N° 253

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 janvier 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (procédure accélérée) et sur la proposition de loi organique fixant le statut du procureur national anti-stupéfiants
(procédure accélérée),

Par Mme Muriel JOURDA et M. Jérôme DURAIN,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, MM. Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, MM. Georges Naturel, Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

735 rect. (2023-2024), 197, 254 et 255 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

Créée en novembre 2023 à l'initiative du groupe Les Républicains, la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a remis son rapport « Un nécessaire sursaut : sortir la France du piège du narcotrafic » en mai 2024.

Elle a dressé un état des lieux préoccupant de la menace liée au narcotrafic : ce phénomène délétère s'étend désormais sur l'intégralité du territoire national, depuis des outre-mer utilisées comme zones de « rebond » par les trafiquants jusqu'à un hexagone dont tant les métropoles que les territoires ruraux sont désormais gangrénés par le trafic ; il se nourrit par ailleurs de violence, de menaces, de corruption et de blanchiment et en est venu à menacer les intérêts fondamentaux de la Nation.

C'est pour reprendre les principales recommandations de la commission d'enquête qu'Étienne Blanc et Jérôme Durain, respectivement rapporteur et président de cette commission, ont déposé la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et la proposition de loi organique fixant le statut du procureur national anti-stupéfiants.

I. DES ACTEURS INSUFFISAMMENT ARMÉS FACE À L'AGGRAVATION CONTINUE DE L'ÉTAT DE LA MENACE LIÉE AU NARCOTRAFIC

L'impact du narcotrafic sur la France n'est que trop souvent, et dramatiquement, illustré par l'actualité. La commission d'enquête a permis d'établir un diagnostic qui atteste non seulement de la gravité de l'emprise du trafic sur notre pays, mais aussi de l'asymétrie entre les trafiquants et les services répressifs nationaux.

Ce constat a été corroboré par les auditions menées par les rapporteurs, Muriel Jourda et Jérôme Durain, qui, tout en confirmant la remarquable implication des acteurs de la lutte contre le narcotrafic (police, gendarmerie, douane, juridictions...), ont mis au jour son poids inquiétant sur l'ensemble du territoire national.

A. LE NARCOTRAFIC, UNE MENACE POUR LES INTÉRÊTS FONDAMENTAUX DE LA NATION

Phénomène mondial, le narcotrafic a des répercussions lourdes sur la situation sécuritaire de la France. À raison, la commission d'enquête sénatoriale a dépeint une « France submergée par le narcotrafic » ; ce constat a été repris par toutes les personnes auditionnées par les rapporteurs, qui ont rappelé que l'aggravation du trafic depuis une dizaine d'années est largement le fruit de la « démocratisation » de la cocaïne, produit tout aussi dangereux que rentable. Cette évolution a contribué, d'une part, à l'importation sur le sol français des techniques des cartels sud-américains, qui reposent sur la corruption et sur un usage débridé de la violence et, d'autre part, à la mise en danger des territoires ultramarins, notamment la Guyane et les collectivités des Antilles, utilisés par les trafiquants comme des portes vers l'Europe en raison de leur proximité avec les zones de production.

Principaux flux de cocaïne identifiés entre 2015 et 2019

Source : ONUDC/COFGC

Ingénieux, les narcotrafiquants sont particulièrement adaptables et emploient tous les leviers à leur disposition pour exporter les produits, en garantir la distribution, en assurer la promotion et la vente (y compris sur les plateformes numériques), et surtout pour blanchir les sommes issues de ce commerce, estimées pour la France entre 3,5 et 6 milliards d'euros par an, dont 80 % seraient imputables au cannabis et à la cocaïne, ce qui représente un doublement du « chiffre d'affaires » du trafic depuis 20101(*). Il en résulte une « offre accessible, attractive et disponible sur tout le territoire » pour tous types de produits, avec de surcroît une diversification de l'approvisionnement des consommateurs sous l'effet de l'ubérisation du trafic2(*).

La puissance financière considérable des réseaux leur permet de déjouer les mesures mises en place par les États pour empêcher la circulation des stupéfiants : le narcotrafiquant est ainsi devenu « un opérateur économique agile, inventif et impitoyable »3(*).

Magistrats et forces de sécurité intérieure ont été unanimes pour décrire aux rapporteurs des réseaux extrêmement bien organisés, dont les « têtes » sont majoritairement réfugiées dans des États peu voire non coopératifs, ayant à leur disposition des moyens technologiques de pointe (notamment des messageries cryptées ad hoc, comme en témoignent les dossiers Encrochat et Sky ECC ou, plus récemment, Ghost4(*)), ne reculant devant aucune forme de violence et dotés d'une inquiétante force de corruption dans leurs secteurs d'intérêt (transport portuaire et aéroportuaire, secteur de la logistique, administrations régaliennes, etc.). L'Office anti-stupéfiants (Ofast) évoque ainsi un « marché français [...] alimenté par des organisations criminelles qui se jouent des limites territoriales » et des réseaux « [structurés] comme des entreprises » mus par l'efficacité et le profit, fût-ce au prix de dizaines de morts - comme en témoignent les 85 victimes (y compris « collatérales ») tuées dans des règlements de comptes en France pour l'année 2023, dont 49 à Marseille.

B. UNE LUTTE À ARMES INÉGALES, AU DÉTRIMENT DES ACTEURS PUBLICS

Les travaux des rapporteurs attestent de l'implication sans faille des services publics chargés de la lutte contre le trafic. En témoignent, entre autres, l'augmentation continue des saisies depuis plusieurs années (par exemple, pour la cocaïne, 44,8 tonnes ont été saisies au 30 septembre 2024, contre 23,2 tonnes pour toute l'année 2023) et la baisse tendancielle du nombre de points de deal (2 900 au troisième trimestre 2024, contre 4 034 en 2020)5(*).

Mais leurs auditions montrent, dans le même temps, que la réponse de l'État face au narcotrafic souffre d'un manque de moyens organisationnels, juridiques et humains. Sans prétendre à l'exhaustivité, les rapporteurs relèvent que plusieurs facteurs obèrent l'efficacité de la riposte étatique.

Sur le plan organisationnel, la coordination de la lutte menée par la police, la gendarmerie et la douane n'est qu'imparfaitement assurée par l'Ofast, chef de file qui ne dispose paradoxalement pas d'une pleine autorité sur les services qu'il supervise. De la même manière, dans la sphère judiciaire, l'articulation entre les juridictions locales, les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) et la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) manque de fluidité, limitant la capacité de chaque acteur à jouer son juste rôle.

En outre, alors que tous s'accordent sur la nécessité de « frapper au porte-monnaie » des trafiquants mus par l'appât du gain et qui ne craignent que modérément l'incarcération, les résultats de la lutte contre le blanchiment sont décevants : les saisies effectuées en matière de narcotrafic ne représentaient en 2023 que 117 millions d'euros (soit à peine 3 % de la fourchette basse du chiffre d'affaires du trafic), dont seulement 2 % de cryptoactifs.

En troisième lieu, l'arsenal pénal et procédural est imparfait : les représentants des administrations, des magistrats et des policiers entendus par les rapporteurs mettent en particulier en avant les limites que leur impose l'état du droit en matière de recueil et d'exploitation du renseignement administratif, la complexité du régime des techniques spéciales d'enquête et un usage parfois dévoyé des nullités de procédure, qu'elles soient invoquées à des fins purement dilatoires ou provoquées par l'usage de manoeuvres dolosives.

Les personnes auditionnées se sont également inquiétées de la montée en puissance de la corruption comme de la continuation des trafics en prison, qui sont autant de marques de l'impérialisme des narcotrafiquants.

Enfin, tous les protagonistes (services d'enquête et de renseignement, juridictions, administration pénitentiaire...) ont pointé l'insuffisance des moyens matériels et humains qui leur sont attribués : outre la faiblesse des effectifs des services de police judiciaire spécialisés en matière de trafic et, plus encore, de blanchiment, les auditions ont rappelé l'obsolescence des moyens informatiques des juridictions pénales, sans même évoquer un éventuel recours (pourtant souhaitable) à des outils de traitement de données en masse, voire d'intelligence artificielle.

II. DES TEXTES QUI REPRENNENT LES RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE DU SÉNAT SUR LE NARCOTRAFIC

Les propositions de loi déposées par Étienne Blanc et Jérôme Durain reprennent les principales recommandations de niveau législatif de la commission d'enquête et en assurent la transcription au niveau tant ordinaire qu'organique. Elles visent ainsi à mettre en oeuvre la « stratégie globale » adoptée à l'unanimité par les membres de la commission d'enquête.

A. UN PILOTAGE RENFORCÉ AVEC L'AFFIRMATION DU RÔLE DE DEUX CHEFS DE FILE : L'OFAST ET UN PARQUET NATIONAL DÉDIÉ

L'article 1er permet de consolider les conditions d'exercice, par l'Ofast, de son chef-de-filat au niveau interministériel en matière de lutte contre le narcotrafic. À cette fin, il tend à repositionner l'office, appartenant jusqu'ici à la direction nationale de la police judiciaire, sous la double tutelle du ministère de l'intérieur et du ministère de l'économie et des finances. L'article lui confère également des prérogatives nouvelles, notamment un monopole sur les enquêtes judiciaires relevant du « haut du spectre » de la criminalité.

L'article 2 du texte prévoit la création d'un parquet national anti-stupéfiants, chef de file de la lutte contre le trafic au niveau judiciaire et chargé, par symétrie avec ce qui est prévu pour l'Ofast, de traiter le « haut du spectre » grâce à une compétence d'attribution en matière correctionnelle et à un monopole sur l'ensemble des crimes liés au narcotrafic. Ce dispositif est complété par l'article unique de la proposition de loi organique qui fixe le statut du procureur national anti-stupéfiants : comme le procureur national anti-terroriste (Pnat) et le procureur national financier (PNF), il verrait la durée de ses fonctions soumise à un maximum de sept ans.

B. LE RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT

Le titre II de la proposition de loi (articles 3 à 5) renforce la lutte contre le blanchiment. Son article 3 prévoit cinq dispositifs distincts visant à créer une mesure de fermeture administrative des commerces en lien avec le narcotrafic, à ouvrir aux services des douanes l'accès à des fichiers pertinents pour l'exercice de leurs missions, à renforcer les règles relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, à prévoir la radiation d'office du registre du commerce et des sociétés (RCS) des sociétés ne transmettant pas l'identité de leurs bénéficiaires effectifs ainsi qu'à aménager le régime douanier de saisie sur compte bancaire.

L'article 4 propose quant à lui, d'une part, de systématiser les enquêtes patrimoniales dans le cadre des investigations relatives au narcotrafic et, d'autre part, de créer une nouvelle procédure d'injonction pour richesse inexpliquée.

L'article 5 crée enfin un dispositif judiciaire de gel des avoirs des narcotrafiquants.

C. L'ENJEU D'UN MEILLEUR USAGE DU RENSEIGNEMENT

Le titre III de la proposition de loi (articles 6 à 8) traite du renforcement du renseignement administratif.

L'article 6 étend le champ des dispositifs existants de transmission d'information par les juridictions aux services de renseignement.

Afin de renforcer l'assise de ces instances encore en phase de développement, d'homogénéiser les pratiques entre les territoires et, surtout, d'associer systématiquement le parquet, l'article 7 consacre les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants au niveau de la loi.

L'article 8 vise enfin à expérimenter le recours à la technique du renseignement algorithmique pour la détection des menaces liées à la délinquance et à la criminalité organisées.

D. L'AMÉLIORATION DE L'ARSENAL PÉNAL ET DES OUTILS DE LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC DANS L'ESPACE NUMÉRIQUE

Le titre IV de la proposition de loi (articles 9 à 12) comporte diverses mesures visant à améliorer notre arsenal juridique, notamment pénal, pour mieux appréhender et sanctionner les pratiques des narcotrafiquants.

L'article 9 tend à élargir la définition et renforcer la sanction de l'infraction de participation à une association de malfaiteurs, qui pourrait désormais être punie d'une peine criminelle lorsque les infractions préparées sont des crimes.

Les articles 10 et 12 visent à renforcer nos moyens d'action et de répression face au phénomène d'« ubérisation » du trafic, mis en évidence par la commission d'enquête. Ces dispositifs permettent :

- de mieux caractériser et sanctionner l'infraction consistant à publier une offre de recrutement au sein d'un réseau de narcotrafic sur une plateforme accessible aux mineurs, notamment les réseaux sociaux, où de « petites mains » sont aujourd'hui recrutées ;

- d'étendre les prérogatives dont dispose la cellule Pharos pour demander le retrait et le déréférencement de contenus relatifs à l'offre ou à la cession de stupéfiants, dans les mêmes conditions que pour les contenus à caractère terroriste ou pédopornographique ;

- de renforcer des sanctions pénales prévues pour la répression du délit d'administration illicite de plateforme.

L'article 11 vise à mieux lutter contre le phénomène des « mules », en prévoyant une « hyper-prolongation » de leur garde à vue de façon à permettre l'expulsion totale des substances ingérées et la possibilité pour les juridictions de prononcer à leur encontre des peines complémentaires d'interdiction de vol ou de paraître dans les aéroports, afin de rendre ces personnes, pour leur protection, « inemployables » par les narcotrafiquants.

E. DES MESURES STRUCTURELLES DE PROCÉDURE PÉNALE

Le titre V de la proposition de loi (articles 13 à 21) vient réformer la procédure pénale et faciliter le recours aux techniques spéciales d'enquête.

L'article 13 procède à la spécialisation de la chaîne pénale en matière de trafic de stupéfiants : d'une part, il intègre à la procédure spécifique à ce trafic les infractions connexes (mesure qui vise, en particulier, les règlements de comptes) ; d'autre part, il crée une fonction de juge de l'application des peines spécialisé en matière de criminalité organisée, à l'image de ce que le législateur a déjà prévu en matière de terrorisme.

L'article 14 réforme le statut des « repentis », aujourd'hui unanimement reconnu comme défaillant. Il procède, en premier lieu, à une extension du champ matériel de ce statut, en particulier pour l'ouvrir aux personnes ayant commis des crimes de sang. En second lieu, il comporte diverses mesures ayant pour objet de rendre le statut plus attractif pour les personnes concernées (meilleure garantie de la réduction de peine proposée par le parquet, qui ne pourrait être remise en cause par la juridiction de jugement qu'avec une décision spécialement motivée ; en contrepartie, conclusion d'une convention entre le ministère public et le repenti permettant la révocation de la protection accordée en cas de violation des obligations imposées à celui-ci). Enfin, il prévoit une compétence exclusive du procureur national antistupéfiants pour les « repentis » du narcotrafic.

L'article 15 facilite l'anonymisation des officiers de police judiciaire affectés dans des services chargés de la lutte contre la criminalité organisée : considérant qu'ils sont, du fait même de leurs fonctions, exposés à des menaces particulières, les auteurs proposent une procédure allégée leur permettant d'être identifiés par leur immatriculation administrative - ce qui n'exclut pas leur identification in fine.

L'article 16 instaure un procès-verbal distinct sur lequel seraient inscrites les modalités de fonctionnement de certaines techniques spéciales d'enquête sensibles ou les éléments d'identification des infiltrés, des témoins menacés ou des informateurs. La proposition de loi prévoit un encadrement étroit de ce nouvel outil : limitation du périmètre du procès-verbal à des indications clairement identifiées (c'est-à-dire la date, l'horaire ou le lieu de mise en oeuvre d'une technique spéciale d'enquête, ses méthodes d'exécution et ses modalités d'installation et de retrait) ; autorisation du recours à un tel procès-verbal par le juge des libertés et de la détention ; contrôle systématique de son contenu par la chambre de l'instruction.

L'article 17 vient définir la notion d'« incitation à commettre une infraction » qui, dans le silence de la loi, est aujourd'hui une source d'incertitude juridique en cas d'infiltration ou d'enquête sous pseudonyme. Les auteurs prévoient ainsi de préciser que la « provocation » ne serait pas constituée par des « actes qui contribuent à la poursuite d'une infraction déjà préparée ou débutée » au moment où le magistrat compétent a autorisé une opération sous identité d'emprunt (infiltration, « coup d'achat », etc.) ou qui « aggravent ou réitèrent » l'infraction initiale.

L'article 18 vise à rendre plus efficace la procédure dite du « coup d'achat ». Il apporte à cette fin deux précisions : d'une part, il prévoit que le magistrat ayant autorisé le recours à une telle opération à la suite d'une offre de produits stupéfiants diffusée en ligne pourra également autoriser qu'il soit fait usage d'une identité d'emprunt ; d'autre part, il prévoit que les officiers ou agents de police judiciaire, déjà autorisés par le droit en vigueur à acquérir des produits stupéfiants pour en identifier les vendeurs, pourront en suivre l'acheminement et le transport afin de « remonter » la chaîne logistique du trafic.

L'article 19, relatif aux informateurs, poursuit un double objectif. Le premier porte sur la mise en place d'un statut des informateurs et de leurs traitants : s'inspirant de l'actuelle « charte des informateurs » de la police et de la gendarmerie nationales, les auteurs prévoient que l'informateur pourra être rétribué, que son identité pourra être protégée, et que les traitants agiront dans un cadre collégial et sous le contrôle de leur hiérarchie avec, dans certains cas, l'association de l'autorité judiciaire. Le second est d'instaurer une « infiltration civile » permettant aux informateurs, sur décision du procureur national antistupéfiants et dans des conditions régies par une convention, de devenir des infiltrés.

L'article 20 vise à limiter le poids des nullités « provoquées ». Reprenant les termes utilisés tant par la Cour de cassation que par le Conseil constitutionnel dans leurs jurisprudences, les auteurs proposent ainsi d'écarter par principe le prononcé d'une nullité lorsque celle-ci résulte d'une négligence ou d'une manoeuvre de la partie qui l'invoque.

L'article 21 vise à étendre les compétences de la justice française pour lutter contre le narcotrafic en haute mer.

F. LA VOLONTÉ DE JUGULER L'EMPRISE DU TRAFIC SUR LES INSTITUTIONS, LES PRISONS ET LES TERRITOIRES

L'article 22 prévoit une série de mesures visant à renforcer les moyens juridiques de la politique de lutte contre la corruption dans les administrations sensibles, ainsi que dans les ports et les aéroports, la pénétration des infrastructures de transport revêtant un caractère éminemment stratégique pour le trafic. À cette fin, il prévoit principalement la mise en place de points de contact uniques de signalement dans ces structures, une extension des mesures de criblage administratif préalables aux décisions concernant leurs agents et un dispositif de communication aux employeurs, par le ministère public, des décisions de condamnation ou de mise en examen les concernant.

L'article 23 comprend trois dispositifs distincts et qui visent :

- à sécuriser les établissements pénitentiaires : par l'autorisation d'utiliser des drones aux fins de prévenir l'introduction d'objets prohibés ainsi que par l'enrichissement des informations transmises au Parlement sur les dispositifs de brouillage téléphonique déployés dans les établissements ;

- à aménager le régime de la détention provisoire pour les délits relevant de la criminalité organisée : en prévoyant un alignement de sa durée maximale sur les quatre ans applicables dans le régime criminel ;

- à sécuriser le traitement des demandes de mise en liberté.

L'article 24 ouvre la possibilité de prononcer des interdictions administratives de paraître sur les points de deal à l'encontre des dirigeants de réseaux de trafics de stupéfiants. Il permet par ailleurs de mettre l'intéressé en demeure de quitter son domicile lorsque celui-ci est situé dans la zone d'interdiction.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION : SOUTENIR, AMPLIFIER ET SÉCURISER LES PROPOSITIONS DE LOI

La commission des lois a adhéré sans réserve à l'économie générale des deux propositions de loi. Adoptant 45 amendements, dont 34 des rapporteurs, elle en a fait évoluer la proposition de loi dans un triple objectif : sécuriser juridiquement les dispositifs envisagés, conforter les mesures proposées en étendant la portée de plusieurs d'entre elles et préserver la cohérence du texte pour en faire le point de départ d'une réponse globale qui, seule, sera à la hauteur de la menace qui pèse sur notre pays. Elle a tiré les conséquences, dans la proposition de loi organique, de ces aménagements.

A. DES CHEFS DE FILE MIEUX IDENTIFIÉS

À l'article 1er, les amendements adoptés par la commission à l'initiative des rapporteurs, outre des améliorations rédactionnelles ont visé à mieux délimiter les nouvelles prérogatives judiciaires de l'Ofast, en cohérence avec celles du Pnaco, et à différer l'entrée en vigueur du dispositif, de façon à sécuriser les conditions de mise en oeuvre opérationnelle de la réforme, en laissant aux services concernés le temps d'adapter leur organisation.

À l'article 2, et eu égard à l'importante connexité entre le trafic de stupéfiants et les autres formes de criminalité organisée, la commission a, à l'initiative des rapporteurs, transformé le Pnast en un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco). Elle a prévu de doter ce nouvel acteur de toutes les prérogatives nécessaires à son affirmation au sein de la sphère judiciaire avec, notamment, un monopole recentré sur les crimes les plus graves (direction d'un trafic de stupéfiants et règlements de comptes criminels), un pouvoir d'évocation inédit comportant un droit de saisine prioritaire tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, et un rôle de coordination des parquets sur tout le « spectre » de la criminalité organisée.

Par coordination avec cette évolution ambitieuse, elle a, en adoptant deux amendements des rapporteurs, modifié l'intitulé et le dispositif de la proposition de loi organique.

Sur la proposition des sénateurs membres de la délégation parlementaire au renseignement, elle a par ailleurs :

- habilité le Pnaco à recevoir l'ensemble des informations qui lui seront transmises par les services de renseignement ;

simplifié les règles relatives à la transmission de renseignements à l'ensemble des services de renseignement du « second cercle » - notamment les services compétents de la police et de la gendarmerie nationales, de la préfecture de police et de l'administration pénitentiaire, dans le souci de favoriser et fluidifier la coopération entre les acteurs de la chaîne pénale.

B. FRAPPER LES NARCOTRAFIQUANTS AU PORTEFEUILLE, UN ENJEU PRIORITAIRE

La commission a pleinement approuvé le principe des cinq dispositifs de lutte contre le blanchiment figurant à l'article 3, tout en adoptant trois amendements d'Étienne Blanc visant à garantir leur sécurité juridique, à renforcer leur opérationnalité ou à étendre ponctuellement leur périmètre.

Considérant que le déficit d'enquêtes patrimoniales résulte avant tout d'un manque de moyens humains, la commission n'a pas retenu la proposition de les systématiser figurant à l'article 4. Afin d'en garantir la proportionnalité, elle a également limité la nouvelle injonction pour ressources inexpliquées aux seuls dossiers en lien avec le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée. À l'initiative d'Étienne Blanc, elle a par ailleurs interdit le recours à des « mixeurs » de crypto-actifs aujourd'hui fréquemment utilisés à des fins de blanchiment.

S'agissant du gel judiciaire des avoirs des narcotrafiquants prévu à l'article 5, la commission lui a adossé, à l'initiative des rapporteurs, un mécanisme complémentaire de nature administrative. La voie administrative se distingue en effet par sa rapidité et serait sans doute plus appropriée s'agissant de narcotrafiquants établis à l'étranger et dont la perspective de judiciarisation est faible.

C. FAVORISER LA MONTÉE EN PUISSANCE DU RENSEIGNEMENT ADMINISTRATIF

Considérant que la montée en puissance du renseignement administratif doit constituer un axe prioritaire de la lutte contre le narcotrafic, la commission a pleinement approuvé le principe des dispositifs figurant au titre III. À l'initiative des sénateurs membres de la délégation parlementaire au renseignement, elle n'y a apporté que des modifications techniques visant :

- à ajuster le champ organique et matériel de l'extension des dispositifs de partage d'informations entre les juridictions et les services de renseignement figurant à l'article 6 ;

- à préciser les modalités pratiques de mise en oeuvre de l'expérimentation du recours au renseignement algorithmique en matière de criminalité organisée prévue à l'article 8.

D. DE NOUVEAUX OUTILS DE PRÉVENTION ET DE RÉPRESSION BIENVENUS, POUR APPRÉHENDER LA DIVERSITÉ DES PHÉNOMÈNES LIÉS AU NARCOTRAFIC

La commission a approuvé l'ensemble des dispositifs visant à élargir ou renforcer la répression des comportements liés au narcotrafic et à entraver son développement dans l'espace numérique. Les amendements adoptés, à l'initiative des rapporteurs, aux articles 9 à 12 visent principalement à mieux les encadrer, pour sécuriser juridiquement leurs conditions de mise en oeuvre.

La principale innovation adoptée par la commission, à l'initiative des rapporteurs, concerne la création d'une nouvelle infraction, inspirée de la législation italienne « antimafia », d'appartenance à une organisation criminelle, indépendamment de la préparation d'une infraction particulière, de façon à pouvoir pleinement appréhender la diversité des modes d'action de ces organisations.

E. UNE AMBITION RÉAFFIRMÉE : METTRE LA PROCÉDURE PÉNALE À LA HAUTEUR DE LA MENACE

La commission a adopté plusieurs amendements pour sécuriser et consolider les dispositifs du titre V de la proposition de loi.

À l'article 13, elle a prévu la compétence d'une cour d'assises composée de magistrats professionnels pour tous les crimes commis en bande organisée et supprimé, par cohérence, le dispositif visant à attraire à la procédure spécifique à la criminalité organisée l'ensemble des infractions connexes à cette dernière.

S'agissant de la réforme du statut des « repentis » prévue par l'article 14, la commission a procédé à divers ajouts. Outre l'harmonisation des conditions dans lesquelles les collaborateurs de justice seront éligibles à des exemptions ou à des réductions de peine, et outre des clarifications quant aux rôles respectifs des acteurs qui interviennent dans l'octroi du statut et des mesures de protection accordées aux personnes concernées et à leurs proches, la commission a, en suivant la proposition de ses rapporteurs, créé un régime d'immunité de poursuites. Inspiré du droit britannique, celui-ci permettra, à titre exceptionnel et à l'initiative exclusive du Pnaco ou d'une Jirs, d'accorder l'immunité aux délinquants dont les dénonciations permettent soit d'identifier un grand nombre d'autres auteurs ou de complices, soit de faire cesser ou d'éviter la répétition d'une infraction d'une particulière gravité.

À l'article 15, la commission a procédé à une réécriture permettant non seulement de préciser les modalités de l'anonymisation des policiers et gendarmes engagés dans la lutte contre la criminalité organisée, mais aussi d'étendre cette faculté aux douaniers et aux effectifs chargés de la lutte contre le trafic en mer.

Elle a également autorisé les agents faisant usage d'une identité d'emprunt, avec un nouvel article 15 bis, à recourir aux hyper-trucages (mieux connus sous leur nom anglais de deep fakes) pour dissimuler en ligne leur voix et leur apparence physique.

La commission a par ailleurs débattu de l'article 16, qui met en place un procès-verbal distinct. Relevant que ce fonctionnement, bien qu'original, n'était pas inédit dans le droit français - que ce soit en procédure pénale ou dans d'autres domaines du droit -, elle a jugé que le procès-verbal distinct n'était pas contraire dans son principe, ni dans ses modalités, aux normes conventionnelles et constitutionnelles, et paraissait en particulier compatible avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Elle a adopté un amendement des rapporteurs afin de clarifier la rédaction envisagée et de conforter les garanties apportées aux justiciables, en :

précisant que, quel que soit le motif de recours au procès-verbal distinct, celui-ci devra être limité aux cas où il est « nécessaire à la manifestation de la vérité » ;

- recentrant ce dispositif sur les techniques spéciales d'enquêtes les plus sensibles ;

- précisant les conditions du contrôle systématique qui sera exercé par la chambre de l'instruction ;

- prévoyant le versement au dossier de la procédure, accessible aux parties, de l'ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention autorisant le recours au procès-verbal distinct.

Sur la proposition d'Étienne Blanc, la commission a également précisé les délais dans lesquels le magistrat compétent pourra autoriser le recours à la géolocalisation.

L'article 17, relatif à la « provocation » à commettre une infraction, présentait des risques réels de non-conformité à la Constitution : la commission a répondu à cette difficulté en supprimant la possibilité que les auteurs souhaitaient donner au magistrat d'autoriser la commission de certaines infractions à l'initiative de l'agent infiltré.

Outre une coordination avec le nouvel article 15 bis, la commission a par ailleurs étendu le dispositif de l'article 18 en autorisant les agents qui procèdent à des « coups d'achat » à bénéficier d'une identité d'emprunt sur autorisation du magistrat compétent, y compris lorsqu'ils n'interviennent pas à la suite d'une offre de stupéfiants diffusée en ligne.

S'agissant des informateurs et de l'infiltration civile (article 19), et sans exclure de nouvelles évolutions au stade de la séance publique, la commission a adopté un amendement des rapporteurs : celui-ci apporte diverses améliorations rédactionnelles et, surtout, impose aux « infiltrés civils » de témoigner à l'issue de leur infiltration.

En ce qui concerne le régime des nullités, la commission a adopté l'article 20 sans modification. Elle a toutefois marqué son intention d'en retravailler la rédaction en séance publique afin de mieux encadrer la procédure d'examen des requêtes en nullité, mais aussi d'éviter l'inscription dans la loi de termes qui, insuffisamment précis, pourraient générer de nouveaux contentieux, à rebours de l'objectif recherché.

Enfin, la commission a adopté un amendement des rapporteurs visant à assurer la conformité de l'article 21 aux conventions internationales applicables.

F. UN OBJECTIF ASSUMÉ : METTRE UN TERME À L'EMPRISE DU NARCOTRAFIC, DANS LES PRISONS COMME SUR LA VOIE PUBLIQUE

La commission a adopté les mesures prévues par l'article 22, qui sont autant d'outils concrets et opérationnels pour lutter contre la corruption liée au narcotrafic. Les amendements qu'elle a adoptés, à l'initiative des rapporteurs, visent à mieux cibler ces mesures, soit pour les encadrer davantage, soit pour les renforcer de façon proportionnée à l'état de la menace. Elle a également adopté, à l'initiative d'Étienne Blanc, un article additionnel 22 bis permettant de renforcer la poursuite et la répression de certains faits de corruption publique comme privée, en les attrayant au régime procédural de la criminalité organisée.

La commission a également approuvé sans réserve les dispositions figurant à l'article 23. Afin de garantir la proportionnalité du dispositif, elle a, à l'initiative des rapporteurs, substitué à l'alignement sur le régime de la détention provisoire criminelle de la durée maximale de la détention provisoire une augmentation de la durée du mandat de dépôt initial. Sur le sujet crucial de la sécurisation des demandes de mise en liberté, la commission a, à l'initiative des rapporteurs, procédé à plusieurs modifications procédurales supplémentaires visant à prévenir les libérations anticipées pour des motifs exclusivement procéduraux.

Afin de sécuriser juridiquement le dispositif prévu à l'article 24 et d'en renforcer l'opérationnalité, elle a, à l'initiative des rapporteurs, adopté un amendement dissociant les dispositifs d'interdiction de paraître et d'expulsion locative et rehaussant les garanties associées. S'agissant de l'expulsion locative, elle a ainsi privilégié un mécanisme s'appuyant sur les dispositions préexistantes de la loi du 6 juillet 1989 et imposant l'intervention de l'autorité judiciaire.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Renforcement de l'Office anti-stupéfiants

Le présent article vise à consolider les conditions d'exercice, par l'Office anti-stupéfiants (Ofast), de sa fonction de chef de file interministériel pour la politique de lutte contre le narcotrafic.

Il répond ainsi à une recommandation forte de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France, qui a souligné la problématique de l'éparpillement des acteurs et les difficultés rencontrées par l'Ofast pour réaliser pleinement sa vocation interministérielle.

À cette fin, il tend à repositionner l'office pour le placer sous la double tutelle du ministère de l'intérieur et du ministère de l'économie et des finances, en lieu et place de son rattachement actuel au sein de la direction générale de la police nationale, dans le souci de dynamiser la coopération de l'ensemble des services impliqués, aussi bien la police et la gendarmerie nationales que la douane.

L'article confère également à l'office de nouvelles prérogatives. En matière judiciaire, celui-ci disposerait d'un « monopole criminel », de sorte qu'il serait obligatoirement saisi des crimes liés au trafic de stupéfiants. En matière de renseignement - l'Ofast ayant le statut de service du « second cercle » -, il prévoit une dérogation en sa faveur aux règles de droit commun relatives au partage de renseignements des services du « premier cercle » aux services du « second cercle », permettant de faciliter la transmission de renseignements en matière de stupéfiants.

Les amendements adoptés par la commission, à l'initiative des rapporteurs, outre diverses améliorations rédactionnelles, ont visé :

- à mieux délimiter les nouvelles prérogatives judiciaires de l'Ofast, en cohérence avec celles du Parquet national anti-criminalité, institué par l'article 2 de la présente proposition de loi, dans sa version adoptée par la commission ;

- dans le souci de favoriser et fluidifier la coopération entre les acteurs, à étendre la mesure proposée de simplification des règles relatives à la transmission de renseignements à l'ensemble des services de renseignement du « second cercle » - soit notamment les services compétents de la police et de la gendarmerie nationales, de la préfecture de police, et de l'administration pénitentiaire ;

- à sécuriser les conditions de mise en oeuvre opérationnelle de la réforme, en laissant aux acteurs concernés le temps d'adapter leur organisation. Le présent article entrerait ainsi en vigueur au terme d'un délai de trois mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi.

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

1. L'Office anti-stupéfiant, une pièce maîtresse de notre dispositif de lutte contre le narcotrafic, qui n'a pas pleinement réalisé sa vocation interministérielle

L'Office anti-stupéfiants (Ofast) est un service à compétence nationale rattaché au directeur national de la police judiciaire, au sein de la direction générale de la police nationale.

Il a été créé en 20196(*), en remplacement de l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS). L'ambition qui a présidé à sa création était de conférer à ce nouvel office une dimension fortement interministérielle. Il était d'emblée prévu que celui-ci travaille en étroite collaboration avec l'ensemble des services participant de la lutte contre le narcotrafic : police et gendarmerie nationales, douanes, services de renseignement, ministère des armées, ministère des affaires étrangères, etc. De façon significative, l'Ofast constitue ainsi, pour la France, le point de contact central dans les échanges internationaux relatifs à la lutte contre le narcotrafic.

Il lui revient également de produire une analyse de l'état de la menace, et de formuler des propositions relatives à la politique de lutte contre le narcotrafic. En principe, celle-ci a vocation à être nourrie par des échanges systématiques d'informations entre l'Ofast et les services précités.

Depuis le 1er janvier 2020, l'Ofast s'est vu confier un jour un rôle de chef de file dans la conduite des enquêtes judiciaires relatives au trafic de stupéfiants de grande envergure. Dans le détail, celui-ci est chargé :

- de procéder sur l'ensemble du territoire national à des enquêtes judiciaires relatives à des trafics de produits stupéfiants d'importance nationale et internationale ou présentant une sensibilité particulière ;

- sous le contrôle de l'autorité judiciaire, de coordonner les enquêtes de grande envergure diligentées par des services de la police et de la gendarmerie nationales ainsi que des douanes, en particulier celles qui présentent une dimension internationale marquée et visent des filières d'importation complexes ;

- de coordonner l'action des services territoriaux de la police et de la gendarmerie nationales ainsi que des douanes, le cas échéant dans le cadre de saisines conjointes décidées par l'autorité judiciaire ;

- de centraliser les informations concernant les demandes adressées aux fonctionnaires ou agents publics visant à permettre la mise en oeuvre des opérations de surveillance prévues dans le cadre du régime procédural de la criminalité organisée7(*) ;

- de coordonner avec l'ensemble des partenaires concernés la mise en oeuvre des mesures de prévention, de recherche et de constatation des infractions constitutives de trafic de stupéfiants relevant de l'action de l'État en mer.

Outre son service central basé à Nanterre, l'Ofast compte 15 antennes. Cette organisation ne déroge toutefois pas à la réorganisation des services de la police judiciaire mise en oeuvre à compter du 1er janvier 2024, de telle sorte que le service central n'assure pas la gestion directe des services territoriaux, qui sont hiérarchiquement rattachés aux directions départementales et interdépartementales de la police nationale8(*).

Au total, selon les données publiées par la Cour des comptes, l'Ofast disposait au 31 décembre 2023 d'un effectif total de 678 équivalents-temps plein (ETP), dont 200 ETP au sein du service central. Celui-ci a connu une forte montée en puissance depuis la création de l'office, ses effectifs ayant quasiment doublé (105 ETP en 2020)9(*).

Ce service est structuré en trois pôles :

- le pôle stratégie, chargé d'identifier la nature de la menace et d'élaborer une stratégie de coopération internationale ;

- le pôle opérationnel, chargé de conduire des enquêtes judiciaires sous l'autorité des magistrats des juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) et surtout de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) ;

- le pôle renseignement, chargé de recueillir notamment la remontée du renseignement, opérée par les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross). Pour accomplir ses missions de renseignement, l'Ofast dispose du statut de service dit « du second cercle » au sens de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, qui lui permet de mettre en oeuvre des techniques de renseignement au titre de la seule finalité de prévention de la criminalité et de la délinquance organisées10(*).

Dans la pratique, comme l'a montré la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier11(*), la mise en oeuvre de la compétence interministérielle de l'Ofast donne lieu à une évaluation en demi-teinte.

La commission d'enquête a ainsi pu faire le constat d'une organisation et d'un positionnement incertains au niveau national. Elle a notamment constaté, à cet égard, que son pôle opérationnel était en pratique très sollicité dans des affaires liées à la lutte contre les « mules »12(*), pourtant peu complexes, au détriment du haut du spectre de la criminalité organisée.

Elle a également pointé « des angles morts qui empêchent l'exercice d'un vrai chef de filât » :

une absence de réel pouvoir « d'évocation » sur les enquêtes, de telle sorte que la saisine ou la co-saisine de l'Ofast sur des affaires stratégiques correspondant à sa vocation repose sur la complétude des informations qui lui sont remontées, notamment par les services de la police ou des douanes, et donc in fine sur la confiance que se font les différents acteurs ;

des relations semblant distantes avec l'administration des douanes, du fait d'échanges d'informations insuffisants avec la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), service de renseignement « du premier cercle », mais aussi d'une différence de culture (« la douane est orientée vers les flux de marchandises, là où la police - ou la gendarmerie - s'intéresse d'abord aux personnes ») ;

- une vision minimale de son chef de filât, l'Ofast étant très soucieux de l'autonomie d'action des différentes administrations impliquées.

2. Le dispositif proposé : une consolidation des conditions d'exercice du chef de filât de l'Ofast

L'article 1er de la présente proposition de loi vise à traduire la recommandation n° 15 de la commission d'enquête, visant à consolider les conditions d'exercice du chef de filât de l'Ofast.

En premier lieu, le I du présent article tend à positionner l'Ofast sous la double tutelle du ministère de l'intérieur et du ministère de l'économie et des finances, en lieu et place de son rattachement à la direction générale de la police nationale. Une telle position paraît de nature à favoriser la circulation efficace de l'information et la bonne coopération des services de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des douanes.

Au-delà de ces deux ministères de tutelle, le même I évoque également la vocation interministérielle de l'office, qui devra exercer ses missions en liaison étroite avec l'ensemble des acteurs concernés par la lutte contre le narcotrafic.

Le II du présent article tend à préciser certaines prérogatives de l'Ofast.

Premièrement, il vise à lui conférer un « monopole criminel ».

Ainsi, il incomberait à l'Ofast de procéder, sur l'ensemble du territoire national, aux enquêtes judiciaires relatives aux crimes relevant du trafic de stupéfiants. Concrètement, cela implique qu'il soit saisi par un magistrat de l'ensemble des affaires relatives aux crimes de direction d'un groupe de narcotrafiquants ainsi que de production ou d'import/export de stupéfiants.

L'Ofast serait également seul compétent sur les enquêtes relatives aux délits liés au trafic de stupéfiants, lorsqu'ils sont ou apparaissent d'une très grande complexité, en raison notamment du grand nombre d'auteurs, de complices ou de victimes, ou du ressort géographique sur lequel ils s'étendent.

Il serait enfin obligatoirement informé de l'ensemble des autres enquêtes de grande envergure liées au trafic de stupéfiants diligentées par les services de la police et de la gendarmerie nationales ainsi que des douanes, et pourrait demander à être saisi concurremment à d'autres services s'il le juge opportun.

Deuxièmement, le même II comporte également des dispositions relatives aux prérogatives de l'Ofast en matière de renseignement.

Outre la réaffirmation de sa fonction de centralisation des renseignements liés au narcotrafic, émanant en particulier des Cross, dont le rôle est consacré par l'article 7 de la présente proposition de loi13(*), le présent article introduit, au bénéfice de l'Ofast, une dérogation aux règles de droit commun relatives au partage de renseignements entre services des premier et second cercles, posées au 1° du II de l'article L. 822-3 du code de la sécurité intérieure.

Pour mémoire, ces dispositions, issues de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, prévoient en effet que les transmissionsaux services du « second cercle » - tels que l'Ofast - de renseignements collectés par un service de renseignement du « premier cercle » - lorsqu'elles poursuivent une finalité différente de celle qui en a justifié le recueil - soient subordonnées à une autorisation du Premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. En application du présent article, un service tel que la direction générale de la sécurité intérieure ou encore Tracfin pourrait librement transmettre à l'Ofast des renseignements relatifs à la criminalité organisée, quand bien même ceux-ci auraient été collectés dans le cadre de la poursuite d'une finalité différente.

Troisièmement, le II du présent article vise à consacrer les compétences de coordination existantes de l'Ofast en matière d'action de l'État en mer.

3. La position de la commission : un dispositif nécessaire pour remédier à l'éparpillement des acteurs de la lutte contre le narcotrafic pointé par la commission d'enquête

Les rapporteurs considèrent qu'une telle consécration du rôle interministériel et des prérogatives de l'Ofast constitue une mesure bienvenue et un signal important pour mettre de l'ordre dans l'action commune des acteurs, « éparpillés façon puzzle », selon l'expression utilisée par la commission d'enquête.

À leur initiative, la commission a adopté un amendement n° COM-55, qui a permis de mieux délimiter le champ de compétences qui serait confié par la loi à l'Ofast en matière de police judiciaire, en coordination avec le parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) ayant vocation à être institué par l'article 2 de la présente proposition de loi dans sa version adoptée par la commission14(*).

En premier lieu, le Pnaco, dans le cadre de son champ de compétence exclusif, qui porte sur les infractions les plus graves, le saisirait des enquêtes judiciaires liées à la direction d'un groupe de narcotrafiquants (art. 222-34 du code pénal) ou le cas échéant relatives à des affaires de meurtre, tortures ou actes de barbarie commis en bande organisée (art. 706-73 du code de procédure pénale, 1° et 2°) lorsqu'elles sont liées au trafic de stupéfiants.

En sus, tout procureur de la République ou juge d'instruction pourrait saisir l'Ofast, le cas échéant concurremment avec d'autres services, dans le cadre d'enquêtes ou d'instructions judiciaires relatives à des faits de trafic de stupéfiants d'importance nationale et internationale ou qui présentent une sensibilité, une gravité ou une complexité particulières.

Elle a également adopté l'amendement n° COM-17 déposé par Cédric Perrin, Catherine Di Folco et Gisèle Jourda, membres de la délégation parlementaire au renseignement. Celui-ci vise à étendre à l'ensemble des services du « second cercle » - soit notamment les services compétents de la police et de la gendarmerie nationales, de la préfecture de police et de l'administration pénitentiaire - la mesure de simplification des règles relatives au partage de renseignements entre services, prévue pour le seul Ofast par le présent article.

Dans la pratique, la mise en oeuvre de la procédure d'autorisation par le Premier ministre prévue par l'article L. 822-3 précité du code de la sécurité intérieure s'avère en effet particulièrement lourde à l'aune des exigences de réactivité requises par la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées, et notamment du narcotrafic.

Aussi, une telle simplification s'inscrit-elle pleinement dans l'esprit des recommandations de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France, en ce qu'elle est de nature à faciliter la coopération entre les différents services impliqués dans la lutte contre le narcotrafic, en fluidifiant l'échange de renseignements.

Il est à noter que cette mesure ne se heurte à aucun obstacle juridique, l'état du droit antérieur à la loi du 30 janvier 2021 précitée, qui a instauré cette procédure, ayant été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel15(*).

Enfin, la commission a adopté l'amendement n° COM-56 des rapporteurs, de façon à prévoir une mise en oeuvre différée des dispositions du présent article. Afin de laisser aux services concernés le temps d'adapter leur organisation, cette réforme n'entrerait en vigueur qu'au terme d'un délai de trois mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente proposition de loi. Ce délai est harmonisé avec celui prévu à l'article 2 concernant l'entrée en vigueur des dispositions relatives à la suppression de la Junalco et à l'instauration de compétences exclusives du Pnaco pour la poursuite de certaines affaires qui, lorsqu'elles concernent des faits liés au trafic de stupéfiants, impliqueraient une saisine de l'Ofast par ce dernier.

La commission a par ailleurs adopté l'amendement n° COM-54 des rapporteurs, d'ordre rédactionnel.

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 2
Création d'un parquet national antistupéfiants

Reprenant la recommandation n° 21 de la commission d'enquête sur l'état du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, l'article 2 crée un parquet national antistupéfiants (Pnast) qui, inspiré des parquets nationaux existants, aurait un rôle de coordination et d'intégration et un monopole sur les trafiquants du « haut du spectre ».

Pour faciliter la lutte contre le narcotrafic, qui suppose de tenir compte de l'existence d'un lien étroit entre celui-ci et les autres formes de la criminalité organisée, la commission a profondément remanié cet article. Adoptant un amendement des rapporteurs, elle a substitué au Pnast un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), compétent sur l'ensemble du spectre de cette criminalité, doté d'un lien étroit avec l'Ofast et les services de renseignement et investi d'un pouvoir fort de coordination de l'action judiciaire en matière de lutte contre les expressions les plus graves de la délinquance.

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

La commission d'enquête sur le narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a dressé le constat de l'organisation « éclatée, voire illisible »16(*) des juridictions en matière de lutte contre le narcotrafic et a pointé l'absence d'un « chef de file » de la répression au sein de l'autorité judiciaire.

Les auteurs proposent, pour combler cette lacune, la création d'un parquet national antistupéfiants chargé à la fois de lutter contre le « haut du spectre » et de coordonner l'action de l'ensemble des juridictions.

1. Les lacunes de la riposte judiciaire face au narcotrafic : un manque d'incarnation et de spécialisation

La prise en charge du narcotrafic par l'autorité judiciaire répond aux règles générales fixées en matière de délinquance et de criminalité organisées. Outre l'existence d'une cour d'assises spécialement composée (c'est-à-dire composée exclusivement de magistrats professionnels) en matière de stupéfiants, abordée à l'article 13 de la présente proposition de loi, la compétence des juridictions répond à une logique d'« escalade » fondée sur la complexité. Les dossiers de trafic « simple » (ou d'infractions connexes au même trafic) sont pris en charge par les tribunaux judiciaires ; les affaires relevant de la criminalité organisée et présentant une « grande complexité » (et notamment le trafic de stupéfiants à dimension régionale, nationale ou internationale) peuvent être confiées à l'une des huit juridictions interrégionales spécialisées (Jirs)17(*) prévues par le premier alinéa de l'article 706-75 du code de procédure pénale ; les dossiers qui comportent une « très grande complexité, en raison notamment du ressort géographique sur lequel elles s'étendent » peuvent, quant à eux, être confiés à la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), créée en 201918(*), rattachée au tribunal judiciaire et à la cour d'assises de Paris et dont le rôle est défini par le dernier alinéa de l'article 706-75 précité.

Ces juridictions échangent au sein d'instances judiciaires de coordination, créées par exemple en matière portuaire19(*) ; en théorie, elles doivent également entretenir un dialogue régulier grâce à la « double information » du parquet local et du parquet Jirs par les services d'enquête (ce qui signifie, concrètement, que les services de police ou les unités de gendarmerie doivent saisir concurremment les deux parquets des dossiers susceptibles de concerner une forme organisée de délinquance ou de criminalité ou de porter sur une infraction commise par un groupe criminel de grande ampleur) et par les parquets locaux eux-mêmes (qui sont donc supposés signaler au parquet général, pour transmission à la Jirs territorialement compétente, les dossiers complexes et/ou présentant des caractéristiques qui les rattachent à la criminalité organisée).

Bien que plusieurs circulaires et dépêches du ministère de la justice aient posé (puis rappelé) le principe de la « double information » du parquet local et du parquet Jirs, il apparaît que la situation est, en pratique, moins claire et surtout moins fluide. Ainsi, dès 2019, François Molins (alors procureur général près la Cour de cassation et chargé d'un groupe de travail sur la criminalité organisée) pointait, dans un rapport communiqué à la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, l'existence de « cas de dossiers conservés dans les juridictions de droit commun alors qu'ils auraient pu relever d'une juridiction spécialisée » ; il soulignait que de tels cas « prov[enaient] majoritairement, soit d'un refus de celle-ci de se saisir, soit d'un défaut d'information en temps utile de la juridiction spécialisée ».

Il apparaissait, selon le même rapport, que ces lacunes résultaient fréquemment d'une réticence des services d'enquête, pourtant au coeur du dispositif de double information, à informer les Jirs de l'émergence de dossiers complexes.

La compétence contrariée des Jirs

Extraits du rapport (juillet 2019) du groupe de travail sur le traitement de la criminalité organisée et financière 

« Depuis la mise en place des Jirs, le principe de la double information a été posé et rappelé dans les circulaires de politique pénale de la direction des affaires criminelles et des grâces pour permettre à chacun des parquets d'envisager de retenir sa compétence. La mise en oeuvre de la compétence concurrente des Jirs repose en effet sur la qualité de l'information et la célérité avec laquelle celle-ci est portée à la connaissance des différents interlocuteurs.

« Comme l'indique la circulaire du 2 septembre 2004, il convient de distinguer l'information opérationnelle qui doit permettre de mettre en alerte et éventuellement d'apprécier dans des délais réduits si l'enquête doit être poursuivie sous la direction du parquet local ou du parquet de la Jirs de celle qui, dans un second temps, enrichie par les premiers résultats de l'enquête et l'analyse des parquets, présidera à la décision de saisine. L'information de la Jirs doit être distinguée de sa saisine mais l'information est une phase indispensable à l'évaluation du dossier et donc à la saisine du parquet compétent. [...]

« Réticents à mettre en oeuvre ce principe de double information, les services de police et de gendarmerie font valoir qu'il les placerait, selon leurs propres termes, dans une situation de porte à faux vis-à-vis des juridictions locales et pourrait générer des conflits de loyauté à l'égard des magistrats locaux avec lesquels ils oeuvrent au quotidien. Certains magistrats entendus par le groupe de travail ont même évoqué des situations dans lesquelles certaines qualifications, notamment celle de corruption, seraient délibérément “oubliées” pour éviter d'avoir à informer le parquet Jirs et le parquet général et conserver ainsi le traitement des dossiers. »

Source : rapport précité de la commission d'enquête
sur l'état du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.

Selon Sophie Aleksic, première vice-présidente du pôle « instruction » de la Jirs de Paris et de la Junalco, ce constat est plus saillant encore s'agissant de la Junalco : en effet, non seulement celle-ci « n'a pas de pouvoir d'évocation » mais surtout, « le principe de la double information permettant d'avoir les remontées d'information, n'est pas prévu. Si l'information ne remonte pas, la Junalco ne peut pas se saisir utilement de dossiers ».

Plus largement, plusieurs des magistrats entendus par les rapporteurs ont souligné, pour les Jirs comme pour la Junalco, que des enjeux de pouvoir et des rapports de force entre juridictions pouvaient conduire certains magistrats à conserver les dossiers les plus importants, ceux-ci étant perçus comme des vecteurs d'influence, ce qui nuit à l'application du critère de la « grande » ou « très grande » complexité visé par le code de procédure pénale.

La volonté affichée par la Junalco, lors l'audition de ses représentants, de créer en son sein une cellule de pilotage et de coordination des Jirs, témoigne d'ailleurs des lacunes actuelles dans ces deux domaines.

Au-delà de ces difficultés organisationnelles, la commission d'enquête a fait le constat de la grande technicité, sur le plan à la fois matériel et juridique, de la mise en oeuvre des techniques spéciales d'enquête (TSE). Elle a considéré que, parmi les nombreux facteurs faisant obstacle au déploiement effectif de ces techniques20(*), certains concernaient l'insuffisante spécialisation des magistrats appelés à diriger des enquêtes supposant le déploiement simultané de plusieurs TSE à l'encontre d'un grand nombre de suspects.

De même, elle a noté que l'identification des avoirs criminels, condition sine qua non de leur saisie puis de leur confiscation, impliquait une spécialisation des compétences au sein de l'autorité judiciaire, a fortiori pour les profils du « haut du spectre » de la criminalité qui recourent à des montages juridiques particulièrement opaques et sophistiqués en vue de dissimuler l'identité du propriétaire réel des biens acquis grâce à l'argent de la drogue.

C'est ainsi que la commission d'enquête a plaidé pour la création d'un parquet national antistupéfiants (Pnast), dont la mise en place présenterait selon les auteurs de la proposition de loi les avantages suivants :

- doté de compétences symétriques à celles de l'Ofast rénové21(*), le Pnast pourrait se placer en pleine coordination avec la riposte envers le « haut du spectre » organisée au niveau des enquêtes judiciaires et douanières ;

- spécialisé, le Pnast pourrait plus facilement tenir compte des spécificités du trafic de stupéfiants par rapport aux autres formes de criminalité organisée (degré de menace pour les institutions, recours massif aux « petites mains », intrication du blanchiment avec l'économie légale, etc.) et serait mieux armé pour mettre en oeuvre certaines TSE réservées de facto à la répression de ce trafic (repentis, coups d'achat, infiltrations, etc.) ;

l'incarnation permise par la désignation d'un procureur national antistupéfiants permettrait, comme ce fut le cas pour le procureur national anti-terroriste, de redonner toute sa place à l'autorité judiciaire non seulement auprès des services de renseignement et du grand public, mais aussi auprès des responsables politiques qui négligent trop souvent la sphère judiciaire dans la conception comme dans la mise en application des stratégies nationales de lutte contre le narcotrafic ;

- enfin, le traitement narcotrafic dans un parquet dédié serait de nature à éviter sa dilution dans la criminalité organisée prise dans son ensemble : à cet égard, le rapport de la commission d'enquête avait établi que le trafic de stupéfiants ne représentait que 22 % des dossiers de l'actuelle Junalco22(*).

C'est dans cette perspective que l'article 2 vient définir les contours du nouveau Pnast. Faute de pouvoir prendre en charge l'ensemble des infractions à la législation sur les stupéfiants au vu du volume et de l'hétérogénéité de celles-ci, il serait, comme le parquet national financier, doté d'une compétence concurrente à celle des parquets locaux et des parquets Jirs permettant de le spécialiser sur le « haut du spectre ». Il serait ainsi compétent pour la poursuite de l'ensemble des crimes et délits de trafic de stupéfiants, tels qu'ils sont définis aux articles 222-34 à 222-40 du code pénal, y compris pour les infractions connexes et pour les auteurs mineurs.

Cependant, à l'inverse des formules prévues pour les juridictions spécialisées existantes, les auteurs proposent une règle originale de compétence fondée :

- premièrement, sur une compétence d'attribution en matière correctionnelle : le Pnast serait ainsi compétent pour les délits présentant « une très grande complexité », cette notion étant définie plus largement qu'elle ne l'est aujourd'hui pour la Junalco : elle serait en effet fondée non seulement sur l'étendue du ressort géographique de l'infraction, mais aussi sur le « grand nombre d'auteurs, de complices ou de victimes » ;

- deuxièmement, sur un monopole procédural, le texte prévoyant de confier au Pnast tous les dossiers portant sur des délits pour lesquels interviennent des « repentis » ou des « infiltrés civils »23(*) ;

- enfin, sur un monopole criminel faisant du Pnast l'autorité unique de poursuite pour la direction ou l'organisation d'un groupement de narcotrafic (article 222-34 du code pénal), la production ou la fabrication illicites de stupéfiants (article 222-35), l'importation ou l'exportation de stupéfiants en bande organisée (article 222-36), la justification mensongère de l'origine des biens ou revenus acquis grâce à un crime dont la personne concernée avait connaissance (article 222-38) et les infractions connexes à ces crimes.

Les interactions entre le Pnast et les autres juridictions seraient régies selon des modalités analogues à celles qui sont prévues pour l'actuelle Junalco, avec notamment la possibilité donnée au procureur national de requérir tout procureur de la République pour procéder ou faire procéder à des actes d'enquête ainsi que de solliciter le dessaisissement du juge d'instruction qui aurait été désigné sur un dossier relevant en réalité de sa compétence.

L'article 2 donne enfin compétence aux juridictions du tribunal judiciaire de Paris24(*), quel que soit le lieu de résidence ou de détention du condamné, pour prendre les décisions relatives à l'application des peines prononcées dans les dossiers suivis par le Pnast.

Il se déduit de ce dispositif que la Junalco (qui ne serait ni supprimée, ni même modifiée) resterait compétente pour connaître des infractions qui concernent les autres domaines de la délinquance et de la criminalité organisées. Toutefois, la proposition de loi ne modifie pas les dispositions relatives à cette juridiction, ce qui laisse ouverte la question de l'attribution de compétence en cas de dossier mêlant des faits de narcotrafic et des infractions tierces.

2. La position de la commission : privilégier la création d'un parquet national couvrant l'ensemble du spectre de la criminalité organisée

La commission a adhéré sans réserve au principe de la création d'un parquet national afin de renforcer l'efficacité de la riposte judiciaire : de même que le PNF et le Pnat, qui constituent d'indéniables succès dans leurs sphères de compétences respectives, cette nouvelle instance sera un gage de visibilité et de cohérence pour l'autorité judiciaire dans son ensemble et, loin d'instaurer une concurrence avec les Jirs et les parquets locaux, sa mise en place viendra conforter l'action de l'ensemble de la chaîne pénale.

Cependant, les auditions menées par les rapporteurs ont fait apparaître - comme au demeurant les travaux de la commission d'enquête - que des liens étroits existaient entre le narcotrafic et les autres formes de délinquance et de criminalité organisées. Face au caractère souvent inextricable de ces liens, et pour éviter les complexités procédurales et les conflits de compétences qui pourraient naître de la coexistence entre la Junalco - que la proposition de loi ne prévoit pas de supprimer - et le nouveau Pnast, la commission des lois a souhaité, en adoptant un amendement n° COM-57 des rapporteurs, opter pour un parquet national chargé de lutter contre la criminalité organisée dans son ensemble.

Ce choix ambitieux emporte plusieurs évolutions par rapport au texte initial de la proposition de loi.

Tout d'abord, le périmètre infractionnel du nouveau parquet national ne sera plus concentré sur la seule lutte contre le trafic de stupéfiants, mais étendu à l'ensemble des crimes et délits visés par les articles du code de procédure pénale définissant la criminalité organisée et ce, dès lors que leur très grande complexité le justifie. Les avancées proposées par les auteurs en ce qui concerne la définition de la « très grande complexité » seraient, par ailleurs, maintenues (renvoi explicite au grand nombre non seulement d'auteurs ou de complices, mais aussi de victimes de l'infraction ; référence à un ressort géographique étendu) : enrichies par l'amendement d'une précision sur la diversité et la gravité des infractions commises, qui constitue indéniablement un facteur de complexité de nature à justifier la saisine du parquet national, ces critères permettront de couvrir les actes commis par les réseaux les plus puissants. Outre les règlements de comptes commis en bande organisée, le parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) serait ainsi compétent pour traiter de formes de délinquance qui recoupent trop souvent les agissements des réseaux de narcotrafic, ou qui en constituent le soubassement logistique ou l'accessoire : trafic d'armes, trafic de véhicules, proxénétisme en bande organisée, formes graves de blanchiment, etc.

Les infractions correspondantes seraient, à l'issue des poursuites menées par le Pnaco, jugées - selon leur nature - par le tribunal correctionnel, la cour d'assises ou la cour d'assises des mineurs de Paris, étant précisé que ces juridictions seraient dans cette hypothèse composées de magistrats spécialisés.

Le périmètre de compétences du Pnaco exclurait cependant les infractions traitées par les parquets nationaux existants dans le domaine du terrorisme, donc par le Pnat, et de la grande délinquance financière, donc par le PNF.

Une telle extension de périmètre suppose, par esprit de réalisme, que le monopole infractionnel du Pnaco soit recentré sur les crimes les plus graves et les plus emblématiques : l'amendement adopté prévoit ainsi de le limiter à trois crimes, à savoir la direction et l'organisation d'un trafic de stupéfiants ainsi que les formes criminelles des règlements de comptes (meurtre en bande organisée, d'une part, et actes de torture et de barbarie en bande organisée, d'autre part). Afin de conforter le chaînage entre les acteurs de la répression et d'instaurer un lien fort entre les différents « chefs de file », le texte prévoit que le Pnaco sollicitera prioritairement l'Ofast y compris en co-saisine avec d'autres services - pour traiter ces crimes dès lors que, s'agissant des règlements de comptes, ils sont liés au trafic de stupéfiants.

Dans cette nouvelle rédaction, le nouveau parquet national pourrait s'appuyer sur un pouvoir d'évocation renforcé. Informé sans délai par les Jirs des affaires dont elles sont saisies, il pourrait en effet exercer sa compétence de manière prioritaire tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement : cette innovation constitue un progrès substantiel par rapport à la situation actuelle de la Junalco.

Dans les autres cas (c'est-à-dire lorsqu'une enquête ou une instruction a déjà été débutée au sein d'une autre juridiction), le Pnaco pourrait demander à se voir attribuer les dossiers les plus complexes, avec une possibilité de recours devant la chambre criminelle de la Cour de cassation si le magistrat initialement saisi refuse de se dessaisir à son profit.

Le Pnaco disposerait, par ailleurs, de prérogatives fortes de coordination. Véritable chef d'orchestre de la lutte contre la criminalité organisée sur l'ensemble du territoire, il pourrait ainsi :

régler les conflits de compétences entre les parquets locaux et les parquets des Jirs25(*) ;

- se voir transmettre l'ensemble des informations utiles à l'exercice de ses missions par tout procureur de la République ;

- disposer des éléments nécessaires à ses compétences, puisqu'il serait obligatoirement informé des opérations d'infiltration, de la transmission d'informations dans le cadre du feed-back26(*), de la réception des décisions d'enquête européenne et des cas où une personne est susceptible de bénéficier d'une exemption ou d'une réduction de peine (donc, en particulier, du recours au dispositif des « repentis »).

L'état de la menace impose une action urgente de la part des pouvoirs publics : l'amendement adopté prévoit à cet égard la création effective du Pnaco au plus tard trois mois après la promulgation de la présente loi, ménageant le délai nécessaire au « tuilage » entre l'actuelle Junalco et le nouveau parquet national.

Adoptant un sous-amendement n° COM-18 rectifié bis de Cédric Perrin, Catherine Di Folco et Gisèle Jourda, la commission a en outre souhaité que le Pnaco puisse être destinataire des informations que les services de renseignement auront jugé utile de lui communiquer : cette précision contribuera en effet, conformément aux souhaits exprimés par la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic, au « développe[ment] [de] liens fluides et confiants » entre le futur parquet national et les services de renseignement engagés dans la lutte contre la criminalité organisée.

La commission a adopté l'article 2 ainsi modifié.

Article 3
Dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment

L'article 3 prévoit cinq dispositifs distincts visant, selon les cas, à renforcer les obligations imposées aux personnes soumises aux règles de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, à faciliter l'accès des services compétents aux informations pertinentes ou à donner à l'administration la possibilité de faire temporairement cesser l'activité de commerces soupçonnés de blanchiment.

La commission a approuvé le principe de ces dispositifs, tout en adoptant trois amendements d'Étienne Blanc visant à garantir leur sécurité juridique, à renforcer leur opérationnalité ou à étendre ponctuellement leur périmètre. Elle a par ailleurs adopté un amendement du groupe écologiste visant à renforcer l'information des maires sur les suites données aux affaires en lien avec le narcotrafic. Elle a adopté cet article ainsi modifié.

1. La fermeture administrative des commerces en lien avec le narcotrafic : une mesure attendue mais qui doit être juridiquement sécurisée

L'article 3 prévoit premièrement la création d'une nouvelle possibilité de fermeture administrative des commerces soupçonnés d'agir comme des « blanchisseuses ». Sur signalement du maire, le représentant de l'État dans le département pourrait ordonner la fermeture administrative pour une durée n'excédant pas six mois desdits commerces. Le non-respect de cette mesure insérée au sein du code pénal serait puni de deux mois d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende.

Cette disposition inspirée de la législation belge est la traduction directe d'une recommandation de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic27(*), afin de « casser les liens troubles entre l'économie légale et illégale ».

Les travaux conduits par les rapporteurs ont confirmé l'intérêt d'une telle disposition, qui répond à un besoin opérationnel avéré et comblerait une lacune majeure du cadre juridique. En outre, il s'agit d'un sujet sur lequel les élus locaux, en première ligne dans la lutte contre les nuisances subies par leurs administrés du fait de l'essor du narcotrafic, sont particulièrement impliqués.

À titre d'illustration, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur a confirmé au cours de son audition que la finalité du dispositif répondait « à un besoin opérationnel réel, documenté par le rapport de la commission d'enquête mais également par de nombreuses remontées des préfets ». Selon celle-ci, « des commerces participent activement à des trafics de stupéfiants, en abritant les transactions, ou en servant de site de stockage, de point de regroupement des trafiquants ou de structure de blanchiment d'argent tout en permettant aux trafiquants de renforcer leur enracinement territorial et leur statut social [...]. Il s'agit le plus souvent d'ongleries, de pressings, de barbiers, d'épiceries, d'établissements de vente à emporter ou de restauration rapide, de bars à shisha, de sandwicheries. [...] Cependant, certains commerces notoirement connus pour blanchir les produits du trafic demeurent ouverts, au vu et au su de tous, faute de moyens coercitifs adaptés et compte tenu de la difficulté d'établir le blanchiment. Ces commerces investis par les organisations criminelles créent en outre une concurrence déloyale au détriment des sociétés, commerçants et artisans qui respectent la loi et s'acquittent de l'ensemble de leurs charges fiscales et sociales ». Les rapporteurs ne peuvent que reprendre ce constat à leur compte ; celui-ci est du reste partagé par l'ensemble des acteurs auditionnés.

De fait, les régimes sectoriels de fermetures d'établissement aujourd'hui prévus par la loi n'offrent que peu de prise sur des commerces impliqués dans le narcotrafic. À titre d'exemple, le code de la sécurité intérieure vise pour l'essentiel les débits de boissons, les restaurants ou les établissements diffusant de la musique28(*), tandis que le régime de fermeture prévu au code du travail29(*) ne s'applique qu'en cas d'infractions aux obligations qu'il prévoit. Si le code de la santé publique prévoit enfin une mesure applicable au trafic de stupéfiants, son champ est toutefois significativement plus restreint que celui proposé par l'article 330(*).

Dans ce contexte, la commission a accueilli très favorablement la volonté des auteurs de la proposition de loi de créer un régime de fermeture administrative ad hoc. Afin de garantir l'effectivité juridique de l'article 3, elle a néanmoins adopté un amendement n° COM-58 des rapporteurs procédant à sa réécriture globale. La rédaction adoptée par la commission permet ainsi :

- de transférer le dispositif du code pénal vers le code de la sécurité intérieure, moyennant un alignement des rédactions sur la terminologie habituellement utilisée pour des mesures de police administrative ;

d'étendre la finalité de la mesure à la prévention de la commission d'agissements en lien avec d'autres infractions que le blanchiment, rendus possibles en raison de la fréquentation ou des conditions d'exploitation de l'établissement concerné (trafic de stupéfiants, blanchiment, recel, participation à une association de malfaiteurs) ;

- de doubler la durée maximale de la mesure afin de la porter à un an, contre six mois dans la rédaction initiale ;

- de prévoir que l'édiction d'une telle fermeture administrative entraîne l'abrogation subséquente des autorisations et des permis délivrés à l'établissement ;

- de supprimer les dispositions conférant au maire le monopole de l'initiative de la mesure. Celui-ci exposerait fortement les maires à des représailles, et ce, alors même qu'un signalement à l'autorité administrative peut s'effectuer par d'autres moyens ;

- de renforcer le régime répressif prévu en cas de non-respect de la mesure, pour le porter à six mois d'emprisonnement, au lieu de deux mois, et 7 500 euros d'amende. Cela permet notamment l'activation du dispositif de comparutions immédiates en application de l'article 395 du code de procédure pénale, ainsi que des peines complémentaires d'interdiction de gérer un commerce pendant cinq ans, et/ou de confiscation des revenus générés pendant la période d'ouverture postérieure à la notification de la mesure. En cas de récidive, l'auteur encourrait par ailleurs des peines renforcées de confiscation, portant notamment sur tous les biens ayant permis la commission de l'infraction.

2. Des ouvertures d'accès à des fichiers pertinentes pour les services des douanes

L'article 3 modifie deuxièmement les articles L. 330-2 et L. 330-3 du code de la route pour ouvrir aux agents des douanes et des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires l'accès aux données contenues dans le système d'immatriculation des véhicules (SIV), y compris s'agissant des gages constitués sur les véhicules à moteur. L'article L. 135 ZC du livre des procédures fiscales est modifié de la même manière pour leur ouvrir également l'accès aux données figurant dans le fichier informatisé des données juridiques immobilières (FIDJI).

Par ailleurs, l'article 23 autorise l'accès au SIV pour tous les agents des douanes pour l'exercice de leurs compétences. Pour mémoire, cela est déjà le cas pour les services du ministre de l'intérieur, du ministre de la défense, du ministre chargé de l'écologie, du ministre chargé de l'industrie et du ministre chargé des transports.

La commission a approuvé ces dispositifs, qui constituent une traduction directe des recommandations de la commission d'enquête sénatoriale précitée. Selon les termes utilisés dans son rapport, celle-ci considérait, d'une part, « que pourrait être étudiée l'ouverture aux officiers de police judiciaire dûment habilités à cet effet de l'accès au FIDJI » et, d'autre part, « l'élargissement des droits d'accès au SIV ». La direction générale des douanes et des droits indirects a ainsi confirmé que l'accès aux informations contenues dans ces fichiers était de nature à faciliter l'identification des avoirs immobiliers et des biens des narcotrafiquants par ses services.

Par l'adoption d'un amendement n° COM-11 d'Étienne Blanc, la commission a par ailleurs prévu trois ouvertures supplémentaires d'accès à des fichiers présentant un intérêt dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic.

L'amendement adopté ouvre premièrement aux greffiers des tribunaux de commerce ou des tribunaux judiciaire statuant en matière commerciale l'accès aux données contenues dans le fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba), aux fins de vérification de la véracité des déclarations d'ouverture de comptes relatives aux dépôts des capitaux propres des sociétés. Issue du dernier livre blanc de la profession31(*), cette mesure est incontestablement de nature à accélérer les vérifications préalables effectuées par les greffiers dans le cadre de la création d'une société. Consulté sur ce point, le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a approuvé sans réserve l'introduction d'une telle mesure.

L'amendement adopté donne deuxièmement à l'ensemble des assistants spécialisés des pôles économiques et financiers, des JIRS et du procureur de la République financier un accès direct aux fichiers Ficoba, Ficovie (pour fichier des contrats d'assurance vie), BNDP (base nationale des données patrimoniales) et PATRIM (recherche des transactions immobilières). Pour rappel, seuls les assistants détachés par la direction générale des finances publiques bénéficient en l'état d'une telle prérogative32(*). Cela est non seulement problématique, dans la mesure où le recours à la procédure de réquisition est bien plus contraignant, mais aussi pour partie incohérent. Il est en effet étonnant que les assistants spécialisés d'une même juridiction travaillant sur les mêmes dossiers, fussent-ils originellement issus d'administrations distinctes, disposent d'accès différenciés à des fichiers pourtant incontournables pour l'efficacité de la lutte contre la fraude.

L'amendement accorde enfin aux agents de Tracfin un accès plein et entier aux données figurant dans le SIV. En l'état, ceux-ci ne disposent en effet que d'un accès partiel, pour les seuls besoins de la prévention des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et des actes de terrorisme. La possibilité de consulter ces données pour les autres finalités facilitera manifestement l'identification de l'environnement patrimonial des communautés criminelles, notamment s'agissant de la criminalité organisée et du trafic de stupéfiants.

3. Un renforcement bienvenu des règles relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme

L'article 3 opère troisièmement un renforcement des règles relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) sur deux points.

D'une part, il modifie l'article L. 561-2 du code monétaire et financier pour soumettre les vendeurs de voitures de luxe aux règles LCB-FT. Les obligations de vigilance et de déclaration à Tracfin des opérations suspectes s'appliqueraient ainsi aux « personnes se livrant à titre habituel et principal à la vente ou à la location de véhicules, lorsque la transaction porte sur un véhicule dont la valeur est supérieure à 50 000 euros ». La commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic a en effet mis en évidence le développement de l'acquisition de véhicules de luxe à des fins de blanchiment.

D'autre part, il modifie l'article L. 561-35 pour prévoir un nouveau dispositif de certification professionnelle des personnes assujetties aux règles LCB-FT. En l'état, celui-ci se borne à préciser que les personnes assujetties doivent uniquement recevoir de Tracfin des informations sur les mécanismes de blanchiment des capitaux ou de financement du terrorisme. Il est proposé de les soumettre à une obligation de certification de connaissances minimales sur le sujet, dispensée sous l'égide de Tracfin et dont le contenu est renvoyé au pouvoir règlementaire.

Si la commission a pleinement approuvé le principe de ces dispositifs, elle a adopté un amendement n° COM-12 d'Étienne Blanc visant à garantir leur pleine opérationnalité. Ledit amendement prévoit tout d'abord une détermination par décret du seuil à compter la valeur d'un véhicule entraîne la soumission de son vendeur ou de son loueur aux obligations LCB-FT. Le seuil de 50 000 euros figurant à l'article 23 est en effet incompatible avec les dispositions du règlement (UE) 2024/1624 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relatif à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, qui doit entrer en vigueur en juillet 2027.

De manière à ne pas détourner les agents de Tracfin de leur coeur de métier, le même amendement n° COM-12 renvoie par ailleurs au pouvoir règlementaire le soin de préciser les modalités de mise en oeuvre les plus appropriées de cette nouvelle obligation, laquelle pourrait a priori relever des autorités de supervision des professionnels assujettis aux règles LBC-FT.

Enfin, cet amendement étend à trois entités le droit de communication dont dispose Tracfin en application de l'article L. 561-25 du code monétaire et financier : les conseillers en gestion d'affaires, les plateformes de domiciliation d'entreprises ainsi que les plateformes de facturation électronique. Au cours de leur audition, les services de Tracfin ont fait valoir que des individus liés au narcotrafic pouvaient avoir recours aux services de ces derniers pour le blanchiment des revenus issus de leur trafic.

4. La radiation d'office du registre du commerce et des sociétés : une mesure consensuelle

L'article 3 prévoit quatrièmement la radiation d'office du registre du commerce et des sociétés (RCS) des sociétés ne transmettant pas l'identité de leurs « bénéficiaires effectifs »33(*). En l'état, ces informations doivent être mentionnées au RCS et le non-respect de cette obligation, après demande de régularisation du greffier du tribunal, peut faire l'objet d'une injonction sous astreinte du président du tribunal de commerce. L'article L. 574-5 du CMF prévoit par ailleurs une peine de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende dans ce cas de figure. L'article 3 prévoit, en complément, une radiation d'office en cas d'absence de déclaration dans un délai de six mois.

Ce dispositif fait suite à une recommandation de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic, qui y voit un instrument plus dissuasif que les sanctions actuelles, largement sous-utilisées. Les travaux conduits par les rapporteurs ont démontré un large consensus vis-à-vis de cette mesure, portée notamment par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. Suivant l'avis des rapporteurs, la commission l'a adopté sans modification.

5. L'aménagement du régime douanier de saisie sur compte bancaire

L'article 23 complète enfin l'article 323 du code des douanes afin d'autoriser les officiers de douane judiciaire « dans les conditions prévues à l'article 706-154 du code de procédure pénale, saisir une somme d'argent versée sur un compte ouvert auprès d'un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôts, de paiement ou d'actifs numériques mentionnés à l'article L. 54-10-1 du code monétaire et financier ». La commission n'a pas émis d'observation sur ce dispositif permettant de garantir l'effectivité des peines de confiscation prévues par le code des douanes.

6. Le renforcement de l'information des maires sur les suites données aux affaires en lien avec le trafic de stupéfiants

La commission a par ailleurs adopté un amendement n° COM-29 du groupe écologiste visant à garantir l'information des maires sur les suites données aux affaires en lien avec le trafic de stupéfiants. En matière judiciaire, le dispositif prévoit que « le maire est systématiquement informé par le procureur de la République des classements sans suite, des mesures alternatives aux poursuites, des poursuites engagées, des jugements devenus définitifs ou des appels interjetés lorsque ces décisions concernent [ces] infractions ». Une information analogue est prévue en matière administrative s'agissant des mesures de fermeture administrative de commerce édictées par le représentant de l'État dans le département. L'amendement prévoit par ailleurs que les « les possibilités pour le maire de participer à la lutte contre le narcotrafic sur le territoire de sa commune en opérant des signalements à Tracfin » soient abordées au sein des groupes thématiques chargés des violences commises à l'encontre des élus constitués au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

La commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.

Article 4
Procédure d'injonction pour ressources inexpliquées et systématisation des enquêtes patrimoniales

L'article 4 propose de systématiser la conduite d'enquêtes patrimoniales dans le cadre des investigations relatives à des faits de trafic de stupéfiants. Considérant que le déficit d'enquêtes patrimoniales résultait essentiellement d'un manque de moyens et d'une acculturation insuffisante des services à ce type d'investigations, la commission n'a, à l'initiative des rapporteurs, pas retenu ce dispositif.

Afin d'obliger les personnes suspectées de trafic de stupéfiants à s'expliquer sur tout écart manifeste entre leurs revenus et leur train de vie, cet article crée ensuite une nouvelle procédure d'injonction pour ressources inexpliquées. Suivant la proposition des rapporteurs, la commission a limité ce dispositif aux seuls dossiers en lien avec le trafic de stupéfiants d'une part et la criminalité organisée d'autre part.

Elle a enfin adopté un amendement des rapporteurs introduisant un dispositif complémentaire d'extension du mécanisme de présomption de blanchiment.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

1. La systématisation des enquêtes patrimoniales : une mesure difficile à mettre en oeuvre en pratique

L'article 4 modifie en premier lieu l'article 17 du code de procédure pénale pour prévoir une systématisation des enquêtes patrimoniales dans le cadre des investigations relatives à des faits de trafic de stupéfiants. Sur ce point, la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic34(*) avait en effet observé que ces « doubles enquêtes » étaient plus ponctuelles que systématiques - avec un accent sur les dossiers de blanchiment les plus complexes -, et ce alors que le « plan stupéfiants » de 2019 prévoyait pourtant déjà de les généraliser. La commission d'enquête rappelait par ailleurs à juste titre que « l'enquête patrimoniale prend d'autant plus de sens dans la lutte contre le trafic de stupéfiants que ce dernier fait partie des infractions pour lesquelles la saisie et la confiscation de l'entier patrimoine du mis en cause sont possibles ».

Si la commission ne peut que s'associer à la volonté de développer le recours aux enquêtes patrimoniales, elle n'a néanmoins pas retenu l'obligation introduite par l'article. D'une part, le dispositif proposé est pour partie satisfait depuis l'intervention de la loi n° 2024-582 du 24 juin 2024 sur les saisies et confiscations en matière pénale, dite « Warsmann », qui a inscrit la conduite des enquêtes patrimoniales parmi les missions des officiers de police judiciaire. D'autre part, la conduite effective d'enquêtes patrimoniale repose avant tout sur l'allocation de moyens à la hauteur des enjeux. La systématisation de ces enquêtes n'aurait probablement que peu d'effets pratiques en l'absence de renforts humains et matériels dans les services compétents.

Du reste, ce constat avait déjà été effectué en ces termes par la commission d'enquête sénatoriale précitée : « La systématisation des enquêtes patrimoniales nécessite par définition un renfort des effectifs et de l'expertise financière dans les services d'enquête. Il ne suffit pas de dire que les officiers de police judiciaire peuvent réaliser des enquêtes patrimoniales aux fins d'identification des avoirs criminels1 pour qu'ils puissent effectivement le faire. Sans la mobilisation de moyens supplémentaires, le Gouvernement en resterait à un voeu pieux et la situation serait insoutenable pour les forces de l'ordre comme pour les magistrats ».

En conséquence, la commission a adopté un amendement n° COM-60 des rapporteurs supprimant ce dispositif.

2. Une nouvelle procédure d'injonction pour richesse inexpliquée utile mais qui doit être circonscrite

En second lieu, l'article 4 crée une nouvelle procédure d'injonction pour richesse inexpliquée. Le procureur de la République, les officiers de police judiciaire ainsi que les agents des douanes ou des services fiscaux habilités pourraient, sur le fondement d'un nouvel article 60-1-1 A du code de procédure pénale, requérir de toute personne qu'elle justifie de ressources correspondant à son train de vie ou de l'origine d'un bien détenu. L'absence de réponse serait punie de 10 000 euros d'amende. En l'absence de réponse ou en cas de réponse insuffisante, les biens pourraient être saisis et feraient l'objet d'une présomption de blanchiment.

Ce dispositif constitue la traduction directe d'une recommandation de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic précitée. Comme cela est rappelé dans son rapport, « s'intéresser au train de vie, c'est pouvoir approcher les flux non bancarisés et les avoirs non financiers : l'absence de corrélation entre la situation réelle et la situation déclarée de certaines personnes laisse présager de leur participation à une économie parallèle voire illégale, comme celle du narcotrafic ».

Il doit par ailleurs être distingué du délit de non-justification de ressources35(*) applicable aux personnes en lien avec des criminels ou avec leurs victimes - mais qui est encore trop peu utilisé - comme des mécanismes existants en matière fiscale qui présentent un très faible rendement.

La commission a approuvé le principe d'une telle mesure, qui s'inscrit résolument dans l'objectif de « frapper enfin les narcotrafiquants au portefeuille ». Suivant l'avis des rapporteurs, elle a néanmoins estimé que le champ d'application potentiellement infini de cette nouvelle injonction pour ressource inexpliquée emportait un important risque d'inconstitutionnalité. Par l'adoption du même amendement n° COM-60 des rapporteurs, elle a donc entendu limiter son champ aux seuls dossiers en lien avec le trafic de stupéfiants d'une part et la criminalité organisée d'autre part. Sans s'interdire de revenir sur le dispositif en séance afin d'en renforcer encore davantage la robustesse juridique, elle l'a adopté ainsi modifié.

3. Un dispositif additionnel : l'extension de la présomption de blanchiment

Enfin, la commission a adopté un amendement n° COM-59 des rapporteurs introduisant un dispositif additionnel d'extension de la présomption de blanchiment. Les travaux conduits par les rapporteurs ont en effet confirmé que l'élargissement de ce dispositif répondait à un important besoin opérationnel. En matière de lutte contre la criminalité organisée en général, il apparaît en effet indispensable de se doter d'un arsenal législatif à même de répondre aux évolutions permanentes des stratégies et outils utilisés par les criminels à des fins de blanchiment.

Juridiquement, l'amendement précité complète tout d'abord l'article 324-1-1 du code pénal afin de préciser que la présomption de blanchiment qu'il prévoit « est également applicable lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières des opérations d'exportation, d'importation, de transfert ou de compensation ainsi que de placement ou de conversion [d'actifs numériques] ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler le bénéficiaire effectif du fonds ou de ces actifs numériques ».

Il procède également aux coordinations nécessaires en matière douanière pour intégrer à la présomption de blanchiment douanier prévue à l'article 415 du code des douanes les opérations de placement ou de conversion portant sur des actifs numériques. Pour rappel, les crypto-actifs ont d'ores et déjà été intégrés au champ du délit de blanchiment douanier par l'article 30 de la loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces. Cette disposition avait été adoptée sans réserve par la commission des finances, alors compétente au fond, considérant le « recours croissant à ce mode de transaction dans le cadre d'opérations de blanchiment de capitaux ». L'amendement modifie en outre l'article 415-1 du même code pour appliquer la présomption de blanchiment douanier aux bénéficiaires effectifs des fonds ou actifs numériques.

La commission a adopté l'article 4 ainsi modifié.

Article 4 bis (nouveau)
Interdiction de l'usage de mixeurs de crypto-actifs

La commission a souhaité anticiper l'interdiction de l'usage de « mixeurs » de crypto-actifs prévue au niveau européen à compter du 10 juillet 2027. En ce qu'ils permettent de rendre intraçables l'origine des crypto-actifs circulant sur la « blockchain », ces outils sont en effet utilisés de manière croissante à des fins de blanchiment des revenus issus du narcotrafic. À l'initiative d'Étienne Blanc, elle a adopté un article additionnel interdisant de telles pratiques avec un effet immédiat.

Le développement du recours aux crypto-actifs pour le blanchiment des revenus issus du narcotrafic est une réalité largement documentée. Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'impact du narcotrafic en France rappelle ainsi que ces derniers « constituent un moyen prisé de procéder à des transactions illégales puisqu'il s'agit d'un moyen de paiement anonyme, sans intermédiaire et difficilement traçable »36(*). Dans la même perspective, la dernière analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en France37(*) mentionne également le fait que ces « actifs numériques sont susceptibles d'être détournés et utilisés comme un vecteur à des fins de blanchiment par certains groupes criminels organisés ; du fait de l'opacité de certaines structures, le simple fait de convertir une devise en actifs numériques puis de reconvertir les valeurs cryptographiques dans la monnaie ayant cours légal dans le pays choisi pour l'investissement final peut s'avérer particulièrement efficace pour dissimuler l'origine illégale des fonds ». Il affirme par ailleurs sans ambiguïté, que l'utilisation de ces actifs numériques anonymisés permet la commission d'infractions sous-jacentes, au premier rang desquelles l'achat ou la vente de produits stupéfiants.

Dans ce contexte, le recours à des « mixeurs » par les narcotrafiquants complexifie encore davantage le travail d'identification de ces actifs numériques par les forces de l'ordre. Concrètement, il s'agit d'outils visant à opacifier et à rendre intraçable l'origine de ces crypto-actifs circulant sur la « blockchain » par l'usage d'un procédé de regroupement, de mélange et de redistribution d'actifs d'origines diverses. À l'issue du processus, chaque participant reçoit le même montant de crypto-actifs que celui qu'il a déposé, mais pas ceux qu'il a déposés à l'origine. Compte tenu de ces caractéristiques, les « mixeurs » sont donc utilisés de manière croissante dans les circuits de blanchiment auxquels ont recours les narcotrafiquants.

Cette situation a notamment été exposée avec force aux rapporteurs par le service de renseignement financier Tracfin au cours de son audition : « [les mixeurs] sont souvent utilisés à des fins de blanchiment de réseaux criminels et notamment en matière de trafic de stupéfiants, en ce qu'ils permettent un anonymat complet de ses utilisateurs et une confidentialité totale des échanges ».

Cette pratique fera l'objet d'une interdiction au niveau européen à compter du 10 juillet 2027. L'article 79 du règlement (UE) 2024/1624 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relatif à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, qui entrera en vigueur à cette échéance, prévoit en effet qu'il « est interdit aux établissements de crédit, aux établissements financiers et aux prestataires de services sur crypto-actifs de tenir des comptes bancaires et de paiement anonymes, des livrets d'épargne anonymes, des coffres-forts anonymes ou des comptes anonymes de crypto-actifs, ainsi que tout autre type de compte permettant l'anonymisation du titulaire d'un compte client ou l'anonymisation ou une opacification accrue des transactions, y compris par des jetons à anonymat renforcé ».

Considérant que le recours aux « mixeurs » de crypto-actifs à des fins de blanchiment des revenus issus du narcotrafic était non seulement avéré mais croissant, la commission a considéré qu'il était opportun d'anticiper l'entrée en vigueur du règlement européen précité. En conséquence, elle a adopté un amendement n° COM-14 d'Étienne Blanc prévoyant une interdiction d'utilisation des « mixeurs » de crypto-actifs avec effet immédiat. Concrètement, le dispositif adopté insère un nouvel article L. 561-14-1 au code monétaire et financier prévoyant que les prestataires de services sur actifs numériques38(*) « ne sont pas autorisés à tenir tout type de compte ou à offrir tout type de service permettant l'anonymisation ou une opacification accrue des opérations ».

La commission a adopté l'article 4 bis ainsi rédigé.

Articles 5 et 5 bis (nouveau)
Dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment

L'article 5 crée un dispositif judiciaire de gel des avoirs des personnes impliquées dans des trafics de stupéfiants. La commission a pleinement approuvé le principe de ce mécanisme qu'elle a, à l'initiative des rapporteurs, étendu à l'ensemble du champ de la criminalité organisée.

Considérant que la mise d'un dispositif de gel administratif serait complémentaire avec ce dispositif judiciaire elle a également, à l'initiative des rapporteurs, adopté un article 5 bis le prévoyant.

1. Une absence de mesure d'urgence de gel des avoirs qui nuit à l'efficacité de la lutte contre le narcotrafic

1.1. L'inexistence préjudiciable de mesure de gel des avoirs en matière de narcotrafic

Le constat selon lequel l'absence de mesure d'urgence de gel des avoirs nuit fortement à l'efficacité de la lutte contre le narcotrafic, constituait l'une des principales conclusions du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic39(*). Selon les termes ledit rapport : « la France ne dispose pas de mécanisme de gel d'urgence des avoirs des narcotrafiquants, que ce soit au niveau administratif ou au niveau pénal ; un tel dispositif trouverait notamment son utilité en cas de fuite des trafiquants, qui se réfugient le plus souvent dans des pays avec lesquels la coopération est limitée et dans lesquels ils peuvent pleinement profiter du fruit de leur activité criminelle ».

De fait, les mécanismes administratifs aujourd'hui prévus aux articles L. 562-1 et suivants du code monétaire et financier ne peuvent principalement être mobilisés qu'à des fins de lutte contre le terrorisme et, depuis l'entrée en vigueur de la loi° 2024-850 du 25 juillet 2024, de prévention des actes d'ingérences étrangères en France. Si la création d'une mesure administrative analogue à l'encontre des narcotrafiquants avait été régulièrement annoncée pendant l'année 2024 par l'ancien ministre de l'économie Bruno Le Maire, cette annonce n'a pas été suivie d'effet. Du reste, la commission d'enquête, tout en partageant pleinement l'objectif de mise en place d'un gel des avoirs, avait émis des réserves quant à la nature administrative d'un tel dispositif.

Afin de « frapper enfin les narcotrafiquants au portefeuille », elle préconisait donc plutôt d'instaurer une procédure de gel judiciaire et de saisie conservatoire des avoirs de narcotrafiquants (recommandation n° 33).

1.2. L'article 5 : la création d'un dispositif judiciaire de gel des avoirs des narcotrafiquants

Dans ce contexte, l'article 5 privilégie la création d'un mécanisme judiciaire de gel des avoirs. Pour ce faire, il complète le titre XVI du livre IV du code de procédure pénale par un nouvel article 706-33-1.

Aux termes de celui-ci, le juge des libertés et de la détention serait autorisé, sur saisine du juge d'instruction ou du procureur chargé de l'enquête, à geler les fonds « qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés [directement ou indirectement] par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes relevant [du trafic de stupéfiant] » tel que prévu aux articles 222-34 à 222-40 du code pénal. Le dispositif serait également applicable aux associations de malfaiteurs constituées en vue de commettre ces infractions

En pratique, la mesure de gel, assimilable à une saisie spéciale, interviendrait dans un délai de 48 heures à compter de la saisine du juge des libertés et de la détention, avec un délai de recours non suspensif de dix jours devant la cour d'appel territorialement compétente. Ledit recours serait ouvert au détenteur du bien ou à toute autre personne prétendant avoir un droit sur celui-ci.

Enfin, le juge des libertés et de la détention pourrait autoriser le gel des fonds, lorsque l'intéressé justifie :

- de besoins matériels particuliers intéressant sa vie personnelle ou familiale pour une personne physique ou d'une activité compatible avec la sauvegarde de l'ordre public pour une personne morale ;

- de décisions de nature à assurer la conservation de son patrimoine.

1.3. La position de la commission : un dispositif potentiellement important pour la lutte contre le narcotrafic

La création d'une mesure judiciaire de gel des avoirs des narcotrafiquants a pour l'essentiel été accueillie favorablement par les personnes auditionnées par les rapporteurs. Rejoignant les conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic, la commission considère également qu'un tel dispositif présente un intérêt certain pour l'efficacité de la lutte contre le trafic de stupéfiants, sous réserve d'une articulation adéquate avec les procédures de saisies et confiscations judiciaires existantes.

Afin de faciliter la mise en oeuvre de ce dispositif, elle a premièrement adopté un amendement n° COM-61 des rapporteurs étendant son champ à l'ensemble des infractions relevant de la criminalité organisée, et non du seul trafic de stupéfiants. La mesure de gel pourrait par ailleurs également être mobilisée à l'encontre des personnes ne pouvant justifier l'origine de leurs ressources en application de l'article 321-6 du code pénal.

L'amendement adopté entend deuxièmement renforcer l'opérationnalité du dispositif par deux biais. D'une part, il cantonne la durée de la mesure à une période de six mois renouvelable. D'autre part, il étend aux officiers de police judiciaire commis par le magistrat en charge de l'enquête de procéder avec les administrations compétentes aux échanges nécessaires à l'exécution de la mesure de gel.

Afin d'en conforter l'effectivité juridique, l'amendement adopté apporte par ailleurs des corrections mineures au dispositif. Il précise notamment les rôles respectifs des différents magistrats impliqués dans l'édiction de la mesure : il s'agirait soit du juge des libertés et de la détention, sur saisine sur procureur de la République, soit du juge d'instruction, lequel peut traditionnellement décider d'office d'une mesure patrimoniale.

2. Des dispositifs de gel des avoirs judiciaires et administratifs complémentaires

La commission a ensuite repris à son compte les observations formulées au cours de son audition par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques selon laquelle des mécanismes judicaires et administratifs de gel des avoirs pourraient tout à fait coexister. Selon les termes employés, « gels des avoirs administratif et judiciaire peuvent tout à fait coexister, à l'instar de ce qui existe s'agissant du terrorisme ; concrètement, le gel des avoirs administratif, plus rapide à mettre en oeuvre, permet de geler une situation avant de la judiciariser ; il permet également de s'intéresser à des objectifs de moindre envergure, ou dont les comptes peuvent servir de compte de rebond pour des objectifs judiciarisés ». De fait, la voie administrative se distingue par sa rapidité et serait sans doute plus appropriée s'agissant de narcotrafiquants établis à l'étranger et dont la perspective de judiciarisation est faible.

En conséquence, la commission a adopté un amendement n° COM-62 des rapporteurs, créant un article 5 bis, afin d'instituer un mécanisme administratif spécifique de gel des avoirs des narcotrafiquants, adossé à celui prévu par l'article 5 de la proposition de loi en matière judiciaire. Si l'articulation des deux dispositifs supposera un travail de coordination important entre le ministère de l'intérieur, les ministères économiques et financiers et l'autorité judiciaire, leur coexistence présente potentiellement de nombreux avantages. Concrètement, l'article L. 562-2-2 qui serait introduit au sein du code monétaire et financier est rédigé sur le modèle existant en matière de lutte contre le terrorisme. Seraient gelés, pour une période de six mois renouvelable et dans la limite de deux ans, les fonds « qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés [directement ou indirectement] par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent un trafic de stupéfiants ou y participent, et qui présentent une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics en raison de leur rôle dans ce trafic et de son ampleur ». Sans s'interdire de revenir sur le sujet en séance afin de préciser davantage l'articulation entre les deux dispositifs, la commission a adopté l'article 5 bis ainsi rédigé.

La commission a adopté l'article 5 ainsi modifié et l'article 5 bis ainsi rédigé.

Article 6
Partage d'information entre les juridictions et les services de renseignement

L'article 6 étend le dispositif de transmissions d'informations par le procureur de la République de Paris et le juge d'instruction aux services de renseignement, d'une part, à l'ensemble des procureurs de la République et, d'autre part, à la totalité des infractions relevant de la criminalité organisée.

Afin de garantir la proportionnalité du dispositif, la commission a modifié le dispositif proposé par l'adoption d'un amendement présenté par les membres de la délégation parlementaire au renseignement visant à ajuster son champ matériel et organique. Elle a adopté l'article ainsi modifié.

1. L'état du droit : des dispositifs de partage d'information en place depuis 2021

Aux termes de l'article 11 du code de procédure pénale, « sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète ». Le secret de l'enquête et de l'instruction ainsi défini connaît néanmoins de nombreuses exceptions40(*) autorisant, lorsque les circonstances le justifient, le procureur de la République ou le juge d'instruction à communiquer des informations issues de procédures judiciaires.

En l'état, deux dispositions du code de procédure pénale prévoient, dans des domaines déterminés, des dérogations de cette nature au bénéfice des services de renseignement.

Ces dérogations concernent premièrement les procédures en cours en matière d'actes de terrorisme. L'article 706-25-2 du code de procédure pénale, introduit par la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, autorise ainsi le procureur de la République antiterroriste à communiquer aux services dits du « premier cercle »41(*), de sa propre initiative ou à leur demande, « des éléments de toute nature figurant dans ces procédures et nécessaires à l'exercice des missions de ces services en matière de prévention du terrorisme ».

Ce dispositif a par la suite été étendu par l'article 10 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée. Une telle communication peut également être réalisée, selon les mêmes modalités et pour les mêmes finalités, « à destination des autorités et services compétents pour la prévention du terrorisme42(*), [...] par tout procureur de la République pour des procédures ouvertes pour un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement, lorsque ces procédures font apparaître des éléments concernant une personne dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui, soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes ».

Ces dérogations concernent deuxièmement les procédures d'enquête ou d'instruction d'une très grande complexité en matière de cybercriminalité ou concernant certaines affaires relatives à la lutte contre la criminalité organisée. Ce dispositif, résultant de l'article 20 de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement (« PATR »), figure à l'article 706-105-1 du code de procédure pénale.

Concrètement, son I autorise le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris à communiquer aux services de l'État exerçant des missions de sécurité et de défense des systèmes d'informations, de sa propre initiative ou à leur demande, « des éléments de toute nature figurant dans [les procédures d'enquête ou d'instruction sur des affaires de cybercriminalité] et nécessaires à l'exercice de leur mission en matière de sécurité et de défense des systèmes d'information ». Cette possibilité est également ouverte au juge d'instruction parisien saisi, sur avis du procureur de la République.

Le II du même article 706-105-1 prévoit un dispositif approchant en matière de criminalité organisée. Il autorise le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris ou, dans les mêmes conditions, le juge d'instruction, à communiquer aux services de renseignement du premier cercle ainsi qu'à certains services du second cercle désignés par décret en Conseil d'État des informations nécessaires à l'exercice de leurs missions au titre de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisée. Ce mécanisme ne s'applique néanmoins qu'aux dossiers relevant de la compétence de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) et portant sur un nombre limité d'infractions mentionnées à l'article 706-73 du code de procédure pénale : le trafic de stupéfiants (3°), la traite des êtres humains (5°), les délits en matière d'armes et de produits explosifs (12°) et les crimes et délits d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'un étranger en France commis en bande organisée (13°). Le dispositif s'applique par ailleurs également au blanchiment de ces infractions.

Lors de l'examen de la loi PATR, la commission avait « admis l'intérêt de ces échanges d'informations », tout en rappelant « que la préservation du secret de l'instruction ne pouvait souffrir d'exceptions trop nombreuses et qu'il était donc nécessaire de les limiter ». En conclusion, elle estimait nécessaire que « le partage d'informations, même s'il a été demandé par les services de renseignement, reste une faculté pour le juge et ne devienne pas une obligation »43(*).

2. L'article 6 : une extension importante du champ organique et matériel du mécanisme de « feedback »

Dans ce contexte, l'article 6 étend substantiellement le dispositif de partage d'information figurant au II de l'article 706-105-1 du code de procédure pénale. Alors que seuls les dossiers relevant de la compétence de la Junalco et portant sur un nombre restreint d'infractions sont actuellement concernés, il prévoit d'étendre cette faculté, d'une part, à l'ensemble des procureurs de la République et, d'autre part, à la totalité des infractions relevant de la criminalité organisée mentionnées à l'article 706-73 du code de procédure pénale. Par ailleurs, l'article restreint les conditions de transmission aux services du second cercle44(*) et prévoit que le procureur informe les services des poursuites ou des mesures alternatives aux poursuites qui ont été décidées à la suite de la mise en oeuvre de la procédure.

Ces précautions font suite aux recommandations du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic45(*). Celui-ci soulignait en effet que le dispositif actuel présentait « bien trop de fragilités juridiques pour pouvoir être pleinement mobilisé », du fait principalement de sa limitation à la Junalco, de l'exclusion de certaines infractions qui justifieraient pourtant un tel partage d'information ou encore de l'inclusion des services du second cercle. Ce dernier point était perçu comme d'autant plus problématique que, contrairement au dispositif prévu en matière de terrorisme, l'article 706-105-1 du code de procédure pénale n'interdit pas la retransmission des informations communiquées à des autorités ou services situés en-dehors de la communauté du renseignement. En conséquence, la commission d'enquête sénatoriale, considérait que « le champ des destinataires pourrait être restreint afin de rendre le dispositif plus attractif et plus rassurant pour les services concernés ».

3. La position de la commission : ajuster le périmètre du dispositif pour en garantir la proportionnalité et l'opérationnalité

En cohérence avec la position défendue lors de l'examen de la loi PATR en 2021, la commission a considéré que, pour légitime qu'elle soit, l'extension du dispositif de partage d'information en matière de criminalité organisée proposée par l'article 6 devait être davantage circonscrite.

Suivant l'avis des rapporteurs, elle a adopté un amendement n° COM-19 présenté par les membres de la délégation parlementaire au renseignement limitant, en premier lieu, son champ organique aux seules procédures relevant des compétences des procureurs du nouveau parquet national de lutte contre la criminalité organisée (Pnaco) et des juridictions interrégionales spécialisées (Jirs). Cette option est en effet plus proportionnée, eu égard à la sensibilité des informations concernées. En première ligne dans la lutte contre le narcotrafic, les magistrats concernés sont de surcroît davantage accoutumés au traitement d'informations issues du renseignement.

L'amendement adopté par la commission limite en second lieu le champ matériel du dispositif aux seules infractions relevant de la criminalité organisée pertinente. Pour rappel, le Conseil d'État avait en effet estimé dans son avis sur la loi PATR que « le champ des informations transmises devait être limité à certaines finalités et certains services pour limiter l'atteinte portée au secret de l'enquête, à la protection de la vie privée et à la présomption d'innocence »46(*). Seraient dès lors ajoutées uniquement les infractions mentionnées aux 1° (meurtre en bande organisée), 2° (torture ou acte de barbarie commis en bande organisée), 4° (enlèvement et séquestration commis en bande organisée), 7° (vol commis en bande organisée), 8° (crime aggravé d'extorsion), 9° (destruction, dégradation et détérioration d'un bien commis en bande organisée) et 21° (délits douaniers mentionnés à l'article 414 du code des douanes commis en bande organisée) de l'article 706-73 du code de procédure pénale. Les associations de malfaiteurs en rapport avec l'objet des infractions visées sont par ailleurs également intégrées au périmètre.

La commission a par ailleurs relevé que cet ajustement du périmètre du dispositif rencontrait un large consensus parmi les acteurs auditionnés, tant au sein de l'autorité judiciaire que parmi les forces de sécurité intérieure.

La commission a adopté l'article 6 ainsi modifié.

Article 7
Dispositions relatives aux cellules de renseignement opérationnel
sur les stupéfiants

L'article 7, d'une part, consacre les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants au niveau de la loi et, d'autre part, prévoit une participation systématique des parquets à ces instances fondamentales dans la lutte contre le narcotrafic. La commission a adopté un amendement du groupe écologiste complétant la composition de ces cellules.

1. Les Cross : un dispositif de partage de renseignement au bilan contrasté

La création des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) est, à l'origine, une initiative prise en 2015 à Marseille pour favoriser le partage de renseignements entre les multiples acteurs impliqués dans la lutte contre le narcotrafic. Des Cross ont par la suite été implantées dans chaque département, en application notamment du plan national de lutte contre les stupéfiants présenté le 17 septembre 201947(*).

Concrètement, les cinq missions principales des Cross telles que retranscrites dans le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic48(*) sont actuellement les suivantes :

- « centraliser et analyser l'information sur les trafics dans leur ressort ;

- « transmettre le renseignement à l'antenne de l'Ofast compétente ;

- « proposer aux instances de coordination de procéder aux « déconflictions nécessaires entre services et/ou unités le plus en amont possible de la saisine judiciaire »49(*) ;

- « transmettre les informations consolidées au procureur de la République compétent ;

- « proposer aux autorités locales (préfets et procureurs) une stratégie locale de lutte contre les trafics.50(*) »

On dénombre actuellement 104 Cross, permanentes ou non, sur le territoire national. Elles sont composées, dans des proportions variables, d'agents de la police nationale, des douanes et de la gendarmerie nationale. Dans le détail, la Cour des comptes a précisé, dans un relevé d'observations définitives publié en 202451(*), la répartition entre les 238 personnels affectés dans ces structures : « 153 policiers, 72 gendarmes et seulement 12 douaniers ». Le parquet est par ailleurs associé aux travaux de certaines Cross.

Des Cross thématiques ont enfin été ponctuellement instituées sur des territoires présentant de forts enjeux en matière de narcotrafic en raison de la présence d'importantes infrastructures portuaires ou aéroportuaires de premier rang.

Le bilan de ce dispositif de partage de renseignement est contrasté. En termes quantitatifs, le nombre d'informations transitant par les Cross est certes en croissance, comme en attestent les éléments présentés par le directeur général de police nationale Louis Laugier lors de son audition devant la commission des lois le 20 novembre 2024 : « preuve de l'efficacité et de la popularité du dispositif, les informations transmises entre janvier et septembre 2024 sont en progression de 23 % par rapport à la même période en 2023. Cette hausse est liée au bon travail des Cross, mais également au fait que les plateformes de signalement sont de plus en plus utilisées. En 2023, plus de 13 300 informations ont été reçues, soit une augmentation de 18 % par rapport à 2022 ». 

En termes qualitatifs, l'ensemble des évaluations disponibles soulignent l'existence d'importantes marges de progrès afin, notamment, d'harmoniser les pratiques entre les différents territoires. La commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic précitée relevait ainsi une « animation inégale »52(*) entre les différentes structures, des problèmes de coordination sur le terrain ainsi qu'une association parfois insuffisante des magistrats. Ce dernier point était présenté comme particulièrement problématique, notamment en ce qu'il privait le procureur de la République « de l'accès à des informations importantes comme la cartographie des points de deal ».

Compte tenu de ces éléments, la commission d'enquête estimait nécessaire de redynamiser le dispositif des Cross, en particulier par la mise en oeuvre d'actions de sensibilisation auprès de l'ensemble des forces de sécurité intérieure pour favoriser la remontée d'informations, la définition ponctuelle de « Cross cheffes de file » dans les territoires pertinents et, surtout, une intégration systématique du parquet aux réunions de ces structures.

Les conclusions formulées par la Cour des comptes dans son relevé d'observations définitives précité sont pour l'essentiel similaires. Celle-ci considère que « la coordination globale [du dispositif] est à renforcer ». Son rapport déplore ainsi des « pratiques de coordination disparates », une « réelle étanchéité [...] entre la circulation des informations sur le terrain et celles remontant à l'OFAST central » ou encore l'absence d'un « état exhaustif du portefeuille d'enquêtes de ses antennes » au niveau de l'Ofast.

Les travaux conduits par les rapporteurs ont confirmé l'actualité de ce constat. Les informations communiquées par la direction générale des douanes et des droits indirects au cours de son audition illustrent notamment la grande hétérogénéité des résultats obtenus selon les territoires. Selon celle-ci, trois catégories de Cross peuvent être distinguées : un tiers d'entre elles « a une activité soutenue dont les résultats sont positifs », tandis qu'un autre tiers a « une activité modérée, ne présentant pas un intérêt majeur pour la douane » et qu'un dernier tiers « ne fonctionne pas véritablement, faute de personnel, d'impulsion donnée localement ou de bassin criminogène peu propice à l'échange de renseignement ».

2. L'article 7 : une consécration des Cross au niveau législatif et une participation systématique des parquets à leurs travaux

Dans ce contexte, l'article 7 d'une part, consacre les Cross au niveau de la loi et, d'autre part, prévoit une participation systématique du parquet à ces instances indispensables pour faciliter le partage d'informations.

Juridiquement, il prévoit la création d'un nouveau titre V ter au livre VIII du code de la sécurité intérieure qui fixerait les quatre missions principales des Cross ainsi que leur composition.

Lesdites missions, qui ne comportent pas d'innovation particulière par rapport à la feuille de route actuelle des Cross, seraient les suivantes : centraliser et analyser les informations relatives aux trafics de stupéfiants dans le département et assurer leur transmission au préfet et au procureur de la République ; faciliter la coordination des acteurs compétents en matière de prévention et de répression de ces trafics ainsi que des infractions connexes ; proposer au préfet ainsi qu'au procureur de la République une stratégie de lutte contre les trafics de stupéfiants dans le département ; concourir à la politique nationale de lutte contre les trafics de stupéfiants en transmettant les informations qu'elle recueille à l'Ofast.

S'agissant de la composition des Cross, l'article 7 distingue deux catégories de participants :

les participants permanents : il s'agirait du préfet, des directeurs départementaux de la police nationale et de la gendarmerie nationale ou de leurs représentants ainsi que du procureur de la République ou de son représentant ;

les participants ponctuels à des groupes de travail et d'échange d'informations à vocation territoriale ou thématique créés au sein des Cross en fonction des besoins : il s'agirait des représentants du préfet, des maires des communes du département ainsi que des « représentants d'associations, d'établissements ou d'organismes oeuvrant notamment dans les domaines de la prévention, de la sécurité, de l'aide aux victimes, du logement, des transports collectifs, de l'action sociale ou des activités économiques désignés par le président du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, après accord des responsables des associations, des établissements ou des organismes dont ils relèvent ».

En outre, l'article 7 réprime la communication à des tiers des informations confidentielles partagées dans les groupes de travail et d'échange précités par une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amendes. Les modalités pratiques de fonctionnement des Cross sont enfin renvoyées au pouvoir règlementaire.

3. La position de la commission : les Cross, un dispositif qui doit faire l'objet d'une nouvelle impulsion

La commission a pris acte des arguments développés par plusieurs acteurs auditionnés selon lesquels, d'une part, l'inscription des Cross dans la loi posait un problème de souplesse et d'adaptabilité du dispositif et, d'autre part, cette inscription pouvait utilement intervenir au niveau règlementaire. Pour garantir une réponse efficace aux évolutions permanentes des méthodes utilisées par les narcotrafiquants, ces structures doivent de fait elles-mêmes pouvoir adapter rapidement leurs pratiques et leur organisation.

Suivant l'avis de Muriel Jourda et Jérôme Durain, la commission n'a toutefois pas remis en cause la consécration des Cross au niveau législatif à ce stade. Celle-ci pourrait en effet permettre de renforcer l'assise de ces instances encore en phase de développement, d'homogénéiser les pratiques entre les territoires et, surtout, d'associer systématiquement le parquet. De fait, les travaux conduits par les rapporteurs ont confirmé que cette association pourtant indispensable était encore loin d'être systématique. La conférence nationale des procureurs de la République a ainsi fait valoir au cours de son audition que les Cross devaient « être pleinement ouvertes aux parquets, ce qui [était] loin d'être le cas » et « nécessairement comporter en leur sein l'ensemble des services concourant à la lutte contre les trafiquants : policiers, gendarmes et douaniers ». Sans s'interdire de revenir sur le sujet en séance, la commission a donc adopté l'article 7 sans modification.

La commission a par ailleurs adopté un amendement n° COM-28 du groupe écologiste intégrant des magistrats de la juridiction interrégionale spécialisée à la composition de la Cross.

La commission a adopté l'article 7 sans modification.

Article 8
Expérimentation du recours au renseignement algorithmique en matière de criminalité organisée

L'article 8 vise à expérimenter, pour une durée de deux ans, le recours à la technique du renseignement algorithmique pour la détection des menaces liées à la délinquance et à la criminalité organisées.

La commission a approuvé le principe de cette expérimentation et adopté cet article. Afin d'en garantir l'opérationnalité, elle a toutefois adopté un amendement présenté par les membres de la délégation parlementaire au renseignement visant notamment à aligner les durées des autorisations délivrées par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et d'exploitation des informations obtenues sur celles prévues pour les autres cas d'usage de cette technique.

1. L'état du droit : une autorisation du recours au renseignement algorithmique limitée à certaines finalités déterminées

1.1 À l'origine, un recours au renseignement algorithmique limité à la prévention du terrorisme

L'autorisation de recourir à la technique du « renseignement algorithmique » a initialement été accordée aux services de renseignement par l'article 25 de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, à titre expérimental jusqu'au 31 décembre 2018. Après un report de deux ans de cette échéance par l'article 17 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ce dispositif a finalement été pérennisé par l'article 14 de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement.

Comme le relevait la commission lors de l'examen de cette dernière loi, « l'objet de ces algorithmes est de parvenir, par l'examen de données « de masse » prélevées sur l'ensemble de la population mais anonymisées, à détecter les menaces qui ne peuvent l'être par les moyens classiques du renseignement, singulièrement le risque de passage à l'action violente d'une personne jusqu'alors inconnue des services. [...] L'algorithme permettrait un renforcement des capacités de détection et donc d'entrave, en suppléant les moyens humains par la capacité de traitement des données permise par l'intelligence artificielle »53(*).

Concrètement, l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure dans sa rédaction issue de cette dernière loi disposait que, pour les seules finalités relatives à la prévention du terrorisme, les services de renseignement dits du « premier cercle » pouvaient être autorisés à mettre en place, « sur les données transitant par les réseaux des opérateurs et des personnes mentionnées à l'article L. 851-1, des traitements automatisés destinés, en fonction de paramètres précisés dans l'autorisation, à détecter des connexions susceptibles de révéler des menaces terroristes ».

Ce dispositif fait l'objet d'un encadrement renforcé. Son utilisation ne peut être autorisée que pour une durée de deux mois, après avis de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Aux termes de l'article L. 851-3, celle-ci dispose par ailleurs d'un accès « permanent, complet et direct à ces traitements ainsi qu'aux informations et données recueillies ; elle est informée de toute modification apportée aux traitements et paramètres et peut émettre des recommandations ». Cette autorisation est renouvelable pour une durée de quatre mois, la demande devant le cas échéant comprendre un relevé du nombre d'identifiants signalés par le traitement automatisé et une analyse de la pertinence de ces signalements.

L'exploitation des données obtenues par l'algorithme suppose, en outre, une levée de leur anonymat. Celle-ci est soumise à une autorisation du Premier ministre ou de l'une des personnes déléguées par lui, après avis de la CNCTR. Lesdites données ne peuvent alors être exploitées que pendant une période de 60 jours, étant entendu que les autres données ne présentant pas d'intérêt eu égard à la finalité poursuivie doivent être détruites immédiatement.

Si la commission avait relevé lors de l'examen de la loi PATR que l'efficacité opérationnelle du dispositif n'était pas définitivement avérée, comme en attestait la réserve exprimée par la délégation parlementaire au renseignement (DPR) dans son rapport pour l'année 2019-2020, elle avait néanmoins estimé que « la nécessité théorique de celui-ci ne faisait aucun doute [et que] les premiers résultats étaient encourageants ». En conséquence, elle avait admis sa pérennisation.

1.2 L'extension du dispositif à la lutte contre les ingérences étrangères

Le recours à la technique du renseignement algorithmique a par la suite été autorisé dans le cadre de la lutte contre les ingérences ou tentatives d'ingérence étrangères par l'article 6 de la loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France. Concrètement, l'extension du dispositif aux finalités mentionnées aux 1° et 2° de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure permet de paramétrer les algorithmiques pour détecter des connexions susceptibles de révéler, outre des menaces terroristes, des ingérences étrangères ou des menaces pour la défense nationale. Les garanties présentées précédemment sont applicables dans les mêmes conditions à ce nouveau cas d'usage.

Cette extension du dispositif à la lutte contre les ingérences étrangères n'a toutefois été autorisée par le Parlement qu'à titre provisoire, jusqu'au 1er juillet 2028. Deux rapports doivent être remis au Parlement pour l'évaluation du dispositif ; le premier au plus tard le 1er juillet 2026 et le second au plus tard le 1er mars 2028. Des versions comprenant des exemples de mise en oeuvre des algorithmes seront par ailleurs transmises à la délégation parlementaire au renseignement.

Pour rappel, cette expérimentation avait été appelée de ses voeux par la DPR dans la recommandation n° 14 de son rapport d'activité pour l'année 2022-2023. Celle-ci estimait ainsi « qu'en matière de contre-espionnage et de contre-ingérence, la technique de l'algorithme [pouvait être] de nature à renforcer les capacités de détection précoce de toute forme d'ingérence ou de tentative d'ingérence étrangère des services de renseignement. Il est en effet possible de modéliser les méthodes opératoires propres à certains services de renseignement étrangers agissant sur le territoire national, en termes de déplacements comme d'habitudes de communication, de manière à détecter sur les réseaux des opérateurs téléphoniques des comportements susceptibles de révéler une menace pour les intérêts fondamentaux de la Nation »54(*).

Lors de l'examen de la loi du 25 juillet 2024 précitée, la commission avait quant à elle « admis l'argument présenté par les services selon lequel l'identification de schémas de comportements par l'algorithme serait plus aisée en matière d'ingérence qu'en matière de terrorisme, où le nombre d'auteurs isolés a considérablement augmenté ces dernières années »55(*). En conséquence, elle avait adopté le dispositif au bénéfice de corrections mineures.

Le dernier rapport d'activité de la CNCTR précise enfin que cinq algorithmes ont été autorisés depuis l'ouverture de cette technique au service de renseignement en 2015. Il mentionne également le fait que « la faculté ouverte par la loi [PATR] d'étendre la technique de l'algorithme aux adresses complètes de ressources utilisées sur internet (URL) n'a toutefois pas encore été mise en oeuvre »56(*).

2. L'article 8 : expérimenter l'usage du renseignement algorithmique en matière de criminalité organisée

Dans ce contexte, l'article 8 prévoit d'expérimenter, pour une durée de deux ans, la technique du renseignement algorithmique dans le cadre de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées, soit la finalité prévue au 6° de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure. Dans ce cadre, les algorithmes seraient paramétrés pour détecter « des connexions susceptibles de révéler des actes de délinquance ou de criminalité organisée ».

L'encadrement de ce dispositif non codifié ne se distingue de celui applicable aux autres finalités que sur trois points :

- la durée initiale d'autorisation est fixée à six mois contre quatre mois dans les autres régimes ;

- il est prévu, avant l'expiration de ce délai, que « dès lors qu'elles sont de nature à caractériser la commission d'une infraction mentionnée à l'article 706-73 du code de procédure pénale, les données sont transmises au procureur général territorialement compétent ou, si les caractéristiques de l'infraction entrent dans le champ d'application de l'article 706-26-1 du même code, au procureur national anti-stupéfiants. Dans un tel cas, les données recueillies ne peuvent fonder, par elles-mêmes, aucune décision individuelle ni aucun acte de poursuite » ;

- la durée maximale d'exploitation des données est fixée à trente jours contre soixante jours dans les autres régimes.

Il est par ailleurs prévu que l'expérimentation fasse l'objet de deux rapports transmis au Parlement respectivement un an après son lancement et trois mois avant son terme. Le dispositif prévoit que lesdits rapports « évaluent la pertinence des paramètres de conception utilisés dans le cadre des traitements prévus ; ils analysent leur efficacité pour détecter des menaces ou des infractions liées à la délinquance et à la criminalité organisées ; ils donnent le sens des avis rendus par la CNCTR et font état du volume de données traitées et du nombre d'identifiants signalés par les traitements automatisés ainsi que du nombre de transmissions à l'autorité judiciaire dans les conditions prévues par le deuxième alinéa du IV et du détail des infractions pénales ayant justifié ces transmissions ».

3. La position de la commission : harmoniser autant que possible les différents régimes d'autorisation du renseignement algorithmique

Suivant l'avis des rapporteurs, la commission n'a pas remis en cause l'expérimentation de la technique du renseignement algorithmique pour la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées. Si elle admet que la coexistence de plusieurs régimes, dont le dernier ne serait pas codifié, est de nature à générer de la complexité, elle considère néanmoins qu'une telle technique, eu égard à son caractère très attentatoire aux libertés, ne saurait être mise en oeuvre que dans un cadre expérimental et pour une durée extrêmement limitée.

Par cohérence, elle a adopté un amendement n° COM-26, présenté par les membres de la délégation parlementaire au renseignement, alignant la durée des autorisations délivrées par la CNCTR pour l'usage du renseignement algorithmique à des fins de lutte contre la criminalité organisée sur celles existantes aujourd'hui pour les autres finalités : deux mois pour la première autorisation et quatre mois pour son renouvellement.

Dans la même perspective, l'amendement adopté étend à soixante jours le délai pendant lequel les informations obtenues peuvent être exploitées. La coexistence de délais différents selon les finalités poursuivies nuirait en effet à la lisibilité d'ensemble et complexifierait le maniement de ces outils par les services.

L'amendement adopté ajuste par ailleurs le périmètre des rapports rendus au Parlement pour l'évaluation de l'expérimentation. Il prévoit la transmission à la seule délégation parlementaire au renseignement des informations potentiellement classifiées (le volume de données traitées, le nombre d'identifiants signalés par les traitements automatisés ainsi que le nombre de transmissions à l'autorité judiciaire et le détail des infractions pénales ayant justifié ces transmissions). Il procède enfin à une coordination visant à tirer les conséquences de la création du parquet national anti criminalité organisée.

La commission a adopté l'article 8 ainsi modifié.

Article 9
Extension de la définition de l'infraction de participation à une association de malfaiteurs et renforcement de sa répression

Traduisant la recommandation n° 22 de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France, le présent article vise, d'une part, à élargir la définition de l'infraction de participation à une association de malfaiteurs et, d'autre part, à renforcer sa répression en prévoyant que, lorsque les infractions préparées par l'association de malfaiteurs sont des crimes, la participation à celle-ci est punie d'une peine criminelle.

En premier lieu, en adoptant l'amendement n° COM-63 des rapporteurs, la commission a entendu aller au bout de la logique de cette recommandation en substituant à l'élargissement proposé de la définition de cette infraction la création d'une infraction nouvelle, inspirée de la législation italienne « antimafia », qui serait constituée par la seule appartenance à une organisation criminelle.

La commission a également adopté l'amendement n° COM-64 des rapporteurs tendant, dans un souci de proportionnalité, à circonscrire la « criminalisation » proposée de la participation à une association de malfaiteurs aux cas où cette association prépare des crimes pour lesquelles la loi prévoit une peine de réclusion à perpétuité ou une circonstance aggravante en cas de commission en bande organisée. Elle a enfin adopté l'amendement n° COM-65 des rapporteurs procédant à diverses coordinations.

Elle a adopté l'article 9 ainsi modifié.

1. Le droit en vigueur : l'infraction d'association de malfaiteurs constitue un délit, quelle que soit la nature de l'infraction préparée

La participation à une association de malfaiteurs est réprimée par l'article 450-1 du code pénal.

Aux termes de cet article, constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement.

La participation à une association de malfaiteurs constitue ainsi une infraction dite « obstacle », en ce qu'elle vise à appréhender les comportements délictueux ou criminels en amont de la survenance de l'infraction qui est envisagée par les délinquants. En ce sens, elle permet de protéger la société avant la survenance d'actes dommageables. Lorsque l'infraction préparée est survenue, seule cette dernière peut être poursuivie.

La répression de cette infraction varie en fonction de la gravité des infractions préparées :

- lorsque les infractions préparées sont des crimes ou des délits punis de dix ans d'emprisonnement, la participation à une association de malfaiteurs est punie de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende ;

- lorsque les infractions préparées sont des délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, la participation à une association de malfaiteurs est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Aussi l'infraction de participation à une association de malfaiteurs est-elle un délit en tout état de cause, même si l'infraction préparée est un crime.

Le régime de répression de l'infraction prévoit également :

- s'agissant des personnes physiques, des peines complémentaires d'interdiction de droits civiques, d'interdiction professionnelle et d'interdiction de séjour (article 450-3 du code pénal) ainsi qu'une peine complémentaire obligatoire d'inéligibilité (article 131-26-2 du même code) ;

- s'agissant des personnes morales, les peines prévues par l'article 131-39 du même code (dissolution, placement sous surveillance judiciaire, fermeture définitive, exclusion des marchés publics, etc.) (article 450-4 du même code) ;

- une peine complémentaire de confiscation de tout ou partie des biens appartenant à la personne physique ou morale reconnue coupable (article 450-5 du même code).

Toutefois, la loi prévoit que toute personne ayant participé à l'association de malfaiteurs est exempte de peine si elle a, avant toute poursuite, révélé le groupement ou l'entente aux autorités compétentes et permis l'identification des autres participants (article 450-2 du même code).

Au plan procédural, la poursuite de l'infraction de participation à une association de malfaiteurs comporte certaines spécificités. En particulier, cette infraction relève du régime de la criminalité organisée lorsqu'elle a pour objet la préparation d'un crime ou d'un délit relevant également de ce régime (articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale), tels que ceux relatifs au trafic de stupéfiants57(*), ou lorsque la loi le prévoit (article 706-74 du même code). Pour mémoire, ce régime dérogatoire au droit commun permet de mettre en oeuvre, dans le cadre de l'enquête ou de l'instruction et dans les conditions précisément fixées par la loi, un certain nombre de techniques spéciales d'enquête58(*). S'agissant des infractions les plus graves, ce régime permet également de prolonger la durée de la garde à vue pour la porter à 96 heures59(*).

Enfin, il convient de distinguer l'association de malfaiteurs de la notion de bande organisée. Si la loi définit cette notion en termes identiques60(*), la bande organisée se distingue de l'association de malfaiteurs, qui constitue une infraction en tant que telle, en ce qu'elle est uniquement utilisée pour caractériser une circonstance aggravante, lorsque la loi le prévoit. La jurisprudence a en outre considéré qu'à la différence de l'association de malfaiteurs, la qualification de bande organisée suppose l'existence d'une « organisation structurée entre ses membres », posant ainsi un « critère supplémentaire de structure existant depuis un certain temps »61(*).

2. Le dispositif proposé : une extension de la définition de la participation à l'association de malfaiteurs et un renforcement de sa répression

2.1 Un élargissement de la définition de l'infraction de participation à une association de malfaiteurs

En premier lieu, le a) du 2° du I du présent article tend à modifier l'article 405-1 du code pénal de façon à élargir la définition de la participation à une association de malfaiteurs.

Ainsi, selon ses termes, les personnes ayant commis ou tenté de commettre une infraction connexe à une infraction préparée ou commise par ce groupement ou cette entente seraient considérées comme ayant participé à l'association de malfaiteurs.

Peut être rappelée à cet égard la définition des infractions connexes donnée par le code de procédure pénale, aux termes duquel  «  les infractions sont connexes soit lorsqu'elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu'elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité, soit lorsque des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit ont été, en tout ou partie, recelées »62(*).

2.2 La création d'un crime de participation à une association de malfaiteurs

En second lieu, les b) et c) du 2° du même I tendent à modifier le même article 450-1 du code pénal de façon à prévoir que, lorsque les infractions préparées sont des crimes, la participation à une association de malfaiteurs est punie d'une peine criminelle, fixée à 15 ans de réclusion et de 225 000 euros d'amende.

Enfin, le 1° du même I et le II du présent article procèdent à diverses coordinations au sein du code pénal et du code de procédure pénale.

3. La position de la commission : mieux encadrer le dispositif de répression de l'association de malfaiteurs et aller au bout de la logique de la commission d'enquête en réprimant l'appartenance à une organisation criminelle

3.1 Aller au bout de la logique de la commission d'enquête : créer une infraction nouvelle d'appartenance à une organisation criminelle

La commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a relevé, dans son rapport63(*), que l'infraction de participation à une association de malfaiteurs, en l'état du droit français, « apparaissait comme insuffisante pour appréhender pleinement les agissements des narcotrafiquants, en particulier de ceux agissants en haut du spectre compte tenu de leur capacité à s'impliquer dans le trafic de stupéfiants tout en restant le plus éloigné possible pour éviter une mise en cause judiciaire ».

Lors de son audition devant la même commission, Baudoin Thouvenot, inspecteur général de justice et membre national pour la France à l'Unité de coopération judiciaire de l'Union européenne (Eurojust), suggère ainsi que la définition de l'infraction puisse « être davantage alignée sur le modèle italien, au terme duquel l'appartenance à la mafia est un élément central et constitue une infraction en soi ». La commission d'enquête a fait sienne cette recommandation en proposant d'envisager une telle extension de l'infraction d'association de malfaiteurs sur le modèle de la loi italienne « antimafia » (recommandation n° 22).

L'élargissement de la définition de l'infraction de participation à une association de malfaiteurs proposée par la présente proposition de loi ne permet toutefois pas pleinement d'atteindre cet objectif. Il résulte des travaux conduits par les rapporteurs que la portée opérationnelle du dispositif proposé s'avérerait limitée.

Selon la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, en effet, « les infractions connexes au crime ou délit commis en application d'une association de malfaiteurs semblent faire partie, par essence, de l'association de malfaiteurs ».

Au plan technique, l'utilisation de la notion de connexité, qui est en l'état du droit une notion procédurale64(*), pour la définition de l'infraction peut également constituer une source de difficultés.

Afin de donner sa pleine portée à la recommandation de la commission d'enquête, la commission a adopté l'amendement n° COM-63 des rapporteurs, visant à créer une nouvelle infraction autonome d'appartenance à une organisation criminelle, indépendamment de la préparation de toute infraction.

Une organisation criminelle serait définie comme une association de malfaiteurs prenant la forme d'une organisation structurée préparant la commission d'un ou plusieurs crimes. Cette structure devrait exister depuis un certain temps, reprenant ainsi le critère utilisé par la jurisprudence pour caractériser la bande organisée.

L'appartenance à cette organisation serait quant à elle attestée par un ou plusieurs faits matériels démontrant que, directement ou indirectement, la personne tient un rôle dans l'organisation de cette structure, fournit des prestations de toute nature au profit de ses membres, ou verse ou perçoit une rémunération à un ou plusieurs de ses membres.

Pour respecter l'échelle des peines, l'infraction serait punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, soit un quantum plus faible que celui prévu pour le délit d'association de malfaiteurs, qui implique la préparation effective d'une infraction.

Ce dispositif se substituerait au dispositif proposé, de telle sorte que la définition de l'association de malfaiteurs resterait inchangée.

3.2 Mieux encadrer, dans un souci de proportionnalité, la « criminalisation » de l'association de malfaiteurs

La « criminalisation » de la participation à une association de malfaiteurs ayant pour objet la préparation d'un ou plusieurs crimes est également une recommandation de la commission d'enquête. Celle-ci soulignait en effet dans son rapport que : « le délit d'association de malfaiteurs en vue de commettre un crime est actuellement puni de seulement dix ans d'emprisonnement, alors même que l'économie générale de cette infraction est d'exposer le participant d'une association de malfaiteurs à la même peine que l'infraction préparée ».

Les rapporteurs souscrivent pleinement à cette mesure, largement consensuelle parmi les acteurs auditionnés.

Cependant, dans le souci d'assurer la proportionnalité du dispositif et en cohérence avec l'objectif de la proposition de loi, la commission a adopté l'amendement n° COM-64 des rapporteurs visant à circonscrire celui-ci à la préparation de crimes pour lesquels la loi prévoit une circonstance aggravante de commission en bande organisée. Afin de préserver la cohérence de l'échelle des peines, cette mesure concernait également les crimes punis de la réclusion à perpétuité.

Enfin, la commission a adopté l'amendement n° COM-65 des rapporteurs procédant à diverses coordinations manquantes dans le dispositif proposé.

La commission a adopté l'article 9 ainsi modifié.

Article 10
Délit de publication d'offres de recrutement liées au trafic de stupéfiants sur des plateformes en ligne accessibles aux mineurs

Pour lutter contre le phénomène d'« ubérisation » du trafic, qui a pour effet d'amener de plus en plus en plus de jeunes à être recrutés pour accomplir des missions de « petites mains », le présent article vise à caractériser en tant que provocation d'un mineur au trafic au sens de l'article 227-18-1 du code pénal le fait de publier une offre de recrutement sur une plateforme en ligne accessible aux mineurs, soit notamment via les réseaux sociaux. Cette infraction serait, par conséquent, punie de sept ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende.

Outre le fait d'exploiter ces jeunes et de les détourner du système scolaire, ces recrutements les mettent en situation de danger, en les exposant à des produits stupéfiants et, surtout, à la violence des règlements de comptes.

La commission a donc adopté le présent article, modifié par un amendement des rapporteurs afin d'y apporter des corrections de nature technique.

1. Le droit en vigueur : la provocation directe de mineurs à commettre une infraction liée au trafic de stupéfiants constitue une infraction pénale

Le fait de provoquer à la commission d'infractions liées à l'usage et au trafic de stupéfiants est, en l'état du droit, susceptible de recevoir plusieurs qualifications pénales en fonction du niveau de gravité des faits, qui dépend notamment de l'exposition de mineurs à ces provocations.

Aussi, l'article L. 3241-4 du code de la santé publique prévoit-il que la provocation, même non suivie d'effets, au délit d'usage illicite de stupéfiants ou à la commission d'infractions relatives aux trafics de stupéfiants prévues par les articles 222-34 à 222-39 du code pénal65(*) est punie de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

La répression de ce même délit est aggravée lorsque les faits sont constitutifs d'une provocation aux mêmes infractions directe et commise dans certaines circonstances de temps et de lieu, précisées par le même article, qui sont de nature à exposer des mineurs66(*). Dans ce cas, la peine est portée à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende.

L'article 227-18-1 du code pénal prévoit quant à lui une répression renforcée des faits de provocation au trafic de stupéfiants lorsque celle-ci remplit les trois critères suivants :

- il s'agit d'une provocation directe ;

- la provocation vise un mineur (quelles que soient les circonstances de temps ou de lieu de cette provocation) ;

- la provocation porte précisément sur le transport, la détention, l'offre ou la cession de stupéfiants.

La commission de ces faits est punie de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.

Enfin, le même article prévoit que lorsqu'il s'agit d'un mineur de quinze ans ou moins, ou que les faits sont commis dans des établissements d'enseignement ou d'éducation ou dans les locaux de l'administration, ainsi que, lors des entrées ou sortie des élèves ou du public ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements ou locaux, cette même infraction est punie de dix ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende.

2. Le dispositif proposé : la caractérisation d'un délit de publication d'offres de recrutement liées au trafic de stupéfiants sur des plateformes en ligne accessibles aux mineurs

Le présent article tend à modifier l'article 227-18-1 précité du code pénal de façon à prévoir que l'infraction définie par cet article est également constituée par le fait de publier sur une plateforme en ligne67(*) un contenu accessible aux mineurs proposant aux utilisateurs de transporter, détenir, offrir ou céder des stupéfiants.

Ces faits seraient punis des mêmes peines, soit sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.3. La position de la commission : un dispositif bienvenu pour lutter contre l'« ubérisation » des trafics et la mise en danger des mineurs qu'elle entraîne

La commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a souligné, dans son rapport68(*), les dangers du phénomène d'« ubérisation »69(*) des trafics, constatant que les modes traditionnels de mise en relation entre les trafiquants et les consommateurs de drogues ont changé, de même que les modalités de recrutement des participants au trafic de stupéfiants.

Ainsi, au-delà de la configuration traditionnelle du « point de deal » situé au pied d'un immeuble, ces opérations se font de de plus en plus en ligne, via les réseaux sociaux (Snaptchat, Instagram, etc.), en particulier depuis les périodes de confinement liées à la crise de la covid-19.

En dérive un second phénomène de « rajeunissement du trafic ». Certes, le recrutement de mineurs est pratiqué de longue date par les trafiquants, aussi bien par « opportunisme pénal » en raison du régime spécifique qui leur est applicable70(*) que par volonté de tirer parti de personnes vulnérables, « plus disponibles en termes d'amplitudes horaire ainsi que plus corvéables à merci », selon les termes d'une procureure de la République auditionnée par la commission d'enquête.

En effet, le recours accru aux plateformes en ligne a pour effet d'attirer dans les réseaux de trafiquants un nombre toujours plus important de « petites mains », souvent des jeunes adolescents, couramment désignés par l'appellation « jobbeurs ». Ces missions consistent notamment à transporter la drogue (« ravitailleurs »), amener les clients au point de deal (« rabatteurs »), à procéder à la vente (« charbonneurs ») ou encore à donner l'alerte en cas d'approche des forces de l'ordre (« guetteurs » ou « chouffeurs »).

Outre le fait d'exploiter ces jeunes et de les détourner du système scolaire, ces recrutements les mettent en situation de danger, en les exposant à des produits stupéfiants et, surtout, à la violence des règlements de comptes.

Pour l'ensemble de ces raisons, les rapporteurs ne peuvent que soutenir la mesure proposée par le présent article, qui permet de réprimer avec sévérité la publication d'offres de recrutement sur des plateformes accessibles aux mineurs, répondant ainsi à une recommandation de la commission d'enquête (recommandation n° 28).

Sans porter de modification de fond, leur amendement n° COM-66, adopté par la commission, a fait de cette publication une infraction autonome de celle prévue à l'article 227-18-1, les faits visés par le présent article n'étant pas assimilables à une provocation « directe » et la circonstance aggravante prévue au second alinéa de ce même article ne pouvant pas leur être appliquée. Pour autant, eu égard à la gravité des conséquences potentielles de la publication en ligne d'une telle offre de recrutement, en particulier pour les mineurs, les rapporteurs jugent que le maintien d'une peine identique à celle prévue par l'article 227-18-1 (sept ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende) est pleinement justifié. Elle est également cohérente au regard de l'échelle des peines applicables pour le délit prévu à l'article L. 3241-4 du code de la santé publique.

La commission a adopté l'article 10 ainsi modifié.

Article 11
Lutte contre le narcotrafic dans les outre-mer

Le présent article vise à adapter notre cadre judiciaire à l'appréhension du phénomène des « mules », qui participe des conséquences désastreuses du narcotrafic sur la vie des habitants des territoires situés outre-mer.

À cette fin, il prévoit, en premier lieu, un dispositif d'« hyper-prolongation » médicale de la garde à vue au-delà des 96 heures applicables en matière de criminalité organisée, de façon à permettre l'expulsion des substances stupéfiantes ingérées. Cette prolongation, d'une durée de 24 heures, peut être renouvelée jusqu'à expulsion totale des substances. Convaincue de la pertinence opérationnelle du dispositif proposé, la commission s'est toutefois attachée, en adoptant l'amendement n° COM-67 des rapporteurs, à mieux encadrer le dispositif de façon à assurer sa constitutionnalité, en prévoyant notamment de limiter la durée totale maximale de la garde à vue des mules à 120 heures, en renforçant les conditions de mise en oeuvre de la mesure et la création de nouvelles garanties pour la personne concernée.

En second lieu, le présent article prévoit deux nouvelles peines complémentaires, d'une durée de trois ans au plus, pour la répression des infractions liées directement au trafic de stupéfiants : une peine d'interdiction de vol et une peine d'interdiction de paraître dans des aéroports. Dans le souci de garantir la proportionnalité du dispositif, la commission a également adopté l'amendement n° COM-68 des rapporteurs afin de préciser les motifs permettant à la juridiction de prononcer ces peines complémentaires, en mentionnant expressément qu'elles ne peuvent l'être qu'au regard des risques de récidive ou de réitération de l'infraction commise, de façon à s'assurer que les interdictions qu'elles prévoient ne puissent être générales ou dépourvues de lien avec l'infraction commise.

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

1. Un cadre judiciaire qui peut s'avérer inadapté à la problématique des « mules »

La commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a souligné, dans son rapport71(*), la nécessité de rénover la politique de lutte contre le phénomène des « mules ».

Les mules désignent, selon la définition donnée par l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) : « des personnes, à l'origine non impliquées dans le trafic de drogues, qui assurent l'acheminement de drogues ayant une valeur marchande élevée pour le compte d'un réseau de trafiquants, in corpore en les avalant ou en les plaçant dans des cavités naturelles ou dans leurs bagages »72(*).

Pour la France, ce phénomène s'inscrit dans le contexte d'une intensification des opérations liées au trafic dans les territoires ultra-marins, documenté par la commission d'enquête.

Celle-ci concerne en particulier la Guyane et les Antilles qui, proches de l'Amérique latine, constituent des zones de « rebond » stratégiques pour l'acheminement de la cocaïne vers le territoire européen. Si leur espace maritime permet de transporter de grandes quantités de drogue à bord de conteneurs ou de bateaux de plaisance vers l'Europe, le vecteur aérien est également utilisé pour le transport de cocaïne vers l'hexagone, et ce notamment par l'intermédiaires de mules.

L'exploitation de ces personnes, souvent très précaires, par les narcotrafiquants, participe des conséquences désastreuses du narcotrafic sur la vie des habitants de ces territoires.

Notre cadre judiciaire s'avère dans certains cas mal adapté au traitement du phénomène. La commission d'enquête, informée sur ce point lors de ses auditions par des magistrats du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre et par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Cayenne, a en particulier mis en évidence le fait que la durée maximale de la garde à vue pour ces personnes, qui est de 96 heures (voir encadré infra), est parfois insuffisante pour que l'ensemble de la drogue ingérée soit expulsée.

Face à cette situation, le procureur de la République n'a bien souvent pas d'autre choix que de procéder à l'ouverture d'une information judiciaire et de solliciter le placement en détention provisoire de la personne, notamment dans le cadre la procédure de comparution à délai différée prévue par l'article 397-1-1 du code de procédure pénale. Cela conduit à alourdir et ralentir considérablement le traitement de ces procédures judiciaires pourtant peu complexes, généralement orientées vers une comparution immédiate.

La durée légale de la garde à vue applicable aux « mules »

Selon les termes de l'article 62-2 du code de procédure pénal, la garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, par laquelle une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs.

Elle doit constituer l'unique moyen de parvenir à l'un au moins des objectifs suivants : continuer une enquête en s'assurant de la présence de la personne suspectée ; garantir la présentation de la personne devant un magistrat ; empêcher la destruction d'indices ; empêcher une concertation, c'est-à-dire ne pas permettre à la personne gardée à vue de se mettre d'accord avec ses complices ; empêcher toute pression sur les témoins ou les victimes ; garantir l'arrêt de l'infraction en cours.

En application de l'article 63 du même code, sa durée de droit commun est de 24 heures. Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de 24 heures au plus, sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, si l'infraction que la personne est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre est un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à un an et si la prolongation de la mesure est l'unique moyen de parvenir à l'un au moins des objectifs précités ou de permettre, dans les cas où il n'existe pas dans le tribunal de locaux relevant de l'article 803-3, la présentation de la personne devant l'autorité judiciaire. Les « mules », en tant qu'elles sont poursuivables au titre du délit de transport de stupéfiants prévu par l'article 222-37 du code pénal puni d'une peine d'emprisonnement de dix ans, sont ainsi concernées par ce dispositif de prolongation. 

À titre dérogatoire, en application de l'article 706-88 du code de procédure pénale la garde à vue peut faire l'objet de deux prolongations supplémentaires de 24 heures chacune si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction relatives à des infractions relevant de la criminalité organisée l'exigent, voire d'une unique prolongation de 48 heures. Dans ces conditions, la durée totale maximale de la garde à vue est portée à 96 heures.

Les infractions visées sont celles listées à l'article 706-73 du code de procédure pénale. Les « mules » sont concernées par ces procédures, le 3° de ce même article mentionnant l'article 222-37 du code pénal précité.

Ces prolongations sont soumises à plusieurs conditions et formes : autorisation par décision écrite et motivée soit, à la requête du procureur de la République, par le juge des libertés et de la détention, soit par le juge d'instruction ; présentation préalable au magistrat ; délivrance d'un certificat médical relatif à l'aptitude au maintien de la garde à vue.

Ce régime permet en outre, sous certaines conditions, sur décision d'un magistrat et par dérogation au droit commun, de différer l'intervention d'un avocat pendant une durée maximale de 48 heures, qui peut être portée à 72 heures dans les affaires liées au trafic de stupéfiants ou au terrorisme.

Source : commission des lois du Sénat

2. Des améliorations bienvenues des outils pénaux de la lutte contre le trafic dans les outre-mer

2.1. Une « hyper-prolongation » médicale de la garde à vue qu'il convient de mieux encadrer

Répondant à la recommandation de la commission d'enquête pour lutter contre le phénomène des mules (recommandation n° 11), le I du présent article tend à rétablir l'article 706-88-2 du code de procédure pénale de façon à prévoir une « hyper-prolongation » médicale de la garde à vue.

Le dispositif s'applique uniquement aux personnes placées en garde à vue sur le fondement de l'une des infractions directement liées au trafic de stupéfiants73(*), et par conséquent aux mules.

Lorsqu'un examen médical fait apparaître qu'à l'issue des 96 heures de garde à vue prolongée en application de l'article 706-88 du code de procédure pénale (voir encadré supra), la totalité des substances stupéfiantes ingérées n'a pas été expulsée, le juge des libertés peut décider par une ordonnance motivée, lorsque les nécessités de l'enquête l'exigent et que cette situation constitue un danger imminent pour la personne, une prolongation supplémentaire de vingt-quatre heures.

Il est également prévu que cette mesure peut être renouvelée, pour la même durée et dans les mêmes formes, jusqu'à l'expulsion de la totalité de la substance ingérée.

Si les rapporteurs sont pleinement convaincus de la pertinence opérationnelle du dispositif, ils se sont attachés, avec leur amendement n° COM-67 adopté par la commission, à mieux encadrer le dispositif de façon à assurer sa constitutionnalité.

Le Conseil constitutionnel veille en effet, selon une jurisprudence constante, à ce que son régime juridique assure une conciliation proportionnée entre, d'une part, la prévention des troubles à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, l'exercice des droits et libertés constitutionnellement garantis que sont la liberté individuelle et le respect des droits de la défense. Il veille également à ce que la recherche des auteurs d'infractions ne s'accompagne pas d'une rigueur non nécessaire74(*).

À titre principal, cet amendement a prévu de supprimer la possibilité de renouveler la mesure d'« hyper-prolongation », de façon à limiter la durée maximale de la garde à vue des mules à 120 heures.

En effet, le dispositif proposé aurait permis une durée de placement en garde à vue des mules supérieure à la durée maximale prévue en l'état du droit français, fixée à 144 heures, et limitée aux affaires de terrorisme lorsqu'il existe un risque sérieux de l'imminence d'une action terroriste en France ou à l'étranger ou que les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement.

L'amendement a également précisé les conditions dans lesquelles la prolongation exceptionnelle de la garde à vue peut être décidée, en prévoyant qu'un certificat médical, versé au dossier, établisse la présence de substances stupéfiantes dans le corps de la personne et se prononce sur son aptitude au maintien en garde à vue.

Il prévoit en outre certaines garanties supplémentaires pour la personne concernée à l'expiration de la quatre-vingt-seizième heure de garde à vue : la possibilité de s'entretenir avec un avocat ; le droit de demander un nouvel examen médical ; la possibilité de réitérer une demande tendant à faire prévenir, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou un membre de sa famille75(*).

2.2. De nouvelles peines complémentaires destinées à rendre les mules, pour leur protection, « inemployables » par les narcotrafiquants

Suivant la recommandation précitée de la commission d'enquête, le II du présent article tend à créer un nouvel article 222-44-2 du code pénal prévoyant deux nouvelles peines complémentaires pour la répression des infractions directement liées au trafic de stupéfiants, soit celles prévues aux articles 222-34 à 222-40 du même code.

Ces peines complémentaires, d'une durée de trois au plus, sont :

- l'interdiction de prendre place dans tout aéronef réalisant un vol commercial au départ et à destination d'aéroports dont la liste est fixée par la juridiction ;

- l'interdiction de paraître dans les aéroports dont la liste est fixée par la juridiction.

Un tel dispositif paraît particulièrement pertinent et adapté pour appréhender le phénomène des mules en rendant celles-ci, pour leur protection, de fait « inemployables » par les narcotrafiquants.

Il permet de couvrir des situations plus larges que la peine alternative ou complémentaire d'interdiction de paraître prévue au 12° de l'article 131-6 du même code, applicable uniquement à des lieux ou catégories de lieux déterminés par la juridiction et dans lesquels l'infraction a été commise.

Dans le souci de garantir la proportionnalité du dispositif, l'amendement n° COM-68 des rapporteurs, adopté par la commission, a précisé les motifs permettant à la juridiction de prononcer ces peines complémentaires, en mentionnant expressément qu'elles ne peuvent l'être qu'au regard des risques de récidive ou de réitération de l'infraction commise. Aussi, ces interdictions ne sauraient-elles être générales ou dépourvues de lien avec l'infraction commise.

En tout état de cause, et conformément au principe d'individualisation de la peine76(*), la juridiction pourra, dans sa fixation de la liste des aéroports ou des vols interdits, tenir compte, notamment, de la situation matérielle, sociale et familiale de l'auteur de l'infraction.

La commission a adopté l'article 11 ainsi modifié.

Article 12
Renforcement des moyens de lutte contre la diffusion de contenus liés au trafic de stupéfiants dans l'espace numérique

Dans le but de renforcer les outils de la lutte contre la diffusion de contenus liés au trafic de stupéfiants dans l'espace numérique, le présent article prévoit, outre le renforcement des sanctions pénales prévues pour la répression du délit d'administration illicite de plateforme, d'étendre les prérogatives dont dispose Pharos pour demander le retrait et le déréférencement de contenus à caractère terroriste ou pédopornographique aux contenus relatifs à l'offre ou à la cession de stupéfiants.

La commission est favorable à la mise en oeuvre de ce dispositif, qu'elle juge nécessaire, adapté et proportionné eu égard à la gravité de la menace pour la Nation représentée par le développement tentaculaire du narcotrafic sur le territoire, notamment du fait de son « ubérisation ». Elle a en conséquence adapté cet article, tout en complétant, à l'initiative des rapporteurs, l'alignement du régime prévu en matière de cession et d'offre de stupéfiants sur ceux existants en matière de terrorisme et de pédo-criminalité, concernant les prérogatives de Pharos ainsi que les sanctions pénales et les garanties juridiques prévues pour les personnes en cause.

1. Le droit en vigueur : des outils efficaces déjà mis en place pour lutter contre la diffusion de contenus à caractère terroriste ou pédopornographique

1.1 Pharos dispose de prérogatives importantes pour obtenir le retrait de contenus à caractère terroriste ou pédopornographique

L'article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) permet à l'autorité administrative de demander aux éditeurs de contenus ainsi qu'aux fournisseurs de services d'hébergement en ligne, que sont notamment en pratique les plateformes numériques, de retirer tout contenu lorsqu'un tel retrait est justifié par les nécessités, d'une part, de la lutte contre la provocation à des actes terroristes ou l'apologie de tels actes ou, d'autre part, de la lutte contre la diffusion d'images pédopornographiques.

L'exercice de cette prérogative est mis en oeuvre par la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos), mise en place par la direction nationale de la police judiciaire.

En l'absence de retrait constaté dans les 24 heures, ou lorsque l'éditeur du service n'a pas mis à disposition sur son site de mentions légales permettant de le contacter lui ou son hébergeur, Pharos peut enjoindre aux fournisseurs d'accès à internet de procéder au blocage du service en ligne mis en cause.

Pharos peut également notifier les adresses électroniques afférentes à ces contenus aux moteurs de recherche, de façon à ce que ceux-ci procèdent à leur déréférencement.

Au titre du contrôle de la mise en oeuvre de ce dispositif de police administrative, il est prévu que Pharos transmette à une personnalité qualifiée77(*), désignée au sein de l'Agence de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), les demandes de retrait effectuées. Celle-ci s'assure de la régularité des demandes de retrait et des conditions d'établissement, de mise à jour, de communication et d'utilisation de la liste des adresses électroniques afférents aux contenus concernés. Si elle constate une irrégularité, elle peut à tout moment recommander à l'autorité administrative d'y mettre fin et, à défaut, saisir le juge administratif. Elle rend également public, chaque année, un rapport d'activité78(*).

La LCEN prévoit en outre des mesures de garantie pour les personnes concernées par des demandes de retrait de contenus pédopornographiques :

- une obligation d'information par Pharos de l'hébergeur, c'est-à-dire en pratique la plateforme, sur la procédure applicable douze heures avant la délivrance d'une demande de retrait s'il est mis en cause pour la première fois ainsi qu'une obligation d'information, le cas échéant, du fournisseur de contenu par l'hébergeur, sauf si ces informations sont de nature à entraver le bon déroulement des actions de prévention, de détection, de recherche et de poursuite des auteurs des infractions afférentes à ces contenus (article 6-2) ;

- une procédure contentieuse dérogatoire et accélérée, permettant à la personne concernée par la demande de retrait, dans un délai de 48 heures, de demander son annulation au président du tribunal administratif compétent, qui statue dans un délai de 72 heures. Cette décision est alors susceptible d'appel dans un délai de dix jours et la juridiction d'appel, le cas échéant, se prononce sous un délai d'un mois (article 6-2-2).

L'article 6-2-1 de la LCEN prévoit également une sanction pénale en cas de non-coopération de la plateforme. Aussi, le fait pour un hébergeur de ne pas retirer les contenus dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la réception de la demande de Pharos est-il puni d'un an d'emprisonnement et de 250 000 euros d'amende. Lorsque cette infraction est commise de manière habituelle par la plateforme, le montant de l'amende peut être porté à 4 % de son chiffre d'affaires mondial hors taxes réalisé au cours de l'exercice précédent.

Conformément au cadre prévu par le droit de l'Union européenne, des garanties et sanctions similaires sont prévues par les articles 6-1-3 à 6-1-5 de la même loi s'agissant des demandes de retrait de contenus à caractère terroriste relevant de l'article 3 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne.

En revanche, ce dispositif ne permet pas, en l'état du droit, de prévenir la diffusion de contenus liés au trafic de stupéfiants en ligne.

1.2 Un délit d'administration illicite sanctionnant les plateformes permettant sciemment l'échange de produits illicite qui permet déjà de lutter contre le narcotrafic en ligne

Au plan pénal, la responsabilité d'une plateforme en ligne79(*) favorisant le trafic de stupéfiants peut être engagée sous certaines conditions.

L'article 323-3-2 du code pénal prévoit en effet que constitue un délit le fait pour une plateforme qui restreindrait l'accès son service en utilisant des techniques d'anonymisation ou en ne respectant pas les règles légales applicables en matière de stockage des données d'identification des personnes à l'origine des contenus80(*), de permettre sciemment la cession de produits dont la cession, l'offre, l'acquisition ou la détention sont manifestement illicites.

Constitue également un délit le fait de proposer, par l'intermédiaire d'une plateforme ou au soutien de transactions qu'elles permettent, des prestations d'intermédiation ou de séquestre qui ont pour objet unique ou principal de mettre en oeuvre, de dissimuler ou de faciliter ces opérations. Cette disposition cible les « tiers de confiance » dits « ESCROW » sur lesquels s'appuient les trafiquants pour sécuriser les paiements et les transactions.

Ces délits sont punis de cinq d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.

En cas de commission en bande organisée, la peine pour ces deux infractions est portée à dix ans d'emprisonnement et à 500 000 euros d'amende.

2. Le dispositif proposé : une extension des prérogatives de Pharos à la prévention du narcotrafic en ligne et un renforcement de la répression de l'administration illicite de plateforme

En premier lieu, le I du présent article tend à modifier l'article 6-1 de la LCEN de façon à étendre les prérogatives de Pharos en matière de demande de retrait et de déréférencement par les moteurs de recherche aux contenus relatifs à la cession ou l'offre de stupéfiants, caractérisant l'infraction prévue à l'article 222-39 du code pénal.

En second lieu, le II du présent article tend à augmenter le quantum des peines prévues pour la sanction de l'administration illicite de plateforme et de la facilitation des transactions qu'elles permettent.

Celle-ci serait ainsi portée à sept ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende. Lorsque ces infractions sont commises en bande organisée, la peine d'amende à laquelle la peine de dix ans d'emprisonnement est assortie serait portée de 500 000 à 1 000 000 d'euros d'amende.

3. La position de la commission : un renforcement bienvenu des outils de la lutte contre le narcotrafic dans l'espace numérique

La commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a souligné, dans son rapport81(*), les dangers du phénomène d'« ubérisation »82(*) des trafics, constatant que les modes traditionnels de mise en relation entre les trafiquants et les consommateurs de drogues ont changé, de même que les modalités de recrutement des participants au trafic de stupéfiants.

Ainsi, au-delà de la configuration traditionnelle du « point de deal » situé au pied d'un immeuble, ces opérations se font de plus en plus en ligne, via les réseaux sociaux (Snaptchat, Instagram, etc.), en particulier depuis les périodes de confinement liées à la crise de la covid-19, permettant le contournement des mesures de restriction.

Ce phénomène a notamment pour conséquence le développement massif du trafic dans les zones rurales. Aussi le commandant de gendarmerie Ismaël Baa, auditionné par la commission d'enquête, a-t-il pu décrire le phénomène actuel de livraison dans le département de l'Orne : « Nous constatons par ailleurs des changements du côté de la livraison, avec ce qu'on peut appeler des “Uber shit”, si vous me permettez l'expression : des fournisseurs venus des villes font de véritables tournées, en informant le matin leurs correspondants sur les produits disponibles et en prenant les commandes pour le jour même, et la livraison se fait en voiture avec un chauffeur et un vendeur, qui restent en mouvement constant. On est loin du point de deal fixe, même si le phénomène peut exister temporairement dans des pavillons ou en logement collectif ».

Ainsi, les rapporteurs ne peuvent qu'approuver les mesures prévues par le présent article, qui sont de nature à renforcer les outils de la lutte contre le narcotrafic dans l'espace numérique.

En particulier, la mesure permettant le retrait de contenus relatifs à l'offre ou à la cession de stupéfiants constitue une mesure concrète et efficace pour entraver le deal en ligne.

Le dispositif existant pour les contenus à caractère terroriste ou pédopornographique a fait ses preuves et s'avère performant. En 2023, selon les données communiquées par la direction nationale de la police judiciaire, celui-ci a permis la mise en oeuvre de 120 816 demandes de retrait, 66 682 demandes de déréférencement et 690 demandes de blocages, qui concernent, pour l'essentiel, des contenus à caractère pédopornographiques. D'après les éléments transmis aux rapporteurs par ses services, Pharos ne déclare pas rencontrer de difficultés dans l'application des demandes qui sont formulées. En pratique, les hébergeurs et les fournisseurs d'accès à internet obtempèrent et procèdent au retrait, au déférencement ou au blocage des contenus signalés.

Les rapporteurs considèrent que ce dispositif, quoique attentatoire à la liberté d'expression et de communication, est nécessaire, adapté et proportionné eu égard à la gravité de la menace pour la Nation représentée par le développement tentaculaire du narcotrafic sur le territoire, notamment du fait de son « ubérisation ». Ils relèvent à cet égard que les contenus concernés sont précisément caractérisés, grâce à un renvoi à une infraction pénale aisément qualifiable - l'offre ou la cession de stupéfiants dans les conditions prévues à l'article 222-39 du code pénal.

Leur amendement n° COM-69, adopté par la commission, a complété le dispositif, afin de parachever son alignement sur le régime prévu en matière de lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroristes et pédopornographiques :

- en permettant à Pharos de demander aux fournisseurs le blocage d'accès à internet des personnes en cause, corrigeant une omission dans le texte initial ;

- en prévoyant d'appliquer au dispositif les garanties de procédure, sanctions pénales et régime contentieux susmentionnés, prévus aux articles 6-2 à 6-2-2 de la LCEN.

La commission a adopté l'article 12 ainsi modifié.

Article 13
Spécialisation de la chaîne pénale en matière de lutte contre le narcotrafic

Afin de conduire à son terme la logique de spécialisation de la chaîne pénale en matière de trafic de stupéfiants, l'article 13 fixe la compétence de la cour d'assises spécialement composée pour les infractions connexes à ce trafic et prévoit l'intervention de magistrats spécialisés pour l'application des peines prononcées à l'encontre des personnes reconnues coupables d'une infraction liée à la délinquance et à la criminalité organisées.

Par coordination avec la création d'un Pnaco à l'article 2, et pour éviter tout risque de pression sur les jurés dans les formes de délinquance et de criminalité organisées autres que le trafic de stupéfiants, la commission a prévu, à l'initiative des rapporteurs (amendement n° COM-70), la compétence d'une cour d'assises spécialement composée pour l'ensemble des crimes commis en bande organisée. Elle a également supprimé l'extension aux infractions connexes de la procédure spécifique applicable en matière de criminalité et de délinquance organisées, considérant que cet ajout avait une portée opérationnelle limitée en pratique et créait d'importants risques juridiques (amendement n° COM-71 des rapporteurs).

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

1. La spécialisation lacunaire des juridictions criminelles en matière de trafic de stupéfiants

Le titre XVI du code de procédure pénale prévoit une procédure particulière en matière de trafic de stupéfiants. Celle-ci emporte notamment, depuis 199483(*), la compétence d'une cour d'assises spécialement composée, c'est-à-dire constituée exclusivement de magistrats professionnels : cette spécificité substantielle vise à éviter qu'une pression soit exercée sur les jurés de la part d'individus au profil particulièrement dangereux. Par la menace ou la corruption, les trafiquants pourraient en effet tenter d'influencer les personnes appelées à les juger ; or, si des magistrats professionnels sont formés et armés pour résister à ces initiatives, tel n'est pas le cas des simples citoyens qui composent le jury populaire.

La difficulté réside dans le fait que, si le code a prévu la compétence d'une cour d'assises spéciale pour les crimes liés au trafic de stupéfiants84(*), tel n'est pas le cas pour les infractions connexes au trafic : tortures et actes de barbarie, règlements de comptes, corruption, etc. Parce qu'ils ne sont pas soumis à un régime dérogatoire, les procès criminels portant sur de tels faits peuvent être le théâtre de pressions. Ce phénomène, abondamment documenté par la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, a été récemment illustré par l'affaire dite « du procès de Bobigny », faisant référence à un procès de cour d'assises tenu en février 2018 en Seine-Saint-Denis et au cours duquel étaient jugées huit personnes accusées d'actes de torture et de barbarie commis sur un transporteur de drogue : à la suite de la divulgation du délibéré de la cour avant qu'il ne soit annoncé, une enquête avait permis d'établir qu'un juré avait été approché par deux individus au cours du procès - attestant, s'il en était besoin, des difficultés posées par le recours à un jury populaire pour juger des criminels qui n'hésitent pas à recourir au chantage, aux menaces et à la corruption pour parvenir à leurs fins.

Les auditions menées par les rapporteurs ont, de la même manière, montré que la gestion des condamnés issus de la criminalité organisée par des juges de l'application des peines « généralistes » était source de difficultés, faute d'une formation spécifique à la gestion de délinquants particulièrement dissimulateurs, voire manipulateurs.

C'est dans ce contexte que de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer une « professionnalisation » complète des juridictions de jugement et d'application des peines compétentes en matière de narcotrafic, sur le modèle de ce que le législateur a prévu en matière de répression du terrorisme. En effet, outre l'existence d'un parquet national spécialisé, le parquet national anti-terroriste85(*), le titre XV du code de procédure pénale a permis la création de services d'enquête spécialisés et de juges d'instruction antiterroristes ; de même, au stade du jugement, ont été instituées des cours d'assises spécialement composées bénéficiant d'un régime dérogatoire au droit commun ; enfin, dans la phase post-sentencielle, le code donne compétence à un juge de l'application des peines dédié et spécialement formé pour superviser la détention de profils terroristes et radicalisés.

La commission d'enquête a repris à son compte cette préconisation, traduite par les auteurs de la présente proposition de loi dans un dispositif visant à :

- prévoir la compétence de la cour d'assises spécialement composée pour l'ensemble des infractions connexes aux crimes commis dans le cadre du narcotrafic ;

- plus généralement, soumettre à la procédure applicable en matière de délinquance et de criminalité organisées non plus seulement les infractions du trafic de stupéfiants, mais aussi l'ensemble des infractions qui leur sont connexes ;

instituer des juges de l'application des peines spécialisés, qui seront seuls compétents pour gérer la détention des personnes condamnées pour des faits de délinquance et de criminalité organisées.

2. La position de la commission : permettre la spécialisation des juridictions de jugement sur l'ensemble du spectre de la criminalité organisée

La commission est convaincue de la nécessité de mieux armer les juges de l'application des peines confrontés aux condamnés les plus dangereux : l'actualité récente témoigne, de manière dramatique, de la sous-estimation des risques portés par certains profils de détenus du « haut », voire du « milieu du spectre ».

C'est pourquoi elle a, s'agissant de l'instauration d'une spécialisation des juges de l'application des peines appelés à intervenir auprès des personnes condamnées pour des faits de criminalité organisée, adopté le dispositif prévu par les auteurs de la proposition de loi sans modification.

Par ailleurs, consciente des risques qui pèsent sur les jurés lorsqu'ils participent au jugement des crimes liés à des réseaux dont la violence est avérée, la commission a, en adoptant un amendement n° COM-70 des rapporteurs, entendu amplifier la réforme souhaitée par les auteurs. Par cohérence avec la création d'un parquet national dédié à la criminalité organisée et non au seul trafic de stupéfiants, elle a ainsi prévu que l'ensemble des crimes commis en bande organisée seraient soumis à des cours d'assises exclusivement composées de magistrats professionnels.

Enfin, les rapporteurs ont souligné que l'extension aux infractions connexes du régime procédural de la criminalité organisée posait deux difficultés :

- d'une part, et étant rappelé que les règlements de comptes ainsi que tous les types de trafics graves ou d'infractions commises en bande organisée sont déjà intégrés au régime précité, ils ont estimé que cette précision n'aurait que peu d'intérêt opérationnel pour les services d'enquête ou pour les magistrats en charge des investigations ;

- d'autre part, ils ont relevé qu'une telle extension, susceptible au vu de ce qui précède d'aspirer dans un régime procédural lourd des faits relativement mineurs, soulèverait un risque constitutionnel majeur.

C'est pourquoi ils ont, en présentant l'amendement n° COM-71 que la commission a adopté, souhaité supprimer cette disposition.

La commission a adopté l'article 13 ainsi modifié.

Article 14
Refonte du régime des « repentis »

Le régime des « repentis », aujourd'hui sous-exploité en dépit de sa grande utilité pour identifier et poursuivre les « têtes de réseaux » du narcotrafic, vise à permettre à des personnes ayant participé à des faits graves de les dénoncer et d'obtenir, sous conditions, une réduction de peine et une protection en échange de cette dénonciation. Conformément aux recommandations de la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, l'article 14 étend la possibilité de devenir un « repenti » aux personnes ayant commis un crime de sang, renforce l'attractivité du statut en sécurisant la réduction de peine associée à la dénonciation et encadre les modalités d'une telle collaboration entre l'autorité judiciaire et le délinquant en imposant que soit conclue une convention définissant les engagements mutuels de chaque partie.

La commission a adopté cet article, modifié par les rapporteurs pour y apporter des améliorations rédactionnelles et, sur le fond, pour procéder à plusieurs enrichissements, avec en particulier la création d'un système d'immunités de poursuites pour les personnes dont les déclarations le justifient.

1. Le régime des « repentis » : un outil sous-exploité

L'histoire de la mise en place du régime des collaborateurs de justice, plus communément appelés « repentis », est celle d'une ambition contrariée. En effet, alors que l'apport déterminant des collaborateurs de justice aux enquêtes visant les mafias et les groupes criminels était attesté depuis les années 1970 par l'expérience des États-Unis et de l'Italie, ce n'est qu'en 200486(*) que la France s'est dotée d'un tel outil. Plus encore, ce n'est que dix ans plus tard qu'a été pris le décret d'application permettant l'entrée en vigueur du dispositif, qui n'est ainsi opérationnel que depuis mars 201487(*).

Le principe du régime des « repentis » est défini à la fois par le code pénal (article 132-78) et par le code de procédure pénale (article 706-63-1). Il repose sur l'équilibre suivant :

- d'une part, le code pénal fixe le régime des sanctions applicables aux « repentis » : ceux qui auront tenté de commettre une infraction pourront bénéficier d'une exemption de peine si, « ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, [ils ont] permis d'éviter la réalisation de l'infraction et, le cas échéant, d'identifier les autres auteurs ou complices » ; ceux qui auront effectivement commis une infraction et dont le repentir n'interviendrait qu'après cette commission verront la durée de la peine qu'ils encourent réduite si, « ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, [ils ont] permis de faire cesser l'infraction, d'éviter que l'infraction ne produise un dommage ou d'identifier les autres auteurs ou complices », ou encore « d'éviter la réalisation d'une infraction connexe de même nature que le crime ou le délit pour lequel elle était poursuivie » ;

- d'autre part, le code de procédure pénale définit la nature des contreparties qui peuvent être accordées aux « repentis », à leur famille et à leurs proches : ils peuvent ainsi bénéficier, sur décision d'une commission nationale ad hoc, la commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR), d'une protection et de mesures destinées à assurer leur réinsertion ; ils peuvent, entre autres, recourir à une identité d'emprunt, des peines lourdes étant prévues en cas de révélation de leur identité réelle ou d'éléments permettant de les localiser (cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, ces peines étant aggravées dans le cas où cette révélation aurait des conséquences sur l'intégrité du « repenti » ou de sa famille).

La prise en charge des collaborateurs de justice

Commission administrative présidée par un magistrat, la commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR) décide des mesures de protection et de réinsertion octroyées aux collaborateurs de justice et à leur proche. Elle se compose d'un magistrat exerçant ou ayant exercé au sein d'une juridiction interrégionale spécialisée (Jirs), d'un magistrat représentant la direction des affaires criminelles et des grâces, d'un représentant de la direction générale de la police nationale, d'un représentant de la direction de la gendarmerie nationale et d'un représentant du ministre chargé des douanes. Le Siat [service interministériel d'assistance technique], chargé du secrétariat permanent de la commission et de la mise en oeuvre des mesures, y dispose d'un représentant, mais avec une voix consultative seulement.

Toutes les juridictions ont la faculté de saisir la CNPR mais, au regard des infractions visées et de la complexité des affaires, les Jirs apparaissent comme les premières « utilisatrices ». La mise en oeuvre du dispositif de protection et de réinsertion des collaborateurs de justice est limitée aux cas 1° où le témoignage du repenti revêt une importance particulière pour la manifestation de la vérité ; 2° où la réalité de la menace à l'encontre de la personne qui demande à bénéficier du programme est avérée ; 3° aux individus évalués aptes à supporter le programme et le changement de vie qu'il induit, pour eux et pour leurs proches. Ces conditions sont cumulatives.

L'instruction du dossier est opérée par le Siat, qui expose les faits devant la CNPR et formule un avis sur l'utilité et la faisabilité des mesures de protection et de réinsertion envisageables (identité d'emprunt, relocalisation du repenti et de ses proches, protection physique en milieu carcéral, mise en place d'un suivi psychologique, scolarisation des enfants, formation professionnelle, etc.), accompagné d'une évaluation du coût et de la durée de mise en oeuvre. La CNPR prend la décision de mettre en oeuvre le programme de réinsertion et de protection et en définit ensuite le contenu et fixe les obligations que doivent respecter les personnes concernées. Il revient ensuite au bureau de protection et de réinsertion du Siat de mettre en oeuvre les programmes.

La CNPR peut à tout moment modifier, suspendre ou mettre fin aux mesures de protection et de réinsertion accordées (évolution des risques pesant sur le bénéficiaire et ses proches, violation des conditions et modalités de mise en oeuvre du programme).

[...] Le dispositif a été élargi aux victimes de la traite des êtres humains en 2015 et aux témoins menacés en 2016.

Source : commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, sur le fondement de la dépêche du 24 octobre 2014 de la DACG relative à la mise en oeuvre du dispositif de protection et de réinsertion des collaborateurs de justice et des réponses écrites du service interministériel d'assistance technique au questionnaire du rapporteur.

La commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic a dressé un bilan mitigé de ce dispositif et de son efficacité. Rappelant que les trois quarts des programmes validés par la CNPR visaient des groupes criminels impliqués dans le trafic de stupéfiants, faisant des « repentis » un dispositif primordial pour lutter contre ce phénomène, la commission a par ailleurs relevé que :

le recours aux collaborateurs de justice reste, en dépit d'une accélération récente, inférieur aux projections du Gouvernement comme à la pratique des pays étrangers disposant d'un système comparable - ce que la commission explique par une réticence des magistrats, puisque des moyens financiers supérieurs aux dépenses ont toujours été alloués au dispositif ;

le champ infractionnel des « repentis » ne paraît ni suffisamment large, ni cohérent avec la nature des profils ciblés par le statut : en effet, le bénéfice du mécanisme précédemment décrit ne concerne que les infractions expressément visées par le législateur ; or, celui-ci a exclu du périmètre les « crimes de sang » et l'association de malfaiteurs ;

- enfin, la réduction de peine n'est pas garantie, voire aléatoire, puisqu'elle reste soumise à la décision de la juridiction de jugement qui peut remettre en cause l'accord passé entre le « repenti » et les magistrats compétents pour l'enquête ou l'instruction des mêmes faits : comme le résumait la commission d'enquête dans son rapport précité, « sans aller jusqu'à l'exemption systématique de peine, le fait que plusieurs collaborateurs de justice aient été condamnés à des peines identiques voire plus lourdes que celles prononcées contre les têtes de réseaux n'est pas sans susciter un certain étonnement ».

Pour résoudre ces difficultés, les auteurs de la proposition de loi prévoient une triple modification du statut des collaborateurs de justice.

En premier lieu, ils proposent d'accorder le bénéfice du « repentir » aux personnes s'étant rendues coupables d'un « crime de sang » ou de la tentative de ce dernier : tentative de meurtre ou meurtre en bande organisée, commission des mêmes infractions ou d'un assassinat en bande organisée, et association de malfaiteurs.

Dans le même sens, ils entendent faciliter le recours au statut en élargissant les conditions dans lesquelles peut être accordée une réduction de peine : outre les hypothèses prévues par le droit en vigueur (et déjà citées ci-dessus), seraient concernées, selon les cas, les personnes qui ont permis d'éviter la répétition d'une infraction, de mettre fin à sa préparation (et non plus sa seule commission) et de limiter les dommages qu'elle a produits (et non plus seulement de les éviter).

En deuxième lieu, afin de prévenir tout dévoiement du système par des délinquants qui souhaiteraient abuser de l'élargissement du statut pour obtenir une réduction de peine sans rompre avec leur passé criminel, la proposition de loi prévoit l'intervention d'une convention permettant de fixer les engagements pris par le « repenti » et les avantages dont il bénéficie pour sa protection. Tout d'abord, en ce qui concerne les obligations des collaborateurs de justice, sont prévues :

- la création d'un nouvel article 706-63-1 A au sein du code de procédure pénale, aux termes duquel les « repentis » disposeront, à compter de l'expression de leur volonté de coopérer avec la justice, d'un délai impératif de cent vingt jours pour communiquer au ministère public (procureur de la République ou Pnast, ce dernier étant seul compétent pour les « repentis » liés au narcotrafic) les informations en leur possession, celles-ci étant consignées dans un rapport ad hoc ;

- la conclusion d'une convention entre le « repenti » et le ministère public par lequel le premier s'engagerait à la plus complète loyauté (respect des règles de sécurité prescrites, collaboration au bon déroulement de l'enquête, secret sur les informations transmises à la justice, absence de tout contact avec les autres auteurs ou complices de l'infraction, transmission d'un état précis de son patrimoine) et à indemniser ses victimes.

La violation de ces obligations se traduirait par la révocation de la protection accordée au collaborateur de justice et à ses proches. De la même manière, le texte permet au procureur général près la cour d'appel territorialement compétente de demander la révision d'un jugement au cours duquel une réduction ou une exemption de peine aurait été accordée à un « repenti » si celui-ci a transmis à la justice des informations incomplètes ou inexactes ou s'il a commis une nouvelle infraction dans un délai de dix ans après que le jugement est devenu définitif.

En troisième lieu, afin de mieux garantir l'application de la réduction ou de l'exemption de peine au bénéfice du « repenti », la proposition de loi prévoit que la convention conclue entre celui-ci et le ministère public - et qui comportera mention de la réduction ou de l'exemption de peine qui lui a été proposée - sera obligatoirement jointe au dossier de la procédure, et que la juridiction de jugement ne pourra s'en écarter qu'avec une décision spécialement motivée, visant à la fois à fiabiliser le prononcé d'une juste peine et à prévenir toute contrainte excessive (et potentiellement contraire à la Constitution) sur le juge du fond.

2. Aller plus loin dans le renforcement de l'attractivité du régime des « repentis »

Sans exclure de nouvelles modifications au stade de la séance publique eu égard à la complexité du statut des « repentis » et à la nécessité d'apporter à celui-ci des modifications substantielles de nature à en garantir enfin l'attractivité, la commission a largement fait évoluer le texte de la proposition de loi.

Adoptant un amendement n° COM-72 des rapporteurs, elle a ainsi apporté au texte plusieurs améliorations.

Premièrement, elle a procédé à des harmonisations de rédaction s'agissant des conditions d'exemption ou de réduction de peine. Elle a ainsi précisé que l'exemption de peine s'appliquera à toute personne ayant empêché la commission d'une infraction (y compris en mettant fin à sa préparation), indépendamment de la condition cumulative aujourd'hui posée par le code sur l'identification d'éventuels co-auteurs ou complices qui, selon les propos du président de la CNPR, Marc Sommerer, ne semble ni justifiée sur le fond, ni pertinente pour favoriser la dénonciation de crimes ou de délits en préparation. Réciproquement, elle a clarifié et uniformisé les conditions d'octroi d'une réduction de peine, selon trois critères alternatifs : pourront ainsi bénéficier d'une peine réduite les personnes qui auront soit fait cesser la réalisation d'une infraction dont la commission avait déjà débuté, soit évité ou limité les dommages produits par la même infraction, soit permis d'identifier les autres auteurs ou complices.

Deuxièmement, l'amendement vise à renforcer le poids du dispositif initial. D'une part, et outre la confirmation de l'intégration des « crimes de sang », il ouvre la possibilité d'un « repentir » en matière de trafic d'armes. D'autre part, il rend plus favorable la libération conditionnelle anticipée ouverte aux « repentis » en prévoyant qu'elle pourra intervenir dès lors que le condamné aura exécuté le tiers de la peine prononcée.

Troisièmement, l'amendement précise les caractéristiques du statut de collaborateur de justice, notamment pour faciliter l'octroi d'une identité d'emprunt, pour clarifier et fluidifier la répartition des rôles entre le Siat et la CNPR, ou encore pour préciser les conditions dans lesquelles le statut de collaborateur de justice pourra être révoqué : sur ce dernier point, compétence est donnée à la juridiction de jugement pour prévoir un quantum complémentaire d'emprisonnement qui pourra être mis à exécution si le « repenti » commet une nouvelle infraction ou viole les engagements qu'il aura pris dans le cadre de la convention qui le lie à l'autorité judiciaire.

Enfin et surtout, l'amendement crée, sur le modèle du droit britannique, un régime d'immunité de poursuites permettant d'octroyer une telle immunité à un « repenti » dont les déclarations auraient une importance exceptionnelle eu égard au nombre de personnes qu'il peut dénoncer ou de la gravité de l'infraction qu'il permet de faire cesser.

L'immunité de poursuites dans le droit britannique

Aux termes de l'article 71 de la loi SOCPA [loi sur la grande criminalité et la police de 2005], un procureur habilité peut aux fins d'une enquête ou de poursuites concernant un crime ou un délit pouvant faire l'objet d'un procès, offrir à une personne une immunité de poursuites (immunity from prosecution) pour toute infraction. Si une personne reçoit une notification d'immunité, aucune procédure pour une infraction décrite dans la notification ne peut être engagée contre elle en Angleterre et au pays de Galles ou en Irlande du Nord (sauf dans les circonstances spécifiées dans la notification). Toutefois, la notification d'immunité cesse de produire ses effets si l'auteur de l'infraction ne respecte pas l'une des conditions prévues dans la notification.

Le code des procureurs rappelle que l'immunité ne peut être proposée que dans des cas exceptionnels. Les critères à prendre en compte ont été définis par l'Attorney General (appréciation de l'intérêt de la justice, de l'intérêt pour la sécurité publique et de la probabilité que des informations puissent être obtenues sans une offre d'immunité). En outre, l'Attorney General doit être consulté au moins 14 jours avant la notification d'immunité.

La jurisprudence relative aux immunités a établi que le ministère public n'avait pas le pouvoir d'accorder une immunité « prospective », pour couvrir une infraction future. Par conséquent, les notifications d'immunité ne peuvent être accordées que pour des infractions qui ont déjà été commises.

L'article 72 de la loi SOCPA prévoit que le procureur peut s'engager à ne pas utiliser les déclarations du repenti dans le cadre d'une procédure pénale ou d'une procédure pour « comportement illicite » à son encontre, en vue d'obtenir sa collaboration. Cet engagement prend la forme d'une notification écrite.

Une notification d'engagement d'utilisation restreinte des déclarations n'empêche pas le repenti d'être poursuivi lorsque d'« autres preuves », justifiant des poursuites deviennent disponibles. Les autres preuves peuvent provenir d'autres sources directes ou indirectes. La notification doit toutefois comporter une réserve expresse à cet effet.

Source : rapport de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier88(*).

Décidée à titre exceptionnel et par les seuls magistrats spécialisés en matière de criminalité organisée (c'est-à-dire ceux des Jirs et le futur procureur national anti-criminalité organisée), l'immunité serait soumise à des exigences spécifiques, et notamment à l'avis conforme de la commission nationale de protection et de réinsertion.

La commission a adopté l'article 14 ainsi modifié.

Article 15
Anonymat des officiers de police judiciaire affectés dans des services spécialisés en matière de délinquance et de criminalité organisées

Les travaux de la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic ont mis au jour la difficile situation des officiers de police judiciaire chargés d'enquêter sur des faits de délinquance et de criminalité organisée : alors qu'ils font face à des trafiquants qui utilisent de nombreux procédés pour rester anonymes, ceux-ci peuvent voir leur identité être divulguée dans les procédures - ce qui les expose à la fois aux représailles et aux tentatives de corruption. C'est pourquoi, afin de mieux protéger les policiers, gendarmes et douaniers qui luttent contre le narcotrafic, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité prévoir qu'ils pourraient, sur simple autorisation écrite d'une autorité hiérarchique, être identifiés par leur numéro d'immatriculation administrative.

Adoptant cet article, la commission a complété sa rédaction par un amendement des rapporteurs visant à rendre ce nouveau dispositif plus opérationnel ; elle a par ailleurs prévu d'en faire bénéficier les agents des douanes et les effectifs affectés à la lutte contre les trafics en mer.

1. Le nécessaire renforcement de la protection accordée aux effectifs en charge de la lutte contre la criminalité organisée

Les règles permettant aux agents de la police et de la gendarmerie nationales de bénéficier d'une forme d'anonymat - qui n'empêche pas leur identification in fine, puisqu'il s'agit pour eux d'être désignés par leur numéro d'immatriculation administrative - sont fixées par l'article 15-4 du code de procédure pénale. Celui-ci prévoit que :

- l'autorisation de ne pas être identifié par ses nom et prénom dans les actes de procédure peut être accordée pour les procédures portant sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ou, lorsque ce quantum n'est pas atteint, lorsque la révélation de l'identité de l'agent est susceptible de mettre en danger sa vie ou son intégrité physique, ou celle de ses proches ;

- cette autorisation est délivrée par un responsable hiérarchique « d'un niveau suffisant » et sur décision motivée de celui-ci, copie en étant transmise au procureur de la République territorialement compétent ;

- l'anonymat vaut non seulement au cours des investigations, mais aussi lorsque l'agent est appelé à déposer ou à comparaître comme témoin ou lorsqu'ils se constituent partie civile. À l'inverse, il n'est pas applicable lorsque l'agent est suspecté d'avoir commis une infraction dans l'exercice de ses fonctions et qu'il est entendu en audition libre ou placé en garde à vue.

Ces dispositions sont également applicables aux officiers et agents de douane judiciaire ainsi que, plus largement, aux agents des douanes par le biais d'un renvoi inscrit à l'article 55 bis du code des douanes, « à l'occasion de la mise en oeuvre des pouvoirs de recherche, de constatation et de poursuite prévus au[dit] code ou lorsqu'ils sont requis sur le fondement du code de procédure pénale » : ils peuvent alors être autorisés à ne pas être identifiés par leurs nom et prénom mais à utiliser un numéro administratif.

Les auteurs jugent que ce régime, relativement lourd, n'a que peu de pertinence pour les officiers de police judiciaire affectés dans des services spécialement chargés de la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées : en effet, ils considèrent que leurs fonctions les exposent mécaniquement à des risques pour leur intégrité physique mais aussi, voire surtout, à des pressions, des menaces et des tentatives de corruption. Ils proposent en conséquence que les officiers rattachés à de tels services (dont la liste serait définie par un arrêté conjoint du ministre chargé de l'intérieur et du ministre de la justice) puissent être identifiés par leur numéro d'immatriculation administrative sur simple autorisation écrite de leur responsable hiérarchique.

2. Alléger encore davantage les procédures d'anonymisation des agents en charge de la lutte contre la criminalité organisée

L'étude approfondie du dispositif proposé par les auteurs a confirmé sa pertinence sur le fond, mais aussi révélé la nécessité de le compléter pour prévoir :

l'inopposabilité de l'anonymat dans certains cas (placement en garde à vue ou audition en tant que témoin assisté, par exemple) ;

- la procédure à suivre lorsque la levée de l'anonymat sera envisagée pour les besoins des investigations, soit que cette levée soit acceptée par l'agent ou par l'officier concerné, soit qu'elle soit soumise au magistrat en charge de l'enquête (étant précisé que, en cas de désaccord, l'agent ou l'officier disposera d'une possibilité de recours devant la chambre de l'instruction ou devant le procureur général) ;

- les sanctions encourues par ceux qui divulgueraient l'identité réelle d'un officier ou d'un agent bénéficiant de l'anonymat.

Les auditions ont également montré qu'il était utile d'étendre cet anonymat renforcé aux agents des douanes et aux effectifs de l'État chargés d'intervenir contre les trafics en mer. Elles ont, enfin, permis d'établir que l'autorisation de l'autorité hiérarchique n'était pas juridiquement requise et qu'il était, par conséquent, possible d'assouplir encore davantage le système proposé et d'en renforcer l'impact positif sur les services chargés de la lutte contre les réseaux de criminalité organisée.

Ces évolutions ont été intégrées un amendement n° COM-73 des rapporteurs, auquel la commission a souscrit.

La commission a adopté l'article 15 ainsi modifié.

Article 15 bis (nouveau)
Recours aux hyper-trucages pour protéger l'identité des infiltrés
et des témoins menacés

En adoptant un amendement des rapporteurs portant article additionnel la commission a souhaité conforter l'action des services en charge de la lutte contre la criminalité organisée en sécurisant le recours aux hyper-trucages (mieux connus sous leur nom anglais de deep fakes) dans le cadre des enquêtes sous pseudonyme et des infiltrations.

Le code de procédure pénale autorise les officiers (et, dans certains cas, les agents) de police judiciaire spécialement habilités à faire usage, sous le contrôle d'un magistrat et dans un cadre juridique clairement défini, d'une identité d'emprunt ; il en va de même pour les agents des douanes, dans le cadre spécifique prévu par le code des douanes.

Tel est notamment le cas s'agissant :

- des investigations relatives aux infractions commises en ligne (article 230-46 du code de procédure pénale et article 67 bis-1 A du code des douanes) ;

- des infiltrations (articles 706-81 et suivants du code de procédure pénale, et article 67 bis du code des douanes).

Bien que ces hypothèses puissent ouvrir, en l'état du droit, la possibilité de recourir à des outils de transformation de la voix, par renvoi à l'article 706-61 du code de procédure pénale, deux lacunes demeurent :

- d'une part, cette possibilité n'est pas systématique (elle est prévue pour l'infiltration mais, étonnamment, pas pour les enquêtes numériques sous pseudonyme) ;

- d'autre part, la rédaction actuelle des textes ne permet pas de couvrir le recours à des hyper-trucages, ou deep fakes, c'est-à-dire à des techniques fondées sur l'intelligence artificielle pour modifier l'apparence physique (morphing facial) et/ou la voix des agents concernés, alors même que de tels outils seraient, selon les représentants de la police et de la gendarmerie nationales et des douanes, d'une grande utilité pour la conduite de leurs missions.

En vue de combler ces manques, la commission a adopté l'amendement n° COM-74 des rapporteurs autorisant l'utilisation de tout « dispositif permettant d'altérer ou de transformer [la] voix ou [l']apparence physique » des agents lorsqu'ils recourent aux procédures précitées.

La commission a adopté l'article 15 bis ainsi rédigé.

Article 16
Régime du déploiement des techniques spéciales d'enquête

Ayant fait le constat que le contradictoire, exigence cardinale (et légitime) de la procédure pénale, pouvait avoir pour effet de rendre inutilisables certaines techniques spéciales d'enquête particulièrement sensibles, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité mieux assurer la conciliation entre ce principe et la nécessaire recherche des auteurs d'infractions pénales. C'est pourquoi, reprenant la recommandation n° 23 de la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, ils proposent la mise en place d'un procès-verbal distinct inspiré du droit belge, dans lequel seraient inscrits les éléments techniques relatifs au déploiement de certains mécanismes d'investigation qui ne peuvent rester efficaces que s'ils sont inconnus : ceux-ci se trouveraient ainsi soumis à un contrôle systématique de la chambre de l'instruction, mais resteraient inaccessibles aux personnes mises en cause et à leurs avocats.

Les auteurs proposent également, là encore dans le prolongement des conclusions de la commission d'enquête sur le narcotrafic, d'uniformiser le régime juridique des techniques spéciales d'enquête et de faciliter l'utilisation des plus efficaces d'entre elles en fixant, pour le déploiement de la géolocalisation et de l'interception de correspondances émises par la voie des communications électroniques (donc, entre autres, les écoutes téléphoniques), une même durée d'autorisation, à savoir deux mois, renouvelable deux fois.

En adoptant un amendement n° COM-75 des rapporteurs, la commission des lois a :

- encadré les indications susceptibles d'être inscrites dans le procès-verbal distinct et renforcé les garanties offertes aux justifiables ;

- précisé les conséquences de l'éventuelle révocation de l'autorisation de recourir au procès-verbal distinct ;

- clarifié les conditions du contrôle systématique qui sera exercé par la chambre de l'instruction sur le contenu de ce procès-verbal ;

- prévu le versement au dossier de l'ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention.

Par ailleurs, reprenant une recommandation de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic et sur la proposition d'Étienne Blanc, la commission a clarifié les conditions dans lesquelles le magistrat compétent autorise le recours à la géolocalisation (sous-amendement n° COM-89).

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

1. Le dispositif initial de l'article 16

L'article 16 poursuit deux objectifs : d'une part, il vise à mettre en place un procès-verbal distinct permettant de ne pas verser au dossier de la procédure des éléments techniques sensibles dès lors que ces derniers ne constituent pas des preuves et à la condition qu'un strict contrôle soit exercé sur les informations confidentielles ; d'autre part, il entend clarifier les conditions du recours à la géolocalisation et à l'interception de correspondances émises par la voie des communications électroniques en prévoyant que ces deux techniques pourront être autorisées par un magistrat pour une durée de deux mois, renouvelable deux fois.

· Le procès-verbal distinct

Inscrit à l'article préliminaire du code de procédure pénale, aux termes duquel « [l]a procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties », le principe du contradictoire assure à une personne qu'elle ne sera pas jugée sans avoir été entendue ni sans avoir eu la possibilité de connaître l'ensemble des arguments - de fait, de droit et de preuve - retenus contre elle et sur le fondement desquels elle sera jugée. En pratique, ce principe impose que tous les éléments de preuve, ainsi que les modalités de leur recueil, soient matérialisés dans des procès-verbaux eux-mêmes rendus accessibles à la personne mise en cause et à son avocat, afin de permettre à celle-ci d'organiser sa défense et de contester les résultats de l'enquête ou de l'instruction.

Dans les investigations relatives à la criminalité organisée, le recueil des preuves est particulièrement complexe - ce qui justifie, aux côtés de la gravité des faits concernés, qu'il soit fait recours à des techniques spéciales d'enquête (TSE) prévues par les articles 706-80 et suivants du code de procédure pénale (surveillance, infiltration, enquête sous pseudonyme, accès à distance aux correspondances stockées par la voie de communications électroniques accessibles au moyen d'un identifiant informatique, recueil des données techniques de connexion et des interceptions de correspondance émises par la voie des communications électroniques, sonorisations et fixations d'images de certains lieux ou véhicules, captation des données informatiques). Intrusives, celles-ci sont soumises à d'importantes restrictions : leur usage est limité aux infractions de la délinquance et de la criminalité organisées et elles doivent pour la plupart être autorisées, pour une durée restreinte, par le juge des libertés et de la détention, qui rend une ordonnance motivée attestant notamment du respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité.

En l'état du droit, les preuves recueillies par le biais des TSE sont soumises au droit commun de la preuve : en d'autres termes, les procès-verbaux retracent dans le détail non seulement les techniques utilisées, mais aussi leurs modalités de déploiement.

Selon la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic, le principe du contradictoire est aujourd'hui dévoyé par les membres des réseaux de la délinquance et de la criminalité organisées qui, grâce aux indications glanées au fil des dossiers sur les modes d'action des services d'enquête, utilisent la transparence dont la justice fait preuve pour se mettre à l'abri de toute sanction. Certaines techniques sont ainsi devenues obsolètes, les trafiquants ayant mis en oeuvre des contournements qui les rendent inutilisables (à l'instar des écoutes téléphoniques, mises en échec par la pratique des délinquants chevronnés de changer régulièrement de ligne de téléphone ou de recourir à des réseaux de communication cryptés, voire des applications privées comme EncroChat et Sky ECC). Surtout, et toujours selon le rapport de la commission d'enquête, cette situation rend inutilisables des techniques innovantes, malgré leur efficacité redoutable. Tel est notamment le cas des key-loggers, logiciels qui permettent une captation en direct des données affichées sur un téléphone ou un ordinateur mais dont le mode de fonctionnement, ainsi que de pose et de retrait, est par nature sensible. Tel est également le cas pour d'autres techniques : Stéphanie Cherbonnier, alors cheffe de l'Ofast, indiquait à la commission d'enquête lors de son audition en novembre 2023 que « [l]e faible recours à l'infiltration en matière de trafics de stupéfiants s'expliqu[ait] avant tout par le fait que la retranscription en procédure de toutes les actions mises en oeuvre - ensuite versée au contradictoire - donn[ait] des clés aux organisations criminelles, qui non seulement rechercheront des vices de procédure, mais comprendront aussi les méthodes utilisées »89(*) - ce qui faisait par ailleurs peser un risque majeur sur la vie de la personne infiltrée.

Plus grave encore, il apparaît que, pour éviter de « donner des billes à l'adversaire »90(*), les enquêteurs renoncent parfois à utiliser des TSE pour éviter de divulguer des méthodes susceptibles d'être employées dans un grand nombre d'investigations, ce qui ne semble être ni l'objet, ni l'effet escompté de l'application normale du principe du contradictoire.

Pour répondre à cette situation, la commission d'enquête du Sénat avait recommandé la mise en place d'un procès-verbal distinct (ci-après, PVD) permettant de maintenir la confidentialité de certaines données sensibles qui, sans constituer en elles-mêmes des preuves, sont un révélateur des méthodes utilisées pour rechercher les auteurs d'infractions.

Le fonctionnement prévu par les auteurs de la proposition de loi pour mettre en oeuvre cette recommandation serait le suivant.

Sur le plan matériel, l'article 16 du texte fixe les éléments pouvant être inclus dans le futur PVD : il s'agirait des informations relatives à la date, l'horaire ou le lieu de la mise en oeuvre d'une technique spéciale d'enquête, aux caractéristiques de leur fonctionnement, aux méthodes d'exécution de celles-ci et aux modalités de leur installation ou de leur retrait. Par ailleurs, la confidentialité de ces informations ne serait pas absolue : elle serait conditionnée au fait que leur divulgation serait de nature soit à « mettre en danger la sécurité d'agents infiltrés, de collaborateurs de justice, de témoins protégés [...] ou de leurs proches », soit à « porter une atteinte grave et irrémédiable à la possibilité de déployer à l'avenir les mêmes techniques ». À l'inverse, le texte exclut que puissent être inscrites au PVD les « indication[s] permettant d'identifier les personnes visées par ladite technique et la période de son déploiement ainsi que d'apprécier le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité ». Il prévoit également que les éléments ainsi rendus secrets ne pourront pas constituer une preuve : inconnus des personnes mises en cause, ils ne seront pas invoqués contre elles.

Le texte précise enfin que la divulgation des éléments inscrits dans le procès-verbal distinct sera passible des peines prévues en cas d'atteinte au secret de l'identité d'un agent des services de renseignement : cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, et jusqu'à dix ans et 150 000 euros d'amende lorsque cette révélation a conduit à la mort de l'agent ou de l'un de ses proches.

Sur le plan procédural, le procès-verbal distinct répondrait à un contrôle strict. L'autorisation d'y recourir serait sollicitée, en amont, par le procureur de la République ou le juge d'instruction auprès du juge des libertés et de la détention ; celui-ci se prononcerait par une ordonnance motivée, elle aussi confidentielle aux termes du texte initial de l'article 16, et pourrait à tout moment ordonner l'interruption de la mise en oeuvre de la technique.

Dès la fin du déploiement de la technique, le procès-verbal distinct et l'ordonnance correspondante seraient soumis à la chambre de l'instruction, qui opérerait ce faisant un contrôle systématique. Outre ses pouvoirs traditionnels d'annulation des preuves obtenues en violation des règles de procédure, la chambre pourrait décider de verser au dossier les éléments indispensables à la manifestation de la vérité.

· L'extension des délais « plafonds » d'autorisation du recours à certaines techniques spéciales d'enquête

Par ailleurs, l'article 16 vient harmoniser la durée maximale d'autorisation du recours à deux techniques spéciales dont les travaux de la commission d'enquête ont montré l'importance dans la lutte contre le narcotrafic, à savoir :

- la géolocalisation, prévue par l'article 230-33 du code de procédure pénale : celle-ci est actuellement autorisée pour les infractions graves (flagrance, enquête préliminaire, procédure lancée à la suite d'une mort suspecte ou de cause inconnue, à la suite de la disparition d'un mineur ou d'un majeur protégé, crime et infractions liées à la criminalité organisée)91(*) pour une durée maximale de quinze jours, et de huit jours dans les autres cas ; à l'issue de ces délais, la géolocalisation peut être renouvelée pour une durée maximale d'un mois par le juge des libertés et de la détention, qui la renouvelle dans les mêmes conditions de forme et de durée dans la limite de deux ans pour les infractions de la criminalité organisée et d'un an dans les autres cas ;

- les interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques qui, en cas de flagrance ou d'enquête préliminaire pour une infraction liée à la criminalité organisée, peuvent être autorisées par le juge des libertés et de la détention pour une durée maximum d'un mois, renouvelable une fois. Comme en témoigne le terme large de « communications électroniques », de telles interceptions couvrent non seulement les écoutes téléphoniques (qui, bien que pour partie tombées en désuétude du fait de la montée en puissance des communications cryptées, restent une source importante d'informations pour les enquêteurs, notamment s'agissant de la lutte contre les trafics en prison et en zone rurale92(*)), mais aussi les correspondances transmises par le biais d'internet.

Les auteurs proposent de fixer à deux mois, renouvelable deux fois, la durée maximale d'utilisation de ces techniques - qui resteraient soumises à l'autorisation puis au contrôle du juge des libertés et de la détention ; pour la géolocalisation, cette évolution se limiterait aux infractions liées à la criminalité organisée, les autres crimes et délits restant régis par un régime juridique inchangé.

2. La position de la commission des lois

La commission des lois a longuement débattu du procès-verbal distinct en vue de déterminer s'il était de nature à assurer une conciliation équilibrée entre le principe du contradictoire et la recherche des auteurs d'infractions pénales.

Premièrement, elle a constaté que, bien qu'original, un tel système ne serait pas inédit dans le droit français.

En procédure pénale, tout d'abord, notre droit connaît déjà une forme simplifiée de procès-verbal distinct qui résulte de l'article 706-58 du code. Celui-ci permet au juge des libertés et de la détention, sur requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction et pour les procédures portant sur des infractions punies d'au moins trois ans d'emprisonnement, d'autoriser le recueil des déclarations d'un témoin menacé sans que son identité apparaisse dans le dossier de la procédure ; l'identité et l'adresse du témoin sont alors inscrites dans un procès-verbal qui est versé dans un dossier distinct du dossier de la procédure.

Par ailleurs, des procédures comparables existent déjà dans d'autres domaines du droit national.

Dans les instances civiles ou commerciales, l'article L. 153-1 du code du commerce (issu de la n° 2018-670 du 30 juillet 2018) permet au juge, en présence de pièces couvertes par le secret des affaires, de déroger au principe du contradictoire en limitant la communication ou la production des pièces à certains éléments, en restreignant l'accès à ces pièces et en adaptant la motivation de sa décision aux nécessités de la protection du secret des affaires, « sans préjudice de l'exercice des droits de la défense ».

Un tel système existe également devant le juge administratif pour le contentieux lié à la mise en oeuvre des techniques de renseignement soumises à autorisation et pour celui des fichiers intéressant la sûreté de l'État, dans les conditions fixées par l'article L. 773-1 du code la justice administrative ; il concerne, en outre, certaines décisions administratives (dissolution d'une association ou d'un groupement de fait ; interdiction de sortie du territoire français et contrôle administratif des retours sur le territoire national ; fermeture d'un lieu de culte ; gel des avoirs ; refus de délivrance ou le retrait d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ; opposition à l'acquisition de la nationalité française par mariage...).

Preuve de la confiance raisonnable que l'on peut avoir dans la robustesse d'un tel dispositif, l'article L. 773-11 a récemment été inséré dans le code de la justice administrative, à l'occasion de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration et à l'initiative du Gouvernement. Lorsque des considérations relevant de la sûreté de l'État s'opposent à la communication d'informations ou d'éléments sur lesquels reposent les motifs de l'une des décisions précitées - soit parce que cette communication serait de nature à compromettre une opération de renseignement, soit parce qu'elle conduirait à dévoiler des méthodes opérationnelles des services de renseignement -, et lorsque la protection de ces informations ou de ces éléments ne peut être assurée par d'autres moyens, cet article donne à l'administration la faculté de les transmettre par un mémoire séparé en exposant les raisons impérieuses qui s'opposent à ce qu'elles soient versées au débat contradictoire. Dans un tel cas, le juge administratif statue sur le litige sans soumettre ces informations au débat contradictoire, et même sans en révéler l'existence et la teneur dans sa décision. En revanche, lorsque le juge estime que les éléments communiqués sont sans lien avec la sûreté de l'État, il informe l'administration qu'il entend les verser au débat contradictoire, et cette dernière peut alors refuser de les communiquer.

La commission des lois a, en second lieu, constaté que des mécanismes analogues au PVD existaient dans des pays voisins, et que certains avaient déjà été soumis au juge européen. C'est ainsi que la Cour européenne des droits de l'homme a jugé, le 23 mai 2017, que le recours par l'État belge à des méthodes particulières de d'observation et d'infiltration, dans le cadre d'une enquête pénale dont les éléments sont versés dans un dossier confidentiel non contradictoire, n'était pas contraire au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans cette affaire qui portait justement sur des faits de trafic de stupéfiants, la Cour a jugé que ce dossier confidentiel faisait l'objet d'un contrôle effectif, effectué par la chambre des mises en accusation de la cour d'appel, donc par une juridiction indépendante et impartiale qui était en capacité d'examiner la régularité d'une telle procédure. Elle a, plus largement, rappelé que « le droit à une divulgation des preuves pertinentes n'est pas absolu » puisque, dans une procédure pénale donnée, « il peut y avoir des intérêts concurrents - tels que la sécurité nationale ou la nécessité de protéger des témoins risquant des représailles ou de garder secrètes des méthodes policières de recherche des infractions - qui doivent être mis en balance avec les droits de l'accusé ». Par conséquent, « dans certains cas, il peut être nécessaire de dissimuler certaines preuves à la défense de façon à préserver les droits fondamentaux d'un autre individu ou à sauvegarder un intérêt public important ».

La Cour reconnaît ainsi la licéité des aménagements que les États apportent au principe du contradictoire, dès lors que ceux-ci sont « absolument nécessaires » et que « toutes difficultés causées à la défense par une limitation de ses droits [sont] suffisamment compensées par la procédure suivie devant les autorités judiciaires », eu égard notamment à l'existence d'un contrôle impartial et indépendant des pièces concernées.

La Cour de justice de l'Union européenne a, dans le même sens, admis dès 2012 une « exception d'asymétrie » au principe du contradictoire dans le cas de motifs impérieux liés, en l'espèce, à la lutte contre le terrorisme93(*). Les articles 103 et 105 du règlement de procédure du Tribunal de l'Union européenne reconnaissent d'ailleurs la possibilité d'atteintes, strictement limitées et nécessaires, au principe du contradictoire pour des motifs liés à la confidentialité des pièces et documents à l'égard de l'une des parties ainsi qu'à la sûreté de l'Union ou de l'un ou plusieurs de ses États membres.

Enfin et surtout, la commission des lois a observé que le système proposé par les auteurs de la proposition de loi était compatible avec la jurisprudence constitutionnelle sur les droits de la défense.

En effet, le Conseil constitutionnel a été appelé à se prononcer, par une décision du 25 mars 2014, sur la conformité à la Constitution d'un dispositif qui poursuivait un objectif analogue à celui de l'article 1694(*) et qui prévoyait que certains éléments relatifs à la mise en place et au retrait d'un moyen de géolocalisation pourraient ne pas apparaître dans le dossier de la procédure. Le Conseil a, à cette occasion :

- émis une réserve d'interprétation afin de rappeler que les droits de la défense seraient méconnus dans le cas où la chambre de l'instruction ne serait pas mise en mesure de contrôler les éléments qui n'ont pas été versés au dossier ;

censuré une disposition permettant « qu'une condamnation puisse être prononcée sur le fondement d'éléments de preuve alors que la personne mise en cause n'a pas été mise à même de contester les conditions dans lesquelles ils ont été recueillis ». Selon le commentaire de la décision, « une telle affirmation de principe [implique] qu'une information mettant en cause une personne ne peut pas constituer un élément de preuve devant la juridiction répressive si la personne mise en cause est privée de la possibilité de contester les conditions dans lesquelles [elle a] été recueillie » ; cependant, aux yeux du Conseil, cette même affirmation « n'implique pas que l'origine et les conditions de recueil de tous les renseignements obtenus dans le cadre de l'enquête ou de l'instruction, et qui permettent de l'orienter, soient versées au dossier et ainsi soumises au principe du contradictoire ».

Les rapporteurs estiment que le dispositif de la proposition de loi est conforme à cette jurisprudence. D'une part, l'article 16 prévoit un contrôle systématique de la chambre de l'instruction, ce qui permet d'éviter toute atteinte aux droits de la défense au sens de la décision du 25 mars 2014 ; ce faisant, le texte va même au-delà de l'exigence tendant à ce que la personne mise en cause ait la faculté de contester les conditions dans lesquelles les techniques spéciales d'enquête utilisées à son encontre auront pu être déployées. D'autre part, le dispositif soumis au Sénat prévoit que les indications qui ne seront pas soumises au contradictoire ne pourront pas, par elles-mêmes, constituer des preuves - ce qui implique qu'un élément de date, d'horaire et de lieu rendu secret ne pourra pas être invoqué afin, par exemple, de prouver la présence d'une personne mise en cause sur la scène de commission d'une infraction : là encore, il apporte une garantie dont la loi déférée en 2014 était dénuée et écarte le risque d'une remise en cause du principe d'égalité des armes au détriment de la défense.

La commission a cependant considéré qu'il était possible de renforcer les garanties apportées aux justiciables en cas d'utilisation du procès-verbal distinct. À l'initiative des rapporteurs (amendement n° COM-75), et outre la correction d'une malfaçon légistique s'agissant de la géolocalisation95(*), elle a ainsi :

- mieux encadré les indications susceptibles d'être inscrites dans le procès-verbal distinct et précisé que, quel que soit le motif de recours à ce procédé, il devrait être limité aux cas où il est « nécessaire à la manifestation de la vérité » ;

recentré ce dispositif sur les techniques spéciales d'enquêtes les plus sensibles, afin notamment d'exclure son utilisation en matière d'écoutes téléphoniques, ce qui constitue l'une des garanties de respect du principe de proportionnalité ;

précisé les conséquences de la révocation éventuelle de l'autorisation de recourir au procès-verbal distinct comme les conditions du contrôle systématique qui sera exercé par la chambre de l'instruction sur le contenu de celui-ci, pour expliciter la faculté qui sera donnée à la chambre soit de prononcer la nullité du recours à la technique soumise au PVD, soit de verser les éléments recueillis au dossier ;

- enfin, prévu le versement au dossier de la procédure, accessible aux parties, de l'ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention autorisant le recours au procès-verbal distinct.

La commission a par ailleurs, en adoptant un sous-amendement n° COM-89 d'Etienne Blanc, et conformément aux recommandations de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France, clarifié les modalités d'autorisation du recours à la géolocalisation.

La commission a adopté l'article 16 ainsi modifié.

Article 17
Incitation à la commission d'une infraction

S'appuyant sur la recommandation n° 23 de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, les auteurs de la proposition de loi envisagent un élargissement substantiel de la notion d'« incitation à la commission d'une infraction », c'est-à-dire des limites qui s'imposent aux policiers, gendarmes et douaniers infiltrés - dont les actes ne peuvent contribuer à la condamnation de leurs « complices » que si ces derniers n'ont pas été poussés à la faute par l'agent infiltré.

Adoptant cet article, la commission des lois a néanmoins, à l'initiative des rapporteurs, restreint le dispositif proposé pour garantir sa conformité à la Constitution : pour ce faire, elle a supprimé la possibilité (que les auteurs souhaitaient donner au magistrat en charge des investigations) d'autoriser les agents infiltrés à commettre certaines infractions.

1. Les conditions complexes d'intervention des agents infiltrés

L'infiltration est une technique spéciale d'enquête (TSE) définie par les articles 706-81 à 706-87 du code de procédure pénale et par l'article 67 bis du code des douanes. Elle consiste, pour un officier de police ou de douane judiciaire, à se faire passer auprès des personnes suspectées de commettre des faits graves (c'est-à-dire rattachés à la délinquance et à la criminalité organisées) comme un coauteur, un complice ou un receleur de l'infraction sur laquelle portent les investigations. Les agents infiltrés et les personnes requises dans le cadre de l'infiltration bénéficient d'une exonération de responsabilité pénale pour les actes tendant à :

- d'une part, acquérir, détenir, transporter, livrer ou délivrer des substances, biens, produits, documents ou informations tirés de la commission des infractions ou servant à la commission de ces infractions ;

- d'autre part, utiliser ou mettre à disposition des personnes se livrant à ces infractions des moyens de caractère juridique ou financier ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d'hébergement, de conservation et de télécommunication.

En revanche, à peine de nullité, leurs actes « ne peuvent constituer une incitation à commettre des infractions » (article 706-81).

Selon les données recueillies par la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, entre 2019 et 2023, neuf opérations d'infiltration ont été conduites dans le cadre d'enquêtes sur des trafics de stupéfiants, pour quatre ayant produit un résultat et 15 interpellations ; sur la même période, six opérations ont été menées en matière de blanchiment, dont trois ayant produit des résultats et 20 interpellations.

Outre l'hypothèse stricte de l'infiltration, les dispositions permettant la conduite d'enquêtes sous pseudonyme (par exemple, pour les « coups d'achat » qui font l'objet de l'article 18 du présent texte) reposent elles aussi sur une rédaction qui interdit toute « incitation à la commission d'une infraction ».

Dans les deux cas, la loi s'abstient de définir les contours d'une telle incitation - ce qui contribue à placer les services d'enquête dans l'insécurité juridique : comme le résumait Étienne Blanc dans le rapport de la commission d'enquête, cette situation « [laisse] les enquêteurs dans un flou artistique qui n'engage pas à l'action ».

Plus largement, selon la commission d'enquête, le silence de la loi laisserait l'agent infiltré dans l'incertitude quant aux manières dont il peut valablement interagir avec ceux qui, le croyant leur complice, leur client ou leur associé, ne sauraient s'attendre à ce qu'il assiste passivement à la préparation puis à la commission d'un crime ou d'un délit. C'est pourquoi la commission d'enquête avait plaidé pour « un assouplissement (ou a minima une clarification) de la notion d'incitation à la commission d'une infraction qui, aujourd'hui imprécise et insécurisante, dissuade les services répressifs de recourir à l'infiltration - qui est pourtant un outil puissant de démantèlement des réseaux ».

Appliquant cette recommandation et allant clairement dans le sens de l'assouplissement, l'article 17 de la proposition de loi prévoit de caractériser cette notion par la négative. Sans définir positivement ce qu'est une incitation, le code de procédure pénale préciserait ainsi que :

- celle-ci ne peut porter que « sur une infraction autre que l'une de celles visées par l'autorisation délivrée par le procureur de la République ou par le juge d'instruction », allant plus loin que la prohibition actuelle qui porte sur toute infraction, quelle qu'en soit la nature, tout en posant l'exigence d'une autorisation préalable du magistrat en charge des investigations ;

- ne constituent pas une incitation à commettre une infraction, « les actes qui contribuent à la poursuite d'une infraction déjà préparée ou débutée au moment où l'autorisation [...] a été délivrée par le magistrat compétent, y compris en cas de réitération ou d'aggravation de l'infraction initiale » : en d'autres termes, l'infiltré ne pourrait pas aller au-delà de la situation telle qu'il l'a trouvée, si ce n'est pour continuer l'infraction déjà débutée (et qui a, en toute logique, justifié la décision de recourir à l'infiltration).

2. Restreindre la portée du dispositif pour garantir sa pleine conformité à la Constitution

Les travaux des rapporteurs ont mis au jour l'existence d'un risque constitutionnel lourd s'agissant de la possibilité donnée aux infiltrés, sur autorisation du magistrat compétent, de commettre des infractions pénales : la commission a, par conséquent, adopté un amendement n° COM-76 des rapporteurs supprimant cette faculté, juridiquement périlleuse.

Par le même amendement, elle a mis le code des douanes en cohérence avec la nouvelle rédaction proposée pour le code de procédure pénale et appliqué, en matière d'infiltrations et d'enquêtes sous pseudonyme douanières, les mêmes précisions que celles qu'elle a soutenues dans le droit commun.

La commission a adopté l'article 17 ainsi modifié.

Article 18
Facilitation des « coups d'achat »

Afin de faciliter la réalisation des « coups d'achat » et de permettre aux officiers et agents de police judiciaire agissant sous pseudonyme sur les plateformes en ligne sur lesquelles des produits stupéfiants sont vendus de lutter plus efficacement contre le narcotrafic, l'article 18 prévoit que ceux-ci pourront, après avoir acquis ces produits, profiter de cette opération pour « remonter » le réseau.

La commission des lois a adopté cet article, modifié par deux amendements (n° COM-77 et n° COM-78) permettant de préciser ce dispositif et d'étendre l'utilisation de l'identité d'emprunt à l'ensemble des « coups d'achat », y compris ceux qui ne sont pas conduits en ligne.

1. Les « coups d'achat » : un outil efficace mais limité par une rédaction formellement restrictive

L'article 706-32 du code de procédure pénale ouvre aux officiers de police judiciaire et, sous leur autorité, aux agents de police judiciaire, la faculté d'acquérir des produits stupéfiants et, en vue de cette acquisition, de mettre à la disposition des auteurs de telles infractions des moyens de diverses natures (juridiques, financiers, de transport, de dépôt, d'hébergement, de conservation ou de télécommunication). Ces opérations, communément appelées « coups d'achat », sont distinctes des opérations d'infiltration mais peuvent, pour des achats en ligne, être conduites sous le régime de l'enquête sous pseudonyme prévu par l'article 230-46 du code de procédure pénale. Elles supposent en tout état de cause une autorisation préalable du procureur de la République ou du juge d'instruction saisi des faits (avec, dans ce second cas, une information du parquet) ; cette autorisation est versée au dossier et ne peut constituer une incitation à commettre une infraction.

Outre une modification de l'article 706-32 par coordination avec ce qui est prévu, à l'article 13 du présent texte, en matière d'élargissement de la notion d'« incitation à commettre une infraction » (voir supra), et pour faciliter le recours aux « coups d'achat », les auteurs proposent des aménagements inspirés par les conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, à savoir :

- la reconnaissance explicite de la possibilité donnée aux officiers et agents de police judiciaire de recourir à une identité d'emprunt lorsque le « coup d'achat » a lieu en réponse à une offre de vente de produits stupéfiants diffusée sur un service de communication au public par voie électronique ;

- surtout, la possibilité donnée à ces officiers et agents, après avoir conclu la vente, d'assurer sur l'ensemble du territoire la surveillance de l'acheminement ou du transport des produits stupéfiants ainsi acquis.

Ce second point répond directement aux recommandations de la commission d'enquête, qui relevait dans son rapport final que les services d'enquête étaient insuffisamment armés pour lutter contre les phénomènes de dématérialisation du trafic (« Uber Shit » ou « Uber coke »), plus discrets et donc plus pernicieux. Étienne Blanc soulignait ainsi que « si un enquêteur, dûment habilité à cet effet, peut se faire passer pour un acheteur et acquérir un produit illicite sur un réseau social quand un autre utilisateur le propose, il ne peut ensuite que procéder à la transaction à laquelle a mené cet échange (donc à un achat ponctuel) et arrêter le vendeur et/ou le livreur sur place, au moment de la livraison. En d'autres termes, il ne peut pas décider de surseoir à cette arrestation pour s'engager dans une enquête de plus grande ampleur lui permettant d'identifier non plus seulement le livreur ou le vendeur, mais les lieux de stockage, les modes opératoires du réseau, etc., et in fine les donneurs d'ordre ou les logisticiens ».

2. La position de la commission des lois : conforter et étendre l'initiative des auteurs

Souscrivant sans réserve au dispositif proposé par les auteurs, la commission a adopté deux amendements des rapporteurs pour en renforcer la portée en :

- autorisant, par coordination avec le nouvel article 15 bis, les personnels concernés à recourir aux hyper-trucages pour mener plus efficacement leurs investigations (amendement n° COM-78) ;

étendant le bénéfice d'une identité d'emprunt, sur autorisation du magistrat compétent, à toutes les formes de « coup d'achat », y compris celles qui ne se déroulent pas dans l'espace numérique (amendement n° COM-77).

La commission a adopté l'article 18 ainsi modifié.

Article 19
Création d'un statut des informateurs et de leurs traitants
et d'une « infiltration civile »

Reprenant les propositions de la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, l'article 19 vise, d'une part, à mettre en place un véritable statut des informateurs et de leurs traitants afin de sécuriser les relations entre les officiers de police judiciaire et leurs sources humaines et, d'autre part, à permettre au futur Pnaco d'autoriser l'infiltration des indicateurs dans les réseaux de narcotrafic.

La commission des lois a opéré, à l'initiative des rapporteurs, une large réécriture de l'article afin d'en préciser la portée et, surtout, d'imposer aux futurs « infiltrés civils » de témoigner au cours des procédures engagées en répression des infractions qu'ils auront contribué à révéler.

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

1. Le statut imparfait des informateurs, source d'insécurité juridique pour les enquêteurs

Le rôle des sources humaines - c'est-à-dire des informateurs, ou « indicateurs » - est déterminant dans la lutte contre le narcotrafic : comme le résumait Étienne Blanc dans son rapport précité, « le renseignement humain demeure la clé de voûte des investigations menées en matière de trafics de stupéfiants et, plus généralement, de criminalité organisée », puisque « les moyens sophistiqués dont disposent les têtes de réseaux pour se protéger tout comme la division des tâches entre organisations criminelles rendent indispensables l'obtention d'informations par le biais de sources internes, pour arriver à remonter les réseaux et à les connecter entre eux ».

Les informateurs sont soumis à un statut qui diffère nettement de celui des « repentis » ou des infiltrés. En effet, s'ils bénéficient de la protection de leur anonymat sur le fondement des dispositions applicables aux témoins menacés, prévues par l'article 706-58 du code de procédure pénale96(*), ils ne sont éligibles à aucune forme d'exonération ou d'atténuation de leur responsabilité pénale : ils sont donc supposés ne pas pouvoir prendre part à l'infraction qu'ils dénoncent. En revanche, en cas de condamnation, ils peuvent bénéficier d'une réduction exceptionnelle de peine pouvant aller jusqu'à un tiers de la peine prononcée, dans les conditions fixées par l'article 721-3 du code, c'est-à-dire lorsque les déclarations qu'ils ont faites « antérieurement ou postérieurement à leur condamnation ont permis de faire cesser ou d'éviter la commission d'une infraction aux articles 706-73, 706-73-1 et 706-74 » : cette possibilité paraît toutefois très peu utilisée par les magistrats.

Par ailleurs, la rémunération des informateurs est rendue possible par l'article 15-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, qui dispose que « les services de police et de gendarmerie ainsi que les agents des douanes habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application de l'article 28-1 du code de procédure pénale peuvent rétribuer toute personne étrangère aux administrations publiques qui leur a fourni des renseignements ayant amené directement soit la découverte de crimes ou de délits, soit l'identification des auteurs de crimes ou de délits ».

Hors du domaine législatif, le statut des informateurs repose également sur une immatriculation effectuée par le bureau central des sources du service interministériel d'assistance technique (Siat), et sur une charte établie en 2012 puis mise à jour en 2019, en vue de « prévenir certaines difficultés ou comportements litigieux qui ont pu être observés par le passé, à défaut d'un encadrement suffisant en droit »97(*).

La charte des informateurs

Les informateurs doivent être immatriculés dans le fichier central de traitement des sources (FCTS), dont l'architecture garantit que l'identité de l'informateur est seulement accessible au traitant, au contrôleur et au superviseur. Préalablement à son enregistrement, un informateur doit avoir fait l'objet d'une évaluation collégiale, qui prend en compte son potentiel mais aussi les risques qui peuvent venir de la collaboration.

La gestion d'une source implique en effet cinq profils :

- l'autorité hiérarchique, responsable de l'effectivité de la mise en oeuvre des prescriptions de la charte et du contrôle de leur respect ;

- le superviseur, qui exerce un commandement opérationnel. Il supervise et s'assure du contrôle de l'activité des traitants dans la gestion des sources. Il est également le garant de leur formation ;

- la personne ressource, qui assiste administrativement le superviseur. Elle dispose d'un droit de consultation des comptes des traitants ainsi que des « fiches informateurs » et des rémunérations de son département ;

- le contrôleur, désigné par l'autorité hiérarchique. Il exerce un commandement direct sur les traitants et suit au quotidien l'activité de gestion des sources. Il donne un avis pour tout enregistrement du traitant, toute immatriculation d'une source et toute proposition de rémunération de l'informateur ;

- le traitant, qui désigne le personnel actif qui entretient, dans le cadre de ses missions, des relations avec l'informateur aux fins de recueillir du renseignement à finalité judiciaire. Chaque informateur est obligatoirement géré par deux co-traitants et les rendez-vous avec l'informateur sont assurés en présence d'un autre personnel de police, sauf dérogation octroyée par le contrôleur, la personne ressource ou le superviseur. Le traitant doit établir une note d'information pour tout renseignement opérationnel recueilli auprès de l'informateur ainsi que pour toute proposition émanant de l'informateur.

Lorsqu'il est mis fin à une relation entre une source et son traitant, la radiation doit être enregistrée dans le FCTS. La radiation est obligatoire mais non définitive, la source pouvant être réactivée. Sont ainsi distinguées les radiations « simples », qui correspondent à des mises en sommeil de la source, et les demandes d'inscription sur « liste noire », pour des individus dont le comportement peut porter gravement atteinte au service et/ou à la sécurité du traitant.

Source : direction centrale de la sécurité publique, « Note du directeur ayant pour objet la révision de la charge du traitement des informateurs en matière de police judiciaire », 21 décembre 2019, citée par le rapport de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France.

Aux yeux de la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic, ce cadre juridique pose plusieurs difficultés.

Tout d'abord, en l'absence de définition par la loi d'un statut des « traitants » des informateurs, donc des policiers, gendarmes et douaniers qui recueillent des renseignements auprès d'indicateurs, la gestion des sources humaines génère des risques juridiques pour les enquêteurs qui craignent d'être accusés de provocation à l'infraction ou, pire, de complicité.

Par ailleurs, le silence de la loi permet aussi à chaque service de conserver « ses » informateurs sans partager les renseignements qu'il fournit avec des services partenaires ou avec l'autorité judiciaire : la commission d'enquête relevait ainsi que « la gestion d'un informateur étant une charge à plein temps, impliquant des appels en dehors des services, un `traitement' très lourd comportant une part d'accompagnement psychologique, les policiers traitants sont légitimement réticents à les partager avec d'autres services - ou même avec leurs collègues au sein d'un même service ».

Enfin et surtout, la loi semble faire preuve d'une certaine hypocrisie en refusant d'envisager que les indicateurs prennent part à l'infraction sur laquelle ils apportent des renseignements - ce qui n'apparaît guère réaliste, étant rappelé que si les informateurs disposent d'éléments intéressants pour les enquêteurs, c'est parce qu'ils sont eux-mêmes des délinquants au contact de réseaux criminels. A fortiori, la rédaction actuelle du code ne couvre pas l'hypothèse, pourtant loin d'être rare dans la pratique des services spécialisés sur le « haut du spectre » de la criminalité, dans laquelle le « traitant » d'un indicateur oriente l'action de celui-ci et lui donne des directives claires pour faire avancer les investigations - ce qui rapproche très fortement l'informateur d'un véritable infiltré qui, en plus de poursuivre ses propres intérêts, permet aux officiers de police judiciaire d'avoir « des yeux et des oreilles » auprès de groupes dangereux et d'en faciliter, ce faisant, la neutralisation.

Cette analyse n'est pas l'apanage de la commission d'enquête : elle est partagée par la Cour des comptes qui, dans son récent rapport sur les forces de police à Marseille, soulignait qu'« en France, contrairement aux États-Unis, l'informateur peut provoquer la preuve d'une infraction, mais pas l'infraction elle-même (par exemple, passer une commande de produits stupéfiants) » et que « selon la police judiciaire locale, cette interdiction entrave l'activité policière, en particulier au port de Marseille »98(*).

C'est ainsi que, mettant en application la recommandation n° 26 de la commission d'enquête, les auteurs proposent deux innovations.

En premier lieu, ils prévoient la mise en place d'un véritable statut des informateurs et de leurs traitants. Inscrit au sein du code de procédure pénale, celui-ci reconnaîtrait la possibilité donnée aux policiers, gendarmes et douaniers habilités à conduire des enquêtes judiciaires de « rétribuer toute personne étrangère aux administrations publiques qui leur a fourni des renseignements ayant amené directement soit la découverte de crimes ou de délits, soit l'identification des auteurs de crimes ou de délits », les modalités de cette rétribution était définie par un arrêté conjoint du ministre de la justice, du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des finances. Ils proposent également de rappeler que l'identité de l'indicateur peut être protégée, sur décision motivée du magistrat en charge de l'enquête ou de l'instruction, lorsque la divulgation de celle-ci « est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique de cette personne, des membres de sa famille ou de ses proches ».

Il ne s'agit là que d'une clarification du droit en vigueur ; mais les auteurs proposent également plusieurs ajouts originaux, qui portent sur :

- la reconnaissance du fait qu'un indicateur peut avoir participé à la commission d'une infraction : dans un tel cas, le recueil de renseignements serait particulièrement encadré puisqu'il s'effectuerait « sous la responsabilité de l'autorité hiérarchique, sous la supervision d'un officier de police judiciaire spécialement habilité dans des conditions fixées par décret et sous le contrôle du magistrat en charge de l'enquête ou de l'instruction », ce dernier étant informé à tout moment de la nature des informations fournies par l'indicateur. Ce magistrat pourrait, par ailleurs, mettre fin à tout moment à la collecte de ces informations et révoquer les éventuels avantages accordés ou, à l'inverse, choisir de procéder lui-même au recueil des renseignements. Pour parer à tout risque de manipulation du traitant par des indicateurs, ces derniers feraient par ailleurs l'objet d'une évaluation collégiale, dans des conditions définies par le pouvoir réglementaire - ce qui reprend, mutatis mutandis, les règles fixées par l'actuelle charte des informateurs, bien qu'elles semblent peu appliquées dans les faits ;

- l'affirmation du principe selon lequel les indicateurs ayant transmis des renseignements peuvent bénéficier d'une réduction de peine, non plus de manière exceptionnelle et après la condamnation, mais dans les conditions prévues par le droit commun et applicables notamment aux repentis (voir supra) avant même le jugement au fond ;

- la consécration de l'existence d'un fichier des informateurs, prenant la suite du fichier actuellement géré par le Siat et assurant la bonne circulation des informations entre les services d'enquête et les magistrats compétents, dont l'encadrement serait renforcé grâce à l'intervention d'un décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ;

- le rappel des conditions d'intervention des services d'enquête, par référence à la notion d'« incitation à la commission d'une infraction » : il s'agit d'une reprise des éléments figurant à l'article 17 de la proposition de loi, confirmant que les traitants jouissent d'une immunité pénale dès lors qu'ils ne commettent pas d'acte allant au-delà de ceux qui « contribuent à la poursuite d'une infraction déjà préparée ou débutée au moment où les renseignements [...] ont été recueillis, y compris en cas de réitération ou d'aggravation de l'infraction initiale ».

En second lieu, les auteurs proposent la création d'une « infiltration civile » permettant aux informateurs de devenir des infiltrés. Cette évolution se ferait exclusivement à l'initiative du procureur national antistupéfiants, sur le fondement d'une convention comportant, notamment, la liste des délits (à l'exclusion, donc, de tout crime) auxquels l'informateur infiltré est autorisé à participer « à la seule fin de se faire passer, auprès des personnes suspectées de commettre un crime ou un délit mentionné au premier alinéa, comme l'un de leurs coauteurs, complices ou receleurs », la durée de l'infiltration et les contreparties accordées à l'informateur (rétribution financière et/ou réduction de peine pour des infractions commises préalablement à la conclusion de la convention).

2. La position de la commission des lois : préciser et conforter le dispositif proposé

La commission des lois a considéré que la mise en place d'un véritable statut des informateurs et de leurs traitants était indispensable pour apporter enfin une forme de sérénité aux agents qui gèrent des « sources humaines » pour lutter contre la criminalité organisée. Elle a donc souscrit à l'économie générale de l'article 19.

Elle a, en adoptant l'amendement n° COM-79 des rapporteurs, procédé à diverses clarifications et coordinations (par exemple, pour substituer une compétence du Pnaco à celle du Pnast, par cohérence avec l'article 2), mais surtout ajouté une obligation à la charge des « infiltrés civils » : ceux-ci seront, à peine de révocation des avantages accordés, tenus de témoigner des faits qu'ils auront contribué à mettre au jour et ils pourront, dans ce cadre, bénéficier de mesures de protection analogues à celles qui peuvent être octroyées aux « repentis » (utilisation d'hyper-trucages, prohibition des questions ayant pour objet ou pour effet de révéler l'identité de l'informateur ayant bénéficié d'une identité d'emprunt au cours des auditions...).

La commission a adopté l'article 19 ainsi modifié.

Article 20
Régime des nullités

Face à la « guérilla juridique » menée par les narcotrafiquants, l'article 20 vise à exclure qu'une nullité puisse être accueillie si elle a été provoquée par la défense de manière dolosive, c'est-à-dire si elle résulte de la négligence ou d'une manoeuvre d'une des parties.

Constatant que la réflexion sur ce sujet n'était pas aboutie, la commission a souhaité reporter à la séance publique d'éventuelles réécritures de l'article 20 ; elle a, dans cette attente, adopté l'article sans modification.

1. La « guérilla juridique » menée par les narcotrafiquants et « l'épée de Damoclès des nullités de procédure »

La commission d'enquête sur le narcotrafic s'est inquiétée d'un dévoiement des règles du code de procédure pénale et de l'usage dolosif qu'en font les narcotrafiquants : certains d'entre eux semblent, en effet, aller jusqu'à provoquer des nullités pour faire « tomber » un dossier ou obtenir la fin d'une mesure de détention provisoire.

Les nullités en matière pénale

Selon l'article 171 du code de procédure pénale, la nullité se produit « lorsque la méconnaissance d'une formalité substantielle prévue par une disposition du présent code ou toute autre disposition de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne », en cas d'atteinte aux droits de la défense ou de violation d'une règle d'ordre public (à l'instar de la prescription). Invocable devant toutes les juridictions pénales, elle a - par nature - pour effet l'annulation de l'acte concerné ; en d'autres termes, celui-ci ne peut alors plus être retenu contre la personne mise en cause ou mise en examen au cours de l'enquête ou de l'instruction ni devant la juridiction de jugement. Cette impossibilité touche non seulement l'acte lui-même, mais aussi l'ensemble des éléments de preuve qu'il a permis de recueillir (soit les actes subséquents de l'acte annulé).

Le prononcé d'une nullité a donc des conséquences lourdes sur le devenir d'un dossier pénal, et celles-ci sont d'autant plus dévastatrices que l'annulation intervient tardivement : s'il est en effet possible de régulariser un acte annulé lorsqu'une telle annulation intervient au début d'une enquête ou d'une instruction, cela devient difficile - voire impossible - avec l'approche du procès, ce qui est de nature à faire « tomber » des dossiers entiers, et donc à fragiliser la répression des infractions.

Source : rapport n° 24 (2024-2025) d'Isabelle Florennes
sur la proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités

Dans un contexte où les investigations ne laissent guère de doute sur la culpabilité des personnes mises en cause, les avocats de la défense peuvent en effet être tentés de se concentrer sur des faiblesses procédurales pour obtenir l'annulation des actes de procédure. Si cette ligne n'est guère contestable en droit ni en principe, tout manquement à une formalité substantielle méritant d'être sanctionné, il apparaît qu'elle peut faire l'objet de détournements dans des cas où, comme le résumait la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic, la stratégie devient « stratagème » et repose non plus sur une erreur commise au cours de l'enquête ou de l'instruction, mais sur des « procédés déloyaux ».

La commission d'enquête avait plaidé pour un « choc de simplification » du régime des nullités. Sans aller au bout de cet objectif, l'article 16 prévoit, plus modestement, de généraliser le principe - déjà consacré, bien que ponctuellement, par la Cour de cassation99(*) et par a contrario par le Conseil constitutionnel100(*) comme par le législateur en ce qui concerne la « purge » des nullités101(*) - selon lequel une nullité ne peut pas être accueillie si elle résulte de la négligence ou de la manoeuvre de la partie qui la soulève.

2. Aller vers un « choc de simplification » en matière de nullités de procédure

La commission des lois a constaté que la réflexion sur le sujet des nullités de procédure n'était pas aboutie. Sur la proposition des rapporteurs, elle a considéré devoir éviter toute intervention à ce stade de la procédure, étant rappelé qu'elle conservera la faculté de modifier l'article 20 en séance publique et qu'elle pourra à cette occasion soumettre au vote du Sénat des évolutions de nature à atteindre l'objectif poursuivi par les auteurs du texte en prévenant tout usage dolosif de la procédure d'examen des requêtes en nullité.

La commission a adopté l'article 20 sans modification.

Article 21
Extraterritorialité de la justice française dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic en haute mer

Traduisant la recommandation n° 5 de la commission d'enquête, l'article 21 vise à étendre les compétences de la justice française pour lutter contre le narcotrafic en haute mer. À cette fin, il permet d'établir la compétence des autorités françaises pour arraisonner les navires battant régulièrement le pavillon d'un État étranger et pour poursuivre et juger les auteurs d'infractions liées au trafic de stupéfiants, y compris en l'absence d'accord de l'État du pavillon.

Si la commission ne nie pas l'utilité opérationnelle de tels dispositifs, ses travaux ont mis en évidence des risques de non-conformité aux conventions internationales qu'il convient donc de corriger. Elle a donc adopté cet article, tout en le modifiant à l'initiative des rapporteurs afin :

- de préciser le cadre dans lequel des personnes ayant commis de telles infractions à bord de ces navires peuvent être poursuivies et jugées par les juridictions françaises ;

- de supprimer l'établissement d'une faculté d'arraisonner ces navires sans accord préalable de l'État du pavillon, contraire aux conventions internationales applicables ;

- suivant une recommandation de la Marine nationale, de mieux appréhender l'enjeu des sabordages de submersibles ou de voiliers liés au narcotrafic, en intégrant la dissimulation de preuve au cadre juridique de l'action de l'État en mer pour la poursuite d'infractions liées aux conventions internationales.

1. Le dispositif proposé : une extension extraterritoriale de la compétence des juridictions françaises concernant les navires battant régulièrement le pavillon d'un État étranger utilisé pour le narcotrafic

Le cadre juridique établissant la compétence des juridictions françaises pour la poursuite d'infractions liées au narcotrafic est régi par deux instruments internationaux principaux ratifiés par la France :

- la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, dite « Convention de Montego Bay » ;

- la convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes du 19 décembre 1988, dite « Convention de Vienne ».

Une partie des stipulations de cette dernière sont notamment transposées en droit interne par la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 relative à l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer pour la lutte contre certaines infractions relevant de conventions internationales.

Ainsi, en l'état du droit applicable, les juridictions françaises sont déjà compétentes pour les faits de trafic de stupéfiants102(*) commis en haute mer à bord d'un navire battant le pavillon français ou sans pavillon régulier. Les appareils français peuvent arraisonner un navire suspect pour vérifier la régularité de son pavillon103(*). De même, les officiers de police judiciaire compétents en matière d'action de l'État en mer peuvent arraisonner le navire lorsqu'il existe des motifs raisonnables de penser qu'une telle infraction est susceptible d'être commise à bord de celui-ci.

En revanche, lorsqu'une telle infraction est constatée à bord d'un navire battant régulièrement le pavillon d'un État étranger, le troisième alinéa de l'article 5 de la loi du 15 juillet 1994 précitée, conformément à l'article 92 de la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982104(*), dispose que les auteurs et complices ne peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises que si, en réponse à une demande transmise par voie diplomatique, l'État du pavillon a fait savoir qu'il consent à un tel abandon de compétences. Conformément à l'article 17 de la Convention de Vienne du 19 décembre 1988, l'arraisonnement du navire suppose, de même, un accord préalable de l'État du pavillon.

Traduisant la recommandation n° 5 de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier105(*), le présent article vise à étendre les compétences extraterritoriales de la justice française en la matière.

À cette fin, il prévoit :

au I, de permettre aux juridictions françaises de poursuivre et juger toute personne soupçonnée d'avoir commis en haute mer une infraction relative au trafic de stupéfiants lorsque les faits reprochés constituent des actes d'exécution de l'infraction ou la constitution d'un groupe ou d'une organisation en vue de commettre cette infraction sur le territoire français, y compris, donc, lorsque l'infraction est commise à bord d'un navire battant régulièrement le pavillon d'un État étranger et sans l'accord de cet État ;

au II, de permettre aux officiers de police judiciaire compétents au titre de l'action de l'État en mer, lorsqu'il existe des motifs raisonnables de penser qu'une telle infraction est susceptible d'être commise à bord d'un tel navire, de procéder à son arraisonnement, y compris en l'absence d'accord de l'État du pavillon, faute de réponse de sa part dans un délai raisonnable.

2. La nécessité d'assurer la conformité du dispositif aux conventions internationales applicables

Si les rapporteurs ne nient pas l'utilité opérationnelle de tels dispositifs, leurs travaux ont mis en évidence des risques de non-conformité aux conventions internationales qu'il convient donc de corriger.

À cet égard, les enjeux relatifs à la compétence juridictionnelle et à la faculté d'arraisonner ne sont pas les mêmes.

S'agissant, en premier lieu, de la compétence extraterritoriale des juridictions françaises à l'égard d'un navire battant régulièrement le pavillon d'un État étranger à bord duquel une infraction liée au trafic de stupéfiants est commise, la conventionnalité du dispositif proposé paraît assurée. En effet, le iii) du b) du 1 de l'article 4 de la Convention de Vienne du 19 décembre 1988, dont le contenu n'est pas repris dans la loi du 15 juillet 1994 précitée, ouvre expressément la voie à l'établissement d'une telle compétence extraterritoriale d'un État partie. Elle peut donc être considérée, à cet égard, comme un cas de dérogation à la stipulation générale posée par l'article 92 de la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982, qui a précisément vocation à s'appliquer « sauf les cas expressément prévus par des traités internationaux ».

Cependant, l'application des stipulations précitées de la Convention de Vienne concerne spécifiquement « toute association, entente, tentative ou complicité par fourniture d'une assistance, d'une aide ou de conseils en vue de [la] commission » d'une infraction liée au trafic de stupéfiants. Cette définition est assimilable à celle utilisée par le droit français pour caractériser l'infraction de participation à une association de malfaiteurs, réprimée par l'article 450-1 du code pénal. Ainsi, il paraît nécessaire de circonscrire la portée du dispositif proposé à la commission de cette infraction particulière.

En revanche, l'obstacle conventionnel auquel se heurte la faculté d'arraisonner un navire battant régulièrement le pavillon d'un État étranger sans accord préalable de cet État ne paraît pas surmontable. L'article 17 de la Convention de Vienne, en effet, n'ouvre la voie à aucune dérogation à la règle imposant un accord préalable de cet État, y compris en cas d'absence de réponse dans un délai raisonnable.

Aussi, l'amendement n° COM-81 des rapporteurs, adopté par la commission, a-t-il procédé aux modifications nécessaires pour assurer la conformité du présent article aux conventions internationales.

3. La nécessité d'appréhender l'enjeu des sabordages en haute mer d'engins utilisés pour le narcotrafic

Les travaux des rapporteurs ont permis de mettre en évidence un enjeu nouveau concernant la lutte contre le narcotrafic en haute mer : l'utilisation de plus en plus fréquente de submersibles, semi-submersibles ou encore de voiliers pour transporter des substances stupéfiantes. La Marine nationale a indiqué que ce phénomène était principalement constatable à ce jour dans les zones Antilles et Atlantique.

Une problématique qui se pose dans ce contexte est celle du sabordage de ces engins, notamment à l'approche de bâtiments de l'État susceptibles de les intercepter, pour faire disparaître les preuves du trafic de stupéfiants. Les trafiquants, dans ces conditions, ne peuvent alors qu'être appréhendés comme de simples naufragés.

Pour cette raison, par le même amendement n° COM-81, les rapporteurs ont jugé utile d'intégrer, dans le cadre juridique prévu par la loi du 15 juillet 1994 précitée permettant la poursuite des infractions liées au trafic de stupéfiants en haute mer, le délit prévu par l'article 434-4 du code pénal relatif à la dissimulation de traces, indices ou de preuves en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité lorsqu'elle est en relation avec ces mêmes infractions.

Le ii) du b) du 1 de l'article 3 de la convention de Vienne du 19 décembre 1988, qui liste les infractions entrant dans son champ d'application, ouvre la voie à un tel élargissement.

La commission a adopté l'article 21 ainsi modifié.

Article 22
Lutte contre la corruption liée au narcotrafic dans les administrations sensibles ainsi que dans les ports et les aéroports

Le présent article prévoit une série de mesures visant à renforcer les moyens juridiques de la politique de lutte contre la corruption dans les administrations sensibles, ainsi que dans les ports et les aéroports. À cette fin, il prévoit principalement :

- la mise en place de points de contact uniques de signalement dans les administrations sensibles, les ports et les aéroports ;

- une extension des mesures de criblage administratif préalable aux décisions concernant le recrutement, la carrière où la délivrance de certaines habilitations, accréditations ou autorisations aux agents et personnels de ces mêmes services ;

- un dispositif de communication aux employeurs, par le ministère public, des décisions de condamnation ou de mise en examen prises à l'encontre d'un agent de l'administration concernée pour des faits de menace, de corruption, de trafic d'influence ou de trafic de stupéfiants.

La commission a pleinement approuvé ces mesures, qui sont autant d'outils concrets et opérationnels pour lutter contre la corruption liée au narcotrafic. Elle a en conséquence adopté cet article tout en y apportant, à l'initiative des rapporteurs, des modifications destinées à mieux cibler ces mesures, soit pour les encadrer davantage, soit pour les renforcer de façon proportionnée eu égard à l'état de la menace. Ces modifications permettent ainsi :

- de circonscrire le champ des criblages prévus au sein des ports et des aéroports, pour cibler les autorisations d'accès aux zones sensibles, tout en posant le principe d'un renouvellement annuel des enquêtes ;

- de renforcer les garanties juridiques applicables aux signalements effectués dans le cadre des points de contact uniques ;

- de renforcer le dispositif de communication aux employeurs publics, par le ministère public, de faits liés à la criminalité organisée lorsque leurs agents sont en cause, en particulier lorsqu'il s'agit d'agents dépositaires de l'autorité publique ;

- d'étendre aux exploitants des installations portuaires les obligations prévues par la loi « Sapin II » pour les grandes entreprises en matière de prévention de la corruption.

1° Le dispositif proposé : une série de mesures pour lutter contre la corruption liée au narcotrafic et à la criminalité organisée

1.1 La nécessité d'« endiguer le pouvoir contaminant du narcotrafic »

La commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a souligné, dans son rapport106(*), l'impérieuse nécessité d'« endiguer le pouvoir contaminant du narcotrafic ».

Ainsi, pour la commission d'enquête : « la corruption se révèle être à la fois l'un des facteurs facilitants du narcotrafic et l'un de ses symptômes. Il est aujourd'hui impossible pour une organisation criminelle de parvenir à diffuser ses produits stupéfiants sur le territoire national sans corrompre des intermédiaires, agents publics comme privés, que ce soit pour faciliter l'importation de leurs produits, pour éviter certains contrôles ou pour agir en toute impunité (...). La France bénéficie néanmoins d'un atout par rapport à certains pays : les faits de corruption, bien que sous-estimés, demeurent limités, alors même que le risque est très élevé. Elle se situe donc à un point de bascule : il faut agir maintenant pour circonscrire la contagion ».

Les facteurs du risque corruptif en relation avec la criminalité organisée ont pu être clairement identifiés par la commission d'enquête, s'appuyant sur des travaux réalisés par l'Agence française anticorruption et l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. Sept principaux facteurs sont ainsi dénombrés :

- la proximité des agents de l'État avec des milieux plus exposés aux pratiques délinquantes (prisons, tribunaux, contrôle des jeux d'argent ou des débits de boissons, territoires marqués par le trafic de stupéfiants) ;

- la fragilité des agents (difficultés financières, isolement familial, conduites addictives et à risque pour la santé, isolement géographique, absence de repères déontologiques) ;

- l'intervention des agents dans des environnements marqués par le trafic intense de marchandises (ports, aéroports) ;

- l'accès des agents à des informations sensibles intéressant notamment les réseaux criminels (fichiers de police ou judiciaires, fichiers bancaires, fiscaux ou douaniers) ;

- l'isolement dans l'exercice des missions interdisant le contrôle par les pairs et rendant de fait la détection plus difficile ;

- la faible rotation sur les postes et, dans certains cas, le maintien prolongé dans certains territoires et/ou sur des missions exposées au risque de corruption ;

- la proximité géographique des agents de l'État avec leurs lieux de travail, rendant possible leur identification par des milieux criminels.

Ces facteurs mettent notamment en évidence la nécessité de renforcer la politique de lutte contre la corruption dans les administrations les plus exposées à ce risque, ainsi que dans les ports et les aéroports.

Afin de renforcer les moyens juridiques de cette politique d'intérêt national, le présent article prévoit une série de mesures destinées à relever le niveau général de nos outils de prévention à la hauteur de la menace, traduisant une partie des recommandations n° 29 et n° 30 de la commission d'enquête - dont la mise en oeuvre ne relève que pour partie du pouvoir législatif.

1.2 La mise en place de points de contact uniques de signalement

Les travaux de la commission d'enquête ont mis en évidence le caractère « parcellaire » du dispositif anticorruption mis en place dans les administrations publiques.

Elle tient pour indispensable que l'ensemble des cas de corruption ou de manquement à la probité puissent faire l'objet d'un signalement aux services d'inspection des différentes administrations. Or, elle relève que « c'est loin d'être le cas aujourd'hui : la plupart des dossiers échappent à leur connaissance et sont traités par des services d'investigation spécialisés ou de droit commun ainsi que par les cellules de déontologie. Les inspections n'ont ainsi pas connaissance des faits de corruption dite “de basse intensité” (...) [qui] constitue pourtant un levier pour la criminalité organisée : moins visible, jugée “moins grave”, elle peut continuer à étendre son emprise. De fait, conditionner la remontée des informations à l'écho rencontré par les faits de corruption ne permet absolument pas de construire un dispositif anticorruption robuste. Ce sont ces signaux faibles qui sont aujourd'hui les plus inquiétants dans le lien entre corruption et narcotrafic ».

Pour répondre à cette difficulté, le 3° du I du présent article prévoit de créer un nouvel article L. 114-3 au sein du code de la sécurité intérieure, dont le I prévoit qu'un point de contact unique de signalement peut être mis en place au sens des administrations et services publics afin de faciliter la constatation des infractions liées à la criminalité organisée.

La mise en place d'un tel point de contact unique serait obligatoire dans les administrations et les services publics, listés par décret, au sein desquels les risques de menace, de corruption ou de trafic d'influence liés à la criminalité organisée revêtent un caractère particulièrement important ou créent un risque d'une particulière gravité.

Les signalements pourraient porter sur :

- des faits ou tentatives de menace à l'encontre d'un ou plusieurs agents ;

- des faits de corruption active ou passive ;

- des faits de trafic d'influence ;

- tout comportement observé au sein du service ou aux abords géographiques immédiats des emprises de ce service laissant suspecter l'existence d'un fait ou d'une tentative de menace, de corruption ou de trafic d'influence ;

- la commission par un agent d'une infraction directement liée au trafic de stupéfiants.

Les II à V de ce nouvel article prévoiraient un certain nombre de garanties pour les auteurs de signalement, sur le modèle des règles applicables aux « lanceurs d'alerte » issues de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II ». Ces garanties portent notamment sur :

- la confidentialité des signalements ;

- la conservation des données :

- une protection de l'emploi et de la carrière ;

- la sanction pénale des personnes faisant obstacle à un signalement ;

- le régime contentieux des procédures dirigées contre les auteurs.

Le VI de ce même article prévoirait un dispositif de communication au point de contact unique, par le ministère public, des décisions de condamnation ou de mise en examen prises à l'encontre d'un agent de l'administration concernée pour des faits de menace, de corruption, de trafic d'influence ou de trafic de stupéfiants.

Enfin, son VII renverrait à un décret en Conseil d'État la détermination des modalités d'application de ce nouvel article, qui préciserait notamment les conditions dans lesquelles les informations recueillies dans le cadre des signalements peuvent être échangées entre les administrations, de façon à permettre leur remontée aux services d'inspection compétents.

En outre, les d) du 1° et 2° du II du présent article visent à créer au sein du code des transports deux articles, respectivement les articles L. 5343-24 et L. 6321-3-1, de façon à prévoir la mise en place d'un point de contact unique, dans les mêmes conditions, au sein des ports et des aéroports.

1.3 Une extension des mesures de criblage administratif

En l'état du droit, l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure permet de faire précéder certaines décisions concernant un agent à la conduite préalable d'une enquête administrative de sécurité, ou « criblage ».

Les décisions visées sont celles relatives au recrutement, à l'affectation, à la titularisation, à une autorisation, un agrément ou une habilitation concernant :

- les emplois publics participant à l'exercice des missions de souveraineté de l'État ainsi que les emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense : il s'agit notamment des emplois au sein des forces de sécurité intérieure, des services des douanes, et des préfectures, mais également des agents de sûreté portuaire ;

- les emplois privés ou activités privées réglementées relevant des domaines des jeux, paris et courses ;

- l'accès à des zones protégées en raison de l'activité qui s'y exerce : sont notamment concernés les accès à des zones intéressant la défense nationale, mais également l'accès aux zones à accès restreint (ZAR) des ports et autres installations portuaires considérées comme sensibles ainsi qu'aux zones de sûreté des aéroports ;

- l'utilisation de matériels ou produits présentant un caractère dangereux ;

- des étrangers, dans le cadre de la délivrance de titres de séjour ou de l'acquisition de la nationalité française.

Au plan des moyens, ces enquêtes peuvent donner lieu à la consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et de traitements automatisés de données à caractère personnel.

Elles sont mises en oeuvre par le service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) du ministère de l'intérieur. Ce service, qui compte 112 équivalents temps-plein (ETP), a indiqué aux rapporteurs, à la date du 15 décembre, avoir réalisé 9 197 enquêtes en 2024.

Dans le souci de mieux prévenir les risques liés à la corruption, le présent article étend largement le champ des décisions concernées par un criblage.

Le 2° du I vise à ce que de telles enquêtes, au-delà de celles déjà prévues s'agissant des agents de sûreté portuaire, soient obligatoirement conduites préalablement au recrutement, à l'affectation ou à la titularisation d'un agent dans l'un des services mentionnés supra, au sein desquels la mise en place d'un point de contact unique de signalement revêt un caractère obligatoire.

Le 1° du II vise à étendre largement les criblages dans le secteur portuaire. Ces derniers concerneraient désormais :

- la désignation des membres du conseil d'administration, du conseil de surveillance, et du directoire des grands ports maritimes, avec un principe de reconduction annuelle de l'enquête ;

- l'ensemble des décisions administratives de recrutement, d'affectation, de titularisation, d'autorisation, d'agrément ou d'habilitation des agents des services portuaires (pilotes, remorqueurs, ouvriers dockers etc.), avec un principe de reconduction de l'enquête au moins tous les trois ans.

Le 2° du même II prévoit quant à lui la conduite de criblages préalablement aux mêmes décisions à l'égard des personnels d'exploitation des aéroports.

1.4 Une application aux administrations publiques sensibles des obligations en matière de prévention de la corruption prévues pour certaines grandes entreprises

L'article 17 de la loi « Sapin II » précitée prévoit des obligations en matière de prévention de la corruption applicables à certaines grandes entreprises107(*).

Ces obligations concernent une série de mesures et procédures listées, dont l'application est contrôlée par l'Agence française anticorruption.

Dans le détail, il s'agit :

- d'établir un code de conduite, un dispositif d'alerte interne et une cartographie des risques ;

- de mettre en place des procédures d'évaluation de la situation des clients, fournisseurs et intermédiaires et des procédures de contrôles comptables ;

- d'instituer un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés ;

- de prévoir un régime disciplinaire spécifique ;

- d'instituer un dispositif de contrôle et d'évaluation interne de la mise en oeuvre de ces mesures.

Le III du présent article vise à étendre ces obligations aux services de l'administration, listées par décret, au sein desquels les risques de corruption ou de trafic d'influence liés à la criminalité organisée revêtent un caractère particulièrement important ou créent un risque d'une particulière gravité.

2. La position de la commission : une série de mesures concrètes et directement opérationnelles pour lutter contre la corruption, dont le ciblage doit toutefois être amélioré

Les rapporteurs approuvent largement les mesures prévues par le présent article, qui sont autant d'outils concrets et opérationnels pour lutter contre la corruption liée au narcotrafic.

Les amendements qu'ils ont proposés, adoptés par la commission, ont visé à mieux cibler celles-ci, soit pour les encadrer davantage, soit pour les renforcer de façon proportionnée eu égard à la menace.

2.1. Mieux cibler les mesures de criblage

Par leur amendement n° COM-82, les rapporteurs ont d'abord entendu mieux cibler les mesures de criblage prévues.

À cette fin, en premier lieu, il élargit expressément la base juridique de ces enquêtes, prévue par le I de l'article 114-1 précité du code de la sécurité intérieure, à tous les emplois publics et privés exposant leurs titulaires à des risques de corruption ou de menaces liées à la criminalité organisée

S'agissant en particulier des ports, il permet de mieux circonscrire le dispositif du présent article, applicable en l'état à l'ensemble des agents, pour le recentrer sur la nomination des membres du directoire des grands ports maritimes, qui sont exposés à des risques de menace ou de corruption, et, surtout, sur les délivrances d'habilitations et d'autorisations d'accès à certaines zones sensibles des ports.

Par rapport au droit existant, l'article étendrait ainsi sensiblement les zones pour lesquelles l'autorisation d'accès, permanent ou temporaire, requiert une enquête. En effet, en l'état du droit, celles-ci sont prévues les seuls accès permanents à des zones à accès restreint ou, lorsque l'autorité administrative le prévoit, à d'autres installations portuaires présentant des risques élevés. Désormais, de tels contrôles seraient donc également conduits obligatoirement pour les autorisations d'accès temporaire à ces mêmes zones.

L'amendement adopté prévoit également un ciblage obligatoire préalable à la délivrance d'autorisations d'accès permanent aux installations portuaires où sont déchargés, chargés, transbordés ou manutentionnés des conteneurs ainsi qu'à la délivrance d'accès, même temporaire, aux parcs à conteneurs situés en leur sein, qui constituent la zone la plus sensible. Lorsque l'autorité administrative le prévoit, les autorisations d'accès temporaire aux autres parties de ces installations pourraient également faire l'objet d'un criblage préalable.

Il prévoit enfin de soumettre à une habilitation, dont la délivrance requiert également un criblage préalable, l'accès aux systèmes d'information et aux systèmes d'exploitation des ports dans lesquels se trouve une installation où sont déchargés, chargés, transbordés ou manutentionnés des conteneurs.

Ces enquêtes seraient de surcroît renouvelées chaque année, soit à un rythme plus régulier que celui prévu par le dispositif initialement proposé. L'amendement adopté, enfin, comporte une mesure transitoire visant à appliquer cette exigence de renouvellement aux agréments et habilitations en cours de validité.

S'agissant des aéroports, suivant la même logique que pour le secteur portuaire, l'amendement a supprimé les dispositions du présent article, qui sont largement satisfaites par le droit existant. Les autorisations d'accès aux zones de sûreté sont en effet déjà soumises à un criblage préalable en application de l'article L. 6342-3 du code des transports. Les personnes concernées sont les plus exposées au risque corruptif : il s'agit des personnels ayant accès aux aéronefs, aux parties des aérodromes où évoluent ces aéronefs ainsi que les passagers, bagages et cargaisons de fret après passage des contrôles de sûreté et, le cas échéant, de douane et de police, ou encore aux approvisionnements de bord sécurisés des avions, au fret aérien et courrier postal.

Le renouvellement annuel de ce criblage constitue une exigence du droit de l'Union européenne108(*). D'après les informations transmises aux rapporteurs par la direction générale de l'aviation civile, les enquêtes sont même en pratique renouvelées tous les six mois.

Pour la mise en oeuvre du dispositif, les rapporteurs soulignent que le SNEAS leur a indiqué être « prêt et organisé pour réaliser [les enquêtes prévues par l'article 22 de la présente proposition de loi] si instruction lui est donnée ». Le service s'est en particulier montré favorable à un alignement du rythme de renouvellement des enquêtes portuaires sur celui prévu en matière aéroportuaire, tel que l'amendement l'a prévu.

2.2. Encadrer davantage le dispositif de signalement

L'amendement n° COM-83 a prévu diverses mesures relatives à l'encadrement des signalements effectués dans le cadre des points de contact uniques prévu par le présent article

En premier lieu, afin d'assurer l'opérationnalité du dispositif et de ne pas risquer de saisir inopportunément le SNEAS, il a prévu de laisser un pouvoir d'appréciation à l'autorité administrative s'agissant des enquêtes à conduire à la suite d'un signalement, qui ne seraient plus systématiques.

En deuxième lieu, l'amendement a précisé le champ des infractions pouvant être signalées dans le cadre des points de contact uniques, de façon à couvrir l'ensemble des faits d'atteinte à la probité.

Enfin, il a renforcé les garanties initialement prévues par le présent article, en limitant à un an la durée de conservation des signalements, et en prévoyant un avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés sur le décret d'application.

Par ailleurs, s'agissant toujours des dispositifs de signalement, l'amendement n° COM-82 précité a prévu que les points de contact uniques de signalement de comportements liés à des faits de corruption, que l'article 22 prévoit d'instituer dans chaque port et aéroport, puissent également recevoir des signalements des usagers des ports et des aéroports. Comme la présidente de l'Agence française anticorruption a en effet pu le souligner lors de son audition par les rapporteurs, la création d'un dispositif d'alerte externe permettant aux citoyens de signaler des faits illicites ayant lieu notamment dans les ports, tels que le dispositif « Port Watch » mis en place en Belgique, s'avère très pertinente.

2.3. Renforcer de façon proportionnée le dispositif de communication d'informations par le ministère public

Dans le souci de renforcer et améliorer le dispositif de communication du ministère public aux administrations dont les agents sont poursuivis ou condamnés pour des faits de corruption prévus par le présent article, l'amendement n° COM-84 a prévu que cette communication, facultative en l'état du droit109(*), soit désormais obligatoire pour tous les faits liés à la criminalité organisée, dès lors que la personne concernée est soit condamnée, soit renvoyée devant une juridiction, soit mise en examen pour ces faits.

Elle concernerait les employeurs publics directement, selon les modalités de droit commun prévues par l'article 11-2 du code de procédure pénale.

S'agissant d'agents dépositaires de l'autorité publique, cette communication serait possible, sous certaines conditions, à n'importe quel stade de la procédure. Il convient à cet égard de relever que le Conseil d'État, saisi par le passé d'un dispositif similaire quoique moins ciblé - le dispositif adopté par la commission ne visant en effet que les faits liés à la criminalité organisée -, a jugé celui-ci justifiée « par les obligations particulières d'exemplarité qui pèsent sur les personnes dépositaires de l'autorité publique et sur le retentissement sur le bon fonctionnement du service que peuvent avoir de tels actes »110(*).

2.4. Étendre les obligations de prévention de la loi « Sapin II » aux exploitants des installations portuaires

Enfin, l'amendement n° COM-85 a prévu de revenir sur l'intégration des administrations publiques dans le champ du dispositif de prévention de la corruption dans certaines grandes entreprises, visées par l'article 17 de la loi « Sapin II ». Les administrations, en effet, sont déjà soumises aux mêmes obligations en application de l'article 3 de cette loi.

En revanche, il a intégré les exploitants des installations portuaires où sont manipulés des conteneurs à la liste des acteurs concernés par cet article 17, eu égard aux risques avérés de corruption liée au narcotrafic auxquels ils sont exposés.

La commission a adopté l'article 22 ainsi modifié.

Article 22 bis
Intégration de la corruption publique et privée au régime
de la criminalité organisée

L'article 22 bis a été introduit par la commission des lois à l'initiative d'Étienne Blanc, co-auteur de la proposition de loi. Il vise à renforcer les moyens existants pour poursuivre et punir les faits de corruption liés à la criminalité organisée, traduisant une recommandation de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France.

En premier lieu, cet article prévoit d'attraire au régime « complet » de la criminalité organisée les infractions de corruption ou de trafic d'influence en lien avec d'autres infractions relevant de ce régime, parmi lesquelles celles relatives au trafic de stupéfiants. L'application de ce régime permet notamment, en procédure, d'utiliser certaines techniques spéciales d'enquête et de prolonger le placement en garde à vue jusqu'à 96 heures. Le cas échéant, il permet également aux juridictions spécialisées de se saisir des dossiers.

En second lieu, il prévoit une circonstance aggravante de commission en bande organisée pour la répression des faits de corruption privée, ce qui permet d'en renforcer la répression et de sécuriser les conditions juridiques de leur rattachement au régime de la criminalité organisée.

Le dispositif, proportionné au niveau de la menace, répond à un besoin opérationnel exprimé avec force par l'ensemble des acteurs de la procédure pénale, services enquêteurs comme magistrats, eu égard à la grande complexité des enquêtes en matière de corruption liée à la criminalité organisée.

1. La poursuite des faits de corruption publique et la corruption privée relèvent de deux régimes pénaux distincts

Les faits de corruption publique relèvent du régime des infractions en matière économique et financière. Aussi, en application du 1° de l'article 706-1-1 du code de procédure pénale, les enquêtes et instructions relatives à ces faits peuvent utiliser certains outils procéduraux relevant du régime de la criminalité organisée - on parle alors de régime « restreint » de la criminalité organisée.

Pour mémoire, le régime de la criminalité organisée est dérogatoire au droit commun régi par les articles 706-73 à 706-106 du même code. Hors cas spécifique prévu par la loi, il s'applique aux infractions listées par les articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale, et en particulier aux infractions liées au trafic de stupéfiants, mentionnées au 3° du même article 706-73.

Il permet de mettre en oeuvre, dans le cadre de l'enquête ou de l'instruction et dans les conditions précisément fixées par la loi, un certain nombre de techniques spéciales d'enquête111(*).

S'agissant des infractions les plus graves, mentionnées par l'article 706-73 du même code, le régime dit « complet » permet notamment de prolonger la durée de la garde à vue pour la porter jusqu'à 96 heures112(*). L'application de ce régime complet permet en outre aux services de renseignement de bénéficier de la transmission d'informations recueillies dans les dossiers judiciaires dans les conditions prévues par l'article 706-105-1 du même code113(*).

Le régime de la criminalité organisée permet en outre aux juridictions interrégionales spécialisées (Jirs), voire dans certains cas à la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), de se saisir des dossiers114(*).

À l'inverse, les faits de corruption privée relèvent de la procédure pénale de droit commun.

Corruption publique et corruption privée

Dans le détail, la corruption publique recouvre les infractions suivantes :

- la corruption ou le trafic d'influence passifs commis par une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public, ou investie d'un mandat électif public (article 432-11 du code pénal) ;

- la corruption ou le trafic d'influence actifs commis par un particulier en direction d'une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public (article 433-1) ;

- la corruption ou le trafic d'influence actifs commis par un particulier en direction d'une autorité ou d'une administration publique (article 433-2) ;

- la corruption active ou passive (article 434-9) ainsi que le trafic d'influence actif ou passif (article 434-9-1) commis dans le cadre du fonctionnement de la justice ;

- la corruption passive (article 435-1) et le trafic d'influence passif (article 435-2) commis par un agent public étranger ou international ;

- la corruption active (article 435-3) et le trafic d'influence actif
(article 435-4) commis par un particulier en direction d'un agent public étranger ou international ;

- la corruption passive (article 435-7) ou active (article 435-9) ainsi que le trafic d'influence passif (article 435-8) ou actif (article 435-9) commis dans le cadre de la justice internationale.

La corruption privée recouvre quant à elle les infractions suivantes :

- la corruption passive commise par une personne qui, sans être dépositaire de l'autorité publique, ni chargée d'une mission de service public, ni investie d'un mandat électif public exerce, dans le cadre d'une activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une personne physique ou morale ou pour un organisme quelconque (article 445-1), et la corruption active commise par un particulier en direction d'une telle personne (article 445-2) ;

- la corruption passive commise par un acteur d'une manifestation sportive ou d'une course hippique donnant lieu à des paris (article 445-1-1), et la corruption active commise par un particulier en direction d'une telle personne (article 445-2-1).

Source : commission des lois du Sénat

2. Une intégration bienvenue de la corruption publique comme privée au régime « complet » de la criminalitée

Le présent article est issu de l'amendement n° COM-13 déposé par Étienne Blanc, co-auteur de la proposition de loi, adopté par la commission.

Traduisant l'une des mesures prévues dans le cadre de la recommandation n° 30 de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier115(*), le I du présent article vise à ce que les faits de corruption publique et de corruption privée, lorsqu'ils sont en lien avec d'autres infractions relevant du régime complet de la criminalité organisée, puissent également relever de ce régime.

Ce dispositif permettrait donc notamment, pour les besoins de l'enquête ou de l'instruction, l'utilisation de techniques spéciales d'enquête ainsi qu'un placement prolongé en garde à vue.

En second lieu, le II du présent article vise à créer un nouvel article 445-2-2 du code pénal prévoyant une circonstance aggravante de commission en bande organisée pour la répression des faits de corruption privée, ce qui permet d'en renforcer la répression et de sécuriser les conditions juridiques de leur rattachement au régime de la criminalité organisée. Celle-ci a pour effet d'aggraver la répression des infractions mentionnées aux articles 445-1 à 445-2-1 du même code, portant la peine à dix ans d'emprisonnement et à une amende d'un million d'euros, dont le montant peut toutefois être porté au double du produit tiré de l'infraction.

À cet égard, il convient de souligner qu'une telle commission en bande organisée constitue une condition supplémentaire de leur rattachement au régime complet de la criminalité organisée prévu au I, en sus du lien avec une autre infraction relevant de ce régime. Une telle condition ne serait pas prévue s'agissant de la corruption publique.

Le dispositif ainsi adopté est proportionné au niveau de la menace. Il répond à un besoin opérationnel exprimé avec force par l'ensemble des acteurs de la procédure pénale, services enquêteurs comme magistrats, eu égard à la grande complexité des enquêtes en matière de corruption liée à la criminalité organisée.

Il est entièrement ciblé sur la criminalité organisée : les faits de corruption publique non liés aux infractions relevant du régime complet de la criminalité organisée continueraient de relever, comme en l'état du droit, du régime « restreint » en application de l'article 706-1-1 du code de procédure pénale ; les faits de corruption privée non liés à ces infractions ou non commis en bande organisée continueraient de relever du régime procédural de droit commun.

La commission a adopté l'article 22 bis ainsi rédigé.

Article 23
Dispositions relatives à l'incarcération des narcotrafiquants

L'article 23 comprend, premièrement, deux dispositions relatives à la sécurisation des établissements pénitentiaires : un enrichissement des informations transmises au Parlement en la matière ainsi que l'autorisation d'utilisation de drones aux fins de prévenir l'introduction d'objets prohibés dans lesdits établissements. La commission a adopté ces dispositifs sans modification.

Il prévoit, deuxièmement, un aménagement du régime de la détention provisoire pour les délits relevant de la criminalité organisée. Afin de garantir la proportionnalité du dispositif, la commission a, à l'initiative des rapporteurs, substitué à l'alignement sur le régime de la détention provisoire criminelle un doublement de la durée maximale du mandat de dépôt initial.

Cet article rassemble, troisièmement, diverses dispositions visant à sécuriser le traitement des demandes de mise en liberté. Sur ce sujet crucial dans la lutte contre le narcotrafic, la commission a, à l'initiative des rapporteurs, procédé à des aménagements supplémentaires visant à prévenir les libérations anticipées pour des motifs exclusivement procéduraux.

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

1. Des dispositions relatives à la sécurisation des établissements pénitentiaires dont l'utilité est avérée

1.1 Un enrichissement bienvenu des informations transmises au Parlement sur la sécurisation des établissements pénitentiaires

L'article 23 prévoit en premier lieu un enrichissement des informations transmises à la délégation parlementaire au renseignement (DPR) sur les dispositifs techniques de lutte contre la délinquance et la criminalité organisées en prison. Ces éléments seraient ainsi intégrés à la liste des informations communiquées à cette instance en application du I de l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Cette disposition fait suite aux difficultés éprouvées par la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic116(*) pour obtenir des réponses claires et convaincantes de l'administration sur les dispositifs réellement déployés ainsi que sur leur efficacité. Le déploiement effectif de systèmes de brouillage des communications téléphoniques dans les établissements pénitentiaires constitue à cet égard un enjeu de première importance. Comme cela a été souligné par la commission d'enquête, les téléphones portables illicites, qui circulent massivement en prison, sont en effet « le seul moyen pour un narcotrafiquant incarcéré de rester en contact avec ses complices restés libres et de continuer, par ce biais, d'animer un réseau ou de commanditer des violences ».

Selon les informations recueillies par les rapporteurs au cours de leurs travaux, 21 établissements seraient aujourd'hui équipés d'un dispositif de brouillage fixe. Cela représente deux établissements supplémentaires par rapport aux éléments avancés par l'ancien Garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti devant la commission d'enquête sénatoriale en avril 2024. Au cours de cette même audition, il avait par ailleurs fait état d'un objectif de 60 sites équipés pour la fin de l'année 2024. S'agissant des dispositifs mobiles, 110 sont aujourd'hui déployés. De nouveaux sites devraient être progressivement équipés, au fur et à mesure de la livraison des équipements commandés par l'administration pénitentiaire. À titre d'information, le marché conclu par celle-ci porte au total sur l'acquisition de 33 dispositifs fixes et 220 dispositifs mobiles.

L'efficacité de ces systèmes de brouillage suscite néanmoins nombre d'interrogations et, selon les informations disponibles, apparaît a minima inégale. L'administration pénitentiaire a ainsi fait état de « difficultés structurelles importantes » sur le sujet tenant notamment à l'importance des travaux à réaliser, à la nécessité de préserver le fonctionnement des moyens de communication autorisés ou encore à l'évolution permanente de l'environnement radio (parfois aggravée par l'installation d'antennes-relais à proximité des établissements sans que ceux-ci n'en soient préalablement informés).

La commission a considéré que la lutte contre la perpétuation du narcotrafic en prison constituait un enjeu de tout premier ordre justifiant une information renforcée du Parlement. En conséquence, elle a adopté cette disposition sans modification.

1.2 L'autorisation de recourir aux drones pour prévenir l'introduction d'objets illicites dans les établissements

L'article 23 introduit en deuxième lieu un nouvel article L. 223-19-1 au code pénitentiaire autorisant l'administration pénitentiaire « à procéder à la captation, à l'enregistrement et à la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs aux fins de lutter contre l'introduction, dans les établissements pénitentiaires, de substances ou de moyens de communication dont la détention est illicite ».

La lutte contre l'introduction d'objets ou de substances prohibés dans les établissements représente de fait un enjeu prioritaire pour l'administration pénitentiaire, tout particulièrement s'agissant des téléphones portables. Comme cela a été rappelé par la commission d'enquête sénatoriale, il n'est pas rare que ces derniers soient transmis aux détenus par projection ou par drone. Près de 40 millions d'euros ont été consacrés ces dernières années par l'administration parlementaire au déploiement de dispositifs visant à préserver l'intégrité des établissements, qu'il s'agisse de filets anti-projections (21 projets) ou de systèmes de sécurisation de leurs abords (83 projets d'installation de dispositifs de vidéosurveillance extérieure ou de pose de nouvelles clôtures).

L'autorisation de surveiller les abords des établissements par l'intermédiaire de drones répond à un besoin opérationnel important de l'administration pénitentiaire. Sous réserve qu'elle fasse l'objet d'un encadrement adapté, l'utilisation de ces appareils étoffera les moyens disponibles pour sécuriser les établissements pénitentiaires. La commission a donc approuvé le principe d'un dispositif qui faciliterait considérablement le travail des surveillants. Sans s'interdire de proposer en séance un amendement renforçant son encadrement, elle l'a, à ce stade, adopté sans modification.

2. Un aménagement du régime de la détention provisoire qui doit être juridiquement sécurisé

L'article 23 procède, en troisième lieu, à un aménagement du régime de la détention provisoire applicable aux procédures portant sur des faits délictuels relevant de la criminalité organisée.

En l'état du droit, la détention provisoire ne peut excéder deux ans pour des faits de trafic de stupéfiants de nature délictuelle117(*) contre quatre ans en matière criminelle118(*). L'article 23 applique ce dernier régime aux délits mentionnés à l'article 706-73 du code de procédure pénale en matière de délinquance organisée.

La commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic précitée a en effet déploré la brièveté de ce délai de deux ans eu égard à la complexité des investigations en la matière. Selon les termes employés dans le rapport, « la complexité de ces procédures, pouvant impliquer de nombreux mis en examen et des investigations particulièrement longues et complexes, ne permet pas toujours aux enquêteurs et aux juridictions de clôturer la procédure dans les délais prévus en la matière ». Elle considérait en conséquence « inévitable d'aligner les délais de détention provisoire prévus durant l'instruction pour les personnes mises en examen pour des délits de trafic de stupéfiants (ou plus généralement des infractions de criminalité organisée prévues à l'article 706-73 du code de procédure pénale) sur le régime de la détention provisoire pour les infractions criminelles ».

Les rapporteurs ne peuvent que souscrire à l'objectif de cette disposition. Du reste, les difficultés résultant, dans le cadre d'affaires liées au trafic de stupéfiants ou à la criminalité organisée, de la brièveté des délais applicables à la détention provisoire en matière correctionnelle leur ont unanimement été confirmées par les représentants de l'autorité judiciaire auditionnés.

Pour autant, la commission a considéré que l'alignement sur le régime criminel des durées maximales de détention provisoire, fût-il limité aux délits relevant de la criminalité organisée, emportait un important risque d'inconstitutionnalité. Elle rejoint ainsi sur ce point l'analyse formulée par la direction des affaires criminelles et des grâces au cours de son audition : « appliquer le régime de la détention provisoire criminelle à toutes les infractions de la criminalité organisée pourrait apparaître excessif et se révéler incohérent par rapport au régime applicable aux délits terroristes ».

Afin de garantir la proportionnalité de la mesure, elle a adopté un amendement n° COM-87 des rapporteurs lui substituant un aménagement du séquençage de la détention provisoire. Ledit amendement procède ainsi à un allongement de la durée du mandat de dépôt correctionnel initial de quatre à six mois, conformément à une recommandation largement partagée parmi les personnes auditionnées.

3. Une réforme impérative et urgente de la procédure applicable aux demandes de mise en liberté

En matière de lutte contre le narcotrafic, la sécurisation juridique de la procédure de traitement des demandes de mise en liberté a été identifiée comme un enjeu prioritaire par la commission d'enquête sénatoriale. Son rapport revient ainsi longuement sur les stratégies déployées par les avocats de la défense pour obtenir la libération anticipée de leurs clients, que ce soit par une exploitation poussée des failles de la procédure ou par l'usage de manoeuvres dilatoires plus ou moins déloyales. Ce constat ne semble souffrir d'aucune contestation ; au cours de leurs travaux, les rapporteurs ont été systématiquement interpellés sur l'urgence à réformer la procédure applicable aux demandes de mise en liberté en matière de narcotrafic.

L'article 23 traduit trois des recommandations formulées par la commission d'enquête sur ce sujet.

Premièrement, il modifie l'article 148-2 du code de procédure pénale afin de prévoir que les délais de traitement d'une demande de mise en liberté par une juridiction saisie directement en application de l'article 148 débutent « à compter de l'enregistrement de la demande au greffier de la juridiction d'instruction saisie du dossier ou au greffier de la juridiction compétente en vertu de l'article 148-1 ». En l'état, le point de départ du délai de dix ou vingt jours est fixé à la réception de la demande, étant entendu que, selon les éléments transmis par la direction des affaires criminelles et des grâces, ladite réception « semble être assimilée par la jurisprudence à son enregistrement dès lors que celui-ci a été fait sans retard indu et qu'il correspond au moment où le greffe compétent a effectivement pris connaissance de la demande ». La commission a pris acte de l'argument selon lequel la modification portée par l'article 23 « pourrait avoir des effets de bord importants, notamment parce qu'elle pourrait reporter indéfiniment le point de départ du délai d'examen d'une demande de mise en liberté ». Elle a néanmoins considéré que cette inquiétude n'était pas fondée, sauf à ce que les services de greffe ne procèdent pas en pratique à l'enregistrement dans des délais raisonnables, ce qui n'est non seulement pas dépendant de la volonté du législateur, mais en outre relativement hypothétique. Tout en gardant le sujet ouvert pour la séance, la commission a à ce stade adopté le dispositif sans modification.

Deuxièmement, l'article 23 modifie l'article 179 du code de procédure pénale pour, d'une part, fixer le point de départ du délai d'audiencement au fond d'un dossier de trafic de stupéfiants au jour où la décision de renvoi devant ce tribunal est devenue définitive. D'autre part, il prévoit qu'en cas de requête devant la chambre de l'instruction au moment du prononcé de l'ordonnance de renvoi, le délai de détention provisoire débute à compter du jour où la décision sur la requête est elle-même devenue définitive.

Compte tenu des nombreuses difficultés engendrées par la possibilité d'envoi par courriers avec accusé de réception des demandes de mise en liberté, l'article 23 impose troisièmement que l'avocat requérant soit inscrit à l'ordre des avocats du ressort du tribunal judiciaire compétent. Par l'adoption d'un amendement n° COM-87 des rapporteurs, la commission lui a substitué un dispositif supprimant la possibilité de transmission par voie postale des demandes de mise en liberté.

Par l'adoption du même amendement n° COM-87, la commission a par ailleurs entendu franchir un palier supplémentaire dans la sécurisation du traitement des demandes de mise en liberté. En réponse à une demande forte des juridictions, elle a fait évoluer la procédure sur six points afin :

- d'augmenter les délais attribués au parquet et au juge des libertés pour statuer sur les demandes de mise en liberté en première instance, afin de les porter à respectivement dix et cinq jours - contre cinq et trois jours actuellement. De la même manière, le délai alloué à la chambre de l'instruction pour statuer en saisine directe en application de l'article 148 du code de procédure pénale serait étendu à trente jours, contre vingt jours aujourd'hui ;

- de prévoir l'irrecevabilité d'une demande de mise en liberté en appel tant qu'il n'a pas été statué sur l'appel précédent, à l'instar du dispositif existant en première instance, et de prévoir, en première instance comme en appel, que cette irrecevabilité s'applique jusqu'à la notification de la décision aux parties, afin de mettre fin à la situation d'incertitude qui marque le texte actuel du code et pose en pratique de lourds problèmes aux magistrats compétents ;

- de prévoir que, dans le cadre de l'examen d'une demande de mise en liberté par une juridiction saisie en application de l'article 148-2 du code de procédure pénale, « les pièces produites par le prévenu ou son avocat doivent être transmises au plus tard cinq jours avant l'audience » ;

- de porter de quatre à huit heures la durée pendant laquelle une personne bénéficiant d'une ordonnance de remise en liberté est maintenue temporairement en détention, en vue de la formation d'un appel et d'un référé-détention par le procureur de la République ;

- de supprimer la possibilité de saisine directe de la chambre de l'instruction si la personne maintenue en détention provisoire n'a pas été entendue depuis plus de quatre mois ;

- de prévoir que les délais de saisine directe de la chambre de l'instruction, à l'expiration desquels une mise en liberté d'office peut intervenir, ne commencent à courir qu'à compter de la réception de la demande de mise en liberté par ladite chambre. L'amendement adopté crée ainsi en parallèle, sur le modèle de la procédure déjà prévue par l'article 148-1-1 du code de procédure pénale, une possibilité de décision en extrême urgence de la chambre de l'instruction après l'expiration des mêmes délais lorsque la mise en liberté aurait des conséquences manifestement disproportionnées au regard des particularités du dossier et pour les seules personnes mises en examen pour des faits liés à la délinquance et à la criminalité organisées.

La commission a adopté l'article 23 ainsi modifié.

Article 24
Création d'une interdiction administrative de paraître sur les lieux de trafic de stupéfiants

L'article 24 ouvre la possibilité de prononcer des interdictions administratives de paraître sur les « points de deal » à l'encontre des dirigeants de réseaux de trafics de stupéfiants. Il permet par ailleurs de mettre l'intéressé en demeure de quitter son domicile lorsque celui-ci est situé dans la zone d'interdiction et utilisé dans le cadre des activités de direction dudit réseau.

La commission a pleinement souscrit à l'esprit de cet article, très attendu par les élus locaux. Afin de le sécuriser juridiquement et d'en renforcer l'opérationnalité, elle a, à l'initiative des rapporteurs, adopté un amendement dissociant les dispositifs d'interdiction de paraître et d'expulsion locative, tout en renforçant les garanties associées. Elle l'a adopté ainsi modifié.

1. L'interdiction administrative de paraître sur les « points de deal », une mesure qui emporte un large consensus

1.1 L'article 24 : de nouvelles mesures administratives pour lutter contre la prolifération des « points de deal »

L'article 24 introduit un nouveau chapitre III ter au sein du titre Ier du livre II de la sécurité intérieure. Il ouvre premièrement la possibilité pour le représentant de l'État dans le département, après information du procureur de la République territorialement compétent, de prononcer une interdiction de paraître sur les « points de deal » à l'encontre des têtes de réseaux de trafics de stupéfiants. Concrètement, une telle interdiction pourrait être prononcée « lorsqu'il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'un individu dirige un groupement ayant pour objet la production, la fabrication, l'importation, l'exportation, le transport, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition ou l'emploi illicites de stupéfiants ». Édictée à l'issue d'une procédure contradictoire, elle ne pourrait excéder une durée d'un mois, renouvelable une fois. En termes géographiques, l'interdiction de paraître s'appliquerait aux lieux qui, par la nature de leur fréquentation ou du fait des circonstances, sont particulièrement exposés à des risques de troubles graves à l'ordre public résultant de l'activité du réseau de trafic de stupéfiants dirigé par l'intéressé.

L'article 24 aménage deuxièmement une procédure particulière pour les cas où le domicile de l'intéressé se situerait dans la zone faisant l'objet d'une interdiction de paraître. Dans l'hypothèse où celui-ci occuperait un logement social et qu'il l'utiliserait dans le cadre de ses activités de direction d'un trafic de stupéfiants, il reviendrait alors au représentant de l'État dans le département, à l'issue d'une procédure contradictoire, de le mettre en demeure de quitter les lieux. Ladite mise en demeure devrait être assortie d'un délai d'exécution ne pouvant être inférieure à quarante-huit heures, ou sept jours dans les cas où le logement constituerait la résidence principale du locataire. Dans cette situation, les services de l'État seraient par ailleurs tenus de procéder « à un relogement d'office dans un logement dont l'emplacement tient compte de la situation personnelle et familiale de la personne concernée ». Cette mesure serait prononcée pour une durée maximale d'un mois, renouvelable une fois, ou, lorsque le logement constitue la résidente principale du locataire, dix jours, renouvelable une fois.

L'application de ces deux mesures aux mineurs est par ailleurs expressément exclue. Enfin, la violation d'une interdiction de paraître ou le non-respect d'une mise en demeure serait punie d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.

1.2 Un dispositif très attendu par les élus locaux et qui répond indéniablement à un fort besoin opérationnel

Les rapporteurs ont constaté au cours de leurs travaux que la création d'une nouvelle interdiction administrative de paraître sur les « points de deal », d'une part, répondait à un fort besoin opérationnel et, d'autre part, était particulièrement attendue par les élus locaux.

Pour rappel, celle-ci a pour la première fois été évoquée en ces termes par le directeur général de la police nationale Louis Laugier lors de son audition devant la commission le 20 novembre 2024 : « il serait opportun de créer une mesure de police administrative d'interdiction de paraître pour les individus causant un trouble à l'ordre et à la tranquillité publics, dans la mesure où les actions judiciaires se sont révélées inefficaces ou impossibles ».

L'ampleur du besoin opérationnel a notamment été confirmée par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur au cours de son audition. Selon elle, il s'agit en effet bien de « traiter les phénomènes de voie publique qui exposent les populations à des risques majeurs liés à la présence d'un point de deal : exposition à l'ultra violence liée à des guerres de gangs, exposition aux drogues, emprise territoriale des groupes criminels », et ce, alors que « le traitement judiciaire permet d'obtenir des résultats, mais dans des délais absolument incompatibles avec l'urgence à agir et la capacité d'adaptation des groupes criminels ; l'interdiction administrative de paraître vise à interdire préventivement aux personnes de fréquenter le point de deal dès qu'il y a des raisons sérieuses de penser qu'elles y participent ; cela permet d'éloigner les acteurs visibles du trafic, pour lesquels il est par nature difficile d'étayer rapidement les soupçons permettant un traitement judiciaire au titre de la complicité au trafic de stupéfiants ; les points de deal sont en effet organisés précisément avec une séparation des tâches telles que les démanteler nécessite des opérations très lourdes et de longue haleine ». Cette nécessité de se doter d'un nouvel outil pour lutter contre l'emprise croissante des « points de deal » sur le territoire a été confirmée, pour les mêmes raisons, par l'ensemble des services opérationnels auditionnés par les rapporteurs.

De fait, les mesures judiciaires applicables en la matière ne répondent qu'imparfaitement aux enjeux, qu'il s'agisse par exemple de la mesure d'alternative aux poursuites d'interdiction de paraître prévue au 7° de l'article 41-1 du code de procédure pénale, d'une composition pénale proposée par le procureur de la République en application du 9° de l'article 41-2 du même code, de la peine complémentaire substitutive d'une peine d'emprisonnement prévue au 12° de l'article 131-6 du code pénal en matière délictuelle ou d'une mesure imposée dans le cadre du régime de la probation en application du 9° de l'article 132-45 du même code. Outre l'importance des délais nécessaires à son édiction, celle-ci suppose par nature que l'infraction ait été caractérisée. A contrario, une mesure administrative permettrait d'agir à titre préventif et dans des délais drastiquement réduits.

Une telle mesure est, en outre, singulièrement attendue par les élus locaux. Ceux-ci sont en effet en première ligne face aux nuisances subis par les riverains de « points de deal » et ne disposent que de peu de leviers d'actions pour y mettre un terme. L'article 24 a en conséquence fait l'objet d'un accueil très favorable de la part de l'ensemble des associations d'élus locaux. À titre d'exemple, l'association des maires de France et présidents d'intercommunalités a considéré que « les interdictions administratives de paraître ou de relogement constituaient une mesure supplémentaire dans l'arsenal de sanctions disponibles », tandis que l'association des petites villes de France a souligné que « cette disposition répondait en partie à la demande d'une réponse plus ferme de l'État, formulée [par ses soins] depuis plusieurs années ». Enfin, France urbaine a indiqué être « favorable à cette mesure qui répond à la priorité de lutter contre les incidences du narcotrafic sur la qualité de vie des habitants ».

2. La position de la commission : garantir la robustesse juridique et l'opérationnalité du dispositif

Dans ce contexte, la commission a approuvé sans réserve le principe de l'article 24. Afin d'en garantir l'opérationnalité et la robustesse juridique, elle a adopté un amendement n° COM-88 des rapporteurs dissociant les deux dispositifs et renforçant les garanties associées.

S'agissant de l'interdiction administrative de paraître, l'amendement adopté l'étend tout d'abord à toute personne et non aux seules têtes de réseaux qui, en tout état de cause, ne se rendent quasiment jamais sur les lieux des trafics qu'ils organisent. L'inapplicabilité du dispositif aux mineurs est ensuite supprimée, et ce afin de mieux protéger ce public particulièrement vulnérable. Immuniser les mineurs contre cette mesure inciterait en effet probablement les trafiquants à privilégier encore davantage qu'actuellement leur recrutement pour exercer, à leurs risques et périls, des activités illicites sur des « points de deal ».

L'amendement adopté prévoit en outre que le représentant de l'État « tient compte de la vie familiale et professionnelle de la personne concernée » pour apprécier de l'opportunité de la mesure d'interdiction administrative de paraître. Conformément à la jurisprudence constitutionnelle sur le sujet, il est expressément mentionné que le périmètre géographique de l'interdiction ne peut comprendre le domicile principal de l'intéressé119(*).

S'agissant de l'expulsion locative, la commission a considéré que, pour louable qu'il soit, le dispositif proposé par l'article 24 était juridiquement fragile du fait notamment de l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire. Par l'adoption du même amendement n° COM-88 des rapporteurs, elle lui a substitué un dispositif s'appuyant sur les dispositifs préexistants dans la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et le code de la construction et de l'habitation pour permettre à l'autorité administrative d'enjoindre au bailleur de requérir l'expulsion d'un locataire portant atteinte à la jouissance paisible de son logement et de son environnement.

Concrètement, l'amendement adopté étend le périmètre des clauses d'occupation paisible qui figurent obligatoirement dans les baux en application de l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989 précitée mais qui, en l'état, ne s'appliquent qu'aux comportements commis à l'intérieur du logement ou dans les parties communes. La modification de cette base légale permettrait ainsi de fonder juridiquement des décisions d'expulsion en application de l'article L. 442-4-2 du code de la construction et de l'habitation. Afin de protéger les bailleurs d'éventuelles représailles, la commission a par ailleurs prévu que le représentant de l'État dans le département puisse se substituer à ces derniers pour saisir le juge.

La commission a adopté l'article 24 ainsi modifié.

EXAMEN DES ARTICLES
DE LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

Article 1er
Statut du procureur national anti-stupéfiants

Par coordination avec la création, à l'article 2 de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, d'un procureur national anti-stupéfiants, l'article unique de la proposition de loi organique fixe le statut de ce procureur en l'alignant sur celui du procureur national anti-terroriste (Pnat) et du procureur national financier (PNF).

La commission a adopté l'article unique en transformant, par cohérence avec ses choix à l'article 2 précité, ce procureur en un procureur national anti-criminalité organisée.

L'article 38-2 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature limite à sept ans l'exercice de certaines fonctions juridictionnelles, y compris celles de procureur de la République au sein d'un même tribunal judiciaire. Son dernier alinéa soumet à ce régime de limitation les deux procureurs nationaux existants, à savoir le procureur national anti-terroriste et le procureur national financier.

L'article unique de la proposition de loi organique prévoit l'application de la même règle au futur procureur national anti-stupéfiants.

L'article 2 de la proposition de loi visant à sortir la France du narcotrafic ayant été modifié par la commission des lois pour prévoir, au vu des importantes connexités entre le trafic de stupéfiants et les autres formes de criminalité organisée, la création d'un procureur (et d'un parquet) national anti-criminalité organisée en lieu et place d'un procureur national anti-stupéfiants, la commission a adopté un amendement n° COM-1 des rapporteurs afin de mettre à jour la terminologie retenue par la proposition de loi organique.

La commission a adopté l'article unique ainsi rédigé.

Intitulé de la proposition de loi

Par l'adoption d'un amendement des rapporteurs (amendement n° COM-2), la commission a fait évoluer l'intitulé du texte pour y viser le procureur de la République anti-criminalité organisée.

La commission a adopté l'article 20 ainsi modifié.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 22 JANVIER 2025
(MATIN)

M. Marc-Philippe Daubresse, président. - Nous commençons l'examen de deux textes importants, la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et la proposition de loi organique fixant le statut du procureur national anti-stupéfiants, dont nos collègues Étienne Blanc et Jérôme Durain sont les coauteurs.

M. Étienne Blanc, auteur de la proposition de loi et de la proposition de loi organique. - Ces textes font suite aux travaux de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. Lorsque nous avons entamé nos travaux, nous savions que la situation était préoccupante. L'actualité apportait déjà son lot de règlements de comptes et de saisies records, et nous pensions donc savoir à quoi nous en tenir. Je peux cependant vous le dire aujourd'hui : nous sous-estimions la réalité quand nous avons ouvert ce dossier.

Chaque jour amène de nouvelles preuves des ravages que crée le trafic dans nos territoires, jusqu'aux plus ruraux. L'actualité la plus immédiate nous alerte sur une affaire de corruption dans nos centres pénitentiaires ainsi que sur la pression qu'imposent des bandes organisées sur la puissance publique.

La menace que le trafic de stupéfiants crée dans notre pays n'est pas seulement grave, elle est devenue existentielle et fragilise nos institutions. Par la violence, et même souvent par la torture, les trafiquants terrorisent des quartiers entiers. Ils font régner une « loi du silence », dont la sanction est simple pour qui la viole : la mise à mort. L'argent de la drogue est injecté dans l'économie légale, parfois sans même avoir été blanchi. Le « chiffre d'affaires » annuel du trafic dans notre pays est évalué à 6 milliards d'euros, et nous estimons à quelque 200 000 personnes le nombre de ceux qui travaillent dans ces réseaux.

Nous sommes aujourd'hui à un point de bascule. Nous sommes au bord d'un vertigineux précipice, et nous constatons, hélas, que la riposte n'a que trop tardé ou qu'elle n'a pas été à la mesure. La situation de nos voisins belges ou néerlandais nous montre qu'il est grand temps de prendre les choses en main avec vigueur. Aux Pays-Bas et en Belgique ont été assassinés des journalistes, des avocats ; des pressions ont même été exercées sur la famille royale du premier de ces deux pays. Voulons-nous revivre le drame que nous avons connu en 2023 à Marseille avec 49 morts ou voir encore des agents pénitentiaires froidement abattus pour permettre l'évasion d'un trafiquant ?

Certes, la loi ne pourra pas répondre à toutes les difficultés. Notre rapport évoque de nombreux sujets qui n'ont pas pu être intégrés aux textes que Jérôme Durain et moi-même avons déposés. Je pense, par exemple, à la question de nos coopérations internationales, avec la faiblesse du nombre des extraditions qui interviennent depuis l'Émirat de Dubaï ou le Maroc, et avec les difficultés qui se font jour lorsqu'il s'agit de récupérer l'argent du narcotrafic dans un certain nombre de pays qui s'y opposent.

Nos policiers, gendarmes, douaniers, agents pénitentiaires, magistrats et greffiers, qui pourtant effectuent un travail exemplaire, nous ont dit à plusieurs reprises avoir le sentiment de « vider l'océan à la petite cuillère ».

Je veux aussi avoir une pensée particulière pour nos territoires d'outre-mer. Quand nous nous protégeons sur le sol européen, la drogue reste stockée dans ces régions des Caraïbes qui subissent une pression infernale, la drogue apportant son cortège de violence et de trafics d'armes.

La commission d'enquête a dressé le portrait d'une « France submergée par le narcotrafic », notamment sous l'effet de la démocratisation de la cocaïne. C'est en effet par la cocaïne que se sont importées sur notre sol les techniques des cartels sud-américains ; c'est aussi la forte rentabilité de ce produit qui a fait exploser l'attrait économique du trafic pour des réseaux de plus en plus nombreux et prêts à tout pour gagner des « parts de marché ».

S'ils sont privés de morale, les narcotrafiquants ne sont toutefois pas dénués d'ingéniosité, bien au contraire. Ils sont d'autant plus dangereux que leur faculté d'adaptation est particulièrement aiguë : c'est ce que montre le phénomène d'« ubérisation » des trafics, qui s'est développé lors du confinement de 2020 pour contourner les restrictions de circulation.

C'est aussi ce que prouvent les tactiques qu'ils déploient pour échapper à la répression. Gardons à l'esprit que des systèmes autonomes de messagerie cryptée, avec des terminaux spécifiques et des abonnements hors de prix, ont été montés de toutes pièces par les trafiquants pour passer « sous les radars » et éviter les poursuites.

N'oublions pas aussi qu'ils sont suffisamment informés, et suffisamment cyniques, pour exploiter toutes les failles de notre droit, par exemple en réduisant en esclavage les « petites mains », celles des mineurs, qui offrent le double avantage de la vulnérabilité et d'une responsabilité pénale atténuée. Et ne perdons pas de vue leur inquiétant pouvoir de corruption : on nous a, par exemple, expliqué que, à Anvers, les trafiquants repéraient les étudiants fragiles dès leur entrée à l'université et leur offraient un soutien financier pendant toute la durée de leurs études, en misant sur ceux qui avaient à la fois le plus de difficultés, mais aussi le plus de chances, quelques années plus tard, d'occuper des postes à responsabilités, notamment dans le port de la ville, espérant en récupérer dans le futur un dividende... Il y a là une question qui ne se résume pas à l'intégrité personnelle : ceux qui n'auront pas donné prise à l'appât du gain céderont face à la menace, face à la violence - en fait, face à la peur.

Je présenterai quelques lignes de force de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.

Son titre Ier concerne l'organisation des acteurs de la lutte. Il met en place deux chefs de file : un Office anti-stupéfiants (Ofast) renforcé, pour les services d'enquête, et un nouveau parquet national anti-stupéfiants (Pnast) du côté de l'autorité judiciaire. Je soutiens la volonté affichée par les rapporteurs d'aller plus loin sur ce second point en créant un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) : cette évolution me paraît nécessaire au vu de l'intrication entre le trafic de stupéfiants et les trafics d'armes, de véhicules, d'êtres humains ou le proxénétisme.

Le titre II est relatif au blanchiment. Il prévoit, entre autres, de faciliter la fermeture administrative, par simple décision préfectorale, de ce que nous appelons les « blanchisseuses ». J'ai déposé des amendements pour faciliter l'usage des fichiers par les services qui luttent contre le blanchiment, pour conforter les prérogatives de Tracfin et pour interdire, en anticipant la réglementation européenne, les « mixeurs » de cryptoactifs. J'espère que la commission acceptera d'adopter des amendements qui me semblent de bon sens.

Le titre III porte sur le renseignement administratif. Nous avons notamment proposé que le renseignement algorithmique puisse être expérimenté en matière de criminalité organisée pour apporter - enfin ! - une réponse aux phénomènes « Uber shit » et « Uber coke », c'est-à-dire à la commande de stupéfiants par le biais de messageries cryptées avec livraison à domicile. Je suis attaché à la forme expérimentale de ce dispositif, car je souhaite que le Parlement se dote des moyens de procéder à une véritable évaluation. L'outil est innovant, il comporte indéniablement des risques, mais il est parfaitement utile et mérite de retenir l'attention.

Le titre IV concerne le droit pénal et crée de nouvelles infractions pour mieux lutter contre le narcotrafic. Je suis convaincu que nous devons, comme le prévoit l'article 10 de notre texte, mieux sanctionner ceux qui recrutent les « petites mains », les « jobbeurs », en les soumettant à des sanctions exemplaires. Nous devons aussi apporter une réponse adaptée au phénomène des « mules », là encore pour tenir compte de la situation de nos outre-mer : c'est l'objectif poursuivi au travers de l'article 11 de la proposition de loi.

Le titre V traite de la procédure pénale. Il est particulièrement dense, et je me concentrerai sur un seul point, même si tous sont importants : je vous parlerai du procès-verbal distinct.

Avocat de formation, je suis attaché, comme vous l'êtes tous, à l'égalité des armes et au principe du contradictoire. Mais il y a des circonstances dans lesquelles, justement pour garantir cette égalité, notre procédure doit connaître des aménagements. Aujourd'hui, certaines techniques spéciales d'enquête ne sont pas employées par nos forces de police, de peur de « donner des billes à l'adversaire », comme nous l'a dit l'une des personnes auditionnées par la commission d'enquête. Cela n'est pas acceptable.

Il ne me paraît pas utile de verser au contradictoire des éléments qui, d'une part, ne constituent pas en eux-mêmes des preuves et qui, d'autre part, créent un risque mortel pour les témoins ou les informateurs, ou révèlent les caractéristiques techniques de nos outils les plus sophistiqués, ce qui permet ensuite aux réseaux criminels d'y échapper. Je crois même dangereux de rendre publics des éléments essentiels pour les forces de sécurité intérieure, dès lors qu'ils n'apportent strictement rien aux débats sur la culpabilité de la personne ou sur la conduite de l'enquête. Enfin, à trop vouloir limiter les possibilités de notre procédure pénale, on nourrit le populisme, on donne le sentiment d'une naïveté ou d'une impuissance de la justice et, par voie de conséquence, on laisse prospérer des envies autoritaires - les messages à ce titre ne manquent pas.

Les rapporteurs proposent une réécriture de l'article 16, à laquelle j'adhère sans réserve. Je me bornerai, pour ma part, à vous proposer de clarifier les modalités d'autorisation du recours à la géolocalisation, dans la droite ligne des conclusions de la commission d'enquête.

Le titre VI est relatif à la lutte contre l'emprise du trafic et notamment contre la corruption, qui est devenue un véritable fléau par lequel le narcotrafic s'attaque à nos institutions. Je ne doute pas que vous soutiendrez l'article 22, qui permet un renforcement substantiel de notre capacité à la détecter et à la prévenir. J'espère que vous pourrez également adopter l'amendement que j'ai déposé et qui tend à intégrer la corruption au régime de la criminalité organisée lorsqu'elle est liée à cette criminalité.

Le même titre permet de lutter contre les autres formes d'emprise du trafic, qui a marqué de son empreinte les prisons. Les greffes ont parfois laissé passer des délais de réponse à des demandes de mise en liberté. Avec l'article 23, il vous est proposé de mieux encadrer l'examen de ces demandes. Le trafic de stupéfiants a également pris en otage certains quartiers : pour en protéger les habitants, pour ne pas laisser les trafiquants libres d'y recruter et d'exploiter des « petites mains » parmi les jeunes, souvent en déshérence, nous souhaitons permettre l'éloignement des délinquants.

En conclusion, je citerai l'écrivain et spécialiste de la drogue, Don Winslow. Ses romans, même s'ils sont des oeuvres de fiction, sont souvent cités en référence par les plus fins connaisseurs du sujet. Dans son livre La Frontière, reprenant les propos de Hobbes, il écrit que « L'enfer, c'est la vérité vue trop tard ». Faisons aujourd'hui oeuvre de lucidité en apportant des réponses à la hauteur des enjeux : les citoyens nous le demandent.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Étienne Blanc a, avec beaucoup de justesse, rappelé l'état dramatique de la menace que le narcotrafic fait peser sur notre pays. Tous nos territoires sont désormais touchés par ce trafic, y compris les villes moyennes et les campagnes. Les collectivités territoriales d'outre-mer, quant à elles, payent un lourd tribut du fait de leur proximité avec les zones de production ; nul, ici, ne l'oublie.

Au nom de tous les membres de cette commission, je salue à mon tour l'action exemplaire des acteurs de la lutte contre le narcotrafic : ceux de la police judiciaire, des services douaniers, des juridictions, des services de renseignement et des établissements pénitentiaires. Tous avaient été entendus par la commission d'enquête, et nous les avons à nouveau rencontrés dans le cadre de la préparation de l'examen de ces propositions de loi. Leur investissement est sans faille alors même qu'ils ont le sentiment, comme Étienne Blanc l'a rappelé, de « vider l'océan à la petite cuillère » devant une emprise tentaculaire sur laquelle nous ne disposons, pour l'instant, que de moyens de lutte extrêmement restreints.

Je rendrai également hommage aux élus locaux - notamment aux maires -, qui sont confrontés quasi quotidiennement au narcotrafic et à l'insécurité qu'il sème. À Mâcon, la lutte de territoires entre narcotrafiquants a mis le feu à un quartier et les journaux titraient à cette occasion que le maire se retrouvait sous la pression des narcotrafiquants. La menace est réelle, car un narco-État c'est cela : la pression et la corruption. Il ne faut pas la prendre à la légère. L'enjeu face à ces textes est précisément la mise en place d'outils à la mesure du danger, sans pour autant sacrifier les principes qui sont les nôtres.

Les propositions de loi dont nous sommes saisis font donc suite aux travaux de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France. Cette commission a fait date, et notre institution peut s'en enorgueillir : la qualité de son rapport a été saluée par tous, de même que la pertinence de ses préconisations. Ce rapport a été adopté à l'unanimité des membres de la commission d'enquête, et j'ai espoir que nous gardions le même état d'esprit de concorde, de pragmatisme et d'efficacité quand il s'agira d'en concrétiser les recommandations.

L'objet et, par conséquent, le périmètre de ces propositions de loi sont étendus. La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic concerne des sujets aussi divers que l'organisation des « chefs de file » des services qui luttent contre le narcotrafic, la lutte contre le blanchiment, le renseignement, le droit pénal, la procédure pénale et l'emprise des trafics dans nos prisons et dans nos territoires. Ses vingt-quatre articles, pour certains très denses, portent sur des sujets complexes, techniques, voire arides.

Il nous appartient, en responsabilité, de ne pas ajouter à ce programme déjà très ambitieux des mesures qui n'auraient pas de lien avec le sujet qui nous occupe. C'est pourquoi, en tant que rapporteurs, nous vous proposerons d'écarter tous les amendements qui sortent du périmètre, déjà large, retenu par les auteurs de la proposition de loi, sans préjudice de leur intérêt ou de leur importance sur le fond. Je pense notamment aux amendements qui porteraient sur le trafic de produits légaux, sur la délinquance de droit commun ou sur la consommation de stupéfiants. La proposition de loi porte sur la répression du narcotrafic et des formes graves de criminalité organisée.

J'en viens au contenu du texte.

Son titre Ier comporte deux articles.

Le premier est relatif au renforcement de l'Ofast, le second à la création d'un parquet national anti-criminalité organisée, ou Pnaco.

L'Ofast constitue depuis 2020 une pièce maîtresse de notre dispositif de lutte contre le narcotrafic. Il n'a toutefois pas réussi, comme l'a montré la commission d'enquête, à exercer pleinement sa vocation interministérielle. L'article 1er permet donc de consolider les conditions d'exercice, par l'Ofast, de son rôle de chef de file. À cette fin, il tend à repositionner l'Office, relevant jusqu'ici de la seule direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), sous la double tutelle du ministère de l'intérieur et du ministère de l'économie et des finances. L'article lui confère également des prérogatives nouvelles, notamment un monopole sur les enquêtes judiciaires relevant du « haut du spectre » de la criminalité organisée, c'est-à-dire les infractions les plus graves.

Nous vous proposerons d'adopter cet article, qui répond à une recommandation structurante de la commission d'enquête. Les amendements que nous vous soumettrons visent, d'une part, à mieux délimiter les nouvelles prérogatives judiciaires de l'Ofast, en cohérence avec celles du futur parquet national, et, d'autre part, à différer l'entrée en vigueur du dispositif, de façon à laisser aux services concernés le temps d'adapter leur organisation à cette réforme.

À l'article 2, nous vous proposerons, en accord avec Étienne Blanc, d'aller plus loin que ce que prévoit la proposition de loi. En lieu et place de la création d'un Pnast, nous vous présenterons en effet un amendement créant un Pnaco, afin de tenir compte des liens extrêmement étroits qui existent entre le trafic de stupéfiants et les autres trafics. C'est un choix ambitieux, qui supposera plusieurs aménagements par rapport au dispositif initial.

Ce Pnaco sera appelé à connaître de tous les dossiers lourds de criminalité organisée, mais il ne disposera pas d'un monopole aussi étendu que celui qui était envisagé pour le Pnast. Nous souhaitons recentrer ce monopole sur les crimes les plus graves, tout en donnant au Pnaco les moyens de ses ambitions grâce à un pouvoir d'évocation inédit : non seulement il pourra se saisir de toute affaire pour laquelle l'action publique n'a pas encore été mise en mouvement, mais il pourra de plus demander à se voir attribuer tous les dossiers déjà en cours de traitement qui lui sembleraient relever de sa compétence. Nous avons prévu un mécanisme de départage, du point de vue tant de la compétence territoriale que de la compétence matérielle, entre le Pnaco et les autres juridictions - les parquets locaux et les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs), à la compétence plus étendue que les premiers. Le Pnaco sera par ailleurs investi d'un pouvoir de coordination sur l'ensemble de ces juridictions, avec l'idée, comme cela a pu être le cas en matière de terrorisme, de se mettre en ordre de marche dans la lutte contre le narcotrafic.

Les Jirs ne seront pas dévitalisées par cette création : nous les dotons au contraire de la capacité d'être informées, afin qu'elles puissent se saisir des infractions relevant de leur compétence.

En bref, nous créons une chaîne cohérente au sein de l'autorité judiciaire, avec, pour chaque maillon, un rôle bien défini, au service d'un objectif commun - la lutte contre la criminalité organisée - et avec un chef d'orchestre.

La proposition de loi organique que nous examinons par ailleurs doit précisément permettre de créer le statut du procureur national, sur le modèle des deux procureurs nationaux existants, à savoir le procureur national antiterroriste (Pnat) et le procureur national financier (PNF).

Le titre II est relatif à la lutte contre le blanchiment des revenus issus du narcotrafic. Il traduit un volet phare du rapport de la commission d'enquête, qui appelait à « frapper enfin les narcotrafiquants au portefeuille », le narcotrafic étant une infraction uniquement motivée par l'appât du gain.

L'article 3 prévoit cinq dispositifs distincts visant, selon les cas, à renforcer les obligations imposées aux personnes soumises aux règles de lutte contre le blanchiment, à faciliter l'accès des services compétents aux informations pertinentes ou à donner à l'administration la possibilité de fermer temporairement les commerces suspectés de servir de « blanchisseuses », ces commerces où l'argent du narcotrafic peut être blanchi. L'amendement proposé par Étienne Blanc sur ces sujets relativement consensuels permettra de sécuriser juridiquement ces dispositifs ou de les étendre pour répondre à des besoins opérationnels. Pour notre part, nous avons intégralement réécrit le dispositif de fermeture administrative des « blanchisseuses », dont nous avons constaté qu'il était particulièrement attendu par les maires.

L'article 4 concerne la systématisation des enquêtes patrimoniales engagées à l'occasion des enquêtes judiciaires et la création d'une nouvelle procédure d'injonction pour ressources inexpliquées. En ce qui concerne l'injonction, il nous semble nécessaire de la cantonner aux dossiers liés à la criminalité organisée pour garantir sa conformité à la Constitution. Quant aux enquêtes patrimoniales, si elles paraissent effectivement utiles - notre commission des lois y a récemment travaillé à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi sur les saisies et confiscations, dite « Warsmann » -, leur systématisation n'est, à l'issue des auditions, pas parue pertinente.

L'article 5 crée un dispositif judiciaire de gel des avoirs des narcotrafiquants. Nous estimons que celui-ci peut aller de pair avec un gel administratif et nous avons déposé un amendement en ce sens.

Le titre III intéresse la montée en puissance du renseignement administratif.

L'article 6 étend les dispositifs de partage d'information existants entre l'autorité judiciaire et les services de renseignement. Nos collègues de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) nous proposent d'en réduire quelque peu le champ d'application, sans en remettre en cause l'efficacité.

L'article 7 consacre les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), créées par la pratique. Nous n'y sommes pas opposés, ne serait-ce que pour renforcer l'assise de ces structures encore en phase de développement et pour favoriser l'association des parquets.

Enfin, l'expérimentation de l'usage du renseignement algorithmique en matière de criminalité organisée, prévue par l'article 8, nous semble de bon aloi. Sa mise en oeuvre supposera évidemment une implication renforcée de la DPR, dont les membres proposent par ailleurs de préciser ses modalités.

M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi et de la proposition de loi organique, rapporteur. - Je voudrais dire un mot sur les modalités d'élaboration, assez inhabituelles, de ces propositions de loi. Plusieurs gouvernements successifs ont en effet consenti à ce que nous modifiions par la voie parlementaire des sujets d'une importance majeure qui touchent au coeur des missions de l'État. Cela nous a conduits à une démarche de coconstruction, qui prend appui sur le travail de la commission d'enquête. Nous avons procédé à des modifications point après point, dans des domaines d'une grande technicité. Dans le travail qui s'ouvre à présent, nous devrons veiller à maintenir l'équilibre toujours précaire entre sécurité et les libertés ; il nous faudra nous assurer que des mesures aux effets potentiellement puissants, en particulier en matière d'enquêtes, se cantonnent au strict domaine de la criminalité organisée et qu'elles ne tombent pas dans le droit commun.

Le titre IV de la proposition de loi porte plusieurs mesures visant à améliorer notre arsenal pénal, notamment pour mieux lutter contre le narcotrafic dans l'espace numérique.

L'article 9 permet d'élargir la définition et de renforcer la sanction de l'infraction de participation à une association de malfaiteurs, qui pourra désormais être punie d'une peine criminelle lorsque les infractions préparées sont des crimes. Sur cet article, nous irons au bout de cette logique en vous présentant un amendement qui vise à inscrire dans notre droit, sur le modèle de la législation italienne « antimafia », une nouvelle infraction caractérisée par la simple appartenance à une organisation criminelle, afin de mieux appréhender la diversité des modes d'action et de fonctionnement de ces groupes.

Les articles 10 et 12 visent, quant à eux, à renforcer nos moyens d'action et de répression devant le phénomène d'ubérisation, bien mis en évidence par la commission d'enquête et qui contribue à expliquer le développement tentaculaire du narcotrafic sur l'ensemble de notre territoire.

Ces articles, que nous vous proposerons d'adopter, permettront d'abord de mieux caractériser et de sanctionner l'infraction consistant à publier sur une plateforme accessible aux mineurs, notamment sur les réseaux sociaux, une offre de recrutement dans le narcotrafic.

Ils permettront également d'étendre aux stupéfiants, les prérogatives dont dispose aujourd'hui la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) pour demander le retrait, le blocage d'accès à internet et le déréférencement de contenus à caractère terroriste ou pédopornographique.

L'article 11 vise à adapter notre cadre judiciaire pour mieux lutter contre le phénomène des « mules ». À cette fin, il prévoit une mesure d'« hyper-prolongation » de leur garde à vue, de façon à permettre l'expulsion totale des substances ingérées. Il prévoit également la possibilité pour les juridictions de prononcer à leur endroit des peines complémentaires d'interdictions de vol ou de paraître dans les aéroports, afin de rendre ces personnes, pour leur protection, « inemployables » par les narcotrafiquants. Les amendements que nous vous proposerons sur ces articles tendent à les sécuriser juridiquement, en les encadrant davantage, notamment pour prévoir une durée maximale de 120 heures de la garde à vue ainsi prolongée.

Le titre V concerne la procédure pénale.

À l'article 13, les auteurs de la proposition de loi souhaitaient, pour écarter tout risque de pression sur les jurés, consacrer la compétence d'une cour d'assises composée de magistrats professionnels non seulement pour les infractions de narcotrafic, comme le prévoit déjà le droit en vigueur, mais aussi pour les infractions connexes. Nous vous proposerons d'aller plus loin en rendant la cour d'assises spécialement composée compétente pour l'ensemble des crimes commis en bande organisée, en pleine cohérence avec la création du Pnaco.

L'article 14 traite d'un sujet complexe, celui des « repentis ». On désigne par ce terme les collaborateurs de justice, c'est-à-dire les délinquants qui bénéficient d'une réduction de peine après avoir dénoncé leurs complices ou permis de faire cesser la commission d'une infraction. Le statut de ces « repentis » est reconnu par tous comme insuffisant, ainsi que l'a révélé la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic et que l'ont confirmé nos auditions. La proposition de loi prévoit une vaste réforme, à laquelle notre amendement vient apporter deux modifications.

D'une part, nous vous proposerons des mesures qui amplifient les effets du texte initial : il s'agira notamment de l'élargissement du champ matériel du « repentir » au trafic d'armes, ou encore de l'allégement de la procédure permettant aux repentis de bénéficier de certaines mesures de protection.

D'autre part, nous souhaitons mettre en place une véritable immunité de poursuites pour les délinquants dont les déclarations permettent de faire « tomber » un grand nombre de malfrats ou d'éviter la commission d'infractions extrêmement graves. La rédaction que nous vous soumettrons, inspirée du droit britannique, est assortie de garde-fous importants, comme un avis conforme d'une commission indépendante ou encore un monopole des magistrats spécialisés pour octroyer l'immunité.

L'article 15 concerne l'anonymat des policiers et des gendarmes affectés dans les services chargés de lutter contre la criminalité organisée. La réécriture que nous vous proposons est principalement formelle ; notre amendement permet par ailleurs d'étendre le régime envisagé aux douaniers et aux agents de l'État qui prennent en charge la lutte contre le trafic en haute mer.

Après l'article 15, nous présenterons un amendement destiné à permettre aux officiers de police et de douane judiciaires agissant sous identité d'emprunt - par exemple les infiltrés - de recourir à des hypertrucages, ou deep fakes, afin de dissimuler leur voix et leur apparence physique.

L'article 16, relatif au procès-verbal distinct, donnera certainement lieu à des débats nourris. Nos auditions nous ont convaincus de la nécessité de maintenir ce dispositif, essentiel pour protéger à la fois l'identité des personnes menacées - témoins, infiltrés, informateurs - et le fonctionnement de techniques d'enquête qui, s'il était rendu public, priverait les enquêteurs de toute possibilité de déployer les techniques concernées. Nous aurons l'occasion d'en débattre de manière plus approfondie au cours de l'examen des amendements ; sachez toutefois que nous vous proposerons des modifications qui permettent, à nos yeux, d'atteindre le juste équilibre entre la nécessaire confidentialité de certaines informations et la pleine garantie des droits de la défense.

L'article 17 concerne la notion d'« incitation à la commission d'une infraction », mieux connue sous le vocable de « provocation à l'infraction ». Aujourd'hui, la loi ne définit pas ce qu'est une provocation, ce qui est un problème à la fois pour les justiciables et pour les policiers agissant sous identité d'emprunt. L'article 17 prévoyait une définition très permissive, allant jusqu'à envisager que les infiltrés soient autorisés à inciter des tiers à la commission de certaines infractions. Pour écarter tout risque de censure constitutionnelle, nous vous proposerons de ne pas retenir ce point, mais de conserver l'idée selon laquelle on ne provoque pas la commission d'une infraction lorsque l'on ne fait que contribuer à la poursuite d'un délit déjà préparé ou engagé. Cette précision n'a rien d'anecdotique : elle sera un gage de sécurité juridique pour les services d'enquête.

L'article 18 porte sur les « coups d'achat », c'est-à-dire sur la faculté que la loi donne aux policiers et aux gendarmes d'acquérir des produits stupéfiants pour mettre au jour les réseaux de narcotrafic. Les évolutions envisagées vont dans le bon sens ; nous vous proposerons deux amendements permettant d'en accroître la portée.

L'article 19 traite d'un sujet sensible, à savoir le statut des informateurs - ou « indicateurs » - et des officiers qui interagissent avec eux. Sans nous interdire d'autres évolutions en vue de la séance publique, nous avons surtout souhaité préciser les conditions de l'« infiltration civile », dont la création est envisagée dans la proposition de loi.

Cette nouvelle forme d'infiltration permettrait aux informateurs, sur autorisation du Pnaco, de devenir les yeux et les oreilles de la police dans les réseaux criminels qu'ils fréquentent, en échange d'une rétribution ou d'une réduction de peine. On nous a fait valoir, au cours des auditions, que ce système pouvait être utilisé par des délinquants pour faire « tomber » la concurrence. En effet, les informateurs ne sont pas des anges et on ne peut pas exclure qu'ils tentent de manipuler la police. Pour parer à ce risque, nous vous proposerons d'imposer aux « infiltrés civils » de témoigner de ce qu'ils auront constaté et de prévoir que, s'ils refusent, ils perdront les avantages qui auront pu leur être promis ou consentis.

L'article 20 vient réformer le régime des nullités de procédure. Les nullités ne sont jamais dolosives : elles sont prononcées lorsqu'une formalité substantielle a été violée, donc lorsqu'il y a eu une atteinte aux droits de la personne mise en cause. À l'inverse, et comme la commission d'enquête l'a montré, il peut y avoir un usage déloyal de la procédure de traitement des nullités, c'est-à-dire la présentation de requêtes aux seules fins de saturer les chambres de l'instruction. Dans ce contexte, l'article 20 prévoit qu'une nullité ne pourra pas procéder d'une négligence ou d'une manoeuvre de la partie qui la soulève : ce n'est qu'un simple rappel du principe de loyauté.

Nous vous proposerons de maintenir, à ce stade, cette disposition. Nous vous présenterons par ailleurs un amendement visant à modifier la procédure d'examen des requêtes en nullité afin de prévenir tout dévoiement, sans pour autant porter atteinte aux droits des parties : il s'agit de limiter à trois mois le délai pour présenter des requêtes au cours d'une instruction judiciaire, de donner une force opposable à la transmission - déjà prévue par la loi - d'une copie de la requête au juge d'instruction et, enfin, de mettre en place un délai de cinq jours avant l'audience pour la présentation d'une requête en nullité.

L'article 21 étend les compétences de la justice française pour lutter contre le narcotrafic en haute mer. L'amendement que nous vous proposerons tend à en circonscrire la portée, pour assurer sa conformité aux normes internationales.

Les dispositions du dernier titre, le titre VI, visent à juguler l'emprise du narcotrafic sur les institutions, les prisons et dans les territoires.

L'article 22 porte une série de mesures visant à renforcer les moyens juridiques de la politique de lutte contre la corruption dans les administrations sensibles ainsi que dans les ports et aéroports, la pénétration des infrastructures de transport revêtant un caractère éminemment stratégique pour le trafic. À cette fin, il prévoit principalement la mise en place dans ces structures de points de contact uniques de signalement, une extension des mesures de criblage administratif préalable aux décisions concernant leurs agents et un dispositif de communication aux employeurs, par le ministère public, des décisions de condamnation ou de mise en examen les concernant. Les propositions que nous vous ferons tendront à améliorer le ciblage de ces mesures, soit pour les encadrer davantage, soit pour les renforcer de façon proportionnée eu égard à l'état de la menace.

Pour garantir la proportionnalité de l'article 23, nous vous présenterons un amendement substituant au doublement proposé de la durée de la détention provisoire en matière délictuelle, une augmentation de la durée du mandat de dépôt initial lorsque les faits relèvent de la délinquance organisée. Sur le sujet crucial de la sécurisation des demandes de mise en liberté, nous vous proposerons également plusieurs modifications procédurales supplémentaires visant à prévenir les libérations anticipées pour des motifs exclusivement procéduraux.

À l'article 24 enfin, il nous apparaît souhaitable de dissocier les dispositifs d'interdiction de paraître et d'expulsion locative, et de rehausser les garanties associées. En ce qui concerne l'expulsion locative, l'intervention de l'autorité judiciaire est évidemment indispensable. Nous vous présenterons un amendement en ce sens.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Merci aux deux rapporteurs pour leur considérable travail d'amélioration de la proposition de loi, qui aboutit, au moins formellement, à un résultat remarquable. Il me semble d'ailleurs curieux qu'il ait fallu que ce soit le Parlement qui se saisisse du sujet du narcotrafic, lequel, à l'évidence, mobilise l'ensemble de la société et des élus.

Des points ne figurent pas dans la proposition de loi, et j'en comprends la raison. Il nous faudra cependant un jour traiter des questions de santé publique, des consommateurs de stupéfiants et de la prévention.

De plus, nous savons que sans moyens budgétaires supplémentaires, nos propositions ne suffiront pas. Le procureur général près la Cour de cassation a, lors de la dernière rentrée solennelle de la juridiction, parlé d'embolie et évoqué les centaines de dossiers, y compris criminels, qui demeurent en attente d'audiencement ainsi que, dans ce contexte, les possibilités de mise en liberté avant jugement. Il nous faudra insister sur cet aspect et nous prémunir contre la tentation de compenser un manque de moyens par des réformes de procédure pénale.

À ce stade, le groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER) a déposé fort peu d'amendements. Nous formulerons sans doute des remarques, voire exprimerons des désaccords sur certains points, mais nous portons un regard globalement positif, quoique vigilant, sur ce texte.

M. Guy Benarroche. - Je salue le travail considérable que la commission d'enquête a effectué. Chacun présageait la teneur du bilan qu'elle a dressé, mais celui-ci ne s'en impose pas moins, soulignant le caractère central que le narcotrafic occupe dans notre société et la nécessité de mobiliser contre lui d'importants moyens.

La commission d'enquête a montré que les politiques menées jusqu'à présent, fondées essentiellement sur les chiffres, les saisies sur de petits dealers ou leur arrestation et des opérations sur la voie publique, à grand renfort de communication, avaient empêché de mener un travail efficace de lutte contre le narcotrafic et contre son emprise sur notre société. Elle a également montré que le narcotrafic, qui s'affranchit de toutes limites, est le nec plus ultra de la société capitaliste libérale mondialisée et que ses méthodes, en particulier d'évasion fiscale, font figure d'exemples pour d'autres secteurs d'activité, comme ceux de l'agroalimentaire ou de la distribution d'énergie.

S'il a été souligné que la lutte contre le narcotrafic devait faire l'objet d'une grande campagne nationale menée par l'État, la proposition de loi que nous examinons n'apporte qu'une réponse très partielle. Elle constituera certes un nouvel outil de cette lutte, mais un outil insuffisant. Rien n'y traite de la prévention, elle ne contient aucun plan pour les banlieues, c'est-à-dire aucune mesure permettant de préserver le « bas du spectre », la « réserve salariale ou prolétaire » - immense, car constituée de tous les précaires - d'une entrée dans le narcotrafic. Elle ne traite ni du volet sanitaire - cela impliquerait de se préoccuper des consommateurs, en particulier de ceux qui sont en situation d'addiction - ni du volet social - rappelons que les familles des victimes du narcotrafic, qui en sont aussi souvent des acteurs, formulent de nombreuses demandes ayant, par exemple, trait à l'habitat.

Le groupe Écologiste - Solidarité et territoires défendra néanmoins la plupart des mesures prévues dans la proposition de loi, tout en veillant au respect des libertés individuelles. Nous avons d'ores et déjà déposé un certain nombre d'amendements et nous en déposerons le cas échéant d'autres en séance en fonction des choix que la commission retiendra. Je regrette ici l'ajout d'un dernier article relatif à l'interdiction de paraître et à l'expulsion locative, qui, outre qu'il ne correspond nullement aux préconisations de la commission d'enquête et est totalement inopérant, me paraît attentatoire aux libertés. Nous ferons tout notre possible pour qu'il soit supprimé.

Mme Cécile Cukierman. - Je salue à mon tour la contribution des rapporteurs et observe que le travail collectif porte ses fruits. Cette méthode de travail n'est peut-être pas transposable à tous les textes, mais elle est à souligner à un moment où la vie démocratique de notre pays est fragilisée et où l'urgence du sujet commande d'agir et d'apporter des réponses.

Notre pays, comme tant d'autres en Europe et dans le monde, n'échappe pas au défi qu'impose le narcotrafic. Mais à la différence de certains autres pays qui ont déjà basculé dans d'immenses difficultés - ayons à l'esprit la situation qui a conduit le maire de Rotterdam à démissionner -, il a su maintenir des digues face à ce phénomène.

J'insisterai plus particulièrement sur trois points.

En premier lieu, j'entends l'argument d'efficacité du travail législatif qui suggérerait de circonscrire nos débats. Cependant, le narcotrafic qui, dans certaines communes, gangrène des quartiers entiers et touche nombre de familles repose sur bien d'autres réalités que celles que la proposition de loi aborde. C'est d'abord un enfant à qui l'on propose de respirer des fioles de protoxyde d'azote en échange d'une petite surveillance ou d'une petite indication ; puis à l'âge du collège, le service est rendu contre une cigarette transformée avec des substances totalement illicites. Ces pratiques ne coûtent guère au narcotrafic, mais lui rapportent beaucoup. Les maires des communes particulièrement confrontées à ce fléau le savent et refusent de distinguer les causes qui alimentent le narcotrafic. Ne pas retenir la même approche reviendrait à se nourrir d'une illusion.

En second lieu, il est un écueil que nous voulons éviter, et nous y serons vigilants. Les professionnels de notre pays, qu'ils soient avocats, agents pénitentiaires, douaniers, dockers ou contrôleurs dans les aéroports, représentent, dans leur grande majorité, un atout dans la lutte contre le narcotrafic, en première ligne de laquelle ils se trouvent souvent et dont ils sont aussi parfois les premières victimes - je pense au drame survenu il y a quelques années dans le port du Havre. Ne généralisons donc pas dans nos propos et notre travail la fréquence de comportements certes pernicieux, mais qui demeurent des exceptions.

Enfin, devant un trafic de stupéfiants d'envergure mondiale, nous ne pouvons que nous interroger sur nos relations diplomatiques empreintes de permissivité avec plusieurs États qui sont des lieux de production des matières premières de produits détruisant les vies de nombre de nos concitoyens.

M. André Reichardt. - Je m'associe aux félicitations adressées tant à la commission d'enquête qu'aux auteurs de la proposition de loi et aux rapporteurs.

Je m'interroge sur la méthode retenue pour nos travaux, qui concernent un sujet des plus transversaux : n'y aurait-il pas eu lieu de créer une commission spéciale sur cette thématique décisive, pour aller plus loin dans l'étude, ou à tout le moins de solliciter l'avis d'autres commissions ? À titre d'exemple, il n'est pas certain que la commission des lois soit la mieux à même de traiter des techniques mises en oeuvre dans le blanchiment des revenus issus du narcotrafic, objets du titre II du texte ; la commission des finances aurait pu s'en saisir. La commission des affaires économiques aurait également pu utilement intervenir.

M. Marc-Philippe Daubresse, président. - Ces deux commissions ne l'ont pas demandé.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est dommage !

M. Marc-Philippe Daubresse, président. - Pour autant, de prochains travaux de contrôle approfondiront le sujet et nos débats. La question de la coordination entre Ofast et les autres services de police se trouve notamment posée. La situation actuelle rappelle celle qui avait prévalu au moment de la création du parquet antiterroriste et du développement d'un nouvel arsenal dans la lutte contre le terrorisme.

M. André Reichardt. - La commission des affaires européennes aurait également pu traiter de la question du blanchiment. Une prochaine proposition de résolution européenne (PPRE) dont je serai le rapporteur vise précisément à examiner la possibilité de créer un fichier européen inspiré du fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba).

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je remercie très sincèrement Étienne Blanc et Jérôme Durain du travail qu'ils ont réalisé afin de répondre à un problème majeur pour notre pays. L'enjeu en dépasse les clivages politiques.

Avant de poser la question des moyens disponibles, posons-nous celle de la volonté. Le présent texte affiche assurément une réelle volonté de prendre le problème à bras-le-corps et, à partir de ce constat, reconnaissons qu'il faudra des moyens pour y parvenir.

Je pense aux millions de personnes qui subissent au quotidien le narcotrafic et les effets du blanchiment d'argent. Nous avons parfois tendance à les oublier dans nos prises de parole politiques ou intellectuelles. La notion de liberté individuelle est certes au coeur de notre sujet quand autant de nos concitoyens, qui n'ont d'autre solution que de rester là où ils vivent, n'entrent ou ne sortent plus à leur guise de leur immeuble ni ne se déplacent sans crainte dans leur quartier. Ils vivent l'enfer et le blanchiment d'argent ne renvoie pas uniquement à la situation de grands narcotrafiquants fortunés. Soyons à la hauteur de l'espoir que nos concitoyens retrouveront peut-être avec ce texte.

Enfin, n'oublions pas qu'il existe derrière le narcotrafic un véritable problème de santé publique : les gamins qui, dans les quartiers, consomment du cannabis avec des taux de tétrahydrocannabinol (THC) désormais effarants deviennent rapidement des cas psychiatriques et vont très mal.

Mme Corinne Narassiguin. - Je précise que le groupe SER a déposé sur le titre Ier un amendement qui nous paraît important. La recommandation initiale de la commission d'enquête d'instaurer un Pnast, répondant à la nécessité d'une meilleure coordination du travail des services judiciaires et d'enquête, n'est pas suffisante. Lui substituer un Pnaco correspondrait davantage à la réalité des liens que le trafic de stupéfiants entretient avec d'autres trafics, avec les réseaux de blanchiment et avec la corruption.

Cependant, notre idée ne consiste en aucun cas à tout centraliser à Paris. Il conviendra de s'assurer de la plus-value du travail de coordination nationale et interrégionale du Pnaco par rapport à l'actuelle juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), de ne pas désarmer les Jirs et, au contraire, de les renforcer, voire d'en augmenter le nombre.

Enfin, il est important de rappeler que ceux qui se laissent prendre dans l'engrenage du blanchiment et de la corruption ne nourrissent pas tous des intentions criminelles ; il peut aussi s'agir de personnes victimes de pressions ou de menaces. L'efficacité de notre travail législatif commande que nous appréhendions également la question sous cet angle.

M. Hussein Bourgi. - Je remercie Étienne Blanc, Jérôme Durain et Muriel Jourda de leur travail.

Depuis quelques années, la France connaissait le fléau du narcotrafic. Les Français assistaient médusés, inquiets ou parfois incrédules, aux règlements de comptes, homicides et balles perdues qui fauchaient des innocents. Ils pouvaient avoir l'impression que le rôle des ministres se cantonnait à commenter cette triste actualité. Il a fallu que le Sénat s'empare du sujet pour qu'un début de prise en considération de ce problème se fasse jour sur le plan politique.

La proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise vise à adapter notre droit à la situation, à doter nos pouvoirs et services publics d'outils nouveaux.

Je pense tout particulièrement à nos maires, car, désormais, le deal concerne aussi bien les petites communes rurales que les grandes villes. Ainsi, dans l'Hérault, on voit, à la nuit tombée, dans des communes de 200 ou 300 habitants, les parkings des caves coopératives devenir des points de deal, du fait de leur position le long de la route nationale. On y observe le ballet de véhicules de personnes bien installées dans la vie qui, en rentrant de leur travail, font un crochet afin d'acheter, au vu et au su de tout le monde, leur consommation de produits stupéfiants. Telle est aujourd'hui la réalité du narcotrafic.

Le narcotrafic, c'est aussi le blanchiment et la corruption. Ils ne concernent peut-être qu'une minorité de personnes, mais je n'accepte plus le déni et le corporatisme de certaines professions. Il suffit de consulter la presse, y compris aujourd'hui même, pour constater que toutes les professions sont concernées, des plus subalternes aux plus élevées, fussent-elles éminemment respectables.

C'est donc une guerre transversale qu'il faut mener, à la fois contre les dealers et contre ceux qui se laissent corrompre. Tous les outils que nous créerons en ce sens au service des maires et des préfets seront les bienvenus. Je pense notamment aux mesures de fermeture administrative, qu'ils nous demandent. À Montpellier, il n'existe pas moins de 200 épiceries de nuit : leurs rayons sont vides ou aux trois quarts remplis de bouteilles d'alcool, et ce que l'on présente ordinairement comme des entreprises personnelles ou familiales est en réalité de grandes « blanchisseuses » industrielles. Sortons aussi de ce déni ! Quand on se rend à 2 ou 3 heures du matin dans ces « épiceries », ce n'est pas pour y acheter un pot de moutarde ou du sel !

Cependant, tout ce que nous pourrons voter n'aura de sens que si l'État accorde des moyens supplémentaires à la police et à la justice.

Concernant la dimension sanitaire, préventive et éducative, nous ne pouvons que constater qu'elle fait défaut dans le texte que nous examinons. Ce n'est cependant pas son objet, et un autre texte pourra opportunément y être consacré. Attachons-nous aujourd'hui à la lutte contre le narcotrafic et à sa répression !

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - J'ai, pour ma part, interrogé le président de la commission des affaires sociales sur l'aspect sanitaire et de prévention que nous n'étudions pas parce qu'il ne relève pas de notre périmètre d'intervention et de notre compétence principale, à savoir le droit pénal. De nombreux travaux ont apparemment déjà été menés sur cet aspect que l'on ne saurait certes négliger, et peut-être conviendra-t-il que la commission des affaires sociales les réactive.

Je suis d'accord sur le fait que nul n'est à l'abri de la corruption. C'est d'ailleurs elle qui, avec la menace, fait plonger des États sous la coupe du narcotrafic. Elle rend inutile l'État de droit, en conduisant à l'inapplication des textes que l'on peut adopter.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'ensemble des groupes politiques du Sénat ont été associés aux travaux de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France, dont l'effectif comprenait 23 sénateurs, avec un niveau de participation important.

Il est par ailleurs exact que la question des moyens s'avère centrale et on mesure bien les conséquences de logiciels métiers qui ne fonctionnent pas correctement dans les services de police ou dans les juridictions. Gardons-nous cependant de penser que des moyens supplémentaires résoudraient tout ou que certains des outils que nous proposons ont pour objet de compenser une insuffisance de ces moyens. Nous avons réellement besoin d'outils nouveaux dans la procédure et les investigations. Nous sommes, par exemple, complètement déclassés en matière numérique.

Assurément, maintenir dans notre travail législatif, avec l'élan que nous lui donnons, l'esprit transpartisan de la commission d'enquête revêt un sens démocratique et orientera la suite du parcours du texte que nous examinons. Aller trop loin sur le périmètre de la proposition de loi nous conduirait à des sujets de désaccord, par exemple sur les aspects sanitaires et sur la consommation. Nous répondons ici à une urgence qu'il faut traiter, celle de la répression, sans préjudice d'un futur travail sur d'autres aspects liés au narcotrafic.

Des mesures telles que l'interdiction de paraître et l'expulsion locative suscitent la désapprobation. Pourtant, dans mes échanges avec les élus locaux, je constate que, quelle que soit leur sensibilité politique, des mesures leur paraissent assez naturelles qui passent ici pour particulièrement dérogatoires au droit commun.

Deux sujets sont centraux : d'une part, la symétrie à rétablir entre les moyens de la puissance publique, sa capacité d'action, et ceux des narcotrafiquants, et, d'autre part, la protection. Or des mesures qui semblent quelque peu privatives de liberté sont aussi source de protection pour des personnes enfermées dans une économie de la dette, où elles sont autant victimes qu'actrices.

Enfin, il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur certaines professions. Le risque de corruption, sous ses deux volets - l'appât du gain et la menace -, est tangible partout. Notre premier devoir à cet égard était celui de la lucidité. Il nous faut à présent permettre à chacun, à chaque profession, à chaque corps constitué et à chaque administration de se protéger effectivement contre la pression du narcotrafic.

M. Marc-Philippe Daubresse, président. - Au titre de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer que le périmètre du texte de la proposition de loi comprend les dispositions relatives à l'organisation et aux prérogatives des services publics régaliens en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée, la lutte contre le blanchiment, le renseignement administratif en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée ainsi que les liens entre les services de renseignement et l'autorité judiciaire dans le même domaine, le recueil de renseignements au cours des enquêtes pénales relatives à des infractions de délinquance ou de criminalité organisée, la lutte contre le trafic de stupéfiants dans l'espace numérique, la répression pénale de la criminalité organisée ainsi que la procédure pénale et l'organisation judiciaire dans le même domaine, le régime des nullités en procédure pénale, la lutte contre la corruption liée à la délinquance et à la criminalité organisées, la compétence extraterritoriale des autorités françaises en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, enfin le régime de privation de liberté des personnes détenues pour des faits de criminalité organisée ainsi que les mesures de sécurisation des établissements et de l'action des personnels de l'administration pénitentiaire.

Il en est ainsi décidé.

PROPOSITION DE LOI VISANT À SORTIR LA FRANCE DU PIÈGE DU NARCOTRAFIC

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Olivier Bitz. - Avec l'amendement de suppression COM-21, je souligne que l'article 1er relèverait davantage du domaine réglementaire que de la loi. Il ne s'agit donc nullement de remettre en cause l'existence de l'Ofast. Je m'interroge néanmoins quant à son autorité sur les services de renseignement, laquelle me paraît des plus hypothétiques.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - On ne peut envisager de boîte à outils sans une bonne coordination entre eux. Ici, la dimension législative de la disposition tient à l'identification des deux chefs de file pour les enquêtes relatives au « haut du spectre », avec l'Ofast du côté des forces de sécurité intérieure et le Pnaco du côté judiciaire, ainsi qu'au partage du renseignement, qui nécessite un tel ancrage législatif. L'avis est défavorable.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pour appuyer le propos du rapporteur, nous constatons que c'est le Parlement qui assure le travail d'élaboration d'un socle normatif destiné à lutter contre le narcotrafic. Peut-être les ministères ne font-ils d'ailleurs pas montre de beaucoup d'allant sur certains aspects de ce travail. Gardons la main et maintenons cet article 1er !

M. Francis Szpiner. - Comment peut-on concevoir que l'Ofast ait autorité sur la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), y compris dans le domaine spécifique dans la lutte contre le narcotrafic ? Cela supposerait d'habiliter l'ensemble des agents de l'Office au secret défense. Par ailleurs, comment en contrôlera-t-on les choix et décisions ? À vouloir trop étendre les possibilités, nous risquons d'aboutir à un dispositif paralysant. Je soutiens l'amendement.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Notre objectif est de conférer à l'Ofast non pas une autorité, ...

M. Francis Szpiner. - C'est ce que vous avez écrit !

M. Jérôme Durain, rapporteur. - ... mais une capacité de coordination sur l'ensemble des services.

M. Francis Szpiner. - Ce n'est pas la même chose !

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Nous entendons votre argument et tâcherons de vous proposer, en vue de la séance publique, une rédaction qui prenne en compte vos remarques. Pour l'heure, nous maintenons notre avis sur l'amendement COM-21.

M. Philippe Bas. - Francis Szpiner a raison et l'amendement est justifié. Le texte de l'article énonce en effet que l'Office « a autorité sur l'ensemble des services [...] de renseignement ». Or la mission de ces services de renseignement n'est pas de la même nature qu'une mission d'enquête dans le cadre d'un crime ou d'un délit. La modification proposée touche en réalité à l'organisation du renseignement en France.

M. Marc-Philippe Daubresse, président. - Nous pourrons revenir sur cette question en séance.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ne pourrions-nous pas plutôt nous entendre dès à présent sur la réécriture de l'article ?

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Soyons clairs sur les différents enjeux en présence. L'amendement concerne la nature législative ou réglementaire du dispositif inscrit à l'article1er de la proposition de loi. Nous pensons que ce dispositif est d'ordre législatif, notamment du fait de la mise en place d'une double tutelle, et il appartient désormais à la commission de trancher ce point. Nos collègues Francis Szpiner et Philippe Bas se demandent si la rédaction proposée convient pour ce qui concerne le renseignement. Je conviens que le texte de la proposition de loi, que nous n'avons pas à ce stade modifié, n'est pas opportune et sans doute excessive. Le Gouvernement ne manquera d'ailleurs certainement pas de nous le signaler, car le sujet est éminemment sensible. Je vous propose que nous nous en tenions à ce stade au texte présenté par les rapporteurs et que nous réfléchissions à une nouvelle rédaction de l'article d'ici à la séance.

L'amendement COM-21 n'est pas adopté.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Les amendements COM-54 et COM-44 concernent la tutelle de l'Ofast.

Notre amendement COM-54 prévoit une tutelle des deux ministères impliqués dans le renseignement, le ministère de l'intérieur ainsi que celui de l'économie et les finances, avec respectivement Tracfin et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), ou une coordination plus étroite entre eux, susceptible, selon nous, d'aboutir à de meilleurs résultats opérationnels, comme cela a pu être le cas en matière de lutte contre le terrorisme.

Le second amendement, de notre collègue Corinne Narassiguin, de leur adjoindre le ministère de la justice ne nous paraît pas opportun, car, en application des règles de droit commun de la procédure pénale, la direction et la supervision des enquêtes relèvent déjà d'un magistrat. Avec l'article 1er, la préoccupation porte sur l'organisation des forces de sécurité intérieure et la répression. Le volet judiciaire est traité avec le Pnaco.

Mme Corinne Narassiguin. - C'est parce que nous sommes favorables à la création d'un Pnaco qu'il nous semblait important de préciser que la tutelle du ministère de la justice sur les travaux de l'Ofast devait être au même niveau que celle des deux autres ministères.

M. Francis Szpiner. - Je suis favorable à l'amendement COM-44 parce que les offices centraux de la DNPJ sont composés d'officiers de police judiciaire (OPJ), lesquels exercent leurs fonctions sous la direction et le contrôle des magistrats. Tant sur le plan de l'équilibre général du système que du point de vue de l'effet d'annonce, tenir le ministère de la justice à l'écart du fonctionnement de l'un de ces offices me paraît regrettable.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - On ne peut à la fois affirmer la nécessité d'une coordination générale entre toutes les autorités et structures impliquées dans la lutte contre le trafic de stupéfiants et en écarter d'emblée le futur Pnaco, qui doit être un acteur majeur de cette lutte. Si l'amendement COM-44 n'est pas adopté, nous redéposerons un amendement analogue, car il est nécessaire à la cohérence du texte.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Nous avons à l'esprit que l'on ne peut être à la fois juge et partie. La justice contrôle les services d'enquête. Le lien organique entre justice et services répressifs s'établit dans les relations entre le Pnaco et l'Ofast, et nous atteignons ainsi, par un moyen différent, l'objectif que vous recherchez.

L'amendement COM-54 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-44 devient sans objet.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-55 vise à préciser le champ de compétences qui serait confié à l'Ofast en matière de police judiciaire, en coordination et en cohérence avec le champ de compétences exclusif du Pnaco que nous vous proposerons de définir à l'article 2. L'idée consiste à le recentrer sur les infractions les plus graves, c'est-à-dire sur les enquêtes judiciaires liées à la direction d'un groupe de narcotrafiquants, ainsi que sur des affaires de meurtre, tortures ou actes de barbarie commis en bande organisée. Lorsque ces affaires sont en lien avec le narcotrafic, le Pnaco saisirait systématiquement l'Ofast. Ce périmètre plus restreint nous semble mieux dimensionné que le monopole sur l'ensemble des affaires criminelles, tel qu'il était initialement prévu par l'article 1er.

L'amendement COM-55 est adopté.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement COM-17 rectifié visant à simplifier les transmissions de renseignements.

L'amendement COM-17 rectifié est adopté.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-56 prévoit une entrée en vigueur différée de trois mois de l'article 1er, afin de tenir compte de la réalité opérationnelle des services. Ces propositions de réorganisation de nos administrations ne sont en effet pas sans conséquence sur leur structuration et leur organisation. Il convient de leur laisser le temps de mettre en place la réforme. Par parallélisme, nous proposerons la même solution pour l'article 2.

L'amendement COM-56 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Le sous-amendement COM-18 rectifié bis à l'amendement COM-57 vise à habiliter le Pnaco à recevoir les informations que voudront lui envoyer, de leur initiative, les services de renseignement. Il s'inscrit indéniablement dans le sens de l'affirmation de la nouvelle structure comme chef de file. L'avis est favorable.

Les auditions que nous avons menées ont démontré l'existence de liens forts, voire inextricables, entre le narcotrafic et les autres formes de criminalité organisée, et nous avons à plusieurs reprises entendu dire que le narcotrafic était « l'infraction mère », la matrice de la criminalité organisée. Nous constatons d'ailleurs que les organisations criminelles qui le dirigent se placent dans une logique de diversification commerciale : extorsions, blanchiment, vol de véhicules, corruption, atteintes aux personnes, etc. Dans ces conditions, l'idée d'un Pnast semblait ne pas correspondre à la réalité du trafic ni à celle de son évolution. À titre d'exemple, la DZ Mafia se dirige de plus en plus vers des opérations d'extorsion. Par cohérence, il nous a semblé utile de proposer, avec l'amendement COM-57, un Pnaco.

En conséquence, nous supprimons la Junalco, à laquelle le Pnaco se substitue. Ce dernier aura pour compétence le spectre haut de la criminalité organisée, à l'exception des infractions qui relèvent déjà d'autres parquets nationaux, le PNF et le Pnat, avec un monopole sur les infractions criminelles les plus graves.

Notre rédaction fixe également les modalités d'exercice par le Pnaco de ses nouvelles compétences et les règles applicables en matière de jugement et d'appel.

Il ne s'agit cependant pas de substituer une organisation sommitale à l'organisation décentralisée des Jirs. Il s'agit au contraire d'éviter la dévitalisation des Jirs, en les mobilisant sur le niveau de compétence qui est le leur, tout en se prémunissant contre les risques d'incohérences dans le traitement de certains dossiers. À l'occasion des travaux de la commission d'enquête, nous avons, par exemple, constaté que des tribunaux se réservaient des affaires en raison de l'intérêt qu'elles présentaient pour eux, mais contre la logique de ramifications criminelles qui s'étendaient bien au-delà de leur ressort. Nous avons aussi vu que des Jirs ne se saisissaient pas de dossiers pourtant particulièrement importants. Il importe qu'une autorité intervienne pour arbitrer entre ce qui relève d'un traitement local ou d'un niveau supérieur.

L'amendement inscrit également dans la loi le principe de la « double information » des parquets locaux et des Jirs, d'une part, et des Jirs et du Pnaco, de l'autre, de façon que chaque juridiction connaisse parfaitement la réalité de la criminalité qui la concerne et puisse faire jouer son pouvoir d'évocation. L'attaque, le 14 mai dernier, d'un fourgon pénitentiaire à Incarville, le jour de la remise par la commission d'enquête de son rapport, portait la marque du défaut d'informations croisées entre les administrations. Il nous faut mieux organiser la circulation de l'information.

M. Guy Benarroche. - Les implications financières du narcotrafic étant bien connues, et comme il existe déjà un parquet national financier, de quelle manière la répartition des affaires entre les deux parquets nationaux s'effectuera-t-elle ?

Par ailleurs, avons-nous bien mesuré toutes les conséquences de la création du Pnaco pour les détenus, les avocats, et les coûts supplémentaires qu'elle pourrait engendrer ?

Enfin, on aura beau améliorer la coordination en créant le Pnaco, si les Jirs ne sont pas plus nombreuses et plus opérationnelles, rien ne changera. Pour tout cela, il faut des moyens supplémentaires.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous sommes favorables à la transformation du Pnast en Pnaco. Mais ce dernier aura-t-il une compétence exclusive ou une compétence concurrente ? Aura-t-il un pouvoir hiérarchique ? Je ne suis pas certaine d'avoir parfaitement compris l'architecture retenue.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - La construction que nous proposons vise précisément à renforcer les Jirs, qui, aujourd'hui, ne sont parfois même pas informées des affaires qui les concernent.

Le Pnaco a vocation à mettre de l'huile dans les rouages. Il ne disposera pas d'un pouvoir hiérarchique, mais d'un pouvoir de coordination ainsi que d'un monopole pour les affaires criminelles du haut du spectre. Il aura aussi vocation à servir de tour de contrôle sur des sujets particuliers, par exemple dans les relations avec les pays étrangers en matière d'entraide pénale. Il aura, en outre, une fonction d'incarnation.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ses pouvoirs seront donc moins étendus que ceux du parquet national antiterroriste ?

M. Marc-Philippe Daubresse, président. - Nous avons eu le même type de débats lors de la création du parquet national antiterroriste. Ce n'est pas le même périmètre, mais le même type de coordination.

Le sous-amendement COM-18 rectifié bis est adopté. L'amendement COM-57, ainsi sous-amendé, est adopté. En conséquence, l'amendement COM-43 devient sans objet.

L'article 2 est ainsi rédigé.

Article 3

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Nous vous proposons avec l'amendement COM-58 une réécriture globale du dispositif de fermeture administrative des commerces suspectés d'agir comme des blanchisseuses. Outre des corrections techniques, il s'agit de l'étendre à d'autres catégories d'infraction que le blanchiment, notamment le trafic de stupéfiants, de doubler la durée maximale de la mesure, de renforcer le régime répressif et de prévoir l'abrogation subséquente des autorisations dont dispose le commerce. La mesure serait donc juridiquement plus robuste et opérationnellement plus adaptée aux besoins des services.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous approuvons la suppression du monopole du maire. En revanche, j'émets un doute sur la possibilité de supprimer les permis de construire délivrés à l'établissement.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Les permis de construire ne sont pas concernés. Il me semble cohérent de retirer les autorisations accordées à un commerce ayant une activité criminelle.

M. Guy Benarroche. - Ne faudrait-il pas prévoir une procédure contradictoire, comme nous le proposons avec l'amendement COM-22 ?

M. Jérôme Durain, rapporteur. - J'ai omis en effet de préciser notre avis sur les trois amendements en discussion commune avec l'amendement COM-58.

L'amendement COM-8 rectifié est satisfait.

La procédure contradictoire prévue par le code des relations entre le public et l'administration s'appliquera de plein droit au dispositif issu de notre amendement, rendant ainsi le dispositif prévu par l'amendement COM-22 superflu.

Enfin, l'amendement COM-53 habilite le maire à signaler de tels commerces aux autorités préfectorales et judiciaires, celles-ci devant répondre dans un délai de trente jours. Outre que les maires n'ont pas juridiquement besoin d'être habilités pour procéder à de tels signalements, nous préférons ne pas les exposer à d'éventuelles représailles. Plus généralement, dans un souci de protection, nous préférons que les maires ne soient pas dépositaires d'informations qui seraient un facteur de risques nouveaux.

M. Hussein Bourgi. - Je suis réservé sur ce dernier argument. Le maire est l'autorité à qui l'on vient se plaindre en cas de problème. Je ne vois pas pourquoi on le tiendrait à l'écart de ce genre d'informations.

M. Guy Benarroche. - Il faut certes protéger les maires, mais aussi les informer des suites judiciaires. Je ne comprends pas très bien la logique. Le rapport de la commission d'enquête suggérait d'impliquer davantage les maires.

M. Olivier Bitz. - Je rejoins le rapporteur : le bon sens commande de tenir les maires à l'écart de ce genre d'informations, pour leur protection et pour le bon déroulement des enquêtes.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Les maires sont les premiers à vivre les événements dans leurs communes et à donner des informations aux services de police. Ils sont aussi les premiers à se faire agresser, malheureusement. Ils sont capables de garder pour eux des informations confidentielles !

M. Dany Wattebled. - Les maires sont garants de la cohésion de leur territoire, il faut les informer.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Les maires n'auront pas moins d'éléments qu'aujourd'hui. Nous cherchons à fluidifier à tous les niveaux la circulation de l'information. Mais ne rendons pas obligatoire la communication d'informations qui mettraient les maires en danger.

Mme Audrey Linkenheld. - Ce n'est pas ce que prévoit l'amendement COM-53.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - La dimension ascendante de signalement et de renseignement territorial, que les maires peuvent fournir aux autorités par leur bonne connaissance du terrain, est centrale. Une fois la procédure lancée, un échange naturel aura lieu avec les autorités judiciaires, mais ne systématisons pas une information descendante qui exposerait les maires.

M. Philippe Bas. - Il ne me semble pas opportun de réserver exclusivement aux maires l'initiative des procédures de fermeture des établissements suspectés de se livrer à des délits.

Je suis favorable en revanche à ce que les maires soient informés des suites d'une enquête judiciaire.

M. Guy Benarroche. - Notre amendement COM-29, que nous allons examiner ensuite, identifie avec précision le champ d'information systématique du maire.

M. Francis Szpiner. - Nul besoin de légiférer sur la fermeture administrative à l'initiative du maire. Il peut agir sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, et c'est au préfet d'endosser la responsabilité de la fermeture, pour ne pas faire du maire une cible.

M. Philippe Bas. - Le préfet doit aussi pouvoir prendre lui-même l'initiative.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'obligation d'information systématique du maire entraînerait une avalanche d'informations ; elle ne me semble pas opportune.

M. Francis Szpiner. - Sauf liens personnels avec les autorités judiciaires, les maires n'ont que très peu d'informations. Il serait logique qu'ils soient mieux informés.

L'amendement COM-58 est adopté. En conséquence, les amendements COM-8 rectifié, COM-22 et COM-53 deviennent sans objet.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-29 a un double objet.

Il prévoit tout d'abord une information systématique du maire, par le procureur, des suites judiciaires dans un dossier de trafic de stupéfiants et des mesures de fermeture administrative de commerces. Nous souscrivons bien entendu à l'idée d'associer les élus locaux, et nous prévoyons, à l'article 7, d'associer les maires aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants.

L'amendement prévoit ensuite que les groupes thématiques chargés des violences contre les élus constitués au niveau local puissent évoquer les possibilités pour le maire de participer à la lutte contre le narcotrafic en opérant des signalements à Tracfin. La plus-value de cette précision ne me paraît pas évidente, étant entendu que les maires peuvent déjà directement signaler des faits à Tracfin. Le lien avec les missions existantes de ce groupe est par ailleurs ténu. Nous sommes défavorables à cet amendement.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Votons cet amendement ! Les rapporteurs pourront ensuite le modifier en séance.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Je ne vois pas l'intérêt de ce vote. Les maires sont déjà associés aux procédures judiciaires et ont déjà accès de plein droit à Tracfin.

L'amendement COM-29 est adopté.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Notre collègue Étienne Blanc propose au travers de l'amendement COM-11 trois ouvertures supplémentaires d'accès à des fichiers pour les besoins de la lutte contre le narcotrafic : le Ficoba pour les greffiers des tribunaux de commerce, le fichier des contrats de capitalisation et d'assurance vie (Ficovie) et le Patrim (recherche des transactions immobilières) pour les assistants spécialisés des Jirs ainsi que le système d'immatriculation des véhicules (SIV) pour les agents de Tracfin. Il s'agit là d'un besoin opérationnel légitime et exprimé avec force par les intéressés. De tels aménagements, dont le périmètre est par ailleurs circonscrit, nous paraissent utiles. L'avis est donc favorable.

L'amendement COM-11 est adopté.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Nous sommes également favorables à l'amendement COM-12.

L'amendement COM-12 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-10 rectifié devient sans objet.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-48 entend limiter l'obligation de certification de maîtrise des règles anti-blanchiment aux professions non financières. Il nous apparaît paradoxal de vouloir exempter de cette obligation les professions financières alors qu'elles sont les plus directement concernées par le sujet. L'avis est donc défavorable.

L'amendement COM-48 n'est pas adopté.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-51 prévoit d'appliquer les règles de lutte contre le blanchiment aux prestataires de services sur actifs numériques. Il nous semble d'ores et déjà satisfait.

L'amendement COM-51 n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-59 permet l'application de la présomption de blanchiment prévue par le code pénal, qui est un instrument puissant de lutte contre les trafics et la grande criminalité organisée, à l'hypothèse dans laquelle une opération a été conduite dans le seul but de dissimuler l'identité du bénéficiaire effectif des fonds, hors de toute rationalité économique. Il procède également aux coordinations nécessaires dans le code des douanes. Il nous semble indispensable pour atteindre les objectifs que nous avons fixés.

L'amendement COM-59 est adopté.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-60 vise à réduire le champ de l'injonction pour richesse inexpliquée aux seuls dossiers en lien avec la criminalité organisée.

Nous vous proposons également de ne pas retenir la systématisation des enquêtes patrimoniales sur les dossiers de trafic de stupéfiants, les personnes que nous avons interrogées ne la jugeant pas nécessaire. Le manque d'enquêtes de cette nature résulte en effet essentiellement d'un manque de moyens et d'une acculturation insuffisante des services.

M. Guy Benarroche. - Il me semble que ces enquêtes patrimoniales sont utiles, et que leur systématisation serait pertinente.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Est-ce parce que ces enquêtes ne sont pas nécessaires ou parce que les services n'ont ni les moyens ni le temps de les mener ?

M. Philippe Bas. - Cet amendement sauve le septième alinéa de l'article 4, qui laissait ouverte, en dehors même de toute enquête judiciaire, la possibilité de requérir d'une personne qu'elle justifie son train de vie. Cette disposition aurait été censurée.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Nous prenions en effet le risque de voir invalidée cette disposition, pourtant extrêmement utile dans les enquêtes relatives à la criminalité organisée.

S'agissant des enquêtes patrimoniales, monsieur Benarroche, les services eux-mêmes nous ont indiqué que leur systématisation impliquerait un travail inutile dans un certain nombre de cas. Ils nous ont demandé expressément de les laisser juges de leur opportunité. Nous sommes conscients que la question des moyens se pose aussi, pour l'ensemble du texte d'ailleurs, mais cet amendement porte sur la systématicité de ces enquêtes.

Par ailleurs, depuis que l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) dispose d'antennes interrégionales, les enquêtes patrimoniales fonctionnent beaucoup mieux.

L'amendement COM-60 est adopté.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les amendements identiques COM-2, COM-30 et COM-36 prévoient la confiscation obligatoire des biens dont l'origine ne peut être justifiée, étant rappelé que ce dispositif ne concerne aujourd'hui que les infractions punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement et touche autant le condamné que ses proches, puisqu'il vise non seulement les biens dont le condamné est propriétaire, mais aussi ceux dont il a la libre disposition.

Cette proposition présente des risques très forts de contrariété à la Constitution en raison d'une atteinte excessive au droit de propriété. Nous proposons de nous en tenir aux dispositions législatives actuelles sur la confiscation. L'avis est donc défavorable.

M. Guy Benarroche. - C'est pourtant ce qui a fonctionné en Italie pour lutter contre le blanchiment !

M. Hussein Bourgi. - Il n'y a aucune raison que ce qui fonctionne en Italie ne puisse être appliqué en France. Tous les criminologues s'accordent à dire que les trafiquants prennent toujours leurs dispositions en prévision de leur incarcération. Dans ma région, lors d'une perquisition au domicile d'un narcotrafiquant, on a trouvé des relevés bancaires et des relevés d'assurance vie au nom de sa mère dont les montants atteignaient 600 000 euros. Or cette femme vivait du minimum vieillesse et de la pension de réversion de son mari... Il faut sanctionner ces trafiquants ingénieux non seulement en les privant de liberté, mais en donnant à la justice et à la police les moyens de confisquer obligatoirement et systématiquement les revenus dont l'origine ne peut être prouvée, y compris lorsqu'ils sont en détention. N'oublions pas qu'il n'y a que deux manières de s'enrichir en France : le travail et l'héritage.

M. Guy Benarroche. - La seule chose qui peut avoir une réelle incidence sur les narcotrafiquants, c'est de les toucher au porte-monnaie. Cet important moyen de coercition ne laisse aucune place au doute.

M. Francis Szpiner. - En l'état, je ne vois pas ce qui empêche la justice de saisir ces comptes et d'en ordonner la confiscation. Vous voulez faire peser une présomption sur l'entourage. Il s'agit d'un très bel effet d'annonce, mais en pratique, cela ne change rien.

M. Guy Benarroche. - Cela a fonctionné en Italie.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les dispositions visées sont extrêmement larges et attentatoires au droit de propriété, et nous les avons rejetées récemment. Jérôme Durain et moi-même sommes évidemment favorables à des sanctions financières, mais on ne peut le faire de façon juridiquement déraisonnable. Les deux amendements COM-31 et COM-37 me semblent plus judicieux, car ils prévoient la confiscation obligatoire des biens dont l'origine n'est pas justifiée en lien avec une infraction pénale existante. Néanmoins, nous y serons également défavorables, car leur rédaction soulève en l'état des difficultés importantes. C'est pourquoi je vous proposerai d'y retravailler d'ici à la séance. Ne nous laissons pas aveugler par l'objectif que nous poursuivons. Restons dans une certaine orthodoxie juridique.

Les amendements identiques COM-2, COM-30 et COM-36 ne sont pas adoptés.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les amendements COM-31 et COM-37 visent effectivement à apporter une solution à cette pratique criminelle qui consiste à mettre son patrimoine à l'abri chez un proche. Mais ils prévoient une confiscation obligatoire et motivée, ce qui est incohérent. Je suggère donc à leurs auteurs de retravailler leur rédaction afin qu'ils s'intègrent correctement dans l'édifice juridique important de la confiscation obligatoire.

M. Hussein Bourgi. - Je retire mon amendement.

L'amendement COM-37 est retiré. L'amendement COM-31 n'est pas adopté.

L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 4

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-3, qui est quasiment identique aux deux amendements précédents.

L'amendement COM-3 n'est pas adopté.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-14 tend à interdire de manière anticipée les « mixeurs » de crypto-actifs. Ces outils qui permettent de rendre intraçable l'origine des fonds particulièrement prisés des narcotrafiquants à des fins de blanchiment. Avis favorable.

L'amendement COM-14 est adopté et devient article additionnel.

Article 5

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-61 prévoit d'étendre le dispositif de gel judiciaire des avoirs prévu à l'article 5 à l'ensemble de la criminalité organisée et non au seul trafic de stupéfiants. Il procède par ailleurs à des ajustements techniques pour préciser la durée maximale de la mesure ainsi que, le cas échéant, la procédure applicable lorsqu'elle est décidée par un juge d'instruction.

L'amendement COM-61 est adopté.

L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 5

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-62 vise à créer, en sus du dispositif judiciaire, un mécanisme administratif de gel des avoirs des narcotrafiquants. Cette mesure nous a été instamment demandée lors de nos auditions. Outre sa rapidité, la voie administrative est en effet plus adaptée pour toucher des criminels établis hors de France et dont la perspective de judiciarisation est faible.

L'amendement COM-62 est adopté et devient article additionnel.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-42 rectifié est irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pourtant, la lutte contre la corruption fait bien partie du périmètre retenu pour cette proposition de loi. En l'espèce, il s'agit de transférer l'agrément des associations anticorruption qui agissent comme partie civile à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

M. Francis Szpiner. - Cela n'a rien à voir avec la corruption !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Si, car il s'agit de savoir quelle est la partie poursuivante possible.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Est concernée la lutte contre la corruption liée à la délinquance et à la criminalité organisées. Or votre amendement inclut les associations qui agissent dans des domaines qui n'ont aucun lien avec l'objet du texte.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est faux !

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La lutte contre la corruption, dans le cadre de la criminalité organisée, est suffisamment large à travers ce texte pour que l'on ne puisse pas prétendre l'inverse.

L'amendement COM-42 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-50 vise à créer une nouvelle unité spécialisée au sein de l'Ofast, chargée notamment des enjeux liés à l'utilisation d'actifs numériques à des fins de blanchiment. Ces missions sont déjà couvertes par la cellule « cyber » intégrée au pôle opérationnel de l'Ofast. L'amendement est donc satisfait ; avis défavorable.

L'amendement COM-50 n'est pas adopté.

Article 6

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Par l'amendement COM-19 rectifié, nos collègues membres de la DPR souhaitent limiter l'extension du champ des dispositifs existants de partage d'information aux Jirs, d'une part, et à certaines infractions relevant de la criminalité organisée, d'autre part. Cela nous semble effectivement plus proportionné. Avis favorable.

L'amendement COM-19 rectifié est adopté.

L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 7

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Par l'amendement COM-28, nos collègues écologistes proposent d'intégrer un magistrat de la Jirs territorialement compétente à la composition de la Cross. Avis favorable.

L'amendement COM-28 est adopté.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-47 prévoit d'intégrer au groupe de travail constitué au sein de la Cross les parlementaires élus dans la circonscription, ainsi que les élus régionaux et départementaux chargés de la sécurité. Compte tenu des informations dont ceux-ci seront détenteurs, cette mesure risque plutôt de les fragiliser. De plus, je n'en vois pas vraiment l'utilité. Avis défavorable.

L'amendement COM-47 n'est pas adopté.

L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 8

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Selon toute vraisemblance, il y a une certaine confusion entre la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Cette dernière est compétente. Avis défavorable à l'amendement COM-26.

L'amendement COM-26 n'est pas adopté.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Par l'amendement COM-20 rectifié, nos collègues membres de la DPR proposent deux ajustements à l'expérimentation du renseignement algorithmique en matière de criminalité organisée prévue par l'article 8 : un alignement des durées d'autorisation d'usage de la technique et d'exploitation des données sur les autres régimes existants ; une transmission à la seule DPR des éléments d'évaluation de l'expérimentation qui seraient couverts par le secret. Avis favorable.

L'amendement COM-20 rectifié est adopté.

L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 9

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-63 tend à créer une nouvelle infraction d'appartenance à une organisation criminelle, indépendamment de la préparation de toute infraction.

Une organisation criminelle serait définie comme une association de malfaiteurs prenant la forme d'une organisation structurée préparant la commission de crimes. Cette appartenance serait attestée par un ou plusieurs faits matériels démontrant que, directement ou indirectement, la personne tient un rôle dans l'organisation de cette structure, fournit des prestations de toute nature au profit de ses membres, ou verse une rémunération à ses membres ou en perçoit de ceux-ci.

Le dispositif paraît particulièrement utile en ce qu'il permet d'adapter notre arsenal pénal à la diversité des modes de fonctionnement des organisations criminelles. Il sera possible de poursuivre et condamner une personne dont on pourrait prouver qu'elle appartient à un groupe criminel, quand bien même il n'aurait pas été possible de démontrer à ce stade qu'elle a participé à la préparation d'une infraction particulière. Pour respecter la cohérence de l'échelle des peines, la sanction encourue resterait inférieure à celle qui est prévue par le délit d'association de malfaiteurs, qui implique nécessairement la préparation d'une infraction.

L'amendement COM-63 est adopté.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-64 tend à limiter le champ d'application du crime de participation à une association de malfaiteurs. Nous proposons de circonscrire le dispositif à la préparation de crimes pour lesquels la loi prévoit une circonstance aggravante de bande organisée.

L'amendement COM-64 est adopté.

L'amendement de coordination COM-65 est adopté.

L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

MERCREDI 22 JANVIER 2025
(APRÈS-MIDI)

Mme Patricia Schillinger, présidente. - Nous reprenons l'examen des articles sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.

PROPOSITION DE LOI VISANT À SORTIR LA FRANCE DU PIÈGE DU NARCOTRAFIC

EXAMEN DES ARTICLES (SUITE)

Après l'article 9

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les amendements identiques COM-9 et COM-41 ont un objet analogue à celui de l'amendement que nous avons adopté ce matin à l'article 9, dont la rédaction nous semble préférable pour des raisons techniques.

Avec la rédaction qui est ici proposée, une personne membre d'une organisation préparant des infractions punies de cinq ans d'emprisonnement pourrait être condamnée à une peine de quinze ans de réclusion criminelle. Avis défavorable.

Les amendements identiques COM-9 et COM-41 ne sont pas adoptés.

Article 10

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-66 a pour objet de procéder à un ajustement légistique visant à faire de l'infraction caractérisée par l'article 10 - soit la publication d'une offre de recrutement pour le trafic sur une plateforme accessible aux mineurs - une infraction autonome de celles qui sont prévues à l'article 227-18-1 du code pénal.

L'amendement COM-7 porte sur des produits légaux et est, par conséquent, irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution, monsieur Szpiner. Mais sachez que le fait de provoquer un mineur à faire un usage détourné d'un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs est déjà passible d'une amende de 15 000 euros.

L'amendement COM-66 est adopté.

L'amendement COM-7 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 11

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les narcotrafiquants demandent parfois aux personnes que l'on appelle des « mules » d'ingérer de la drogue. Le délai de la garde à vue est parfois insuffisant pour expulser la drogue ingérée et l'état de santé de ces personnes peut ne pas permettre leur présentation devant un magistrat pour décider d'une comparution avec un délai différé.

Aussi, l'amendement COM-67 vise à prolonger la durée maximale de la garde à vue, qui serait limitée à 120 heures. Il prévoit en outre certaines garanties supplémentaires pour la personne concernée à l'expiration de la quatre-vingt-seizième heure de garde à vue : la possibilité de s'entretenir avec un avocat ; le droit de demander un nouvel examen médical ; la possibilité de réitérer une demande tendant à faire prévenir, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou un membre de sa famille.

L'amendement COM-67 est adopté.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-68 vise à encadrer les peines complémentaires pouvant être prononcées à l'encontre des passeurs.

L'article 11 crée une peine complémentaire d'interdiction de vol et de paraître dans certains aéroports.

Pour assurer la proportionnalité du dispositif, l'amendement tend à préciser les motifs permettant à la juridiction de décider d'une condamnation à cette peine, en prévoyant expressément qu'elle ne peut être prononcée qu'au regard des risques de récidive ou de réitération de l'infraction commise, afin de circonscrire le dispositif. 

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Quel est votre avis sur l'amendement COM-27 qui prévoit d'aménager des exceptions ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement de notre collègue Guy Benarroche prévoit des exceptions pour des motifs notamment d'ordre familial, comme le décès d'un proche. Nous lui proposons de retravailler la rédaction d'ici à la séance publique pour le rendre opérationnel. Les situations particulières qu'il mentionne doivent effectivement être prises en compte. Nous n'y sommes pas hostiles sur le fond, mais il faut préciser les modalités de sa mise en oeuvre.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Comment peut-on combiner les dispositions prévues dans ces deux amendements ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Ces peines complémentaires seraient prévues pour un délai de trois ans maximum. Nous allons, en lien avec Guy Benarroche, expertiser son amendement afin de tenir compte de l'intégralité des situations exceptionnelles qui peuvent se présenter pour suspendre les peines complémentaires et voir comment nous pouvons l'articuler avec l'amendement de la commission.

L'amendement COM-68 est adopté.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Comme je viens de le dire, j'émets à ce stade un avis défavorable sur l'amendement COM-27, mais nous demandons à notre collègue de retravailler la rédaction.

L'amendement COM-27 n'est pas adopté.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-1 prévoit une peine complémentaire applicable aux personnes condamnées pour des faits liés au trafic de stupéfiants, qui consisterait en une interdiction de solliciter un titre de séjour permettant de résider de manière légale à Mayotte.

En l'état actuel du droit, aucune peine n'interdit de solliciter un titre. En revanche, une condamnation pour de tels faits est de nature à justifier un refus ou un retrait du titre de séjour. Aussi, mon avis est défavorable.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cet amendement ne subit pas le couperet de l'article 45 de la Constitution ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La disposition est applicable aux personnes condamnées pour des faits liés au trafic de stupéfiants.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 12

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-69 vise à compléter l'alignement de l'extension des prérogatives de la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) en matière de lutte contre le narcotrafic sur celles qui existent déjà en matière de lutte contre le terrorisme et la pédocriminalité.

Nous souhaitons que Pharos puisse agir non seulement pour le retrait et le déréférencement des contenus liés à l'offre ou à la cession de stupéfiants, mais également pour le blocage d'accès au site concerné.

Cet amendement prévoit également d'aligner les garanties juridiques prévues et les sanctions pénales applicables aux personnes concernées en cas de non-respect de la demande de retrait.

L'amendement COM-69 est adopté.

L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 13

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-70 prévoit que l'ensemble des crimes commis en bande organisée sont jugés par une cour d'assises spécialement composée.

L'amendement COM-70 est adopté.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-71 vise à supprimer le traitement des infractions connexes selon la procédure spécifique à la criminalité organisée. En effet, les articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale permettent déjà la prise en compte des règlements de comptes et du blanchiment, ainsi que des trafics de toute nature.

L'amendement COM-71 est adopté.

L'article 13 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 14

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Outre des améliorations rédactionnelles, des harmonisations et des coordinations, l'amendement COM-72 tend à ouvrir la possibilité de recourir au dispositif des « repentis » en matière de trafic d'armes ; à effectuer diverses simplifications suggérées par le président de la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR), Marc Sommerer, s'agissant de l'exemption de peine, de la compétence de la CNPR pour attribuer des identités d'emprunt aux « repentis » ou encore pour renforcer la protection de ces derniers à tous les stades de la procédure ; à préciser les conditions dans lesquelles le statut de collaborateur de justice pourra être révoqué et les conséquences d'une telle révocation, à savoir, en particulier, la mise à exécution de la peine d'emprisonnement complémentaire qui aura été prévue ab initio par la juridiction de jugement ; et surtout, à créer, sur le modèle du droit britannique, un système d'immunité de poursuites pour les personnes dont les déclarations justifieraient une telle immunité. Elle serait réservée au cas où de telles déclarations ont un impact majeur et serait soumise à l'avis conforme de la CNPR.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous l'avons constaté lors des auditions, il faut rendre le dispositif plus opérationnel. Les dispositions prévues dans cet amendement s'appliquent-elles aux auteurs de faits criminels ?

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Dans certains cas prévus par la loi.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je croyais que les crimes de sang étaient actuellement exclus.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - La proposition de loi les intègre désormais, ce qui constitue une avancée majeure.

Les amendements identiques COM-5 et COM-39 prévoient que les déclarations faites par les repentis avant qu'ils n'aient manifesté leur volonté de collaborer avec la justice soient prises en compte dans l'octroi du statut. C'est une proposition intéressante dans son principe, mais qui pose une difficulté en ce qu'elle ne précise pas les destinataires de ces déclarations. Or nous souhaitons distinguer clairement le rôle des magistrats, seuls juges de l'intérêt des déclarations du « repenti », de celui des services qui doivent évaluer leur personnalité et leur capacité à changer de vie, voire d'identité. L'avis est donc défavorable sur ces amendements identiques.

L'amendement COM-49 concerne la non-publication des identités d'emprunt octroyées aux repentis. Cet amendement étant satisfait, nous en demandons le retrait.

Enfin, les amendements COM-40 et COM-6 prévoient que la juridiction de jugement peut ne pas accorder l'exemption ou la réduction de peine demandée pour le repenti par une décision spécialement motivée. Ils sont satisfaits par notre amendement ; nous en demandons le retrait.

M. Hussein Bourgi. - Votre avis concernant les amendements identiques COM-5 et COM-39 me semble quelque peu hâtif. Les déclarations des « repentis », que nous souhaitons désormais appeler « coopérateurs de justice », sont consignées dans des procès-verbaux, mais ce sont les déclarations faites auprès des enquêteurs qui ont toute leur importance pour le parquet. Si l'on veut encourager les coopérateurs de justice, il faut leur apporter un minimum de garanties. Il importe d'avoir une réflexion approfondie sur cette question d'ici à la séance publique.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Les déclarations seront prises en compte dans notre amendement. Mais à qui seront-elles adressées ? Au service interministériel d'assistance technique (Siat) ou à la CNPR ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Nous pouvons y regarder de plus près d'ici à la séance publique.

L'amendement n° 72 est adopté. En conséquence, les amendements identiques COM-5 et COM-39, les amendements COM-49, COM-40, COM-6 deviennent sans objet.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Avec les amendements identiques COM-38 et COM-4, nos collègues proposent que l'on parle de « coopérateurs de justice » au lieu de « repentis », terme quelque peu connoté. Toutefois, ce terme n'existe pas dans notre droit positif. Avis défavorable.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Il faudrait par ailleurs procéder à des coordinations dans l'ensemble du code pénal.

Les amendements identiques COM-38 et COM-4 ne sont pas adoptés.

L'article 14 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 15

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-73 traite des conditions d'anonymisation des personnels affectés dans les services chargés des enquêtes en matière de criminalité organisée.

Nous souhaitons étendre la possibilité d'agir sous une identité d'emprunt aux agents de police judiciaire, aux agents des douanes et aux agents chargés de la lutte contre le trafic en haute mer. Nous supprimons l'exigence d'une autorisation hiérarchique pour ce faire. Nous apportons des précisions sur les cas dans lesquels l'anonymat pourra être levé et définissons les hypothèses dans lesquelles il ne sera pas opposable.

Enfin, l'amendement prévoit également que l'ensemble de ces agents seront réputés être habilités à accéder aux fichiers d'antécédents pénaux pour accomplir leur mission.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il suffira que les agents soient affectés aux services chargés des enquêtes en matière de criminalité organisée ? L'anonymisation n'est pas liée à l'enquête elle-même ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement vise les agents qui travaillent dans un service spécialement chargé des enquêtes en matière de délinquance et de criminalité organisées.

L'amendement COM-73 est adopté.

L'article 15 est ainsi rédigé.

Après l'article 15

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - En sus de l'anonymisation, l'amendement COM-74 offre la possibilité pour les enquêteurs de recourir à l'hypertrucage en cas d'utilisation d'une identité d'emprunt, c'est-à-dire de modifier leur voix et leur apparence grâce à l'intelligence artificielle.

L'amendement COM-74 est adopté et devient article additionnel.

Article 16

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La proposition de loi prévoit un procès-verbal distinct pour que ne soient pas identifiées les personnes menacées ou que ne soient pas révélés les éléments de fonctionnement dont dépend la faculté de mettre en oeuvre certaines techniques spéciales d'enquête.

L'amendement COM-75 vise à corriger une malfaçon légistique s'agissant du recours à la géolocalisation et à clarifier la rédaction pour mieux encadrer les indications susceptibles d'être inscrites dans le procès-verbal distinct. Il apporte des garanties supplémentaires, en prévoyant que le recours à ce procédé soit limité aux cas où il est nécessaire à la manifestation de la vérité. Nous avons recentré le dispositif sur des techniques spéciales d'enquête les plus sensibles, afin d'exclure son utilisation en matière d'écoutes téléphoniques, par exemple. Nous avons également précisé les conséquences de la révocation éventuelle de l'autorisation de recourir au procès-verbal distinct, et précisé les conditions du contrôle systématique qui sera exercé par la chambre de l'instruction sur le contenu du procès-verbal distinct. Enfin, nous prévoyons le versement au dossier de l'ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention autorisant le recours au procès-verbal distinct.

Le sous-amendement COM-89 apporte des précisions sur la procédure d'autorisation de la géolocalisation. Il traduit l'une des recommandations de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic. Notre droit permet déjà un déploiement en urgence de la géolocalisation, un délai de vingt-quatre heures étant accordé au magistrat pour valider cette opération. Le délai de huit heures prévu par notre collègue nous semble raisonnable. Avis favorable.

Le sous-amendement COM-89 est adopté. L'amendement COM-75, ainsi sous-amendé, est adopté.

L'article 16 est ainsi rédigé.

Article 17

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'article 17 est porteur d'évolutions utiles pour sécuriser juridiquement le travail des policiers et des gendarmes infiltrés ou agissant sous une identité d'emprunt, puisqu'il donne enfin un cadre à la notion, aujourd'hui relativement imprécise, d'« incitation à la commission d'une infraction ».

Pour sécuriser le dispositif, nous proposons, au travers de l'amendement COM-76, que ne constitueraient pas une incitation à commettre une infraction les actes qui ne font que contribuer à la poursuite d'une infraction déjà préparée ou débutée au moment où le magistrat compétent a autorisé le lancement de l'infiltration, afin de répondre à une demande claire des forces de l'ordre.

M. Francis Szpiner. - C'est une disposition très importante pour éviter un aléa jurisprudentiel. Lorsqu'il y a une infraction préexistante de trafic, le travail du policier s'inscrit dans la continuité et non dans la provocation. Or certaines chambres de l'instruction ont condamné certains policiers. Il importe de clarifier les choses.

L'amendement COM-76 est adopté.

L'article 17 est ainsi rédigé.

Article 18

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-77 vise à octroyer aux forces de l'ordre la faculté d'acquérir des produits stupéfiants pour mettre au jour les réseaux de narcotrafic. Nous demandons qu'il leur soit possible de recourir à une identité d'emprunt pour tous ces achats, y compris ceux qui ne sont pas effectués en ligne.

L'amendement COM-77 est adopté.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-78 ouvre de plus aux forces de l'ordre la possibilité de recourir aux hypertrucages.

L'amendement COM-78 est adopté.

L'article 18 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 19

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-79 concerne les « infiltrés civils ». Devant le risque que ces informateurs puissent être tentés de manipuler la police ou de faire prospérer leur propre commerce au détriment de leur concurrence, l'amendement prévoit qu'ils s'engageront, dans le cadre d'un accord préalable, à témoigner, à l'issue de leur infiltration, à tous les stades de la procédure. C'est à nos yeux la condition sine qua non de l'efficacité de ce nouvel outil.

L'amendement fixe également les conditions de ce témoignage, afin d'assurer la sécurité de l'informateur, avec, de nouveau, la possibilité du recours à des hypertrucages.

Enfin, il réduit les délais d'autorisation de l'infiltration civile, afin d'éviter que ce régime ne soit plus libéral que celui qui existe aujourd'hui pour les officiers de police judiciaire.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pour que ce dispositif fonctionne, il faut prévoir que la possibilité d'altérer ou de transformer sa voix ou son apparence physique soit de droit si la personne le demande. L'emploi de la locution « le cas échéant » à l'alinéa inséré après l'alinéa 18 me paraît donner à cette possibilité un caractère trop aléatoire pour des personnes qui, de toute évidence, prennent des risques. Espérons du reste que la convention passée avec l'informateur ne sera pas versée au dossier pénal...

M. Francis Szpiner. - Nous parlons de l'infiltration concrète non pas de policiers, mais de trafiquants, c'est-à-dire de personnes connues des milieux criminels. L'idée de modifier la voix ou l'apparence physique de ces informateurs me paraît très théorique. Et quand bien même ils témoigneraient sous condition d'anonymat, la nature des renseignements qu'ils fourniront éclairera les réseaux criminels sur leur identité.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Le changement de voix, l'hypertrucage, la dissimulation d'identité concernent non pas l'infiltration elle-même, mais le témoignage. Nous essayons de donner quelque cohérence au système et de « tenir » l'infiltré, afin qu'il n'agisse pas uniquement pour son propre compte.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Mais la protection de l'identité par ces différents moyens doit être de droit ! Dans la rédaction actuelle, la locution « le cas échéant » prête à confusion sur le choix laissé, ou non, à l'informateur d'en bénéficier.

L'amendement COM-79 est adopté.

L'article 19 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 20

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-45 de M. Szpiner vise à supprimer l'article 20, qui fait état des manoeuvres qui pourraient être utilisées par une partie pour faire échec aux poursuites pénales qui la concernent.

Notre amendement COM-80 tend à modifier la procédure d'examen des requêtes en nullité, en réduisant le délai pour leur dépôt au cours de l'instruction judiciaire, en rendant obligatoire leur notification au juge d'instruction et en imposant un délai minimal avant l'audience pour leur dépôt.

Cependant, je comprends les difficultés que pose la rédaction de l'article 20 et que Francis Szpiner souligne. Elle est, comme celle de notre amendement, largement perfectible. Nous pourrions y retravailler avant la séance publique  : c'est pourquoi je propose que chacun retire son amendement.

M. Francis Szpiner. - Je retire mon amendement, en sachant que nous serons amenés à en rediscuter.

L'amendement COM-45 est retiré.

Mme Laurence Harribey. - Il me semble important que le principe posé dans l'article 20 demeure.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'article 20 tire en effet les conséquences de certaines des conclusions de la commission d'enquête. Nous le maintenons, mais nous allons voir dans quelle mesure nous pouvons le réécrire. En l'état actuel du texte, sa mise en oeuvre paraît assez complexe.

M. Francis Szpiner. - Les libertés publiques ont un sens et je considère que cet article doit être supprimé. Si je comprends que l'on puisse aménager des dispositions de la procédure pénale, notamment sur les délais d'instruction des demandes de mise en liberté adressée à la chambre de l'instruction, le principe énoncé à l'article 20 est proprement inutile et, surtout, immoral.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Dans notre groupe politique, les avis divergent. Pour ma part, je note que personne n'a été en mesure de nous dire quelle était la réalité de l'usage des moyens de nullité de la procédure pénale pour contrecarrer l'effet des poursuites et obtenir des mises en liberté. Mais même à supposer qu'il soit significatif, la formulation peu claire du 3° de l'article 20 - « La nullité ne peut pas être prononcée lorsqu'elle découle d'une manoeuvre ou d'une négligence de la personne mise en cause » - ne résout pas le problème.

Par ailleurs, il importe que les délais ouverts aux mis en cause pour l'exercice de leurs droits soient tenables.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - C'est pourquoi Jérôme Durain et moi-même retravaillerons sur la rédaction de cet article avant la séance publique. Il conviendra notamment de mieux distinguer les demandes en nullité des demandes de mise en liberté. En tout état de cause, on se prémunira des manoeuvres non pas par des amendements qui ne font qu'ajouter du contentieux, mais par des éléments objectifs qui visent à ne pas permettre ces manoeuvres. Ceux que nous avons imaginés restent, je le répète, perfectibles et nous sommes ouverts à la discussion.

L'amendement COM-80 est retiré.

L'article 20 est adopté sans modification.

Article 21

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Nous avions l'ambition d'inscrire un dispositif de compétence universelle dans la proposition de loi ; il nous aurait permis d'arraisonner des navires sans l'accord de l'État du pavillon concerné. Il semble toutefois que le droit international en vigueur, et en particulier la convention de Vienne, ne le permette pas ainsi que nous l'envisagions. L'amendement COM-81 vise donc à supprimer ce dispositif.

En revanche, nous vous proposons de suivre une recommandation de la Marine nationale, qui permet de mieux traiter l'enjeu des sabordages de submersibles ou de voiliers liés au narcotrafic.

En l'état du droit, les trafiquants qui occupaient le navire sabordé pour se soustraire au contrôle des bâtiments de l'État ne peuvent qu'être appréhendés comme de simples naufragés. Pour renforcer les moyens d'action des forces face à ce phénomène, l'amendement tend à intégrer la dissimulation de preuve au cadre juridique de l'action de l'État en mer pour la poursuite d'infractions liées aux conventions internationales.

L'amendement COM-81 est adopté.

L'article 21 est ainsi rédigé.

Article 22

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Notre amendement COM-82, s'il est adopté, rendrait sans objet l'amendement COM-32 de M. Mandelli, qui serait alors satisfait.

Nous vous proposons, pour les ports - dont le rôle est central dans l'acheminement des produits stupéfiants -, de mieux circonscrire le dispositif d'enquêtes administratives préalables, applicable en l'état à l'ensemble des agents, afin de le recentrer sur les autorisations d'accès à certaines zones sensibles. Par rapport au droit existant, l'article 22 étendrait ainsi sensiblement les zones pour lesquelles l'autorisation d'accès, permanent ou temporaire, requiert une enquête. Ces enquêtes seraient de surcroît renouvelées chaque année.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - L'enquête administrative de sécurité préalable, régulièrement renouvelée, concernerait donc les ports et les aéroports ?

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Tout à fait.

L'amendement COM-82 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-32 devient sans objet.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Avec l'amendement COM-83, nous entendons mieux encadrer le dispositif de signalement des faits de corruption ou des menaces concernant des agents dans les administrations et services publics les plus sensibles, que l'article 22 de la proposition de loi prévoit d'instituer. Nous proposons notamment de limiter à un an la durée de conservation des signalements, en prévoyant un avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) sur le décret d'application.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Est-ce la hiérarchie de l'agent qui déciderait de diligenter ou non une enquête administrative de sécurité à la suite d'un signalement le concernant ?

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Oui.

L'amendement COM-83 est adopté.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Notre amendement COM-84 vise à renforcer et améliorer le dispositif de communication du ministère public aux administrations dont les agents sont poursuivis ou condamnés pour des faits de corruption. Il rend cette communication, facultative en l'état du droit, obligatoire pour tous les faits liés à la criminalité organisée, dès lors que la personne concernée est soit condamnée, soit renvoyée devant une juridiction, soit mise en examen pour ces faits. Pour ce qui a trait aux agents dépositaires de l'autorité publique, cette communication serait possible, sous certaines conditions, à n'importe quel stade de la procédure.

L'amendement COM-84 est adopté.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-85 vise à appliquer aux exploitants des installations portuaires les obligations en matière de prévention de la corruption prévues par la loi Sapin II, eu égard aux risques avérés de corruption liée au narcotrafic auxquels ils sont exposés. Il répond à une recommandation de l'Agence française anticorruption (AFA).

L'amendement COM-85 est adopté.

L'article 22 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 22

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-13 prévoit que les faits de corruption publique comme de corruption privée en lien avec d'autres infractions relevant de la criminalité organisée puissent relever du même régime procédural dérogatoire, permettant ainsi l'utilisation des techniques spéciales d'enquête et la garde à vue prolongée.

Une telle mesure semble proportionnée au niveau de la menace. Elle répond à un besoin opérationnel exprimé avec force par l'ensemble des acteurs de la procédure pénale, services enquêteurs comme magistrats, eu égard à la grande complexité des enquêtes en matière de corruption liée à la criminalité organisée. L'avis est favorable.

L'amendement COM-13 est adopté et devient article additionnel.

Article 23

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les amendements COM-24, COM-86, COM-87 et COM-46 ont essentiellement trait à la sécurisation des demandes de mise en liberté, lesquelles représentent un véritable enjeu pour les narcotrafiquants. Un délai s'impose en effet en France pour le jugement des personnes qui comparaissent détenues et, ces affaires étant prioritaires, les mis en cause sont alors à peu près sûrs d'être jugés, tandis qu'ils ne le seraient peut-être jamais en l'absence de détention.

Pour ces demandes de mise en liberté davantage que pour les requêtes en nullité, la commission d'enquête a démontré que les narcotrafiquants n'hésitent pas à recourir à des manoeuvres.

Des mesures techniques objectives permettraient certainement d'y mettre un terme. Jérôme Durain et moi-même avons essayé d'en concevoir plusieurs.

Avec l'amendement COM-86, nous vous proposons d'abord d'augmenter les délais accordés au parquet, au juge des libertés et de la détention et à la chambre de l'instruction pour statuer sur les demandes de mise en liberté.

Nous vous proposons ensuite - et quoique cette mesure reste perfectible - de prévoir l'irrecevabilité d'une telle demande en appel tant qu'il n'a pas été statué sur l'appel précédent, ce qui existe déjà en première instance, et de prévoir que cette irrecevabilité s'applique jusqu'à la notification de la décision aux parties, puisqu'il nous a été indiqué que de nombreuses demandes de mise en liberté étaient successivement formulées sans que le magistrat sache si la décision sur la précédente demande avait été rendue.

Nous proposons aussi que les pièces produites par le prévenu ou son avocat soient transmises au plus tard cinq jours avant l'audience.

En outre, nous proposons de porter de quatre à huit heures la durée pendant laquelle une personne bénéficiant d'une ordonnance de remise en liberté est maintenue temporairement en détention, en vue de la formation d'un appel et d'un référé-détention par le procureur de la République.

Nous proposons également de supprimer la possibilité pour l'avocat de déposer une demande de mise en liberté par voie postale, ce qui donne également lieu, en pratique, à des manoeuvres. En conséquence, le dispositif du texte initial imposant à l'avocat d'être inscrit au barreau local est supprimé.

Par ailleurs, nous proposons de supprimer la possibilité de saisine directe de la chambre de l'instruction si la personne maintenue en détention provisoire n'a pas été entendue depuis plus de quatre mois.

Enfin, nous vous proposons de modifier les délais de saisine directe de la chambre de l'instruction à l'expiration desquels une mise en liberté d'office peut intervenir. En parallèle, l'amendement vise à créer, sur le modèle d'une procédure déjà existante, une possibilité de décision en extrême urgence de la chambre de l'instruction après l'expiration des délais pour les seules personnes mises en examen pour des faits liés à la délinquance et à la criminalité organisées.

Quant à notre amendement COM-87, il prévoit de ramener la durée maximale de la détention provisoire à deux ans pour des faits de délinquance organisée, que la proposition de loi avait initialement portée à quatre ans, comme en matière criminelle, ce qui nous a paru excessif. Nous avons plus modestement allongé la durée du mandat de dépôt correctionnel initial de quatre à six mois.

L'amendement COM-24 du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) prévoit, pour sa part, de supprimer toute disposition relative aux demandes de mise en liberté ou aux délais de détention provisoire. C'est évidemment contraire à notre position.

L'amendement COM-46 de notre collègue Francis Szpiner tend à supprimer, à juste titre selon nous, et quoique l'adoption de l'amendement COM-86 le rendrait sans objet, les dispositions qui imposent que l'avocat dépositaire d'une demande de mise en liberté soit inscrit au barreau local.

M. Francis Szpiner. - Je retire mon amendement.

En revanche, si je partage la philosophie générale sous-tendue par les amendements des rapporteurs, certaines des dispositions proposées me laissent perplexe et gagneraient à mon sens à être réécrites.

C'est, par exemple, le cas de celle qui a trait à la suppression de la possibilité de saisir directement la chambre de l'instruction quand la personne maintenue en détention provisoire n'a pas été entendue depuis plus de quatre mois. Ce dispositif présente, de mon point de vue, l'avantage d'instaurer un principe de contrôle du travail du juge d'instruction et devrait donc être maintenu.

Par ailleurs, la disposition qui tend à imposer que les pièces produites par le prévenu ou son avocat soient transmises au plus tard cinq jours avant l'audience me semble violer par trop les droits de la défense : que reste-t-il en effet de ces droits si le ministère public présente ses réquisitions au dernier moment ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je n'ai pas manqué moi-même d'émettre quelques doutes sur certains de nos dispositifs d'application générale. Tout me semble largement améliorable et les droits de la défense ne nous sont pas indifférents. D'ici à la séance publique, nous pourrons certainement trouver une rédaction qui soit plus équilibrée et, peut-être même, plus efficace.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ces dispositions s'appliquent-elles à toutes les demandes de mise en liberté ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Oui. La proposition de loi avait sur ce thème un périmètre général, et il paraissait au demeurant difficile de poser des règles sur les demandes de mise en liberté qui soient propres à la criminalité organisée.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La modification que vous proposez à l'alinéa 10 induit-elle qu'il n'y a plus de possibilité de demander une mise en liberté auprès du greffe de l'établissement pénitentiaire ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Non, cette possibilité existe toujours.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce n'est pas ce qui est écrit !

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Le dépôt de la demande de mise en liberté reste possible à la fois auprès du greffe de la juridiction d'instruction et auprès de celui de l'établissement pénitentiaire.

L'amendement COM-46 est retiré.

L'amendement COM-24 n'est pas adopté. Les amendements COM-86 et COM-87 sont adoptés.

L'article 23 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 24

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'article 24 ouvre la possibilité de prononcer des interdictions administratives de paraître sur les points de deal contre des personnes soupçonnées de diriger un trafic de stupéfiants ainsi que des mises en demeure pour qu'elles quittent leur domicile, lorsque celui-ci est situé dans la zone d'interdiction et est utilisé dans le cadre des activités de direction du réseau. Il répond à une demande des élus locaux.

Jérôme Durain et moi-même voudrions modifier cet article, mais non le supprimer, au contraire de ce que souhaite le groupe GEST avec l'amendement COM-25 déposé par Guy Benarroche.

L'amendement COM-88 que nous présentons vise d'abord à étendre le dispositif de l'interdiction de paraître à toute personne participant à l'activité d'un point de deal, en ne le limitant plus aux seules têtes de réseaux qui ne se rendent quasiment jamais sur les lieux des trafics qu'elles organisent.

Nous vous proposons ensuite de supprimer l'inapplicabilité du dispositif aux mineurs. Les exempter du dispositif conduirait les trafiquants à les cibler prioritairement pour exercer leurs activités illicites sur des points de deal.

Par ailleurs, il nous faut tenir compte de ce qu'il ne nous sera pas loisible, juridiquement, d'appliquer une telle mesure sur les lieux du domicile de l'intéressé. Cependant, peut-être sera-t-il envisageable d'obtenir son expulsion.

Précisément, en ce qui concerne l'expulsion locative, le dispositif actuel prévu dans la proposition de loi nous paraît juridiquement fragile du fait de l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire. Pour fonder la décision d'expulsion, qui resterait administrative, nous vous proposons d'étendre aux abords des logements le régime de la clause d'occupation paisible qui figure dans les baux. La mise en oeuvre de la décision reviendrait prioritairement au bailleur, mais, en cas d'inaction de sa part - par exemple par crainte de représailles -, le préfet pourrait se substituer à lui.

Mme Audrey Linkenheld. - Il me semble que le texte prévoyait de demander aux bailleurs sociaux de faire une proposition de relogement de la personne expulsée. Cette disposition est-elle maintenue ? Elle ne serait évidemment pas sans poser de lourdes difficultés, en raison tant du manque de logements disponibles que du symbole qui s'y attacherait.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Ce mécanisme ne comporte pas d'obligation spécifique de relogement et je partage l'idée selon laquelle une telle obligation à l'égard de narcotrafiquants serait difficilement opposable au bailleur. Celui-ci n'aurait du reste aucun intérêt à procéder à l'expulsion s'il lui fallait aussitôt assurer ce relogement.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le texte prévoit au contraire la possibilité pour le représentant de l'État d'imposer le relogement au bailleur. C'est l'équivalent du droit au logement opposable (Dalo) !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - En effet.

Mme Audrey Linkenheld. - C'est incompréhensible !

M. Hussein Bourgi. - Je suis foncièrement hostile à l'amendement de suppression déposé par notre collègue Guy Benarroche, en ce qu'il méconnaît la réalité du narcotrafic. Par ailleurs, au sein de la métropole de Montpellier, nous appliquons la tolérance zéro à l'égard de notre bailleur social ; le maire et le préfet ont par exemple récemment procédé à l'expulsion d'une dame de 89 ans qui avait transformé son appartement ainsi que sa cave, respectivement, en lieux de deal et d'entreposage de la drogue à l'usage de son fils, de son beau-fils et de ses petits-enfants !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Bravo !

M. Hussein Bourgi. - Les narcotrafiquants sont particulièrement vicieux et savent comment contourner la règle de droit, en l'occurrence en impliquant dans leur trafic une personne âgée. Soit on veut lutter efficacement contre le narcotrafic et il ne faut pas avoir d'états d'âme, soit on invoque la nécessité de procéder à des relogements en raison de la présence de mineurs, de personnes en situation de handicap, de personnes malades ou âgées et l'on s'impose alors une double peine ! Dans le cas que j'évoquais, toutes les associations de défense des locataires et de défense des droits de l'homme sont montées au créneau pour nous rappeler l'âge avancé de l'intéressée et demander son relogement ; mais personne ni aucun bailleur social n'a voulu d'elle dans sa résidence ! Et nous avons tenu bon. Je vous en conjure, ne nous compliquez pas la vie sur le terrain !

M. Francis Szpiner. - Il y a quand même une convention des droits de l'enfant. Je veux bien que, pour lutter contre le narcotrafic, l'on donne à la justice tous les moyens, mais on ne peut pas perdre toute humanité ! Mettrez-vous dehors des enfants de trois ou quatre ans ?

M. Hussein Bourgi. - Ce sont les parents qui sont responsables ! Ou on les leur retire...

M. Francis Szpiner. - Monsieur Bourgi, je retiens vos propos, que je ne manquerai pas de vous rappeler à l'occasion d'autres discussions.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La nouvelle rédaction que nous vous proposons avec notre amendement supprime en réalité la possibilité de relogement, prévue dans le texte initial.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je lis pourtant que c'est toujours une possibilité...

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Les propos du rapporteur me rassurent, je suis en total accord avec M. Bourgi et en complet désaccord avec mon collègue Francis Szpiner. On ne peut à chaque fois trouver une caution morale pour éviter d'appliquer la loi partout et pour tous ! Cela suffit !

Mme Mélanie Vogel. - Quand vous dites avoir « supprimé la possibilité de relogement », cela signifie-t-il qu'il n'y a pas d'obligation, mais que la possibilité existe encore, ou, plus radicalement, que l'on ne peut plus du tout reloger une personne expulsée ? Il y a une différence, car, dans le second cas de figure, on contraint les gens à être à la rue.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Notre rédaction se substitue à celle de la proposition de loi qui prévoyait cette possibilité, non à la possibilité elle-même. Cela ne revient pas à dire que nous condamnons les gens à la rue.

L'amendement COM-25 n'est pas adopté. L'amendement COM-88 est adopté.

L'article 24 est ainsi rédigé.

Après l'article 24

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement COM-16 rectifié, relatif à la durée maximale de fermeture d'un débit de boisson, est irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.

Mme Lauriane Josende. - C'est regrettable et je rejoins les propos que notre collègue Hussein Bourgi a tenus ce matin : dans nos territoires, les épiceries de nuit sont une nouvelle modalité, externalisée, du trafic de stupéfiants et de blanchiment de l'argent de ce trafic. J'aurai quelque mal à expliquer aux élus des Pyrénées-Orientales qu'une proposition de loi relative à la lutte contre le narcotrafic ne les prenne pas en compte.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Nous avons déjà adopté un dispositif qui permet de prononcer la fermeture administrative des « blanchisseuses » et de leur retirer toute autorisation d'exploitation, telle qu'une licence de débit de boissons. Le sujet que vous soulevez peut-être en grande partie traité sous cet angle.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Blanchiment d'argent et trafic de stupéfiants sont deux choses différentes !

Mme Lauriane Josende. - Il faut pouvoir prouver qu'il y a eu blanchiment d'argent. En ce qui concerne les épiceries de nuit, cette preuve est le plus souvent, et au moins dans un premier temps, difficile à rapporter. Pour prononcer des fermetures administratives à leur endroit, les élus locaux arguent plutôt qu'elles engendrent de considérables nuisances, notamment sonores. Je relève ici un vide législatif.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je précise que nous avons étendu la possibilité de prononcer une fermeture administrative et de procéder au retrait des autorisations en cas de trafic de stupéfiants. Cela me paraît conforme à la demande que les élus locaux formulent, et nous ne serons ainsi pas juridiquement désarmés devant le problème des épiceries de nuit.

M. Hussein Bourgi. - Je plaiderai en faveur de cet amendement, en prenant l'exemple des épiceries de nuit telles qu'elles fonctionnent dans le sud de la France. Elles se fournissent en alcools forts, en réglant en espèces, de l'autre côté de la frontière, en Espagne, où l'alcool est beaucoup moins cher que chez nous, puis remplissent leurs rayons de ces bouteilles. Elles deviennent vite un lieu de tapage nocturne, autant qu'un lieu de deal.

Je vous invite à consulter les contenus publiés par le préfet de l'Hérault sur les réseaux sociaux : vous y constaterez le nombre élevé des fermetures administratives qui sont prononcées chaque semaine. Elles sont malheureusement restreintes dans le temps et des avocats d'épiceries de nuit qui ont été fermées à deux ou trois reprises au cours de l'année attaquent désormais le préfet et le maire pour harcèlement !

J'invite à réfléchir à la durée de la fermeture administrative qui, de mon point de vue, gagnerait à être beaucoup plus étendue. La décision d'un juge qui donnerait droit à un recours de l'une de ces épiceries de nuit nous placerait dans une situation bien embarrassante à l'égard tant de la population que de ceux qui tiennent ces établissements. Soyons donc attentifs à ce qui se passe sur le terrain !

L'amendement COM-16 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

L'amendement COM-15 rectifié n'est pas adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE FIXANT LE STATUT DU PROCUREUR NATIONAL ANTI-STUPÉFIANTS

Mme Patricia Schillinger, présidente. - Je vous propose de considérer que le périmètre de ce texte comprend l'ensemble des dispositions requises pour fixer le statut des magistrats relevant des juridictions créées par la proposition de loi no 735 rectifiée visant à sortir la France du piège du narcotrafic.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement COM-1 est un amendement de coordination avec le choix fait, à l'article 2 de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, de substituer au procureur national anti-stupéfiants (Pnast) un procureur national anti-criminalité organisée (Pnaco).

L'amendement COM-1 est adopté.

Intitulé de la proposition de loi organique

M. Jérôme Durain, rapporteur. - L'amendement de coordination COM-2 apporte la même modification à l'intitulé de la proposition de loi organique.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'intitulé de la proposition de loi organique est ainsi modifié.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi organique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements à la proposition de loi examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

TITRE Ier : Organisation de la lutte contre le narcotrafic

Article 1er

M. BITZ

21

Suppression de l'article 1er

Rejeté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

54

Co-tutelle du ministère de la justice sur l'Ofast

Adopté

Mme NARASSIGUIN

44

Co-tutelle du ministère de la justice sur l'Ofast

Rejeté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

55

Précision du champ de compétences de l'Ofast en matière d'enquêtes judiciaires

Adopté

M. PERRIN

17 rect.

Simplification des transmissions de renseignements entre les services du premier et du second cercle

Adopté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

56

Entrée en vigueur différée 

Adopté

Article 2

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

57

Transformation du parquet national anti-stupéfiants en parquet national anti-criminalité organisée.

Adopté

M. PERRIN

18 rect. bis

Habilitation du Pnaco à recevoir les informations transmises par les services de renseignement.

Adopté

Mme NARASSIGUIN

43

Transformation du parquet national anti-stupéfiants en parquet national anti-criminalité organisée.

Rejeté

TITRE II : Lutte contre le blanchiment

Article 3

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

58

Réécriture du dispositif de fermeture administrative de commerce

Adopté

Mme Nathalie GOULET

8 rect.

Suppression du monopole de l'initiative du maire

Rejeté

M. BENARROCHE

22

Procédure contradictoire préalable à la fermeture administrative

Rejeté

M. KHALIFÉ

53

Habilitation du maire à signaler les blanchisseuses

Rejeté

M. BENARROCHE

29

Information du maire sur l'action judiciaire et administrative contre le narcotrafic

Adopté

M. Étienne BLANC

11

Ouvertures d'accès à des fichiers dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic

Adopté

M. Étienne BLANC

12

Renforcement des règles LCB-FT

Adopté

Mme Nathalie GOULET

10 rect.

Suppression du seuil de 50 000 euros soumettant les vendeurs de voiture aux obligations LCB-FT

Rejeté

M. ROHFRITSCH

48

Limitation de la certification LCB-FT aux organismes non financiers

Rejeté

M. KHALIFÉ

51

Application des règles LCB-FT aux prestataires de service sur actif numériques

Rejeté

Article 4

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

59

Extension de la présomption de blanchiment

Adopté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

60

Suppression de la systématisation des enquêtes pénales / Limitation du champ de l'injonction pour ressources inexpliquées

Adopté

M. PARIGI

2

Confiscation obligatoire des biens dont l'origine ne peut pas être justifiée 

Rejeté

M. BENARROCHE

30

Confiscation obligatoire des biens dont l'origine ne peut pas être justifiée 

Rejeté

M. BOURGI

36

Confiscation obligatoire des biens dont l'origine ne peut pas être justifiée 

Rejeté

M. BENARROCHE

31

Confiscation obligatoire des biens dont l'origine n'est pas justifiée

Rejeté

M. BOURGI

37

Confiscation obligatoire des biens dont l'origine n'est pas justifiée

Retiré

Article(s) additionnel(s) après l'article 4

M. PARIGI

3

Confiscation obligatoire des biens dont l'origine n'est pas justifiée

Rejeté

M. Étienne BLANC

14

Interdiction anticipée de l'usage de mixeurs de crypto-actifs

Adopté

Article 5

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

61

Modalités de mise en oeuvre du gel judiciaire des avoirs

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 5

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

62

Création d'un gel administratif des avoirs des narcotrafiquants

Adopté

Mme de LA GONTRIE

42 rect.

Agrément des associations de lutte contre la corruption

Irrecevable art. 45, alinéa 1 de la Constitution (cavalier)

M. KHALIFÉ

50

Création d'une unité "cyber" de l'OFAST

Rejeté

TITRE III : Renforcement du renseignement administratif en matière de lutte contre le narcotrafic

Article 6

M. PERRIN

19 rect.

Ajustement du périmètre de l'extension du dispositif de "feedback"

Adopté

Article 7

M. BENARROCHE

28

Participation des magistrats des JIRS aux Cross

Adopté

Mme PHINERA-HORTH

47

Intégration des parlementaires et des élus régionaux et départementaux aux Cross

Rejeté

Article 8

M. BENARROCHE

26

Contrôle du paramétrage et de la mise en oeuvre des algorithmes par la CNCTR

Rejeté

M. PERRIN

20 rect.

Modalités de mise en oeuvre du renseignement algorithmique à des fins de lutte contre la criminalité organisée

Adopté

TITRE IV : Renforcement de la répression pénale du narcotrafic

Chapitre Ier : Mesures de droit pénal

Article 9

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

63

Création d'une infraction d'appartenance à une organisation criminelle

Adopté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

64

Limitation du champ d'application du crime de participation à une association de malfaiteurs

Adopté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

65

Amendement de coordination

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 9

M. PARIGI

9

Crime d'appartenance à une organisation criminelle

Rejeté

M. BOURGI

41

Crime d'appartenance à une organisation criminelle

Rejeté

Article 10

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

66

Ajustement légistique

Adopté

M. SZPINER

7

Délit de provocation à la consommation de protoxyde d'azote

Irrecevable art. 45, alinéa 1 de la Constitution (cavalier)

Chapitre II : Lutte contre le narcotrafic dans les outre-mer

Article 11

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

67

Encadrement du dispositif d'hyper-prolongation médicale de la garde à vue concernant les "mules"

Adopté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

68

Encadrement des peines complémentaires pouvant être prononcées à l'encontre des « mules »

Adopté

M. BENARROCHE

27

Relèvement des peines complémentaires pouvant être prononcées à l'encontre des « mules » en cas de motif médical ou familial impérieux

Rejeté

Mme RAMIA

1

Peine complémentaire d'interdiction de solliciter un titre de séjour permettant de résider de manière légale à Mayotte

Rejeté

Chapitre III : Lutte contre le trafic en ligne

Article 12

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

69

Alignement de l'extension proposée des prérogatives de Pharos en matière de lutte contre le narcotrafic sur celles déjà existantes en matière de lutte contre le terrorisme et la pédo-criminalité

Adopté

TITRE V : Mesures de procédure pénale et facilitation de l'utilisation des techniques spéciales d'enquête

Article 13

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

70

Jugement par une cour d'assises spécialement composée de l'ensemble des crimes commis en bande organisée. 

Adopté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

71

Suppression du traitement des infractions connexes selon la procédure spécifique à la criminalité organisée. 

Adopté

Article 14

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

72

Réforme du statut des repentis. 

Adopté

M. PARIGI

5

Prise en compte des déclarations de la personne pour l'octroi du statut de "repenti". 

Rejeté

M. BOURGI

39

Prise en compte des déclarations de la personne pour l'octroi du statut de "repenti". 

Rejeté

Mme SCHILLINGER

49

Confidentialité du changement d'état civil des "repentis".

Rejeté

M. BOURGI

40

Modalités de refus de l'exemption ou de la réduction de peine par la juridiction de jugement. 

Rejeté

M. PARIGI

6

Modalités de refus de l'exemption ou de la réduction de peine par la juridiction de jugement. 

Rejeté

M. BOURGI

38

Transformation terminologique des collaborateurs de justice en coopérateurs de justice. 

Rejeté

M. PARIGI

4

Transformation terminologique des collaborateurs de justice en coopérateurs de justice. 

Rejeté

Article 15

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

73

Conditions d'anonymisation des personnels affectés dans les services en charge des enquêtes en matière de criminalité organisée. 

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 15

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

74

Autorisation du recours à l'hyper-trucage en cas d'utilisation d'une identité d'emprunt.

Adopté

Article 16

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

75

Modification des conditions de recours au procès-verbal distinct. 

Adopté

M. Étienne BLANC

89

Précisions sur la procédure d'autorisation de la géolocalisation.

Adopté

Article 17

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

76

Mise en conformité avec la Constitution des dispositions relatives à l'incitation à commettre une infraction.

Adopté

Article 18

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

77

Possibilité de recours à une identité d'emprunt pour tous les "coups d'achat", y compris ceux qui ne sont pas effectués en ligne. 

Adopté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

78

Coordination. 

Adopté

Article 19

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

79

Rédactionnel et ajout de précisions sur l'obligation faite aux "infiltrés civils" de témoigner devant les juridictions.

Adopté

Article 20

M. SZPINER

45

Suppression.

Retiré

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

80

Modification de la procédure d'examen des requêtes en nullité. 

Retiré

Article 21

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

81

Mise en conformité de l'article 21 avec les conventions internationales applicables et prise en compte de l'enjeu des sabordages de submersibles utilisés pour le trafic de stupéfiants

Adopté

TITRE VI : Lutte contre la corruption liée au narcotrafic et contre la poursuite des trafics en prison

Article 22

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

82

Ajustement du ciblage du dispositif proposé en matière d'enquêtes administratives préalables

Adopté

M. MANDELLI

32

Procédure contradictoire en cas de refus ou retrait d'habilitation

Rejeté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

83

Encadrement du dispositif proposé en matière de signalement des faits de corruption

Adopté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

84

Information des employeurs publics par le ministère public

Adopté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

85

Application aux exploitants des installations portuaires des obligations de prévention de la corruption prévues par la loi "Sapin II"

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 22

M. Étienne BLANC

13

Intégration de la corruption au régime de la criminalité organisée

Adopté

Article 23

M. BENARROCHE

24

Demandes de mise en liberté et aux durées de détention provisoire

Rejeté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

86

Demandes de mise en liberté et aux durées de détention provisoire

Adopté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

87

Demandes de mise en liberté et aux durées de détention provisoire

Adopté

M. SZPINER

46

Demandes de mise en liberté et aux durées de détention provisoire

Retiré

Article 24

M. BENARROCHE

25

Suppression

Rejeté

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

88

Aménagement des mesures d'interdiction de paraître et d'expulsion locative

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 24

Mme JOSENDE

16 rect.

Durée maximale de fermeture d'un débit de boisson

Irrecevable art. 45, alinéa 1 de la Constitution (cavalier)

Mme JOSENDE

15 rect.

Résiliation d'un bail locatif en cas de condamnation pour une infraction assimilée à un trouble de la jouissance portant une atteinte à l'ordre public

Rejeté

Le sort des amendements à la proposition de loi organique examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

1

Coordination avec l'article 2 de la proposition de loi. 

Adopté

Intitulé de la proposition de loi organique

Mme Muriel JOURDA, M. Jérôme DURAIN, rapporteurs

2

Coordination avec l'article 2 de la proposition de loi. 

Adopté

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT

PROPOSITION DE LOI N° 735 RECT. (2023-2024)
VISANT À SORTIR LA FRANCE DU PIÈGE DU NARCOTRAFIC

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 120(*).

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie121(*).

Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte122(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial123(*).

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 22 janvier 2025, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 735 rectifiée (2023-2024) visant à sortir la France du piège du narcotrafic.

Elle a considéré que ce périmètre incluait :

- l'organisation et les prérogatives des services publics régaliens (police, gendarmerie, douanes, juridictions, services de renseignement, etc.) en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée ;

- la lutte contre le blanchiment ;

- le renseignement administratif en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée, ainsi que les liens entre les services de renseignement et l'autorité judiciaire dans le même domaine ;

- le recueil de renseignements au cours des enquêtes pénales relatives à des infractions de délinquance ou de criminalité organisée ;

- la lutte contre le trafic de stupéfiants dans l'espace numérique ;

- la répression pénale de la criminalité organisée, ainsi que la procédure pénale et l'organisation judiciaire dans le même domaine ;

- le régime des nullités en procédure pénale ;

- la lutte contre la corruption liée à la délinquance et à la criminalité organisées ;

- la compétence extraterritoriale des autorités françaises en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants ;

- le régime de privation de liberté des personnes détenues pour des faits de criminalité organisée, ainsi que les mesures de sécurisation des établissements et de l'action des personnels de l'administration pénitentiaire.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE N° 197 (2024-2025) FIXANT LE STATUT DU PROCUREUR NATIONAL ANTI-STUPÉFIANTS

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 124(*).

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie125(*).

Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte126(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial127(*).

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 22 janvier 2025, le périmètre indicatif de la proposition de loi organique n° 197 (2024-2025) fixant le statut du procureur national anti-stupéfiants.

Elle a considéré que ce périmètre incluait l'ensemble des dispositions requises pour fixer le statut des magistrats relevant des juridictions créées par la proposition de loi n° 735 rectifiée (2023-2024) visant à sortir la France du piège du narcotrafic, dont l'examen a été joint à celui de la proposition de loi organique précitée.

COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE M. LOUIS LAUGIER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA POLICE NATIONALE

__________

MERCREDI 20 NOVEMBRE 2024

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous procédons aujourd'hui à l'audition de Louis Laugier, directeur général de la police nationale. Ce moment est l'occasion de faire connaissance avec vous, monsieur le directeur général, à la suite de votre récente nomination, et d'aborder la question plus spécifique de la lutte contre le narcotrafic, qui se développe sur l'ensemble du territoire national.

Le Sénat a récemment consacré des travaux importants à cette question, dans le cadre d'une commission d'enquête créée à la demande du groupe Les Républicains, dont Etienne Blanc fut le rapporteur et Jérôme Durain, membre de notre commission, le président. Cette commission d'enquête a établi le constat d'un territoire submergé par le narcotrafic et d'une réponse insuffisamment adaptée à l'urgence et à l'importance des enjeux. Elle a préconisé plusieurs évolutions qui, pour celles requérant l'intervention du législateur, sont traduites dans une proposition de loi qui sera discutée en janvier prochain au Sénat.

Dans le cadre des travaux préparatoires à cet examen, j'ai souhaité, en ma qualité de présidente de la commission des lois, mais également de corapporteur, avec M. Durain, de ce texte, que vous puissiez être entendu aujourd'hui.

Le narcotrafic ne concerne pas seulement les zones dans lesquelles la police nationale exerce ses compétences ; il s'insinue dans l'ensemble des territoires, y compris les plus ruraux. Pour autant, le phénomène est particulièrement prégnant dans les grandes agglomérations, qui relèvent de la police nationale. Aussi votre témoignage est-il pour nous d'une particulière importance.

Monsieur le directeur général, pouvez-vous tout d'abord nous présenter l'état de la menace et les principales difficultés rencontrées par les forces de l'ordre pour y faire face ? Dans le cadre des évolutions envisagées par la proposition de loi, pouvez-vous également nous indiquer celles qui vous apparaissent les plus pertinentes et, le cas échéant, celles qui vous sembleraient pouvoir être modifiées ou complétées par d'autres mesures pour en assurer la pleine effectivité opérationnelle ?

M. Louis Laugier, directeur général de la police nationale. - Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous sur cette priorité nationale dont j'ai pu mesurer l'importance dans tous les territoires où j'ai exercé en tant que préfet de département. Je salue l'ampleur et la qualité du travail réalisé par la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France.

Concernant l'état de la menace, nos constats convergent avec ceux du Sénat. Le marché des stupéfiants, porté par une forte demande des consommateurs et une offre abondante, est en expansion. Les niveaux de production - en Amérique latine pour la cocaïne, en Afghanistan pour l'héroïne, au Maroc pour la résine de cannabis et en Europe pour les drogues de synthèse - sont très élevés. Les organisations criminelles maîtrisent les chaînes logistiques qui permettent d'acheminer des quantités importantes de stupéfiants en Europe.

Les saisies importantes de cocaïne réalisées dans les grands ports européens traduisent le dynamisme des réseaux criminels qui ont su exploiter la mondialisation des échanges et l'impossibilité physique de contrôler tous les flux de marchandises.

Sur la période récente, l'augmentation importante du trafic de cocaïne, dont les saisies sur le territoire national ont été multipliées par cinq en dix ans, constitue le fait majeur.

En métropole et dans les territoires ultramarins, les trafics sont aux mains d'acteurs multiples. Si les groupes criminels français se structurant autour de membres issus des mêmes cités sensibles et des mêmes communautés dominent le marché français, celui-ci est également investi par des groupes criminels étrangers ; je pense notamment aux groupes albanais et aux réseaux nigérians.

Les services font également le constat que les violences liées au trafic ont tendance à se généraliser sur l'ensemble du territoire. Autrefois réservées aux grandes agglomérations, ces violences touchent désormais les villes moyennes, avec des épisodes de fortes violences observés dans des villes qui n'y étaient jusqu'alors pas confrontées.

Sur le premier semestre 2024, on observe toutefois une baisse du nombre de victimes liées à des règlements de compte en France - 43 victimes en 2024, contre 72 sur la même période en 2023 -, sachant que 80 à 90 % de ces règlements de compte sont liés au trafic de stupéfiants. Il convient d'être prudent, car ces évolutions restent fragiles et reposent notamment sur les arrestations menées par la police judiciaire (PJ).

Le rajeunissement des auteurs des violences commises est un phénomène récent qui doit nous alerter. À cela s'ajoute une banalisation du recours aux armes qui conduit à une augmentation des victimes collatérales.

La France ne se trouve pas dans une situation singulière. Tous les États de l'Union européenne (UE), et plus largement les pays développés, sont confrontés à des situations identiques. En 2024, Europol - l'agence de l'UE pour la coopération des services répressifs - a indiqué que la moitié des réseaux criminels les plus menaçants était impliquée dans le trafic de stupéfiants au niveau européen. Celui-ci constitue l'infraction dominante en termes de criminalité organisée, avec des atteintes graves à la sécurité intérieure.

La mobilisation des services pour lutter contre les crimes et les trafics s'avère, plus que jamais, à l'ordre du jour. Nous avons la responsabilité de faire encore davantage et mieux. Les nombreuses recommandations formulées par la commission d'enquête sont, de ce point de vue, très utiles ; celles relatives à la coopération internationale ont notamment retenu notre attention, afin de renforcer les relations opérationnelles et diplomatiques avec les zones de production, de transit et d'investissement des avoirs criminels.

Il me semble d'abord utile de revenir sur certaines observations du rapport, liées à l'action de la police nationale, qui me paraissent un peu sévères, avant de vous présenter la position de la police nationale sur les dispositions de la proposition de loi, et de conclure en formulant d'autres pistes de réflexion.

Concernant l'action de la police nationale dans la lutte contre les trafics de stupéfiants, le rapport décrit un paysage morcelé des services engagés dans la lutte contre les stupéfiants. Il évoque des risques de « guerre des polices » et, de manière plus générale, une coordination insuffisante des acteurs engagés dans la lutte contre les trafics. Ce constat mérite à mon sens d'être nuancé sur trois points.

Premier point : il est nécessaire de prendre en compte la réforme de la police nationale, qui unifie sa filière judiciaire. Cette réforme, définitive depuis le 1?? janvier 2024, a créé des filières métiers. Désormais, au niveau central comme territorial, tous les services judiciaires sont placés sous une même autorité qui assure le pilotage de la filière.

Il s'agit de la réforme la plus importante de la police nationale depuis 1966. La coordination globale de la filière est assurée par la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), qui définit la stratégie nationale de la lutte contre les stupéfiants, dans le cadre des orientations ministérielles. Elle articule l'action des différentes unités judiciaires, aussi bien sur la même thématique que sur des thématiques complémentaires - stupéfiants, blanchiment, règlements de compte, problématiques liées au cyber. Cette organisation récente garantit l'action coordonnée des services.

Deuxième point : l'Office anti-stupéfiants (Ofast) joue un rôle prépondérant de coordination. Cela tient au caractère interministériel de cette agence et à son maillage territorial dense. Parmi les 200 personnels de l'Ofast au niveau central, on retrouve des policiers, vingt-deux gendarmes, sept douaniers, un agent du ministère de l'économie et des finances, un agent de l'administration pénitentiaire et six officiers de liaison étrangers. Le responsable adjoint de l'Ofast est un magistrat de l'ordre judiciaire et, sur les trois pôles de l'agence, un a été confié à un douanier et un autre à un officier supérieur de la gendarmerie. Ce caractère interministériel n'est donc pas factice et permet d'assurer des échanges fluides et réguliers entre le ministère de l'intérieur et les autres administrations chargées de la lutte contre le narcotrafic.

Les effectifs de l'Ofast ont été multipliés par deux depuis 2020. L'agence dispose d'un maillage territorial dense avec quinze antennes, ainsi que neuf détachements dépendant de ces antennes, implantés en métropole et en outre-mer, dans des directions territoriales et interdépartementales de la police nationale. Il nous semble nécessaire de privilégier le renforcement des effectifs de ces structures territoriales, dans la mesure où le renfort de la structure centrale a déjà été effectué.

Le dispositif dans la zone Antilles-Guyane est particulièrement dense, avec deux antennes localisées à Cayenne et Fort-de-France, ainsi que deux détachements à Pointe-à-Pitre et Saint-Martin. Cette organisation se justifie par le positionnement de ces territoires au plus près des zones de production en Amérique latine et des pays servant de transit dans la région.

Cette organisation nous permet d'obtenir de bons résultats. La coordination des services, notamment avec la Marine nationale, est satisfaisante, comme en attestent les saisies significatives réalisées ces derniers mois sur le secteur maritime - 10 tonnes saisies dans les Caraïbes en 2024.

L'Ofast coordonne l'action des services lorsque des difficultés se manifestent et qu'il convient de proposer le ou les services les mieux placés pour intervenir sur le plan opérationnel. La réforme de la police nationale, en réunissant sous une même bannière tous les enquêteurs, participe de cette cohérence globale. Actuellement, 64 % des dossiers qui sont dans le portefeuille de l'office sont en cosaisine avec d'autres services, tels que les antennes de l'Ofast, les sections de recherche de la gendarmerie ou encore le service d'enquête judiciaire des finances, devenu Office national anti-fraudes (ONAF). L'Ofast exerce ainsi le rôle de coordination opérationnelle prévu par son décret de création.

En matière de trafic de stupéfiants, nous avons affaire à un contentieux de masse. Les services de police et les unités de gendarmerie ont constaté près de 17 000 faits de trafic sur les dix premiers mois de l'année 2024. Il est inévitable que des dysfonctionnements ponctuels soient observés.

Au regard de la masse des dossiers abordés, il est évident que l'Ofast ne peut coordonner l'ensemble des enquêtes. Il existe des outils de « déconfliction » pour éviter les chevauchements d'enquête ; je pense notamment au fichier anti-stupéfiants (Fast), qui permet de connaître la prise en compte d'un objectif ciblé. Dans ce domaine, l'enjeu est que tous les services de police, unités de gendarmerie et services de la douane inscrivent leurs objectifs pour rendre possible cette coordination.

Un autre point important, en termes de coordination, réside dans l'établissement d'une liste commune des objectifs les plus importants. Cette liste, établie par l'Ofast avec la contribution de la police, de la gendarmerie, de la douane et de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), existe sous le nom de : « Top nat' des cibles d'intérêt prioritaire ». Nous souhaitons dupliquer cette démarche au niveau territorial. Les antennes et détachements de l'Ofast pourront être chargés de cette mission, en associant les unités de gendarmerie nationale et les échelons de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).

La coordination de l'Ofast s'exerce également par l'animation du réseau des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross). Les Cross départementales collectent, traitent et enrichissent le renseignement criminel. Elles l'adressent au service de police nationale ou de gendarmerie le plus adapté.

Nous mesurons, chaque année, la montée en puissance de ces structures. Preuve de l'efficacité et de la popularité du dispositif, les informations transmises entre janvier et septembre 2024 sont en progression de 23 % par rapport à la même période en 2023. Cette hausse est liée au bon travail des Cross, mais également au fait que les plateformes de signalement sont de plus en plus utilisées. En 2023, plus de 13 300 informations ont été reçues, soit une augmentation de 18 % par rapport à 2022.

Au-delà de l'Ofast, les services de la filière judiciaire oeuvrent collectivement en prenant en compte des infractions liées au trafic, telles que les règlements de compte et les affaires de blanchiment traités respectivement par les brigades criminelles et les services financiers. Les interactions entre les services dédiés à la lutte contre les trafics, en particulier les services financiers, sont nombreuses et nécessaires. De ce point de vue, l'idée de positionner l'Ofast en dehors de la direction générale de la police nationale (DGPN) semble de nature à affaiblir le dispositif national, en coupant la brigade des stupéfiants des infractions liées.

L'Ofast n'existe que depuis janvier 2020 ; sa montée en charge a été progressive. Les deux premières années ont permis de construire ou de faire évoluer les outils sur lesquels l'office peut asseoir son pilotage, de rédiger un état de la menace et de mettre en place des Cross - ainsi que, depuis septembre 2021, des Cross portuaires et aéroportuaires -, en parallèle du resserrement des liens avec les administrations partenaires et du développement de la coopération internationale.

L'année 2023 a été celle de la rédaction d'un nouvel état de la menace s'appuyant sur la collecte et l'analyse de tous les renseignements parvenus à l'Ofast. Elle a également été consacrée au chantier de rénovation du plan national de lutte contre les stupéfiants, ou « plan stups », embarquant de nouveaux acteurs tels que le secrétariat général de la mer (SGMer), essentiel pour tout ce qui concerne l'arraisonnement ou la coordination de la sécurisation des ports, ainsi que le renseignement pénitentiaire ou la Mission nationale de contrôle des précurseurs chimiques (MNCPC).

Cette montée en puissance n'a pas empêché les résultats que l'on peut attribuer directement à l'Ofast. Parmi la cinquantaine de personnes constituant des cibles prioritaires, 29 ont été interpellées, dont certaines à l'étranger, ce qui montre la qualité du travail de coopération internationale.

Pour toutes ces raisons, le rapport de la commission d'enquête me semble un peu sévère sur le rôle de l'Ofast. Il ne mesure pas tout le chemin parcouru et la jeunesse de cette structure très sollicitée.

Troisième point, après la réforme de la police nationale et le rôle de l'Ofast : la mobilisation des services ne saurait être remise en cause. La police a interpellé plus de 18 100 trafiquants en 2023 et déjà 17 300 sur les dix premiers mois de l'année 2024. Entre 2010 et 2023, le nombre annuel de trafics de stupéfiants démantelés par les services de police a été multiplié par 3,5 ; nous sommes passés de 2 500 trafics démantelés en 2013 à 11 000 en 2023. De manière constante, la police nationale traite plus de 85 % de l'ensemble des trafics constatés de stupéfiants et du crime organisé en France.

Concernant les avoirs criminels en lien avec les stupéfiants, 75,3 millions d'euros ont été saisis en 2023. Entre 2018 et 2023, on observe une hausse de 60 % des avoirs criminels saisis, ce qui traduit une inflexion profonde de la stratégie de la police dans ce domaine, avec un développement des enquêtes patrimoniales.

À titre d'exemple, en 2023, 23,2 tonnes de cocaïne ont été saisies ; en 2024, les services français chargés de la lutte contre les stupéfiants ont déjà saisi 44,8 tonnes de cocaïne. Cela démontre l'engagement des services et leur capacité de coordination. Les saisies de nouvelles drogues sont également en forte hausse par rapport à 2023, avec une augmentation de 33 % pour les amphétamines et méthamphétamines. Ces chiffres viennent étayer les tendances présentées dans le rapport de la commission d'enquête.

Depuis septembre 2020, sur un total de 609 000 amendes forfaitaires délictuelles (AFD) dressées par la police nationale, plus de 434 000 l'ont été pour usage de stupéfiants.

Au 10 septembre 2024, plus de 16 100 opérations visant au démantèlement de points de deal ont été conduites par la police nationale. Sont incluses dans ce total les 302 opérations menées par la préfecture de police et les six opérations menées conjointement avec la gendarmerie nationale.

Certaines de ces opérations ont été labellisées « place nette ». Celles-ci ont suscité des interrogations de la part de la commission d'enquête, notamment sur leur portée et leur efficacité. Pourtant, les résultats sont incontestables. En un an, les services de la DGPN ont lancé 279 opérations de cette nature, qui ont conduit à l'interpellation de 6 800 personnes, ainsi qu'à la saisie de 690 armes, 115 véhicules, 7,5 millions d'euros d'avoirs criminels et plus de 1,7 tonne de produits stupéfiants.

Si nous estimons que les opérations « place nette » doivent être maintenues dans leur principe, nous n'avons jamais considéré qu'elles se suffisaient à elles seules. La circulaire du ministre de l'intérieur du 19 novembre 2024 relative à la lutte contre la délinquance invite à poursuivre ces opérations dans leur esprit, en les inscrivant dans la durée et en combinant des opérations judiciaires d'envergure avec une occupation prolongée du terrain.

Notre stratégie vise à les compléter par des actions en profondeur. Cela se traduit par des enquêtes de fond visant à démanteler les organisations criminelles qui approvisionnent les points de deal et celles qui organisent le blanchiment des espèces. L'objectif est d'optimiser, en amont, la préparation avec le monde judiciaire, de manière à pouvoir s'attaquer davantage aux filières dans leur intégralité. Nous entendons mener une action globale sur l'ensemble des aspects du trafic, « de la cage d'escalier à l'international », comme nous le résumons en une formule.

Je souhaite maintenant aborder certaines dispositions de la proposition de la loi, dont l'article 1er prévoit de placer l'Ofast sous la tutelle conjointe du ministère de l'intérieur et de celui de l'économie et des finances. En positionnant l'Ofast en dehors de la DGPN, alors qu'il existe un consensus pour constater les interactions très fortes entre la lutte contre les trafics et d'autres champs criminels - règlements de compte, blanchiment, trafic d'armes - majoritairement pris en compte par les services de police, on provoquerait un affaiblissement de la réponse publique.

Cette porosité entre les enquêtes justifie, plus que jamais, une unicité de leur traitement afin de garantir la fluidité des échanges entre les services, la centralisation des renseignements pour les recouper et les exploiter, un croisement maximal d'éléments issus des enquêtes et la mise en place de stratégies opérationnelles prenant en compte la multiplicité des enquêtes en interaction les unes avec les autres. Coupée des autres services de police, l'Ofast et ses structures territoriales disposeraient de moins d'informations et bénéficieraient plus difficilement du soutien opérationnel des autres services, avec un risque accru de conflits entre les services et d'actions non coordonnées sur le terrain. Pour rappel, la réforme de la police nationale a unifié cette filière judiciaire dont l'Ofast est partie prenante.

Si je ne suis pas favorable à une modification du positionnement de l'Ofast en dehors du périmètre de la police nationale, il convient toutefois de faire évoluer les modalités de la coordination entre les services pour renforcer l'agence. Il est nécessaire que le niveau de coopération entre les différents acteurs de la lutte contre les trafics soit très élevé. Des travaux sont en cours au ministère de l'intérieur pour identifier les moyens de renforcer cette coordination autour de la police nationale. Les autres administrations seront naturellement associées à ces réflexions.

Sur les autres dispositions de la proposition de loi, nous sommes favorables à celles qui répondent aux besoins opérationnels des enquêteurs : l'élargissement des conditions de transmission aux services de renseignement d'informations recueillies dans les dossiers judiciaires ; la création d'un « dossier coffre », afin de préserver la confidentialité de la pose de techniques spéciales d'enquête - seulement les conditions de mise en place des techniques, et non leurs aspects qui concourent au respect du contradictoire - ; la réforme du statut des repentis, notamment pour élargir son périmètre aux crimes de sang, comme pour le crime organisé ou les stupéfiants ; l'alignement des délais de détention provisoire pour les délits de l'article 706-73 du code de procédure pénale sur ceux prévus en matière criminelle ; la modification des délais d'examen des demandes de mise en liberté, ou encore la fermeture d'un commerce qui soutient, abrite ou participe à un trafic de stupéfiants.

Une disposition mérite des réflexions complémentaires ; je pense ici à la délicate question des informateurs. Il est exact que la situation actuelle n'est pas satisfaisante en raison de l'insécurité juridique qu'elle suscite pour les officiers traitants et les informateurs. Au-delà du constat, nos réflexions internes sur le sujet ne sont pas encore abouties.

La redéfinition de la notion de « provocation » dans un sens plus libéral, comme le propose la commission d'enquête, est une piste intéressante, de même que l'encadrement de l'activité des policiers traitants. À ce stade, il est toutefois impossible de déterminer avec certitude la meilleure solution, qui devra également être discutée avec la chancellerie.

Selon nous, deux propositions doivent être écartées. La première concerne l'inscription des Cross au niveau législatif, ces structures devant conserver leur vocation opérationnelle et ne pas constituer des instances stratégiques de décision ; le dispositif doit rester souple dans sa mise en oeuvre et relever de l'organisation interne des services de police. La seconde est relative à l'hyper-prolongation médicale de la garde à vue pour les passeurs in corpore. Au-delà des enjeux constitutionnels, la garde à vue étant incompatible avec l'état d'une personne nécessitant des soins, cette mesure poserait d'importantes contraintes opérationnelles aux services, qui devraient garder plus longtemps les personnes dans les structures hospitalières.

En conclusion, je souhaite évoquer cinq mesures non contenues dans la proposition de loi mais qui pourraient utilement compléter l'arsenal juridique et renforcer l'efficacité des enquêtes.

La première concerne la création d'un cadre juridique d'une technique spéciale d'enquête de captation des données à distance. Il serait opportun d'étudier de nouveau cette proposition, en partie censurée par le Conseil constitutionnel en 2023, qui donnerait la possibilité d'activer à distance des appareils connectés aux fins de captation de sons et d'images, dans le cadre d'enquêtes relatives aux infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisées.

Nous faisons face à des délinquants de plus en plus informés des méthodes policières, qui surveillent les véhicules et lieux privés dans lesquels ils échangent pour éviter ou détecter la pose de matériel permettant ces captations ou leur localisation par les forces de l'ordre. La mesure que je propose donnerait aux enquêteurs un cadre juridique leur permettant de conduire ces opérations sans risquer de trahir leur présence, via l'utilisation d'un appareil connecté.

La deuxième mesure porte sur la généralisation du pseudonyme pour les enquêteurs. Cela permettrait d'élargir le dispositif de protection de l'identité des enquêteurs à l'ensemble du périmètre infractionnel, sans autorisation administrative préalable. Cette demande des enquêteurs correspond à ce qui se fait déjà dans la lutte antiterroriste.

La troisième mesure permettrait d'introduire la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Disposant d'une importante surface financière, les réseaux criminels ont la capacité de corrompre des agents privés ou publics utiles à leurs activités. Aujourd'hui, la corruption d'agents publics permet, partiellement, de bénéficier du régime de la criminalité organisée. En revanche, le régime dérogatoire de la garde à vue n'est pas applicable. Par ailleurs, la corruption d'agents privés n'est couverte par aucune disposition de ce régime. Il est donc proposé que la corruption d'agents privés et publics puisse être introduite dans le régime complet de la criminalité organisée.

En effet, dans la mesure où ces réseaux criminels ont gagné en sécurité et en dissimulation, notamment avec les messageries chiffrées, les techniques traditionnelles d'enquête ne sont plus suffisantes pour mettre au jour cette infraction. Le régime de la criminalité organisée, avec ces techniques d'enquête, s'avère aujourd'hui nécessaire aux investigations en la matière.

La quatrième mesure est relative à l'interdiction de paraître sur un point de deal. Il serait opportun de créer une mesure de police administrative d'interdiction de paraître pour les individus causant un trouble à l'ordre et à la tranquillité publics, dans la mesure où les actions judiciaires se sont révélées inefficaces ou impossibles.

Enfin, la cinquième mesure concerne la modification de la durée initiale de garde à vue en matière de criminalité organisée. En cas de garde à vue dérogatoire, l'officier de police judiciaire pourrait être autorisé à décider un placement en garde à vue pour une durée initiale de 48 heures et non plus seulement 24 heures. La prolongation de la mesure serait sollicitée auprès de l'autorité judiciaire à l'issue de ce délai. La complexité croissante des moyens mis en oeuvre par les délinquants, mais aussi les outils déployés par les enquêteurs afin de rassembler les preuves pendant le temps de la garde à vue, ainsi que le renforcement des droits des personnes, ont conduit à réduire pour l'enquêteur le temps de mise à disposition d'un suspect, notamment pour les auditions.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Je souhaite revenir sur la question de la corruption. Dans la criminalité organisée, et singulièrement dans le trafic de stupéfiants, les masses d'argent sont considérables et de nature à corrompre de nombreux agents publics ou privés. Existe-il, dans la police nationale, des dispositifs prévus pour répondre à cette menace ?

M. Jérôme Durain. - Ma question concerne les conclusions et les recommandations formulées par la commission d'enquête, dont j'ai été le président.

Vous avez trouvé nos conclusions sévères concernant l'Ofast, notamment. Notre volonté est que l'office soit le plus efficace possible, et la sévérité de notre avis visait l'organisation globale de la riposte face au narcotrafic dans notre pays. Nous avons notamment évoqué la nécessité d'un chef de filât et d'une coordination interministérielle plus forte, avec une intégration plus forte des services de Bercy. Nous comprenons la nécessité pour vous de rester opérationnel, mais la question de la place de Bercy me semble centrale.

Concernant le dispositif « place nette » - et cela vaut également pour d'autres outils -, il s'agit non pas de contester son efficacité dans l'absolu, mais d'évaluer le prix à payer par rapport aux moyens déployés.

Concernant les informateurs, le souci n'est pas de trouver un cadre nouveau : il faut répondre à la demande de sécurité juridique des agents de terrain qui déclarent travailler « à la mexicaine », car ils ne se sentent pas confortés par la loi.

Mme Lauriane Josende. - Je suis sénatrice des Pyrénées-Orientales, département frontalier touché par les problématiques du narcotrafic et de la criminalité organisée. Tout le monde se félicite de la création des directions interdépartementales. Les services de la police aux frontières (PAF) au sein de mon département ont créé un service spécialisé dans la fraude documentaire. Il s'agit d'un sujet transversal, qui demanderait à être mieux organisé. Avez-vous prévu des moyens supplémentaires pour répondre à cette problématique ? Les agents sont amenés à former leurs collègues partout en France, et ils le font aujourd'hui avec les moyens du bord.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Lors de la mission réalisée en avril 2023 par la commission des lois aux Antilles, nous avons été frappés à la fois par l'investissement des agents de l'Ofast et par leur incroyable dénuement en termes matériels. Nous avons également observé un sous-équipement des aéroports antillais, dans la mesure où aucun ne dispose de scanners, par exemple. Comment comptez-vous faire face à ces difficultés ?

Vous avez évoqué la captation des données à distance ; il sera difficile, sur un tel sujet, de ne pas encourir la censure du Conseil constitutionnel. Par ailleurs, qu'entendez-vous par une intégration de l'infraction de corruption dans le régime de la criminalité organisée ? Pouvez-vous également préciser les contours de l'interdiction de paraître évoquée dans votre propos, dont j'ai compris que le seul critère serait le trouble à l'ordre public ?

Mme Corinne Narassiguin. - Je souhaite évoquer la manière dont la police est aujourd'hui perçue dans les quartiers populaires. Je suis sénatrice de la Seine-Saint-Denis, où le sujet est sensible. Ces relations détériorées entre la police et une partie de la population sont un frein à l'efficacité du travail de la police. La qualité du renseignement en pâtit, et cela rend difficile la prévention auprès des jeunes qui se laissent aspirer dans les trafics. L'articulation avec la police municipale est également problématique.

Je souhaite également revenir sur une déclaration récente de Frédéric Lauze, le président du Syndicat des commissaires de la police nationale, qui déplorait que la police ne fonctionne plus que sur la seule jambe du répressif. Nous avons également besoin de l'autre jambe, c'est-à-dire le volet préventif, qui renvoie à l'idée d'une police de proximité. Dans le contexte actuel de restrictions budgétaires qui empêche l'apport de nouvelles ressources humaines pour accomplir ces tâches différentes et bénéficier d'un dispositif plus complet, n'est-il pas envisageable de redéfinir les missions quotidiennes de la police ?

M. Teva Rohfritsch. - L'antenne de l'Ofast effectue un travail important en Polynésie française. La région est très touchée par la problématique de la métamphétamine, appelée « ice ». Moins répandue en métropole, cette drogue fait des ravages dans la jeunesse polynésienne ; on parle de 10 000 consommateurs, ce qui est considérable à l'échelle de notre territoire. Avec l'Ofast, on a observé une augmentation du nombre de saisies et d'affaires transmises au pouvoir judiciaire. Avez-vous envisagé des moyens supplémentaires concernant la métamphétamine ? Par ailleurs, la cocaïne transite également par nos îles, entre l'Amérique latine et l'Australie.

M. Louis Laugier. - Nous menons actuellement un travail de sensibilisation, car cette ampleur nouvelle du narcotrafic s'impose à tous et nécessite de travailler différemment, avec davantage de coordination encore.

Concernant l'aspect interministériel, les liens avec Bercy sont déjà effectifs, notamment avec les douanes. Sans doute est-il possible d'approfondir encore le sujet avec d'autres services. Sur la question du rattachement, il est important de comprendre que les enquêteurs ne sont pas interchangeables et que le traitement du crime organisé concerne toutes les subdivisions de nos services. De l'échelon de terrain jusqu'au sommet de la filière judiciaire, les échanges sont fluides entre les différents services. Ainsi, un enquêteur s'occupant de blanchiment ou d'assassinat peut communiquer avec un agent s'occupant des stupéfiants.

Le phénomène du narcotrafic, dont l'ampleur ne cesse de croître, touche tous les pays développés. La question des moyens, inévitablement, se posera à nouveau. À moyens constants, avec les recrutements déjà réalisés, il s'agit de travailler sur la coordination afin d'obtenir de meilleurs résultats ; nous en sommes tous convaincus.

Le dispositif « place nette », comme j'ai pu le constater, donne des résultats très positifs sur le terrain, mais produit également une forme d'insatisfaction. Pour schématiser, on arrive à mettre temporairement fin à une situation, qui reprend plus tard... Il convient donc d'accompagner le dispositif dans la durée. Cela ne suppose pas nécessairement une présence quotidienne, mais des retours réguliers au bon moment, ainsi qu'un important travail judiciaire. Le fait d'afficher une force sur le terrain est important, mais cela ne doit pas ensuite créer un effet déceptif.

Pour ces opérations « place nette », l'unité d'investigation nationale (UIN) apporte également son expertise, notamment au niveau judiciaire, en appui du travail des enquêteurs sur le terrain.

Sur le sujet important des informateurs ,je ne peux aujourd'hui que répéter qu'en dépit des avancées de la technologie, la source humaine reste essentielle.

Ayant servi dans deux départements frontaliers, j'ai vu le travail des services de la PAF concernant la fraude documentaire. Ces derniers disposent d'une véritable expertise sur le sujet. Il existe, par ailleurs, des formations au niveau national. L'importance des flux nécessitant une augmentation des capacités, ce travail devra s'amplifier à l'avenir.

Dans certains cas, en effet, les agents de l'Ofast manquent d'équipements. Nous avons toujours besoin d'augmenter nos capacités opérationnelles afin de répondre à la menace, et tous les pays sont aujourd'hui confrontés à la même difficulté.

Poursuivant une démarche de sécurité du quotidien, le contact avec la population est essentiel. Dès ma prise de fonction, j'ai insisté sur la nécessité d'être visible sur le terrain au bon moment. Il faut savoir parler avec les gens, même si, dans certains endroits, ce n'est pas facile. Ce travail a parfois été occulté, du fait de l'action immédiate en réponse à la délinquance. L'aspect préventif implique une relation normalisée, tout en assumant une capacité répressive lorsque cela est nécessaire ; l'équilibre entre ces deux aspects ne peut s'établir qu'avec finesse. Le contexte des dernières années, marqué par des crises successives, n'a pas non plus facilité les choses.

Le sujet de la corruption a donné lieu à une série d'actions. Je pense, en premier lieu, à l'ajout d'une formation aux risques d'atteinte à la probité pour les élèves gardiens de la paix et policiers adjoints dans les écoles de police. Dès le début de la formation, cela permet de faire passer des messages clairs, rappelant les exigences du métier. Nous avons également créé, à l'attention des enquêteurs, une formation en ligne sur les atteintes à la probité et les situations de vulnérabilité, afin d'améliorer la détection précoce de ces faits.

L'élaboration d'un état de la menace concernant la corruption permettra de décliner un plan d'action national portant sur le traitement du phénomène. La mise en place de nouveaux indicateurs statistiques doit permettre d'affiner la connaissance des procédures relevant des atteintes à la probité. À cela s'ajoute la mise en place d'un dispositif de protection des lanceurs d'alerte ou de gestion des signalements en matière de corruption. Enfin, une réflexion est en cours sur un outil permettant de renforcer le contrôle automatisé des consultations de fichiers.

Tout cela doit être rappelé au moment de la formation des cadres de la police nationale, afin notamment de détecter en amont les fragilités. Ce rôle managérial est, à mes yeux, essentiel.

Sur le trafic des drogues de synthèse, j'ai évoqué le nombre important des saisies. Monsieur le sénateur, pensez-vous à une disposition particulière ?

M. Teva Rohfritsch. - Je souhaite savoir si vous envisagez un renforcement des actions de l'Ofast et s'il s'avère nécessaire de mettre l'accent, au niveau local, sur la coordination interministérielle. En Polynésie, nous sommes très loin des moyens dont on peut disposer en métropole. Plus le nombre des saisies augmente, plus les choses à saisir semblent elles aussi en expansion. Nos prisons, actuellement, se remplissent de trafiquants. La criminalité organisée n'existait pas en Polynésie, et nous avons récemment déploré un premier décès en raison d'un règlement de compte.

M. Louis Laugier. - Nous devons intensifier notre travail au niveau international concernant certaines filières ; je pense, notamment, à nos relations avec l'Australie.

J'en viens au sujet des interdictions de paraître. Certaines personnes, pour lesquelles les actions judiciaires ne sont pas efficientes, entraînent des troubles sur la voie publique. Il s'agit d'envisager une possibilité administrative d'interdiction de s'installer à certains endroits. Un point de deal est comme un abcès, avec des personnes qui restent là toute la journée ; celles-ci peuvent recevoir des AFD ou même être poursuivies, sans que  ces sanctions ne les éloignent du point de deal. Je suis conscient que cette interdiction est complexe à mettre en place.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Les infractions liées au trafic sont justifiées par le souci du gain financier. Il faut donc agir par le biais de la saisie des biens. Pensez-vous à des outils qui nous permettraient d'aller plus loin dans notre capacité de saisie et de confiscation des avoirs criminels ?

M. Louis Laugier. - Il conviendrait de réaliser des confiscations provisoires sur des comptes, mais cela est difficile à mettre en place. On peut également geler des biens immobiliers. En termes de saisies des avoirs, nous effectuons déjà un travail important, notamment par le biais des groupes interministériels de recherche (GIR). Cela demande un temps considérable à nos enquêteurs pour traiter les dossiers. Les montages s'avèrent, le plus souvent, très complexes, avec une dimension internationale qui a notamment permis une partie des 29 interpellations sur la cinquantaine de personnes initialement ciblées. Il est complexe de capter des avoirs au niveau international. Cette phase de confiscation provisoire pourrait déstabiliser les personnes ciblées. Je mesure mal, en revanche, les conséquences pour les services en termes de procédure.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Monsieur le directeur général, je vous remercie.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LES RAPPORTEURS

M. Étienne Blanc, sénateur du Rhône, auteur de la proposition de loi

Ministère de l'intérieur

Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN)

M. le général d'armée Hubert Bonneau, directeur général de la gendarmerie nationale

M. le général de brigade Dominique Lambert, sous-directeur de la police judiciaire

M. le lieutenant-colonel Ronan Lelong, chef du bureau de la synthèse budgétaire

M. lieutenant-colonel Christophe Meneau, chef du pôle juridique et judiciaire

Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ)

Mme Pascale Léglise, directrice

M. Clément Rouchouse, sous-directeur des libertés publiques

M. Cyriaque Bayle, adjoint au sous-directeur des libertés publiques

M. Pablo Rieu, chef du bureau des questions

Mme Marion Montiel, adjointe au chef du bureau des questions pénales

Direction nationale de la police judiciaire (DNPJ)

M. Philippe Chadrys, adjoint au directeur, en charge des opérations

Office antistupéfiants (OFAST)

M. Christian de Rocquigny, chef de l'OFAST par intérim

Mme Sophie Etienne, cheffe de la cellule synthèse et coordination

Table ronde des syndicats de police

Syndicat Alliance police nationale

M. Eric Marrocq, délégué général adjoint

M. Christophe Molton, conseiller technique

Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI-CFDT)

M. Christophe Miette, secrétaire national en charge de la police judiciaire

UNSA-FASMI

Mme Ingrid Lecoq, secrétaire nationale en charge de la province et des drom com

M. Adrien Legrand, secrétaire national en charge de l'Ile-de-France

Alternative police-CFDT

M. Benjamin Camboulives, délégué national et porte-parole de l'organisation

M. Dominique Chertemps, chargé de mission police judiciaire

FSMI-FO- Unité SGP Police FO

M. Yann Bastiere, délégué national Un1té

M. Sébastien Watiotienne, délégué national Un1té

Synergie-officiers

M. Yann-Henry Tinière, conseiller technique

M. David Alberto, conseiller technique

Ministère de la justice

Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG)

Mme Laureline Peyrefitte, directrice

M. Julien Morino-Ros, sous-directeur de la négociation et de la législation pénales

Mme Mathilde Barrachat, cheffe du bureau de la législation pénale spécialisée

Direction de l'administration pénitentiaire (DAP)

M. Vincent Dupeyre, sous-directeur de la sécurité pénitentiaire

Mme Johanna David, sous-directrice adjointe à la sécurité pénitentiaire

Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco)

M. Stéphane Noel, président du tribunal judiciaire de Paris

Mme Sophie Aleksic, première vice-présidente, coordinatrice du pôle criminalité

Mme Laure Beccuau, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris

M. Éric Serfass, procureur adjoint, chargé de la division Jirs/Junalco au parquet de Paris

Mme Pauline Bonnecarrere, vice-présidente, chargée de mission secteur pénal, présidence du tribunal de Paris

Jirs de Bordeaux

M. Vincent Raffray, vice-président, chargé de l'instruction de la Jirs de Bordeaux

M. Bertrand Rouede, premier vice-procureur

Jirs Fort-de-France

Mme Dominique Vinsonneau, première vice-présidente en charge de l'instruction et coordonnatrice du service de la Jirs de Fort-de-France

Mme Caroline Domme, substitute du procureur de la République

Jirs de Lille

Mme Stéphanie Kretowicz, présidente du tribunal judiciaire

Mme Carole Etienne, procureure de la République

Jirs de Lyon

M. Dominique Lenfantin, président du tribunal judiciaire

M. Thierry Dran, procureur de la République

Jirs de Marseille

Mme Annaïck Le Goff, magistrats en charge du pôle Jirs économique et financière de Marseille, sous-section criminalité organisée marseillaise

Mme Isabelle Fort, procureur de la République adjoint, en charge de la criminalité organisée au Parquet de Marseille

Jirs de Nancy

M. Arnaud Desplan, vice-président en charge de l'instruction

M. Vincent Legaut, procureur adjoint

Jirs de Paris

Mme Sophie Aleksic, première vice-présidente instruction, coordinatrice du pôle criminalité organisée

M. François Antona, vice-procureur, chef de la section criminalité organisée de la Junalco/Jirs de Paris

Jirs de Rennes

Mme Flavie Le-Sueur, procureure de la République adjointe, magistrats en charge du pôle Jirs de Rennes

Mme Raphaële Bail, première vice-présidente chargée des fonctions de l'instruction, coordinatrice du service de l'instruction

Tableau ronde syndicats magistrats

Union Syndicale des Magistrats

Mme Stéphanie Caprin, vice-présidente

Mme Alexandra Vaillant, secrétaire générale

M. Aurélien Martini, secrétaire général adjoint

Syndicat de la magistrature

Mme Judith Allenbach, secrétaire permanente

Unité magistrats SNM FO

Mme Béatrice Brugere, secrétaire générale, Première vice-procureure

Mme Delphine Blot, déléguée générale adjointe, vice-présidente

Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR)

M. Frédéric Chevallier, procureur de Chartres

Conférence nationale des procureurs généraux de cour d'appel (CNPG)

M. Christophe Barret, vice-président, procureur général près la cour d'appel de Grenoble

Conseil national des barreaux

Mme Valentine Guiriato, vice-présidente de la commission libertés et droits de l'Homme

M. David Levy, membre de la commission libertés et droits de l'Homme

Mme Nancy Ranarivelo, chargée de mission affaires publiques

Barreau de Paris

Mme Elise Arfi, membre du conseil de l'Ordre et secrétaire de la commission pénale du Barreau de Paris

Conférence des bâtonniers

M. Pierre Dunac, ancien bâtonnier du barreau de Toulouse, vice-président de la Conférence des bâtonniers

Ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI)

M. Florian Colas, directeur général

Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED)

M. Sébastien Tiran, directeur

Mme Alice Cherif, cheffe du service juridique

Tracfin

M. Antoine Magnant, directeur

Mme Sarah Olivier, conseillère juridique

Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Midelca)

M. Nicolas Prisse, président

Mme Célia Bobet, chargée de mission police nationale

Mme Aurore Vandendriessche, chargée de mission justice

Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT)

M. Guillaume Airagnes, directeur

Mme Ivana Obradovic, directrice adjointe

Agence française anticorruption

Mme Isabelle Jégouzo, directrice de l'agence française anticorruption

M. Yann Philippe, sous-directeur des acteurs publics

Mme Mariannig Imbert, chef de de pôle juridique

Commission nationale protection et réinsertion

M. Marc Sommerer, président

Table ronde des associations de maires

Association des petites villes de France (APVF)

M. Jean-Pierre Bouquet, maire de Vitry-le-François et référent sécurité

Mme Marie Coulet, conseillère sécurité

Association des maires ruraux de France (AMRF)

Mme Rachida Laoufi-Saber, élue-ville de Saint Loup S/Semouse

Association des Maires de France & des Présidents d'Intercommunalité (AMF)

M. Didier Laguerre , maire de Fort-de-France (en visioconférence)

M. Joseph Segura, maire de St-Laurent du Var, secrétaire général adjoint

M. Charles Abadie, chargé de mission sécurité

M. Didier Poulhazan, chargé de mission sécurité

Mme Charlotte de Fontaines, responsable des relations avec le Parlement

France Urbaine

Mme Johanna Rolland, présidente

M. Bastien Taloc, conseille

Mme Sarah Bou Sader, conseillère parlementaire

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LA COMMISSION

M. Louis Laugier, directeur général de la police nationale

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC)

Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM)

Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL)

Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR)

Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce

Direction générale des entreprises (DGE)

Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI)

Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM)

Direction générale de l'aviation civile (DGAC)

État major de la Marine Nationale

Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLIFF)

Secrétariat général de la mer

Service interministériel d'assistance technique (SIAT)

Service national des enquêtes administratives et de sécurité (SNEAS)

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl23-735.html

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-197.html


* 1 Source : Mildeca et Observatoire français des drogues et des conduites addictives (ODFT).

* 2 Selon l'expression employée par la Mildeca et l'OFDT.

* 3  Rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.

* 4 Infiltrées puis démantelées par Europol en lien avec les autorités françaises, ces trois messageries reposaient sur un système de cryptage et sur l'utilisation de terminaux ad hoc particulièrement sécurisés et onéreux. Censées garantir leurs utilisateurs contre tout risque de découverte de leur identité, elles constituaient des outils de choix pour les criminels du « haut du spectre ». Le démantèlement de Ghost a été annoncé en septembre 2024.

* 5 Source : Ofast.

* 6 Décret n° 2019-1457 du 26 décembre 2019 portant création du service à compétence nationale dénommé Office anti-stupéfiants.

* 7 Article 706-80-1 du code de procédure pénale ; article 67 bis-3 du code des douanes.

* 8 Pour plus de détail sur cette réforme, voir le rapport d'information n° 387 (2022-2023), fait par Nadine Bellurot et Jérôme Durain au nom de la commission des lois, déposé le 1er mars 2023

* 9 Cour des comptes, « L'Ofast et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants - Exercices 2018 à 2023 », observations définitives, 26 septembre 2024.

* 10 Articles R. 811-2 et R. 811-3 du code de la sécurité intérieure.

* 11 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 12  Les « mules » peuvent se définir comme « des personnes, à l'origine non impliquées dans le trafic de drogues, qui assurent l'acheminement de drogues ayant une valeur marchande élevée pour le compte d'un réseau de trafiquants, in corpore en les avalant ou en les plaçant dans des cavités naturelles ou dans leurs bagages » (source : Observatoire français des drogues et des tendances addictives)

* 13 Pour plus de détails, se reporter au commentaire de l'article 7.

* 14 Pour plus de détails, se reporter au commentaire de l'article 2.

* 15 Conseil constitutionnel, décision n° 2021-924 QPC du 9 juillet 2021, La Quadrature du Net.

* 16  Rapport précité.

* 17 Créées par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, les huit Jirs sont implantées à Bordeaux, Lille, Lyon, Paris, Marseille, Rennes, Nancy et Fort-de-France.

* 18 Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

* 19 Celle du Havre, créée en 2016, est organisée sous l'autorité des procureurs généraux de Paris, Douai, Rouen et Fort de France ; depuis 2022, une instance a été mise en place pour l'arc méditerranéen et rassemble les parquets généraux de Paris, Montpellier et Aix-en-Provence ; depuis 2023, les parquets généraux de Bordeaux, Rennes, Pau et Poitiers, les parquets disposant d'un ressort sur la façade Atlantique et les parquets Jirs de Bordeaux et Rennes disposent d'une instance pour l'arc Atlantique.

* 20 Voir infra, articles 11 à 15.

* 21 Voir supra, article 1er.

* 22 Ces chiffres ont été nuancés par la Junalco lors de son audition : sans que les motifs de cette divergence soient connus, elle déclare désormais que sur 94 dossiers ouverts, 54 sont liés au narcotrafic.

* 23 Voir infra, articles 11 et 15.

* 24 Juge de l'application des peines, tribunal de l'application des peines et chambre de l'application des peines.

* 25 Les conflits entre Jirs et juges d'instruction resteraient régis par les dispositions actuelles du code de procédure pénale, dans la mesure où il n'apparaît pas juridiquement opportun qu'un procureur soit appelé à trancher des désaccords entre le siège et un parquet, voire entre deux formations du siège.

* 26 Voir infra, article 6.

* 27 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 28 Articles L. 331-1 et suivants du code de la sécurité intérieure.

* 29 Article L. 8272-2 du code du travail.

* 30 Article L. 3422-1 du code de la santé publique.

* 31 Intitulé « 15 propositions pour renforcer la lutte contre la criminalité financière ».

* 32 Depuis la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude

* 33 À savoir les personnes physiques ou morales détenant plus de 25 % du capital d'une société ou d'un moyen de contrôle su celle-ci.

* 34 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 35 Article 321-6 du code de procédure pénale.

* 36 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 37 Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Analyse nationale, janvier 2023.

* 38 Créé par la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, le statut de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) est soumis à un enregistrement obligatoire auprès de l'autorité des marchés financiers, sur avis conforme de l'autorité de contrôle prudentiel et de régulation, et, le cas échéant, d'un agrément optionnel. Outre une application d'office des règles LBC-FT, leurs bénéficiaires doivent respecter d'importantes exigences s'agissant notamment de l'identification des actionnaires, du contrôle interne, de la gestion des risques ou encore de la sécurité informatique (voir article L. 54-10-3 et suivants du code monétaire et financier).

* 39 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 40 Voir en particulier le dernier alinéa de l'article 11 ainsi que les articles 11-1 et 11-2 du code de procédure pénale.

* 41 Mentionnés à l'article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure.

* 42 Et notamment au bénéfice des services spécialisés de renseignement ainsi que des services dits « du second cercle » mentionnés à l'article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure.

* 43 Sénat, commission des lois, rapport n° 694 (2020-2021) de Marc-Philippe Daubresse et Agnès Canayer sur le projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, 16 juin 2021.

* 44 Par la création de deux critères cumulatifs que sont le lien avec les missions du service bénéficiaire et l'existence d'un intérêt spécifique pour l'exercice de celles-ci.

* 45 Sénat, commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 46 Conseil d'État, avis n° 402791 sur une lettre rectificative au projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, 6 mai 2021.

* 47 Dans le détail, le plan national de lutte contre les stupéfiants poursuivait trois objectifs : rendre toutes les Cross opérationnelles d'ici à fin 2019 ; impliquer dans chaque Cross des personnels de la gendarmerie et des douanes ; permettre à d'autres acteurs, comme la police municipale et les bailleurs sociaux, de partager leurs informations issues du terrain avec les Cross. Une telle organisation devait permettre, d'une part, « de mieux collecter, recouper et analyser les informations recueillies » et, d'autre part, « de définir collectivement des objectifs de démantèlement de réseaux répartis par services opérationnels ».

* 48 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 49 Ofast, « Doctrine nationale de la lutte contre les trafics de stupéfiants », document transmis à la commission d'enquête.

* 50 Informations issues du même document.

* 51 Cour des comptes, Relevé d'observations définitives, « L'Ofast et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants », 27 novembre 2024.

* 52 Cette conclusion s'appuyait notamment sur les observations suivantes : « il y a des endroits où [les CROSS] fonctionnent très bien, d'autres où elles ont été totalement mises de côté, se réunissant à peine une fois par an. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation : la qualité des relations interpersonnelles, qui demeure un facteur prépondérant, la présence ou non d'une antenne de l'Ofast à proximité pour redynamiser le réseau, des « faits » d'actualité, qui peuvent conduire à réactiver des cellules en sommeil ».

* 53 Sénat, commission des lois, rapport n° 694 (2020-2021) de Marc-Philippe Daubresse et Agnès Canayer sur le projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, 16 juin 2021.

* 54 Sénat, rapport n° 810 (2022-2023) relatif à l'activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2022-2023, 28 juin 2023.

* 55 Sénat, rapport n° 595 (2023-2024) d'Agnès Canayer sur la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, 15 mai 2024.

* 56 CNCTR, huitième rapport d'activité, 2023.

* 57 Crimes et délits définis aux articles 222-34 à 222-40 du code pénal, mentionnés au 3° de
l'article 706-73 du code de procédure pénale.

* 58 Il s'agit des techniques prévues aux articles 706-80 à 706-87 et 706-89 à 706-102-5 du code de procédure pénale : surveillance, infiltration, perquisitions, accès à distance aux correspondances, recueil des données de connexion, sonorisation, captation de données informatiques.

* 59 Article 706-88 du code de procédure pénale.

* 60 « Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions » (article 132-71 du code pénal).

* 61 Cour de cassation, chambre criminelle, 8 juillet 2015, n° 14-88.329.

* 62 Article 203 du code de procédure pénale.

* 63 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 64 La connexité permet une éventuelle jonction de procédures, une prorogation de compétence, l'interruption du délai de prescription de l'action publique ou la condamnation solidaire des condamnés au paiement des dommages et intérêts.

* 65 Direction ou organisation d'un groupement ayant pour objet le trafic de stupéfiants ; production ou fabrication illicites de stupéfiants ; importation ou exportation de stupéfiants ; transport, détention, offre, cession acquisition ou emploi illicites de stupéfiants ; facilitation de la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur de l'une des infractions précitées ; cession ou offre illicites de stupéfiants en vue de sa consommation personnelle.

* 66 Il s'agit des cas où ces provocations ont lieu dans des établissements d'enseignement ou d'éducation ou dans les locaux de l'administration, ainsi que, lors des entrées ou sorties des élèves ou du public ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements ou locaux.

* 67 L'article vise les plateformes définies au 4 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

* 68 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 69 Selon le site Internet Vie-publique.fr, l'ubérisation peut être définie comme « la remise en question de structures économiques traditionnelles par la mise en relation directe des clients et des prestataires, via des plateformes numériques. Elle permet une plus grande souplesse, diversifie l'offre et la demande, introduit l'innovation et modifie la notion même de travail »

* 70 En application des dispositions du code de la justice pénale des mineurs, les mineurs se voient appliquer des règles de procédure pénale différentes de celles applicables aux majeurs (par exemple, impossibilité de retenue judiciaire avant 10 ans, pas de garde à vue possible avant 13 ans) et les peines encourues par les mineurs sont par principe diminuées de moitié ; de plus, les mesures et sanctions éducatives doivent être privilégiées par les juges des enfants avant tout prononcé d'une peine.

* 71 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 72 Source : site internet de l'OFDT.

* 73 Soit les infractions mentionnées au 3° de l'article 706-73 du code de procédure pénale.

* 74 Conseil constitutionnel, décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, Daniel W. et autres.

* 75 Dans l'hypothèse où cette demande aurait été refusée dans les conditions prévues à l'article 63-2 du code de procédure pénale.

* 76 Article 132-1 du code pénal.

* 77 La personnalité qualifiée désignée est, à date, Laurence Pécault-Rivolier, membre du collège de l'Arcom, conseillère à la Cour de cassation. Son suppléant est Denis Rapone, membre du collège de l'Arcom, conseiller d'État.

* 78 Le dernier rapport publié à date porte sur l' année 2023.

* 79 Au sens de l'article 3 du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques, une plateforme est définie comme « un service d'hébergement qui, à la demande d'un destinataire du service, stocke et diffuse au public des informations ».

* 80 Ces règles sont prévues au A du V de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

* 81 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 82 Selon le site Internet Vie-publique.fr, l'ubérisation peut être définie comme « la remise en question

de structures économiques traditionnelles par la mise en relation directe des clients et des prestataires,

via des plateformes numériques. Elle permet une plus grande souplesse, diversifie l'offre et la demande,

introduit l'innovation et modifie la notion même de travail »

* 83 Soit depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur.

* 84 Celle-ci est, par conséquent, compétente pour juger les seuls crimes de direction ou l'organisation d'un groupement de narcotrafic (article 222-34 du code pénal), de production ou de fabrication illicites de stupéfiants (article 222-35), d'importation ou d'exportation de stupéfiants en bande organisée (article 222 -36) et de justification mensongère de l'origine des biens ou revenus acquis grâce à un crime dont la personne concernée avait connaissance (article 222-38).

* 85 Voir supra, commentaire de l'article 2.

* 86  Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 87  Décret n° 2014-346 du 17 mars 2014 relatif à la protection des personnes mentionnées aux articles 706-62-2 et 706-63-1 du code de procédure pénale.

* 88 Voir la note de droit comparé annexée au rapport.

* 89  Audition du 27 novembre 2023.

* 90 Expression employée devant la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic par Marc Perrot, directeur territorial de la police judiciaire de Nantes (Loire-Atlantique), lors de son audition le 17 janvier 2024.

* 91 Un régime spécifique, prévu par le même article 230-33, régit l'utilisation de la géolocalisation en cas d'instruction ou d'information pour recherche des causes de la mort ou en cas de disparition.

* 92 Voir l'audition de parquets situés en zone rurale menée le 15 janvier 2024 par la commission d'enquête.

* 93 CJUE, 18 juillet 2012, Kadi II, aff C-584/10 P, relatif au contentieux des mesures restrictives.

* 94  Décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014. Celle-ci portait sur des dispositions permettant au juge des libertés et de la détention d'autoriser que « certaines informations relatives à l'installation ou au retrait du moyen technique de géolocalisation ou l'enregistrement des données de localisation et les éléments permettant d'identifier une personne ayant concouru à l'installation ou au retrait du moyen technique n'apparaissent pas dans le dossier de la procédure d'instruction ».

* 95 Le dispositif de la proposition de loi aurait eu pour effet de limiter considérablement la durée maximale de déploiement de cette technique, à rebours de l'intention affichée par les auteurs et en contradiction avec les besoins exprimés par les services d'enquête et les magistrats.

* 96 Voir supra, commentaire de l'article 12.

* 97  Rapport précité de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.

* 98  Rapport « Les forces de police à Marseille » du 21 octobre 2024.

* 99 Idem.

* 100 Décisions n° 2021-900 QPC du 23 avril 2021, « Vladimir M. », et n° 2023-1062 QPC du 28 septembre 2023, « François F. ».

* 101 Article 269-1 du code de procédure pénale, résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

* 102 Sont visées les infractions mentionnées aux articles 222-34 à 222-40 du code pénal ainsi que l'infraction de participation à une association de malfaiteurs prévue à l'article 450-1 du même code lorsqu'elle a pour objet la préparation de l'une des infractions précitées.

* 103 Article 110 de la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982.

* 104 L'article 92 de la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982 stipule que les navires naviguent sous le pavillon d'un seul État et sont soumis à sa juridiction exclusive en haute mer, sauf dans les cas exceptionnels expressément prévus par des traités internationaux ou par la Convention.

* 105 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 106 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 107 Sont concernées les établissements publics industriels et commerciaux et les sociétés et dont la société mère a son siège social en France et dont l'effectif comprend au moins cinq cents salariés, et dont le chiffre d'affaires ou le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 100 millions d'euros.

* 108 Voir le b) du 11.1.7 de l'annexe du règlement d'exécution (UE) 2015/1998 de la Commission du 5 novembre 2015 fixant des mesures détaillées pour la mise en oeuvre des normes de base communes dans le domaine de la sûreté de l'aviation civile.

* 109 Articles 11-2 et suivants du code de procédure pénale.

* 110 Conseil d'État, Assemblée générale, 10 mars 2022, Avis n°404913 sur un projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur et portant diverses dispositions en matière pénale et sur la sécurité intérieure.

* 111 Il s'agit des techniques prévues aux articles 706-80 à 706-87 et 706-89 à 706-102-5 du code de procédure pénale : surveillance, infiltration, perquisitions, accès à distance aux correspondances, recueil des données de connexion, sonorisation, captation de données informatiques.

* 112 Article 706-88 du code de procédure pénale.

* 113 Pour plus de détails, se reporter au commentaire de l'article 6.

* 114 Pour plus de détails, se reporter au commentaire de l'article 2.

* 115 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 116 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 117 Article 145-1 du code de procédure pénale.

* 118 Article 145-2 du code de procédure pénale.

* 119 Conseil constitutionnel, décision n° 2021-822 DC du 30 juillet 2021 (voir le 8).

* 120 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 121 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 122 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 123 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

* 124 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 125 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 126 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 127 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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