II. UNE INDEMNISATION DES PÉRIODES DE CHÔMAGE DES TRAVAILLEURS FRONTALIERS PAR L'ÉTAT DE RÉSIDENCE DE MOINS EN MOINS JUSTIFIÉE
A. DES RÈGLES DE PRISE EN CHARGE DES PRESTATIONS DE CHÔMAGE DONT L'OBJECTIF EST D'ACCOMPAGNER AU MIEUX LE RETOUR À L'EMPLOI
1. Cas du chômage partiel dont les prestations sont à la charge de l'État d'emploi
Depuis l'entrée en vigueur du règlement n° 36/63/CEE, un travailleur frontalier qui se trouve en état de chômage partiel ou accidentel dans l'entreprise qui l'emploie a droit aux prestations prévues pour ces cas, selon les dispositions de la législation du pays où il est employé. Le versement des prestations est effectué par l'institution compétente de ce pays.
Cette règle a été reprise par les règlements (CEE) n° 1408/71 et (CE) n° 883/2004. Elle s'applique donc aujourd'hui et semble relativement cohérente dans la mesure où le travailleur reste lié à l'entreprise qui l'emploie et que les prestations sont versées par l'institution de l'État qui a perçu les contributions à l'assurance-chômage.
Dans son arrêt du 15 mars 20216(*) , la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a estimé que l'institution du lieu de résidence « serait bien moins en mesure que celle de l'État membre compétent7(*) d'aider le travailleur à retrouver un emploi complémentaire dont les conditions seraient compatibles avec le travail déjà exercé à temps partiel, c'est-à-dire le plus vraisemblablement, un emploi complémentaire exercé sur le territoire de l'État membre compétent ».
2. Cas de chômage complet dont les prestations sont à la charge de l'État de résidence avec le remboursement d'une partie des prestations par l'État d'emploi
a) Des prestations de chômage complet à la charge de l'État de résidence
Le règlement n° 36/63/CEE prévoyait qu'un travailleur frontalier qui se trouve en état de chômage complet a droit aux prestations selon les dispositions de la législation de l'État membre sur le territoire duquel il réside, comme s'il avait exercé son dernier emploi sur le territoire de cet État. Les prestations sont à la charge de l'institution compétente du lieu de résidence.
Cette règle a été reprise par les règlements (CEE) n° 1408/71 et (CE) n° 883/2004. Toutefois, pour préserver les intérêts financiers de l'État de résidence, le règlement (CE) n° 883/2004 prévoit que l'institution compétente de l'État de résidence bénéficie d'un remboursement d'une partie du montant des prestations versées.
b) Un remboursement par l'État d'emploi d'une partie du montant des prestations versées
L'article 65, paragraphe 6, du règlement (CE) n° 883/2004 prévoit que l'institution compétente de l'État d'emploi devra rembourser à l'institution compétente du lieu de résidence la totalité du montant des prestations servies par celle-ci pendant les trois premiers mois de l'indemnisation. Toutefois, selon les dispositions de l'article 65, paragraphe 7, du même règlement, cette période de trois mois est étendue à cinq mois lorsque l'intéressé a accompli, au cours des vingt-quatre derniers mois, des périodes d'emploi d'au moins douze mois dans l'État d'emploi.
En France, c'est France Travail qui est en charge de la gestion des remboursements. Une fois que les allocataires frontaliers concernés ont reçu trois ou cinq mois d'indemnisation, selon les cas, le remboursement les concernant est facturé aux États d'emploi dans un délai de six à douze mois. Les États d'emploi disposent alors d'un délai de dix-huit mois pour rembourser l'État de résidence.
Par ailleurs, l'article 65, paragraphe 8, du règlement (CE) n° 883/2004 prévoit que deux ou plusieurs États membres peuvent convenir d'autres modalités de remboursement ouvrant la voie à la conclusion d'accords bilatéraux permettant éventuellement d'augmenter le montant des remboursements prévus aux paragraphe 6 et 7 du même article.
Avant l'entrée en application de ce règlement (CE) n° 883/2004, aucun remboursement n'était prévu entre États membres de l'Union. Cette disposition a permis de mieux prendre en compte les intérêts financiers des États membres de résidence.
c) Des dispositions qui s'appliquent à la Suisse
Concernant la Suisse, la décision n° 1/12 du comité mixte institué par l'accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes du 31 mars 2012, remplaçant l'annexe II dudit accord sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, prévoit que la Suisse applique les dispositions du règlement (CE) n° 883/2004.
Il faut noter qu'avant l'adoption de la décision n° 1/12, la Convention d'assurance-chômage entre la Confédération suisse et la République française, conclue le 14 décembre 19788(*) continuait de s'appliquer. Elle prévoyait la rétrocession mutuelle d'une part des cotisations perçues sur les salaires des frontaliers au titre de l'assurance-chômage. Le montant forfaitaire de cette compensation financière tenait compte de l'effectif annuel moyen des frontaliers, du montant des salaires perçus par ces travailleurs, du taux de cotisation à l'assurance-chômage et des allocations versées, le cas échéant, au titre du chômage partiel par les institutions compétentes. En 2007, le montant des rétrocessions versées par la Suisse à la France s'élevait à 119 millions d'euros9(*).
d) Le cas particulier du Luxembourg
L'article 86 du règlement (CE) n° 883/2004 prévoit que les dispositions de l'article 65, paragraphe 7, du même règlement feront l'objet d'accords bilatéraux entre, d'une part, le Luxembourg et, d'autre part, la France, l'Allemagne et la Belgique.
À ce jour, aucun accord n'a été conclu. Dès lors, quelle que soit la durée durant laquelle un travailleur frontalier a été employé au Luxembourg, cet État remboursera à l'État de résidence uniquement le montant des prestations servies durant les trois premiers mois de l'indemnisation.
Cette dérogation accordée au Luxembourg entraîne un surcoût de 18 millions d'euros pour l'Unédic.
* 6 Affaire 444/98
* 7 Dans le règlement (CE) n° 883/2004, l'État membre compétent désigne l'État d'emploi.
* 8 https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1979/2126_2130_2130/fr
* 9 https://www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ22022125S.html