TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE MM. ANTOINE ARMAND, MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, DÉMISSIONNAIRE, ET LAURENT SAINT-MARTIN, MINISTRE AUPRÈS DU PREMIER MINISTRE, CHARGÉ DU BUDGET ET DES COMPTES PUBLICS, DÉMISSIONNAIRE (11 DÉCEMBRE 2024)

Réunie le mercredi 11 décembre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu MM. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, démissionnaire, et Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, démissionnaire, sur le projet de loi spéciale, prévue à l'article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Cette audition s'inscrit dans un contexte inédit sous la Ve République, alors que la motion de censure adoptée par l'Assemblée nationale sur le texte de la commission mixte paritaire relatif au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 a conduit à la suspension de l'examen du projet de loi de finances initiale, lequel ne devrait pas pouvoir reprendre et s'achever avant la fin de l'année.

Aussi, le conseil des ministres a délibéré ce matin sur un projet de loi spéciale, en application de l'article 47 de la Constitution et de l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf), que nous devrons examiner la semaine prochaine. Il est effectivement urgent d'agir désormais pour doter la France des moyens de commencer l'année.

Cette situation exceptionnelle nous conduit à entendre cet après-midi les ministres Antoine Armand et Laurent Saint-Martin, malgré la démission du Gouvernement.

Cet échange sera l'occasion d'aborder les nombreux sujets liés à ce texte contenant trois articles et de nous assurer que toutes les mesures indispensables au financement de nos institutions et de nos services publics y sont intégrées.

La question plus spécifique du financement de la sécurité sociale et du recours à l'emprunt pour certains organismes, qui correspond à l'article 3 du projet de loi spéciale, justifie la présence du président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, et de la rapporteure générale, Élisabeth Doineau, désignée ce matin rapporteure pour avis, au nom de la commission des affaires sociales, sur le présent texte.

La question connexe des crédits nécessaires à l'ensemble des missions de l'État est également cruciale, la Constitution prévoyant à cet effet l'adoption par le Gouvernement de décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés.

Évidemment, ces textes répondent à une situation d'urgence et constituent des palliatifs qui ne pourront que temporairement permettre à la France de fonctionner sans budget pour 2025.

M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, démissionnaire. - La motion de censure adoptée le 4 décembre dernier a interrompu la discussion des textes financiers, compromettant l'adoption d'un budget de la sécurité sociale et d'une loi de finances pour 2025 avant le 31 décembre 2024. Saluons néanmoins la qualité des débats que nous avons eus devant cette commission comme en séance publique sur des questions essentielles pour notre pays, telles que la fiscalité des entreprises ou nos engagements internationaux et européens, qui se posent toujours.

Tout d'abord, nous traversons une situation exceptionnelle et grave, qui emporte déjà et emportera encore des conséquences économiques tangibles et visibles, avec une incertitude pesant sur les décisions d'investissement et de recrutement des entreprises, sur leur capacité à implanter de nouveaux sites de production, sur l'attractivité du pays et sur l'offre touristique.

L'absence de budget d'ici au 31 décembre 2024 aura des effets concrets, comme l'impossibilité de débloquer l'aide de 1 milliard d'euros sous forme de prêt accordé à la Nouvelle-Calédonie, qui se trouve dans une situation d'extrême urgence, ou la non-entrée en vigueur au 1er janvier 2025 de la baisse de la TVA pour 6 000 produits alimentaires en Martinique et en Guadeloupe. Ces effets toucheront d'autres secteurs, comme l'agriculture, et concerneront, notamment, l'ensemble des crédits d'impôt, incitatifs ou non, contribuant à l'élaboration des politiques publiques, à une forme de justice fiscale et au soutien des plus précaires, qui ne pourront être prolongés. Même si ces dispositifs étaient repris dans une nouvelle loi de finances, ils ne pourraient pas s'appliquer durant une certaine période.

Ensuite, ce projet de loi spéciale a deux objectifs, prévus par l'article 47 de la Constitution : donner la possibilité au Parlement, souverain en la matière, d'autoriser la levée de l'impôt et permettre à l'État et aux organismes de sécurité sociale de continuer à émettre de la dette pour assurer la continuité des services publics.

Enfin, ce projet de loi spéciale, dispositif exceptionnel et transitoire, n'est pas un budget et ne comporte donc aucune des caractéristiques fondamentales d'un tel texte : ni estimation, ni cible de déficit, ni prévision de croissance, ni plafond d'emprunt, ni objectif d'endettement. Il vise à assurer la continuité des services publics, mais ne saurait résoudre l'incertitude majeure provoquée par l'absence conjointe de gouvernement et de budget à la fin d'une année. La stratégie économique sous-tendant un projet de loi de finances (PLF) et la volonté de réduire ou non les déficits, lesquels n'ont pas disparu avec la censure, relèveront des choix du futur gouvernement.

Enfin, ainsi que Michel Barnier y avait fait allusion en évoquant l'esprit de responsabilité qui devra présider à l'adoption du futur budget comme de cette loi spéciale, les engagements internationaux et européens pris par la France, lesquels avaient fait l'objet d'une évaluation positive de la Commission, devront être tenus. À défaut, cela reviendrait à décider de changer radicalement la place et le rang de la France en Europe.

M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, démissionnaire. - Nous nous trouvons dans une configuration inédite, et il revient à ce gouvernement de gestion des affaires courantes de porter ce texte au titre du caractère urgent et impératif que revêt son adoption.

Tôt ou tard, il faudra donner à la France un budget ; le projet de loi spéciale que vous vous apprêtez à examiner ne saurait en tenir lieu. La situation de nos finances publiques n'a pas changé depuis la démission du Gouvernement, avec tous les défis qu'elle emporte pour le présent comme pour l'avenir. Ce texte ne préjuge pas des nouveaux arbitrages qui devront être rendus par un prochain gouvernement de plein exercice et ne détermine en aucune manière les futures discussions budgétaires, dont je souhaite, à titre personnel, qu'elles prennent place rapidement, dans l'intérêt supérieur de notre pays et de nos concitoyens. Il n'a pas vocation à permettre la répétition des débats que nous avons eus ensemble lors de l'examen du PLF et du PLFSS.

Son seul objectif, qui en délimite strictement le contenu, est d'assurer à titre exceptionnel et transitoire la continuité de la vie de la Nation, en évitant un shutdown, une interruption de l'ensemble de nos services publics faute de pouvoir les financer. Ce texte ne peut faire ni moins ni plus que cela, la jurisprudence à ce sujet étant claire.

Tout d'abord, une telle loi ne peut modifier le code général des impôts. Elle n'exprime pas le consentement à l'impôt, mais en constate la nécessité. Elle ne permet donc ni de reconduire pour l'année suivante les dispositions fiscales qui arrivent à échéance fin 2024 ni de modifier le barème de l'impôt sur le revenu (IR) pour l'indexer sur l'inflation. L'avis rendu par le Conseil d'État sur ces deux points est sans ambiguïté : « L'indexation sur l'inflation du barème de l'impôt sur le revenu (...) ou encore la modification du droit aux fins de prolonger la durée d'application de crédits d'impôt dont une loi de finances a prévu l'extinction au 31 décembre 2024 ne sont pas au nombre des dispositions ayant leur place en loi spéciale ». La loi spéciale ne peut qu'autoriser temporairement le Gouvernement à continuer à percevoir les impôts et taxes existants, jusqu'au vote de la loi de finances pour l'année, qui reste indispensable pour assurer le financement de nos services publics, de notre système de protection sociale et de nos collectivités territoriales.

Ensuite, le décret qui sera pris après promulgation de cette loi spéciale nous place sous le régime restrictif des services votés. La loi spéciale n'autorise pas le Gouvernement à engager de nouvelles dépenses. Conformément à la Constitution, jusqu'à l'adoption d'une nouvelle loi de finances pour l'année, les crédits se rapportant aux services votés seront temporairement ouverts par décret. Les services votés correspondent au niveau minimal de crédits jugé indispensable pour permettre l'exécution des services publics en 2025 dans les conditions de l'année précédente. Cela signifie que, en l'absence de loi de finances, le Gouvernement ne pourra pas augmenter les budgets, par exemple, des armées, de la justice, de l'intérieur, de la recherche, bref, les budgets qui sont soumis à une loi de programmation.

Sauf nécessité pour la continuité de la vie nationale ou motif d'urgence caractérisé, le Gouvernement ne pourra pas non plus procéder à de nouveaux investissements ou à des dépenses discrétionnaires de soutien aux associations, aux entreprises ou aux collectivités. Il ne pourra pas non plus prendre les mesures d'économies prévues ni augmenter les recettes fiscales. Ces décisions reviendront au prochain exécutif.

Enfin, la loi spéciale autorise le Gouvernement à recourir aux emprunts nécessaires pour assurer ses engagements, ainsi que le fonctionnement régulier des services publics. Comme vous le savez, les recettes fiscales et sociales à elles seules ne suffiraient pas à couvrir les besoins des administrations publiques, eu égard à la situation déficitaire de l'État comme des comptes sociaux. Sans la possibilité de recourir à l'emprunt, nous ne pourrions assurer nos engagements auprès de nos créanciers ni garantir le fonctionnement régulier des services publics. Il est donc indispensable d'autoriser tant l'État que les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) à émettre de la dette.

Je n'imagine pas que ce projet de loi ne soit pas adopté, je ne m'étendrai donc pas sur les conséquences d'un éventuel rejet. Il s'agit ici de parer à l'urgence dans l'attente d'un nouveau budget, d'assurer la continuité de la Nation, le fonctionnement régulier des services publics qui protègent les Français, font fonctionner le pays et contribuent à la bonne marche de notre économie, ainsi que le respect des engagements pris par notre pays. Avec ce texte, nous demandons finalement que nécessité fasse loi, dans le respect du droit.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - Ce projet de loi spéciale intervient dans des temps inédits. Mesurons la gravité de la situation actuelle de grande instabilité politique et d'incertitude, qui fragilise notre économie, au niveau tant national qu'européen : 2024 est une année extraordinaire, durant laquelle nous aurons probablement connu quatre Premiers ministres en un an ! Cela donne le tournis, comme nous a donné le tournis la folle dégradation de nos comptes publics : nous finirons probablement avec une aggravation du déficit plus proche des 60 milliards d'euros que des 50 milliards d'euros que notre mission d'information en deux temps avait diagnostiqués.

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, interrompu pour cause de censure, j'évoquais l'état d'urgence budgétaire ; de même, vous indiquez quant à vous, monsieur le ministre, qu'il faut désormais « parer à l'urgence ».

S'agissant du projet de loi spéciale et de la gestion budgétaire pour 2025, j'ai quelques questions. J'ai lu avec étonnement l'avis du Conseil d'État sur ce texte, qui indique que l'autorisation de lever l'impôt emporte la reconduction des prélèvements sur recettes, notamment de la dotation globale de fonctionnement (DGF), à son niveau de 2024. Or cette interprétation n'a pas de fondement dans les textes. Pourquoi ne pas avoir simplement fait figurer la DGF dans l'article 1er ?

Ensuite, jusqu'à quel moment de l'année 2025 l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu vous semble-t-elle juridiquement et matériellement possible ? Quelles conséquences emportera le report de cette indexation pour les contribuables et pour les finances publiques ?

Concernant la gestion budgétaire 2025, je souhaite que soit précisée votre interprétation du périmètre couvert par la notion de services votés : budget général, budgets annexes, comptes spéciaux ? Quelle application faites-vous de cette notion ? Quel montant sera retenu pour chaque programme ? S'agit-il du montant exact des crédits de la loi de finances pour 2024, éventuellement modulé à la baisse ? Les dépenses d'intervention seront-elles comprises dans les services votés ?

Vous avez évoqué l'impossibilité d'engager de nouvelles dépenses discrétionnaires, sauf urgence au cas par cas, à propos, notamment, des dépenses d'intervention, y compris les subventions aux collectivités et aux associations. Qu'en est-il ? Surtout, quelle est, en l'état actuel de vos connaissances, la durée maximale pendant laquelle cette situation sera supportable au début de l'année 2025 ? Il s'agit là d'une de nos premières préoccupations en ces temps de grande instabilité.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. - Ce projet de loi spéciale a surtout le statut d'un projet de loi de finances, même si un article concerne directement le financement de la sécurité sociale, notamment les enjeux de trésorerie et d'emprunt à court terme. Nous sommes dans une situation où, concernant la sécurité sociale, le passage au 31 décembre sans mesures pour limiter le déficit attendu est problématique, car la sécurité sociale est un système de guichet : tous les ans, sans réforme de base, entre 9 et 12 milliards d'euros de dépenses supplémentaires se font jour naturellement.

Nous sommes donc face à une urgence : la gestion de la trésorerie, notamment en ce qui concerne l'Acoss et la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), qui en sont les deux grands postes. L'Acoss permet de financer le remboursement des soins, les retraites de base et les allocations nécessaires. La date de janvier est essentielle pour faire face à ces prestations destinées à des publics qui, souvent, ne peuvent attendre plus longtemps. Bien entendu, je ne peux imaginer qu'un vote favorable sur cette disposition.

Cependant, cela renvoie à une question : le défaut de PLFSS provoque immédiatement une accélération des déficits attendus dès le début de l'année. Qu'en est-il de notre capacité, au-delà d'un nouveau PLFSS, à intervenir sur la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ? Le niveau de dette annuelle des comptes sociaux sera tel que l'Acoss sera confrontée à des difficultés en matière de financement. Quel impact cela aura-t-il sur la Cades ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. - L'heure est grave et chacun doit prendre conscience que nous nous trouvons dans une situation exceptionnelle et particulièrement sérieuse. J'ai quelques questions concernant le budget de la sécurité sociale.

Tout d'abord, contrairement à ce que prévoit la loi organique dans le cas des lois de financement de la sécurité sociale, l'article 3 du projet de loi spéciale ne fixe aucun plafond d'emprunt. Dans l'article 13 du PLFSS dont nous avons débattu, nous avions prévu un niveau d'emprunt de 65 milliards d'euros pour l'Acoss et d'un peu plus de 13 milliards d'euros pour la CNRACL, contre, respectivement, 45 milliards d'euros et 11 milliards d'euros l'année dernière.

Comment expliquer le choix de ne fixer aucun plafond ? S'agit-il d'éviter d'avancer une hypothèse de déficit de la sécurité sociale pour 2025, ou de ne pas avoir à recourir à des décrets de relèvement, qui ne peuvent normalement être pris que pour augmenter les plafonds fixés par une loi de financement de la sécurité sociale ?

Ensuite, selon le rapport d'octobre 2024 à la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS), il était prévu 28,4 milliards d'euros de déficit si rien n'était fait. Or c'est le cas, puisque nous n'avons pas de loi de financement pour 2025. En y ajoutant notamment les 1,2 milliard d'euros de moindres remises sur les médicaments apparus lors de l'examen du PLFSS, le déficit pourrait atteindre quelque 30 milliards d'euros. Que se passerait-il, selon vous, en l'absence de loi de financement de la sécurité sociale ? Les mesures réglementaires de réduction du déficit envisagées pourraient-elles être mises en oeuvre ? Le déficit atteindrait-il effectivement ce niveau, voire un montant plus élevé encore ?

Enfin, quels sont les scénarios envisageables pour 2025 ? Quel serait selon vous le choix préférable à opérer : un nouveau projet, la poursuite de la discussion du texte déjà examiné, voire sa mise en oeuvre partielle par ordonnances, à supposer que cela soit juridiquement possible ?

En tout état de cause, l'heure est grave et chacun doit vraiment en prendre conscience.

M. Antoine Armand, ministre, démissionnaire. - Madame la rapporteure générale, ce texte n'est ni un budget, ni un projet de loi de financement de la sécurité sociale, ni un projet de loi de finances. Il n'est pas sous-tendu par des hypothèses et ne décrit pas de cibles ou d'objectifs, car il a vocation à être une loi de passage. Cela explique l'absence de plafond comme de niveau d'endettement, qui n'ont pas vocation à figurer dans un texte de ce type. Ainsi, nous n'avons ni estimation, ni cible, ni prévision de déficit, malheureusement.

Ces constats soulignent le besoin de préparer un nouveau budget aussi vite que possible. Quand, comment, par qui et selon quel contenu sont des questions qui dépassent de loin la compétence d'un ministre gérant les affaires courantes. Cependant, d'un point de vue économique, chaque jour qui passe dans l'incertitude et le questionnement sur notre capacité à faire adopter un budget et donc à établir un cadre économique et financier pour le pays est préjudiciable à l'ensemble de notre tissu économique, social et financier.

M. Laurent Saint-Martin, ministre, démissionnaire. - Je confirme ces propos : nous ne sommes pas en mesure de vous fournir des éléments de chiffrage, et encore moins des éléments politiques relatifs à de futures lois de finances. Ce n'est pas notre rôle. Nous sommes chargés du dépôt et de la présentation d'un projet de loi spéciale, une loi technique, de transition, exceptionnelle et provisoire. Nous n'avons pas à commenter les atterrissages des finances publiques à l'horizon 2025 ni le contenu des textes nécessaires pour y parvenir. Les textes financiers n'ont pour autant pas disparu, ils sont suspendus et pourraient éventuellement être repris par un nouvel exécutif. Nous nous concentrerons donc sur l'objet de cette loi spéciale au cours de cette audition.

Monsieur le rapporteur général, la DGF sera versée par douzièmes sur la base du montant de 2024 et son montant définitif pour 2025 ne pourra être déterminé qu'après l'adoption d'un PLF. Je ferai souvent cette réponse : l'objectif des décrets sur les services votés est d'assurer le financement sur la base des crédits de la loi de finances initiale (LFI) pour 2024 et de ce qui est strictement nécessaire. Une loi de finances pour 2025 devra redéfinir les montants et leur nature. Pour autant, les décrets sur les services votés ne sont pas des décrets d'application de la loi spéciale. Ils interviennent après sa promulgation, mais ni leur montant ni leur périmètre ne sont décidés lors de son examen.

Concernant l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu, le Conseil d'État a été très clair : il serait contraire à la Constitution de l'inclure dans ce projet de loi spéciale, aussi bien dans la rédaction initiale que par voie d'amendement. Si un PLF 2025 était adopté au premier trimestre, cela emporterait les mêmes effets que si le PLF avait été adopté en fin d'année, au vu du calendrier des déclarations d'imposition ; si, en revanche, son adoption devait être plus tardive, cela créerait des difficultés et imposerait des nécessités de dégrèvement qui rendraient la situation beaucoup plus complexe. Ce n'est pas souhaitable.

Concernant la durée des services votés, celle-ci court jusqu'à l'adoption d'une loi de finances. Pour autant, soyons clairs : les crédits pour 2024 ne suffisent pas à financer ne serait-ce que la paie des fonctionnaires pour l'ensemble de l'année 2025, en raison des avancements automatiques. Un tel système n'est donc pas viable pour l'ensemble de l'année, il faudra de toute façon une loi de finances, soit dans la continuité de ce qui avait été proposé, soit sur de nouvelles bases, au choix du prochain exécutif.

Monsieur le président Mouiller, vous avez posé des questions sur la Cades et sur le financement de l'Acoss : il s'agit également de choix politiques et permettez-nous donc de ne pas vous apporter de réponse aujourd'hui. Il faudra une loi de financement de la sécurité sociale, faute de quoi les déficits s'en trouveraient particulièrement aggravés, s'agissant de dépenses de guichet qu'il est nécessaire de freiner, ce qui était l'objet du PLFSS pour 2025.

De la même façon, évoquer des économies par voie réglementaire ne me paraît pas souhaitable pour un gouvernement démissionnaire. Tout cela devra être fait par la suite, par un gouvernement de plein exercice.

Mme Florence Blatrix Contat. - Vous nous avez présenté les contours du projet de loi spéciale indispensable pour garantir la continuité des services publics et éviter une paralysie administrative, que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera. Nous regrettons que nos alertes sur les risques encourus lors des discussions budgétaires en raison de l'absence de recherche de compromis n'aient pas été entendues, ce qui a contribué à cette situation.

Cela nous pousse à réfléchir aux mécanismes et outils fiscaux qui peuvent être intégrés dans cette loi spéciale. Vous avez évoqué l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu et souligné l'impossibilité de l'y faire figurer, mais je souhaite élargir cette réflexion. La non-rétroactivité des lois fiscales est un principe à valeur constitutionnelle ; toutefois, comme l'a reconnu le Conseil constitutionnel, une atteinte à ce principe peut être justifiée par un motif d'intérêt général suffisant, même si elle devait affecter des situations légalement acquises.

J'ai en particulier à l'esprit des mesures du PLF 2025 qui pourraient être remises en cause s'il était voté durant les premiers mois de 2025. Quid d'une telle rétroactivité concernant la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR) et la surtaxe de l'impôt sur les sociétés (IS) pour les grandes entreprises ? À défaut, la perte pourrait atteindre environ 10 milliards d'euros. Qu'en sera-t-il, également, de certains crédits d'impôt importants pour nos agriculteurs ?

Dans ce contexte, je souhaite connaître l'analyse des services de Bercy sur la possibilité d'intégrer la rétroactivité pour ces mesures. À votre sens, l'invocation du motif d'intérêt général dans un contexte de redressement des finances publiques pourrait-elle permettre de l'emporter face au Conseil constitutionnel ?

M. Jean-François Rapin. - Michel Barnier est allé rencontrer Ursula von der Leyen pour remettre la France dans les clous parce que la situation était très dégradée. Or aujourd'hui, nous n'avons pas de budget. Nous connaissons le on de cette rencontre, mais pas le off. En disposez-vous ? Il me semble important de savoir si le fait pour la France de ne pas avoir de budget nous permet ou non de rester dans les clous européens, ou au moins tracer des perspectives pour y rester sans être sanctionnés. Je suppose en effet que l'échéance qui nous était imposée ne pourra plus être tenue, même si nous parvenons à voter un budget avant la fin du premier trimestre 2025. Pouvez-vous en tout cas nous donner un point de vue précis sur cette question ?

M. Pascal Savoldelli. - Permettez-moi de revenir sur ce que vous avez qualifié de situation inédite et grave liée à la censure : vous avez demandé le recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution sur le PLFSS, puis il y a eu la censure. La chronologie de cette décision politique doit être rendue accessible à tous.

Par ailleurs, dans le cadre de vos fonctions, messieurs les ministres qui avez également été députés, vous avez fait le choix de ne pas présenter de projet de loi de finances rectificative (PLFR) au cours de l'année 2024. Si nous avions eu la possibilité d'augmenter les recettes de l'État et donc de l'action publique par le biais d'un tel texte, le projet de loi spéciale pourrait contenir nos ajouts apportés dans ce cadre. Vous avez fait un autre choix.

Ce projet de loi spéciale n'est pas un sujet juridique, mais bien politique. En 1979, date du seul précédent, la gauche avait déposé un amendement visant à créer un impôt sur la fortune, qui n'avait pas été adopté.

Tout d'abord, peut-on déposer des amendements aux trois articles dont nous avons pris connaissance aujourd'hui, et dans quel cadre ? Peut-on déposer un amendement sur les prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales ? Il s'agit d'un enjeu considérable, car si les collectivités territoriales étaient affaiblies, cela nuirait à la cohésion et à l'harmonie sociale dans le pays. Le montant en jeu est important, de l'ordre de 27 milliards d'euros, et il est crucial pour les collectivités territoriales.

Enfin, peut-on proposer un amendement sur l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu ? Cette question est également débattue à l'Assemblée nationale. La situation exceptionnelle que nous vivons est inédite, et s'il faut respecter le cadre juridique, il existe toujours une part de politique, importante, dans la mesure où elle touche à notre rapport à la population et aux choix que nous faisons. Si nous avions la possibilité de déposer un amendement dans ce domaine, je ne le ferais pas pour les deux dernières tranches, qui concernent des foyers gagnant plus de 180 000 euros par an. Vous avez vanté pendant des semaines le partage de l'effort ; à mon sens, ces foyers n'ont pas particulièrement besoin d'une révision du barème d'indexation, il est possible de leur demander un tel effort.

M. Stéphane Sautarel. - Je tiens à souligner la situation préoccupante de notre agriculture et de nos agriculteurs. Les mesures et les crédits d'impôt prévus pour les soutenir disparaissent, ce qui fait partie des angles morts et des difficultés que nous allons rencontrer.

Concernant ce projet de loi spéciale, j'ai une question sur la notion de services votés. Vous avez indiqué que ceux-ci n'incluaient a priori ni les dépenses d'investissement ni les subventions. Cela semble impliquer que les dépenses liées à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou à la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ne pourraient pas être engagées avant un PLF, ce qui entraînerait un retard dans les investissements publics locaux. Nous ferions alors face à un risque récessif encore accru.

Enfin, concernant les douzièmes de fiscalité versés, qu'en sera-t-il des mesures de redressement ou de lissage des ressources des collectivités qui figuraient dans le projet de loi de finances pour 2025 et devaient être appliquées dès le début d'année, notamment pour les collectivités territoriales ? Comment se traduiraient-elles ? Nous commencerions avec des douzièmes basés sur l'année précédente, puis des ajustements significatifs pourraient intervenir, mettant en difficulté certains acteurs. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. Jean-Raymond Hugonet. - Le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » sera clos au 31 décembre 2024. Il ne paraît pas pouvoir être prolongé sans mesure spécifique puisque la loi prévoit la fin de l'affectation de la part de TVA qui l'alimente à la fin de cette année. Les moyens accordés à l'audiovisuel public ne peuvent l'être au titre des services votés dès lors qu'il n'existait pas de crédits adoptés en 2024. Comment pensez-vous financer l'audiovisuel public en 2025 ?

M. Thomas Dossus. - Beaucoup, au sein de cette commission, ont parlé de situation exceptionnelle et inédite. C'est vrai, mais nous ne subissons pas non plus une catastrophe naturelle. Nous sommes dans une situation qui fait suite à un contexte politique, celui d'une situation budgétaire dégradée, conséquence de sept ans de votre politique, et nous examinons un projet de loi spéciale exceptionnel, qui est la conséquence de votre méthode, qui a été de déserter l'hémicycle de l'Assemblée nationale lorsqu'il s'est agi de rejeter le budget et, au Sénat, de demander une seconde délibération pour acter un certain nombre de compromis. Voilà ce qui a entraîné un blocage, quand, au final, votre seule interlocutrice était Mme Le Pen.

La situation actuelle, inédite, pose la question de la continuité des services publics, notamment locaux. Comme Stéphane Sautarel, nous sommes très inquiets pour les collectivités territoriales.

Votre interprétation des douzièmes pour 2024 est stricte. L'article 45 de la Lolf précise que les services votés « représentent le minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics » : il y a bien une part de politique, de jugement. Je pense que l'on peut sortir d'un cadre trop rigide si les besoins l'exigent.

M. Dominique de Legge. - Messieurs les ministres, vous avez évoqué le cas particulier du budget du ministère de la défense : quid des crédits abondés à hauteur de 3,3 milliards d'euros par rapport à l'année dernière ? Prévoyez-vous des mesures particulières d'adaptation en gestion pour le début de l'année ? Qu'en est-il des investissements ?

M. Victorin Lurel. - Votre interprétation des services votés, que l'on appelait avant les douzièmes provisoires, est en effet restrictive.

Lorsqu'une collectivité territoriale a des problèmes, des autorisations sont accordées par douzièmes provisoires pour ce qui concerne le fonctionnement, lesquelles s'élèvent, me semble-t-il, à 25 % pour l'investissement.

Vous avez évoqué les dépenses relatives à la Nouvelle-Calédonie. S'agissant des prélèvements sur recettes (PSR) pour la Polynésie, la Guyane et la Nouvelle-Calédonie, sont-ils intégrés dans le périmètre de l'article 1er ? Je plaide pour la liberté d'amender des parlementaires, afin d'éviter la panne sèche. C'est déjà la catastrophe en Nouvelle-Calédonie. Puisqu'il existe une part d'interprétation, les parlementaires devraient pouvoir s'en saisir.

Mme Christine Lavarde. - Un mouvement relatif aux tarifs de vente d'électricité doit avoir lieu en février. Il était prévu qu'il intègre dans sa globalité l'augmentation des accises. Qu'est-il préconisé ? Faut-il décaler le mouvement tarifaire à mars, le temps de délibérer sur le nouveau montant des accises ?

La métropole du Grand Paris se trouve dans une difficulté inextricable : à défaut de loi de finances, aucune disposition ne règle le transfert de la cotisation foncière des entreprises (CFE) des établissements publics territoriaux (EPT) à la métropole. Au 1er janvier, toute la CFE des EPT ira à la métropole, sans mécanisme de compensation. Cela aura des conséquences très lourdes. Des EPT pourraient se retrouver en épargne négative au 1er janvier. Des dispositifs transitoires sont-ils prévus ? Pourrait-il y avoir une rétroactivité au 1er janvier ? Les territoires les plus fragiles seront les plus pénalisés.

Mme Sylvie Vermeillet. - Quelles sont les possibilités de rétroactivité d'un PLF ? La cartographie des zones de revitalisation rurale (ZRR) devait évoluer et des crédits étaient prévus dans le PLF. Une entreprise qui s'installerait dans une ZRR en janvier 2025 pourrait-elle bénéficier d'exonérations fiscales et sociales de manière rétroactive après le vote d'un projet de loi de finances pour 2025 ?

M. Olivier Paccaud. - Nous allons voter une loi spéciale afin de percevoir l'impôt, de recourir à l'emprunt et d'assurer la continuité de l'État.

Lors de l'examen du PLF, nous avons, à l'unanimité, voté un amendement visant à réduire le nombre de postes supprimés dans l'éducation nationale, de 4 000 à 2 000. Concrétiser une telle décision prend des semaines, voire des mois. Nous espérons un PLF pour 2025, mais il ne sera probablement pas voté avant le mois de février au mieux. Que devront faire les inspecteurs d'académie pour préparer la rentrée 2025 ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je m'inquiète de la situation de nos universités, qui sont déjà en grande difficulté. La plupart d'entre elles ne peuvent pas voter leur budget, même en recourant à leurs fonds de roulement. Quelles seront, pour elles, les incidences de la non-application de certaines mesures de la loi de programmation et de l'absence de budget pour 2025 ?

Mme Nathalie Goulet. - Que dit-on à nos collectivités territoriales rattrapées par le nouveau zonage des ZRR ? Que dit-on aux entreprises qui veulent s'y installer ? Y a-t-il un moyen de dire : « Ô temps ! suspends ton vol » ? On ne peut pas demander aux chefs d'entreprise de différer leur installation de trois mois, le temps que les dispositifs soient en place.

M. Antoine Armand, ministre, démissionnaire. - Je commencerai par la chronologie. L'acte I s'est ouvert quand, malgré une absence de majorité absolue, les forces de gauche ont décidé qu'une personne devait appliquer l'ensemble d'un programme. N'ayant pas obtenu satisfaction quant à cette demande assez peu légitime, elles ont évoqué la censure a priori d'un gouvernement qui n'avait pas encore écrit une ligne du discours de politique générale, ni du projet de budget. Elles ont ensuite refusé l'invitation du Premier ministre de discuter.

L'acte II a été d'assurer qu'il ne fallait pas s'inquiéter, qu'il n'y aurait pas de conséquence à l'absence de vote du budget.

L'acte III est de venir nous demander, qui sur les universités, qui sur les collectivités territoriales, qui sur les décisions d'investissement des entreprises, qui sur le pouvoir d'achat des ménages, comment revenir en arrière.

M. Antoine Armand, ministre, démissionnaire. - Vous connaissez la citation attribuée à Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».

Nous n'avons pas de budget, mais je ne crois pas qu'il y ait d'autre cause à cela que la censure !

M. Thierry Cozic. - C'est incroyable.

M. Antoine Armand, ministre, démissionnaire. - Disons-le, avant de nous poser des questions - très importantes, je le concède - sur les collectivités territoriales, les universités, l'outre-mer et le pouvoir d'achat.

M. Rapin a évoqué l'Union européenne. Inspirée par la France, notamment, la Commission européenne a modifié ses règles macrobudgétaires pour permettre aux États qui souhaitent continuer à soutenir l'activité et la croissance tout en redressant leurs finances publiques de disposer d'un temps plus long, de quatre à sept ans. La France en a bénéficié, lors de sa présentation du plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT). C'était une première pierre, qui avait valu à la France une évaluation positive de la Commission.

De fait, ce sera au futur gouvernement de s'engager sur un nouveau budget. Et de décider de l'ancre des 5 %, considéré comme l'un des critères de crédibilité majeurs pour descendre sous la barre des 3 % de déficit en 2029, qui ne sont pas seulement un symbole ou un totem pour l'Union européenne, mais le socle à partir duquel nous pouvons stabiliser notre dette, qui s'élève à 3 300 milliards d'euros.

Dès les premières semaines de janvier, le futur gouvernement devra répondre à la question : voulons-nous toujours respecter les engagements européens que nous, Français, nous sommes nous-mêmes efforcés de faire changer pour qu'ils correspondent mieux à la réalité économique et aux besoins d'investissements et de croissance dans l'Union européenne ? Je serais très étonné que nous allions à l'encontre de règles que nous avons nous-mêmes contribué à faire adopter. L'alarme doit être sonnée sur ce point.

Le Conseil d'État nous indique assez explicitement que les prélèvements sur recettes sont couverts par l'article 1er, qui autorise le Gouvernement à prélever l'impôt. Nous n'avons pas de difficulté. Ce sera la même chose pour le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, afin d'honorer les engagements européens de la France.

Des mesures ne sont pas couvertes par la loi spéciale, car elles relèvent d'un PLF : prêts de l'Agence française de développement ; soutien aux entreprises touchées par les événements en Nouvelle-Calédonie ; liste des territoires éligibles aux taux de réductions d'impôts majorés ; défiscalisation de l'acquisition des friches commerciales ; extension et généralisation du mécanisme d'avances remboursables de court terme.

Deux points relèvent du cas par cas, s'agissant de la Nouvelle-Calédonie : l'aide à la reconstruction des écoles et des bâtiments publics, qui relèvera d'une décision ad hoc, et l'appréciation, au cas par cas, via les services votés, de l'urgence, pour peu qu'elle soit caractérisée et soutenable juridiquement, dans la limite des crédits de la LFI 2024.

Notre jurisprudence consacre l'interdiction de la rétroactivité de toute fiscalité incitative. Cette dernière a pour but d'influencer un comportement donné. Or dans le cas d'une mesure rétroactive, le comportement a déjà eu lieu et n'est donc pas né de l'incitation. Il est assez peu probable que la rétroactivité soit décidée sur les ZRR ou les crédits d'impôt tels que le crédit d'impôt innovation pour les petites et moyennes entreprises et le crédit d'impôt collection, qui soutient les petites entreprises de la mode et du textile.

Je vous renvoie aux différentes analyses récentes sur les décisions d'investissement. Évidemment, les investisseurs retardent leurs investissements. Force est de constater que la situation n'incite pas à investir, mais plutôt à retarder ou annuler certaines décisions.

M. Laurent Saint-Martin, ministre, démissionnaire. - Monsieur Savoldelli, il faut être très clair et respectueux de l'avis du Conseil d'État, non pas parce que le politique n'a pas de raison d'être, mais parce qu'une loi spéciale est prévue pour un but précis. Autoriser le dépôt d'amendements, ou, pire, en adopter pour modifier la fiscalité dans le cadre de la loi spéciale serait un précédent problématique. Le Conseil d'État a rendu un avis extrêmement clair. La loi spéciale ne peut inclure de disposition fiscale nouvelle, tout simplement parce qu'elle ne doit pas être un acte politique ; or modifier la fiscalité est un acte politique. L'article 1er a pour seul objet de lever l'impôt.

Les conséquences pour les contribuables soumis à l'impôt sur le revenu seraient nulles si un PLF était rapidement adopté en 2025. Il ne serait ni nécessaire ni souhaitable d'inclure des mesures de fiscalité dans la loi spéciale, au-delà du fait que ce serait anticonstitutionnel. Personne n'est contre l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation. Ce n'est pas une question d'idée, mais de forme et de respect du droit. Il n'est pas souhaitable d'enfoncer un coin dans une institution en estimant que le politique peut outrepasser l'avis du Conseil d'État, si personne ne saisit le Conseil constitutionnel. Cela va quand on parle de l'IR, moins quand on parle d'autre chose.

Monsieur Sautarel : pas de budget, pas de mesure nouvelle ! Il faut être très binaire. Tant qu'il n'y a pas de budget, il n'y a pas de mesures.

Les mesures en faveur des agriculteurs inscrites dans le PLF sont le fruit de discussions engagées début 2024. C'est pour cette raison que beaucoup d'agriculteurs expriment leur colère quant à l'absence de budget. Je souhaite que le prochain gouvernement puisse reprendre les mesures inscrites dans le PLF en faveur du monde agricole, notamment la suppression de la trajectoire de hausse du gazole non routier (GNR) ; l'assouplissement de la déduction applicable aux stocks de vaches laitières et allaitantes ; l'augmentation du seuil d'exonération des plus-values en cas de transmission d'une exploitation agricole ; la hausse de 20 % à 30 % de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) agricole ; l'exonération partielle de la reprise de déduction pour épargne de précaution (DEP) ; ou encore le Dutreil agricole.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - Ils ont tout cassé !

M. Laurent Saint-Martin, ministre, démissionnaire. - Tout cela disparaît, sauf si un nouveau texte est voté.

La question de la rétroactivité n'est pas neutre. Surtout, la situation jette un flou, or l'incertitude est l'ennemie numéro un de la confiance, et donc de la consommation, de l'investissement, du développement économique, de l'emploi.

L'audiovisuel public sera financé en 2025. On restera sur le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public », comme en 2024.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Sauf que cela devait s'arrêter.

M. Laurent Saint-Martin, ministre, démissionnaire. - On pourra reconduire le compte de concours financiers comme en 2024.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je comprends bien la volonté de financer l'audiovisuel public. Mais, monsieur le ministre, vous avez été très clair sur le respect de la loi et du règlement. Or ce que vous avancez n'a aucune base juridique solide.

M. Laurent Saint-Martin, ministre, démissionnaire. - Le décret relatif aux services votés le permet.

M. Jean-Raymond Hugonet. - J'entends votre explication. Mais l'audiovisuel public ne relève pas des services votés.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Le ministre annonce plutôt une bonne nouvelle !

M. Jean-Raymond Hugonet. - Bien sûr !

M. Laurent Saint-Martin, ministre, démissionnaire. -On reconduit la ligne de 2024 sur le compte de concours financiers. Il faudra ensuite un PLF 2025 pour régler la mise en application de la proposition de loi organique.

Que recouvrent les services votés ? Le minimum indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions approuvées par le Parlement l'année précédente - je ne peux pas vous dire qui signera le décret : ce ne sera pas forcément le gouvernement actuel. Cela répond à l'impératif de continuité de la vie nationale et n'a pas vocation à couvrir toute l'année. Concrètement, le fonctionnement des services publics en masse salariale et en dépenses courantes est assuré, les contrats en cours sont honorés et les prestations dues au titre de dispositions législatives ou réglementaires existantes sont versées - par exemple, les aides personnelles au logement (APL). En revanche, les dépenses nouvelles discrétionnaires ne relèvent pas, sauf exception, des services votés. Les analyses sur le caractère impératif sont menées au cas par cas. Les investissements nouveaux sont exclus, par exemple pour l'audiovisuel public, sauf cas d'urgence manifeste, qu'il faudra, à chaque fois, déterminer. Les dépenses d'intervention exceptionnelles - DSIL, DETR - sont elles aussi exclues, sauf caractère d'urgence déterminé. Les subventions aux entreprises ou aux associations sont suspendues. Seuls les crédits de paiement correspondant aux engagements juridiques passés pourront être versés.

Que se passera-t-il pour les collectivités territoriales ? Les mesures de modération de la dépense locale prévues au PLF 2025 ne s'appliqueront évidemment pas au 1er janvier. Les PSR au profit des collectivités sont bien couverts par l'article 1er. La DGF sera versée par douzième sur la base du montant de 2024. Les avances de fiscalité, par exemple la TVA, seront versées mensuellement dans l'attente d'une loi de finances. Les bases de fiscalité directe locale seront revalorisées sur la base de l'indice des prix à la consommation, conformément au droit en vigueur. Comme je l'ai dit, l'État ne pourra engager aucune dotation discrétionnaire, qu'il s'agisse de la DSIL, de la DETR, du fonds vert ou du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) par exemple. Il pourra seulement assurer le paiement des précédents engagements, sous le régime des services votés.

La mise en oeuvre des mesures fiscales relatives aux ZRR relèvera de la décision du prochain gouvernement dans le cadre du PLF.

Les mesures urgentes nécessaires à la continuité de l'État et de la vie nationale seront bien mises en oeuvre, ainsi du versement de la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des évènements climatiques ou géologiques (DSECG) ou des versements anticipés du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) en cas de catastrophe naturelle.

De façon générale, les engagements contractuels de l'État à l'égard des collectivités territoriales - contrat de plan État-région (CPER), contrats de convergence et de transformation (CCT) - feront l'objet d'une appréciation au cas par cas, le principe étant d'assurer le minimum indispensable à la continuité des services publics. C'est l'esprit et la lettre de l'article 45 de la Lolf. D'où l'importance du caractère temporaire de la mesure !

Madame Lavarde, nous sommes en train de voir comment assurer le financement des EPT de la métropole du Grand Paris. Une solution sera proposée et anticipée, et le prochain gouvernement devra la régulariser dans le PLF.

Nous allons étudier votre question relative aux accises.

Quant au FCTVA, il sera versé comme d'habitude.

M. Dominique de Legge. - En matière de défense, prévoyez-vous des mesures de gestion particulières pour tenir compte du fait qu'il manque 3,3 milliards d'euros ? Quid des investissements de défense ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre, démissionnaire. - Je ne peux pas répondre. La mise en oeuvre de la loi de programmation militaire pour 2025 est suspendue aux décisions du nouveau gouvernement, qui les traduira dans un nouveau PLF.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Nous vous remercions de votre participation.

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