurs ») ou encore à donner l'alerte en cas d'approche des forces de l'ordre (« guetteurs » ou « chouffeurs »).

Outre le fait d'exploiter ces jeunes et de les détourner du système scolaire, ces recrutements les mettent en situation de danger, en les exposant à des produits stupéfiants et, surtout, à la violence des règlements de comptes.

Pour l'ensemble de ces raisons, les rapporteurs ne peuvent que soutenir la mesure proposée par le présent article, qui permet de réprimer avec sévérité la publication d'offres de recrutement sur des plateformes accessibles aux mineurs, répondant ainsi à une recommandation de la commission d'enquête (recommandation n° 28).

Sans porter de modification de fond, leur amendement n° COM-66, adopté par la commission, a fait de cette publication une infraction autonome de celle prévue à l'article 227-18-1, les faits visés par le présent article n'étant pas assimilables à une provocation « directe » et la circonstance aggravante prévue au second alinéa de ce même article ne pouvant pas leur être appliquée. Pour autant, eu égard à la gravité des conséquences potentielles de la publication en ligne d'une telle offre de recrutement, en particulier pour les mineurs, les rapporteurs jugent que le maintien d'une peine identique à celle prévue par l'article 227-18-1 (sept ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende) est pleinement justifié. Elle est également cohérente au regard de l'échelle des peines applicables pour le délit prévu à l'article L. 3241-4 du code de la santé publique.

La commission a adopté l'article 10 ainsi modifié.

Article 11
Lutte contre le narcotrafic dans les outre-mer

Le présent article vise à adapter notre cadre judiciaire à l'appréhension du phénomène des « mules », qui participe des conséquences désastreuses du narcotrafic sur la vie des habitants des territoires situés outre-mer.

À cette fin, il prévoit, en premier lieu, un dispositif d'« hyper-prolongation » médicale de la garde à vue au-delà des 96 heures applicables en matière de criminalité organisée, de façon à permettre l'expulsion des substances stupéfiantes ingérées. Cette prolongation, d'une durée de 24 heures, peut être renouvelée jusqu'à expulsion totale des substances. Convaincue de la pertinence opérationnelle du dispositif proposé, la commission s'est toutefois attachée, en adoptant l'amendement n° COM-67 des rapporteurs, à mieux encadrer le dispositif de façon à assurer sa constitutionnalité, en prévoyant notamment de limiter la durée totale maximale de la garde à vue des mules à 120 heures, en renforçant les conditions de mise en oeuvre de la mesure et la création de nouvelles garanties pour la personne concernée.

En second lieu, le présent article prévoit deux nouvelles peines complémentaires, d'une durée de trois ans au plus, pour la répression des infractions liées directement au trafic de stupéfiants : une peine d'interdiction de vol et une peine d'interdiction de paraître dans des aéroports. Dans le souci de garantir la proportionnalité du dispositif, la commission a également adopté l'amendement n° COM-68 des rapporteurs afin de préciser les motifs permettant à la juridiction de prononcer ces peines complémentaires, en mentionnant expressément qu'elles ne peuvent l'être qu'au regard des risques de récidive ou de réitération de l'infraction commise, de façon à s'assurer que les interdictions qu'elles prévoient ne puissent être générales ou dépourvues de lien avec l'infraction commise.

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

1. Un cadre judiciaire qui peut s'avérer inadapté à la problématique des « mules »

La commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a souligné, dans son rapport71(*), la nécessité de rénover la politique de lutte contre le phénomène des « mules ».

Les mules désignent, selon la définition donnée par l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) : « des personnes, à l'origine non impliquées dans le trafic de drogues, qui assurent l'acheminement de drogues ayant une valeur marchande élevée pour le compte d'un réseau de trafiquants, in corpore en les avalant ou en les plaçant dans des cavités naturelles ou dans leurs bagages »72(*).

Pour la France, ce phénomène s'inscrit dans le contexte d'une intensification des opérations liées au trafic dans les territoires ultra-marins, documenté par la commission d'enquête.

Celle-ci concerne en particulier la Guyane et les Antilles qui, proches de l'Amérique latine, constituent des zones de « rebond » stratégiques pour l'acheminement de la cocaïne vers le territoire européen. Si leur espace maritime permet de transporter de grandes quantités de drogue à bord de conteneurs ou de bateaux de plaisance vers l'Europe, le vecteur aérien est également utilisé pour le transport de cocaïne vers l'hexagone, et ce notamment par l'intermédiaires de mules.

L'exploitation de ces personnes, souvent très précaires, par les narcotrafiquants, participe des conséquences désastreuses du narcotrafic sur la vie des habitants de ces territoires.

Notre cadre judiciaire s'avère dans certains cas mal adapté au traitement du phénomène. La commission d'enquête, informée sur ce point lors de ses auditions par des magistrats du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre et par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Cayenne, a en particulier mis en évidence le fait que la durée maximale de la garde à vue pour ces personnes, qui est de 96 heures (voir encadré infra), est parfois insuffisante pour que l'ensemble de la drogue ingérée soit expulsée.

Face à cette situation, le procureur de la République n'a bien souvent pas d'autre choix que de procéder à l'ouverture d'une information judiciaire et de solliciter le placement en détention provisoire de la personne, notamment dans le cadre la procédure de comparution à délai différée prévue par l'article 397-1-1 du code de procédure pénale. Cela conduit à alourdir et ralentir considérablement le traitement de ces procédures judiciaires pourtant peu complexes, généralement orientées vers une comparution immédiate.

La durée légale de la garde à vue applicable aux « mules »

Selon les termes de l'article 62-2 du code de procédure pénal, la garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, par laquelle une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs.

Elle doit constituer l'unique moyen de parvenir à l'un au moins des objectifs suivants : continuer une enquête en s'assurant de la présence de la personne suspectée ; garantir la présentation de la personne devant un magistrat ; empêcher la destruction d'indices ; empêcher une concertation, c'est-à-dire ne pas permettre à la personne gardée à vue de se mettre d'accord avec ses complices ; empêcher toute pression sur les témoins ou les victimes ; garantir l'arrêt de l'infraction en cours.

En application de l'article 63 du même code, sa durée de droit commun est de 24 heures. Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de 24 heures au plus, sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, si l'infraction que la personne est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre est un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à un an et si la prolongation de la mesure est l'unique moyen de parvenir à l'un au moins des objectifs précités ou de permettre, dans les cas où il n'existe pas dans le tribunal de locaux relevant de l'article 803-3, la présentation de la personne devant l'autorité judiciaire. Les « mules », en tant qu'elles sont poursuivables au titre du délit de transport de stupéfiants prévu par l'article 222-37 du code pénal puni d'une peine d'emprisonnement de dix ans, sont ainsi concernées par ce dispositif de prolongation. 

À titre dérogatoire, en application de l'article 706-88 du code de procédure pénale la garde à vue peut faire l'objet de deux prolongations supplémentaires de 24 heures chacune si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction relatives à des infractions relevant de la criminalité organisée l'exigent, voire d'une unique prolongation de 48 heures. Dans ces conditions, la durée totale maximale de la garde à vue est portée à 96 heures.

Les infractions visées sont celles listées à l'article 706-73 du code de procédure pénale. Les « mules » sont concernées par ces procédures, le 3° de ce même article mentionnant l'article 222-37 du code pénal précité.

Ces prolongations sont soumises à plusieurs conditions et formes : autorisation par décision écrite et motivée soit, à la requête du procureur de la République, par le juge des libertés et de la détention, soit par le juge d'instruction ; présentation préalable au magistrat ; délivrance d'un certificat médical relatif à l'aptitude au maintien de la garde à vue.

Ce régime permet en outre, sous certaines conditions, sur décision d'un magistrat et par dérogation au droit commun, de différer l'intervention d'un avocat pendant une durée maximale de 48 heures, qui peut être portée à 72 heures dans les affaires liées au trafic de stupéfiants ou au terrorisme.

Source : commission des lois du Sénat

2. Des améliorations bienvenues des outils pénaux de la lutte contre le trafic dans les outre-mer

2.1. Une « hyper-prolongation » médicale de la garde à vue qu'il convient de mieux encadrer

Répondant à la recommandation de la commission d'enquête pour lutter contre le phénomène des mules (recommandation n° 11), le I du présent article tend à rétablir l'article 706-88-2 du code de procédure pénale de façon à prévoir une « hyper-prolongation » médicale de la garde à vue.

Le dispositif s'applique uniquement aux personnes placées en garde à vue sur le fondement de l'une des infractions directement liées au trafic de stupéfiants73(*), et par conséquent aux mules.

Lorsqu'un examen médical fait apparaître qu'à l'issue des 96 heures de garde à vue prolongée en application de l'article 706-88 du code de procédure pénale (voir encadré supra), la totalité des substances stupéfiantes ingérées n'a pas été expulsée, le juge des libertés peut décider par une ordonnance motivée, lorsque les nécessités de l'enquête l'exigent et que cette situation constitue un danger imminent pour la personne, une prolongation supplémentaire de vingt-quatre heures.

Il est également prévu que cette mesure peut être renouvelée, pour la même durée et dans les mêmes formes, jusqu'à l'expulsion de la totalité de la substance ingérée.

Si les rapporteurs sont pleinement convaincus de la pertinence opérationnelle du dispositif, ils se sont attachés, avec leur amendement n° COM-67 adopté par la commission, à mieux encadrer le dispositif de façon à assurer sa constitutionnalité.

Le Conseil constitutionnel veille en effet, selon une jurisprudence constante, à ce que son régime juridique assure une conciliation proportionnée entre, d'une part, la prévention des troubles à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, l'exercice des droits et libertés constitutionnellement garantis que sont la liberté individuelle et le respect des droits de la défense. Il veille également à ce que la recherche des auteurs d'infractions ne s'accompagne pas d'une rigueur non nécessaire74(*).

À titre principal, cet amendement a prévu de supprimer la possibilité de renouveler la mesure d'« hyper-prolongation », de façon à limiter la durée maximale de la garde à vue des mules à 120 heures.

En effet, le dispositif proposé aurait permis une durée de placement en garde à vue des mules supérieure à la durée maximale prévue en l'état du droit français, fixée à 144 heures, et limitée aux affaires de terrorisme lorsqu'il existe un risque sérieux de l'imminence d'une action terroriste en France ou à l'étranger ou que les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement.

L'amendement a également précisé les conditions dans lesquelles la prolongation exceptionnelle de la garde à vue peut être décidée, en prévoyant qu'un certificat médical, versé au dossier, établisse la présence de substances stupéfiantes dans le corps de la personne et se prononce sur son aptitude au maintien en garde à vue.

Il prévoit en outre certaines garanties supplémentaires pour la personne concernée à l'expiration de la quatre-vingt-seizième heure de garde à vue : la possibilité de s'entretenir avec un avocat ; le droit de demander un nouvel examen médical ; la possibilité de réitérer une demande tendant à faire prévenir, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou un membre de sa famille75(*).

2.2. De nouvelles peines complémentaires destinées à rendre les mules, pour leur protection, « inemployables » par les narcotrafiquants

Suivant la recommandation précitée de la commission d'enquête, le II du présent article tend à créer un nouvel article 222-44-2 du code pénal prévoyant deux nouvelles peines complémentaires pour la répression des infractions directement liées au trafic de stupéfiants, soit celles prévues aux articles 222-34 à 222-40 du même code.

Ces peines complémentaires, d'une durée de trois au plus, sont :

- l'interdiction de prendre place dans tout aéronef réalisant un vol commercial au départ et à destination d'aéroports dont la liste est fixée par la juridiction ;

- l'interdiction de paraître dans les aéroports dont la liste est fixée par la juridiction.

Un tel dispositif paraît particulièrement pertinent et adapté pour appréhender le phénomène des mules en rendant celles-ci, pour leur protection, de fait « inemployables » par les narcotrafiquants.

Il permet de couvrir des situations plus larges que la peine alternative ou complémentaire d'interdiction de paraître prévue au 12° de l'article 131-6 du même code, applicable uniquement à des lieux ou catégories de lieux déterminés par la juridiction et dans lesquels l'infraction a été commise.

Dans le souci de garantir la proportionnalité du dispositif, l'amendement n° COM-68 des rapporteurs, adopté par la commission, a précisé les motifs permettant à la juridiction de prononcer ces peines complémentaires, en mentionnant expressément qu'elles ne peuvent l'être qu'au regard des risques de récidive ou de réitération de l'infraction commise. Aussi, ces interdictions ne sauraient-elles être générales ou dépourvues de lien avec l'infraction commise.

En tout état de cause, et conformément au principe d'individualisation de la peine76(*), la juridiction pourra, dans sa fixation de la liste des aéroports ou des vols interdits, tenir compte, notamment, de la situation matérielle, sociale et familiale de l'auteur de l'infraction.

La commission a adopté l'article 11 ainsi modifié.

Article 12
Renforcement des moyens de lutte contre la diffusion de contenus liés au trafic de stupéfiants dans l'espace numérique

Dans le but de renforcer les outils de la lutte contre la diffusion de contenus liés au trafic de stupéfiants dans l'espace numérique, le présent article prévoit, outre le renforcement des sanctions pénales prévues pour la répression du délit d'administration illicite de plateforme, d'étendre les prérogatives dont dispose Pharos pour demander le retrait et le déréférencement de contenus à caractère terroriste ou pédopornographique aux contenus relatifs à l'offre ou à la cession de stupéfiants.

La commission est favorable à la mise en oeuvre de ce dispositif, qu'elle juge nécessaire, adapté et proportionné eu égard à la gravité de la menace pour la Nation représentée par le développement tentaculaire du narcotrafic sur le territoire, notamment du fait de son « ubérisation ». Elle a en conséquence adapté cet article, tout en complétant, à l'initiative des rapporteurs, l'alignement du régime prévu en matière de cession et d'offre de stupéfiants sur ceux existants en matière de terrorisme et de pédo-criminalité, concernant les prérogatives de Pharos ainsi que les sanctions pénales et les garanties juridiques prévues pour les personnes en cause.

1. Le droit en vigueur : des outils efficaces déjà mis en place pour lutter contre la diffusion de contenus à caractère terroriste ou pédopornographique

1.1 Pharos dispose de prérogatives importantes pour obtenir le retrait de contenus à caractère terroriste ou pédopornographique

L'article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) permet à l'autorité administrative de demander aux éditeurs de contenus ainsi qu'aux fournisseurs de services d'hébergement en ligne, que sont notamment en pratique les plateformes numériques, de retirer tout contenu lorsqu'un tel retrait est justifié par les nécessités, d'une part, de la lutte contre la provocation à des actes terroristes ou l'apologie de tels actes ou, d'autre part, de la lutte contre la diffusion d'images pédopornographiques.

L'exercice de cette prérogative est mis en oeuvre par la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos), mise en place par la direction nationale de la police judiciaire.

En l'absence de retrait constaté dans les 24 heures, ou lorsque l'éditeur du service n'a pas mis à disposition sur son site de mentions légales permettant de le contacter lui ou son hébergeur, Pharos peut enjoindre aux fournisseurs d'accès à internet de procéder au blocage du service en ligne mis en cause.

Pharos peut également notifier les adresses électroniques afférentes à ces contenus aux moteurs de recherche, de façon à ce que ceux-ci procèdent à leur déréférencement.

Au titre du contrôle de la mise en oeuvre de ce dispositif de police administrative, il est prévu que Pharos transmette à une personnalité qualifiée77(*), désignée au sein de l'Agence de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), les demandes de retrait effectuées. Celle-ci s'assure de la régularité des demandes de retrait et des conditions d'établissement, de mise à jour, de communication et d'utilisation de la liste des adresses électroniques afférents aux contenus concernés. Si elle constate une irrégularité, elle peut à tout moment recommander à l'autorité administrative d'y mettre fin et, à défaut, saisir le juge administratif. Elle rend également public, chaque année, un rapport d'activité78(*).

La LCEN prévoit en outre des mesures de garantie pour les personnes concernées par des demandes de retrait de contenus pédopornographiques :

- une obligation d'information par Pharos de l'hébergeur, c'est-à-dire en pratique la plateforme, sur la procédure applicable douze heures avant la délivrance d'une demande de retrait s'il est mis en cause pour la première fois ainsi qu'une obligation d'information, le cas échéant, du fournisseur de contenu par l'hébergeur, sauf si ces informations sont de nature à entraver le bon déroulement des actions de prévention, de détection, de recherche et de poursuite des auteurs des infractions afférentes à ces contenus (article 6-2) ;

- une procédure contentieuse dérogatoire et accélérée, permettant à la personne concernée par la demande de retrait, dans un délai de 48 heures, de demander son annulation au président du tribunal administratif compétent, qui statue dans un délai de 72 heures. Cette décision est alors susceptible d'appel dans un délai de dix jours et la juridiction d'appel, le cas échéant, se prononce sous un délai d'un mois (article 6-2-2).

L'article 6-2-1 de la LCEN prévoit également une sanction pénale en cas de non-coopération de la plateforme. Aussi, le fait pour un hébergeur de ne pas retirer les contenus dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la réception de la demande de Pharos est-il puni d'un an d'emprisonnement et de 250 000 euros d'amende. Lorsque cette infraction est commise de manière habituelle par la plateforme, le montant de l'amende peut être porté à 4 % de son chiffre d'affaires mondial hors taxes réalisé au cours de l'exercice précédent.

Conformément au cadre prévu par le droit de l'Union européenne, des garanties et sanctions similaires sont prévues par les articles 6-1-3 à 6-1-5 de la même loi s'agissant des demandes de retrait de contenus à caractère terroriste relevant de l'article 3 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne.

En revanche, ce dispositif ne permet pas, en l'état du droit, de prévenir la diffusion de contenus liés au trafic de stupéfiants en ligne.

1.2 Un délit d'administration illicite sanctionnant les plateformes permettant sciemment l'échange de produits illicite qui permet déjà de lutter contre le narcotrafic en ligne

Au plan pénal, la responsabilité d'une plateforme en ligne79(*) favorisant le trafic de stupéfiants peut être engagée sous certaines conditions.

L'article 323-3-2 du code pénal prévoit en effet que constitue un délit le fait pour une plateforme qui restreindrait l'accès son service en utilisant des techniques d'anonymisation ou en ne respectant pas les règles légales applicables en matière de stockage des données d'identification des personnes à l'origine des contenus80(*), de permettre sciemment la cession de produits dont la cession, l'offre, l'acquisition ou la détention sont manifestement illicites.

Constitue également un délit le fait de proposer, par l'intermédiaire d'une plateforme ou au soutien de transactions qu'elles permettent, des prestations d'intermédiation ou de séquestre qui ont pour objet unique ou principal de mettre en oeuvre, de dissimuler ou de faciliter ces opérations. Cette disposition cible les « tiers de confiance » dits « ESCROW » sur lesquels s'appuient les trafiquants pour sécuriser les paiements et les transactions.

Ces délits sont punis de cinq d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.

En cas de commission en bande organisée, la peine pour ces deux infractions est portée à dix ans d'emprisonnement et à 500 000 euros d'amende.

2. Le dispositif proposé : une extension des prérogatives de Pharos à la prévention du narcotrafic en ligne et un renforcement de la répression de l'administration illicite de plateforme

En premier lieu, le I du présent article tend à modifier l'article 6-1 de la LCEN de façon à étendre les prérogatives de Pharos en matière de demande de retrait et de déréférencement par les moteurs de recherche aux contenus relatifs à la cession ou l'offre de stupéfiants, caractérisant l'infraction prévue à l'article 222-39 du code pénal.

En second lieu, le II du présent article tend à augmenter le quantum des peines prévues pour la sanction de l'administration illicite de plateforme et de la facilitation des transactions qu'elles permettent.

Celle-ci serait ainsi portée à sept ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende. Lorsque ces infractions sont commises en bande organisée, la peine d'amende à laquelle la peine de dix ans d'emprisonnement est assortie serait portée de 500 000 à 1 000 000 d'euros d'amende.

3. La position de la commission : un renforcement bienvenu des outils de la lutte contre le narcotrafic dans l'espace numérique

La commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a souligné, dans son rapport81(*), les dangers du phénomène d'« ubérisation »82(*) des trafics, constatant que les modes traditionnels de mise en relation entre les trafiquants et les consommateurs de drogues ont changé, de même que les modalités de recrutement des participants au trafic de stupéfiants.

Ainsi, au-delà de la configuration traditionnelle du « point de deal » situé au pied d'un immeuble, ces opérations se font de plus en plus en ligne, via les réseaux sociaux (Snaptchat, Instagram, etc.), en particulier depuis les périodes de confinement liées à la crise de la covid-19, permettant le contournement des mesures de restriction.

Ce phénomène a notamment pour conséquence le développement massif du trafic dans les zones rurales. Aussi le commandant de gendarmerie Ismaël Baa, auditionné par la commission d'enquête, a-t-il pu décrire le phénomène actuel de livraison dans le département de l'Orne : « Nous constatons par ailleurs des changements du côté de la livraison, avec ce qu'on peut appeler des “Uber shit”, si vous me permettez l'expression : des fournisseurs venus des villes font de véritables tournées, en informant le matin leurs correspondants sur les produits disponibles et en prenant les commandes pour le jour même, et la livraison se fait en voiture avec un chauffeur et un vendeur, qui restent en mouvement constant. On est loin du point de deal fixe, même si le phénomène peut exister temporairement dans des pavillons ou en logement collectif ».

Ainsi, les rapporteurs ne peuvent qu'approuver les mesures prévues par le présent article, qui sont de nature à renforcer les outils de la lutte contre le narcotrafic dans l'espace numérique.

En particulier, la mesure permettant le retrait de contenus relatifs à l'offre ou à la cession de stupéfiants constitue une mesure concrète et efficace pour entraver le deal en ligne.

Le dispositif existant pour les contenus à caractère terroriste ou pédopornographique a fait ses preuves et s'avère performant. En 2023, selon les données communiquées par la direction nationale de la police judiciaire, celui-ci a permis la mise en oeuvre de 120 816 demandes de retrait, 66 682 demandes de déréférencement et 690 demandes de blocages, qui concernent, pour l'essentiel, des contenus à caractère pédopornographiques. D'après les éléments transmis aux rapporteurs par ses services, Pharos ne déclare pas rencontrer de difficultés dans l'application des demandes qui sont formulées. En pratique, les hébergeurs et les fournisseurs d'accès à internet obtempèrent et procèdent au retrait, au déférencement ou au blocage des contenus signalés.

Les rapporteurs considèrent que ce dispositif, quoique attentatoire à la liberté d'expression et de communication, est nécessaire, adapté et proportionné eu égard à la gravité de la menace pour la Nation représentée par le développement tentaculaire du narcotrafic sur le territoire, notamment du fait de son « ubérisation ». Ils relèvent à cet égard que les contenus concernés sont précisément caractérisés, grâce à un renvoi à une infraction pénale aisément qualifiable - l'offre ou la cession de stupéfiants dans les conditions prévues à l'article 222-39 du code pénal.

Leur amendement n° COM-69, adopté par la commission, a complété le dispositif, afin de parachever son alignement sur le régime prévu en matière de lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroristes et pédopornographiques :

- en permettant à Pharos de demander aux fournisseurs le blocage d'accès à internet des personnes en cause, corrigeant une omission dans le texte initial ;

- en prévoyant d'appliquer au dispositif les garanties de procédure, sanctions pénales et régime contentieux susmentionnés, prévus aux articles 6-2 à 6-2-2 de la LCEN.

La commission a adopté l'article 12 ainsi modifié.

Article 13
Spécialisation de la chaîne pénale en matière de lutte contre le narcotrafic

Afin de conduire à son terme la logique de spécialisation de la chaîne pénale en matière de trafic de stupéfiants, l'article 13 fixe la compétence de la cour d'assises spécialement composée pour les infractions connexes à ce trafic et prévoit l'intervention de magistrats spécialisés pour l'application des peines prononcées à l'encontre des personnes reconnues coupables d'une infraction liée à la délinquance et à la criminalité organisées.

Par coordination avec la création d'un Pnaco à l'article 2, et pour éviter tout risque de pression sur les jurés dans les formes de délinquance et de criminalité organisées autres que le trafic de stupéfiants, la commission a prévu, à l'initiative des rapporteurs (amendement n° COM-70), la compétence d'une cour d'assises spécialement composée pour l'ensemble des crimes commis en bande organisée. Elle a également supprimé l'extension aux infractions connexes de la procédure spécifique applicable en matière de criminalité et de délinquance organisées, considérant que cet ajout avait une portée opérationnelle limitée en pratique et créait d'importants risques juridiques (amendement n° COM-71 des rapporteurs).

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

1. La spécialisation lacunaire des juridictions criminelles en matière de trafic de stupéfiants

Le titre XVI du code de procédure pénale prévoit une procédure particulière en matière de trafic de stupéfiants. Celle-ci emporte notamment, depuis 199483(*), la compétence d'une cour d'assises spécialement composée, c'est-à-dire constituée exclusivement de magistrats professionnels : cette spécificité substantielle vise à éviter qu'une pression soit exercée sur les jurés de la part d'individus au profil particulièrement dangereux. Par la menace ou la corruption, les trafiquants pourraient en effet tenter d'influencer les personnes appelées à les juger ; or, si des magistrats professionnels sont formés et armés pour résister à ces initiatives, tel n'est pas le cas des simples citoyens qui composent le jury populaire.

La difficulté réside dans le fait que, si le code a prévu la compétence d'une cour d'assises spéciale pour les crimes liés au trafic de stupéfiants84(*), tel n'est pas le cas pour les infractions connexes au trafic : tortures et actes de barbarie, règlements de comptes, corruption, etc. Parce qu'ils ne sont pas soumis à un régime dérogatoire, les procès criminels portant sur de tels faits peuvent être le théâtre de pressions. Ce phénomène, abondamment documenté par la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, a été récemment illustré par l'affaire dite « du procès de Bobigny », faisant référence à un procès de cour d'assises tenu en février 2018 en Seine-Saint-Denis et au cours duquel étaient jugées huit personnes accusées d'actes de torture et de barbarie commis sur un transporteur de drogue : à la suite de la divulgation du délibéré de la cour avant qu'il ne soit annoncé, une enquête avait permis d'établir qu'un juré avait été approché par deux individus au cours du procès - attestant, s'il en était besoin, des difficultés posées par le recours à un jury populaire pour juger des criminels qui n'hésitent pas à recourir au chantage, aux menaces et à la corruption pour parvenir à leurs fins.

Les auditions menées par les rapporteurs ont, de la même manière, montré que la gestion des condamnés issus de la criminalité organisée par des juges de l'application des peines « généralistes » était source de difficultés, faute d'une formation spécifique à la gestion de délinquants particulièrement dissimulateurs, voire manipulateurs.

C'est dans ce contexte que de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer une « professionnalisation » complète des juridictions de jugement et d'application des peines compétentes en matière de narcotrafic, sur le modèle de ce que le législateur a prévu en matière de répression du terrorisme. En effet, outre l'existence d'un parquet national spécialisé, le parquet national anti-terroriste85(*), le titre XV du code de procédure pénale a permis la création de services d'enquête spécialisés et de juges d'instruction antiterroristes ; de même, au stade du jugement, ont été instituées des cours d'assises spécialement composées bénéficiant d'un régime dérogatoire au droit commun ; enfin, dans la phase post-sentencielle, le code donne compétence à un juge de l'application des peines dédié et spécialement formé pour superviser la détention de profils terroristes et radicalisés.

La commission d'enquête a repris à son compte cette préconisation, traduite par les auteurs de la présente proposition de loi dans un dispositif visant à :

- prévoir la compétence de la cour d'assises spécialement composée pour l'ensemble des infractions connexes aux crimes commis dans le cadre du narcotrafic ;

- plus généralement, soumettre à la procédure applicable en matière de délinquance et de criminalité organisées non plus seulement les infractions du trafic de stupéfiants, mais aussi l'ensemble des infractions qui leur sont connexes ;

instituer des juges de l'application des peines spécialisés, qui seront seuls compétents pour gérer la détention des personnes condamnées pour des faits de délinquance et de criminalité organisées.

2. La position de la commission : permettre la spécialisation des juridictions de jugement sur l'ensemble du spectre de la criminalité organisée

La commission est convaincue de la nécessité de mieux armer les juges de l'application des peines confrontés aux condamnés les plus dangereux : l'actualité récente témoigne, de manière dramatique, de la sous-estimation des risques portés par certains profils de détenus du « haut », voire du « milieu du spectre ».

C'est pourquoi elle a, s'agissant de l'instauration d'une spécialisation des juges de l'application des peines appelés à intervenir auprès des personnes condamnées pour des faits de criminalité organisée, adopté le dispositif prévu par les auteurs de la proposition de loi sans modification.

Par ailleurs, consciente des risques qui pèsent sur les jurés lorsqu'ils participent au jugement des crimes liés à des réseaux dont la violence est avérée, la commission a, en adoptant un amendement n° COM-70 des rapporteurs, entendu amplifier la réforme souhaitée par les auteurs. Par cohérence avec la création d'un parquet national dédié à la criminalité organisée et non au seul trafic de stupéfiants, elle a ainsi prévu que l'ensemble des crimes commis en bande organisée seraient soumis à des cours d'assises exclusivement composées de magistrats professionnels.

Enfin, les rapporteurs ont souligné que l'extension aux infractions connexes du régime procédural de la criminalité organisée posait deux difficultés :

- d'une part, et étant rappelé que les règlements de comptes ainsi que tous les types de trafics graves ou d'infractions commises en bande organisée sont déjà intégrés au régime précité, ils ont estimé que cette précision n'aurait que peu d'intérêt opérationnel pour les services d'enquête ou pour les magistrats en charge des investigations ;

- d'autre part, ils ont relevé qu'une telle extension, susceptible au vu de ce qui précède d'aspirer dans un régime procédural lourd des faits relativement mineurs, soulèverait un risque constitutionnel majeur.

C'est pourquoi ils ont, en présentant l'amendement n° COM-71 que la commission a adopté, souhaité supprimer cette disposition.

La commission a adopté l'article 13 ainsi modifié.

Article 14
Refonte du régime des « repentis »

Le régime des « repentis », aujourd'hui sous-exploité en dépit de sa grande utilité pour identifier et poursuivre les « têtes de réseaux » du narcotrafic, vise à permettre à des personnes ayant participé à des faits graves de les dénoncer et d'obtenir, sous conditions, une réduction de peine et une protection en échange de cette dénonciation. Conformément aux recommandations de la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, l'article 14 étend la possibilité de devenir un « repenti » aux personnes ayant commis un crime de sang, renforce l'attractivité du statut en sécurisant la réduction de peine associée à la dénonciation et encadre les modalités d'une telle collaboration entre l'autorité judiciaire et le délinquant en imposant que soit conclue une convention définissant les engagements mutuels de chaque partie.

La commission a adopté cet article, modifié par les rapporteurs pour y apporter des améliorations rédactionnelles et, sur le fond, pour procéder à plusieurs enrichissements, avec en particulier la création d'un système d'immunités de poursuites pour les personnes dont les déclarations le justifient.

1. Le régime des « repentis » : un outil sous-exploité

L'histoire de la mise en place du régime des collaborateurs de justice, plus communément appelés « repentis », est celle d'une ambition contrariée. En effet, alors que l'apport déterminant des collaborateurs de justice aux enquêtes visant les mafias et les groupes criminels était attesté depuis les années 1970 par l'expérience des États-Unis et de l'Italie, ce n'est qu'en 200486(*) que la France s'est dotée d'un tel outil. Plus encore, ce n'est que dix ans plus tard qu'a été pris le décret d'application permettant l'entrée en vigueur du dispositif, qui n'est ainsi opérationnel que depuis mars 201487(*).

Le principe du régime des « repentis » est défini à la fois par le code pénal (article 132-78) et par le code de procédure pénale (article 706-63-1). Il repose sur l'équilibre suivant :

- d'une part, le code pénal fixe le régime des sanctions applicables aux « repentis » : ceux qui auront tenté de commettre une infraction pourront bénéficier d'une exemption de peine si, « ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, [ils ont] permis d'éviter la réalisation de l'infraction et, le cas échéant, d'identifier les autres auteurs ou complices » ; ceux qui auront effectivement commis une infraction et dont le repentir n'interviendrait qu'après cette commission verront la durée de la peine qu'ils encourent réduite si, « ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, [ils ont] permis de faire cesser l'infraction, d'éviter que l'infraction ne produise un dommage ou d'identifier les autres auteurs ou complices », ou encore « d'éviter la réalisation d'une infraction connexe de même nature que le crime ou le délit pour lequel elle était poursuivie » ;

- d'autre part, le code de procédure pénale définit la nature des contreparties qui peuvent être accordées aux « repentis », à leur famille et à leurs proches : ils peuvent ainsi bénéficier, sur décision d'une commission nationale ad hoc, la commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR), d'une protection et de mesures destinées à assurer leur réinsertion ; ils peuvent, entre autres, recourir à une identité d'emprunt, des peines lourdes étant prévues en cas de révélation de leur identité réelle ou d'éléments permettant de les localiser (cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, ces peines étant aggravées dans le cas où cette révélation aurait des conséquences sur l'intégrité du « repenti » ou de sa famille).

La prise en charge des collaborateurs de justice

Commission administrative présidée par un magistrat, la commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR) décide des mesures de protection et de réinsertion octroyées aux collaborateurs de justice et à leur proche. Elle se compose d'un magistrat exerçant ou ayant exercé au sein d'une juridiction interrégionale spécialisée (Jirs), d'un magistrat représentant la direction des affaires criminelles et des grâces, d'un représentant de la direction générale de la police nationale, d'un représentant de la direction de la gendarmerie nationale et d'un représentant du ministre chargé des douanes. Le Siat [service interministériel d'assistance technique], chargé du secrétariat permanent de la commission et de la mise en oeuvre des mesures, y dispose d'un représentant, mais avec une voix consultative seulement.

Toutes les juridictions ont la faculté de saisir la CNPR mais, au regard des infractions visées et de la complexité des affaires, les Jirs apparaissent comme les premières « utilisatrices ». La mise en oeuvre du dispositif de protection et de réinsertion des collaborateurs de justice est limitée aux cas 1° où le témoignage du repenti revêt une importance particulière pour la manifestation de la vérité ; 2° où la réalité de la menace à l'encontre de la personne qui demande à bénéficier du programme est avérée ; 3° aux individus évalués aptes à supporter le programme et le changement de vie qu'il induit, pour eux et pour leurs proches. Ces conditions sont cumulatives.

L'instruction du dossier est opérée par le Siat, qui expose les faits devant la CNPR et formule un avis sur l'utilité et la faisabilité des mesures de protection et de réinsertion envisageables (identité d'emprunt, relocalisation du repenti et de ses proches, protection physique en milieu carcéral, mise en place d'un suivi psychologique, scolarisation des enfants, formation professionnelle, etc.), accompagné d'une évaluation du coût et de la durée de mise en oeuvre. La CNPR prend la décision de mettre en oeuvre le programme de réinsertion et de protection et en définit ensuite le contenu et fixe les obligations que doivent respecter les personnes concernées. Il revient ensuite au bureau de protection et de réinsertion du Siat de mettre en oeuvre les programmes.

La CNPR peut à tout moment modifier, suspendre ou mettre fin aux mesures de protection et de réinsertion accordées (évolution des risques pesant sur le bénéficiaire et ses proches, violation des conditions et modalités de mise en oeuvre du programme).

[...] Le dispositif a été élargi aux victimes de la traite des êtres humains en 2015 et aux témoins menacés en 2016.

Source : commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, sur le fondement de la dépêche du 24 octobre 2014 de la DACG relative à la mise en oeuvre du dispositif de protection et de réinsertion des collaborateurs de justice et des réponses écrites du service interministériel d'assistance technique au questionnaire du rapporteur.

La commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic a dressé un bilan mitigé de ce dispositif et de son efficacité. Rappelant que les trois quarts des programmes validés par la CNPR visaient des groupes criminels impliqués dans le trafic de stupéfiants, faisant des « repentis » un dispositif primordial pour lutter contre ce phénomène, la commission a par ailleurs relevé que :

le recours aux collaborateurs de justice reste, en dépit d'une accélération récente, inférieur aux projections du Gouvernement comme à la pratique des pays étrangers disposant d'un système comparable - ce que la commission explique par une réticence des magistrats, puisque des moyens financiers supérieurs aux dépenses ont toujours été alloués au dispositif ;

le champ infractionnel des « repentis » ne paraît ni suffisamment large, ni cohérent avec la nature des profils ciblés par le statut : en effet, le bénéfice du mécanisme précédemment décrit ne concerne que les infractions expressément visées par le législateur ; or, celui-ci a exclu du périmètre les « crimes de sang » et l'association de malfaiteurs ;

- enfin, la réduction de peine n'est pas garantie, voire aléatoire, puisqu'elle reste soumise à la décision de la juridiction de jugement qui peut remettre en cause l'accord passé entre le « repenti » et les magistrats compétents pour l'enquête ou l'instruction des mêmes faits : comme le résumait la commission d'enquête dans son rapport précité, « sans aller jusqu'à l'exemption systématique de peine, le fait que plusieurs collaborateurs de justice aient été condamnés à des peines identiques voire plus lourdes que celles prononcées contre les têtes de réseaux n'est pas sans susciter un certain étonnement ».

Pour résoudre ces difficultés, les auteurs de la proposition de loi prévoient une triple modification du statut des collaborateurs de justice.

En premier lieu, ils proposent d'accorder le bénéfice du « repentir » aux personnes s'étant rendues coupables d'un « crime de sang » ou de la tentative de ce dernier : tentative de meurtre ou meurtre en bande organisée, commission des mêmes infractions ou d'un assassinat en bande organisée, et association de malfaiteurs.

Dans le même sens, ils entendent faciliter le recours au statut en élargissant les conditions dans lesquelles peut être accordée une réduction de peine : outre les hypothèses prévues par le droit en vigueur (et déjà citées ci-dessus), seraient concernées, selon les cas, les personnes qui ont permis d'éviter la répétition d'une infraction, de mettre fin à sa préparation (et non plus sa seule commission) et de limiter les dommages qu'elle a produits (et non plus seulement de les éviter).

En deuxième lieu, afin de prévenir tout dévoiement du système par des délinquants qui souhaiteraient abuser de l'élargissement du statut pour obtenir une réduction de peine sans rompre avec leur passé criminel, la proposition de loi prévoit l'intervention d'une convention permettant de fixer les engagements pris par le « repenti » et les avantages dont il bénéficie pour sa protection. Tout d'abord, en ce qui concerne les obligations des collaborateurs de justice, sont prévues :

- la création d'un nouvel article 706-63-1 A au sein du code de procédure pénale, aux termes duquel les « repentis » disposeront, à compter de l'expression de leur volonté de coopérer avec la justice, d'un délai impératif de cent vingt jours pour communiquer au ministère public (procureur de la République ou Pnast, ce dernier étant seul compétent pour les « repentis » liés au narcotrafic) les informations en leur possession, celles-ci étant consignées dans un rapport ad hoc ;

- la conclusion d'une convention entre le « repenti » et le ministère public par lequel le premier s'engagerait à la plus complète loyauté (respect des règles de sécurité prescrites, collaboration au bon déroulement de l'enquête, secret sur les informations transmises à la justice, absence de tout contact avec les autres auteurs ou complices de l'infraction, transmission d'un état précis de son patrimoine) et à indemniser ses victimes.

La violation de ces obligations se traduirait par la révocation de la protection accordée au collaborateur de justice et à ses proches. De la même manière, le texte permet au procureur général près la cour d'appel territorialement compétente de demander la révision d'un jugement au cours duquel une réduction ou une exemption de peine aurait été accordée à un « repenti » si celui-ci a transmis à la justice des informations incomplètes ou inexactes ou s'il a commis une nouvelle infraction dans un délai de dix ans après que le jugement est devenu définitif.

En troisième lieu, afin de mieux garantir l'application de la réduction ou de l'exemption de peine au bénéfice du « repenti », la proposition de loi prévoit que la convention conclue entre celui-ci et le ministère public - et qui comportera mention de la réduction ou de l'exemption de peine qui lui a été proposée - sera obligatoirement jointe au dossier de la procédure, et que la juridiction de jugement ne pourra s'en écarter qu'avec une décision spécialement motivée, visant à la fois à fiabiliser le prononcé d'une juste peine et à prévenir toute contrainte excessive (et potentiellement contraire à la Constitution) sur le juge du fond.

2. Aller plus loin dans le renforcement de l'attractivité du régime des « repentis »

Sans exclure de nouvelles modifications au stade de la séance publique eu égard à la complexité du statut des « repentis » et à la nécessité d'apporter à celui-ci des modifications substantielles de nature à en garantir enfin l'attractivité, la commission a largement fait évoluer le texte de la proposition de loi.

Adoptant un amendement n° COM-72 des rapporteurs, elle a ainsi apporté au texte plusieurs améliorations.

Premièrement, elle a procédé à des harmonisations de rédaction s'agissant des conditions d'exemption ou de réduction de peine. Elle a ainsi précisé que l'exemption de peine s'appliquera à toute personne ayant empêché la commission d'une infraction (y compris en mettant fin à sa préparation), indépendamment de la condition cumulative aujourd'hui posée par le code sur l'identification d'éventuels co-auteurs ou complices qui, selon les propos du président de la CNPR, Marc Sommerer, ne semble ni justifiée sur le fond, ni pertinente pour favoriser la dénonciation de crimes ou de délits en préparation. Réciproquement, elle a clarifié et uniformisé les conditions d'octroi d'une réduction de peine, selon trois critères alternatifs : pourront ainsi bénéficier d'une peine réduite les personnes qui auront soit fait cesser la réalisation d'une infraction dont la commission avait déjà débuté, soit évité ou limité les dommages produits par la même infraction, soit permis d'identifier les autres auteurs ou complices.

Deuxièmement, l'amendement vise à renforcer le poids du dispositif initial. D'une part, et outre la confirmation de l'intégration des « crimes de sang », il ouvre la possibilité d'un « repentir » en matière de trafic d'armes. D'autre part, il rend plus favorable la libération conditionnelle anticipée ouverte aux « repentis » en prévoyant qu'elle pourra intervenir dès lors que le condamné aura exécuté le tiers de la peine prononcée.

Troisièmement, l'amendement précise les caractéristiques du statut de collaborateur de justice, notamment pour faciliter l'octroi d'une identité d'emprunt, pour clarifier et fluidifier la répartition des rôles entre le Siat et la CNPR, ou encore pour préciser les conditions dans lesquelles le statut de collaborateur de justice pourra être révoqué : sur ce dernier point, compétence est donnée à la juridiction de jugement pour prévoir un quantum complémentaire d'emprisonnement qui pourra être mis à exécution si le « repenti » commet une nouvelle infraction ou viole les engagements qu'il aura pris dans le cadre de la convention qui le lie à l'autorité judiciaire.

Enfin et surtout, l'amendement crée, sur le modèle du droit britannique, un régime d'immunité de poursuites permettant d'octroyer une telle immunité à un « repenti » dont les déclarations auraient une importance exceptionnelle eu égard au nombre de personnes qu'il peut dénoncer ou de la gravité de l'infraction qu'il permet de faire cesser.

L'immunité de poursuites dans le droit britannique

Aux termes de l'article 71 de la loi SOCPA [loi sur la grande criminalité et la police de 2005], un procureur habilité peut aux fins d'une enquête ou de poursuites concernant un crime ou un délit pouvant faire l'objet d'un procès, offrir à une personne une immunité de poursuites (immunity from prosecution) pour toute infraction. Si une personne reçoit une notification d'immunité, aucune procédure pour une infraction décrite dans la notification ne peut être engagée contre elle en Angleterre et au pays de Galles ou en Irlande du Nord (sauf dans les circonstances spécifiées dans la notification). Toutefois, la notification d'immunité cesse de produire ses effets si l'auteur de l'infraction ne respecte pas l'une des conditions prévues dans la notification.

Le code des procureurs rappelle que l'immunité ne peut être proposée que dans des cas exceptionnels. Les critères à prendre en compte ont été définis par l'Attorney General (appréciation de l'intérêt de la justice, de l'intérêt pour la sécurité publique et de la probabilité que des informations puissent être obtenues sans une offre d'immunité). En outre, l'Attorney General doit être consulté au moins 14 jours avant la notification d'immunité.

La jurisprudence relative aux immunités a établi que le ministère public n'avait pas le pouvoir d'accorder une immunité « prospective », pour couvrir une infraction future. Par conséquent, les notifications d'immunité ne peuvent être accordées que pour des infractions qui ont déjà été commises.

L'article 72 de la loi SOCPA prévoit que le procureur peut s'engager à ne pas utiliser les déclarations du repenti dans le cadre d'une procédure pénale ou d'une procédure pour « comportement illicite » à son encontre, en vue d'obtenir sa collaboration. Cet engagement prend la forme d'une notification écrite.

Une notification d'engagement d'utilisation restreinte des déclarations n'empêche pas le repenti d'être poursuivi lorsque d'« autres preuves », justifiant des poursuites deviennent disponibles. Les autres preuves peuvent provenir d'autres sources directes ou indirectes. La notification doit toutefois comporter une réserve expresse à cet effet.

Source : rapport de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier88(*).

Décidée à titre exceptionnel et par les seuls magistrats spécialisés en matière de criminalité organisée (c'est-à-dire ceux des Jirs et le futur procureur national anti-criminalité organisée), l'immunité serait soumise à des exigences spécifiques, et notamment à l'avis conforme de la commission nationale de protection et de réinsertion.

La commission a adopté l'article 14 ainsi modifié.

Article 15
Anonymat des officiers de police judiciaire affectés dans des services spécialisés en matière de délinquance et de criminalité organisées

Les travaux de la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic ont mis au jour la difficile situation des officiers de police judiciaire chargés d'enquêter sur des faits de délinquance et de criminalité organisée : alors qu'ils font face à des trafiquants qui utilisent de nombreux procédés pour rester anonymes, ceux-ci peuvent voir leur identité être divulguée dans les procédures - ce qui les expose à la fois aux représailles et aux tentatives de corruption. C'est pourquoi, afin de mieux protéger les policiers, gendarmes et douaniers qui luttent contre le narcotrafic, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité prévoir qu'ils pourraient, sur simple autorisation écrite d'une autorité hiérarchique, être identifiés par leur numéro d'immatriculation administrative.

Adoptant cet article, la commission a complété sa rédaction par un amendement des rapporteurs visant à rendre ce nouveau dispositif plus opérationnel ; elle a par ailleurs prévu d'en faire bénéficier les agents des douanes et les effectifs affectés à la lutte contre les trafics en mer.

1. Le nécessaire renforcement de la protection accordée aux effectifs en charge de la lutte contre la criminalité organisée

Les règles permettant aux agents de la police et de la gendarmerie nationales de bénéficier d'une forme d'anonymat - qui n'empêche pas leur identification in fine, puisqu'il s'agit pour eux d'être désignés par leur numéro d'immatriculation administrative - sont fixées par l'article 15-4 du code de procédure pénale. Celui-ci prévoit que :

- l'autorisation de ne pas être identifié par ses nom et prénom dans les actes de procédure peut être accordée pour les procédures portant sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ou, lorsque ce quantum n'est pas atteint, lorsque la révélation de l'identité de l'agent est susceptible de mettre en danger sa vie ou son intégrité physique, ou celle de ses proches ;

- cette autorisation est délivrée par un responsable hiérarchique « d'un niveau suffisant » et sur décision motivée de celui-ci, copie en étant transmise au procureur de la République territorialement compétent ;

- l'anonymat vaut non seulement au cours des investigations, mais aussi lorsque l'agent est appelé à déposer ou à comparaître comme témoin ou lorsqu'ils se constituent partie civile. À l'inverse, il n'est pas applicable lorsque l'agent est suspecté d'avoir commis une infraction dans l'exercice de ses fonctions et qu'il est entendu en audition libre ou placé en garde à vue.

Ces dispositions sont également applicables aux officiers et agents de douane judiciaire ainsi que, plus largement, aux agents des douanes par le biais d'un renvoi inscrit à l'article 55 bis du code des douanes, « à l'occasion de la mise en oeuvre des pouvoirs de recherche, de constatation et de poursuite prévus au[dit] code ou lorsqu'ils sont requis sur le fondement du code de procédure pénale » : ils peuvent alors être autorisés à ne pas être identifiés par leurs nom et prénom mais à utiliser un numéro administratif.

Les auteurs jugent que ce régime, relativement lourd, n'a que peu de pertinence pour les officiers de police judiciaire affectés dans des services spécialement chargés de la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées : en effet, ils considèrent que leurs fonctions les exposent mécaniquement à des risques pour leur intégrité physique mais aussi, voire surtout, à des pressions, des menaces et des tentatives de corruption. Ils proposent en conséquence que les officiers rattachés à de tels services (dont la liste serait définie par un arrêté conjoint du ministre chargé de l'intérieur et du ministre de la justice) puissent être identifiés par leur numéro d'immatriculation administrative sur simple autorisation écrite de leur responsable hiérarchique.

2. Alléger encore davantage les procédures d'anonymisation des agents en charge de la lutte contre la criminalité organisée

L'étude approfondie du dispositif proposé par les auteurs a confirmé sa pertinence sur le fond, mais aussi révélé la nécessité de le compléter pour prévoir :

l'inopposabilité de l'anonymat dans certains cas (placement en garde à vue ou audition en tant que témoin assisté, par exemple) ;

- la procédure à suivre lorsque la levée de l'anonymat sera envisagée pour les besoins des investigations, soit que cette levée soit acceptée par l'agent ou par l'officier concerné, soit qu'elle soit soumise au magistrat en charge de l'enquête (étant précisé que, en cas de désaccord, l'agent ou l'officier disposera d'une possibilité de recours devant la chambre de l'instruction ou devant le procureur général) ;

- les sanctions encourues par ceux qui divulgueraient l'identité réelle d'un officier ou d'un agent bénéficiant de l'anonymat.

Les auditions ont également montré qu'il était utile d'étendre cet anonymat renforcé aux agents des douanes et aux effectifs de l'État chargés d'intervenir contre les trafics en mer. Elles ont, enfin, permis d'établir que l'autorisation de l'autorité hiérarchique n'était pas juridiquement requise et qu'il était, par conséquent, possible d'assouplir encore davantage le système proposé et d'en renforcer l'impact positif sur les services chargés de la lutte contre les réseaux de criminalité organisée.

Ces évolutions ont été intégrées un amendement n° COM-73 des rapporteurs, auquel la commission a souscrit.

La commission a adopté l'article 15 ainsi modifié.

Article 15 bis (nouveau)
Recours aux hyper-trucages pour protéger l'identité des infiltrés
et des témoins menacés

En adoptant un amendement des rapporteurs portant article additionnel la commission a souhaité conforter l'action des services en charge de la lutte contre la criminalité organisée en sécurisant le recours aux hyper-trucages (mieux connus sous leur nom anglais de deep fakes) dans le cadre des enquêtes sous pseudonyme et des infiltrations.

Le code de procédure pénale autorise les officiers (et, dans certains cas, les agents) de police judiciaire spécialement habilités à faire usage, sous le contrôle d'un magistrat et dans un cadre juridique clairement défini, d'une identité d'emprunt ; il en va de même pour les agents des douanes, dans le cadre spécifique prévu par le code des douanes.

Tel est notamment le cas s'agissant :

- des investigations relatives aux infractions commises en ligne (article 230-46 du code de procédure pénale et article 67 bis-1 A du code des douanes) ;

- des infiltrations (articles 706-81 et suivants du code de procédure pénale, et article 67 bis du code des douanes).

Bien que ces hypothèses puissent ouvrir, en l'état du droit, la possibilité de recourir à des outils de transformation de la voix, par renvoi à l'article 706-61 du code de procédure pénale, deux lacunes demeurent :

- d'une part, cette possibilité n'est pas systématique (elle est prévue pour l'infiltration mais, étonnamment, pas pour les enquêtes numériques sous pseudonyme) ;

- d'autre part, la rédaction actuelle des textes ne permet pas de couvrir le recours à des hyper-trucages, ou deep fakes, c'est-à-dire à des techniques fondées sur l'intelligence artificielle pour modifier l'apparence physique (morphing facial) et/ou la voix des agents concernés, alors même que de tels outils seraient, selon les représentants de la police et de la gendarmerie nationales et des douanes, d'une grande utilité pour la conduite de leurs missions.

En vue de combler ces manques, la commission a adopté l'amendement n° COM-74 des rapporteurs autorisant l'utilisation de tout « dispositif permettant d'altérer ou de transformer [la] voix ou [l']apparence physique » des agents lorsqu'ils recourent aux procédures précitées.

La commission a adopté l'article 15 bis ainsi rédigé.

Article 16
Régime du déploiement des techniques spéciales d'enquête

Ayant fait le constat que le contradictoire, exigence cardinale (et légitime) de la procédure pénale, pouvait avoir pour effet de rendre inutilisables certaines techniques spéciales d'enquête particulièrement sensibles, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité mieux assurer la conciliation entre ce principe et la nécessaire recherche des auteurs d'infractions pénales. C'est pourquoi, reprenant la recommandation n° 23 de la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, ils proposent la mise en place d'un procès-verbal distinct inspiré du droit belge, dans lequel seraient inscrits les éléments techniques relatifs au déploiement de certains mécanismes d'investigation qui ne peuvent rester efficaces que s'ils sont inconnus : ceux-ci se trouveraient ainsi soumis à un contrôle systématique de la chambre de l'instruction, mais resteraient inaccessibles aux personnes mises en cause et à leurs avocats.

Les auteurs proposent également, là encore dans le prolongement des conclusions de la commission d'enquête sur le narcotrafic, d'uniformiser le régime juridique des techniques spéciales d'enquête et de faciliter l'utilisation des plus efficaces d'entre elles en fixant, pour le déploiement de la géolocalisation et de l'interception de correspondances émises par la voie des communications électroniques (donc, entre autres, les écoutes téléphoniques), une même durée d'autorisation, à savoir deux mois, renouvelable deux fois.

En adoptant un amendement n° COM-75 des rapporteurs, la commission des lois a :

- encadré les indications susceptibles d'être inscrites dans le procès-verbal distinct et renforcé les garanties offertes aux justifiables ;

- précisé les conséquences de l'éventuelle révocation de l'autorisation de recourir au procès-verbal distinct ;

- clarifié les conditions du contrôle systématique qui sera exercé par la chambre de l'instruction sur le contenu de ce procès-verbal ;

- prévu le versement au dossier de l'ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention.

Par ailleurs, reprenant une recommandation de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic et sur la proposition d'Étienne Blanc, la commission a clarifié les conditions dans lesquelles le magistrat compétent autorise le recours à la géolocalisation (sous-amendement n° COM-89).

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

1. Le dispositif initial de l'article 16

L'article 16 poursuit deux objectifs : d'une part, il vise à mettre en place un procès-verbal distinct permettant de ne pas verser au dossier de la procédure des éléments techniques sensibles dès lors que ces derniers ne constituent pas des preuves et à la condition qu'un strict contrôle soit exercé sur les informations confidentielles ; d'autre part, il entend clarifier les conditions du recours à la géolocalisation et à l'interception de correspondances émises par la voie des communications électroniques en prévoyant que ces deux techniques pourront être autorisées par un magistrat pour une durée de deux mois, renouvelable deux fois.

· Le procès-verbal distinct

Inscrit à l'article préliminaire du code de procédure pénale, aux termes duquel « [l]a procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties », le principe du contradictoire assure à une personne qu'elle ne sera pas jugée sans avoir été entendue ni sans avoir eu la possibilité de connaître l'ensemble des arguments - de fait, de droit et de preuve - retenus contre elle et sur le fondement desquels elle sera jugée. En pratique, ce principe impose que tous les éléments de preuve, ainsi que les modalités de leur recueil, soient matérialisés dans des procès-verbaux eux-mêmes rendus accessibles à la personne mise en cause et à son avocat, afin de permettre à celle-ci d'organiser sa défense et de contester les résultats de l'enquête ou de l'instruction.

Dans les investigations relatives à la criminalité organisée, le recueil des preuves est particulièrement complexe - ce qui justifie, aux côtés de la gravité des faits concernés, qu'il soit fait recours à des techniques spéciales d'enquête (TSE) prévues par les articles 706-80 et suivants du code de procédure pénale (surveillance, infiltration, enquête sous pseudonyme, accès à distance aux correspondances stockées par la voie de communications électroniques accessibles au moyen d'un identifiant informatique, recueil des données techniques de connexion et des interceptions de correspondance émises par la voie des communications électroniques, sonorisations et fixations d'images de certains lieux ou véhicules, captation des données informatiques). Intrusives, celles-ci sont soumises à d'importantes restrictions : leur usage est limité aux infractions de la délinquance et de la criminalité organisées et elles doivent pour la plupart être autorisées, pour une durée restreinte, par le juge des libertés et de la détention, qui rend une ordonnance motivée attestant notamment du respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité.

En l'état du droit, les preuves recueillies par le biais des TSE sont soumises au droit commun de la preuve : en d'autres termes, les procès-verbaux retracent dans le détail non seulement les techniques utilisées, mais aussi leurs modalités de déploiement.

Selon la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic, le principe du contradictoire est aujourd'hui dévoyé par les membres des réseaux de la délinquance et de la criminalité organisées qui, grâce aux indications glanées au fil des dossiers sur les modes d'action des services d'enquête, utilisent la transparence dont la justice fait preuve pour se mettre à l'abri de toute sanction. Certaines techniques sont ainsi devenues obsolètes, les trafiquants ayant mis en oeuvre des contournements qui les rendent inutilisables (à l'instar des écoutes téléphoniques, mises en échec par la pratique des délinquants chevronnés de changer régulièrement de ligne de téléphone ou de recourir à des réseaux de communication cryptés, voire des applications privées comme EncroChat et Sky ECC). Surtout, et toujours selon le rapport de la commission d'enquête, cette situation rend inutilisables des techniques innovantes, malgré leur efficacité redoutable. Tel est notamment le cas des key-loggers, logiciels qui permettent une captation en direct des données affichées sur un téléphone ou un ordinateur mais dont le mode de fonctionnement, ainsi que de pose et de retrait, est par nature sensible. Tel est également le cas pour d'autres techniques : Stéphanie Cherbonnier, alors cheffe de l'Ofast, indiquait à la commission d'enquête lors de son audition en novembre 2023 que « [l]e faible recours à l'infiltration en matière de trafics de stupéfiants s'expliqu[ait] avant tout par le fait que la retranscription en procédure de toutes les actions mises en oeuvre - ensuite versée au contradictoire - donn[ait] des clés aux organisations criminelles, qui non seulement rechercheront des vices de procédure, mais comprendront aussi les méthodes utilisées »89(*) - ce qui faisait par ailleurs peser un risque majeur sur la vie de la personne infiltrée.

Plus grave encore, il apparaît que, pour éviter de « donner des billes à l'adversaire »90(*), les enquêteurs renoncent parfois à utiliser des TSE pour éviter de divulguer des méthodes susceptibles d'être employées dans un grand nombre d'investigations, ce qui ne semble être ni l'objet, ni l'effet escompté de l'application normale du principe du contradictoire.

Pour répondre à cette situation, la commission d'enquête du Sénat avait recommandé la mise en place d'un procès-verbal distinct (ci-après, PVD) permettant de maintenir la confidentialité de certaines données sensibles qui, sans constituer en elles-mêmes des preuves, sont un révélateur des méthodes utilisées pour rechercher les auteurs d'infractions.

Le fonctionnement prévu par les auteurs de la proposition de loi pour mettre en oeuvre cette recommandation serait le suivant.

Sur le plan matériel, l'article 16 du texte fixe les éléments pouvant être inclus dans le futur PVD : il s'agirait des informations relatives à la date, l'horaire ou le lieu de la mise en oeuvre d'une technique spéciale d'enquête, aux caractéristiques de leur fonctionnement, aux méthodes d'exécution de celles-ci et aux modalités de leur installation ou de leur retrait. Par ailleurs, la confidentialité de ces informations ne serait pas absolue : elle serait conditionnée au fait que leur divulgation serait de nature soit à « mettre en danger la sécurité d'agents infiltrés, de collaborateurs de justice, de témoins protégés [...] ou de leurs proches », soit à « porter une atteinte grave et irrémédiable à la possibilité de déployer à l'avenir les mêmes techniques ». À l'inverse, le texte exclut que puissent être inscrites au PVD les « indication[s] permettant d'identifier les personnes visées par ladite technique et la période de son déploiement ainsi que d'apprécier le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité ». Il prévoit également que les éléments ainsi rendus secrets ne pourront pas constituer une preuve : inconnus des personnes mises en cause, ils ne seront pas invoqués contre elles.

Le texte précise enfin que la divulgation des éléments inscrits dans le procès-verbal distinct sera passible des peines prévues en cas d'atteinte au secret de l'identité d'un agent des services de renseignement : cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, et jusqu'à dix ans et 150 000 euros d'amende lorsque cette révélation a conduit à la mort de l'agent ou de l'un de ses proches.

Sur le plan procédural, le procès-verbal distinct répondrait à un contrôle strict. L'autorisation d'y recourir serait sollicitée, en amont, par le procureur de la République ou le juge d'instruction auprès du juge des libertés et de la détention ; celui-ci se prononcerait par une ordonnance motivée, elle aussi confidentielle aux termes du texte initial de l'article 16, et pourrait à tout moment ordonner l'interruption de la mise en oeuvre de la technique.

Dès la fin du déploiement de la technique, le procès-verbal distinct et l'ordonnance correspondante seraient soumis à la chambre de l'instruction, qui opérerait ce faisant un contrôle systématique. Outre ses pouvoirs traditionnels d'annulation des preuves obtenues en violation des règles de procédure, la chambre pourrait décider de verser au dossier les éléments indispensables à la manifestation de la vérité.

· L'extension des délais « plafonds » d'autorisation du recours à certaines techniques spéciales d'enquête

Par ailleurs, l'article 16 vient harmoniser la durée maximale d'autorisation du recours à deux techniques spéciales dont les travaux de la commission d'enquête ont montré l'importance dans la lutte contre le narcotrafic, à savoir :

- la géolocalisation, prévue par l'article 230-33 du code de procédure pénale : celle-ci est actuellement autorisée pour les infractions graves (flagrance, enquête préliminaire, procédure lancée à la suite d'une mort suspecte ou de cause inconnue, à la suite de la disparition d'un mineur ou d'un majeur protégé, crime et infractions liées à la criminalité organisée)91(*) pour une durée maximale de quinze jours, et de huit jours dans les autres cas ; à l'issue de ces délais, la géolocalisation peut être renouvelée pour une durée maximale d'un mois par le juge des libertés et de la détention, qui la renouvelle dans les mêmes conditions de forme et de durée dans la limite de deux ans pour les infractions de la criminalité organisée et d'un an dans les autres cas ;

- les interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques qui, en cas de flagrance ou d'enquête préliminaire pour une infraction liée à la criminalité organisée, peuvent être autorisées par le juge des libertés et de la détention pour une durée maximum d'un mois, renouvelable une fois. Comme en témoigne le terme large de « communications électroniques », de telles interceptions couvrent non seulement les écoutes téléphoniques (qui, bien que pour partie tombées en désuétude du fait de la montée en puissance des communications cryptées, restent une source importante d'informations pour les enquêteurs, notamment s'agissant de la lutte contre les trafics en prison et en zone rurale92(*)), mais aussi les correspondances transmises par le biais d'internet.

Les auteurs proposent de fixer à deux mois, renouvelable deux fois, la durée maximale d'utilisation de ces techniques - qui resteraient soumises à l'autorisation puis au contrôle du juge des libertés et de la détention ; pour la géolocalisation, cette évolution se limiterait aux infractions liées à la criminalité organisée, les autres crimes et délits restant régis par un régime juridique inchangé.

2. La position de la commission des lois

La commission des lois a longuement débattu du procès-verbal distinct en vue de déterminer s'il était de nature à assurer une conciliation équilibrée entre le principe du contradictoire et la recherche des auteurs d'infractions pénales.

Premièrement, elle a constaté que, bien qu'original, un tel système ne serait pas inédit dans le droit français.

En procédure pénale, tout d'abord, notre droit connaît déjà une forme simplifiée de procès-verbal distinct qui résulte de l'article 706-58 du code. Celui-ci permet au juge des libertés et de la détention, sur requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction et pour les procédures portant sur des infractions punies d'au moins trois ans d'emprisonnement, d'autoriser le recueil des déclarations d'un témoin menacé sans que son identité apparaisse dans le dossier de la procédure ; l'identité et l'adresse du témoin sont alors inscrites dans un procès-verbal qui est versé dans un dossier distinct du dossier de la procédure.

Par ailleurs, des procédures comparables existent déjà dans d'autres domaines du droit national.

Dans les instances civiles ou commerciales, l'article L. 153-1 du code du commerce (issu de la n° 2018-670 du 30 juillet 2018) permet au juge, en présence de pièces couvertes par le secret des affaires, de déroger au principe du contradictoire en limitant la communication ou la production des pièces à certains éléments, en restreignant l'accès à ces pièces et en adaptant la motivation de sa décision aux nécessités de la protection du secret des affaires, « sans préjudice de l'exercice des droits de la défense ».

Un tel système existe également devant le juge administratif pour le contentieux lié à la mise en oeuvre des techniques de renseignement soumises à autorisation et pour celui des fichiers intéressant la sûreté de l'État, dans les conditions fixées par l'article L. 773-1 du code la justice administrative ; il concerne, en outre, certaines décisions administratives (dissolution d'une association ou d'un groupement de fait ; interdiction de sortie du territoire français et contrôle administratif des retours sur le territoire national ; fermeture d'un lieu de culte ; gel des avoirs ; refus de délivrance ou le retrait d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ; opposition à l'acquisition de la nationalité française par mariage...).

Preuve de la confiance raisonnable que l'on peut avoir dans la robustesse d'un tel dispositif, l'article L. 773-11 a récemment été inséré dans le code de la justice administrative, à l'occasion de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration et à l'initiative du Gouvernement. Lorsque des considérations relevant de la sûreté de l'État s'opposent à la communication d'informations ou d'éléments sur lesquels reposent les motifs de l'une des décisions précitées - soit parce que cette communication serait de nature à compromettre une opération de renseignement, soit parce qu'elle conduirait à dévoiler des méthodes opérationnelles des services de renseignement -, et lorsque la protection de ces informations ou de ces éléments ne peut être assurée par d'autres moyens, cet article donne à l'administration la faculté de les transmettre par un mémoire séparé en exposant les raisons impérieuses qui s'opposent à ce qu'elles soient versées au débat contradictoire. Dans un tel cas, le juge administratif statue sur le litige sans soumettre ces informations au débat contradictoire, et même sans en révéler l'existence et la teneur dans sa décision. En revanche, lorsque le juge estime que les éléments communiqués sont sans lien avec la sûreté de l'État, il informe l'administration qu'il entend les verser au débat contradictoire, et cette dernière peut alors refuser de les communiquer.

La commission des lois a, en second lieu, constaté que des mécanismes analogues au PVD existaient dans des pays voisins, et que certains avaient déjà été soumis au juge européen. C'est ainsi que la Cour européenne des droits de l'homme a jugé, le 23 mai 2017, que le recours par l'État belge à des méthodes particulières de d'observation et d'infiltration, dans le cadre d'une enquête pénale dont les éléments sont versés dans un dossier confidentiel non contradictoire, n'était pas contraire au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans cette affaire qui portait justement sur des faits de trafic de stupéfiants, la Cour a jugé que ce dossier confidentiel faisait l'objet d'un contrôle effectif, effectué par la chambre des mises en accusation de la cour d'appel, donc par une juridiction indépendante et impartiale qui était en capacité d'examiner la régularité d'une telle procédure. Elle a, plus largement, rappelé que « le droit à une divulgation des preuves pertinentes n'est pas absolu » puisque, dans une procédure pénale donnée, « il peut y avoir des intérêts concurrents - tels que la sécurité nationale ou la nécessité de protéger des témoins risquant des représailles ou de garder secrètes des méthodes policières de recherche des infractions - qui doivent être mis en balance avec les droits de l'accusé ». Par conséquent, « dans certains cas, il peut être nécessaire de dissimuler certaines preuves à la défense de façon à préserver les droits fondamentaux d'un autre individu ou à sauvegarder un intérêt public important ».

La Cour reconnaît ainsi la licéité des aménagements que les États apportent au principe du contradictoire, dès lors que ceux-ci sont « absolument nécessaires » et que « toutes difficultés causées à la défense par une limitation de ses droits [sont] suffisamment compensées par la procédure suivie devant les autorités judiciaires », eu égard notamment à l'existence d'un contrôle impartial et indépendant des pièces concernées.

La Cour de justice de l'Union européenne a, dans le même sens, admis dès 2012 une « exception d'asymétrie » au principe du contradictoire dans le cas de motifs impérieux liés, en l'espèce, à la lutte contre le terrorisme93(*). Les articles 103 et 105 du règlement de procédure du Tribunal de l'Union européenne reconnaissent d'ailleurs la possibilité d'atteintes, strictement limitées et nécessaires, au principe du contradictoire pour des motifs liés à la confidentialité des pièces et documents à l'égard de l'une des parties ainsi qu'à la sûreté de l'Union ou de l'un ou plusieurs de ses États membres.

Enfin et surtout, la commission des lois a observé que le système proposé par les auteurs de la proposition de loi était compatible avec la jurisprudence constitutionnelle sur les droits de la défense.

En effet, le Conseil constitutionnel a été appelé à se prononcer, par une décision du 25 mars 2014, sur la conformité à la Constitution d'un dispositif qui poursuivait un objectif analogue à celui de l'article 1694(*) et qui prévoyait que certains éléments relatifs à la mise en place et au retrait d'un moyen de géolocalisation pourraient ne pas apparaître dans le dossier de la procédure. Le Conseil a, à cette occasion :

- émis une réserve d'interprétation afin de rappeler que les droits de la défense seraient méconnus dans le cas où la chambre de l'instruction ne serait pas mise en mesure de contrôler les éléments qui n'ont pas été versés au dossier ;

censuré une disposition permettant « qu'une condamnation puisse être prononcée sur le fondement d'éléments de preuve alors que la personne mise en cause n'a pas été mise à même de contester les conditions dans lesquelles ils ont été recueillis ». Selon le commentaire de la décision, « une telle affirmation de principe [implique] qu'une information mettant en cause une personne ne peut pas constituer un élément de preuve devant la juridiction répressive si la personne mise en cause est privée de la possibilité de contester les conditions dans lesquelles [elle a] été recueillie » ; cependant, aux yeux du Conseil, cette même affirmation « n'implique pas que l'origine et les conditions de recueil de tous les renseignements obtenus dans le cadre de l'enquête ou de l'instruction, et qui permettent de l'orienter, soient versées au dossier et ainsi soumises au principe du contradictoire ».

Les rapporteurs estiment que le dispositif de la proposition de loi est conforme à cette jurisprudence. D'une part, l'article 16 prévoit un contrôle systématique de la chambre de l'instruction, ce qui permet d'éviter toute atteinte aux droits de la défense au sens de la décision du 25 mars 2014 ; ce faisant, le texte va même au-delà de l'exigence tendant à ce que la personne mise en cause ait la faculté de contester les conditions dans lesquelles les techniques spéciales d'enquête utilisées à son encontre auront pu être déployées. D'autre part, le dispositif soumis au Sénat prévoit que les indications qui ne seront pas soumises au contradictoire ne pourront pas, par elles-mêmes, constituer des preuves - ce qui implique qu'un élément de date, d'horaire et de lieu rendu secret ne pourra pas être invoqué afin, par exemple, de prouver la présence d'une personne mise en cause sur la scène de commission d'une infraction : là encore, il apporte une garantie dont la loi déférée en 2014 était dénuée et écarte le risque d'une remise en cause du principe d'égalité des armes au détriment de la défense.

La commission a cependant considéré qu'il était possible de renforcer les garanties apportées aux justiciables en cas d'utilisation du procès-verbal distinct. À l'initiative des rapporteurs (amendement n° COM-75), et outre la correction d'une malfaçon légistique s'agissant de la géolocalisation95(*), elle a ainsi :

- mieux encadré les indications susceptibles d'être inscrites dans le procès-verbal distinct et précisé que, quel que soit le motif de recours à ce procédé, il devrait être limité aux cas où il est « nécessaire à la manifestation de la vérité » ;

recentré ce dispositif sur les techniques spéciales d'enquêtes les plus sensibles, afin notamment d'exclure son utilisation en matière d'écoutes téléphoniques, ce qui constitue l'une des garanties de respect du principe de proportionnalité ;

précisé les conséquences de la révocation éventuelle de l'autorisation de recourir au procès-verbal distinct comme les conditions du contrôle systématique qui sera exercé par la chambre de l'instruction sur le contenu de celui-ci, pour expliciter la faculté qui sera donnée à la chambre soit de prononcer la nullité du recours à la technique soumise au PVD, soit de verser les éléments recueillis au dossier ;

- enfin, prévu le versement au dossier de la procédure, accessible aux parties, de l'ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention autorisant le recours au procès-verbal distinct.

La commission a par ailleurs, en adoptant un sous-amendement n° COM-89 d'Etienne Blanc, et conformément aux recommandations de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France, clarifié les modalités d'autorisation du recours à la géolocalisation.

La commission a adopté l'article 16 ainsi modifié.

Article 17
Incitation à la commission d'une infraction

S'appuyant sur la recommandation n° 23 de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, les auteurs de la proposition de loi envisagent un élargissement substantiel de la notion d'« incitation à la commission d'une infraction », c'est-à-dire des limites qui s'imposent aux policiers, gendarmes et douaniers infiltrés - dont les actes ne peuvent contribuer à la condamnation de leurs « complices » que si ces derniers n'ont pas été poussés à la faute par l'agent infiltré.

Adoptant cet article, la commission des lois a néanmoins, à l'initiative des rapporteurs, restreint le dispositif proposé pour garantir sa conformité à la Constitution : pour ce faire, elle a supprimé la possibilité (que les auteurs souhaitaient donner au magistrat en charge des investigations) d'autoriser les agents infiltrés à commettre certaines infractions.

1. Les conditions complexes d'intervention des agents infiltrés

L'infiltration est une technique spéciale d'enquête (TSE) définie par les articles 706-81 à 706-87 du code de procédure pénale et par l'article 67 bis du code des douanes. Elle consiste, pour un officier de police ou de douane judiciaire, à se faire passer auprès des personnes suspectées de commettre des faits graves (c'est-à-dire rattachés à la délinquance et à la criminalité organisées) comme un coauteur, un complice ou un receleur de l'infraction sur laquelle portent les investigations. Les agents infiltrés et les personnes requises dans le cadre de l'infiltration bénéficient d'une exonération de responsabilité pénale pour les actes tendant à :

- d'une part, acquérir, détenir, transporter, livrer ou délivrer des substances, biens, produits, documents ou informations tirés de la commission des infractions ou servant à la commission de ces infractions ;

- d'autre part, utiliser ou mettre à disposition des personnes se livrant à ces infractions des moyens de caractère juridique ou financier ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d'hébergement, de conservation et de télécommunication.

En revanche, à peine de nullité, leurs actes « ne peuvent constituer une incitation à commettre des infractions » (article 706-81).

Selon les données recueillies par la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, entre 2019 et 2023, neuf opérations d'infiltration ont été conduites dans le cadre d'enquêtes sur des trafics de stupéfiants, pour quatre ayant produit un résultat et 15 interpellations ; sur la même période, six opérations ont été menées en matière de blanchiment, dont trois ayant produit des résultats et 20 interpellations.

Outre l'hypothèse stricte de l'infiltration, les dispositions permettant la conduite d'enquêtes sous pseudonyme (par exemple, pour les « coups d'achat » qui font l'objet de l'article 18 du présent texte) reposent elles aussi sur une rédaction qui interdit toute « incitation à la commission d'une infraction ».

Dans les deux cas, la loi s'abstient de définir les contours d'une telle incitation - ce qui contribue à placer les services d'enquête dans l'insécurité juridique : comme le résumait Étienne Blanc dans le rapport de la commission d'enquête, cette situation « [laisse] les enquêteurs dans un flou artistique qui n'engage pas à l'action ».

Plus largement, selon la commission d'enquête, le silence de la loi laisserait l'agent infiltré dans l'incertitude quant aux manières dont il peut valablement interagir avec ceux qui, le croyant leur complice, leur client ou leur associé, ne sauraient s'attendre à ce qu'il assiste passivement à la préparation puis à la commission d'un crime ou d'un délit. C'est pourquoi la commission d'enquête avait plaidé pour « un assouplissement (ou a minima une clarification) de la notion d'incitation à la commission d'une infraction qui, aujourd'hui imprécise et insécurisante, dissuade les services répressifs de recourir à l'infiltration - qui est pourtant un outil puissant de démantèlement des réseaux ».

Appliquant cette recommandation et allant clairement dans le sens de l'assouplissement, l'article 17 de la proposition de loi prévoit de caractériser cette notion par la négative. Sans définir positivement ce qu'est une incitation, le code de procédure pénale préciserait ainsi que :

- celle-ci ne peut porter que « sur une infraction autre que l'une de celles visées par l'autorisation délivrée par le procureur de la République ou par le juge d'instruction », allant plus loin que la prohibition actuelle qui porte sur toute infraction, quelle qu'en soit la nature, tout en posant l'exigence d'une autorisation préalable du magistrat en charge des investigations ;

- ne constituent pas une incitation à commettre une infraction, « les actes qui contribuent à la poursuite d'une infraction déjà préparée ou débutée au moment où l'autorisation [...] a été délivrée par le magistrat compétent, y compris en cas de réitération ou d'aggravation de l'infraction initiale » : en d'autres termes, l'infiltré ne pourrait pas aller au-delà de la situation telle qu'il l'a trouvée, si ce n'est pour continuer l'infraction déjà débutée (et qui a, en toute logique, justifié la décision de recourir à l'infiltration).

2. Restreindre la portée du dispositif pour garantir sa pleine conformité à la Constitution

Les travaux des rapporteurs ont mis au jour l'existence d'un risque constitutionnel lourd s'agissant de la possibilité donnée aux infiltrés, sur autorisation du magistrat compétent, de commettre des infractions pénales : la commission a, par conséquent, adopté un amendement n° COM-76 des rapporteurs supprimant cette faculté, juridiquement périlleuse.

Par le même amendement, elle a mis le code des douanes en cohérence avec la nouvelle rédaction proposée pour le code de procédure pénale et appliqué, en matière d'infiltrations et d'enquêtes sous pseudonyme douanières, les mêmes précisions que celles qu'elle a soutenues dans le droit commun.

La commission a adopté l'article 17 ainsi modifié.

Article 18
Facilitation des « coups d'achat »

Afin de faciliter la réalisation des « coups d'achat » et de permettre aux officiers et agents de police judiciaire agissant sous pseudonyme sur les plateformes en ligne sur lesquelles des produits stupéfiants sont vendus de lutter plus efficacement contre le narcotrafic, l'article 18 prévoit que ceux-ci pourront, après avoir acquis ces produits, profiter de cette opération pour « remonter » le réseau.

La commission des lois a adopté cet article, modifié par deux amendements (n° COM-77 et n° COM-78) permettant de préciser ce dispositif et d'étendre l'utilisation de l'identité d'emprunt à l'ensemble des « coups d'achat », y compris ceux qui ne sont pas conduits en ligne.

1. Les « coups d'achat » : un outil efficace mais limité par une rédaction formellement restrictive

L'article 706-32 du code de procédure pénale ouvre aux officiers de police judiciaire et, sous leur autorité, aux agents de police judiciaire, la faculté d'acquérir des produits stupéfiants et, en vue de cette acquisition, de mettre à la disposition des auteurs de telles infractions des moyens de diverses natures (juridiques, financiers, de transport, de dépôt, d'hébergement, de conservation ou de télécommunication). Ces opérations, communément appelées « coups d'achat », sont distinctes des opérations d'infiltration mais peuvent, pour des achats en ligne, être conduites sous le régime de l'enquête sous pseudonyme prévu par l'article 230-46 du code de procédure pénale. Elles supposent en tout état de cause une autorisation préalable du procureur de la République ou du juge d'instruction saisi des faits (avec, dans ce second cas, une information du parquet) ; cette autorisation est versée au dossier et ne peut constituer une incitation à commettre une infraction.

Outre une modification de l'article 706-32 par coordination avec ce qui est prévu, à l'article 13 du présent texte, en matière d'élargissement de la notion d'« incitation à commettre une infraction » (voir supra), et pour faciliter le recours aux « coups d'achat », les auteurs proposent des aménagements inspirés par les conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, à savoir :

- la reconnaissance explicite de la possibilité donnée aux officiers et agents de police judiciaire de recourir à une identité d'emprunt lorsque le « coup d'achat » a lieu en réponse à une offre de vente de produits stupéfiants diffusée sur un service de communication au public par voie électronique ;

- surtout, la possibilité donnée à ces officiers et agents, après avoir conclu la vente, d'assurer sur l'ensemble du territoire la surveillance de l'acheminement ou du transport des produits stupéfiants ainsi acquis.

Ce second point répond directement aux recommandations de la commission d'enquête, qui relevait dans son rapport final que les services d'enquête étaient insuffisamment armés pour lutter contre les phénomènes de dématérialisation du trafic (« Uber Shit » ou « Uber coke »), plus discrets et donc plus pernicieux. Étienne Blanc soulignait ainsi que « si un enquêteur, dûment habilité à cet effet, peut se faire passer pour un acheteur et acquérir un produit illicite sur un réseau social quand un autre utilisateur le propose, il ne peut ensuite que procéder à la transaction à laquelle a mené cet échange (donc à un achat ponctuel) et arrêter le vendeur et/ou le livreur sur place, au moment de la livraison. En d'autres termes, il ne peut pas décider de surseoir à cette arrestation pour s'engager dans une enquête de plus grande ampleur lui permettant d'identifier non plus seulement le livreur ou le vendeur, mais les lieux de stockage, les modes opératoires du réseau, etc., et in fine les donneurs d'ordre ou les logisticiens ».

2. La position de la commission des lois : conforter et étendre l'initiative des auteurs

Souscrivant sans réserve au dispositif proposé par les auteurs, la commission a adopté deux amendements des rapporteurs pour en renforcer la portée en :

- autorisant, par coordination avec le nouvel article 15 bis, les personnels concernés à recourir aux hyper-trucages pour mener plus efficacement leurs investigations (amendement n° COM-78) ;

étendant le bénéfice d'une identité d'emprunt, sur autorisation du magistrat compétent, à toutes les formes de « coup d'achat », y compris celles qui ne se déroulent pas dans l'espace numérique (amendement n° COM-77).

La commission a adopté l'article 18 ainsi modifié.

Article 19
Création d'un statut des informateurs et de leurs traitants
et d'une « infiltration civile »

Reprenant les propositions de la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, l'article 19 vise, d'une part, à mettre en place un véritable statut des informateurs et de leurs traitants afin de sécuriser les relations entre les officiers de police judiciaire et leurs sources humaines et, d'autre part, à permettre au futur Pnaco d'autoriser l'infiltration des indicateurs dans les réseaux de narcotrafic.

La commission des lois a opéré, à l'initiative des rapporteurs, une large réécriture de l'article afin d'en préciser la portée et, surtout, d'imposer aux futurs « infiltrés civils » de témoigner au cours des procédures engagées en répression des infractions qu'ils auront contribué à révéler.

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

1. Le statut imparfait des informateurs, source d'insécurité juridique pour les enquêteurs

Le rôle des sources humaines - c'est-à-dire des informateurs, ou « indicateurs » - est déterminant dans la lutte contre le narcotrafic : comme le résumait Étienne Blanc dans son rapport précité, « le renseignement humain demeure la clé de voûte des investigations menées en matière de trafics de stupéfiants et, plus généralement, de criminalité organisée », puisque « les moyens sophistiqués dont disposent les têtes de réseaux pour se protéger tout comme la division des tâches entre organisations criminelles rendent indispensables l'obtention d'informations par le biais de sources internes, pour arriver à remonter les réseaux et à les connecter entre eux ».

Les informateurs sont soumis à un statut qui diffère nettement de celui des « repentis » ou des infiltrés. En effet, s'ils bénéficient de la protection de leur anonymat sur le fondement des dispositions applicables aux témoins menacés, prévues par l'article 706-58 du code de procédure pénale96(*), ils ne sont éligibles à aucune forme d'exonération ou d'atténuation de leur responsabilité pénale : ils sont donc supposés ne pas pouvoir prendre part à l'infraction qu'ils dénoncent. En revanche, en cas de condamnation, ils peuvent bénéficier d'une réduction exceptionnelle de peine pouvant aller jusqu'à un tiers de la peine prononcée, dans les conditions fixées par l'article 721-3 du code, c'est-à-dire lorsque les déclarations qu'ils ont faites « antérieurement ou postérieurement à leur condamnation ont permis de faire cesser ou d'éviter la commission d'une infraction aux articles 706-73, 706-73-1 et 706-74 » : cette possibilité paraît toutefois très peu utilisée par les magistrats.

Par ailleurs, la rémunération des informateurs est rendue possible par l'article 15-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, qui dispose que « les services de police et de gendarmerie ainsi que les agents des douanes habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application de l'article 28-1 du code de procédure pénale peuvent rétribuer toute personne étrangère aux administrations publiques qui leur a fourni des renseignements ayant amené directement soit la découverte de crimes ou de délits, soit l'identification des auteurs de crimes ou de délits ».

Hors du domaine législatif, le statut des informateurs repose également sur une immatriculation effectuée par le bureau central des sources du service interministériel d'assistance technique (Siat), et sur une charte établie en 2012 puis mise à jour en 2019, en vue de « prévenir certaines difficultés ou comportements litigieux qui ont pu être observés par le passé, à défaut d'un encadrement suffisant en droit »97(*).

La charte des informateurs

Les informateurs doivent être immatriculés dans le fichier central de traitement des sources (FCTS), dont l'architecture garantit que l'identité de l'informateur est seulement accessible au traitant, au contrôleur et au superviseur. Préalablement à son enregistrement, un informateur doit avoir fait l'objet d'une évaluation collégiale, qui prend en compte son potentiel mais aussi les risques qui peuvent venir de la collaboration.

La gestion d'une source implique en effet cinq profils :

- l'autorité hiérarchique, responsable de l'effectivité de la mise en oeuvre des prescriptions de la charte et du contrôle de leur respect ;

- le superviseur, qui exerce un commandement opérationnel. Il supervise et s'assure du contrôle de l'activité des traitants dans la gestion des sources. Il est également le garant de leur formation ;

- la personne ressource, qui assiste administrativement le superviseur. Elle dispose d'un droit de consultation des comptes des traitants ainsi que des « fiches informateurs » et des rémunérations de son département ;

- le contrôleur, désigné par l'autorité hiérarchique. Il exerce un commandement direct sur les traitants et suit au quotidien l'activité de gestion des sources. Il donne un avis pour tout enregistrement du traitant, toute immatriculation d'une source et toute proposition de rémunération de l'informateur ;

- le traitant, qui désigne le personnel actif qui entretient, dans le cadre de ses missions, des relations avec l'informateur aux fins de recueillir du renseignement à finalité judiciaire. Chaque informateur est obligatoirement géré par deux co-traitants et les rendez-vous avec l'informateur sont assurés en présence d'un autre personnel de police, sauf dérogation octroyée par le contrôleur, la personne ressource ou le superviseur. Le traitant doit établir une note d'information pour tout renseignement opérationnel recueilli auprès de l'informateur ainsi que pour toute proposition émanant de l'informateur.

Lorsqu'il est mis fin à une relation entre une source et son traitant, la radiation doit être enregistrée dans le FCTS. La radiation est obligatoire mais non définitive, la source pouvant être réactivée. Sont ainsi distinguées les radiations « simples », qui correspondent à des mises en sommeil de la source, et les demandes d'inscription sur « liste noire », pour des individus dont le comportement peut porter gravement atteinte au service et/ou à la sécurité du traitant.

Source : direction centrale de la sécurité publique, « Note du directeur ayant pour objet la révision de la charge du traitement des informateurs en matière de police judiciaire », 21 décembre 2019, citée par le rapport de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France.

Aux yeux de la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, ce cadre juridique pose plusieurs difficultés.

Tout d'abord, en l'absence de définition par la loi d'un statut des « traitants » des informateurs, donc des policiers, gendarmes et douaniers qui recueillent des renseignements auprès d'indicateurs, la gestion des sources humaines génère des risques juridiques pour les enquêteurs qui craignent d'être accusés de provocation à l'infraction ou, pire, de complicité.

Par ailleurs, le silence de la loi permet aussi à chaque service de conserver « ses » informateurs sans partager les renseignements qu'il fournit avec des services partenaires ou avec l'autorité judiciaire : la commission d'enquête relevait ainsi que « la gestion d'un informateur étant une charge à plein temps, impliquant des appels en dehors des services, un `traitement' très lourd comportant une part d'accompagnement psychologique, les policiers traitants sont légitimement réticents à les partager avec d'autres services - ou même avec leurs collègues au sein d'un même service ».

Enfin et surtout, la loi semble faire preuve d'une certaine hypocrisie en refusant d'envisager que les indicateurs prennent part à l'infraction sur laquelle ils apportent des renseignements - ce qui n'apparaît guère réaliste, étant rappelé que si les informateurs disposent d'éléments intéressants pour les enquêteurs, c'est parce qu'ils sont eux-mêmes des délinquants au contact de réseaux criminels. A fortiori, la rédaction actuelle du code ne couvre pas l'hypothèse, pourtant loin d'être rare dans la pratique des services spécialisés sur le « haut du spectre » de la criminalité, dans laquelle le « traitant » d'un indicateur oriente l'action de celui-ci et lui donne des directives claires pour faire avancer les investigations - ce qui rapproche très fortement l'informateur d'un véritable infiltré qui, en plus de poursuivre ses propres intérêts, permet aux officiers de police judiciaire d'avoir « des yeux et des oreilles » auprès de groupes dangereux et d'en faciliter, ce faisant, la neutralisation.

Cette analyse n'est pas l'apanage de la commission d'enquête : elle est partagée par la Cour des comptes qui, dans son récent rapport sur les forces de police à Marseille, soulignait qu'« en France, contrairement aux États-Unis, l'informateur peut provoquer la preuve d'une infraction, mais pas l'infraction elle-même (par exemple, passer une commande de produits stupéfiants) » et que « selon la police judiciaire locale, cette interdiction entrave l'activité policière, en particulier au port de Marseille »98(*).

C'est ainsi que, mettant en application la recommandation n° 26 de la commission d'enquête, les auteurs proposent deux innovations.

En premier lieu, ils prévoient la mise en place d'un véritable statut des informateurs et de leurs traitants. Inscrit au sein du code de procédure pénale, celui-ci reconnaîtrait la possibilité donnée aux policiers, gendarmes et douaniers habilités à conduire des enquêtes judiciaires de « rétribuer toute personne étrangère aux administrations publiques qui leur a fourni des renseignements ayant amené directement soit la découverte de crimes ou de délits, soit l'identification des auteurs de crimes ou de délits », les modalités de cette rétribution était définie par un arrêté conjoint du ministre de la justice, du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des finances. Ils proposent également de rappeler que l'identité de l'indicateur peut être protégée, sur décision motivée du magistrat en charge de l'enquête ou de l'instruction, lorsque la divulgation de celle-ci « est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique de cette personne, des membres de sa famille ou de ses proches ».

Il ne s'agit là que d'une clarification du droit en vigueur ; mais les auteurs proposent également plusieurs ajouts originaux, qui portent sur :

- la reconnaissance du fait qu'un indicateur peut avoir participé à la commission d'une infraction : dans un tel cas, le recueil de renseignements serait particulièrement encadré puisqu'il s'effectuerait « sous la responsabilité de l'autorité hiérarchique, sous la supervision d'un officier de police judiciaire spécialement habilité dans des conditions fixées par décret et sous le contrôle du magistrat en charge de l'enquête ou de l'instruction », ce dernier étant informé à tout moment de la nature des informations fournies par l'indicateur. Ce magistrat pourrait, par ailleurs, mettre fin à tout moment à la collecte de ces informations et révoquer les éventuels avantages accordés ou, à l'inverse, choisir de procéder lui-même au recueil des renseignements. Pour parer à tout risque de manipulation du traitant par des indicateurs, ces derniers feraient par ailleurs l'objet d'une évaluation collégiale, dans des conditions définies par le pouvoir réglementaire - ce qui reprend, mutatis mutandis, les règles fixées par l'actuelle charte des informateurs, bien qu'elles semblent peu appliquées dans les faits ;

- l'affirmation du principe selon lequel les indicateurs ayant transmis des renseignements peuvent bénéficier d'une réduction de peine, non plus de manière exceptionnelle et après la condamnation, mais dans les conditions prévues par le droit commun et applicables notamment aux repentis (voir supra) avant même le jugement au fond ;

- la consécration de l'existence d'un fichier des informateurs, prenant la suite du fichier actuellement géré par le Siat et assurant la bonne circulation des informations entre les services d'enquête et les magistrats compétents, dont l'encadrement serait renforcé grâce à l'intervention d'un décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ;

- le rappel des conditions d'intervention des services d'enquête, par référence à la notion d'« incitation à la commission d'une infraction » : il s'agit d'une reprise des éléments figurant à l'article 17 de la proposition de loi, confirmant que les traitants jouissent d'une immunité pénale dès lors qu'ils ne commettent pas d'acte allant au-delà de ceux qui « contribuent à la poursuite d'une infraction déjà préparée ou débutée au moment où les renseignements [...] ont été recueillis, y compris en cas de réitération ou d'aggravation de l'infraction initiale ».

En second lieu, les auteurs proposent la création d'une « infiltration civile » permettant aux informateurs de devenir des infiltrés. Cette évolution se ferait exclusivement à l'initiative du procureur national antistupéfiants, sur le fondement d'une convention comportant, notamment, la liste des délits (à l'exclusion, donc, de tout crime) auxquels l'informateur infiltré est autorisé à participer « à la seule fin de se faire passer, auprès des personnes suspectées de commettre un crime ou un délit mentionné au premier alinéa, comme l'un de leurs coauteurs, complices ou receleurs », la durée de l'infiltration et les contreparties accordées à l'informateur (rétribution financière et/ou réduction de peine pour des infractions commises préalablement à la conclusion de la convention).

2. La position de la commission des lois : préciser et conforter le dispositif proposé

La commission des lois a considéré que la mise en place d'un véritable statut des informateurs et de leurs traitants était indispensable pour apporter enfin une forme de sérénité aux agents qui gèrent des « sources humaines » pour lutter contre la criminalité organisée. Elle a donc souscrit à l'économie générale de l'article 19.

Elle a, en adoptant l'amendement n° COM-79 des rapporteurs, procédé à diverses clarifications et coordinations (par exemple, pour substituer une compétence du Pnaco à celle du Pnast, par cohérence avec l'article 2), mais surtout ajouté une obligation à la charge des « infiltrés civils » : ceux-ci seront, à peine de révocation des avantages accordés, tenus de témoigner des faits qu'ils auront contribué à mettre au jour et ils pourront, dans ce cadre, bénéficier de mesures de protection analogues à celles qui peuvent être octroyées aux « repentis » (utilisation d'hyper-trucages, prohibition des questions ayant pour objet ou pour effet de révéler l'identité de l'informateur ayant bénéficié d'une identité d'emprunt au cours des auditions...).

La commission a adopté l'article 19 ainsi modifié.

Article 20
Régime des nullités

Face à la « guérilla juridique » menée par les narcotrafiquants, l'article 20 vise à exclure qu'une nullité puisse être accueillie si elle a été provoquée par la défense de manière dolosive, c'est-à-dire si elle résulte de la négligence ou d'une manoeuvre d'une des parties.

Constatant que la réflexion sur ce sujet n'était pas aboutie, la commission a souhaité reporter à la séance publique d'éventuelles réécritures de l'article 20 ; elle a, dans cette attente, adopté l'article sans modification.

1. La « guérilla juridique » menée par les narcotrafiquants et « l'épée de Damoclès des nullités de procédure »

La commission d'enquête sur le narcotrafic s'est inquiétée d'un dévoiement des règles du code de procédure pénale et de l'usage dolosif qu'en font les narcotrafiquants : certains d'entre eux semblent, en effet, aller jusqu'à provoquer des nullités pour faire « tomber » un dossier ou obtenir la fin d'une mesure de détention provisoire.

Les nullités en matière pénale

Selon l'article 171 du code de procédure pénale, la nullité se produit « lorsque la méconnaissance d'une formalité substantielle prévue par une disposition du présent code ou toute autre disposition de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne », en cas d'atteinte aux droits de la défense ou de violation d'une règle d'ordre public (à l'instar de la prescription). Invocable devant toutes les juridictions pénales, elle a - par nature - pour effet l'annulation de l'acte concerné ; en d'autres termes, celui-ci ne peut alors plus être retenu contre la personne mise en cause ou mise en examen au cours de l'enquête ou de l'instruction ni devant la juridiction de jugement. Cette impossibilité touche non seulement l'acte lui-même, mais aussi l'ensemble des éléments de preuve qu'il a permis de recueillir (soit les actes subséquents de l'acte annulé).

Le prononcé d'une nullité a donc des conséquences lourdes sur le devenir d'un dossier pénal, et celles-ci sont d'autant plus dévastatrices que l'annulation intervient tardivement : s'il est en effet possible de régulariser un acte annulé lorsqu'une telle annulation intervient au début d'une enquête ou d'une instruction, cela devient difficile - voire impossible - avec l'approche du procès, ce qui est de nature à faire « tomber » des dossiers entiers, et donc à fragiliser la répression des infractions.

Source : rapport n° 24 (2024-2025) d'Isabelle Florennes
sur la proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités

Dans un contexte où les investigations ne laissent guère de doute sur la culpabilité des personnes mises en cause, les avocats de la défense peuvent en effet être tentés de se concentrer sur des faiblesses procédurales pour obtenir l'annulation des actes de procédure. Si cette ligne n'est guère contestable en droit ni en principe, tout manquement à une formalité substantielle méritant d'être sanctionné, il apparaît qu'elle peut faire l'objet de détournements dans des cas où, comme le résumait la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic, la stratégie devient « stratagème » et repose non plus sur une erreur commise au cours de l'enquête ou de l'instruction, mais sur des « procédés déloyaux ».

La commission d'enquête avait plaidé pour un « choc de simplification » du régime des nullités. Sans aller au bout de cet objectif, l'article 16 prévoit, plus modestement, de généraliser le principe - déjà consacré, bien que ponctuellement, par la Cour de cassation99(*) et par a contrario par le Conseil constitutionnel100(*) comme par le législateur en ce qui concerne la « purge » des nullités101(*) - selon lequel une nullité ne peut pas être accueillie si elle résulte de la négligence ou de la manoeuvre de la partie qui la soulève.

2. Aller vers un « choc de simplification » en matière de nullités de procédure

La commission des lois a constaté que la réflexion sur le sujet des nullités de procédure n'était pas aboutie. Sur la proposition des rapporteurs, elle a considéré devoir éviter toute intervention à ce stade de la procédure, étant rappelé qu'elle conservera la faculté de modifier l'article 20 en séance publique et qu'elle pourra à cette occasion soumettre au vote du Sénat des évolutions de nature à atteindre l'objectif poursuivi par les auteurs du texte en prévenant tout usage dolosif de la procédure d'examen des requêtes en nullité.

La commission a adopté l'article 20 sans modification.

Article 21
Extraterritorialité de la justice française dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic en haute mer

Traduisant la recommandation n° 5 de la commission d'enquête, l'article 21 vise à étendre les compétences de la justice française pour lutter contre le narcotrafic en haute mer. À cette fin, il permet d'établir la compétence des autorités françaises pour arraisonner les navires battant régulièrement le pavillon d'un État étranger et pour poursuivre et juger les auteurs d'infractions liées au trafic de stupéfiants, y compris en l'absence d'accord de l'État du pavillon.

Si la commission ne nie pas l'utilité opérationnelle de tels dispositifs, ses travaux ont mis en évidence des risques de non-conformité aux conventions internationales qu'il convient donc de corriger. Elle a donc adopté cet article, tout en le modifiant à l'initiative des rapporteurs afin :

- de préciser le cadre dans lequel des personnes ayant commis de telles infractions à bord de ces navires peuvent être poursuivies et jugées par les juridictions françaises ;

- de supprimer l'établissement d'une faculté d'arraisonner ces navires sans accord préalable de l'État du pavillon, contraire aux conventions internationales applicables ;

- suivant une recommandation de la Marine nationale, de mieux appréhender l'enjeu des sabordages de submersibles ou de voiliers liés au narcotrafic, en intégrant la dissimulation de preuve au cadre juridique de l'action de l'État en mer pour la poursuite d'infractions liées aux conventions internationales.

1. Le dispositif proposé : une extension extraterritoriale de la compétence des juridictions françaises concernant les navires battant régulièrement le pavillon d'un État étranger utilisé pour le narcotrafic

Le cadre juridique établissant la compétence des juridictions françaises pour la poursuite d'infractions liées au narcotrafic est régi par deux instruments internationaux principaux ratifiés par la France :

- la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, dite « Convention de Montego Bay » ;

- la convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes du 19 décembre 1988, dite « Convention de Vienne ».

Une partie des stipulations de cette dernière sont notamment transposées en droit interne par la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 relative à l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer pour la lutte contre certaines infractions relevant de conventions internationales.

Ainsi, en l'état du droit applicable, les juridictions françaises sont déjà compétentes pour les faits de trafic de stupéfiants102(*) commis en haute mer à bord d'un navire battant le pavillon français ou sans pavillon régulier. Les appareils français peuvent arraisonner un navire suspect pour vérifier la régularité de son pavillon103(*). De même, les officiers de police judiciaire compétents en matière d'action de l'État en mer peuvent arraisonner le navire lorsqu'il existe des motifs raisonnables de penser qu'une telle infraction est susceptible d'être commise à bord de celui-ci.

En revanche, lorsqu'une telle infraction est constatée à bord d'un navire battant régulièrement le pavillon d'un État étranger, le troisième alinéa de l'article 5 de la loi du 15 juillet 1994 précitée, conformément à l'article 92 de la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982104(*), dispose que les auteurs et complices ne peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises que si, en réponse à une demande transmise par voie diplomatique, l'État du pavillon a fait savoir qu'il consent à un tel abandon de compétences. Conformément à l'article 17 de la Convention de Vienne du 19 décembre 1988, l'arraisonnement du navire suppose, de même, un accord préalable de l'État du pavillon.

Traduisant la recommandation n° 5 de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier105(*), le présent article vise à étendre les compétences extraterritoriales de la justice française en la matière.

À cette fin, il prévoit :

au I, de permettre aux juridictions françaises de poursuivre et juger toute personne soupçonnée d'avoir commis en haute mer une infraction relative au trafic de stupéfiants lorsque les faits reprochés constituent des actes d'exécution de l'infraction ou la constitution d'un groupe ou d'une organisation en vue de commettre cette infraction sur le territoire français, y compris, donc, lorsque l'infraction est commise à bord d'un navire battant régulièrement le pavillon d'un État étranger et sans l'accord de cet État ;

au II, de permettre aux officiers de police judiciaire compétents au titre de l'action de l'État en mer, lorsqu'il existe des motifs raisonnables de penser qu'une telle infraction est susceptible d'être commise à bord d'un tel navire, de procéder à son arraisonnement, y compris en l'absence d'accord de l'État du pavillon, faute de réponse de sa part dans un délai raisonnable.

2. La nécessité d'assurer la conformité du dispositif aux conventions internationales applicables

Si les rapporteurs ne nient pas l'utilité opérationnelle de tels dispositifs, leurs travaux ont mis en évidence des risques de non-conformité aux conventions internationales qu'il convient donc de corriger.

À cet égard, les enjeux relatifs à la compétence juridictionnelle et à la faculté d'arraisonner ne sont pas les mêmes.

S'agissant, en premier lieu, de la compétence extraterritoriale des juridictions françaises à l'égard d'un navire battant régulièrement le pavillon d'un État étranger à bord duquel une infraction liée au trafic de stupéfiants est commise, la conventionnalité du dispositif proposé paraît assurée. En effet, le iii) du b) du 1 de l'article 4 de la Convention de Vienne du 19 décembre 1988, dont le contenu n'est pas repris dans la loi du 15 juillet 1994 précitée, ouvre expressément la voie à l'établissement d'une telle compétence extraterritoriale d'un État partie. Elle peut donc être considérée, à cet égard, comme un cas de dérogation à la stipulation générale posée par l'article 92 de la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982, qui a précisément vocation à s'appliquer « sauf les cas expressément prévus par des traités internationaux ».

Cependant, l'application des stipulations précitées de la Convention de Vienne concerne spécifiquement « toute association, entente, tentative ou complicité par fourniture d'une assistance, d'une aide ou de conseils en vue de [la] commission » d'une infraction liée au trafic de stupéfiants. Cette définition est assimilable à celle utilisée par le droit français pour caractériser l'infraction de participation à une association de malfaiteurs, réprimée par l'article 450-1 du code pénal. Ainsi, il paraît nécessaire de circonscrire la portée du dispositif proposé à la commission de cette infraction particulière.

En revanche, l'obstacle conventionnel auquel se heurte la faculté d'arraisonner un navire battant régulièrement le pavillon d'un État étranger sans accord préalable de cet État ne paraît pas surmontable. L'article 17 de la Convention de Vienne, en effet, n'ouvre la voie à aucune dérogation à la règle imposant un accord préalable de cet État, y compris en cas d'absence de réponse dans un délai raisonnable.

Aussi, l'amendement n° COM-81 des rapporteurs, adopté par la commission, a-t-il procédé aux modifications nécessaires pour assurer la conformité du présent article aux conventions internationales.

3. La nécessité d'appréhender l'enjeu des sabordages en haute mer d'engins utilisés pour le narcotrafic

Les travaux des rapporteurs ont permis de mettre en évidence un enjeu nouveau concernant la lutte contre le narcotrafic en haute mer : l'utilisation de plus en plus fréquente de submersibles, semi-submersibles ou encore de voiliers pour transporter des substances stupéfiantes. La Marine nationale a indiqué que ce phénomène était principalement constatable à ce jour dans les zones Antilles et Atlantique.

Une problématique qui se pose dans ce contexte est celle du sabordage de ces engins, notamment à l'approche de bâtiments de l'État susceptibles de les intercepter, pour faire disparaître les preuves du trafic de stupéfiants. Les trafiquants, dans ces conditions, ne peuvent alors qu'être appréhendés comme de simples naufragés.

Pour cette raison, par le même amendement n° COM-81, les rapporteurs ont jugé utile d'intégrer, dans le cadre juridique prévu par la loi du 15 juillet 1994 précitée permettant la poursuite des infractions liées au trafic de stupéfiants en haute mer, le délit prévu par l'article 434-4 du code pénal relatif à la dissimulation de traces, indices ou de preuves en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité lorsqu'elle est en relation avec ces mêmes infractions.

Le ii) du b) du 1 de l'article 3 de la convention de Vienne du 19 décembre 1988, qui liste les infractions entrant dans son champ d'application, ouvre la voie à un tel élargissement.

La commission a adopté l'article 21 ainsi modifié.

Article 22
Lutte contre la corruption liée au narcotrafic dans les administrations sensibles ainsi que dans les ports et les aéroports

Le présent article prévoit une série de mesures visant à renforcer les moyens juridiques de la politique de lutte contre la corruption dans les administrations sensibles, ainsi que dans les ports et les aéroports. À cette fin, il prévoit principalement :

- la mise en place de points de contact uniques de signalement dans les administrations sensibles, les ports et les aéroports ;

- une extension des mesures de criblage administratif préalable aux décisions concernant le recrutement, la carrière où la délivrance de certaines habilitations, accréditations ou autorisations aux agents et personnels de ces mêmes services ;

- un dispositif de communication aux employeurs, par le ministère public, des décisions de condamnation ou de mise en examen prises à l'encontre d'un agent de l'administration concernée pour des faits de menace, de corruption, de trafic d'influence ou de trafic de stupéfiants.

La commission a pleinement approuvé ces mesures, qui sont autant d'outils concrets et opérationnels pour lutter contre la corruption liée au narcotrafic. Elle a en conséquence adopté cet article tout en y apportant, à l'initiative des rapporteurs, des modifications destinées à mieux cibler ces mesures, soit pour les encadrer davantage, soit pour les renforcer de façon proportionnée eu égard à l'état de la menace. Ces modifications permettent ainsi :

- de circonscrire le champ des criblages prévus au sein des ports et des aéroports, pour cibler les autorisations d'accès aux zones sensibles, tout en posant le principe d'un renouvellement annuel des enquêtes ;

- de renforcer les garanties juridiques applicables aux signalements effectués dans le cadre des points de contact uniques ;

- de renforcer le dispositif de communication aux employeurs publics, par le ministère public, de faits liés à la criminalité organisée lorsque leurs agents sont en cause, en particulier lorsqu'il s'agit d'agents dépositaires de l'autorité publique ;

- d'étendre aux exploitants des installations portuaires les obligations prévues par la loi « Sapin II » pour les grandes entreprises en matière de prévention de la corruption.

1° Le dispositif proposé : une série de mesures pour lutter contre la corruption liée au narcotrafic et à la criminalité organisée

1.1 La nécessité d'« endiguer le pouvoir contaminant du narcotrafic »

La commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a souligné, dans son rapport106(*), l'impérieuse nécessité d'« endiguer le pouvoir contaminant du narcotrafic ».

Ainsi, pour la commission d'enquête : « la corruption se révèle être à la fois l'un des facteurs facilitants du narcotrafic et l'un de ses symptômes. Il est aujourd'hui impossible pour une organisation criminelle de parvenir à diffuser ses produits stupéfiants sur le territoire national sans corrompre des intermédiaires, agents publics comme privés, que ce soit pour faciliter l'importation de leurs produits, pour éviter certains contrôles ou pour agir en toute impunité (...). La France bénéficie néanmoins d'un atout par rapport à certains pays : les faits de corruption, bien que sous-estimés, demeurent limités, alors même que le risque est très élevé. Elle se situe donc à un point de bascule : il faut agir maintenant pour circonscrire la contagion ».

Les facteurs du risque corruptif en relation avec la criminalité organisée ont pu être clairement identifiés par la commission d'enquête, s'appuyant sur des travaux réalisés par l'Agence française anticorruption et l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. Sept principaux facteurs sont ainsi dénombrés :

- la proximité des agents de l'État avec des milieux plus exposés aux pratiques délinquantes (prisons, tribunaux, contrôle des jeux d'argent ou des débits de boissons, territoires marqués par le trafic de stupéfiants) ;

- la fragilité des agents (difficultés financières, isolement familial, conduites addictives et à risque pour la santé, isolement géographique, absence de repères déontologiques) ;

- l'intervention des agents dans des environnements marqués par le trafic intense de marchandises (ports, aéroports) ;

- l'accès des agents à des informations sensibles intéressant notamment les réseaux criminels (fichiers de police ou judiciaires, fichiers bancaires, fiscaux ou douaniers) ;

- l'isolement dans l'exercice des missions interdisant le contrôle par les pairs et rendant de fait la détection plus difficile ;

- la faible rotation sur les postes et, dans certains cas, le maintien prolongé dans certains territoires et/ou sur des missions exposées au risque de corruption ;

- la proximité géographique des agents de l'État avec leurs lieux de travail, rendant possible leur identification par des milieux criminels.

Ces facteurs mettent notamment en évidence la nécessité de renforcer la politique de lutte contre la corruption dans les administrations les plus exposées à ce risque, ainsi que dans les ports et les aéroports.

Afin de renforcer les moyens juridiques de cette politique d'intérêt national, le présent article prévoit une série de mesures destinées à relever le niveau général de nos outils de prévention à la hauteur de la menace, traduisant une partie des recommandations n° 29 et n° 30 de la commission d'enquête - dont la mise en oeuvre ne relève que pour partie du pouvoir législatif.

1.2 La mise en place de points de contact uniques de signalement

Les travaux de la commission d'enquête ont mis en évidence le caractère « parcellaire » du dispositif anticorruption mis en place dans les administrations publiques.

Elle tient pour indispensable que l'ensemble des cas de corruption ou de manquement à la probité puissent faire l'objet d'un signalement aux services d'inspection des différentes administrations. Or, elle relève que « c'est loin d'être le cas aujourd'hui : la plupart des dossiers échappent à leur connaissance et sont traités par des services d'investigation spécialisés ou de droit commun ainsi que par les cellules de déontologie. Les inspections n'ont ainsi pas connaissance des faits de corruption dite “de basse intensité” (...) [qui] constitue pourtant un levier pour la criminalité organisée : moins visible, jugée “moins grave”, elle peut continuer à étendre son emprise. De fait, conditionner la remontée des informations à l'écho rencontré par les faits de corruption ne permet absolument pas de construire un dispositif anticorruption robuste. Ce sont ces signaux faibles qui sont aujourd'hui les plus inquiétants dans le lien entre corruption et narcotrafic ».

Pour répondre à cette difficulté, le 3° du I du présent article prévoit de créer un nouvel article L. 114-3 au sein du code de la sécurité intérieure, dont le I prévoit qu'un point de contact unique de signalement peut être mis en place au sens des administrations et services publics afin de faciliter la constatation des infractions liées à la criminalité organisée.

La mise en place d'un tel point de contact unique serait obligatoire dans les administrations et les services publics, listés par décret, au sein desquels les risques de menace, de corruption ou de trafic d'influence liés à la criminalité organisée revêtent un caractère particulièrement important ou créent un risque d'une particulière gravité.

Les signalements pourraient porter sur :

- des faits ou tentatives de menace à l'encontre d'un ou plusieurs agents ;

- des faits de corruption active ou passive ;

- des faits de trafic d'influence ;

- tout comportement observé au sein du service ou aux abords géographiques immédiats des emprises de ce service laissant suspecter l'existence d'un fait ou d'une tentative de menace, de corruption ou de trafic d'influence ;

- la commission par un agent d'une infraction directement liée au trafic de stupéfiants.

Les II à V de ce nouvel article prévoiraient un certain nombre de garanties pour les auteurs de signalement, sur le modèle des règles applicables aux « lanceurs d'alerte » issues de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II ». Ces garanties portent notamment sur :

- la confidentialité des signalements ;

- la conservation des données :

- une protection de l'emploi et de la carrière ;

- la sanction pénale des personnes faisant obstacle à un signalement ;

- le régime contentieux des procédures dirigées contre les auteurs.

Le VI de ce même article prévoirait un dispositif de communication au point de contact unique, par le ministère public, des décisions de condamnation ou de mise en examen prises à l'encontre d'un agent de l'administration concernée pour des faits de menace, de corruption, de trafic d'influence ou de trafic de stupéfiants.

Enfin, son VII renverrait à un décret en Conseil d'État la détermination des modalités d'application de ce nouvel article, qui préciserait notamment les conditions dans lesquelles les informations recueillies dans le cadre des signalements peuvent être échangées entre les administrations, de façon à permettre leur remontée aux services d'inspection compétents.

En outre, les d) du 1° et 2° du II du présent article visent à créer au sein du code des transports deux articles, respectivement les articles L. 5343-24 et L. 6321-3-1, de façon à prévoir la mise en place d'un point de contact unique, dans les mêmes conditions, au sein des ports et des aéroports.

1.3 Une extension des mesures de criblage administratif

En l'état du droit, l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure permet de faire précéder certaines décisions concernant un agent à la conduite préalable d'une enquête administrative de sécurité, ou « criblage ».

Les décisions visées sont celles relatives au recrutement, à l'affectation, à la titularisation, à une autorisation, un agrément ou une habilitation concernant :

- les emplois publics participant à l'exercice des missions de souveraineté de l'État ainsi que les emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense : il s'agit notamment des emplois au sein des forces de sécurité intérieure, des services des douanes, et des préfectures, mais également des agents de sûreté portuaire ;

- les emplois privés ou activités privées réglementées relevant des domaines des jeux, paris et courses ;

- l'accès à des zones protégées en raison de l'activité qui s'y exerce : sont notamment concernés les accès à des zones intéressant la défense nationale, mais également l'accès aux zones à accès restreint (ZAR) des ports et autres installations portuaires considérées comme sensibles ainsi qu'aux zones de sûreté des aéroports ;

- l'utilisation de matériels ou produits présentant un caractère dangereux ;

- des étrangers, dans le cadre de la délivrance de titres de séjour ou de l'acquisition de la nationalité française.

Au plan des moyens, ces enquêtes peuvent donner lieu à la consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et de traitements automatisés de données à caractère personnel.

Elles sont mises en oeuvre par le service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) du ministère de l'intérieur. Ce service, qui compte 112 équivalents temps-plein (ETP), a indiqué aux rapporteurs, à la date du 15 décembre, avoir réalisé 9 197 enquêtes en 2024.

Dans le souci de mieux prévenir les risques liés à la corruption, le présent article étend largement le champ des décisions concernées par un criblage.

Le 2° du I vise à ce que de telles enquêtes, au-delà de celles déjà prévues s'agissant des agents de sûreté portuaire, soient obligatoirement conduites préalablement au recrutement, à l'affectation ou à la titularisation d'un agent dans l'un des services mentionnés supra, au sein desquels la mise en place d'un point de contact unique de signalement revêt un caractère obligatoire.

Le 1° du II vise à étendre largement les criblages dans le secteur portuaire. Ces derniers concerneraient désormais :

- la désignation des membres du conseil d'administration, du conseil de surveillance, et du directoire des grands ports maritimes, avec un principe de reconduction annuelle de l'enquête ;

- l'ensemble des décisions administratives de recrutement, d'affectation, de titularisation, d'autorisation, d'agrément ou d'habilitation des agents des services portuaires (pilotes, remorqueurs, ouvriers dockers etc.), avec un principe de reconduction de l'enquête au moins tous les trois ans.

Le 2° du même II prévoit quant à lui la conduite de criblages préalablement aux mêmes décisions à l'égard des personnels d'exploitation des aéroports.

1.4 Une application aux administrations publiques sensibles des obligations en matière de prévention de la corruption prévues pour certaines grandes entreprises

L'article 17 de la loi « Sapin II » précitée prévoit des obligations en matière de prévention de la corruption applicables à certaines grandes entreprises107(*).

Ces obligations concernent une série de mesures et procédures listées, dont l'application est contrôlée par l'Agence française anticorruption.

Dans le détail, il s'agit :

- d'établir un code de conduite, un dispositif d'alerte interne et une cartographie des risques ;

- de mettre en place des procédures d'évaluation de la situation des clients, fournisseurs et intermédiaires et des procédures de contrôles comptables ;

- d'instituer un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés ;

- de prévoir un régime disciplinaire spécifique ;

- d'instituer un dispositif de contrôle et d'évaluation interne de la mise en oeuvre de ces mesures.

Le III du présent article vise à étendre ces obligations aux services de l'administration, listées par décret, au sein desquels les risques de corruption ou de trafic d'influence liés à la criminalité organisée revêtent un caractère particulièrement important ou créent un risque d'une particulière gravité.

2. La position de la commission : une série de mesures concrètes et directement opérationnelles pour lutter contre la corruption, dont le ciblage doit toutefois être amélioré

Les rapporteurs approuvent largement les mesures prévues par le présent article, qui sont autant d'outils concrets et opérationnels pour lutter contre la corruption liée au narcotrafic.

Les amendements qu'ils ont proposés, adoptés par la commission, ont visé à mieux cibler celles-ci, soit pour les encadrer davantage, soit pour les renforcer de façon proportionnée eu égard à la menace.

2.1. Mieux cibler les mesures de criblage

Par leur amendement n° COM-82, les rapporteurs ont d'abord entendu mieux cibler les mesures de criblage prévues.

À cette fin, en premier lieu, il élargit expressément la base juridique de ces enquêtes, prévue par le I de l'article 114-1 précité du code de la sécurité intérieure, à tous les emplois publics et privés exposant leurs titulaires à des risques de corruption ou de menaces liées à la criminalité organisée

S'agissant en particulier des ports, il permet de mieux circonscrire le dispositif du présent article, applicable en l'état à l'ensemble des agents, pour le recentrer sur la nomination des membres du directoire des grands ports maritimes, qui sont exposés à des risques de menace ou de corruption, et, surtout, sur les délivrances d'habilitations et d'autorisations d'accès à certaines zones sensibles des ports.

Par rapport au droit existant, l'article étendrait ainsi sensiblement les zones pour lesquelles l'autorisation d'accès, permanent ou temporaire, requiert une enquête. En effet, en l'état du droit, celles-ci sont prévues les seuls accès permanents à des zones à accès restreint ou, lorsque l'autorité administrative le prévoit, à d'autres installations portuaires présentant des risques élevés. Désormais, de tels contrôles seraient donc également conduits obligatoirement pour les autorisations d'accès temporaire à ces mêmes zones.

L'amendement adopté prévoit également un ciblage obligatoire préalable à la délivrance d'autorisations d'accès permanent aux installations portuaires où sont déchargés, chargés, transbordés ou manutentionnés des conteneurs ainsi qu'à la délivrance d'accès, même temporaire, aux parcs à conteneurs situés en leur sein, qui constituent la zone la plus sensible. Lorsque l'autorité administrative le prévoit, les autorisations d'accès temporaire aux autres parties de ces installations pourraient également faire l'objet d'un criblage préalable.

Il prévoit enfin de soumettre à une habilitation, dont la délivrance requiert également un criblage préalable, l'accès aux systèmes d'information et aux systèmes d'exploitation des ports dans lesquels se trouve une installation où sont déchargés, chargés, transbordés ou manutentionnés des conteneurs.

Ces enquêtes seraient de surcroît renouvelées chaque année, soit à un rythme plus régulier que celui prévu par le dispositif initialement proposé. L'amendement adopté, enfin, comporte une mesure transitoire visant à appliquer cette exigence de renouvellement aux agréments et habilitations en cours de validité.

S'agissant des aéroports, suivant la même logique que pour le secteur portuaire, l'amendement a supprimé les dispositions du présent article, qui sont largement satisfaites par le droit existant. Les autorisations d'accès aux zones de sûreté sont en effet déjà soumises à un criblage préalable en application de l'article L. 6342-3 du code des transports. Les personnes concernées sont les plus exposées au risque corruptif : il s'agit des personnels ayant accès aux aéronefs, aux parties des aérodromes où évoluent ces aéronefs ainsi que les passagers, bagages et cargaisons de fret après passage des contrôles de sûreté et, le cas échéant, de douane et de police, ou encore aux approvisionnements de bord sécurisés des avions, au fret aérien et courrier postal.

Le renouvellement annuel de ce criblage constitue une exigence du droit de l'Union européenne108(*). D'après les informations transmises aux rapporteurs par la direction générale de l'aviation civile, les enquêtes sont même en pratique renouvelées tous les six mois.

Pour la mise en oeuvre du dispositif, les rapporteurs soulignent que le SNEAS leur a indiqué être « prêt et organisé pour réaliser [les enquêtes prévues par l'article 22 de la présente proposition de loi] si instruction lui est donnée ». Le service s'est en particulier montré favorable à un alignement du rythme de renouvellement des enquêtes portuaires sur celui prévu en matière aéroportuaire, tel que l'amendement l'a prévu.

2.2. Encadrer davantage le dispositif de signalement

L'amendement n° COM-83 a prévu diverses mesures relatives à l'encadrement des signalements effectués dans le cadre des points de contact uniques prévu par le présent article

En premier lieu, afin d'assurer l'opérationnalité du dispositif et de ne pas risquer de saisir inopportunément le SNEAS, il a prévu de laisser un pouvoir d'appréciation à l'autorité administrative s'agissant des enquêtes à conduire à la suite d'un signalement, qui ne seraient plus systématiques.

En deuxième lieu, l'amendement a précisé le champ des infractions pouvant être signalées dans le cadre des points de contact uniques, de façon à couvrir l'ensemble des faits d'atteinte à la probité.

Enfin, il a renforcé les garanties initialement prévues par le présent article, en limitant à un an la durée de conservation des signalements, et en prévoyant un avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés sur le décret d'application.

Par ailleurs, s'agissant toujours des dispositifs de signalement, l'amendement n° COM-82 précité a prévu que les points de contact uniques de signalement de comportements liés à des faits de corruption, que l'article 22 prévoit d'instituer dans chaque port et aéroport, puissent également recevoir des signalements des usagers des ports et des aéroports. Comme la présidente de l'Agence française anticorruption a en effet pu le souligner lors de son audition par les rapporteurs, la création d'un dispositif d'alerte externe permettant aux citoyens de signaler des faits illicites ayant lieu notamment dans les ports, tels que le dispositif « Port Watch » mis en place en Belgique, s'avère très pertinente.

2.3. Renforcer de façon proportionnée le dispositif de communication d'informations par le ministère public

Dans le souci de renforcer et améliorer le dispositif de communication du ministère public aux administrations dont les agents sont poursuivis ou condamnés pour des faits de corruption prévus par le présent article, l'amendement n° COM-84 a prévu que cette communication, facultative en l'état du droit109(*), soit désormais obligatoire pour tous les faits liés à la criminalité organisée, dès lors que la personne concernée est soit condamnée, soit renvoyée devant une juridiction, soit mise en examen pour ces faits.

Elle concernerait les employeurs publics directement, selon les modalités de droit commun prévues par l'article 11-2 du code de procédure pénale.

S'agissant d'agents dépositaires de l'autorité publique, cette communication serait possible, sous certaines conditions, à n'importe quel stade de la procédure. Il convient à cet égard de relever que le Conseil d'État, saisi par le passé d'un dispositif similaire quoique moins ciblé - le dispositif adopté par la commission ne visant en effet que les faits liés à la criminalité organisée -, a jugé celui-ci justifiée « par les obligations particulières d'exemplarité qui pèsent sur les personnes dépositaires de l'autorité publique et sur le retentissement sur le bon fonctionnement du service que peuvent avoir de tels actes »110(*).

2.4. Étendre les obligations de prévention de la loi « Sapin II » aux exploitants des installations portuaires

Enfin, l'amendement n° COM-85 a prévu de revenir sur l'intégration des administrations publiques dans le champ du dispositif de prévention de la corruption dans certaines grandes entreprises, visées par l'article 17 de la loi « Sapin II ». Les administrations, en effet, sont déjà soumises aux mêmes obligations en application de l'article 3 de cette loi.

En revanche, il a intégré les exploitants des installations portuaires où sont manipulés des conteneurs à la liste des acteurs concernés par cet article 17, eu égard aux risques avérés de corruption liée au narcotrafic auxquels ils sont exposés.

La commission a adopté l'article 22 ainsi modifié.

Article 22 bis
Intégration de la corruption publique et privée au régime
de la criminalité organisée

L'article 22 bis a été introduit par la commission des lois à l'initiative d'Étienne Blanc, co-auteur de la proposition de loi. Il vise à renforcer les moyens existants pour poursuivre et punir les faits de corruption liés à la criminalité organisée, traduisant une recommandation de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France.

En premier lieu, cet article prévoit d'attraire au régime « complet » de la criminalité organisée les infractions de corruption ou de trafic d'influence en lien avec d'autres infractions relevant de ce régime, parmi lesquelles celles relatives au trafic de stupéfiants. L'application de ce régime permet notamment, en procédure, d'utiliser certaines techniques spéciales d'enquête et de prolonger le placement en garde à vue jusqu'à 96 heures. Le cas échéant, il permet également aux juridictions spécialisées de se saisir des dossiers.

En second lieu, il prévoit une circonstance aggravante de commission en bande organisée pour la répression des faits de corruption privée, ce qui permet d'en renforcer la répression et de sécuriser les conditions juridiques de leur rattachement au régime de la criminalité organisée.

Le dispositif, proportionné au niveau de la menace, répond à un besoin opérationnel exprimé avec force par l'ensemble des acteurs de la procédure pénale, services enquêteurs comme magistrats, eu égard à la grande complexité des enquêtes en matière de corruption liée à la criminalité organisée.

1. La poursuite des faits de corruption publique et la corruption privée relèvent de deux régimes pénaux distincts

Les faits de corruption publique relèvent du régime des infractions en matière économique et financière. Aussi, en application du 1° de l'article 706-1-1 du code de procédure pénale, les enquêtes et instructions relatives à ces faits peuvent utiliser certains outils procéduraux relevant du régime de la criminalité organisée - on parle alors de régime « restreint » de la criminalité organisée.

Pour mémoire, le régime de la criminalité organisée est dérogatoire au droit commun régi par les articles 706-73 à 706-106 du même code. Hors cas spécifique prévu par la loi, il s'applique aux infractions listées par les articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale, et en particulier aux infractions liées au trafic de stupéfiants, mentionnées au 3° du même article 706-73.

Il permet de mettre en oeuvre, dans le cadre de l'enquête ou de l'instruction et dans les conditions précisément fixées par la loi, un certain nombre de techniques spéciales d'enquête111(*).

S'agissant des infractions les plus graves, mentionnées par l'article 706-73 du même code, le régime dit « complet » permet notamment de prolonger la durée de la garde à vue pour la porter jusqu'à 96 heures112(*). L'application de ce régime complet permet en outre aux services de renseignement de bénéficier de la transmission d'informations recueillies dans les dossiers judiciaires dans les conditions prévues par l'article 706-105-1 du même code113(*).

Le régime de la criminalité organisée permet en outre aux juridictions interrégionales spécialisées (Jirs), voire dans certains cas à la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), de se saisir des dossiers114(*).

À l'inverse, les faits de corruption privée relèvent de la procédure pénale de droit commun.

Corruption publique et corruption privée

Dans le détail, la corruption publique recouvre les infractions suivantes :

- la corruption ou le trafic d'influence passifs commis par une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public, ou investie d'un mandat électif public (article 432-11 du code pénal) ;

- la corruption ou le trafic d'influence actifs commis par un particulier en direction d'une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public (article 433-1) ;

- la corruption ou le trafic d'influence actifs commis par un particulier en direction d'une autorité ou d'une administration publique (article 433-2) ;

- la corruption active ou passive (article 434-9) ainsi que le trafic d'influence actif ou passif (article 434-9-1) commis dans le cadre du fonctionnement de la justice ;

- la corruption passive (article 435-1) et le trafic d'influence passif (article 435-2) commis par un agent public étranger ou international ;

- la corruption active (article 435-3) et le trafic d'influence actif
(article 435-4) commis par un particulier en direction d'un agent public étranger ou international ;

- la corruption passive (article 435-7) ou active (article 435-9) ainsi que le trafic d'influence passif (article 435-8) ou actif (article 435-9) commis dans le cadre de la justice internationale.

La corruption privée recouvre quant à elle les infractions suivantes :

- la corruption passive commise par une personne qui, sans être dépositaire de l'autorité publique, ni chargée d'une mission de service public, ni investie d'un mandat électif public exerce, dans le cadre d'une activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une personne physique ou morale ou pour un organisme quelconque (article 445-1), et la corruption active commise par un particulier en direction d'une telle personne (article 445-2) ;

- la corruption passive commise par un acteur d'une manifestation sportive ou d'une course hippique donnant lieu à des paris (article 445-1-1), et la corruption active commise par un particulier en direction d'une telle personne (article 445-2-1).

Source : commission des lois du Sénat

2. Une intégration bienvenue de la corruption publique comme privée au régime « complet » de la criminalitée

Le présent article est issu de l'amendement n° COM-13 déposé par Étienne Blanc, co-auteur de la proposition de loi, adopté par la commission.

Traduisant l'une des mesures prévues dans le cadre de la recommandation n° 30 de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier115(*), le I du présent article vise à ce que les faits de corruption publique et de corruption privée, lorsqu'ils sont en lien avec d'autres infractions relevant du régime complet de la criminalité organisée, puissent également relever de ce régime.

Ce dispositif permettrait donc notamment, pour les besoins de l'enquête ou de l'instruction, l'utilisation de techniques spéciales d'enquête ainsi qu'un placement prolongé en garde à vue.

En second lieu, le II du présent article vise à créer un nouvel article 445-2-2 du code pénal prévoyant une circonstance aggravante de commission en bande organisée pour la répression des faits de corruption privée, ce qui permet d'en renforcer la répression et de sécuriser les conditions juridiques de leur rattachement au régime de la criminalité organisée. Celle-ci a pour effet d'aggraver la répression des infractions mentionnées aux articles 445-1 à 445-2-1 du même code, portant la peine à dix ans d'emprisonnement et à une amende d'un million d'euros, dont le montant peut toutefois être porté au double du produit tiré de l'infraction.

À cet égard, il convient de souligner qu'une telle commission en bande organisée constitue une condition supplémentaire de leur rattachement au régime complet de la criminalité organisée prévu au I, en sus du lien avec une autre infraction relevant de ce régime. Une telle condition ne serait pas prévue s'agissant de la corruption publique.

Le dispositif ainsi adopté est proportionné au niveau de la menace. Il répond à un besoin opérationnel exprimé avec force par l'ensemble des acteurs de la procédure pénale, services enquêteurs comme magistrats, eu égard à la grande complexité des enquêtes en matière de corruption liée à la criminalité organisée.

Il est entièrement ciblé sur la criminalité organisée : les faits de corruption publique non liés aux infractions relevant du régime complet de la criminalité organisée continueraient de relever, comme en l'état du droit, du régime « restreint » en application de l'article 706-1-1 du code de procédure pénale ; les faits de corruption privée non liés à ces infractions ou non commis en bande organisée continueraient de relever du régime procédural de droit commun.

La commission a adopté l'article 22 bis ainsi rédigé.

Article 23
Dispositions relatives à l'incarcération des narcotrafiquants

L'article 23 comprend, premièrement, deux dispositions relatives à la sécurisation des établissements pénitentiaires : un enrichissement des informations transmises au Parlement en la matière ainsi que l'autorisation d'utilisation de drones aux fins de prévenir l'introduction d'objets prohibés dans lesdits établissements. La commission a adopté ces dispositifs sans modification.

Il prévoit, deuxièmement, un aménagement du régime de la détention provisoire pour les délits relevant de la criminalité organisée. Afin de garantir la proportionnalité du dispositif, la commission a, à l'initiative des rapporteurs, substitué à l'alignement sur le régime de la détention provisoire criminelle un doublement de la durée maximale du mandat de dépôt initial.

Cet article rassemble, troisièmement, diverses dispositions visant à sécuriser le traitement des demandes de mise en liberté. Sur ce sujet crucial dans la lutte contre le narcotrafic, la commission a, à l'initiative des rapporteurs, procédé à des aménagements supplémentaires visant à prévenir les libérations anticipées pour des motifs exclusivement procéduraux.

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

1. Des dispositions relatives à la sécurisation des établissements pénitentiaires dont l'utilité est avérée

1.1 Un enrichissement bienvenu des informations transmises au Parlement sur la sécurisation des établissements pénitentiaires

L'article 23 prévoit en premier lieu un enrichissement des informations transmises à la délégation parlementaire au renseignement (DPR) sur les dispositifs techniques de lutte contre la délinquance et la criminalité organisées en prison. Ces éléments seraient ainsi intégrés à la liste des informations communiquées à cette instance en application du I de l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Cette disposition fait suite aux difficultés éprouvées par la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic116(*) pour obtenir des réponses claires et convaincantes de l'administration sur les dispositifs réellement déployés ainsi que sur leur efficacité. Le déploiement effectif de systèmes de brouillage des communications téléphoniques dans les établissements pénitentiaires constitue à cet égard un enjeu de première importance. Comme cela a été souligné par la commission d'enquête, les téléphones portables illicites, qui circulent massivement en prison, sont en effet « le seul moyen pour un narcotrafiquant incarcéré de rester en contact avec ses complices restés libres et de continuer, par ce biais, d'animer un réseau ou de commanditer des violences ».

Selon les informations recueillies par les rapporteurs au cours de leurs travaux, 21 établissements seraient aujourd'hui équipés d'un dispositif de brouillage fixe. Cela représente deux établissements supplémentaires par rapport aux éléments avancés par l'ancien Garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti devant la commission d'enquête sénatoriale en avril 2024. Au cours de cette même audition, il avait par ailleurs fait état d'un objectif de 60 sites équipés pour la fin de l'année 2024. S'agissant des dispositifs mobiles, 110 sont aujourd'hui déployés. De nouveaux sites devraient être progressivement équipés, au fur et à mesure de la livraison des équipements commandés par l'administration pénitentiaire. À titre d'information, le marché conclu par celle-ci porte au total sur l'acquisition de 33 dispositifs fixes et 220 dispositifs mobiles.

L'efficacité de ces systèmes de brouillage suscite néanmoins nombre d'interrogations et, selon les informations disponibles, apparaît a minima inégale. L'administration pénitentiaire a ainsi fait état de « difficultés structurelles importantes » sur le sujet tenant notamment à l'importance des travaux à réaliser, à la nécessité de préserver le fonctionnement des moyens de communication autorisés ou encore à l'évolution permanente de l'environnement radio (parfois aggravée par l'installation d'antennes-relais à proximité des établissements sans que ceux-ci n'en soient préalablement informés).

La commission a considéré que la lutte contre la perpétuation du narcotrafic en prison constituait un enjeu de tout premier ordre justifiant une information renforcée du Parlement. En conséquence, elle a adopté cette disposition sans modification.

1.2 L'autorisation de recourir aux drones pour prévenir l'introduction d'objets illicites dans les établissements

L'article 23 introduit en deuxième lieu un nouvel article L. 223-19-1 au code pénitentiaire autorisant l'administration pénitentiaire « à procéder à la captation, à l'enregistrement et à la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs aux fins de lutter contre l'introduction, dans les établissements pénitentiaires, de substances ou de moyens de communication dont la détention est illicite ».

La lutte contre l'introduction d'objets ou de substances prohibés dans les établissements représente de fait un enjeu prioritaire pour l'administration pénitentiaire, tout particulièrement s'agissant des téléphones portables. Comme cela a été rappelé par la commission d'enquête sénatoriale, il n'est pas rare que ces derniers soient transmis aux détenus par projection ou par drone. Près de 40 millions d'euros ont été consacrés ces dernières années par l'administration parlementaire au déploiement de dispositifs visant à préserver l'intégrité des établissements, qu'il s'agisse de filets anti-projections (21 projets) ou de systèmes de sécurisation de leurs abords (83 projets d'installation de dispositifs de vidéosurveillance extérieure ou de pose de nouvelles clôtures).

L'autorisation de surveiller les abords des établissements par l'intermédiaire de drones répond à un besoin opérationnel important de l'administration pénitentiaire. Sous réserve qu'elle fasse l'objet d'un encadrement adapté, l'utilisation de ces appareils étoffera les moyens disponibles pour sécuriser les établissements pénitentiaires. La commission a donc approuvé le principe d'un dispositif qui faciliterait considérablement le travail des surveillants. Sans s'interdire de proposer en séance un amendement renforçant son encadrement, elle l'a, à ce stade, adopté sans modification.

2. Un aménagement du régime de la détention provisoire qui doit être juridiquement sécurisé

L'article 23 procède, en troisième lieu, à un aménagement du régime de la détention provisoire applicable aux procédures portant sur des faits délictuels relevant de la criminalité organisée.

En l'état du droit, la détention provisoire ne peut excéder deux ans pour des faits de trafic de stupéfiants de nature délictuelle117(*) contre quatre ans en matière criminelle118(*). L'article 23 applique ce dernier régime aux délits mentionnés à l'article 706-73 du code de procédure pénale en matière de délinquance organisée.

La commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic précitée a en effet déploré la brièveté de ce délai de deux ans eu égard à la complexité des investigations en la matière. Selon les termes employés dans le rapport, « la complexité de ces procédures, pouvant impliquer de nombreux mis en examen et des investigations particulièrement longues et complexes, ne permet pas toujours aux enquêteurs et aux juridictions de clôturer la procédure dans les délais prévus en la matière ». Elle considérait en conséquence « inévitable d'aligner les délais de détention provisoire prévus durant l'instruction pour les personnes mises en examen pour des délits de trafic de stupéfiants (ou plus généralement des infractions de criminalité organisée prévues à l'article 706-73 du code de procédure pénale) sur le régime de la détention provisoire pour les infractions criminelles ».

Les rapporteurs ne peuvent que souscrire à l'objectif de cette disposition. Du reste, les difficultés résultant, dans le cadre d'affaires liées au trafic de stupéfiants ou à la criminalité organisée, de la brièveté des délais applicables à la détention provisoire en matière correctionnelle leur ont unanimement été confirmées par les représentants de l'autorité judiciaire auditionnés.

Pour autant, la commission a considéré que l'alignement sur le régime criminel des durées maximales de détention provisoire, fût-il limité aux délits relevant de la criminalité organisée, emportait un important risque d'inconstitutionnalité. Elle rejoint ainsi sur ce point l'analyse formulée par la direction des affaires criminelles et des grâces au cours de son audition : « appliquer le régime de la détention provisoire criminelle à toutes les infractions de la criminalité organisée pourrait apparaître excessif et se révéler incohérent par rapport au régime applicable aux délits terroristes ».

Afin de garantir la proportionnalité de la mesure, elle a adopté un amendement n° COM-87 des rapporteurs lui substituant un aménagement du séquençage de la détention provisoire. Ledit amendement procède ainsi à un allongement de la durée du mandat de dépôt correctionnel initial de quatre à six mois, conformément à une recommandation largement partagée parmi les personnes auditionnées.

3. Une réforme impérative et urgente de la procédure applicable aux demandes de mise en liberté

En matière de lutte contre le narcotrafic, la sécurisation juridique de la procédure de traitement des demandes de mise en liberté a été identifiée comme un enjeu prioritaire par la commission d'enquête sénatoriale. Son rapport revient ainsi longuement sur les stratégies déployées par les avocats de la défense pour obtenir la libération anticipée de leurs clients, que ce soit par une exploitation poussée des failles de la procédure ou par l'usage de manoeuvres dilatoires plus ou moins déloyales. Ce constat ne semble souffrir d'aucune contestation ; au cours de leurs travaux, les rapporteurs ont été systématiquement interpellés sur l'urgence à réformer la procédure applicable aux demandes de mise en liberté en matière de narcotrafic.

L'article 23 traduit trois des recommandations formulées par la commission d'enquête sur ce sujet.

Premièrement, il modifie l'article 148-2 du code de procédure pénale afin de prévoir que les délais de traitement d'une demande de mise en liberté par une juridiction saisie directement en application de l'article 148 débutent « à compter de l'enregistrement de la demande au greffier de la juridiction d'instruction saisie du dossier ou au greffier de la juridiction compétente en vertu de l'article 148-1 ». En l'état, le point de départ du délai de dix ou vingt jours est fixé à la réception de la demande, étant entendu que, selon les éléments transmis par la direction des affaires criminelles et des grâces, ladite réception « semble être assimilée par la jurisprudence à son enregistrement dès lors que celui-ci a été fait sans retard indu et qu'il correspond au moment où le greffe compétent a effectivement pris connaissance de la demande ». La commission a pris acte de l'argument selon lequel la modification portée par l'article 23 « pourrait avoir des effets de bord importants, notamment parce qu'elle pourrait reporter indéfiniment le point de départ du délai d'examen d'une demande de mise en liberté ». Elle a néanmoins considéré que cette inquiétude n'était pas fondée, sauf à ce que les services de greffe ne procèdent pas en pratique à l'enregistrement dans des délais raisonnables, ce qui n'est non seulement pas dépendant de la volonté du législateur, mais en outre relativement hypothétique. Tout en gardant le sujet ouvert pour la séance, la commission a à ce stade adopté le dispositif sans modification.

Deuxièmement, l'article 23 modifie l'article 179 du code de procédure pénale pour, d'une part, fixer le point de départ du délai d'audiencement au fond d'un dossier de trafic de stupéfiants au jour où la décision de renvoi devant ce tribunal est devenue définitive. D'autre part, il prévoit qu'en cas de requête devant la chambre de l'instruction au moment du prononcé de l'ordonnance de renvoi, le délai de détention provisoire débute à compter du jour où la décision sur la requête est elle-même devenue définitive.

Compte tenu des nombreuses difficultés engendrées par la possibilité d'envoi par courriers avec accusé de réception des demandes de mise en liberté, l'article 23 impose troisièmement que l'avocat requérant soit inscrit à l'ordre des avocats du ressort du tribunal judiciaire compétent. Par l'adoption d'un amendement n° COM-87 des rapporteurs, la commission lui a substitué un dispositif supprimant la possibilité de transmission par voie postale des demandes de mise en liberté.

Par l'adoption du même amendement n° COM-87, la commission a par ailleurs entendu franchir un palier supplémentaire dans la sécurisation du traitement des demandes de mise en liberté. En réponse à une demande forte des juridictions, elle a fait évoluer la procédure sur six points afin :

- d'augmenter les délais attribués au parquet et au juge des libertés pour statuer sur les demandes de mise en liberté en première instance, afin de les porter à respectivement dix et cinq jours - contre cinq et trois jours actuellement. De la même manière, le délai alloué à la chambre de l'instruction pour statuer en saisine directe en application de l'article 148 du code de procédure pénale serait étendu à trente jours, contre vingt jours aujourd'hui ;

- de prévoir l'irrecevabilité d'une demande de mise en liberté en appel tant qu'il n'a pas été statué sur l'appel précédent, à l'instar du dispositif existant en première instance, et de prévoir, en première instance comme en appel, que cette irrecevabilité s'applique jusqu'à la notification de la décision aux parties, afin de mettre fin à la situation d'incertitude qui marque le texte actuel du code et pose en pratique de lourds problèmes aux magistrats compétents ;

- de prévoir que, dans le cadre de l'examen d'une demande de mise en liberté par une juridiction saisie en application de l'article 148-2 du code de procédure pénale, « les pièces produites par le prévenu ou son avocat doivent être transmises au plus tard cinq jours avant l'audience » ;

- de porter de quatre à huit heures la durée pendant laquelle une personne bénéficiant d'une ordonnance de remise en liberté est maintenue temporairement en détention, en vue de la formation d'un appel et d'un référé-détention par le procureur de la République ;

- de supprimer la possibilité de saisine directe de la chambre de l'instruction si la personne maintenue en détention provisoire n'a pas été entendue depuis plus de quatre mois ;

- de prévoir que les délais de saisine directe de la chambre de l'instruction, à l'expiration desquels une mise en liberté d'office peut intervenir, ne commencent à courir qu'à compter de la réception de la demande de mise en liberté par ladite chambre. L'amendement adopté crée ainsi en parallèle, sur le modèle de la procédure déjà prévue par l'article 148-1-1 du code de procédure pénale, une possibilité de décision en extrême urgence de la chambre de l'instruction après l'expiration des mêmes délais lorsque la mise en liberté aurait des conséquences manifestement disproportionnées au regard des particularités du dossier et pour les seules personnes mises en examen pour des faits liés à la délinquance et à la criminalité organisées.

La commission a adopté l'article 23 ainsi modifié.

Article 24
Création d'une interdiction administrative de paraître sur les lieux de trafic de stupéfiants

L'article 24 ouvre la possibilité de prononcer des interdictions administratives de paraître sur les « points de deal » à l'encontre des dirigeants de réseaux de trafics de stupéfiants. Il permet par ailleurs de mettre l'intéressé en demeure de quitter son domicile lorsque celui-ci est situé dans la zone d'interdiction et utilisé dans le cadre des activités de direction dudit réseau.

La commission a pleinement souscrit à l'esprit de cet article, très attendu par les élus locaux. Afin de le sécuriser juridiquement et d'en renforcer l'opérationnalité, elle a, à l'initiative des rapporteurs, adopté un amendement dissociant les dispositifs d'interdiction de paraître et d'expulsion locative, tout en renforçant les garanties associées. Elle l'a adopté ainsi modifié.

1. L'interdiction administrative de paraître sur les « points de deal », une mesure qui emporte un large consensus

1.1 L'article 24 : de nouvelles mesures administratives pour lutter contre la prolifération des « points de deal »

L'article 24 introduit un nouveau chapitre III ter au sein du titre Ier du livre II de la sécurité intérieure. Il ouvre premièrement la possibilité pour le représentant de l'État dans le département, après information du procureur de la République territorialement compétent, de prononcer une interdiction de paraître sur les « points de deal » à l'encontre des têtes de réseaux de trafics de stupéfiants. Concrètement, une telle interdiction pourrait être prononcée « lorsqu'il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'un individu dirige un groupement ayant pour objet la production, la fabrication, l'importation, l'exportation, le transport, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition ou l'emploi illicites de stupéfiants ». Édictée à l'issue d'une procédure contradictoire, elle ne pourrait excéder une durée d'un mois, renouvelable une fois. En termes géographiques, l'interdiction de paraître s'appliquerait aux lieux qui, par la nature de leur fréquentation ou du fait des circonstances, sont particulièrement exposés à des risques de troubles graves à l'ordre public résultant de l'activité du réseau de trafic de stupéfiants dirigé par l'intéressé.

L'article 24 aménage deuxièmement une procédure particulière pour les cas où le domicile de l'intéressé se situerait dans la zone faisant l'objet d'une interdiction de paraître. Dans l'hypothèse où celui-ci occuperait un logement social et qu'il l'utiliserait dans le cadre de ses activités de direction d'un trafic de stupéfiants, il reviendrait alors au représentant de l'État dans le département, à l'issue d'une procédure contradictoire, de le mettre en demeure de quitter les lieux. Ladite mise en demeure devrait être assortie d'un délai d'exécution ne pouvant être inférieure à quarante-huit heures, ou sept jours dans les cas où le logement constituerait la résidence principale du locataire. Dans cette situation, les services de l'État seraient par ailleurs tenus de procéder « à un relogement d'office dans un logement dont l'emplacement tient compte de la situation personnelle et familiale de la personne concernée ». Cette mesure serait prononcée pour une durée maximale d'un mois, renouvelable une fois, ou, lorsque le logement constitue la résidente principale du locataire, dix jours, renouvelable une fois.

L'application de ces deux mesures aux mineurs est par ailleurs expressément exclue. Enfin, la violation d'une interdiction de paraître ou le non-respect d'une mise en demeure serait punie d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.

1.2 Un dispositif très attendu par les élus locaux et qui répond indéniablement à un fort besoin opérationnel

Les rapporteurs ont constaté au cours de leurs travaux que la création d'une nouvelle interdiction administrative de paraître sur les « points de deal », d'une part, répondait à un fort besoin opérationnel et, d'autre part, était particulièrement attendue par les élus locaux.

Pour rappel, celle-ci a pour la première fois été évoquée en ces termes par le directeur général de la police nationale Louis Laugier lors de son audition devant la commission le 20 novembre 2024 : « il serait opportun de créer une mesure de police administrative d'interdiction de paraître pour les individus causant un trouble à l'ordre et à la tranquillité publics, dans la mesure où les actions judiciaires se sont révélées inefficaces ou impossibles ».

L'ampleur du besoin opérationnel a notamment été confirmée par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur au cours de son audition. Selon elle, il s'agit en effet bien de « traiter les phénomènes de voie publique qui exposent les populations à des risques majeurs liés à la présence d'un point de deal : exposition à l'ultra violence liée à des guerres de gangs, exposition aux drogues, emprise territoriale des groupes criminels », et ce, alors que « le traitement judiciaire permet d'obtenir des résultats, mais dans des délais absolument incompatibles avec l'urgence à agir et la capacité d'adaptation des groupes criminels ; l'interdiction administrative de paraître vise à interdire préventivement aux personnes de fréquenter le point de deal dès qu'il y a des raisons sérieuses de penser qu'elles y participent ; cela permet d'éloigner les acteurs visibles du trafic, pour lesquels il est par nature difficile d'étayer rapidement les soupçons permettant un traitement judiciaire au titre de la complicité au trafic de stupéfiants ; les points de deal sont en effet organisés précisément avec une séparation des tâches telles que les démanteler nécessite des opérations très lourdes et de longue haleine ». Cette nécessité de se doter d'un nouvel outil pour lutter contre l'emprise croissante des « points de deal » sur le territoire a été confirmée, pour les mêmes raisons, par l'ensemble des services opérationnels auditionnés par les rapporteurs.

De fait, les mesures judiciaires applicables en la matière ne répondent qu'imparfaitement aux enjeux, qu'il s'agisse par exemple de la mesure d'alternative aux poursuites d'interdiction de paraître prévue au 7° de l'article 41-1 du code de procédure pénale, d'une composition pénale proposée par le procureur de la République en application du 9° de l'article 41-2 du même code, de la peine complémentaire substitutive d'une peine d'emprisonnement prévue au 12° de l'article 131-6 du code pénal en matière délictuelle ou d'une mesure imposée dans le cadre du régime de la probation en application du 9° de l'article 132-45 du même code. Outre l'importance des délais nécessaires à son édiction, celle-ci suppose par nature que l'infraction ait été caractérisée. A contrario, une mesure administrative permettrait d'agir à titre préventif et dans des délais drastiquement réduits.

Une telle mesure est, en outre, singulièrement attendue par les élus locaux. Ceux-ci sont en effet en première ligne face aux nuisances subis par les riverains de « points de deal » et ne disposent que de peu de leviers d'actions pour y mettre un terme. L'article 24 a en conséquence fait l'objet d'un accueil très favorable de la part de l'ensemble des associations d'élus locaux. À titre d'exemple, l'association des maires de France et présidents d'intercommunalités a considéré que « les interdictions administratives de paraître ou de relogement constituaient une mesure supplémentaire dans l'arsenal de sanctions disponibles », tandis que l'association des petites villes de France a souligné que « cette disposition répondait en partie à la demande d'une réponse plus ferme de l'État, formulée [par ses soins] depuis plusieurs années ». Enfin, France urbaine a indiqué être « favorable à cette mesure qui répond à la priorité de lutter contre les incidences du narcotrafic sur la qualité de vie des habitants ».

2. La position de la commission : garantir la robustesse juridique et l'opérationnalité du dispositif

Dans ce contexte, la commission a approuvé sans réserve le principe de l'article 24. Afin d'en garantir l'opérationnalité et la robustesse juridique, elle a adopté un amendement n° COM-88 des rapporteurs dissociant les deux dispositifs et renforçant les garanties associées.

S'agissant de l'interdiction administrative de paraître, l'amendement adopté l'étend tout d'abord à toute personne et non aux seules têtes de réseaux qui, en tout état de cause, ne se rendent quasiment jamais sur les lieux des trafics qu'ils organisent. L'inapplicabilité du dispositif aux mineurs est ensuite supprimée, et ce afin de mieux protéger ce public particulièrement vulnérable. Immuniser les mineurs contre cette mesure inciterait en effet probablement les trafiquants à privilégier encore davantage qu'actuellement leur recrutement pour exercer, à leurs risques et périls, des activités illicites sur des « points de deal ».

L'amendement adopté prévoit en outre que le représentant de l'État « tient compte de la vie familiale et professionnelle de la personne concernée » pour apprécier de l'opportunité de la mesure d'interdiction administrative de paraître. Conformément à la jurisprudence constitutionnelle sur le sujet, il est expressément mentionné que le périmètre géographique de l'interdiction ne peut comprendre le domicile principal de l'intéressé119(*).

S'agissant de l'expulsion locative, la commission a considéré que, pour louable qu'il soit, le dispositif proposé par l'article 24 était juridiquement fragile du fait notamment de l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire. Par l'adoption du même amendement n° COM-88 des rapporteurs, elle lui a substitué un dispositif s'appuyant sur les dispositifs préexistants dans la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et le code de la construction et de l'habitation pour permettre à l'autorité administrative d'enjoindre au bailleur de requérir l'expulsion d'un locataire portant atteinte à la jouissance paisible de son logement et de son environnement.

Concrètement, l'amendement adopté étend le périmètre des clauses d'occupation paisible qui figurent obligatoirement dans les baux en application de l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989 précitée mais qui, en l'état, ne s'appliquent qu'aux comportements commis à l'intérieur du logement ou dans les parties communes. La modification de cette base légale permettrait ainsi de fonder juridiquement des décisions d'expulsion en application de l'article L. 442-4-2 du code de la construction et de l'habitation. Afin de protéger les bailleurs d'éventuelles représailles, la commission a par ailleurs prévu que le représentant de l'État dans le département puisse se substituer à ces derniers pour saisir le juge.

La commission a adopté l'article 24 ainsi modifié.


* 6 Décret n° 2019-1457 du 26 décembre 2019 portant création du service à compétence nationale dénommé Office anti-stupéfiants.

* 7 Article 706-80-1 du code de procédure pénale ; article 67 bis-3 du code des douanes.

* 8 Pour plus de détail sur cette réforme, voir le rapport d'information n° 387 (2022-2023), fait par Nadine Bellurot et Jérôme Durain au nom de la commission des lois, déposé le 1er mars 2023

* 9 Cour des comptes, « L'Ofast et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants - Exercices 2018 à 2023 », observations définitives, 26 septembre 2024.

* 10 Articles R. 811-2 et R. 811-3 du code de la sécurité intérieure.

* 11 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 12  Les « mules » peuvent se définir comme « des personnes, à l'origine non impliquées dans le trafic de drogues, qui assurent l'acheminement de drogues ayant une valeur marchande élevée pour le compte d'un réseau de trafiquants, in corpore en les avalant ou en les plaçant dans des cavités naturelles ou dans leurs bagages » (source : Observatoire français des drogues et des tendances addictives)

* 13 Pour plus de détails, se reporter au commentaire de l'article 7.

* 14 Pour plus de détails, se reporter au commentaire de l'article 2.

* 15 Conseil constitutionnel, décision n° 2021-924 QPC du 9 juillet 2021, La Quadrature du Net.

* 16  Rapport précité.

* 17 Créées par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, les huit Jirs sont implantées à Bordeaux, Lille, Lyon, Paris, Marseille, Rennes, Nancy et Fort-de-France.

* 18 Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

* 19 Celle du Havre, créée en 2016, est organisée sous l'autorité des procureurs généraux de Paris, Douai, Rouen et Fort de France ; depuis 2022, une instance a été mise en place pour l'arc méditerranéen et rassemble les parquets généraux de Paris, Montpellier et Aix-en-Provence ; depuis 2023, les parquets généraux de Bordeaux, Rennes, Pau et Poitiers, les parquets disposant d'un ressort sur la façade Atlantique et les parquets Jirs de Bordeaux et Rennes disposent d'une instance pour l'arc Atlantique.

* 20 Voir infra, articles 11 à 15.

* 21 Voir supra, article 1er.

* 22 Ces chiffres ont été nuancés par la Junalco lors de son audition : sans que les motifs de cette divergence soient connus, elle déclare désormais que sur 94 dossiers ouverts, 54 sont liés au narcotrafic.

* 23 Voir infra, articles 11 et 15.

* 24 Juge de l'application des peines, tribunal de l'application des peines et chambre de l'application des peines.

* 25 Les conflits entre Jirs et juges d'instruction resteraient régis par les dispositions actuelles du code de procédure pénale, dans la mesure où il n'apparaît pas juridiquement opportun qu'un procureur soit appelé à trancher des désaccords entre le siège et un parquet, voire entre deux formations du siège.

* 26 Voir infra, article 6.

* 27 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 28 Articles L. 331-1 et suivants du code de la sécurité intérieure.

* 29 Article L. 8272-2 du code du travail.

* 30 Article L. 3422-1 du code de la santé publique.

* 31 Intitulé « 15 propositions pour renforcer la lutte contre la criminalité financière ».

* 32 Depuis la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude

* 33 À savoir les personnes physiques ou morales détenant plus de 25 % du capital d'une société ou d'un moyen de contrôle su celle-ci.

* 34 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 35 Article 321-6 du code de procédure pénale.

* 36 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 37 Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Analyse nationale, janvier 2023.

* 38 Créé par la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, le statut de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) est soumis à un enregistrement obligatoire auprès de l'autorité des marchés financiers, sur avis conforme de l'autorité de contrôle prudentiel et de régulation, et, le cas échéant, d'un agrément optionnel. Outre une application d'office des règles LBC-FT, leurs bénéficiaires doivent respecter d'importantes exigences s'agissant notamment de l'identification des actionnaires, du contrôle interne, de la gestion des risques ou encore de la sécurité informatique (voir article L. 54-10-3 et suivants du code monétaire et financier).

* 39 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 40 Voir en particulier le dernier alinéa de l'article 11 ainsi que les articles 11-1 et 11-2 du code de procédure pénale.

* 41 Mentionnés à l'article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure.

* 42 Et notamment au bénéfice des services spécialisés de renseignement ainsi que des services dits « du second cercle » mentionnés à l'article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure.

* 43 Sénat, commission des lois, rapport n° 694 (2020-2021) de Marc-Philippe Daubresse et Agnès Canayer sur le projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, 16 juin 2021.

* 44 Par la création de deux critères cumulatifs que sont le lien avec les missions du service bénéficiaire et l'existence d'un intérêt spécifique pour l'exercice de celles-ci.

* 45 Sénat, commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 46 Conseil d'État, avis n° 402791 sur une lettre rectificative au projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, 6 mai 2021.

* 47 Dans le détail, le plan national de lutte contre les stupéfiants poursuivait trois objectifs : rendre toutes les Cross opérationnelles d'ici à fin 2019 ; impliquer dans chaque Cross des personnels de la gendarmerie et des douanes ; permettre à d'autres acteurs, comme la police municipale et les bailleurs sociaux, de partager leurs informations issues du terrain avec les Cross. Une telle organisation devait permettre, d'une part, « de mieux collecter, recouper et analyser les informations recueillies » et, d'autre part, « de définir collectivement des objectifs de démantèlement de réseaux répartis par services opérationnels ».

* 48 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 49 Ofast, « Doctrine nationale de la lutte contre les trafics de stupéfiants », document transmis à la commission d'enquête.

* 50 Informations issues du même document.

* 51 Cour des comptes, Relevé d'observations définitives, « L'Ofast et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », 27 novembre 2024.

* 52 Cette conclusion s'appuyait notamment sur les observations suivantes : « il y a des endroits où [les CROSS] fonctionnent très bien, d'autres où elles ont été totalement mises de côté, se réunissant à peine une fois par an. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation : la qualité des relations interpersonnelles, qui demeure un facteur prépondérant, la présence ou non d'une antenne de l'Ofast à proximité pour redynamiser le réseau, des « faits » d'actualité, qui peuvent conduire à réactiver des cellules en sommeil ».

* 53 Sénat, commission des lois, rapport n° 694 (2020-2021) de Marc-Philippe Daubresse et Agnès Canayer sur le projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, 16 juin 2021.

* 54 Sénat, rapport n° 810 (2022-2023) relatif à l'activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2022-2023, 28 juin 2023.

* 55 Sénat, rapport n° 595 (2023-2024) d'Agnès Canayer sur la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, 15 mai 2024.

* 56 CNCTR, huitième rapport d'activité, 2023.

* 57 Crimes et délits définis aux articles 222-34 à 222-40 du code pénal, mentionnés au 3° de
l'article 706-73 du code de procédure pénale.

* 58 Il s'agit des techniques prévues aux articles 706-80 à 706-87 et 706-89 à 706-102-5 du code de procédure pénale : surveillance, infiltration, perquisitions, accès à distance aux correspondances, recueil des données de connexion, sonorisation, captation de données informatiques.

* 59 Article 706-88 du code de procédure pénale.

* 60 « Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions » (article 132-71 du code pénal).

* 61 Cour de cassation, chambre criminelle, 8 juillet 2015, n° 14-88.329.

* 62 Article 203 du code de procédure pénale.

* 63 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 64 La connexité permet une éventuelle jonction de procédures, une prorogation de compétence, l'interruption du délai de prescription de l'action publique ou la condamnation solidaire des condamnés au paiement des dommages et intérêts.

* 65 Direction ou organisation d'un groupement ayant pour objet le trafic de stupéfiants ; production ou fabrication illicites de stupéfiants ; importation ou exportation de stupéfiants ; transport, détention, offre, cession acquisition ou emploi illicites de stupéfiants ; facilitation de la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur de l'une des infractions précitées ; cession ou offre illicites de stupéfiants en vue de sa consommation personnelle.

* 66 Il s'agit des cas où ces provocations ont lieu dans des établissements d'enseignement ou d'éducation ou dans les locaux de l'administration, ainsi que, lors des entrées ou sorties des élèves ou du public ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements ou locaux.

* 67 L'article vise les plateformes définies au 4 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

* 68 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 69 Selon le site Internet Vie-publique.fr, l'ubérisation peut être définie comme « la remise en question de structures économiques traditionnelles par la mise en relation directe des clients et des prestataires, via des plateformes numériques. Elle permet une plus grande souplesse, diversifie l'offre et la demande, introduit l'innovation et modifie la notion même de travail »

* 70 En application des dispositions du code de la justice pénale des mineurs, les mineurs se voient appliquer des règles de procédure pénale différentes de celles applicables aux majeurs (par exemple, impossibilité de retenue judiciaire avant 10 ans, pas de garde à vue possible avant 13 ans) et les peines encourues par les mineurs sont par principe diminuées de moitié ; de plus, les mesures et sanctions éducatives doivent être privilégiées par les juges des enfants avant tout prononcé d'une peine.

* 71 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 72 Source : site internet de l'OFDT.

* 73 Soit les infractions mentionnées au 3° de l'article 706-73 du code de procédure pénale.

* 74 Conseil constitutionnel, décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, Daniel W. et autres.

* 75 Dans l'hypothèse où cette demande aurait été refusée dans les conditions prévues à l'article 63-2 du code de procédure pénale.

* 76 Article 132-1 du code pénal.

* 77 La personnalité qualifiée désignée est, à date, Laurence Pécault-Rivolier, membre du collège de l'Arcom, conseillère à la Cour de cassation. Son suppléant est Denis Rapone, membre du collège de l'Arcom, conseiller d'État.

* 78 Le dernier rapport publié à date porte sur l' année 2023.

* 79 Au sens de l'article 3 du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques, une plateforme est définie comme « un service d'hébergement qui, à la demande d'un destinataire du service, stocke et diffuse au public des informations ».

* 80 Ces règles sont prévues au A du V de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

* 81 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 82 Selon le site Internet Vie-publique.fr, l'ubérisation peut être définie comme « la remise en question

de structures économiques traditionnelles par la mise en relation directe des clients et des prestataires,

via des plateformes numériques. Elle permet une plus grande souplesse, diversifie l'offre et la demande,

introduit l'innovation et modifie la notion même de travail »

* 83 Soit depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur.

* 84 Celle-ci est, par conséquent, compétente pour juger les seuls crimes de direction ou l'organisation d'un groupement de narcotrafic (article 222-34 du code pénal), de production ou de fabrication illicites de stupéfiants (article 222-35), d'importation ou d'exportation de stupéfiants en bande organisée (article 222 -36) et de justification mensongère de l'origine des biens ou revenus acquis grâce à un crime dont la personne concernée avait connaissance (article 222-38).

* 85 Voir supra, commentaire de l'article 2.

* 86  Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 87  Décret n° 2014-346 du 17 mars 2014 relatif à la protection des personnes mentionnées aux articles 706-62-2 et 706-63-1 du code de procédure pénale.

* 88 Voir la note de droit comparé annexée au rapport.

* 89  Audition du 27 novembre 2023.

* 90 Expression employée devant la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic par Marc Perrot, directeur territorial de la police judiciaire de Nantes (Loire-Atlantique), lors de son audition le 17 janvier 2024.

* 91 Un régime spécifique, prévu par le même article 230-33, régit l'utilisation de la géolocalisation en cas d'instruction ou d'information pour recherche des causes de la mort ou en cas de disparition.

* 92 Voir l'audition de parquets situés en zone rurale menée le 15 janvier 2024 par la commission d'enquête.

* 93 CJUE, 18 juillet 2012, Kadi II, aff C-584/10 P, relatif au contentieux des mesures restrictives.

* 94  Décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014. Celle-ci portait sur des dispositions permettant au juge des libertés et de la détention d'autoriser que « certaines informations relatives à l'installation ou au retrait du moyen technique de géolocalisation ou l'enregistrement des données de localisation et les éléments permettant d'identifier une personne ayant concouru à l'installation ou au retrait du moyen technique n'apparaissent pas dans le dossier de la procédure d'instruction ».

* 95 Le dispositif de la proposition de loi aurait eu pour effet de limiter considérablement la durée maximale de déploiement de cette technique, à rebours de l'intention affichée par les auteurs et en contradiction avec les besoins exprimés par les services d'enquête et les magistrats.

* 96 Voir supra, commentaire de l'article 12.

* 97  Rapport précité de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.

* 98  Rapport « Les forces de police à Marseille » du 21 octobre 2024.

* 99 Idem.

* 100 Décisions n° 2021-900 QPC du 23 avril 2021, « Vladimir M. », et n° 2023-1062 QPC du 28 septembre 2023, « François F. ».

* 101 Article 269-1 du code de procédure pénale, résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

* 102 Sont visées les infractions mentionnées aux articles 222-34 à 222-40 du code pénal ainsi que l'infraction de participation à une association de malfaiteurs prévue à l'article 450-1 du même code lorsqu'elle a pour objet la préparation de l'une des infractions précitées.

* 103 Article 110 de la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982.

* 104 L'article 92 de la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982 stipule que les navires naviguent sous le pavillon d'un seul État et sont soumis à sa juridiction exclusive en haute mer, sauf dans les cas exceptionnels expressément prévus par des traités internationaux ou par la Convention.

* 105 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 106 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 107 Sont concernées les établissements publics industriels et commerciaux et les sociétés et dont la société mère a son siège social en France et dont l'effectif comprend au moins cinq cents salariés, et dont le chiffre d'affaires ou le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 100 millions d'euros.

* 108 Voir le b) du 11.1.7 de l'annexe du règlement d'exécution (UE) 2015/1998 de la Commission du 5 novembre 2015 fixant des mesures détaillées pour la mise en oeuvre des normes de base communes dans le domaine de la sûreté de l'aviation civile.

* 109 Articles 11-2 et suivants du code de procédure pénale.

* 110 Conseil d'État, Assemblée générale, 10 mars 2022, Avis n°404913 sur un projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur et portant diverses dispositions en matière pénale et sur la sécurité intérieure.

* 111 Il s'agit des techniques prévues aux articles 706-80 à 706-87 et 706-89 à 706-102-5 du code de procédure pénale : surveillance, infiltration, perquisitions, accès à distance aux correspondances, recueil des données de connexion, sonorisation, captation de données informatiques.

* 112 Article 706-88 du code de procédure pénale.

* 113 Pour plus de détails, se reporter au commentaire de l'article 6.

* 114 Pour plus de détails, se reporter au commentaire de l'article 2.

* 115 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 116 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 117 Article 145-1 du code de procédure pénale.

* 118 Article 145-2 du code de procédure pénale.

* 119 Conseil constitutionnel, décision n° 2021-822 DC du 30 juillet 2021 (voir le 8).

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