IV. APRÈS L'ADOPTION D'UNE LOI SPÉCIALE POUR AUTORISER LA PERCEPTION DES RESSOURCES, L'OUVERTURE DE CRÉDITS SERA LIMITÉE AUX « SERVICES VOTÉS »
En cas de vote d'une loi de finances spéciale à la fin de 2024, le Gouvernement devra ouvrir par décrets les crédits se rapportant aux « services votés », conformément au 4e alinéa de l'article 47 de la Constitution. C'est la première fois que cette notion de « services votés » sera utilisée depuis l'entrée en vigueur de la LOLF, alors qu'elle occupait auparavant une place centrale dans la construction du budget.
L'article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) précise cette notion : « Les services votés, au sens du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, représentent le minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement. Ils ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année ».
A. LA DÉFINITION DES SERVICES VOTÉS PRÉSENTE UNE MARGE D'APPRÉCIATION CERTAINE
La notion de services votés a été reprise de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances15(*), laquelle distinguait, dans la procédure ordinaire, la fixation par la loi de finances du montant global des crédits applicables aux services votés et des dépenses applicables aux autorisations nouvelles par titre et par ministère.
L'article 44 de cette ordonnance prévoyait en effet que, dans le cas où est prise une loi spéciale autorisant la seule perception des impôts, « le Gouvernement prend des décrets portant répartition par chapitre ou par compte spécial du Trésor, des crédits ou des autorisations applicables aux seuls services votés, tels qu'ils sont définis par la présente ordonnance, par le projet de loi de finances de l'année et par ses annexes explicatives » et l'article 33 de cette ordonnance précisait que les services votés « représentent le minimum de dotations que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement ».
Sous le régime de l'ordonnance de 1959, les crédits applicables aux services votés étaient au plus égaux :
- pour les dépenses ordinaires, aux crédits de la précédente année avec une certaine modulation : soit pour les diminuer des « inscriptions non renouvelables », soit pour tenir compte de l'incidence en année pleine de mesures approuvées par le Parlement ou décidées par le Gouvernement16(*), ainsi que de l'évolution effective des charges couvertes par les crédits provisionnels ou évaluatifs ;
- pour les opérations en capital, aux autorisations de programme prévues par une loi de programme, aux prévisions inscrites dans le plus récent échéancier ou, à défaut d'échéancier, aux autorisations de l'année précédente éventuellement modifiées dans les conditions prévues pour les dépenses ordinaires.
Ainsi, les services votés incluent l'effet en année pleine des mesures dont l'effet est entré en vigueur au cours de l'année courante, mais excluent les mesures temporaires.
Dans la mesure où la notion de services votés n'a plus eu à s'appliquer depuis l'entrée en vigueur de la LOLF, le Secrétariat général du Gouvernement constate dans une note d'août 2024 qu'« il existe aujourd'hui une incertitude sur le périmètre des « crédits se rapportant aux services votés » pouvant être prévus par décret »17(*). Il cite une analyse selon laquelle l'expression « dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement » signifie qu'il s'agit de « maintenir, dans les limites de montant résultant de la dernière phrase de l'article 45, la continuité des services publics et de l'action publique telles qu'elles avaient été antérieurement « périmétrées » et approuvées par le Parlement, l'année précédente ».
Le critère de fixation des services votés pourrait être le niveau des crédits prévus par la loi de finances pour 2024, augmentés de l'effet en année pleine des mesures entrées en vigueur en cours d'année 2024 et diminués des dépenses correspondant à des dispositifs temporaires.
Comme l'a indiqué le Premier ministre précédent Michel Barnier dans une circulaire publiée le 12 décembre 2024, « conformément à notre cadre organique de finances publiques, ces services votés doivent être entendus non pas au sens de la loi de finances pour 2024 dans son entier, mais comme le minimum de crédits indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions approuvées l'année précédente par le Parlement »18(*).
En tout état de cause, comme l'a indiqué le ministre chargé des comptes publics devant la commission des finances le 11 décembre, les crédits correspondant à des subventions ne devraient pas être inclus dans les services votés, y compris certaines dotations d'investissements aux collectivités territoriales, sauf en cas d'urgence ou pour couvrir des engagements déjà pris.
De même les augmentations de crédits prévues par les lois de programmation sectorielles (armées, justice, sécurité, recherche) ne devraient pas être prises en compte parmi les services votés, car ces lois n'ont pas d'effet contraignant. En outre, les inclure parmi les services votés conduirait à ouvrir par voie réglementaire des crédits qui non seulement n'ont pas reçu l'autorisation du Parlement selon les procédures budgétaires normales, mais n'ont pas fait l'objet auprès de lui du niveau d'information prévu par la loi organique (projet annuel de performances).
Selon le Gouvernement, le décret de services votés assurerait le financement des organismes d'audiovisuel public au début de 2025, alors même que l'affectation d'une part de TVA à ces organismes prend fin au 31 décembre 2024 en l'état du droit, la mesure de prolongation votée par le Sénat dans le cadre du projet de loi de finances pour 202519(*) ne pouvant entrer en vigueur. Le décret ouvrirait des crédits sur le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » en attendant que la loi de finances pour 2025 affecte à nouveau une fraction de TVA à ce compte, qui ne serait donc pas à l'équilibre dans l'intervalle.
De même, les avances aux collectivités territoriales continueraient d'être versées sous le régime des services votés, en janvier et en février 2025, sur la base des ressources liquidées en 2024.
* 15 Ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, qui s'est inspirée du le décret du 19 juin 1956 déterminant le mode de présentation du budget.
* 16 À titre d'exemple, le projet de loi de finances pour 1980 prend en compte, dans le calcul des services votés, de l'extension en année pleine des mesures relatives aux rémunérations publiques, de l'évolution prévisionnelle des pensions, de l'évolution des subventions obligatoires aux communes, de celles de certaines prestations sociales.
* 17 Secrétariat général du Gouvernement, Note relative au PLF et au PLFSS pour 2025, août 2024.
* 18 Circulaire interministérielle relative à la mise en oeuvre du décret de services votés à compter du 1er janvier 2024, 12 décembre 2024.
* 19 Article 32 ter du texte de la première partie du projet de loi de finances pour 2025, résultant de l'adoption de l' amendement I-2183 de Jean-François Husson, rapporteur général, au nom de la commission des finances.