II. LE DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI SPÉCIALE EST LIMITÉ À DES CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES ET N'EST PAS EXPLICITEMENT PRÉVU DANS LA SITUATION ACTUELLE

La situation de l'examen du projet de loi de finances pour 2025 a ceci de particulier qu'elle n'est pas directement prévue par les textes constitutionnel ou organique.

L'article 47 de la Constitution prévoit deux procédures dérogatoires d'adoption du projet de loi de finances.

La première, prévue au troisième alinéa de l'article 47, concerne le cas où le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours sur un projet de loi de finances. Les dispositions du projet peuvent alors être mises en vigueur par ordonnance.

La deuxième procédure d'urgence, prévue au quatrième alinéa de ce même article, concerne le cas de l'absence de dépôt du projet de loi de finances de l'année dans des délais permettant à la loi de finances d'être promulguée avant la fin de l'année. La Constitution prévoit uniquement que le Gouvernement demande d'urgence au Parlement l'autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés.

L'application de cette dernière hypothèse est précisée par l'article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF)4(*). Deux cas sont envisagés :

- avant le 11 décembre, le Gouvernement peut demander l'examen d'un « projet de loi partiel », c'est-à-dire faire procéder à l'Assemblée nationale à un vote séparé sur l'ensemble de la première partie de la loi de finances de l'année, qui serait ensuite soumis au Sénat selon la procédure d'urgence ;

- avant le 19 décembre, ou quelle que soit la date en cas de censure de la loi de finances par le Conseil constitutionnel5(*), le Gouvernement peut déposer un projet de loi de finances spéciale l'autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année.

Dans les deux cas, s'agissant des dépenses, le Gouvernement prend des décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés, comme il l'a fait fin 19796(*). L'article 45 de la LOLF dispose que la publication de ces décrets n'interrompt pas la procédure de discussion du projet de loi de finances de l'année.

La loi de finances n'a pas pu être promulguée avant le 31 décembre de l'année précédente à deux reprises au cours de la Cinquième République et a impliqué la mobilisation de chacune des deux procédures aujourd'hui prévues à l'article 45 de la LOLF.

En 1962, l'adoption d'une motion de censure, puis la dissolution de l'Assemblée nationale ont interrompu la discussion du budget. Après les élections tenues les 18 et 25 novembre, un texte limité à la première partie de la loi de finances (cas du « projet de loi de finances partiel ») a été soumis le 11 décembre au Parlement, adopté par les deux assemblées et promulgué le 22 décembre 1962, autorisant notamment la perception des recettes. Un autre texte comprenant la seconde partie a été examiné au cours des mois de janvier et février 1963 et promulgué le 23 février 1963.

En 1979, la loi de finances pour 1980 a été censurée intégralement par le Conseil constitutionnel le 24 décembre 1979 en raison d'une erreur de procédure. Un projet de loi spéciale contenant un seul article autorisant la perception des recettes a été déposé en urgence, adopté et promulgué le 30 décembre 1979. Il s'agit du seul précédent concernant l'adoption d'une loi spéciale. La loi de finances de l'année, pour sa part, a été redéposée en termes presque identiques, discutée en quelques jours par les deux assemblées et promulguée dès le 18 janvier 1980.

Aucune de ces procédures ne correspond à la situation actuelle : d'une part, le délai de soixante-dix jours n'était pas expiré lors du dépôt du projet de loi spéciale le 11 décembre 2024, et, d'autre part, le PLF pour 2025 a été déposé certes avec retard, le 10 octobre 2024, mais en temps utile pour que la loi de finances soit promulguée avant le début de l'exercice 2025.

Ainsi, le cas du PLF pour 2025 n'est qu'imparfaitement comparable aux précédents. Néanmoins, alors que l'adoption d'une loi de finances pour 2025 semble désormais matériellement irréaliste avant la fin de l'année, la mise en oeuvre d'une loi de finances spéciale consécutive à la démission du Gouvernement, dans le silence de la Constitution et de la loi organique, paraît justifiée par la nécessité de la continuité de la vie nationale.

Le Conseil constitutionnel avait jugé en ce sens la loi spéciale de fin 1979 en indiquant qu'en « l'absence de dispositions constitutionnelles ou organiques directement applicables, il appartient, de toute évidence, au Parlement et au Gouvernement, dans la sphère de leurs compétences respectives, de prendre toutes les mesures d'ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale »7(*). Tel semble être de nouveau le cas aujourd'hui.


* 4  Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

* 5 Le cas de la censure du texte, non prévu explicitement par la Constitution, a été inclus en 2001 dans la LOLF.

* 6 Décrets n° 79-1166 à 79-1200 du 30 décembre 1979 portant répartition des crédits ouverts par la loi de finances pour 1980, publiés au Journal officiel du 31 décembre 1979.

* 7  Décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979, « Loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants ».

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