- EXPOSÉ GÉNÉRAL
- I. UNE SITUATION INÉDITE RÉSULTANT DE
LA CENSURE DU GOUVERNEMENT ALORS QU'ÉTAIT EN COURS LA DISCUSSION DU
PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2025
- II. LE DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI
SPÉCIALE EST LIMITÉ À DES CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES ET
N'EST PAS EXPLICITEMENT PRÉVU DANS LA SITUATION ACTUELLE
- III. LE CHAMP TRÈS LIMITÉ DU PROJET
DE LOI DE FINANCES SPÉCIALE
- IV. APRÈS L'ADOPTION D'UNE LOI
SPÉCIALE POUR AUTORISER LA PERCEPTION DES RESSOURCES, L'OUVERTURE DE
CRÉDITS SERA LIMITÉE AUX « SERVICES
VOTÉS »
- A. LA DÉFINITION DES SERVICES VOTÉS
PRÉSENTE UNE MARGE D'APPRÉCIATION CERTAINE
- B. CONTRAIREMENT À 1979, IL N'EST PAS
IMMÉDIATEMENT POSSIBLE CETTE ANNÉE DE CONNAÎTRE, DÈS
LE VOTE DE LA LOI SPÉCIALE, LE MONTANT DES SERVICES VOTÉS QUI
SERONT OUVERTS PAR DÉCRET
- C. LES SERVICES VOTÉS DOIVENT ÊTRE
INFÉRIEURS OU ÉGAUX AUX CRÉDITS OUVERTS PAR LA LOI DE
FINANCES POUR 2024
- D. LES SERVICES VOTÉS NE SONT DONC QU'UN
DISPOSITIF DE (TRÈS) COURT TERME DANS L'ATTENTE DU VOTE DE LA LOI DE
FINANCES DE L'ANNÉE
- A. LA DÉFINITION DES SERVICES VOTÉS
PRÉSENTE UNE MARGE D'APPRÉCIATION CERTAINE
- V. UNE NOUVELLE DÉGRADATION DU SOLDE PUBLIC
POUR 2025 NE PEUT ÊTRE EXCLUE
- I. UNE SITUATION INÉDITE RÉSULTANT DE
LA CENSURE DU GOUVERNEMENT ALORS QU'ÉTAIT EN COURS LA DISCUSSION DU
PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2025
- EXAMEN DES ARTICLES
- ARTICLE 1er
Autorisation de percevoir les impôts existants
- ARTICLE 1er bis (nouveau)
Indication des montants des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales pour 2024
- ARTICLE 2
Autorisation de l'État à recourir à l'emprunt
- ARTICLE 3
Régimes et organismes de sécurité sociale habilités à recourir
à des ressources non permanentes
- ARTICLE 1er
- TRAVAUX DE LA COMMISSION
- LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 210
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 décembre 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le projet
de loi, adopté par l'Assemblée nationale,
spéciale prévue par l'article 45
de la loi organique
du
1er août 2001 relative aux lois de
finances,
Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, MM. Vincent Capo-Canellas, Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (17ème législ.) : |
711, 719 et T.A. 20 |
|
Sénat : |
207 et 209 (2024-2025) |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
L'adoption d'une motion de censure1(*) à la suite de l'engagement par le Gouvernement de sa responsabilité par l'usage de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution sur l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 20252(*) place le législateur dans une situation sans précédent.
Le présent rapport examine dans le détail les dispositions figurant dans le projet de loi spéciale et revient dans un premier temps sur les circonstances de son dépôt ainsi que sur le cadre juridique applicable aux lois spéciales.
I. UNE SITUATION INÉDITE RÉSULTANT DE LA CENSURE DU GOUVERNEMENT ALORS QU'ÉTAIT EN COURS LA DISCUSSION DU PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2025
L'adoption par l'Assemblée nationale d'une motion de censure suite à l'utilisation par le Gouvernement de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, le 4 décembre 2024 pour faire adopter les conclusions de la commission mixte paritaire relative au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 a mis fin l'examen de ces dernières. En application de l'article 50 de la Constitution, le Premier ministre a présenté la démission de son gouvernement le lendemain.
En conséquence, les travaux en cours au Parlement ont été suspendus, y compris la discussion du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, dont la première lecture était en cours au Sénat3(*). En application de l'article 47 de la Constitution, le Parlement dispose de 70 jours pour se prononcer sur un projet de loi de finances. Le délai d'examen du projet de loi de finances pour 2025, déposé à l'Assemblée nationale le 10 octobre 2024, a été suspendu par le renversement du Gouvernement.
Juridiquement, il demeure loisible au nouveau Gouvernement de reprendre l'examen du PLF déjà déposé, comme d'en déposer une nouvelle version. L'adoption définitive d'un texte d'ici au 31 décembre 2024 est cependant incertaine, voire improbable. Face au risque de l'absence de budget pour 2025, le Gouvernement démissionnaire a donc déposé le présent projet de loi de finances spéciale.
II. LE DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI SPÉCIALE EST LIMITÉ À DES CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES ET N'EST PAS EXPLICITEMENT PRÉVU DANS LA SITUATION ACTUELLE
La situation de l'examen du projet de loi de finances pour 2025 a ceci de particulier qu'elle n'est pas directement prévue par les textes constitutionnel ou organique.
L'article 47 de la Constitution prévoit deux procédures dérogatoires d'adoption du projet de loi de finances.
La première, prévue au troisième alinéa de l'article 47, concerne le cas où le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours sur un projet de loi de finances. Les dispositions du projet peuvent alors être mises en vigueur par ordonnance.
La deuxième procédure d'urgence, prévue au quatrième alinéa de ce même article, concerne le cas de l'absence de dépôt du projet de loi de finances de l'année dans des délais permettant à la loi de finances d'être promulguée avant la fin de l'année. La Constitution prévoit uniquement que le Gouvernement demande d'urgence au Parlement l'autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés.
L'application de cette dernière hypothèse est précisée par l'article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF)4(*). Deux cas sont envisagés :
- avant le 11 décembre, le Gouvernement peut demander l'examen d'un « projet de loi partiel », c'est-à-dire faire procéder à l'Assemblée nationale à un vote séparé sur l'ensemble de la première partie de la loi de finances de l'année, qui serait ensuite soumis au Sénat selon la procédure d'urgence ;
- avant le 19 décembre, ou quelle que soit la date en cas de censure de la loi de finances par le Conseil constitutionnel5(*), le Gouvernement peut déposer un projet de loi de finances spéciale l'autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année.
Dans les deux cas, s'agissant des dépenses, le Gouvernement prend des décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés, comme il l'a fait fin 19796(*). L'article 45 de la LOLF dispose que la publication de ces décrets n'interrompt pas la procédure de discussion du projet de loi de finances de l'année.
La loi de finances n'a pas pu être promulguée avant le 31 décembre de l'année précédente à deux reprises au cours de la Cinquième République et a impliqué la mobilisation de chacune des deux procédures aujourd'hui prévues à l'article 45 de la LOLF.
En 1962, l'adoption d'une motion de censure, puis la dissolution de l'Assemblée nationale ont interrompu la discussion du budget. Après les élections tenues les 18 et 25 novembre, un texte limité à la première partie de la loi de finances (cas du « projet de loi de finances partiel ») a été soumis le 11 décembre au Parlement, adopté par les deux assemblées et promulgué le 22 décembre 1962, autorisant notamment la perception des recettes. Un autre texte comprenant la seconde partie a été examiné au cours des mois de janvier et février 1963 et promulgué le 23 février 1963.
En 1979, la loi de finances pour 1980 a été censurée intégralement par le Conseil constitutionnel le 24 décembre 1979 en raison d'une erreur de procédure. Un projet de loi spéciale contenant un seul article autorisant la perception des recettes a été déposé en urgence, adopté et promulgué le 30 décembre 1979. Il s'agit du seul précédent concernant l'adoption d'une loi spéciale. La loi de finances de l'année, pour sa part, a été redéposée en termes presque identiques, discutée en quelques jours par les deux assemblées et promulguée dès le 18 janvier 1980.
Aucune de ces procédures ne correspond à la situation actuelle : d'une part, le délai de soixante-dix jours n'était pas expiré lors du dépôt du projet de loi spéciale le 11 décembre 2024, et, d'autre part, le PLF pour 2025 a été déposé certes avec retard, le 10 octobre 2024, mais en temps utile pour que la loi de finances soit promulguée avant le début de l'exercice 2025.
Ainsi, le cas du PLF pour 2025 n'est qu'imparfaitement comparable aux précédents. Néanmoins, alors que l'adoption d'une loi de finances pour 2025 semble désormais matériellement irréaliste avant la fin de l'année, la mise en oeuvre d'une loi de finances spéciale consécutive à la démission du Gouvernement, dans le silence de la Constitution et de la loi organique, paraît justifiée par la nécessité de la continuité de la vie nationale.
Le Conseil constitutionnel avait jugé en ce sens la loi spéciale de fin 1979 en indiquant qu'en « l'absence de dispositions constitutionnelles ou organiques directement applicables, il appartient, de toute évidence, au Parlement et au Gouvernement, dans la sphère de leurs compétences respectives, de prendre toutes les mesures d'ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale »7(*). Tel semble être de nouveau le cas aujourd'hui.
III. LE CHAMP TRÈS LIMITÉ DU PROJET DE LOI DE FINANCES SPÉCIALE
A. UN CONTENU NÉCESSAIREMENT RESTRICTIF CAR RESSERRÉ SUR LA PERCEPTION DES RESSOURCES EXISTANTES
Les lois spéciales ont le caractère de loi de finances, en application du 5° de l'article 1er de la loi organique. Cette précision a explicité au niveau organique la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la loi spéciale adoptée en 19798(*). Le Conseil constitutionnel avait alors affirmé que « cette loi doit être considérée comme une loi de finances, au sens de l'article 47 de la Constitution ; qu'en effet, les dispositions qu'elle comporte sont de celles qui figurent normalement dans une loi de finances ; qu'ainsi, elle constitue un élément détaché, préalable et temporaire de la loi de finances pour 1980 ».
Toutefois, la LOLF ne définit pas leur domaine avec la même précision que pour la loi de finances de l'année (article 34), les lois de finances rectificatives ou de fin de gestion (article 35) et la loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année (article 37).
La seule indication donnée par le quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution est que cette loi contient l'autorisation de percevoir les impôts, ce que l'article 45 de la LOLF précise en indiquant que le projet de loi spéciale autorise le Gouvernement à continuer à percevoir les impôts « existants », et ce « jusqu'au vote de la loi de finances de l'année ». C'est d'ailleurs le sens de la rédaction choisie en 19799(*), qui reprenait celle figurant traditionnellement à l'article premier des projets de loi de finances.
Par ailleurs, l'article 45 de la LOLF limite le projet de loi spéciale aux dispositions relatives aux recettes, les mesures relevant des dépenses devant être prises par décret par le Gouvernement.
Le domaine de la loi spéciale ne peut en tout état de cause être plus large que celui d'une loi de finances de l'année. Ainsi, ne peuvent être considérés comme recevables en loi spéciale des amendements qui ne relèvent pas du domaine des lois de finances (redevances pour services rendus, sanctions, etc.). Une exception est toutefois envisageable pour les dispositions qui sont indispensables à la continuité de la vie nationale, ainsi notamment celles relevant du domaine des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), en l'absence de mécanisme symétrique à celui de la loi spéciale dans la loi organique relative aux LFSS10(*).
De surcroît, si l'article 45 de la LOLF distingue les procédures du projet de loi partiel (vote d'une première partie de loi de finances avant le 11 décembre) et du projet de loi spéciale (déposé avant le 19 décembre), il en découle en toute logique une distinction entre leur contenu, celui de la seconde étant nécessairement plus restreint que celui d'une première partie d'un projet de loi de finances de l'année.
En tout état de cause, l'esprit de l'article 45 de la LOLF va dans le sens d'un contenu minimal visant exclusivement à prévenir toute rupture de continuité dans le financement des services publics essentiels. Le projet de loi spéciale n'a en aucune façon vocation à se substituer à la première partie d'une loi de finances de l'année. En outre, ce texte a été déposé par un Gouvernement démissionnaire, ce qui rend encore plus nécessaire que son contenu soit le plus restreint possible.
B. UNE EXCLUSION DES DISPOSITIONS FISCALES NE RELEVANT PAS STRICTEMENT DE LA PROROGATION DES IMPOSITIONS EXISTANTES
La question s'est posée de la place dans la loi spéciale de nouvelles dispositions qui ne seraient pas directement le prolongement des impositions votés en loi de finances pour 202411(*). Les précédents de 1962 et 1979, et tout particulièrement dans ce dernier cas, ne s'appliquent que partiellement à la situation actuelle mais constituent néanmoins un point de comparaison permettant de cerner davantage le contenu d'un projet de loi spéciale.
Premièrement, dès lors que l'article 45 de la LOLF limite l'étendue d'une loi spéciale à la perception des impôts « existants », la loi spéciale ne peut contenir de disposition tendant à créer une nouvelle taxe.
Dans sa décision précitée sur la loi spéciale du 30 décembre 1979, le Conseil constitutionnel avait indiqué qu'en l'absence de dispositions constitutionnelles ou organiques directement applicables, ce qui est également le cas à l'heure actuelle, il appartenait « au Parlement et au Gouvernement, dans la sphère de leurs compétences respectives, de prendre toutes les mesures d'ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ».
En conséquence, ne trouvent leur place en loi spéciale que les dispositions en recettes permettant d'assurer la continuité des services publics, c'est-à-dire « la perception des ressources qui alimentent l'État et les diverses collectivités qui font fonctionner les services publics »12(*), sous les réserves exprimées plus haut. Entrent dans cette catégorie les dispositions relatives à l'autorisation de perception des ressources de l'État et des impositions de toute nature, ainsi que les dispositions relatives aux affectations de recettes au sein du budget de l'État ou à un tiers, en particulier la Sécurité sociale et les collectivités territoriales. Il en va de même pour les autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l'État.
Toute mesure d'assiette, de taux ou de modification des modalités de recouvrement d'une imposition n'a par conséquent pas sa place en loi de finances spéciale, à moins d'être strictement indispensable à la continuité de la vie nationale.
En particulier, l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation ne saurait être considérée comme une simple mesure de périmètre, qui serait automatique et implicite sans intervention du législateur. Elle constitue une modification de l'assiette de cet impôt et relève donc au contraire d'un choix politique. En témoignent les amendements déposés à l'Assemblée nationale comme au Sénat lors des discussions sur le PLF pour 2025 qui visaient à moduler cette indexation ou à la limiter à certaines catégories de redevables.
En outre, la rédaction de l'article 45 de la LOLF et la mention des « impôts existants » n'a pas pour effet de « geler » l'impôt dû en volume ni à figer la liste des contribuables redevables. Il convient de noter que cette interprétation, qui a pu être avancée lors des débats à l'Assemblée nationale, aurait d'ailleurs pour conséquence de revoir les rôles de l'ensemble des impositions. Telle n'était bien entendu pas l'intention du législateur organique qui a au contraire entendu limiter le contenu de la loi spéciale à l'épure du strict nécessaire pour le maintien des services publics.
À cet égard, l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu n'est évidemment pas nécessaire à la continuité de la vie nationale, dès lors qu'elle n'a pas été réalisée certaines années13(*). En conséquence, il n'existe pas de disposition organique ou de base jurisprudentielle permettant de faire figurer cette mesure dans la loi spéciale.
La question de la prorogation de crédits d'impôts arrivant à échéance au 31 décembre 2024 doit faire l'objet d'un raisonnement analogue. Dès lors que le législateur avait par le passé souhaité borner ces dispositifs dans le temps, leur prorogation constitue une mesure nouvelle qui ne relève pas du domaine de la loi spéciale.
Cette analyse est confirmée par le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi spéciale14(*), considérant que « l'indexation sur l'inflation du barème de l'impôt sur le revenu, laquelle n'est au demeurant pas systématiquement opérée et a déjà fait l'objet de modulations par le passé, ou encore la modification du droit aux fins de prolonger la durée d'application de crédits d'impôts dont une loi de finances précédente a prévu l'extinction au 31 décembre 2024, ne sont pas au nombre des dispositions ayant leur place en loi spéciale dès lors qu'elles constituent des modifications affectant les règles de détermination des impôts existants et excèdent ainsi l'autorisation de continuer à percevoir ces impôts ».
Le caractère restrictif du périmètre d'un projet de loi spéciale n'emporte aucune appréciation sur l'opportunité des mesures fiscales exclues de son domaine. Celles-ci peuvent avoir vocation à être adoptées le plus rapidement possible dans le projet de loi de finances pour 2025, ou, alternativement, dans des véhicules législatifs autonomes.
IV. APRÈS L'ADOPTION D'UNE LOI SPÉCIALE POUR AUTORISER LA PERCEPTION DES RESSOURCES, L'OUVERTURE DE CRÉDITS SERA LIMITÉE AUX « SERVICES VOTÉS »
En cas de vote d'une loi de finances spéciale à la fin de 2024, le Gouvernement devra ouvrir par décrets les crédits se rapportant aux « services votés », conformément au 4e alinéa de l'article 47 de la Constitution. C'est la première fois que cette notion de « services votés » sera utilisée depuis l'entrée en vigueur de la LOLF, alors qu'elle occupait auparavant une place centrale dans la construction du budget.
L'article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) précise cette notion : « Les services votés, au sens du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, représentent le minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement. Ils ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année ».
A. LA DÉFINITION DES SERVICES VOTÉS PRÉSENTE UNE MARGE D'APPRÉCIATION CERTAINE
La notion de services votés a été reprise de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances15(*), laquelle distinguait, dans la procédure ordinaire, la fixation par la loi de finances du montant global des crédits applicables aux services votés et des dépenses applicables aux autorisations nouvelles par titre et par ministère.
L'article 44 de cette ordonnance prévoyait en effet que, dans le cas où est prise une loi spéciale autorisant la seule perception des impôts, « le Gouvernement prend des décrets portant répartition par chapitre ou par compte spécial du Trésor, des crédits ou des autorisations applicables aux seuls services votés, tels qu'ils sont définis par la présente ordonnance, par le projet de loi de finances de l'année et par ses annexes explicatives » et l'article 33 de cette ordonnance précisait que les services votés « représentent le minimum de dotations que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement ».
Sous le régime de l'ordonnance de 1959, les crédits applicables aux services votés étaient au plus égaux :
- pour les dépenses ordinaires, aux crédits de la précédente année avec une certaine modulation : soit pour les diminuer des « inscriptions non renouvelables », soit pour tenir compte de l'incidence en année pleine de mesures approuvées par le Parlement ou décidées par le Gouvernement16(*), ainsi que de l'évolution effective des charges couvertes par les crédits provisionnels ou évaluatifs ;
- pour les opérations en capital, aux autorisations de programme prévues par une loi de programme, aux prévisions inscrites dans le plus récent échéancier ou, à défaut d'échéancier, aux autorisations de l'année précédente éventuellement modifiées dans les conditions prévues pour les dépenses ordinaires.
Ainsi, les services votés incluent l'effet en année pleine des mesures dont l'effet est entré en vigueur au cours de l'année courante, mais excluent les mesures temporaires.
Dans la mesure où la notion de services votés n'a plus eu à s'appliquer depuis l'entrée en vigueur de la LOLF, le Secrétariat général du Gouvernement constate dans une note d'août 2024 qu'« il existe aujourd'hui une incertitude sur le périmètre des « crédits se rapportant aux services votés » pouvant être prévus par décret »17(*). Il cite une analyse selon laquelle l'expression « dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement » signifie qu'il s'agit de « maintenir, dans les limites de montant résultant de la dernière phrase de l'article 45, la continuité des services publics et de l'action publique telles qu'elles avaient été antérieurement « périmétrées » et approuvées par le Parlement, l'année précédente ».
Le critère de fixation des services votés pourrait être le niveau des crédits prévus par la loi de finances pour 2024, augmentés de l'effet en année pleine des mesures entrées en vigueur en cours d'année 2024 et diminués des dépenses correspondant à des dispositifs temporaires.
Comme l'a indiqué le Premier ministre précédent Michel Barnier dans une circulaire publiée le 12 décembre 2024, « conformément à notre cadre organique de finances publiques, ces services votés doivent être entendus non pas au sens de la loi de finances pour 2024 dans son entier, mais comme le minimum de crédits indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions approuvées l'année précédente par le Parlement »18(*).
En tout état de cause, comme l'a indiqué le ministre chargé des comptes publics devant la commission des finances le 11 décembre, les crédits correspondant à des subventions ne devraient pas être inclus dans les services votés, y compris certaines dotations d'investissements aux collectivités territoriales, sauf en cas d'urgence ou pour couvrir des engagements déjà pris.
De même les augmentations de crédits prévues par les lois de programmation sectorielles (armées, justice, sécurité, recherche) ne devraient pas être prises en compte parmi les services votés, car ces lois n'ont pas d'effet contraignant. En outre, les inclure parmi les services votés conduirait à ouvrir par voie réglementaire des crédits qui non seulement n'ont pas reçu l'autorisation du Parlement selon les procédures budgétaires normales, mais n'ont pas fait l'objet auprès de lui du niveau d'information prévu par la loi organique (projet annuel de performances).
Selon le Gouvernement, le décret de services votés assurerait le financement des organismes d'audiovisuel public au début de 2025, alors même que l'affectation d'une part de TVA à ces organismes prend fin au 31 décembre 2024 en l'état du droit, la mesure de prolongation votée par le Sénat dans le cadre du projet de loi de finances pour 202519(*) ne pouvant entrer en vigueur. Le décret ouvrirait des crédits sur le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » en attendant que la loi de finances pour 2025 affecte à nouveau une fraction de TVA à ce compte, qui ne serait donc pas à l'équilibre dans l'intervalle.
De même, les avances aux collectivités territoriales continueraient d'être versées sous le régime des services votés, en janvier et en février 2025, sur la base des ressources liquidées en 2024.
B. CONTRAIREMENT À 1979, IL N'EST PAS IMMÉDIATEMENT POSSIBLE CETTE ANNÉE DE CONNAÎTRE, DÈS LE VOTE DE LA LOI SPÉCIALE, LE MONTANT DES SERVICES VOTÉS QUI SERONT OUVERTS PAR DÉCRET
Le montant des crédits ouverts par les décrets consécutifs à la loi spéciale de 1980 était, au niveau de chaque ministère, contraint par celui figurant dans les annexes au projet de loi de finances pour 1979.
Les décrets nos 79-1166 à 79-1200 du 30 décembre 1979 portant répartition des crédits relatifs aux services votés pour 1980 ouvrent, par ministère et par chapitre, les crédits relatifs aux services votés20(*). Le montant est égal, pour chaque ministère, à celui qui figure dans les tableaux de l'exposé des motifs du projet de loi de finances pour 1980.
À titre d'exemple, le décret n° 79-1166 ouvre, en les répartissant sur une quarantaine de chapitres, 4 680 millions de francs pour les dépenses ordinaires et 52 millions de francs pour les dépenses en capital du ministère des affaires étrangères, correspondant aux montants inscrits dans l'exposé des motifs du projet de loi de finances pour 1980, déposé à l'Assemblée nationale le 2 octobre 197921(*).
Les services votés représentaient ainsi, « bon an mal an, entre 92 % et 97 % du budget général »22(*).
Depuis l'entrée en vigueur de la LOLF en 2005, le montant des services votés n'est plus indiqué dans les documents budgétaires.
La mise en oeuvre du budget « au premier euro » par la loi organique relative aux lois de finances a supprimé la distinction entre les services votés et les mesures nouvelles dans le projet de loi de finances, qui est absente des documents budgétaires.
En conséquence, contrairement à ce qui prévalait au moment du vote de la loi spéciale de décembre 1979, il n'est pas possible, aujourd'hui, de savoir quel sera le montant des services votés retenu par le Gouvernement dans les décrets qui, le cas échéant, seront pris d'ici la fin 2024.
C. LES SERVICES VOTÉS DOIVENT ÊTRE INFÉRIEURS OU ÉGAUX AUX CRÉDITS OUVERTS PAR LA LOI DE FINANCES POUR 2024
Les services votés sont plafonnés de manière différente par la LOLF et par l'ordonnance précitée de 1959.
Comme il a été indiqué précédemment, sous le régime de l'ordonnance de 1959, les crédits applicables aux services votés étaient au plus égaux :
- pour les dépenses ordinaires, aux crédits de la précédente année avec une certaine modulation : soit pour les diminuer des « inscriptions non renouvelables », soit pour tenir compte de l'incidence en année pleine de mesures approuvées par le Parlement ou décidées par le Gouvernement, ainsi que de l'évolution effective des charges couvertes par les crédits provisionnels ou évaluatifs ;
- pour les opérations en capital, aux autorisations de programme prévues par une loi de programme, aux prévisions inscrites dans le plus récent échéancier ou, à défaut d'échéancier, aux autorisations de l'année précédente éventuellement modifiées dans les conditions prévues pour les dépenses ordinaires.
L'article 45 de la LOLF prévoit de manière plus sommaire que les services votés ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année, sans prendre en compte les éventuelles lois de finances rectificatives ou de fin de gestion23(*).
Les décrets pris, le cas échéant, à la fin 2024 ne pourraient donc excéder les crédits ouverts par la loi de finances initiale pour 2024, ce qui suscite plusieurs observations.
En premier lieu, il semble que la limite doive être appréciée au niveau de chaque programme, qui est le niveau auquel s'applique l'autorisation parlementaire24(*), sur le périmètre aussi bien du budget général que des budgets annexes et des comptes spéciaux25(*). Sauf mesure de régulation budgétaire, il ne serait donc pas possible d'augmenter le plafond d'un seul programme, même pour une dépense de guichet dont on prévoit l'augmentation, ce qui renforce la nécessité de remplacer dès que possible ces décrets par une loi de finances de l'année.
En deuxième lieu, il semble que ce plafond s'entende en euros courants : les crédits seraient donc en diminution en euros constants, compte tenu de l'inflation, prévue à 1,8 % en 2025.
En revanche, un important décret d'annulation a été pris le 21 février 2024, suivi de gels de crédits partiellement confirmés par une annulation supplémentaire de crédits dans la loi de finances de fin de gestion26(*). Les services votés pourraient donc, pour certains programmes, dépasser le montant des crédits consommés en 2024, ces mesures de régulation budgétaire infra-annuelles n'étant pas prises en compte pour la détermination de leur montant.
Enfin, se pose la question des crédits reportés. Depuis 2021, le Gouvernement a pris l'habitude de reporter un montant important de crédits non consommés, au lieu de les annuler pour l'année en cours et de les rouvrir dans le projet de loi de finances de l'année suivante. Or la légalité de ces reports dépend, pour certains de ces programmes, d'une autorisation donnée par la loi de finances et il n'apparaît pas possible d'autoriser ces reports dans le cadre des décrets relatifs aux services votés. Les reports devant être réalisés avant le 15 mars selon l'article 15 de la LOLF, l'exécution de certains programmes budgétaires sera rapidement mise en difficulté en l'absence de loi de finances promulguée dans ce délai.
D. LES SERVICES VOTÉS NE SONT DONC QU'UN DISPOSITIF DE (TRÈS) COURT TERME DANS L'ATTENTE DU VOTE DE LA LOI DE FINANCES DE L'ANNÉE
Au total, la reconduction des crédits de « services votés » est conçue comme un dispositif temporaire, dans l'attente de l'adoption d'une loi de finances.
S'il devait se prolonger sur plusieurs mois, cela ne serait pas sans poser des difficultés sérieuses, voire insurmontables au fur et à mesure de l'avancée de l'année, pour financer par exemple les aides de guichet, si les besoins dépassent ceux de l'année précédente, ou encore les rémunérations des agents de l'État en cas de glissement vieillesse-technicité (GVT) positif.
Il demeure donc impératif de parvenir, le plus rapidement possible, à l'adoption d'une loi de finances pour 2025, ce qui ressort également de l'examen des conséquences pour l'économie du retard de l'adoption de cette loi.
V. UNE NOUVELLE DÉGRADATION DU SOLDE PUBLIC POUR 2025 NE PEUT ÊTRE EXCLUE
L'interruption de la discussion du projet de loi de finances pour 2025 et l'absence ou le retard de promulgation tant de la loi de finances que de la loi de financement de la sécurité sociale seront de nature à compromettre l'atteinte des objectifs de solde public fixés par le précédent Gouvernement, mais aussi à modifier les prévisions de croissance initialement retenues à l'appui du projet de loi de finances pour 2025. Par ailleurs, la forte incertitude politique devrait peser sur la croissance et modifier sa composition, ce qui pourrait avoir un effet néfaste sur les recettes.
Pour rappel, le précédent Gouvernement prévoyait une croissance de 1,1 % pour l'année 2025 et un solde public de - 5 % du PIB à l'issue des discussions au Parlement (- 5,2 % au moment du dépôt du PLF). Le projet de loi spéciale ne comprend en revanche aucune prévision de finances publiques pour 2025.
Si l'hypothèse la plus probable est celle de l'adoption d'un budget dans le courant de l'année 2025, qui débouchera vraisemblablement sur de nouvelles prévisions de solde public, le degré élevé d'incertitude ne saurait complètement le garantir, ce qui justifie de s'interroger sur les conséquences de la situation actuelle sur les finances publiques, dans le cas où un budget serait adopté très tardivement voire celui où aucun budget ne serait finalement adopté.
Le niveau de prélèvements obligatoires ne serait, par définition, pas affecté par les mesures nouvelles en recettes prévues par le PLF et le PLFSS et son évolution ne résulterait que du dynamisme spontané des recettes. Les documents budgétaires annexés au PLF pour 2025 prévoyaient une évolution spontanée des prélèvements obligatoires de 2,5 %. Il faut ajouter à cette évolution l'impact des mesures nouvelles décidées antérieurement au PLF pour 2025 mais qui sont destinées à s'appliquer en 2025, qui représentent environ 5 milliards d'euros27(*). Partant d'un niveau de prélèvements obligatoires de 1 250 milliards d'euros, on peut estimer que, toutes choses égales par ailleurs, celui-ci atteindrait 1 286 milliards d'euros en 2025, contre 1 311 milliards d'euros prévus dans le PLF pour 2025, soit 25 milliards d'euros en moins. Or, comme cela avait été décomposé dans le tome 1 du rapport de la commission des finances du Sénat sur le PLF pour 2025, l'essentiel de l'évolution des recettes publiques totales entre 2024 et 2025 était dû à la hausse des prélèvements obligatoires.
On peut donc raisonnablement faire l'hypothèse que les recettes publiques totales, estimées à 1 564 milliards d'euros dans le PLF pour 2025, atteindraient plutôt de l'ordre de 1 540 milliards d'euros, soit 51,2 % du PIB (contre 52 % du PIB prévus dans le PLF pour 2025).
S'agissant du budget de l'État, le fait que les dépenses soient limitées aux seuls crédits se rapportant aux services votés est de nature à avoir un impact positif sur son solde. En première approximation, on peut supposer une stabilité des dépenses par rapport à 2024 hors charge de la dette, mais l'incertitude se rattachant au périmètre exact des services votés (voire ci-dessus) empêche d'en faire une estimation pour l'année 2025.
S'agissant des dépenses des administrations publiques locales, leur augmentation était estimée à 7 milliards d'euros28(*), soit 5 milliards d'euros de moins que ce qui était envisagé en l'absence des mécanismes destinés à les modérer (mécanisme de résilience des finances locales, écrêtement de la dynamique de TVA en 2025 et réduction du FCTVA). On peut donc envisager une augmentation de la dépense locale de l'ordre de 12 milliards d'euros, mais il s'agit d'une estimation pessimiste. En effet, la limitation des dépenses de l'État aux seuls crédits se rapportant aux services votés entraînera un arrêt du soutien, par l'État, aux dépenses d'investissement local, dont l'évolution devrait par conséquent être plus modérée qu'initialement.
S'agissant des dépenses des administrations de sécurité sociale, leur augmentation était estimée à 19 milliards d'euros, en prenant en compte la moindre dépense liée au report au 1er juillet de l'indexation des retraites (3,6 milliards d'euros) et au freinage de la trajectoire de l'Ondam (3,8 milliards d'euros). Compte tenu de la non-adoption du PLFSS, l'augmentation de la dépense des administrations de sécurité sociale devrait donc être comprise entre 26 et 27 milliards d'euros.
L'augmentation de la charge de la dette toutes administrations publiques confondues serait enfin de 9 milliards d'euros en 2025 par rapport à 2024, imputable essentiellement à l'État.
Au total, partant d'une dépense publique de 1 658 milliards d'euros en 2024, cette dernière pourrait être plus élevée en 2025 qu'initialement prévu dans le PLF 2025 (1 699 milliards d'euros) et dépasser 1 700 milliards d'euros, hors crédits d'impôts. En intégrant les crédits d'impôts enregistrés en dépenses, la dépense publique dépasserait les 1 720 milliards d'euros.
Si l'ensemble de ces estimations doit être pris avec une extrême précaution en raison d'hypothèses de construction fortes et d'absence de données précises, il est toutefois possible d'anticiper un solde public pour 2025 encore plus dégradé qu'en 2024, de l'ordre de - 6,2 % du PIB.
Cette dégradation constituerait certes une impulsion budgétaire conséquente susceptible de soutenir l'activité mais il n'est pas certain qu'elle compense les effets délétères résultant de l'instabilité politique actuelle. L'incertitude pèserait en effet sur les décisions des entreprises et freinerait la reprise de l'investissement, tout en ayant également pour effet d'encourager les comportements de précaution des consommateurs, qui conserveraient un taux d'épargne élevé au détriment de la consommation. La composition de la croissance, davantage portée par le déficit public que par la demande des entreprises et des ménages, aurait un effet néfaste sur les recettes, ce qui signifie que le solde public pourrait être encore plus dégradé que l'estimation mise en avant ci-dessus.
En cas d'adoption d'un budget, et éventuellement d'un budget rectificatif, pour l'année 2025, le solde public pourrait s'en trouver moins dégradé en fonction des choix politiques qui seront portés par ces textes. Il est toutefois très vraisemblable qu'il soit inférieur au solde initialement envisagé de - 5 % du PIB. Dans ces conditions se posera la question d'une révision du plan budgétaire et structurel de moyen terme qui avait été présenté fin octobre par le précédent Gouvernement.
Le respect de nos engagements européens dans le cadre politique et budgétaire actuel
Le 31 octobre 2024, la France a soumis à la Commission européenne son plan budgétaire structurel à moyen terme (PSMT), qui comporte une trajectoire d'ajustement budgétaire et un paquet d'investissements et de réformes pour justifier une période d'ajustement sur sept ans au lieu de quatre. Le PSMT de la France a été établi parallèlement au projet de loi de finances pour 2025, et en cohérence avec lui. Il prescrit ainsi une évolution de 0,0 % de la dépense primaire nette des mesures nouvelles en recette en 2025. En moyenne, l'ajustement structurel primaire sur la période du plan est de 0,78 point de PIB par an.
Le 26 novembre, la Commission a rendu un avis favorable sur ce plan et a proposé au Conseil une trajectoire de correction des finances publiques françaises, dans le cadre de la procédure pour déficit excessif (PDE), qui est cohérente avec le PSMT et qui prévoit notamment un retour du déficit public sous les 3 % du PIB en 2029.
Le Conseil de l'UE sera invité à se prononcer sur ce plan et sur la trajectoire de correction le 21 janvier 2025. Il pourrait, dans ces conditions, adopter une trajectoire de recommandation qui correspondrait probablement au PSMT. Sous cette réserve et sous réserve que le PSMT ne soit pas révisé par la France d'ici là, le respect par la France du volet préventif des règles budgétaires européennes sera observé à l'aune de l'évolution de la dépense primaire nette des mesures nouvelles en recettes prescrite dans cette trajectoire (dont 0,0 % en 2025). Retenir, dans la prochaine loi de finances, un objectif de consolidation moins ambitieux que celui recommandé pourrait conduire le Conseil à considérer que les actions à prendre pour respecter cette recommandation n'ont pas été prises. Dans ce cadre, une mise en demeure puis des sanctions financières pourront être imposées à la France.
De plus, la France fera l'objet d'une surveillance au titre du volet correctif des règles budgétaires européennes et devra rendre compte des mesure prises dans le cadre de la procédure pour déficits excessifs d'ici le printemps 2025.
Le nouveau Gouvernement aura la possibilité de transmettre un PSMT révisé. Le cas échéant, pour respecter les nouvelles règles européennes, ce plan devra à la fois présenter une trajectoire d'ajustement suffisamment ambitieuse et crédible et un paquet d'investissements et de réformes justifiant une extension à sept ans. À défaut, les règles européennes permettent d'imposer à un État-membre une trajectoire d'ajustement sur quatre ans, établie à partir de la trajectoire de référence de la Commission européenne. La France étant sous procédure pour déficits excessifs, son ajustement structurel ne peut, en tout état de cause, être inférieur à 0,5 % du PIB annuellement, jusqu'au retour de son déficit sous les 3 % du PIB.
Source : commission des finances, à partir des réponses du ministère de l'économie et des finances au questionnaire du rapporteur général
EXAMEN DES ARTICLES
ARTICLE 1er
Autorisation de percevoir les impôts existants
Le présent article autorise, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2025, la perception des ressources de l'État et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'État.
La commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.
I. LE DROIT EXISTANT : L'AUTORISATION BUDGÉTAIRE EST SOUMISE AU PRINCIPE D'ANNUALITÉ
Le principe du consentement à l'impôt trouve son fondement dans l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui prévoit que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».
Ce principe d'autorisation de l'impôt est renforcé par le principe d'annualité, en application duquel l'autorisation doit être renouvelée chaque année. L'article 34 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) prévoit ainsi que la loi de finances de l'année « autorise, pour l'année, la perception des ressources de l'État et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'État ».
Une disposition est donc nécessaire dans chaque loi de finances initiale afin de renouveler l'autorisation de perception de l'impôt. À défaut, la perception des ressources de l'État et des impositions de toutes natures se trouve dépourvue de bas juridique et donc impossible.
Dans des circonstances où la loi de finances de l'année ne peut être promulguée avant le début de l'exercice, le quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution et l'article 45 de la LOLF prévoient que cette autorisation peut être prévue par une loi spéciale, dont c'est l'objet principal.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : AUTORISER, JUSQU'À L'ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA LOI DE FINANCES POUR 2025, LA PERCEPTION DE L'IMPÔT
Le présent article autorise la perception des ressources de l'État et des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'État, conformément aux lois règlements.
Il reprend la rédaction retenue habituellement au début du premier article de chaque loi de finances, en précisant toutefois que cette autorisation ne s'applique que jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2025.
III. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.
IV. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : ADOPTER CET ARTICLE SANS MODIFICATION
A. L'AUTORISATION DE LEVER L'IMPÔT NE POSE GUÈRE DE DIFFICULTÉ
Cet article traduit le principe du consentement à l'impôt, mais seulement conformément aux lois et règlements existants. Il se calque, en substance, sur le contenu de la loi spéciale du 30 décembre 1979 qui, suite à la censure intégrale de la loi de finances pour 1980 par le Conseil constitutionnel, avait permis à l'État de continuer à percevoir les impôts au cours des premières semaines de l'année 1980, en attendant l'adoption de la loi de finances.
Alors que l'article 47 de la Constitution et l'article 45 de la LOLF prévoient seulement que la loi spéciale autorise le Gouvernement à percevoir « les impôts existants », formulation restrictive, cet article inclut dans l'autorisation l'ensemble des ressources de l'État et des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'État.
Le I de l'article 2 de la LOLF distingue les ressources budgétaires et les ressources de trésorerie. Les ressources budgétaires de l'État comprennent les impositions de toutes natures, mais aussi des revenus divers (activités industrielles et commerciales, domaines, participations financières...), des fonds de concours, des remboursements de prêts et avances, des produits de cession et des produits exceptionnels.
Les ressources de trésorerie ne font pas partie des ressources couvertes par l'autorisation accordée par le présent article. En effet, le Gouvernement a posé au Conseil d'État plusieurs questions sur la portée de cette disposition, dans la mesure où elle s'applique non seulement aux ressources de l'État, mais aussi aux impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'État.
Il ressort de la réponse apportée par le Conseil29(*) que :
- les lois et règlements en vigueur doivent être considérés au 1er janvier de l'exercice concerné, c'est-à-dire au 1er janvier 2025, ce qui inclut par conséquent les dispositions de nature fiscale adoptées postérieurement à la loi de finances pour 202430(*) ;
- l'autorisation porte sur l'ensemble des ressources, notamment fiscales, de l'État, ainsi que sur les impositions de toutes natures affectées à d'autres personnes morales que celui-ci.
L'absence d'application des dispositions du projet de loi de finances pour 2025 entrainera, par exemple, la diminution du taux de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE)31(*), le report de cette baisse prévu par le projet de loi de finances pour 2025 ne pouvant pas s'appliquer. De même, et comme l'a confirmé le ministre chargé du budget et des comptes publics devant la commission des finances le 11 décembre 2024, les crédits d'impôts arrivant à expiration à la fin 2024 ne seront pas prolongés au début 2025 tant qu'une loi ne les aura pas rétablies le cas échéant : c'est le cas, par exemple, du crédit d'impôt innovation pour les petites et moyennes entreprises ou du crédit d'impôt collection.
En revanche, le Conseil d'État exclut de cette autorisation celle de recourir à l'emprunt, bien que le montant des émissions de dette à moyen et long terme fasse partie des ressources de financement utilisées pour faire face au besoin de financement de l'État, ce qui semble exclure la perception des ressources de trésorerie au sens de la LOLF. En conséquence, l'autorisation de recours à l'emprunt fait l'objet d'un article spécifique (voir infra, article 2).
La mention « jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2025 » pourrait paraître superflue dans la mesure où les dispositions de la loi de finances pour 2025, lorsqu'elle sera adoptée et promulguée, s'imposeront nécessairement à celles de la présente loi spéciale. Elle paraît toutefois nécessaire dans la mesure où l'article 45 de la LOLF précise lui-même que le projet de loi spéciale n'autorise le Gouvernement à continuer à percevoir les impôts existants que jusqu'au vote de la loi de finances de l'année. En outre elle permet de réaffirmer le caractère temporaire de la présente loi, qui ne peut constituer un support durable pour l'autorisation budgétaire.
Enfin, la mention « conformément aux lois et règlements » est présente dans l'article premier de chaque loi de finances initiale, où elle est complétée par la mention « et aux dispositions de la présente loi », ici inutile car la loi spéciale n'a pas vocation à contenir de dispositions de nature fiscale.
B. LE RETARD D'ADOPTION DE LA LOI DE FINANCES POUR 2025 SUSPEND L'APPLICATION DE CERTAINES RÈGLES RELATIVES AUX AFFECTATIONS DE TAXES À DES TIERS
L'article 2 de la LOLF conditionne l'affectation d'une imposition de toute nature à un de ces organismes à deux conditions : l'organisme doit être doté de la personnalité morale et l'imposition doit être en lien avec les missions de service public qui lui sont confiées. Cette disposition, qui résulte de la révision de la loi organique du 28 décembre 202132(*), entre en vigueur le 1er janvier 2025 et l'article 33 du projet de loi de finances pour 2025 modifie le régime de plusieurs taxes affectées afin de les mettre en conformité avec ce texte. Le retard d'adoption de la loi de finances pour 2025 aura pour effet une non-conformité temporaire, au début de 2025, de ces affectations de taxes avec la loi organique. C'est le cas, notamment, de l'affectation de taxes au fonds national d'aide au logement (FNAL) et au fonds de solidarité pour le développement (FSD).
Par ailleurs, l'article 8 de la loi de programmation des finances publiques33(*) dispose que les affectations de taxes à des tiers autres que les collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale et les organismes de sécurité sociale font l'objet d'un plafonnement, qui doit être précisé dans chaque loi de finances, le produit excédant ce plafond revenant au budget de l'État. Chaque loi de finances comprend ainsi un article donnant le montant du plafond d'affectation pour chaque taxe et chaque organisme affectataire concernés34(*). Le retard d'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2025 aura pour effet une non-application de ces plafonds d'affectation en début d'année. En l'absence d'adoption d'une loi de finances, il serait possible que certains organismes reçoivent un produit de taxe affecté supérieur à celui qui devrait leur revenir.
Décision de la commission : la commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.
ARTICLE 1er bis
(nouveau)
Indication des montants des prélèvements sur
recettes au profit des collectivités territoriales pour 2024
Le présent article, issu d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale, inscrit dans la loi spéciale les montants des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales tels qu'ils résultaient de l'article 137 de la loi de finances pour 2024.
La commission des finances considère que la reconduction explicite du montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de 2024 pour 2025 peut être opportune.
Elle propose d'adopter cet article sans modification.
I. LE DROIT EXISTANT : AUCUNE DISPOSITION RELATIVE AUX PRÉLÈVEMENTS SUR RECETTES N'ÉTAIT INSCRITE DANS LA LOI SPÉCIALE DE 1979
La loi spéciale du 30 décembre 197935(*) ne comportait aucune disposition relative aux prélèvements sur recettes (PSR) au profit des collectivités territoriales, alors même que cette technique existait depuis 1969 et que la dotation globale de fonctionnement (DGF) avait été instituée par la loi du 3 janvier de cette même année36(*).
Cette situation aurait pu se répéter en 2024 dans la mesure où le projet de loi spéciale déposé par le Gouvernement à l'Assemblée nationale ne comportait initialement aucune disposition relative aux PSR.
II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE : INSCRIRE EXPLICITEMENT DANS LA LOI SPÉCIALE LES MONTANTS DES PSR PRÉVUS DANS LA LOI DE FINANCES POUR 2024
Le présent article additionnel est issu de l'adoption par l'Assemblée nationale d'un amendement présenté par Stéphane Delautrette et ses collègues du groupe socialiste. Il inscrit explicitement dans la loi spéciale le montant évaluatif des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales par référence aux montants fixés dans la loi de finances pour 2024.
Prélèvements sur les recettes de
l'État au profit des collectivités territoriales
dans la loi
de finances pour 2024
Dotation globale de fonctionnement |
27 245 046 362 |
Dotation spéciale pour le logement des instituteurs |
4 753 232 |
Dotation de compensation des pertes de bases de la taxe professionnelle et de redevance des mines des communes et de leurs groupements |
30 000 000 |
Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) |
7 104 000 000 |
Compensation d'exonérations relatives à la fiscalité locale |
664 114 745 |
Dotation pour transferts de compensations d'exonérations de fiscalité directe locale |
378 003 970 |
Dotation élu local |
123 506 000 |
Prélèvement sur les recettes de l'État au profit de la collectivité de Corse |
42 946 742 |
Fonds de mobilisation départementale pour l'insertion |
431 738 376 |
Dotation départementale d'équipement des collèges |
326 317 000 |
Dotation régionale d'équipement scolaire |
661 186 000 |
Dotation globale de construction et d'équipement scolaire |
2 686 000 |
Dotation de compensation de la réforme de la taxe sur les logements vacants pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale percevant la taxe d'habitation sur les logements vacants |
4 000 000 |
Dotation de compensation liée au processus de départementalisation de Mayotte |
107 000 000 |
Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (communes) |
239 658 133 |
Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (établissements publics de coopération intercommunale) |
890 110 332 |
Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (départements) |
1 243 315 500 |
Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (régions) |
467 129 770 |
Dotation de garantie des reversements des fonds départementaux de taxe professionnelle |
272 278 000 |
Fonds de compensation des nuisances aéroportuaires |
6 822 000 |
Compensation des pertes de recettes liées au relèvement du seuil d'assujettissement des entreprises au versement transport |
48 020 650 |
Prélèvement sur les recettes de l'État au profit de la collectivité territoriale de Guyane |
27 000 000 |
Prélèvement sur les recettes de l'État au profit des régions au titre de la neutralisation financière de la réforme de l'apprentissage |
122 559 085 |
Dotation globale d'autonomie de la Polynésie française |
90 552 000 |
Compensation de la réduction de 50 % des valeurs locatives de taxe foncière sur les propriétés bâties et de cotisation foncière des entreprises des locaux industriels |
4 016 619 586 |
Compensation des communes et des établissements publics de coopération intercommunale contributeurs au fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) subissant une perte de base de cotisation foncière des entreprises |
3 000 000 |
Prélèvement sur les recettes de l'État au titre du soutien exceptionnel, au titre de l'année 2023, pour les collectivités territoriales face à la croissance des prix de l'énergie |
400 000 000 |
Compensation de la réforme de 2023 de la taxe sur les logements vacants pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale percevant la taxe d'habitation sur les logements vacants |
24 700 000 |
Prélèvement sur les recettes de l'État en faveur des communes nouvelles |
17 600 000 |
Prélèvement sur les recettes de l'État visant à abonder le fonds de sauvegarde des départements pour l'année 2024 |
52 862 037 |
Compensation et du lissage des pertes exceptionnelles de recettes de taxe foncière sur les propriétés bâties |
3 300 000 |
Compensation les pertes de recettes résultant de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties |
7 000 000 |
Prélèvements sur les recettes de l'État au profit des collectivités territoriales |
45 057 825 520 |
Source : article 137 de la loi de finances pour 2024
III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : ADOPTER CET ARTICLE SANS MODIFICATION
Dans son avis interprétatif, le Conseil d'État37(*) justifie l'absence de disposition relative aux PSR par le fait que l'autorisation de percevoir les « ressources de l'État (...) conformément aux lois règlements » emporte implicitement la reconduction des prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne et des collectivités territoriales, « soit pour un montant résultant des règles en vigueur qui leur sont applicables, soit pour celui fixé pour l'exercice précédent, en l'espèce 2024 ».
Si cette l'interprétation du Conseil d'État, selon laquelle l'article 1er emporte la reconduction des PSR, est opportune du point de vue des collectivités, elle suscite une certaine perplexité.
D'une part, la reconduction des prélèvements sur recettes dont la loi de finances se borne à « évaluer » le montant n'apparaît aucunement nécessaire, dans la mesure où ces prélèvements sont prévus par des dispositions permanentes38(*). Ainsi, si la loi de finances pour 1979 n'a pas prévu de disposition relative aux prélèvements sur recettes, cela n'aurait pas été nécessaire dans la mesure où le montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF), tout juste créée, résultait à l'époque de dispositions permanentes codifiées à l'article L. 234-1 du code des communes39(*).
La très grande majorité des prélèvements sur recettes en faveur des collectivités territoriales se trouvent encore aujourd'hui dans ce cas, ce qui rend superflue leur reconduction par la loi spéciale.
D'autre part, pour les prélèvements sur recettes dont les montants ne résultent pas de dispositions permanentes mais doivent être définis par la loi de finances, la mention « conformément aux lois et règlements » de l'article 1er du projet de loi spéciale ne semble pas emporter la reconduction du dernier montant de l'exercice précédent. Au contraire, la loi de finances doit préciser le montant applicable. Tel est le cas en particulier, sous l'empire du droit actuel, de la dotation globale de fonctionnement : l'article L. 1613-1 du code général des collectivités territoriales dispose que « le montant de la dotation globale de fonctionnement est fixé chaque année par la loi de finances » et qu'en « 2024, ce montant est égal à 27 245 046 362 € », ce montant ne valant donc pas pour 2025.
Or, compte tenu de la place importante qu'occupe la dotation globale de fonctionnement parmi les ressources des collectivités40(*), son versement effectif relève indéniablement de la « continuité de la vie nationale » telle que définie par le Conseil constitutionnel41(*). Si le raisonnement du Conseil d'État laisse perplexe quant à la reconduction des PSR qui découlerait de l'article 1er, la commission relève que le Conseil la justifie bien « pour les motifs énoncés au point 6 », c'est-à-dire la continuité de la vie nationale.
Si l'absence de montant fixé pour 2025 aurait été sans effet sur les premiers versements de DGF l'année, les douzièmes versés de janvier à juin de l'année étant encore fondés sur le montant fixé dans la loi de finances de l'année précédente42(*), la possibilité qu'aucune loi de finances ne soit votée avant juin 2025 ne saurait à ce stade être écartée. Le montant de la DGF ne pouvant, aux termes des dispositions combinées des articles 6 et 34 de la LOLF43(*), qu'être fixé par une loi de finances, l'inscription du montant de la DGF dans le projet de loi spéciale peut à cet égard sembler opportune.
Si la commission relève que l'inscription du montant de la DGF dans un tableau évaluatif44(*) ne constitue pas l'option qui présente le plus de garanties à cet égard, elle ne propose pas de modifier le présent article dans la mesure où celui-ci traduit suffisamment la volonté du législateur de reconduire, jusqu'à l'adoption de la loi de finances pour 2025, le montant de la DGF de 2024.
Décision de la commission : la commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.
ARTICLE 2
Autorisation de l'État à recourir à l'emprunt
Le présent article autorise, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2025, le Gouvernement à procéder aux opérations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l'État.
La commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.
I. LE DROIT EXISTANT : LES EMPRUNTS ET LE PLACEMENT DES DISPONIBILITÉS DE L'ÉTAT REQUIÈRENT UNE AUTORISATION EN LOI DE FINANCES
L'article 25 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) décrit quatre catégories d'opérations relatives aux ressources et aux charges de trésorerie :
- le mouvement des disponibilités de l'État ;
- l'escompte et l'encaissement des effets de toute nature émis au profit de l'État ;
- la gestion des fonds déposés par des correspondants ;
- l'émission, la conversion, la gestion et le remboursement des emprunts et autres dettes de l'État, y compris les primes et décotes à l'émission.
Certaines de ces opérations ne seront pas possibles en 2025 tant qu'une autorisation n'est pas accordée en loi de finances, en application de l'article 26 de la même loi qui dispose notamment que « le placement des disponibilités de l'État est effectué conformément aux autorisations annuelles générales ou particulières données par la loi de finances de l'année » et que « l'émission, la conversion et la gestion des emprunts sont effectuées conformément aux autorisations annuelles générales ou particulières données par la loi de finances de l'année ». La loi de finances doit également préciser explicitement si l'État est autorisé à émettre des emprunts dans une devise autre que l'euro.
Ces autorisations relèvent normalement du domaine de la loi de finances de l'année dans sa première partie, en application du début du 8° du I de l'article 34 de la loi organique. Comme ces mesures dépendent du montant global des recettes et des dépenses de l'État, elles sont habituellement regroupées avec d'autres dispositions relatives à l'équilibre général du budget et au financement de l'État dans l'article dit « d'équilibre » qui clôt la première partie du projet de loi de finances. Le 2° du II de cet article autorise ainsi le ministre des finances, dans le projet de loi de finances pour 2025 comme dans les lois de finances précédentes, à procéder :
- à des emprunts à long, moyen et court termes pour couvrir l'ensemble des charges de trésorerie ou pour renforcer les réserves de change ;
- à l'attribution directe de titres de dette publique négociable à la Caisse de la dette publique ;
- à des conversions facultatives, à des opérations de pension sur titres d'État ;
- à des opérations de dépôts de liquidités auprès de différents organismes45(*) ;
- à des souscriptions de titres de créances négociables émis par des établissements publics administratifs, à des rachats, à des échanges d'emprunts, à des échanges de devises ou de taux d'intérêt, à l'achat ou à la vente d'options, de contrats à terme sur titres d'État ou d'autres instruments financiers à terme.
Le Gouvernement a demandé au Conseil d'État si l'autorisation de continuer à percevoir les impôts existants, mise en oeuvre par l'article premier du présent projet de loi spéciale, permettait également, tant à l'État qu'aux organismes des différents régimes de sécurité sociale, de recourir à l'emprunt. Le Conseil d'État, dans son avis rendu le 9 décembre46(*), a répondu par la négative, ce qui justifie l'insertion dans le présent projet de loi d'un article distinct de l'article premier, lequel autorise la perception des impôts.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : AUTORISER LE MINISTÈRE DES FINANCES À PROCÉDER AUX EMPRUNTS ET AUX OPÉRATIONS DE GESTION DE LA DETTE OU DE LA TRÉSORERIE DE L'ÉTAT
Le présent article autorise le ministre chargé des finances à procéder, d'une part, à des emprunts tendant à couvrir l'ensemble des charges de trésorerie ou à renforcer les réserves de change et, d'autre part, à toute opération de gestion de la dette ou de la trésorerie de l'État.
Cette autorisation est limitée à la période s'étendant jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2025.
Selon l'exposé des motifs, l'article permettrait notamment de réaliser des opérations d'échange de taux d'intérêt sur instruments à terme, destinées à permettre la réalisation des opérations de couverture financière des variations de change ou de coûts de matières premières.
III. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
L'Assemblée a adopté cet article modifié par un amendement présenté, en son nom propre, par notre collègue Charles de Courson, tendant à limiter à l'année 2025 l'autorisation d'emprunt.
IV. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : ADOPTER CET ARTICLE SANS MODIFICATION
La commission des finances constate que l'autorisation d'emprunt de l'État présente un caractère de nécessité qui justifie son insertion dans le présent projet de loi spéciale.
A. L'AUTORISATION DE L'EMPRUNT EST UNE NÉCESSITÉ POUR LE FINANCEMENT DES DÉPENSES DE L'ÉTAT AU DÉBUT DE 2025
L'État doit assumer dès le début de l'année des dépenses importantes, qui se sont établies à quelque 40 milliards d'euros en moyenne au mois de janvier au cours des trois dernières années. Ces dépenses doivent notamment couvrir l'avance sur crédits et réductions d'impôt sur le revenu versée aux contribuables (pour environ 5,7 milliards d'euros) et les dépenses de personnel (pour environ 13 milliards d'euros par mois).
Or, les recettes fiscales sont perçues de manière beaucoup plus progressive. Par exemple, l'État verse aux collectivités territoriales des avances sur le produit des recettes fiscales locales, alors que ces recettes sont collectées pour une grande part dans la deuxième moitié de l'année. Il faut également attendre le mois de décembre pour percevoir une part importante des rentrées d'impôt sur les sociétés. Le solde budgétaire se dégrade donc structurellement au cours des premiers mois de l'année avant de se stabiliser, voire de s'améliorer dans les derniers mois.
Exemple de l'évolution du solde budgétaire au cours de l'année 2023
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des situations mensuelles du budget de l'État
Sur l'ensemble de l'année, le recours à l'emprunt est indispensable. À titre d'exemple, en 2024, les recettes fiscales et non fiscales du budget général, minorées des prélèvements sur recettes, sont de 280,5 milliards d'euros seulement dans l'évaluation résultant de la loi de finances de fin de gestion47(*), alors que les dépenses nettes du budget général sont de 444,0 milliards d'euros, auxquelles il faut ajouter le remboursement de 155,1 milliards d'euros de titres de dette à moyen et long terme arrivés à échéance, sans compter le remboursement des titres de dette à court terme.
B. LA RÉDACTION PROPOSÉE PAR LE PRÉSENT ARTICLE DU PROJET DE LOI SPÉCIALE MET EN oeUVRE CETTE AUTORISATION D'EMPRUNT
Au lieu de reprendre la rédaction contenue chaque année dans l'article d'équilibre de la loi de finances, qui prévoit cinq catégories d'opérations autorisées48(*), le présent article précise simplement que « jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2025, le ministre chargé des finances est autorisé à procéder à des emprunts à long, moyen et court termes libellés en euros ou en autres devises pour couvrir l'ensemble des charges de trésorerie ou pour renforcer les réserves de change, ainsi qu'à toute opération de gestion de la dette ou de la trésorerie de l'État ». Selon les éléments apportés au rapporteur général par le Gouvernement, cette autorisation ouvrirait le droit de procéder aux mêmes opérations que celles mentionnées au 2° du II de l'article 41 du projet de loi de finances pour 2025, décrites supra.
Cette disposition ne fait pas partie du domaine de la loi spéciale tel que prévu à l'article 45 de la LOLF. La loi spéciale du 30 septembre 197949(*) comprenait d'ailleurs uniquement un article autorisant l'État à continuer de percevoir les impôts et taxes existants50(*).
Il paraît toutefois nécessaire de la prévoir puisque l'adoption définitive de la loi de finances ne surviendra manifestement pas dès les premiers jours de 2025. Dans son avis précité du 9 décembre 2024, le Conseil d'État a expressément admis la possibilité d'inscrire dans un projet de loi spéciale l'autorisation pour l'État de recourir à l'emprunt, bien que « eu égard à leur différence d'objet et de fondement juridique, l'autorisation de recourir à l'emprunt ne saurait être assimilée à l'autorisation de percevoir l'impôt ». En effet, le Conseil retient que « dès lors que les emprunts représentent, à l'heure actuelle, une part significative du total des ressources annuelles de l'État, cette autorisation conditionne la possibilité même pour le Gouvernement d'ouvrir par décret les crédits se rapportant aux services votés »51(*).
C. L'AUTORISATION D'EMPRUNT PERMETTRA DE RÉALISER LE PROGRAMME DE FINANCEMENT DE L'ÉTAT DANS L'ATTENTE D'UNE LOI DE FINANCES
Pour autant, selon le Conseil d'État, l'autorisation pour l'État de recourir à l'emprunt inscrite dans le projet de loi spéciale doit être limitée, d'une part, au financement de l'écart entre les dépenses se rapportant aux services votés et le produit des impôts existants et, d'autre part, au refinancement des emprunts venus à échéance.
Ainsi, la capacité d'emprunt de l'État ne serait pas affectée à court terme. Cependant, l'étendue de cette capacité présente des incertitudes majeures. En particulier, la notion de services votés demeurant relativement imprécise, l'écart entre les dépenses se rapportant à ces services et le produit des impôts existants pourrait, dans l'hypothèse d'une dégradation de cet écart avant l'adoption de la prochaine loi de finances, représenter un niveau très élevé.
Or, le présent projet de loi spéciale ne comporte pas de tableau de financement, élément qui aurait permis de fonder sur des bases plus objectives le cadre de l'autorisation pour l'État de recourir à l'emprunt.
S'agissant de l'échéancier prévisionnel du refinancement des emprunts arrivant à échéance52(*), le mois de janvier 2025 contient des échéances pour le remboursement d'emprunts à court terme, mais pas à moyen et long termes. Les échéances d'amortissements d'obligations assimilables du Trésor (OAT) devraient connaître deux premiers pics en février et en mars, de respectivement 19,1 milliards d'euros et 49,9 milliards d'euros, hors paiement des intérêts estimés à 3 milliards d'euros53(*). Un nouveau point haut en amortissements serait atteint en mai, avec 38,8 milliards d'euros (auxquels s'ajouteraient 12,3 milliards d'euros d'intérêts).
Par ailleurs, l'Agence France Trésor prévoit de lancer des adjudications dès le mois de janvier 2025 pour des émissions à moyen et long terme comme à court terme, qui ne seraient pas possibles si l'autorisation d'emprunt n'était pas accordée.
Les amortissements liés à la dette à court terme s'établissent ainsi à 103,6 milliards d'euros au premier trimestre, dont 41,4 milliards d'euros pour le seul mois de janvier 2025, la première échéance ayant lieu dès le 2 janvier.
Échéances d'amortissements de titres
de dette de l'État de court terme
pour le mois de
janvier 2025
Échéance |
Montant |
Jeudi 2 janvier |
7,199 |
Mercredi 8 janvier |
10,090 |
Mercredi 15 janvier |
8,772 |
Mercredi 22 janvier |
7,548 |
Mercredi 29 janvier |
7,797 |
Source : réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général, d'après l'Agence France Trésor
D. LA FIXATION D'UN MONTANT MAXIMAL D'EMPRUNT N'APPARAÎT PAS OPPORTUNE DANS LE CADRE DE LA LOI SPÉCIALE
Si le principe de l'autorisation d'emprunt de l'État doit manifestement être approuvé afin d'assurer la continuité de son financement dans l'attente de la promulgation de la loi de finances, la commission s'est posé la question de la fixation d'un montant maximal d'endettement.
Le Gouvernement n'a en effet pas inclus de plafond pour les émissions d'emprunt à moyen et long terme, alors que la loi de finances de l'année fixe toujours le plafond de la variation nette de la dette négociable de l'État d'une durée supérieure à un an, en application du 9° du I de l'article 34 de la LOLF. Cette disposition limite en pratique le montant des émissions nettes d'OAT à la somme de ce plafond et du montant des OAT dont le remboursement intervient en cours d'année54(*).
Toutefois, cette règle organique s'applique à la loi de finances initiale ainsi que, par renvoi depuis l'article 35 de la LOLF, aux lois de finances rectificatives et de fin de gestion, mais pas aux autres lois de finances (loi relative aux résultats de la gestion et lois spéciales de l'article 45 de la LOLF).
En outre, l'absence de plafond ne signifie pas que l'État serait libre d'emprunter sans contrainte tant que la loi de finances de l'année n'est pas adoptée. En effet, le présent article n'autorise l'emprunt que « pour couvrir l'ensemble des charges de trésorerie ou pour renforcer les réserves de change », formulation présente dans chaque loi de finances. En outre, l'article 26 de la LOLF exclut l'utilisation des emprunts émis par l'État ou toute autre personne morale de droit public pour payer une dépense publique.
En pratique, les emprunts à moyen et long termes suivent un programme d'émissions établi à l'avance par l'Agence France Trésor, qui suit des échéances régulières tout au long de l'année55(*). C'est le stock de dette à court terme, et non à moyen et long terme, qui est ajusté pour couvrir les charges de trésorerie telles qu'elles apparaissent en cours d'année. Le Gouvernement a indiqué au rapporteur général que les opérations d'emprunt à moyen et long terme resteront début 2025 en ligne avec le programme de financement de 300 milliards d'euros, net des rachats, annoncé le 10 octobre 2024 lors du dépôt du projet de loi de finances, dans l'attente de l'adoption d'une loi de finances pour 2025 qui aura toute possibilité de modifier ce montant.
Fixer dans la loi spéciale un plafond de variation de l'endettement identique à celui de la loi de finances initiale pour 2024 paraît difficile à justifier car le niveau des recettes comme des dépenses est nécessairement différent, même dans une logique de services votés.
Par ailleurs, la variation du plafond d'endettement dépend d'éléments que la loi spéciale n'a pas vocation à fixer ou à évaluer, comme le montant des recettes (à législation constante), celui des dépenses (qui feront l'objet d'un décret relatif aux services votés), ainsi que les choix de mobilisation de la dette à court terme et des autres ressources de trésorerie.
La mention d'un plafond d'autorisation d'emprunt ne présente par ailleurs aucun caractère d'urgence et n'apparaît in fine pas opportune au sein du présent projet de loi spéciale.
Décision de la commission : la commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.
ARTICLE 3
Régimes et organismes de sécurité sociale
habilités à recourir
à des ressources non
permanentes
Le présent article prévoit d'autoriser les régimes et organismes de sécurité sociale à recourir à des ressources non permanentes pour couvrir leurs besoins en trésorerie jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
La commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.
I. LE DROIT EXISTANT : L'AUTORISATION DU RECOURS À L'EMPRUNT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE, UNE DISPOSITION INDISPENSABLE EN LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
A. UN RECOURS INDISPENSABLE À DES RESSOURCES NON PERMANENTES POUR LES BESOINS DE TRÉSORERIE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Comme mentionné à l'annexe 3 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 déposé le 10 octobre 2024, « le besoin de trésorerie est [...] constaté de façon instantanée : chaque jour, l'organisme dispose ou non des disponibilités suffisantes pour faire face à ses engagements financiers. S'il n'en dispose pas, il présente ce jour-là un besoin de trésorerie qui doit être couvert ». Cela implique qu'un besoin de trésorerie peut émerger sans besoin de financement, en raison d'un simple « décalage calendaire entre les encaissements (cotisations et contributions) et les décaissements (paiement des prestations aux assurés et frais de gestion) ». Au vu des charges très élevées couvertes par la sécurité sociale, le fonds de roulement des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (ROBSS) et des organismes de sécurité sociale ne permet pas de couvrir les besoins de trésorerie au cours de l'année.
L'article L. 139-3 du code de la sécurité sociale précise que les ROBSS qui y sont habilités par une loi de financement de la sécurité sociale peuvent recourir à des ressources non permanentes, consistant soit en des avances de trésorerie, soit en emprunts « contractés pour une durée inférieure ou égale à douze mois auprès de la Caisse des dépôts et consignations ou d'une ou plusieurs sociétés de financement ou d'un ou plusieurs établissements de crédit agréés dans un État membre de l'Union européenne ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou, dans les conditions fixées à l'article L. 225-1-4, de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale ». Les ROBSS recourent de manière générale à des avances consenties par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), en application de l'article L. 225-1-4 du code de la sécurité sociale. Ils pourraient recourir à des finances bancaires ou de marché en complément mais comme l'indique l'annexe 3 précitée, « au regard des conditions potentiellement coûteuses de ces financements, le principe est de n'y avoir recours qu'en complément des capacités de l'ACOSS, les avances de cette dernière devant constituer le socle de financement ».
L'ACOSS, renommée URSSAF Caisse nationale en 2021, est un établissement public administratif créé en 1967 qui gère la trésorerie des différentes branches gérées par la Caisse nationale des allocations familiales, par la Caisse nationale de l'assurance maladie, par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie et par la Caisse nationale d'assurance vieillesse, en application de l'article L. 225-1 du code de la sécurité sociale. L'ACOSS est habilitée à « émettre des titres de créances négociables » conformément à l'article L. 139-3 du code de la sécurité sociale. En 2024, l'encours maximal d'emprunts de l'ACOSS sur les marchés financiers a été atteint le 15 septembre, pour un montant de 38,4 milliards d'euros.
Les caisses gérant les régimes spéciaux peuvent également être habilitées par une loi de financement de la sécurité sociale à recourir à des ressources non permanentes pour couvrir leurs besoins de trésorerie. C'était notamment le cas en 2024 de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel ferroviaire (CPRPF), de la caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM) et de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL).
B. UNE DISPOSITION OBLIGATOIRE ANNUELLEMENT AU SEIN DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
L'autorisation d'emprunt des régimes obligatoires de base et des organismes de sécurité sociale relève du domaine obligatoire des lois de financement de la sécurité sociale. En outre, elle est annuelle et doit donc figurer chaque année dans cette loi.
L'article L.O. 111-3-4 du code de la sécurité sociale dispose en effet que la « loi de financement de l'année » « arrête la liste des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement habilités à recourir à des ressources non permanentes, ainsi que les limites dans lesquelles leurs besoins de trésorerie peuvent être couverts par de telles ressources ».
L'article 13 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 déposé le 10 octobre 2024 prévoyait une telle disposition.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : UNE AUTORISATION À RECOURIR À DES RESSOURCES NON PERMANENTES POUR DES RÉGIMES ET ORGANISMES DE SÉCURITÉ SOCIALE
Le présent article prévoit d'autoriser l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), la caisse de prévoyance et de retraite du personnel ferroviaire (CPRPF), la caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM) et la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) à recourir à des ressources non permanentes pour couvrir leurs besoins en trésorerie. L'autorisation n'est valable que jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
Comme à l'article 2 relatif à l'autorisation pour l'État de recourir à l'emprunt, aucun plafonnement de ces ressources non permanentes n'est mentionné.
III. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
L'Assemblée a adopté cet article modifié par un amendement présenté, en son nom propre, par notre collègue Charles de Courson, tendant à limiter à l'année 2025 l'autorisation d'emprunt.
IV. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UNE DISPOSITION INDISPENSABLE À LA CONTINUITÉ DE LA VIE NATIONALE ET URGENTE
A. UNE DISPOSITION JUSTIFIÉE PAR L'IMPÉRATIF DE CONTINUITÉ DE LA VIE NATIONALE
1. Une disposition inédite en loi de finances spéciale
La loi56(*) de finances dite « spéciale » pour 1980 déposée en 1979 ne prévoyait pas de disposition concernant le recours à des ressources non permanentes des organismes de sécurité sociale. Toutefois, le besoin en était moins fort : il était en effet anticipé un excédent des régimes de base de la sécurité sociale. Par ailleurs, une convention conclue avec la Caisse des dépôts et des consignations permettait à l'ACOSS d'obtenir des avances représentant jusqu'à deux journées moyennes de dépenses.
Aucun impératif de continuité de la vie nationale ne justifiait à ce moment l'introduction d'une disposition relative au recours à des ressources non permanentes pour les régimes et organismes de sécurité sociale.
Par ailleurs, les lois de financement de la sécurité sociale ont été créées par la révision constitutionnelle de 1996, soit bien après la loi de finances spéciale de 1980. La loi57(*) organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, dans sa version de 1996, insère l'article L.O. 111-3-4 du code de la sécurité sociale qui rend obligatoire l'approbation du recours à des ressources non permanentes pour les régimes et organismes de sécurité sociales ainsi que la fixation d'un plafond. Auparavant, aucune disposition organique ne rendait obligatoire l'autorisation parlementaire pour recourir à des ressources non permanentes en vue de la couverture des besoins de trésorerie des régimes et organismes de sécurité sociale.
2. Une disposition justifiée par l'impératif de continuité de la vie nationale
Dans un contexte habituel, une telle disposition ne devrait pas avoir sa place dans une loi de finances dite « spéciale » telle que prévue par l'article 45 de la loi organique aux lois de finances, ainsi que par l'article 47 de la Constitution. En effet, une telle loi a le caractère d'une loi de finances58(*), alors que le recours à des ressources non permanentes des régimes et organismes de sécurité sociale relève du domaine obligatoire des lois de financement de la sécurité sociale, au titre de l'article L.O. 111-3-4 du code de la sécurité sociale.
Toutefois, plusieurs arguments justifient l'introduction d'une telle disposition dans la loi de finances spéciale.
D'une part, les textes organiques ne prévoient pas de loi de financement de la sécurité sociale « spéciale », à l'image de ce qui existe pour la loi de finances. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 ayant été rejeté, il n'existe donc plus aucun autre véhicule législatif possible permettant d'introduire cette disposition dans le droit positif d'ici la fin de l'année. Lors de la révision constitutionnelle de 1996, le Sénateur Gélard59(*), au nom de la commission des lois du Sénat avait indiqué que « le risque de vide juridique ou financier au premier janvier ne se pose pas car même si la loi de financement n'était pas promulguée à cette date, les cotisations continueraient d'être prélevées et les prestations d'être servies aux assurés sociaux ». Toutefois, le risque représenté par les besoins de trésorerie de l'ACOSS était alors moins important, d'autant que la convention avec la Caisse des dépôts et des consignations permettait d'emprunter jusqu'à 20 milliards de francs. Le besoin d'une loi de financement de la sécurité sociale « spéciale » pour le cas où la procédure décrite à l'article 47-1 de la Constitution échouerait n'avait pas été identifié.
D'autre part, l'exigence de continuité de la vie nationale justifie absolument l'introduction de cette disposition. Ainsi, le Conseil d'État, dans un avis60(*) rendu le 9 décembre 2024, estime que l'absence d'autorisation de recourir à des ressources non permanentes pour les régimes et organismes de sécurité sociale « serait de nature à porter atteinte aux principes constitutionnels de protection de la santé et d'accès à des moyens convenables d'existence garantis par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dans des conditions telles qu'il en résulterait une atteinte à la continuité de la vie nationale ». En effet, en 2025, contrairement à 1996, la situation financière de la sécurité sociale est telle que l'absence d'autorisation de recours à des ressources non permanentes impliquerait que la sécurité sociale n'est pas en mesure de fournir les prestations dues aux bénéficiaires.
Enfin, une telle disposition a un caractère d'urgence. Comme indiqué à l'annexe 3 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 déposé le 10 octobre 2024, l'ACOSS aura à couvrir des besoins de trésorerie en janvier allant jusqu'à 38 milliards d'euros, ce qui constitue d'ailleurs une nette dégradation de sa situation par rapport à 2024. En ajoutant les déficits non repris par la Caisse d'amortissement de la dette sociale, le pré-emprunt de sécurisation de la trésorerie à horizon d'un mois et les avances de trésorerie accordées aux partenaires de la sphère sociale, l'ACOSS emprunterait entre 40 et 50 milliards d'euros.
Évolution du solde de trésorerie de l'ACOSS pour 2024 et 2025
(en millions d'euros)
Source : annexe 3 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 déposé le 10 octobre 2024
De même, concernant la CNRACL, les besoins de trésorerie s'élèveraient à près de 8,5 milliards d'euros dès janvier, et jusqu'à 12 milliards d'euros en 2025.
Évolution du solde de trésorerie de la CNRACL pour 2024 et 2025
(en millions d'euros)
Source : annexe 3 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 déposé le 10 octobre 2024
La CANSSM aurait un besoin de trésorerie de près de 350 millions d'euros en janvier. Enfin, la CPRPF aurait besoin en janvier de près de 300 millions d'euros.
L'autorisation de recourir à des ressources non permanentes doit donc avoir été votée et promulguée avant le 1er janvier 2025 pour répondre à l'impératif de continuité de la vie nationale que constitue le versement des prestations de sécurité sociale. Or comme le relève le Conseil d'État dans son avis précité, « les circonstances [...] sont susceptibles de faire obstacle à la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 avant le 1er janvier 2025 ». En pratique, il apparaît même impossible de faire adopter une loi de financement de la sécurité sociale avant le 31 décembre 2024. Il est en ce sens justifié d'introduire le présent article dans une loi de finances spéciale.
Le présent article a vocation à n'être valable que jusqu'à l'adoption d'une loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, qui contiendra obligatoirement une disposition tendant à permettre le recours à des ressources non permanentes pour les régimes et organismes de sécurité sociale.
La précision apportée par l'Assemblée nationale et limitant la période d'application du présent article à l'année 2025 est donc bienvenue.
En effet, dans sa précédente rédaction, dans le cas où le présent projet de loi entrerait en vigueur avant la fin 2024, l'absence de date d'entrée en vigueur aurait pu conduire cet article à s'appliquer simultanément à l'article 35 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, qui prévoit une habilitation plafonnée à recourir à des ressources non permanentes pour la sécurité sociale jusqu'au 31 décembre 2024.
B. UNE ABSENCE DE PLAFONDS D'EMPRUNT QUI SE JUSTIFIE EN L'ATTENTE DU VOTE D'UNE LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Le présent article ne prévoit pas de plafonnement des ressources non permanentes auxquelles peuvent recourir les régimes et organismes de sécurité sociale pour couvrir leurs besoins de trésorerie. Ce plafonnement constitue pourtant une disposition toujours présente dans les projets de la loi de financement de la sécurité sociale, l'article L.O. 111-3-1 du code de la sécurité sociale précisant qu'une LFSS « arrête [...] les limites dans lesquelles leurs besoins de trésorerie peuvent être couverts par de telles ressources ».
Toutefois, une loi de finances spéciale n'a pas le caractère d'une loi de financement de la sécurité sociale, ce qui implique que l'obligation précitée ne s'applique pas. L'absence de précision sur les plafonds d'emprunt autorisés est inhabituelle mais permet de réserver le débat sur les plafonds au vote d'une loi de financement de la sécurité sociale et se justifie donc.
En tout état de cause, l'article 13 du PLFSS pour 2025 prévoyait d'augmenter les plafonds de recours à des ressources non permanentes, de 45 milliards d'euros à 65 milliards d'euros pour l'ACOSS et de 11 milliards d'euros à 13,2 milliards d'euros pour la CNRACL. Ainsi, les plafonds nécessaires pour l'année 2025 dépendent des dispositions votées en loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. En conséquence, la loi de finances dite « spéciale » n'a pas vocation à préempter leurs montants, mais simplement à permettre de pallier les besoins immédiats de trésorerie de la sécurité sociale, dans l'attente de la promulgation d'une loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. Il est donc justifié de ne pas préciser les plafonds de recours à des ressources non permanentes dans le présent article.
Décision de la commission : la commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITION DE MM. ANTOINE ARMAND, MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, DÉMISSIONNAIRE, ET LAURENT SAINT-MARTIN, MINISTRE AUPRÈS DU PREMIER MINISTRE, CHARGÉ DU BUDGET ET DES COMPTES PUBLICS, DÉMISSIONNAIRE (11 DÉCEMBRE 2024)
Réunie le mercredi 11 décembre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu MM. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, démissionnaire, et Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, démissionnaire, sur le projet de loi spéciale, prévue à l'article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Cette audition s'inscrit dans un contexte inédit sous la Ve République, alors que la motion de censure adoptée par l'Assemblée nationale sur le texte de la commission mixte paritaire relatif au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 a conduit à la suspension de l'examen du projet de loi de finances initiale, lequel ne devrait pas pouvoir reprendre et s'achever avant la fin de l'année.
Aussi, le conseil des ministres a délibéré ce matin sur un projet de loi spéciale, en application de l'article 47 de la Constitution et de l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf), que nous devrons examiner la semaine prochaine. Il est effectivement urgent d'agir désormais pour doter la France des moyens de commencer l'année.
Cette situation exceptionnelle nous conduit à entendre cet après-midi les ministres Antoine Armand et Laurent Saint-Martin, malgré la démission du Gouvernement.
Cet échange sera l'occasion d'aborder les nombreux sujets liés à ce texte contenant trois articles et de nous assurer que toutes les mesures indispensables au financement de nos institutions et de nos services publics y sont intégrées.
La question plus spécifique du financement de la sécurité sociale et du recours à l'emprunt pour certains organismes, qui correspond à l'article 3 du projet de loi spéciale, justifie la présence du président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, et de la rapporteure générale, Élisabeth Doineau, désignée ce matin rapporteure pour avis, au nom de la commission des affaires sociales, sur le présent texte.
La question connexe des crédits nécessaires à l'ensemble des missions de l'État est également cruciale, la Constitution prévoyant à cet effet l'adoption par le Gouvernement de décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés.
Évidemment, ces textes répondent à une situation d'urgence et constituent des palliatifs qui ne pourront que temporairement permettre à la France de fonctionner sans budget pour 2025.
M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, démissionnaire. - La motion de censure adoptée le 4 décembre dernier a interrompu la discussion des textes financiers, compromettant l'adoption d'un budget de la sécurité sociale et d'une loi de finances pour 2025 avant le 31 décembre 2024. Saluons néanmoins la qualité des débats que nous avons eus devant cette commission comme en séance publique sur des questions essentielles pour notre pays, telles que la fiscalité des entreprises ou nos engagements internationaux et européens, qui se posent toujours.
Tout d'abord, nous traversons une situation exceptionnelle et grave, qui emporte déjà et emportera encore des conséquences économiques tangibles et visibles, avec une incertitude pesant sur les décisions d'investissement et de recrutement des entreprises, sur leur capacité à implanter de nouveaux sites de production, sur l'attractivité du pays et sur l'offre touristique.
L'absence de budget d'ici au 31 décembre 2024 aura des effets concrets, comme l'impossibilité de débloquer l'aide de 1 milliard d'euros sous forme de prêt accordé à la Nouvelle-Calédonie, qui se trouve dans une situation d'extrême urgence, ou la non-entrée en vigueur au 1er janvier 2025 de la baisse de la TVA pour 6 000 produits alimentaires en Martinique et en Guadeloupe. Ces effets toucheront d'autres secteurs, comme l'agriculture, et concerneront, notamment, l'ensemble des crédits d'impôt, incitatifs ou non, contribuant à l'élaboration des politiques publiques, à une forme de justice fiscale et au soutien des plus précaires, qui ne pourront être prolongés. Même si ces dispositifs étaient repris dans une nouvelle loi de finances, ils ne pourraient pas s'appliquer durant une certaine période.
Ensuite, ce projet de loi spéciale a deux objectifs, prévus par l'article 47 de la Constitution : donner la possibilité au Parlement, souverain en la matière, d'autoriser la levée de l'impôt et permettre à l'État et aux organismes de sécurité sociale de continuer à émettre de la dette pour assurer la continuité des services publics.
Enfin, ce projet de loi spéciale, dispositif exceptionnel et transitoire, n'est pas un budget et ne comporte donc aucune des caractéristiques fondamentales d'un tel texte : ni estimation, ni cible de déficit, ni prévision de croissance, ni plafond d'emprunt, ni objectif d'endettement. Il vise à assurer la continuité des services publics, mais ne saurait résoudre l'incertitude majeure provoquée par l'absence conjointe de gouvernement et de budget à la fin d'une année. La stratégie économique sous-tendant un projet de loi de finances (PLF) et la volonté de réduire ou non les déficits, lesquels n'ont pas disparu avec la censure, relèveront des choix du futur gouvernement.
Enfin, ainsi que Michel Barnier y avait fait allusion en évoquant l'esprit de responsabilité qui devra présider à l'adoption du futur budget comme de cette loi spéciale, les engagements internationaux et européens pris par la France, lesquels avaient fait l'objet d'une évaluation positive de la Commission, devront être tenus. À défaut, cela reviendrait à décider de changer radicalement la place et le rang de la France en Europe.
M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, démissionnaire. - Nous nous trouvons dans une configuration inédite, et il revient à ce gouvernement de gestion des affaires courantes de porter ce texte au titre du caractère urgent et impératif que revêt son adoption.
Tôt ou tard, il faudra donner à la France un budget ; le projet de loi spéciale que vous vous apprêtez à examiner ne saurait en tenir lieu. La situation de nos finances publiques n'a pas changé depuis la démission du Gouvernement, avec tous les défis qu'elle emporte pour le présent comme pour l'avenir. Ce texte ne préjuge pas des nouveaux arbitrages qui devront être rendus par un prochain gouvernement de plein exercice et ne détermine en aucune manière les futures discussions budgétaires, dont je souhaite, à titre personnel, qu'elles prennent place rapidement, dans l'intérêt supérieur de notre pays et de nos concitoyens. Il n'a pas vocation à permettre la répétition des débats que nous avons eus ensemble lors de l'examen du PLF et du PLFSS.
Son seul objectif, qui en délimite strictement le contenu, est d'assurer à titre exceptionnel et transitoire la continuité de la vie de la Nation, en évitant un shutdown, une interruption de l'ensemble de nos services publics faute de pouvoir les financer. Ce texte ne peut faire ni moins ni plus que cela, la jurisprudence à ce sujet étant claire.
Tout d'abord, une telle loi ne peut modifier le code général des impôts. Elle n'exprime pas le consentement à l'impôt, mais en constate la nécessité. Elle ne permet donc ni de reconduire pour l'année suivante les dispositions fiscales qui arrivent à échéance fin 2024 ni de modifier le barème de l'impôt sur le revenu (IR) pour l'indexer sur l'inflation. L'avis rendu par le Conseil d'État sur ces deux points est sans ambiguïté : « L'indexation sur l'inflation du barème de l'impôt sur le revenu (...) ou encore la modification du droit aux fins de prolonger la durée d'application de crédits d'impôt dont une loi de finances a prévu l'extinction au 31 décembre 2024 ne sont pas au nombre des dispositions ayant leur place en loi spéciale ». La loi spéciale ne peut qu'autoriser temporairement le Gouvernement à continuer à percevoir les impôts et taxes existants, jusqu'au vote de la loi de finances pour l'année, qui reste indispensable pour assurer le financement de nos services publics, de notre système de protection sociale et de nos collectivités territoriales.
Ensuite, le décret qui sera pris après promulgation de cette loi spéciale nous place sous le régime restrictif des services votés. La loi spéciale n'autorise pas le Gouvernement à engager de nouvelles dépenses. Conformément à la Constitution, jusqu'à l'adoption d'une nouvelle loi de finances pour l'année, les crédits se rapportant aux services votés seront temporairement ouverts par décret. Les services votés correspondent au niveau minimal de crédits jugé indispensable pour permettre l'exécution des services publics en 2025 dans les conditions de l'année précédente. Cela signifie que, en l'absence de loi de finances, le Gouvernement ne pourra pas augmenter les budgets, par exemple, des armées, de la justice, de l'intérieur, de la recherche, bref, les budgets qui sont soumis à une loi de programmation.
Sauf nécessité pour la continuité de la vie nationale ou motif d'urgence caractérisé, le Gouvernement ne pourra pas non plus procéder à de nouveaux investissements ou à des dépenses discrétionnaires de soutien aux associations, aux entreprises ou aux collectivités. Il ne pourra pas non plus prendre les mesures d'économies prévues ni augmenter les recettes fiscales. Ces décisions reviendront au prochain exécutif.
Enfin, la loi spéciale autorise le Gouvernement à recourir aux emprunts nécessaires pour assurer ses engagements, ainsi que le fonctionnement régulier des services publics. Comme vous le savez, les recettes fiscales et sociales à elles seules ne suffiraient pas à couvrir les besoins des administrations publiques, eu égard à la situation déficitaire de l'État comme des comptes sociaux. Sans la possibilité de recourir à l'emprunt, nous ne pourrions assurer nos engagements auprès de nos créanciers ni garantir le fonctionnement régulier des services publics. Il est donc indispensable d'autoriser tant l'État que les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) à émettre de la dette.
Je n'imagine pas que ce projet de loi ne soit pas adopté, je ne m'étendrai donc pas sur les conséquences d'un éventuel rejet. Il s'agit ici de parer à l'urgence dans l'attente d'un nouveau budget, d'assurer la continuité de la Nation, le fonctionnement régulier des services publics qui protègent les Français, font fonctionner le pays et contribuent à la bonne marche de notre économie, ainsi que le respect des engagements pris par notre pays. Avec ce texte, nous demandons finalement que nécessité fasse loi, dans le respect du droit.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - Ce projet de loi spéciale intervient dans des temps inédits. Mesurons la gravité de la situation actuelle de grande instabilité politique et d'incertitude, qui fragilise notre économie, au niveau tant national qu'européen : 2024 est une année extraordinaire, durant laquelle nous aurons probablement connu quatre Premiers ministres en un an ! Cela donne le tournis, comme nous a donné le tournis la folle dégradation de nos comptes publics : nous finirons probablement avec une aggravation du déficit plus proche des 60 milliards d'euros que des 50 milliards d'euros que notre mission d'information en deux temps avait diagnostiqués.
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, interrompu pour cause de censure, j'évoquais l'état d'urgence budgétaire ; de même, vous indiquez quant à vous, monsieur le ministre, qu'il faut désormais « parer à l'urgence ».
S'agissant du projet de loi spéciale et de la gestion budgétaire pour 2025, j'ai quelques questions. J'ai lu avec étonnement l'avis du Conseil d'État sur ce texte, qui indique que l'autorisation de lever l'impôt emporte la reconduction des prélèvements sur recettes, notamment de la dotation globale de fonctionnement (DGF), à son niveau de 2024. Or cette interprétation n'a pas de fondement dans les textes. Pourquoi ne pas avoir simplement fait figurer la DGF dans l'article 1er ?
Ensuite, jusqu'à quel moment de l'année 2025 l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu vous semble-t-elle juridiquement et matériellement possible ? Quelles conséquences emportera le report de cette indexation pour les contribuables et pour les finances publiques ?
Concernant la gestion budgétaire 2025, je souhaite que soit précisée votre interprétation du périmètre couvert par la notion de services votés : budget général, budgets annexes, comptes spéciaux ? Quelle application faites-vous de cette notion ? Quel montant sera retenu pour chaque programme ? S'agit-il du montant exact des crédits de la loi de finances pour 2024, éventuellement modulé à la baisse ? Les dépenses d'intervention seront-elles comprises dans les services votés ?
Vous avez évoqué l'impossibilité d'engager de nouvelles dépenses discrétionnaires, sauf urgence au cas par cas, à propos, notamment, des dépenses d'intervention, y compris les subventions aux collectivités et aux associations. Qu'en est-il ? Surtout, quelle est, en l'état actuel de vos connaissances, la durée maximale pendant laquelle cette situation sera supportable au début de l'année 2025 ? Il s'agit là d'une de nos premières préoccupations en ces temps de grande instabilité.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. - Ce projet de loi spéciale a surtout le statut d'un projet de loi de finances, même si un article concerne directement le financement de la sécurité sociale, notamment les enjeux de trésorerie et d'emprunt à court terme. Nous sommes dans une situation où, concernant la sécurité sociale, le passage au 31 décembre sans mesures pour limiter le déficit attendu est problématique, car la sécurité sociale est un système de guichet : tous les ans, sans réforme de base, entre 9 et 12 milliards d'euros de dépenses supplémentaires se font jour naturellement.
Nous sommes donc face à une urgence : la gestion de la trésorerie, notamment en ce qui concerne l'Acoss et la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), qui en sont les deux grands postes. L'Acoss permet de financer le remboursement des soins, les retraites de base et les allocations nécessaires. La date de janvier est essentielle pour faire face à ces prestations destinées à des publics qui, souvent, ne peuvent attendre plus longtemps. Bien entendu, je ne peux imaginer qu'un vote favorable sur cette disposition.
Cependant, cela renvoie à une question : le défaut de PLFSS provoque immédiatement une accélération des déficits attendus dès le début de l'année. Qu'en est-il de notre capacité, au-delà d'un nouveau PLFSS, à intervenir sur la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ? Le niveau de dette annuelle des comptes sociaux sera tel que l'Acoss sera confrontée à des difficultés en matière de financement. Quel impact cela aura-t-il sur la Cades ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. - L'heure est grave et chacun doit prendre conscience que nous nous trouvons dans une situation exceptionnelle et particulièrement sérieuse. J'ai quelques questions concernant le budget de la sécurité sociale.
Tout d'abord, contrairement à ce que prévoit la loi organique dans le cas des lois de financement de la sécurité sociale, l'article 3 du projet de loi spéciale ne fixe aucun plafond d'emprunt. Dans l'article 13 du PLFSS dont nous avons débattu, nous avions prévu un niveau d'emprunt de 65 milliards d'euros pour l'Acoss et d'un peu plus de 13 milliards d'euros pour la CNRACL, contre, respectivement, 45 milliards d'euros et 11 milliards d'euros l'année dernière.
Comment expliquer le choix de ne fixer aucun plafond ? S'agit-il d'éviter d'avancer une hypothèse de déficit de la sécurité sociale pour 2025, ou de ne pas avoir à recourir à des décrets de relèvement, qui ne peuvent normalement être pris que pour augmenter les plafonds fixés par une loi de financement de la sécurité sociale ?
Ensuite, selon le rapport d'octobre 2024 à la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS), il était prévu 28,4 milliards d'euros de déficit si rien n'était fait. Or c'est le cas, puisque nous n'avons pas de loi de financement pour 2025. En y ajoutant notamment les 1,2 milliard d'euros de moindres remises sur les médicaments apparus lors de l'examen du PLFSS, le déficit pourrait atteindre quelque 30 milliards d'euros. Que se passerait-il, selon vous, en l'absence de loi de financement de la sécurité sociale ? Les mesures réglementaires de réduction du déficit envisagées pourraient-elles être mises en oeuvre ? Le déficit atteindrait-il effectivement ce niveau, voire un montant plus élevé encore ?
Enfin, quels sont les scénarios envisageables pour 2025 ? Quel serait selon vous le choix préférable à opérer : un nouveau projet, la poursuite de la discussion du texte déjà examiné, voire sa mise en oeuvre partielle par ordonnances, à supposer que cela soit juridiquement possible ?
En tout état de cause, l'heure est grave et chacun doit vraiment en prendre conscience.
M. Antoine Armand, ministre, démissionnaire. - Madame la rapporteure générale, ce texte n'est ni un budget, ni un projet de loi de financement de la sécurité sociale, ni un projet de loi de finances. Il n'est pas sous-tendu par des hypothèses et ne décrit pas de cibles ou d'objectifs, car il a vocation à être une loi de passage. Cela explique l'absence de plafond comme de niveau d'endettement, qui n'ont pas vocation à figurer dans un texte de ce type. Ainsi, nous n'avons ni estimation, ni cible, ni prévision de déficit, malheureusement.
Ces constats soulignent le besoin de préparer un nouveau budget aussi vite que possible. Quand, comment, par qui et selon quel contenu sont des questions qui dépassent de loin la compétence d'un ministre gérant les affaires courantes. Cependant, d'un point de vue économique, chaque jour qui passe dans l'incertitude et le questionnement sur notre capacité à faire adopter un budget et donc à établir un cadre économique et financier pour le pays est préjudiciable à l'ensemble de notre tissu économique, social et financier.
M. Laurent Saint-Martin, ministre, démissionnaire. - Je confirme ces propos : nous ne sommes pas en mesure de vous fournir des éléments de chiffrage, et encore moins des éléments politiques relatifs à de futures lois de finances. Ce n'est pas notre rôle. Nous sommes chargés du dépôt et de la présentation d'un projet de loi spéciale, une loi technique, de transition, exceptionnelle et provisoire. Nous n'avons pas à commenter les atterrissages des finances publiques à l'horizon 2025 ni le contenu des textes nécessaires pour y parvenir. Les textes financiers n'ont pour autant pas disparu, ils sont suspendus et pourraient éventuellement être repris par un nouvel exécutif. Nous nous concentrerons donc sur l'objet de cette loi spéciale au cours de cette audition.
Monsieur le rapporteur général, la DGF sera versée par douzièmes sur la base du montant de 2024 et son montant définitif pour 2025 ne pourra être déterminé qu'après l'adoption d'un PLF. Je ferai souvent cette réponse : l'objectif des décrets sur les services votés est d'assurer le financement sur la base des crédits de la loi de finances initiale (LFI) pour 2024 et de ce qui est strictement nécessaire. Une loi de finances pour 2025 devra redéfinir les montants et leur nature. Pour autant, les décrets sur les services votés ne sont pas des décrets d'application de la loi spéciale. Ils interviennent après sa promulgation, mais ni leur montant ni leur périmètre ne sont décidés lors de son examen.
Concernant l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu, le Conseil d'État a été très clair : il serait contraire à la Constitution de l'inclure dans ce projet de loi spéciale, aussi bien dans la rédaction initiale que par voie d'amendement. Si un PLF 2025 était adopté au premier trimestre, cela emporterait les mêmes effets que si le PLF avait été adopté en fin d'année, au vu du calendrier des déclarations d'imposition ; si, en revanche, son adoption devait être plus tardive, cela créerait des difficultés et imposerait des nécessités de dégrèvement qui rendraient la situation beaucoup plus complexe. Ce n'est pas souhaitable.
Concernant la durée des services votés, celle-ci court jusqu'à l'adoption d'une loi de finances. Pour autant, soyons clairs : les crédits pour 2024 ne suffisent pas à financer ne serait-ce que la paie des fonctionnaires pour l'ensemble de l'année 2025, en raison des avancements automatiques. Un tel système n'est donc pas viable pour l'ensemble de l'année, il faudra de toute façon une loi de finances, soit dans la continuité de ce qui avait été proposé, soit sur de nouvelles bases, au choix du prochain exécutif.
Monsieur le président Mouiller, vous avez posé des questions sur la Cades et sur le financement de l'Acoss : il s'agit également de choix politiques et permettez-nous donc de ne pas vous apporter de réponse aujourd'hui. Il faudra une loi de financement de la sécurité sociale, faute de quoi les déficits s'en trouveraient particulièrement aggravés, s'agissant de dépenses de guichet qu'il est nécessaire de freiner, ce qui était l'objet du PLFSS pour 2025.
De la même façon, évoquer des économies par voie réglementaire ne me paraît pas souhaitable pour un gouvernement démissionnaire. Tout cela devra être fait par la suite, par un gouvernement de plein exercice.
Mme Florence Blatrix Contat. - Vous nous avez présenté les contours du projet de loi spéciale indispensable pour garantir la continuité des services publics et éviter une paralysie administrative, que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera. Nous regrettons que nos alertes sur les risques encourus lors des discussions budgétaires en raison de l'absence de recherche de compromis n'aient pas été entendues, ce qui a contribué à cette situation.
Cela nous pousse à réfléchir aux mécanismes et outils fiscaux qui peuvent être intégrés dans cette loi spéciale. Vous avez évoqué l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu et souligné l'impossibilité de l'y faire figurer, mais je souhaite élargir cette réflexion. La non-rétroactivité des lois fiscales est un principe à valeur constitutionnelle ; toutefois, comme l'a reconnu le Conseil constitutionnel, une atteinte à ce principe peut être justifiée par un motif d'intérêt général suffisant, même si elle devait affecter des situations légalement acquises.
J'ai en particulier à l'esprit des mesures du PLF 2025 qui pourraient être remises en cause s'il était voté durant les premiers mois de 2025. Quid d'une telle rétroactivité concernant la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR) et la surtaxe de l'impôt sur les sociétés (IS) pour les grandes entreprises ? À défaut, la perte pourrait atteindre environ 10 milliards d'euros. Qu'en sera-t-il, également, de certains crédits d'impôt importants pour nos agriculteurs ?
Dans ce contexte, je souhaite connaître l'analyse des services de Bercy sur la possibilité d'intégrer la rétroactivité pour ces mesures. À votre sens, l'invocation du motif d'intérêt général dans un contexte de redressement des finances publiques pourrait-elle permettre de l'emporter face au Conseil constitutionnel ?
M. Jean-François Rapin. - Michel Barnier est allé rencontrer Ursula von der Leyen pour remettre la France dans les clous parce que la situation était très dégradée. Or aujourd'hui, nous n'avons pas de budget. Nous connaissons le on de cette rencontre, mais pas le off. En disposez-vous ? Il me semble important de savoir si le fait pour la France de ne pas avoir de budget nous permet ou non de rester dans les clous européens, ou au moins tracer des perspectives pour y rester sans être sanctionnés. Je suppose en effet que l'échéance qui nous était imposée ne pourra plus être tenue, même si nous parvenons à voter un budget avant la fin du premier trimestre 2025. Pouvez-vous en tout cas nous donner un point de vue précis sur cette question ?
M. Pascal Savoldelli. - Permettez-moi de revenir sur ce que vous avez qualifié de situation inédite et grave liée à la censure : vous avez demandé le recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution sur le PLFSS, puis il y a eu la censure. La chronologie de cette décision politique doit être rendue accessible à tous.
Par ailleurs, dans le cadre de vos fonctions, messieurs les ministres qui avez également été députés, vous avez fait le choix de ne pas présenter de projet de loi de finances rectificative (PLFR) au cours de l'année 2024. Si nous avions eu la possibilité d'augmenter les recettes de l'État et donc de l'action publique par le biais d'un tel texte, le projet de loi spéciale pourrait contenir nos ajouts apportés dans ce cadre. Vous avez fait un autre choix.
Ce projet de loi spéciale n'est pas un sujet juridique, mais bien politique. En 1979, date du seul précédent, la gauche avait déposé un amendement visant à créer un impôt sur la fortune, qui n'avait pas été adopté.
Tout d'abord, peut-on déposer des amendements aux trois articles dont nous avons pris connaissance aujourd'hui, et dans quel cadre ? Peut-on déposer un amendement sur les prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales ? Il s'agit d'un enjeu considérable, car si les collectivités territoriales étaient affaiblies, cela nuirait à la cohésion et à l'harmonie sociale dans le pays. Le montant en jeu est important, de l'ordre de 27 milliards d'euros, et il est crucial pour les collectivités territoriales.
Enfin, peut-on proposer un amendement sur l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu ? Cette question est également débattue à l'Assemblée nationale. La situation exceptionnelle que nous vivons est inédite, et s'il faut respecter le cadre juridique, il existe toujours une part de politique, importante, dans la mesure où elle touche à notre rapport à la population et aux choix que nous faisons. Si nous avions la possibilité de déposer un amendement dans ce domaine, je ne le ferais pas pour les deux dernières tranches, qui concernent des foyers gagnant plus de 180 000 euros par an. Vous avez vanté pendant des semaines le partage de l'effort ; à mon sens, ces foyers n'ont pas particulièrement besoin d'une révision du barème d'indexation, il est possible de leur demander un tel effort.
M. Stéphane Sautarel. - Je tiens à souligner la situation préoccupante de notre agriculture et de nos agriculteurs. Les mesures et les crédits d'impôt prévus pour les soutenir disparaissent, ce qui fait partie des angles morts et des difficultés que nous allons rencontrer.
Concernant ce projet de loi spéciale, j'ai une question sur la notion de services votés. Vous avez indiqué que ceux-ci n'incluaient a priori ni les dépenses d'investissement ni les subventions. Cela semble impliquer que les dépenses liées à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou à la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ne pourraient pas être engagées avant un PLF, ce qui entraînerait un retard dans les investissements publics locaux. Nous ferions alors face à un risque récessif encore accru.
Enfin, concernant les douzièmes de fiscalité versés, qu'en sera-t-il des mesures de redressement ou de lissage des ressources des collectivités qui figuraient dans le projet de loi de finances pour 2025 et devaient être appliquées dès le début d'année, notamment pour les collectivités territoriales ? Comment se traduiraient-elles ? Nous commencerions avec des douzièmes basés sur l'année précédente, puis des ajustements significatifs pourraient intervenir, mettant en difficulté certains acteurs. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » sera clos au 31 décembre 2024. Il ne paraît pas pouvoir être prolongé sans mesure spécifique puisque la loi prévoit la fin de l'affectation de la part de TVA qui l'alimente à la fin de cette année. Les moyens accordés à l'audiovisuel public ne peuvent l'être au titre des services votés dès lors qu'il n'existait pas de crédits adoptés en 2024. Comment pensez-vous financer l'audiovisuel public en 2025 ?
M. Thomas Dossus. - Beaucoup, au sein de cette commission, ont parlé de situation exceptionnelle et inédite. C'est vrai, mais nous ne subissons pas non plus une catastrophe naturelle. Nous sommes dans une situation qui fait suite à un contexte politique, celui d'une situation budgétaire dégradée, conséquence de sept ans de votre politique, et nous examinons un projet de loi spéciale exceptionnel, qui est la conséquence de votre méthode, qui a été de déserter l'hémicycle de l'Assemblée nationale lorsqu'il s'est agi de rejeter le budget et, au Sénat, de demander une seconde délibération pour acter un certain nombre de compromis. Voilà ce qui a entraîné un blocage, quand, au final, votre seule interlocutrice était Mme Le Pen.
La situation actuelle, inédite, pose la question de la continuité des services publics, notamment locaux. Comme Stéphane Sautarel, nous sommes très inquiets pour les collectivités territoriales.
Votre interprétation des douzièmes pour 2024 est stricte. L'article 45 de la Lolf précise que les services votés « représentent le minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics » : il y a bien une part de politique, de jugement. Je pense que l'on peut sortir d'un cadre trop rigide si les besoins l'exigent.
M. Dominique de Legge. - Messieurs les ministres, vous avez évoqué le cas particulier du budget du ministère de la défense : quid des crédits abondés à hauteur de 3,3 milliards d'euros par rapport à l'année dernière ? Prévoyez-vous des mesures particulières d'adaptation en gestion pour le début de l'année ? Qu'en est-il des investissements ?
M. Victorin Lurel. - Votre interprétation des services votés, que l'on appelait avant les douzièmes provisoires, est en effet restrictive.
Lorsqu'une collectivité territoriale a des problèmes, des autorisations sont accordées par douzièmes provisoires pour ce qui concerne le fonctionnement, lesquelles s'élèvent, me semble-t-il, à 25 % pour l'investissement.
Vous avez évoqué les dépenses relatives à la Nouvelle-Calédonie. S'agissant des prélèvements sur recettes (PSR) pour la Polynésie, la Guyane et la Nouvelle-Calédonie, sont-ils intégrés dans le périmètre de l'article 1er ? Je plaide pour la liberté d'amender des parlementaires, afin d'éviter la panne sèche. C'est déjà la catastrophe en Nouvelle-Calédonie. Puisqu'il existe une part d'interprétation, les parlementaires devraient pouvoir s'en saisir.
Mme Christine Lavarde. - Un mouvement relatif aux tarifs de vente d'électricité doit avoir lieu en février. Il était prévu qu'il intègre dans sa globalité l'augmentation des accises. Qu'est-il préconisé ? Faut-il décaler le mouvement tarifaire à mars, le temps de délibérer sur le nouveau montant des accises ?
La métropole du Grand Paris se trouve dans une difficulté inextricable : à défaut de loi de finances, aucune disposition ne règle le transfert de la cotisation foncière des entreprises (CFE) des établissements publics territoriaux (EPT) à la métropole. Au 1er janvier, toute la CFE des EPT ira à la métropole, sans mécanisme de compensation. Cela aura des conséquences très lourdes. Des EPT pourraient se retrouver en épargne négative au 1er janvier. Des dispositifs transitoires sont-ils prévus ? Pourrait-il y avoir une rétroactivité au 1er janvier ? Les territoires les plus fragiles seront les plus pénalisés.
Mme Sylvie Vermeillet. - Quelles sont les possibilités de rétroactivité d'un PLF ? La cartographie des zones de revitalisation rurale (ZRR) devait évoluer et des crédits étaient prévus dans le PLF. Une entreprise qui s'installerait dans une ZRR en janvier 2025 pourrait-elle bénéficier d'exonérations fiscales et sociales de manière rétroactive après le vote d'un projet de loi de finances pour 2025 ?
M. Olivier Paccaud. - Nous allons voter une loi spéciale afin de percevoir l'impôt, de recourir à l'emprunt et d'assurer la continuité de l'État.
Lors de l'examen du PLF, nous avons, à l'unanimité, voté un amendement visant à réduire le nombre de postes supprimés dans l'éducation nationale, de 4 000 à 2 000. Concrétiser une telle décision prend des semaines, voire des mois. Nous espérons un PLF pour 2025, mais il ne sera probablement pas voté avant le mois de février au mieux. Que devront faire les inspecteurs d'académie pour préparer la rentrée 2025 ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je m'inquiète de la situation de nos universités, qui sont déjà en grande difficulté. La plupart d'entre elles ne peuvent pas voter leur budget, même en recourant à leurs fonds de roulement. Quelles seront, pour elles, les incidences de la non-application de certaines mesures de la loi de programmation et de l'absence de budget pour 2025 ?
Mme Nathalie Goulet. - Que dit-on à nos collectivités territoriales rattrapées par le nouveau zonage des ZRR ? Que dit-on aux entreprises qui veulent s'y installer ? Y a-t-il un moyen de dire : « Ô temps ! suspends ton vol » ? On ne peut pas demander aux chefs d'entreprise de différer leur installation de trois mois, le temps que les dispositifs soient en place.
M. Antoine Armand, ministre, démissionnaire. - Je commencerai par la chronologie. L'acte I s'est ouvert quand, malgré une absence de majorité absolue, les forces de gauche ont décidé qu'une personne devait appliquer l'ensemble d'un programme. N'ayant pas obtenu satisfaction quant à cette demande assez peu légitime, elles ont évoqué la censure a priori d'un gouvernement qui n'avait pas encore écrit une ligne du discours de politique générale, ni du projet de budget. Elles ont ensuite refusé l'invitation du Premier ministre de discuter.
L'acte II a été d'assurer qu'il ne fallait pas s'inquiéter, qu'il n'y aurait pas de conséquence à l'absence de vote du budget.
L'acte III est de venir nous demander, qui sur les universités, qui sur les collectivités territoriales, qui sur les décisions d'investissement des entreprises, qui sur le pouvoir d'achat des ménages, comment revenir en arrière.
M. Antoine Armand, ministre, démissionnaire. - Vous connaissez la citation attribuée à Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».
Nous n'avons pas de budget, mais je ne crois pas qu'il y ait d'autre cause à cela que la censure !
M. Thierry Cozic. - C'est incroyable.
M. Antoine Armand, ministre, démissionnaire. - Disons-le, avant de nous poser des questions - très importantes, je le concède - sur les collectivités territoriales, les universités, l'outre-mer et le pouvoir d'achat.
M. Rapin a évoqué l'Union européenne. Inspirée par la France, notamment, la Commission européenne a modifié ses règles macrobudgétaires pour permettre aux États qui souhaitent continuer à soutenir l'activité et la croissance tout en redressant leurs finances publiques de disposer d'un temps plus long, de quatre à sept ans. La France en a bénéficié, lors de sa présentation du plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT). C'était une première pierre, qui avait valu à la France une évaluation positive de la Commission.
De fait, ce sera au futur gouvernement de s'engager sur un nouveau budget. Et de décider de l'ancre des 5 %, considéré comme l'un des critères de crédibilité majeurs pour descendre sous la barre des 3 % de déficit en 2029, qui ne sont pas seulement un symbole ou un totem pour l'Union européenne, mais le socle à partir duquel nous pouvons stabiliser notre dette, qui s'élève à 3 300 milliards d'euros.
Dès les premières semaines de janvier, le futur gouvernement devra répondre à la question : voulons-nous toujours respecter les engagements européens que nous, Français, nous sommes nous-mêmes efforcés de faire changer pour qu'ils correspondent mieux à la réalité économique et aux besoins d'investissements et de croissance dans l'Union européenne ? Je serais très étonné que nous allions à l'encontre de règles que nous avons nous-mêmes contribué à faire adopter. L'alarme doit être sonnée sur ce point.
Le Conseil d'État nous indique assez explicitement que les prélèvements sur recettes sont couverts par l'article 1er, qui autorise le Gouvernement à prélever l'impôt. Nous n'avons pas de difficulté. Ce sera la même chose pour le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, afin d'honorer les engagements européens de la France.
Des mesures ne sont pas couvertes par la loi spéciale, car elles relèvent d'un PLF : prêts de l'Agence française de développement ; soutien aux entreprises touchées par les événements en Nouvelle-Calédonie ; liste des territoires éligibles aux taux de réductions d'impôts majorés ; défiscalisation de l'acquisition des friches commerciales ; extension et généralisation du mécanisme d'avances remboursables de court terme.
Deux points relèvent du cas par cas, s'agissant de la Nouvelle-Calédonie : l'aide à la reconstruction des écoles et des bâtiments publics, qui relèvera d'une décision ad hoc, et l'appréciation, au cas par cas, via les services votés, de l'urgence, pour peu qu'elle soit caractérisée et soutenable juridiquement, dans la limite des crédits de la LFI 2024.
Notre jurisprudence consacre l'interdiction de la rétroactivité de toute fiscalité incitative. Cette dernière a pour but d'influencer un comportement donné. Or dans le cas d'une mesure rétroactive, le comportement a déjà eu lieu et n'est donc pas né de l'incitation. Il est assez peu probable que la rétroactivité soit décidée sur les ZRR ou les crédits d'impôt tels que le crédit d'impôt innovation pour les petites et moyennes entreprises et le crédit d'impôt collection, qui soutient les petites entreprises de la mode et du textile.
Je vous renvoie aux différentes analyses récentes sur les décisions d'investissement. Évidemment, les investisseurs retardent leurs investissements. Force est de constater que la situation n'incite pas à investir, mais plutôt à retarder ou annuler certaines décisions.
M. Laurent Saint-Martin, ministre, démissionnaire. - Monsieur Savoldelli, il faut être très clair et respectueux de l'avis du Conseil d'État, non pas parce que le politique n'a pas de raison d'être, mais parce qu'une loi spéciale est prévue pour un but précis. Autoriser le dépôt d'amendements, ou, pire, en adopter pour modifier la fiscalité dans le cadre de la loi spéciale serait un précédent problématique. Le Conseil d'État a rendu un avis extrêmement clair. La loi spéciale ne peut inclure de disposition fiscale nouvelle, tout simplement parce qu'elle ne doit pas être un acte politique ; or modifier la fiscalité est un acte politique. L'article 1er a pour seul objet de lever l'impôt.
Les conséquences pour les contribuables soumis à l'impôt sur le revenu seraient nulles si un PLF était rapidement adopté en 2025. Il ne serait ni nécessaire ni souhaitable d'inclure des mesures de fiscalité dans la loi spéciale, au-delà du fait que ce serait anticonstitutionnel. Personne n'est contre l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation. Ce n'est pas une question d'idée, mais de forme et de respect du droit. Il n'est pas souhaitable d'enfoncer un coin dans une institution en estimant que le politique peut outrepasser l'avis du Conseil d'État, si personne ne saisit le Conseil constitutionnel. Cela va quand on parle de l'IR, moins quand on parle d'autre chose.
Monsieur Sautarel : pas de budget, pas de mesure nouvelle ! Il faut être très binaire. Tant qu'il n'y a pas de budget, il n'y a pas de mesures.
Les mesures en faveur des agriculteurs inscrites dans le PLF sont le fruit de discussions engagées début 2024. C'est pour cette raison que beaucoup d'agriculteurs expriment leur colère quant à l'absence de budget. Je souhaite que le prochain gouvernement puisse reprendre les mesures inscrites dans le PLF en faveur du monde agricole, notamment la suppression de la trajectoire de hausse du gazole non routier (GNR) ; l'assouplissement de la déduction applicable aux stocks de vaches laitières et allaitantes ; l'augmentation du seuil d'exonération des plus-values en cas de transmission d'une exploitation agricole ; la hausse de 20 % à 30 % de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) agricole ; l'exonération partielle de la reprise de déduction pour épargne de précaution (DEP) ; ou encore le Dutreil agricole.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - Ils ont tout cassé !
M. Laurent Saint-Martin, ministre, démissionnaire. - Tout cela disparaît, sauf si un nouveau texte est voté.
La question de la rétroactivité n'est pas neutre. Surtout, la situation jette un flou, or l'incertitude est l'ennemie numéro un de la confiance, et donc de la consommation, de l'investissement, du développement économique, de l'emploi.
L'audiovisuel public sera financé en 2025. On restera sur le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public », comme en 2024.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Sauf que cela devait s'arrêter.
M. Laurent Saint-Martin, ministre, démissionnaire. - On pourra reconduire le compte de concours financiers comme en 2024.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Je comprends bien la volonté de financer l'audiovisuel public. Mais, monsieur le ministre, vous avez été très clair sur le respect de la loi et du règlement. Or ce que vous avancez n'a aucune base juridique solide.
M. Laurent Saint-Martin, ministre, démissionnaire. - Le décret relatif aux services votés le permet.
M. Jean-Raymond Hugonet. - J'entends votre explication. Mais l'audiovisuel public ne relève pas des services votés.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Le ministre annonce plutôt une bonne nouvelle !
M. Jean-Raymond Hugonet. - Bien sûr !
M. Laurent Saint-Martin, ministre, démissionnaire. -On reconduit la ligne de 2024 sur le compte de concours financiers. Il faudra ensuite un PLF 2025 pour régler la mise en application de la proposition de loi organique.
Que recouvrent les services votés ? Le minimum indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions approuvées par le Parlement l'année précédente - je ne peux pas vous dire qui signera le décret : ce ne sera pas forcément le gouvernement actuel. Cela répond à l'impératif de continuité de la vie nationale et n'a pas vocation à couvrir toute l'année. Concrètement, le fonctionnement des services publics en masse salariale et en dépenses courantes est assuré, les contrats en cours sont honorés et les prestations dues au titre de dispositions législatives ou réglementaires existantes sont versées - par exemple, les aides personnelles au logement (APL). En revanche, les dépenses nouvelles discrétionnaires ne relèvent pas, sauf exception, des services votés. Les analyses sur le caractère impératif sont menées au cas par cas. Les investissements nouveaux sont exclus, par exemple pour l'audiovisuel public, sauf cas d'urgence manifeste, qu'il faudra, à chaque fois, déterminer. Les dépenses d'intervention exceptionnelles - DSIL, DETR - sont elles aussi exclues, sauf caractère d'urgence déterminé. Les subventions aux entreprises ou aux associations sont suspendues. Seuls les crédits de paiement correspondant aux engagements juridiques passés pourront être versés.
Que se passera-t-il pour les collectivités territoriales ? Les mesures de modération de la dépense locale prévues au PLF 2025 ne s'appliqueront évidemment pas au 1er janvier. Les PSR au profit des collectivités sont bien couverts par l'article 1er. La DGF sera versée par douzième sur la base du montant de 2024. Les avances de fiscalité, par exemple la TVA, seront versées mensuellement dans l'attente d'une loi de finances. Les bases de fiscalité directe locale seront revalorisées sur la base de l'indice des prix à la consommation, conformément au droit en vigueur. Comme je l'ai dit, l'État ne pourra engager aucune dotation discrétionnaire, qu'il s'agisse de la DSIL, de la DETR, du fonds vert ou du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) par exemple. Il pourra seulement assurer le paiement des précédents engagements, sous le régime des services votés.
La mise en oeuvre des mesures fiscales relatives aux ZRR relèvera de la décision du prochain gouvernement dans le cadre du PLF.
Les mesures urgentes nécessaires à la continuité de l'État et de la vie nationale seront bien mises en oeuvre, ainsi du versement de la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des évènements climatiques ou géologiques (DSECG) ou des versements anticipés du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) en cas de catastrophe naturelle.
De façon générale, les engagements contractuels de l'État à l'égard des collectivités territoriales - contrat de plan État-région (CPER), contrats de convergence et de transformation (CCT) - feront l'objet d'une appréciation au cas par cas, le principe étant d'assurer le minimum indispensable à la continuité des services publics. C'est l'esprit et la lettre de l'article 45 de la Lolf. D'où l'importance du caractère temporaire de la mesure !
Madame Lavarde, nous sommes en train de voir comment assurer le financement des EPT de la métropole du Grand Paris. Une solution sera proposée et anticipée, et le prochain gouvernement devra la régulariser dans le PLF.
Nous allons étudier votre question relative aux accises.
Quant au FCTVA, il sera versé comme d'habitude.
M. Dominique de Legge. - En matière de défense, prévoyez-vous des mesures de gestion particulières pour tenir compte du fait qu'il manque 3,3 milliards d'euros ? Quid des investissements de défense ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre, démissionnaire. - Je ne peux pas répondre. La mise en oeuvre de la loi de programmation militaire pour 2025 est suspendue aux décisions du nouveau gouvernement, qui les traduira dans un nouveau PLF.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Nous vous remercions de votre participation.
II. EXAMEN DU RAPPORT (17 DÉCEMBRE 2024)
Réunie le mardi 17 décembre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur le projet de loi spéciale prévue à l'article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter sans modification le projet de loi spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
Le compte rendu de la réunion peut être consulté sur le site du Sénat :
https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/finances.html
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl24-207.html
* 1 Motion de censure déposée par Mme Mathilde Panot, M. Boris Vallaud, Mme Cyrielle Chatelain, M. André Chassaigne et 181 de leurs collègues en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, adoptée le mercredi 4 décembre 2024.
* 2 Texte n° 18 considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale le 4 décembre 2024.
* 3 Texte n° 143 (2024-2025). Le Sénat avait adopté, avec modifications, la première partie du projet de loi de finances et avait commencé l'examen des crédits des missions dans le cadre de la seconde partie.
* 4 Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
* 5 Le cas de la censure du texte, non prévu explicitement par la Constitution, a été inclus en 2001 dans la LOLF.
* 6 Décrets n° 79-1166 à 79-1200 du 30 décembre 1979 portant répartition des crédits ouverts par la loi de finances pour 1980, publiés au Journal officiel du 31 décembre 1979.
* 7 Décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979, « Loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants ».
* 8 Décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979, Loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants.
* 9 La loi spéciale adoptée en 1979 ne contenait qu'un article unique dont le premier alinéa était ainsi rédigé : « Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 1980, la perception des impôts, produits et revenus affectés à l'État, aux collectivités territoriales, aux établissements publics et organismes divers habilités à les percevoir, continue d'être effectuée pendant l'année 1980, conformément aux lois et règlements ».
* 10 Loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
* 11 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
* 12 Compte-rendu des délibérations du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1979, relatives à l'examen, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci du texte de la loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants.
* 13 Lois de finances initiales pour 2012 et 2013.
* 14 Avis relatif à l'interprétation de l'article 45 de la LOLF, pris pour l'application du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, Conseil d'État (section des finances), lundi 9 décembre 2024.
* 15 Ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, qui s'est inspirée du le décret du 19 juin 1956 déterminant le mode de présentation du budget.
* 16 À titre d'exemple, le projet de loi de finances pour 1980 prend en compte, dans le calcul des services votés, de l'extension en année pleine des mesures relatives aux rémunérations publiques, de l'évolution prévisionnelle des pensions, de l'évolution des subventions obligatoires aux communes, de celles de certaines prestations sociales.
* 17 Secrétariat général du Gouvernement, Note relative au PLF et au PLFSS pour 2025, août 2024.
* 18 Circulaire interministérielle relative à la mise en oeuvre du décret de services votés à compter du 1er janvier 2024, 12 décembre 2024.
* 19 Article 32 ter du texte de la première partie du projet de loi de finances pour 2025, résultant de l'adoption de l' amendement I-2183 de Jean-François Husson, rapporteur général, au nom de la commission des finances.
* 20 Des décrets similaires avaient déjà été pris auparavant dans des circonstances où seule la première partie de la loi de finances avait pu être adoptée : décrets nos 57-1373 à 57-1403 du 31 décembre 1957 portant répartition des crédits applicables aux services votés pour 1958 (Journal officiel du 1er janvier 1958), décrets nos 62-1534 à 62-1568 du 26 décembre 1962 portant répartition des crédits applicables aux services votés pour 1963 (Journal officiel du 27 décembre 1962).
* 21 Source : documents budgétaires du premier projet de loi de finances initiale pour 1980 (archives du Sénat).
* 22 Rapport de M. Didier Migaud au nom de la commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi organique (n° 2540) relative aux lois de finances, 5 février 2001.
* 23 Le ministre Laurent Saint-Martin, lors de son audition à l'Assemblée nationale le 11 décembre 2024, a confirmé que la base de référence était la loi de finances initiale pour 2024 et non la loi de finances de fin de gestion.
* 24 Si l'unité de vote est la mission, le vote porte sur l'ensemble du contenu des états B à E, dont chaque ligne, correspondant à un programme à un titre, peut être modifiée.
* 25 Secrétariat général du Gouvernement, Note relative au PLF et au PLFSS pour 2025, août 2024.
* 26 Loi n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024.
* 27 Selon le plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) 2025-2029, les mesures nouvelles en recettes dues au PLF et au PLFSS pour 2025 représentent 24,4 milliards d'euros, à comparer avec le montant total des mesures nouvelles en recettes, qui était de 29,5 milliards d'euros.
* 28 Article liminaire du projet de loi de finances pour 2025.
* 29 Conseil d'État, section des finances, avis n° 409081 relatif à l'interprétation de l'article 45 de la LOLF, pris pour l'application du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, 9 décembre 2024.
* 30 Voir par exemple la réforme de la fiscalité des locations meublées introduite par l' article 7 de la n° 2024-1039 du 19 novembre 2024 visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale, qui entre en vigueur au 1er janvier 2025.
* 31 La trajectoire de diminution du taux de la CVAE a été fixée par l'article 79 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
* 32 Loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
* 33 Loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
* 34 Voir l'article 33 du projet de loi de finances pour 2025.
* 35 Loi n° 79-1159 du 30 décembre 1979 autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants.
* 36 Loi n° 79-15 du 3 janvier 1979 instituant une dotation globale de fonctionnement versée par l'État aux collectivités locales et à certains de leurs groupements et aménageant le régime des impôts directs locaux pour 1979.
* 37 Conseil d'État, section des finances, avis n° 409081 relatif à l'interprétation de l'article 45 de la LOLF, pris pour l'application du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, 9 décembre 2024.
* 38 C'est le cas, par exemple, du Fonds de mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI), dont le montant est fixé par l'article L. 3334-16-2 du code général des collectivités territoriales.
* 39 Loi n° 79-15 du 3 janvier 1979 précitée.
* 40 Cour des comptes, La dotation globale de fonctionnement (DGF), S2024-1137, octobre 2024. En 2023, la DGF représentait 12,6 % des recettes réelles de fonctionnement des communes, 11,8 % de celles des intercommunalités et 11 % de celles des départements ; toutefois, pour les petites communes et les départements ruraux, elle représentait environ un cinquième de leurs recettes réelles de fonctionnement.
* 41 Décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979, Loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants.
* 42 DGCL, Guide pratique - La dotation globale de fonctionnement, mars 2024, p. 13.
* 43 Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
* 44 Dans la loi de finances pour 2024, le montant de la DGF est fixé par l'article 130 qui le codifie à l'article L. 1613-1 du code général des collectivités territoriales ; le tableau de l'article 137 se borne quant à lui à « évaluer » le montant de chaque prélèvement sur recettes conformément à l'article 34 de la LOLF.
* 45 Ces organismes sont la Caisse de la dette publique, des établissements publics nationaux dont la liste est établie par décret, la Société de prise de participations de l'État, le Fonds européen de stabilité financière, le Mécanisme européen de stabilité, les institutions et agences financières de l'Union européenne, le marché interbancaire de la zone euro, les États de la même zone et les organisations internationales.
* 46 Conseil d'État, section des finances, avis n° 409081 relatif à l'interprétation de l'article 45 de la LOLF, pris pour l'application du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, 9 décembre 2024.
* 47 Loi n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024, calculs de la commission des finances.
* 48 À savoir : emprunts ; attribution de titres de dette publique négociable à la Caisse de la dette publique ; conversions facultatives et opérations de pension sur titres d'État ; opérations de dépôt de liquidités auprès de divers organismes ; opérations diverses relatives à des titres de créances et des instruments financiers.
* 49 Loi n° 79-1159 du 30 décembre 1979 autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants.
* 50 Pour 1963, la première partie de la loi de finances initiale, promulguée de manière séparée (loi n° 62-1529 du 22 décembre 1962), comprenait, à son article 13, l'autorisation de procéder à des émissions de rentes perpétuelles et de titres à long ou court terme pour couvrir l'ensemble des charges de la trésorerie, et notamment les charges résultant de l'amortissement de la dette publique. Cependant, il s'agit d'une option juridique distincte d'un projet de loi spéciale.
* 51 Dans une note d'août 2024 relative aux projets de lois de finances et de financements de la sécurité sociale pour 2025, le secrétariat général du gouvernement considère que les autorisations d'emprunt de l'État « pourraient ne pas trouver leur place dans une loi spéciale ». Cependant, il conclut en indiquant que « le risque juridique (...) paraît pouvoir être pris » et que « la disposition sur l'autorisation d'emprunt, compte tenu du caractère indispensable de ce dernier pour le financement des politiques publiques, pourrait (...) trouver auprès du juge [constitutionnel] une oreille plus attentive que la fixation des PSR au profit des collectivités et de l'UE ».
* 52 Bulletin mensuel de l'Agence France Trésor, novembre 2024.
* 53 Données actualisées à partir des réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général.
* 54 À titre d'exemple, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit ainsi que le besoin de financement, qui inclut 172,7 milliards d'euros d'emprunts à moyen et long terme remboursés en valeur faciale, est comblé principalement par l'émission de dette à moyen et long terme, nette des rachats, pour un montant de 300 milliards d'euros. Il fixe en conséquence à 127,3 milliards d'euros le plafond de la variation nette de la dette négociable de l'État d'une durée supérieure à un an.
* 55 Agence France Trésor, Calendriers prévisionnels.
* 56 Loi n° 79-1159 du 30 décembre 1979 autorisant le gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants.
* 57 Loi organique n° 96-646 du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
* 58 Conformément à la décision du conseil constitutionnel n° 79-111 DC du 30 décembre 1979.
* 59 Rapport n° 188 (1995-1996) de M. Patrice Gélard, déposé le 31 janvier 1996.
* 60 Avis relatif à l'interprétation de l'article 45 de la LOLF, pris pour l'application du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution.