B. DES MESURES POUR LIMITER LE DÉFICIT QUI DOIVENT RESPECTER LE DROIT DE L'UNION
La législation de l'Union s'attache à garantir aux travailleurs frontaliers les mêmes droits sociaux qu'aux travailleurs de l'État dont la législation est applicable. Ainsi, pour les prestations de chômage, la législation de l'Union garantit aux demandeurs d'emploi frontaliers les mêmes droits qu'aux autres demandeurs d'emploi résidant et ayant travaillé en France.
1. L'application aux frontaliers des principes d'égalité de traitement et d'unicité de la législation
a) L'obligation de prendre en compte le dernier salaire perçu pour le calcul des prestations
Les règles visant à déterminer quel salaire prendre en compte pour le calcul des prestations de chômage ont évolué depuis 1958.
L'article 34 du règlement (CEE) n° 3/58 prévoyait que dans le cas où le montant de la prestation de chômage varie avec le montant du salaire précédent, l'institution de l'État qui verse la prestation prend en compte lorsque cela est nécessaire, le salaire usuel du lieu de résidence du chômeur pour un emploi équivalent et non le salaire effectif perçu dans l'État d'emploi.
Avec l'entrée en vigueur du règlement (CEE) n° 1408/71, l'utilisation du salaire usuel du lieu de résidence pour le calcul des prestations n'est possible que si le travailleur a été employé pendant quatre semaines au plus sur le territoire de l'État d'emploi.
Enfin, l'article 62, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 883/2004 prévoit que l'institution du lieu de résidence prend en compte le salaire ou le revenu professionnel perçu par la personne concernée dans l'État d'emploi.
b) L'application de la seule législation de l'État membre de résidence
L'institution compétente de l'État de résidence ne peut s'appuyer sur la législation de l'État d'emploi pour réduire le montant des prestations de chômage versées. En effet, le principe d'unicité de la législation applicable prévu à l'article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 883/2004 écarte l'application de toute autre législation, ce qui implique que seule la législation de l'État de résidence détermine les règles applicables au versement des prestations de chômage.
À cet égard, l'arrêt de la CJCE du 1er octobre 199213(*) précise, dans le cadre d'une affaire opposant l'Unédic à des travailleurs frontaliers ayant exercé leur activité en Allemagne, que le montant des prestations de chômage dues aux frontaliers ne peut être limité en appliquant les plafonds prévus par l'État d'emploi.
2. La contrariété au droit de l'Union d'une réduction du montant des seules prestations versées aux frontaliers
Toute mesure visant à limiter le montant des prestations de chômage versées aux seuls frontaliers serait contraire au droit de l'Union, en raison du principe d'égalité de traitement.
En effet, dans son arrêt du 2 mars 2017, la Cour de justice de l'Union européenne rappelle qu'une disposition de droit national, bien qu'indistinctement applicable selon la nationalité, doit être considérée comme indirectement discriminatoire dès lors qu'elle est susceptible, par sa nature même, d'affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux et qu'elle risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers, à moins qu'elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l'objectif poursuivi14(*). Par ailleurs, la Cour ajoute, dans son arrêt du 26 février 2019, que la libre circulation des travailleurs serait entravée si un travailleur migrant subissait un désavantage dans son État d'origine pour la seule raison d'avoir exercé son droit à la libre circulation15(*).
Or, un avenant16(*) au protocole d'accord du 10 novembre 2023 relatif à l'assurance-chômage a été signé par les partenaires sociaux le 14 novembre 2024. Cet avenant prévoit :
- d'appliquer un coefficient modérateur au montant des prestations de chômage dues aux frontaliers ;
- de réviser l'offre raisonnable d'emploi pour spécifiquement tenir compte du niveau de rémunération pratiqué en France pour le type de poste recherché ;
- de mettre en place un suivi particulier des demandeurs d'emploi frontaliers permettant un repérage plus efficace des reprises d'emploi non déclarées.
L'application d'un coefficient modérateur au montant des prestations de chômage et la révision de l'offre raisonnable d'emploi seraient des mesures contraires au droit de l'Union dans la mesure où elles s'appliqueraient aux seuls frontaliers et qu'elles les défavoriseraient.
En conséquence, cet avenant n'a pas reçu l'agrément du Gouvernement et il ne sera donc pas appliqué.
Toutefois, depuis le 1er juillet 2021, à la suite du décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019, les allocataires de moins de 57 ans dont les revenus étaient supérieurs à environ 4 800 euros par mois avant d'être au chômage ont vu leur allocation réduite à partir du septième mois d'indemnisation, cette baisse pouvant aller jusqu'à 30 %. Cette réforme qui s'appliquait à l'ensemble des allocataires a concerné 23 % des allocataires frontaliers contre seulement 3 % de l'ensemble des allocataires résidant en France, et a permis de réduire le montant consacré à l'indemnisation des frontaliers.
Malgré les contraintes juridiques, les rapporteurs estiment nécessaire d'agir pour limiter le déficit de l'Unédic imputable aux frontaliers. Ainsi, il peut être intéressant d'envisager des mesures visant à renforcer le contrôle des demandeurs d'emploi. Cela pourrait passer par un échange d'information entre les institutions compétentes de l'État membre d'emploi et de l'État membre de résidence, incluant les institutions en charge du prélèvement des contributions à l'assurance-chômage, celles versant les prestations et celles accompagnant le retour à l'emploi. Cet échange de données électroniques permettrait un meilleur contrôle des demandeurs d'emploi et éviterait au moins le versement de prestations indues.
Les obligations auxquelles sont soumis les demandeurs d'emploi percevant une prestation de chômage en France
S'inscrire à France Travail (anciennement Pôle emploi) en tant que demandeur d'emploi permet de bénéficier des prestations de chômage (sous certaines conditions) et d'un accompagnement personnalisé pour retrouver un emploi. Ces droits s'accompagnent d'obligations visant à favoriser le retour à l'emploi. En l'absence de respect de ces obligations, des sanctions pouvant aller jusqu'à la radiation de la liste des demandeurs d'emploi et la suppression définitive du versement des prestations peuvent être prononcées par France Travail.
Ces obligations concernent principalement :
- la création et l'actualisation d'un Projet Personnalisé d'Accès à l'Emploi (PPAE) qui regroupe les informations essentielles relatives au profil du demandeur d'emploi et à l'objet de sa recherche,
- la déclaration mensuelle de sa situation personnelle confirmant qu'il est toujours en recherche d'un emploi ou au contraire qu'il a repris une activité,
- la justification de la recherche active d'un emploi incluant notamment les candidatures envoyées et la présence aux entretiens avec un conseiller de France Travail,
- l'obligation d'accepter une offre raisonnable d'emploi selon les critères déterminés lors de l'élaboration ou de l'actualisation du PPAE.
Concernant ce dernier point, le refus de deux offres d'emploi raisonnables sans motif légitime peut entraîner une suppression des prestations de chômage. Parmi les motifs légitimes figure le niveau de salaire qui ne doit pas être inférieur au salaire normalement pratiqué dans la région pour la profession concernée. La circulaire DGEFP n° 2008/18 prévoit qu'après trois mois d'inscription, le PPAE du demandeur d'emploi sera obligatoirement aménagé pour modifier le niveau de salaire qui lui est opposable avec une offre d'emploi rémunérée à hauteur de 95 % du salaire horaire antérieurement perçu. Après six mois d'inscription, une offre rémunérée à hauteur de 85 % du salaire horaire antérieurement perçu sera considérée comme raisonnable et, après 12 mois d'inscription, est considérée comme raisonnable une offre d'emploi rémunérée à hauteur du revenu de remplacement.
* 13 Affaire 201/91
* 14 Affaire C-496/15, point 36
* 15 Affaire C-581/17, point 53
* 16 https://web.lexisnexis.fr/LexisActu/avenant-protocole-accord-assurance-67372425a46db396299638.pdf