B. UNE EXCLUSION DES DISPOSITIONS FISCALES NE RELEVANT PAS STRICTEMENT DE LA PROROGATION DES IMPOSITIONS EXISTANTES
La question s'est posée de la place dans la loi spéciale de nouvelles dispositions qui ne seraient pas directement le prolongement des impositions votés en loi de finances pour 202411(*). Les précédents de 1962 et 1979, et tout particulièrement dans ce dernier cas, ne s'appliquent que partiellement à la situation actuelle mais constituent néanmoins un point de comparaison permettant de cerner davantage le contenu d'un projet de loi spéciale.
Premièrement, dès lors que l'article 45 de la LOLF limite l'étendue d'une loi spéciale à la perception des impôts « existants », la loi spéciale ne peut contenir de disposition tendant à créer une nouvelle taxe.
Dans sa décision précitée sur la loi spéciale du 30 décembre 1979, le Conseil constitutionnel avait indiqué qu'en l'absence de dispositions constitutionnelles ou organiques directement applicables, ce qui est également le cas à l'heure actuelle, il appartenait « au Parlement et au Gouvernement, dans la sphère de leurs compétences respectives, de prendre toutes les mesures d'ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ».
En conséquence, ne trouvent leur place en loi spéciale que les dispositions en recettes permettant d'assurer la continuité des services publics, c'est-à-dire « la perception des ressources qui alimentent l'État et les diverses collectivités qui font fonctionner les services publics »12(*), sous les réserves exprimées plus haut. Entrent dans cette catégorie les dispositions relatives à l'autorisation de perception des ressources de l'État et des impositions de toute nature, ainsi que les dispositions relatives aux affectations de recettes au sein du budget de l'État ou à un tiers, en particulier la Sécurité sociale et les collectivités territoriales. Il en va de même pour les autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l'État.
Toute mesure d'assiette, de taux ou de modification des modalités de recouvrement d'une imposition n'a par conséquent pas sa place en loi de finances spéciale, à moins d'être strictement indispensable à la continuité de la vie nationale.
En particulier, l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation ne saurait être considérée comme une simple mesure de périmètre, qui serait automatique et implicite sans intervention du législateur. Elle constitue une modification de l'assiette de cet impôt et relève donc au contraire d'un choix politique. En témoignent les amendements déposés à l'Assemblée nationale comme au Sénat lors des discussions sur le PLF pour 2025 qui visaient à moduler cette indexation ou à la limiter à certaines catégories de redevables.
En outre, la rédaction de l'article 45 de la LOLF et la mention des « impôts existants » n'a pas pour effet de « geler » l'impôt dû en volume ni à figer la liste des contribuables redevables. Il convient de noter que cette interprétation, qui a pu être avancée lors des débats à l'Assemblée nationale, aurait d'ailleurs pour conséquence de revoir les rôles de l'ensemble des impositions. Telle n'était bien entendu pas l'intention du législateur organique qui a au contraire entendu limiter le contenu de la loi spéciale à l'épure du strict nécessaire pour le maintien des services publics.
À cet égard, l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu n'est évidemment pas nécessaire à la continuité de la vie nationale, dès lors qu'elle n'a pas été réalisée certaines années13(*). En conséquence, il n'existe pas de disposition organique ou de base jurisprudentielle permettant de faire figurer cette mesure dans la loi spéciale.
La question de la prorogation de crédits d'impôts arrivant à échéance au 31 décembre 2024 doit faire l'objet d'un raisonnement analogue. Dès lors que le législateur avait par le passé souhaité borner ces dispositifs dans le temps, leur prorogation constitue une mesure nouvelle qui ne relève pas du domaine de la loi spéciale.
Cette analyse est confirmée par le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi spéciale14(*), considérant que « l'indexation sur l'inflation du barème de l'impôt sur le revenu, laquelle n'est au demeurant pas systématiquement opérée et a déjà fait l'objet de modulations par le passé, ou encore la modification du droit aux fins de prolonger la durée d'application de crédits d'impôts dont une loi de finances précédente a prévu l'extinction au 31 décembre 2024, ne sont pas au nombre des dispositions ayant leur place en loi spéciale dès lors qu'elles constituent des modifications affectant les règles de détermination des impôts existants et excèdent ainsi l'autorisation de continuer à percevoir ces impôts ».
Le caractère restrictif du périmètre d'un projet de loi spéciale n'emporte aucune appréciation sur l'opportunité des mesures fiscales exclues de son domaine. Celles-ci peuvent avoir vocation à être adoptées le plus rapidement possible dans le projet de loi de finances pour 2025, ou, alternativement, dans des véhicules législatifs autonomes.
* 11 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
* 12 Compte-rendu des délibérations du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1979, relatives à l'examen, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci du texte de la loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants.
* 13 Lois de finances initiales pour 2012 et 2013.
* 14 Avis relatif à l'interprétation de l'article 45 de la LOLF, pris pour l'application du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, Conseil d'État (section des finances), lundi 9 décembre 2024.