III. DES RÈGLES D'INDEMNISATION QUI IMPOSENT UNE CHARGE FINANCIÈRE DE PLUS EN PLUS IMPORTANTE À LA FRANCE
A. UN DÉFICIT DE 800 MILLIONS D'EUROS POUR L'UNEDIC
1. Les prestations versées ne sont pas compensées par les remboursements perçus
Selon l'Unédic12(*), chaque année, le système d'indemnisation des allocataires frontaliers représente un surcoût d'environ 800 millions d'euros pour le régime d'assurance chômage. De fait, le coût total des prestations versées aux travailleurs frontaliers en situation de chômage est d'un milliard d'euros par an. En vertu du système de compensation financière versée par les États dans lesquels les travailleurs frontaliers ont contribué à l'assurance-chômage, la France perçoit 200 millions d'euros. Il reste donc à la charge de l'Unédic 800 millions d'euros.
Les montants remboursés par les États d'emploi sont donc insuffisants et ne couvrent en moyenne que 20 % du montant des prestations versées comme le montre le tableau ci-dessous.
État d'emploi |
Ratio moyen des remboursements encaissés par l'UNEDIC sur les dépenses d'indemnisation (moyenne 2011 - 2023) |
Suisse |
23 % |
Luxembourg |
19 % |
Belgique |
24 % |
Allemagne |
16 % |
Source : Unédic
À la fin de l'année 2023, en cumulé depuis 2011, les dépenses liées aux frontaliers représentent 11,2 milliards d'euros tandis que le montant des remboursements cumulés sur cette période atteint 2,2 milliards d'euros, portant ainsi le solde négatif global sur la période à 9 milliards.
A contrario, le montant des sommes versées par la France au titre du remboursement prévu par le règlement (CE) n° 883/2004 s'élève à seulement 4 millions d'euros par an, ce qui montre le déséquilibre financier engendré par les dispositions du règlement (CE) n° 883/2004 au détriment de la France. En effet, un très faible nombre de demandeurs d'emploi sont indemnisés à l'étranger après avoir travaillé et cotisé en France. L'Unédic serait donc très largement « gagnante » si les règles d'indemnisation des travailleurs frontaliers étaient modifiées.
Si les comptes de l'Unédic présentent un excédent depuis 2022, le montant de sa dette, qui s'élève à environ 51 milliards d'euros et dont un tiers serait dû au coût des mesures exceptionnelles prises durant la pandémie de COVID-19, reste inquiétant.
La situation financière de l'Unédic (Source Unédic)
Les recettes représenteraient 45,3 milliards d'euros en 2024 dont 27,2 milliards d'euros proviennent des contributions principales et 17,3 milliards d'euros de la CSG Activité.
Les dépenses de l'Assurance chômage représenteraient 44,9 milliards d'euros en 2024. 36,9 milliards d'euros concernent le versement des allocations et les aides au reclassement, et 4,8 milliards d'euros le financement de France Travail
Le solde financier du régime d'Assurance chômage serait donc positif de 0,4 milliard d'euros en 2024. Malgré un contexte de dégradation de la conjoncture économique, le régime d'assurance chômage poursuivrait son désendettement entamé en 2021, mais sur une trajectoire fortement infléchie par les moindres compensations de l'État des allègements généraux liés à l'exonération dégressive des cotisations assises sur les salaires compris entre 1 et 1,6 SMIC.
2. Un déficit élevé dû à la hausse du nombre de frontaliers avec des prestations dont le montant est plus élevé que la moyenne nationale
L'importance du déficit s'explique par la hausse du nombre de travailleurs frontaliers et le montant des prestations qu'ils perçoivent.
En 2020, le nombre de travailleurs frontaliers résidant en France était de 445 000. 48 % des actifs frontaliers travaillaient en Suisse, 22 % au Luxembourg, 11 % en Allemagne, 10 % en Belgique, 7 % à Monaco, 1 % en Espagne et un peu moins de 1 % en Italie. Les salariés monégasques relèvent quant à eux du régime d'assurance-chômage français.
Le nombre de travailleurs frontaliers a augmenté de 26 % depuis 2011. Cette hausse est principalement liée à la hausse du nombre d'actifs travaillant en Suisse (+ 55 000 entre 2011 et 2020) et au Luxembourg (+ 27 000 entre 2011 et 2020). Elle s'explique par un taux de chômage plus faible dans les pays limitrophes, notamment en Allemagne, en Suisse, au Luxembourg et en Belgique. En outre, le salaire moyen par tête y est plus élevé, notamment en Suisse et au Luxembourg.
Si les frontaliers indemnisés par l'assurance-chômage ont des niveaux de qualification similaires à l'ensemble des allocataires, les niveaux d'indemnisation sont toutefois plus élevés en corrélation avec des niveaux de rémunération plus élevés. En effet, le montant du dernier salaire perçu dans l'État d'emploi a un impact sur le montant de l'indemnisation chômage en raison des règles de calcul appliquées en France pour déterminer le montant des prestations de chômage, ce montant étant proportionnel au dernier salaire perçu.
Ainsi, les allocataires frontaliers ayant travaillé en Suisse sont indemnisés en moyenne 2 670 euros par mois en 2023 contre 1 265 euros pour l'ensemble des allocataires indemnisés par le régime d'assurance-chômage français.
Enfin, il faut noter qu'aucun allocataire frontalier ne percevait fin décembre 2023 l'allocation des travailleurs indépendants qui concerne les travailleurs non-salariés dont l'activité a cessé.
Lors de la 26ème réunion du Comité mixte Union européenne-Suisse sur la libre circulation des personnes du 27 octobre 2023, les autorités suisses ont indiqué que, pour faire face à une pénurie de main-d'oeuvre due à la bonne conjoncture économique et à l'évolution démographique, le recrutement de main-d'oeuvre provenant de l'Union devrait probablement se poursuivre.
3. Un déficit largement imputable aux prestations versées aux personnes ayant occupé un emploi en Suisse et au Luxembourg
En 2023, 77 000 allocataires ont été indemnisés par l'assurance-chômage : 61 % d'entre eux ont perdu un contrat en Suisse, 22 % au Luxembourg, 9 % en Belgique et 8 % en Allemagne. Les autres, très peu nombreux, travaillaient essentiellement en Espagne ou en Italie et représentaient moins de 2 % des dépenses d'indemnisation des frontaliers en 2023.
En 2023, les prestations versées aux frontaliers suisses et luxembourgeois s'élevaient respectivement à 720 millions d'euros et 164 millions d'euros, soit 72 % et 16 % du montant total des prestations versées aux frontaliers.
Outre leur nombre, les chômeurs frontaliers ayant exercé leur activité en Suisse ou au Luxembourg représentent une charge d'indemnisation d'autant plus élevée que le salaire moyen est plus élevé dans ces pays. En effet, le montant du salaire annuel moyen en France était en 2022 de 44 000 euros alors qu'il était de 81 000 euros au Luxembourg et de 97 000 euros en Suisse. En Belgique, il était de 57 000 euros et en Allemagne de 48 000 euros.
Enfin, pour les chômeurs ayant exercé leur activité en Suisse, le montant des prestations est d'autant plus élevé que le franc suisse s'est fortement apprécié par rapport à l'euro. En effet, sa valeur est passée de 0,6 euro en 2008 à environ 1 euro aujourd'hui. De surcroit, la durée durant laquelle les demandeurs d'emploi ayant exercé leur dernière activité en Suisse restent en situation de chômage est supérieure de 30 % à la moyenne des allocataires indemnisés en France (10 mois contre 13).
Le tableau ci-dessous montre en conséquence la répartition des dépenses d'indemnisation selon les États d'emploi.
État d'emploi |
Nombre d'allocataires frontaliers indemnisés en 2023 |
Répartition des dépenses indemnisation 2023 |
Suisse |
47 000 |
72 % (721 millions d'euros) |
Luxembourg |
17 000 |
16 % (164 millions d'euros) |
Belgique |
6 000 |
5 % (47 millions d'euros) |
Allemagne |
7 000 |
7 % (75 millions d'euros) |
Source : Unédic
* 12 Dossier de synthèse : l'indemnisation des frontaliers par l'Assurance chômage : https://www.unedic.org/storage/uploads/2024/10/02/Unedic---Dossier-de-synthse-Frontaliers---VDEF-2_uid_66fd7c43a123b.pdf (octobre 2024)