EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 4 décembre 2024, la commission a examiné le rapport de M. Pierre Cuypers sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport de Pierre Cuypers sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, présentée par nos collègues Laurent Duplomb et Franck Menonville.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Dans les circonstances politiques que tout le monde connaît, notre réunion de commission montre, s'il en était besoin, que le Sénat est au travail pour traiter les urgences du pays et notamment la grave crise agricole que nous connaissons depuis trop longtemps.

Notre commission entame d'ailleurs une séquence agricole, puisque le texte sur la haie sera débattu juste après celui-ci ; l'examen en commission du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA) est prévu la semaine prochaine, sans parler des textes débattus et adoptés par nos collègues députés ces derniers jours.

Avant d'aller plus avant dans la description du texte et des conclusions de mes travaux, dans un souci de transparence et en application de l'article 91 quater de notre Règlement, je souhaite porter à la connaissance de notre commission que je suis moi-même agriculteur, notamment producteur de betteraves et donc utilisateur, jusqu'à leur interdiction, de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes.

Comme l'ont indiqué les auteurs de cette proposition de loi, Laurent Duplomb et Franck Menonville, le texte dont nous nous apprêtons à discuter n'a pas vocation à régler toutes les problématiques agricoles, mais il s'inscrit dans une indispensable complémentarité au projet de loi d'orientation agricole déposé par le précédent gouvernement, et qui fait l'impasse sur un certain nombre de mesures certes clivantes, j'en ai conscience, mais que je considère, comme plus de la moitié des sénatrices et sénateurs signataires du texte, nécessaires.

Je ne m'attarderai pas sur la situation de notre belle agriculture française, forte de son histoire, de ses traditions et de ses territoires, mais, comme chacun le sait, mise à rude épreuve depuis des années par la concurrence souvent déloyale, le poids des charges, des injonctions contradictoires ou encore des surtranspositions.

C'est donc avec la conscience aiguë que notre agriculture se trouve à la croisée des chemins que j'ai conduit mes travaux, dans le court laps de temps - quinze jours - qui a séparé les premières auditions de notre présente réunion. Dans cet intervalle, je suis tout de même parvenu à mener plus de 13 heures d'auditions, m'ayant permis d'entendre de nombreuses parties prenantes agricoles, notamment les représentants des filières, les syndicats, les associations de protection de l'environnement ou encore les administrations concernées par ce texte.

Je vais maintenant vous présenter dans les grandes lignes les six articles de ce texte et l'analyse que j'en fais au stade de la commission. Je tiens à préciser « au stade de la commission », puisqu'il est évident que nous sommes en liaison constante avec le ministère de l'agriculture, et que nos discussions n'ont pas encore abouti sur un certain nombre de points. Mais j'ai bon espoir que nous parvenions à trouver, en vue de son examen en séance publique, certaines voies d'accord pour ajuster certaines dispositions que, volontairement, nous n'avons pas voulu modifier, et ce sans dénaturer l'ambition initiale du texte.

L'article 1er vise à revenir sur trois mesures qui avaient été adoptées dans la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim), dans le but de réduire l'usage des produits phytopharmaceutiques en France. La première mesure interdisait les rabais, remises et ristournes, les « 3R », afin de ne pas inciter à leur surconsommation du fait d'opérations commerciales. La deuxième interdisait strictement le cumul des activités de conseil et de vente de ces produits pour éviter des conflits d'intérêts. Une troisième mesure rendait obligatoire d'en passer par deux « conseils stratégiques phytosanitaires » en cinq ans pour bénéficier du « certiphyto », agrément nécessaire à l'usage des produits phytopharmaceutiques.

La première mesure est peut-être la plus caricaturée. Je précise que ce n'est pas par plaisir que les agriculteurs achètent des produits phytosanitaires - et je tiens à ce terme, plutôt qu'au terme pesticide -, mais bien parce qu'ils en ont besoin. Bien sûr, chacun réagit au prix, et lorsque les prix sont plus bas, les ventes peuvent augmenter, pour refaire des stocks. Mais prétendre que les agriculteurs appliqueraient davantage ces produits, car on leur octroie une remise, serait faire insulte à leur intelligence. Chacun sait que ce ne sont pas des produits anodins pour la santé et l'environnement.

La deuxième mesure a fait l'objet de divers rapports, dont deux du député socialiste Dominique Potier, pointant son caractère contre-productif : elle a complètement asséché l'offre de conseil, les coopératives et les négociants ayant choisi la vente de produits phytosanitaires plutôt que le conseil. On sent que le Gouvernement est à la recherche de la bonne formule pour revenir sur sa réforme, tout en introduisant un garde-fou contre les conflits d'intérêts ; mais manifestement, il ne l'a pas encore trouvée. Nous serons attentifs à ses propositions d'ici à la séance, mais aussi exigeants pour ne pas remettre de frein inutile au conseil.

La troisième mesure, l'abandon du caractère obligatoire du conseil stratégique phytosanitaire, est une promesse du Gouvernement et ne pose donc pas de difficultés.

En gardant intactes les propositions initiales, la proposition que je vous ferai consiste à prévoir l'après-conseil stratégique phytosanitaire, en esquissant ce que pourrait être un conseil stratégique global, facultatif, replaçant la question de la réduction de l'usage des produits phytosanitaires dans un diagnostic d'ensemble de l'exploitation. Car il va de soi que nous ne pourrons pas nous contenter d'une suppression sèche, tant le besoin des agriculteurs en accompagnement, et en accompagnement de qualité, est important. C'est la condition pour que les agriculteurs, qui n'y seraient plus contraints, s'y engagent, mais j'y reviendrai.

L'article 2 contient trois mesures qui ne manqueront pas d'animer nos débats.

Premièrement, il prévoit que le ministre chargé de l'agriculture puisse suspendre une décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) après avoir effectué une balance des risques prenant notamment en compte une dimension économique. Cette mesure, qui vise à faire intervenir le politique dans la prise de décision, comme cela était le cas jusqu'en 2014, souffre toutefois d'une fragilité juridique, à savoir la référence à des intérêts économiques, exclue par le règlement européen en la matière. Je vous proposerai donc un amendement visant à sécuriser le dispositif, tout en respectant l'intention des auteurs du texte.

Je vous proposerai aussi d'inscrire dans la loi la possibilité pour l'Anses de traiter des dossiers par priorité. Je pense que cela est nécessaire au regard de la situation de plus en plus tendue de petites filières agricoles en matière de solutions disponibles pour protéger les cultures.

Deuxièmement, l'article 2 autorise, par dérogation, et sous des conditions très strictes, l'usage de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques. Je sais que cette question agite aussi nos collègues de l'Assemblée nationale, une proposition de loi sur ce sujet ayant été discutée avant-hier. Pour ma part, j'ai souhaité maintenir le dispositif en l'état, puisqu'il est tout à fait conforme au droit européen. Comme pour l'Anses, cette question avait déjà fait l'objet d'un vote de notre assemblée le 23 mai 2023, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, présentée par les sénateurs Laurent Duplomb, Pierre Louault, Serge Mérillou et plusieurs de leurs collègues. Si l'on veut accroître la sécurité des applicateurs, tout en diminuant les quantités épandues, ce serait une erreur de nous priver des solutions technologiques, tout en gardant à l'esprit qu'il s'agit de dérogations particulièrement encadrées et non pas d'un retour de l'épandage par hélicoptère !

Troisièmement, l'article 2 abroge les dispositions issues de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dite « Biodiversité », et de la loi Egalim visant à interdire l'usage de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou ayant des modes d'action identiques. Là aussi, j'ai souhaité à ce stade du débat laisser la disposition en l'état, en ce qu'elle revient sur une surtransposition française du droit européen. Je dois dire que j'ai été marqué par la détresse de certaines personnes auditionnées ; je pense au représentant de la filière de la noisette, qui nous a décrit par le menu l'effondrement qu'est en train de vivre sa filière sous pression de deux ravageurs pour lesquels il n'existe pas d'alternative à l'usage de l'acétamipride. Je pourrais parler de la betterave, de la cerise, et de beaucoup d'autres filières. Cette situation ne peut plus durer. S'il est évident que nous devons encourager la recherche de solutions alternatives - c'est tout l'objet du plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures (Parsada) -, nous avons également le devoir d'apporter des réponses à l'urgence dans laquelle se trouvent certaines filières, sauf à nous satisfaire de les voir disparaître au profit de concurrents européens ou extra-européens utilisant ces produits et donc sans gain ni pour l'environnement ni pour la santé.

J'en viens à l'article 3, qui vise à revenir sur un effet de bord récent, issu de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, et sur une potentielle surtransposition ancienne de la directive 2010/75/UE relative aux émissions industrielles, appelée « directive IED », qui assujettissent l'élevage à des procédures environnementales, dans le cadre du régime français des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Les filières animales les présentent comme des freins importants à leur développement et craignent que la ferme France ne se donne plus les moyens de produire la viande que les Français consomment. Le taux de couverture de la consommation nationale par la production nationale n'est que de 58 % en poulet, et le précédent ministre, Marc Fesneau, disait que, « sauf à manger moins de volaille, il faudrait 400 poulaillers supplémentaires en France » pour atteindre un taux de couverture de 100 %.

Dans sa version initiale, l'article 3 comportait plusieurs assouplissements des procédures environnementales concernant les plus grands élevages : les obligations renforcées de motivation des avis de l'autorité environnementale ; la suppression du caractère systématique des réunions publiques d'ouverture et de clôture pour les projets de création, d'extension ou de regroupement d'élevages soumis à autorisation environnementale ; la reconnaissance des principes de spécificité et d'adaptation des procédures ICPE pour les exploitations agricoles ; la modification des seuils en dessous desquels peut s'appliquer la procédure d'enregistrement - ou d'autorisation simplifiée -, en permettant notamment de les relever de 30 000 à 40 000 volailles, de 450 à 750 truies, de 400 à 800 bovins à l'engraissement et de 150 à 400 vaches laitières.

Sur cet article, nous avons travaillé en lien étroit avec les deux ministères concernés pour harmoniser et consolider juridiquement le dispositif.

Par un amendement que je soumets à votre appréciation, il ne sera plus obligatoire de réaliser systématiquement des réunions publiques d'ouverture et de clôture en cas d'autorisation environnementale, le commissaire enquêteur pouvant les remplacer par une simple permanence en mairie. Cet amendement vaut pour tout projet, pas uniquement d'élevage, le ministère de la transition écologique voyant dans l'unicité du régime des ICPE un gage de clarté et de simplicité pour les pétitionnaires.

Un autre amendement prévoit une entrée en vigueur différée pour la « dé-surtransposition » sur les seuils, car il apparaît que, en l'état actuel de la directive IED, il ne serait finalement pas possible d'aller plus loin. Cependant, la directive a été révisée au printemps de cette année et entrera en vigueur sur ce point au plus tard dans un an et demi, quand un acte d'exécution sera pris. Je crois que nous pouvons attendre un peu pour ne prendre aucun risque juridique de nature à fragiliser le régime de l'enregistrement dans son ensemble au regard du droit de l'Union européenne.

Enfin, en lien avec le précédent, un amendement vise à mieux encadrer la possibilité pour le préfet de faire basculer au cas par cas certains projets de l'enregistrement à l'autorisation, une disposition demandée par les filières animales. La Coopération agricole nous indique que le coût d'un dossier d'autorisation pour un éleveur serait de 15 000 à 20 000 euros, tandis qu'un dossier d'enregistrement coûterait entre 5 000 et 15 000 euros.

L'article 4 du texte vise à mettre en place une procédure plus effective que la procédure actuelle de recours en cas de contestation des évaluations des pertes de récolte ou de culture, lorsque celles-ci sont fondées sur un indice. Il s'agit ici de la question de l'évaluation des pertes en prairie, qui est actuellement opérée par satellite et qui fait l'objet de nombreuses critiques de la profession agricole pour son manque de fiabilité. La proposition de loi reprend la rédaction retenue par le Sénat à l'occasion de la discussion de la loi du 2 mars 2022 d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, rapportée par notre collègue Laurent Duplomb et qui n'avait alors pas été retenue par la commission mixte paritaire. Je ne peux que le regretter et soutenir son rétablissement dans cette proposition de loi, car elle conduit à mettre en place un véritable recours, fondé sur l'intervention du préfet, du comité départemental d'expertise et de la chambre départementale d'agriculture.

J'ai donc souhaité, à ce stade de la discussion, ne pas modifier cet article, tout en gardant à l'esprit que cette solution ne semble pas, aux dires du ministère, avoir les faveurs des assureurs. Si je ne suis certes pas ici pour plaire aux assureurs, il convient de prendre en compte la situation décrite par le ministère de l'agriculture, et plus largement le contexte délicat dans lequel se trouve la réforme de l'assurance récolte, avec la constitution difficile du pool de co-réassurance prévu par la loi. Mon objectif étant d'améliorer cette loi et non de la fragiliser, je resterai attentif aux propositions que la ministre de l'agriculture pourra formuler en séance publique.

L'article 5 du texte traite globalement de l'eau en agriculture. Il comporte diverses dispositions visant à mieux prendre en compte les usages agricoles de la ressource, partant du principe que l'activité agricole n'est pas une activité économique comme les autres, puisqu'elle consiste à nourrir la population. Je citerai notamment l'ajustement de la hiérarchie des usages de l'eau qui vise à accorder une place plus importante à l'agriculture, mais pas, comme j'ai pu l'entendre ici ou là, à placer l'agriculture au même niveau que l'eau potable !

Figurent également au sein de cet article des dispositions visant à mieux prendre en compte les intérêts agricoles dans les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) ainsi que dans leurs déclinaisons locales, les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage), ce qui paraît aller dans le bon sens au regard de l'impact de ces documents sur les politiques de gestion de l'eau.

Enfin, la disposition relative à la définition de la zone humide figure également dans cet article et fera débat. Elle vise à inscrire dans la loi le caractère cumulatif de ces deux critères : la présence d'un terrain hydromorphe et celle de végétation hydrophile. Le ministère de l'agriculture m'a indiqué travailler à une proposition d'amendement en vue de la séance publique, dont je ne connais pas le contenu à ce stade. Cette disposition, qui ne pose pas de difficulté juridique, doit demeurer en l'état.

Enfin, l'article 6 s'inspire du rapport de notre collègue Jean Bacci sur l'Office français de la biodiversité (OFB) et vise à encourager, en cas d'infraction ayant causé un faible préjudice environnemental ou de primo-infraction, une suite administrative plutôt que judiciaire. Cette mesure s'inscrit dans la dynamique d'un travail mené par notre ministre au niveau réglementaire, voire par circulaire. Il s'agit de mettre en place un contrôle administratif unique annuel des exploitations agricoles ainsi que de privilégier le dialogue et, le cas échéant, les mesures administratives, plutôt que des poursuites faisant intervenir le procureur de la République, avec des peines encourues très élevées.

Je partage cette ambition et proposerai un amendement de rédaction globale, fruit de consultations menées la semaine dernière, qui me semble de nature à accompagner et à amplifier le mouvement engagé au niveau réglementaire par le Gouvernement, dans la continuité de la volonté des auteurs du texte.

Pour terminer, je tiens à remercier les auteurs de cette proposition de loi ainsi que Vincent Louault, qui a assisté à plusieurs auditions, avec lesquels j'ai travaillé étroitement.

Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé les dispositions relatives aux produits phytopharmaceutiques, aux conditions de vente et d'utilisation de ces produits, aux procédures d'autorisation de leur mise sur le marché ; aux activités de conseil à destination des actifs agricoles, y compris sur l'utilisation des produits phytopharmaceutiques ; aux procédures relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement et aux autorisations environnementales ; aux procédures permettant de contester une évaluation de perte de récolte ou de culture dans le cadre de la mise en oeuvre de contrats d'assurance récolte ; aux dispositions relatives à la hiérarchie des usages de l'eau, à la gestion de l'eau et aux documents de planification de gestion de la ressource ; à la définition des zones humides ; à la composition des comités de bassin ; aux activités de police de l'environnement et aux contrôles des exploitations agricoles.

Il en est ainsi décidé.

M. Laurent Duplomb, auteur de la proposition de loi. - Il faut rappeler le point de départ de ce texte et revenir sur la chronologie de notre travail, pour éviter les critiques qui consisteraient à dire que nous nous sommes contentés d'écouter certains lobbys.

En 2018, j'ai écrit un rapport qui démontrait le déclin de la ferme France. À ce moment-là, j'évoquais les risques d'une politique conduisant à la montée en gamme de notre production : diminution de notre souveraineté alimentaire et ouverture grandissante aux importations. En 2019, j'estimais à 1,5 le nombre de jours pendant lesquels les Français ne consommaient que des produits importés. En 2024, ce chiffre s'élève à 2,15. La réalité de ce déclin s'explique à 70 % par notre manque de compétitivité.

En 2021 et 2022, pour comprendre les problèmes rencontrés par les filières et le déclin lié au manque de compétitivité, je me suis intéressé, avec les sénateurs Pierre Louault et Serge Mérillou, à cinq produits emblématiques de la consommation française : la pomme, la tomate, le poulet, le lait et le blé. Ces travaux ont démontré que les filières concernées étaient de plus en plus confrontées à des impasses techniques tendant à les empêcher de produire et, surtout, à une multitude de surtranspositions et d'injonctions contradictoires.

Notre rapport a donné lieu à la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, très majoritairement votée au Sénat en mai 2023.

Pendant les manifestations de 2024, les agriculteurs ont mis à l'envers les panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération pour dire que l'on marche sur la tête. Ils ont mis au grand jour les injonctions que nous avions dénoncées, nous amenant à écrire en une nuit une proposition de loi tendant à répondre à la crise agricole, comprenant 42 mesures dont les deux tiers, selon le Premier ministre, pouvaient être reprises. Malheureusement, pas grand-chose ne s'est réalisé.

Aujourd'hui, en parallèle du projet de loi d'orientation agricole pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA), qui fait abstraction de certains irritants, il semblait important de déposer cette proposition de loi, cosignée par 186 sénateurs et soutenue par une grande majorité de notre assemblée, parce qu'elle est en lien avec les territoires et avec ce que disent les agriculteurs. En effet, nous avons amené la France à surtransposer des règles européennes qui contraignent notre agriculture, tout en fermant les yeux sur les produits importés et en continuant de signer des accords de libre-échange. Si nous poursuivons ainsi, nous allons droit dans le mur.

Les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur sont aux antipodes de celles pesant sur le reste de la population. Qui accepterait d'investir autant ? Qui accepterait de voir sa récolte disparaître du jour au lendemain ? Qui accepterait de travailler autant pour une rémunération si faible ? Malgré les valeurs de ce métier, on continue de le contraindre. Nous allons faire disparaître les agriculteurs pour ne pas consommer certaines molécules, que nous retrouverons de plus en plus dans les produits importés. Qui peut accepter cette injonction contradictoire, alors que 80 % des Français aiment leurs paysans et les territoires que ces derniers façonnent depuis des générations ?

Il faut cesser de tergiverser et de brandir des totems. Des filières disparaissent, comme celles de la noisette et du kiwi. Nous sommes à la croisée des chemins et j'en appelle à un sursaut. Les agriculteurs n'accepteront plus longtemps que nous poursuivions dans la même logique. Nous devons conserver notre alimentation historique et emblématique, ainsi que les valeurs de travail dont les agriculteurs sont porteurs, pour faire perdurer une France forte, agricole et fière de ses agriculteurs.

M. Franck Menonville, auteur de la proposition de loi. - Ce texte est particulièrement attendu dans nos territoires par nos agriculteurs. Nous avons une occasion unique de passer de la parole aux actes.

Le travail d'investigation sur l'érosion de la ferme France a commencé en 2015 avec une proposition de loi de notre ancien collègue Jean-Claude Lenoir. Malheureusement, le mouvement à l'oeuvre s'est encore accentué depuis. Il n'est d'ailleurs pas propre à l'agriculture et touche aussi les domaines de l'industrie et de l'énergie. Il s'agit de reconstruire une logique. Le plus grand mérite de ce texte est de viser à faire correspondre notre agriculture et ses contraintes aux standards des agriculteurs, en matière de produits phytosanitaires, de réglementation, de seuils et de possibilités. Il s'agit de permettre à nos agriculteurs de trouver des solutions au quotidien pour développer une agriculture durable assurant notre souveraineté alimentaire, à armes égales, au niveau intra-européen.

M. Vincent Louault. - Quand Laurent Duplomb et Franck Menonville ont déposé ce texte, j'ai compris que le moment était venu de s'emparer de la question. Cette proposition de loi n'est pas parfaite et sera améliorée, mais elle est très attendue. Elle porte sur des sujets techniques, qui méritent que l'on sorte de l'émotion et de la caricature. Il s'agit aussi de défendre l'innovation française et une certaine vision, pour ne pas être contraints par des règlements qui tuent notre recherche. Cependant, pour prendre de bonnes décisions, les hommes politiques doivent respecter le scientifique.

M. Gérard Lahellec. - Étant fils d'ouvrier agricole et venant de Bretagne, où 65 000 actifs travaillent encore dans le secteur agricole et agroalimentaire, je ne peux être insensible à l'attention ici portée à la production agricole française. Je remercie nos collègues de nous donner l'occasion de regarder ces questions sous l'angle de l'attractivité du métier d'agriculteur.

Dans mon département des Côtes-d'Armor, 48 % des agriculteurs seront en situation de départ à la retraite d'ici à 2030. Dans la filière laitière, nous enregistrons un renouvellement pour trois départs. En un an, la production a diminué de 10 millions de litres de lait. De plus, durant l'année écoulée, le cheptel breton a perdu 120 bovins par jour. La production de volaille a baissé de 10 % et celle de porcs de 8 %. Le déficit de la filière légumière est patent. Dans notre région, où l'élevage est une dominante, les terres se végétalisent, ce pour quoi elles ne sont pas faites. La question à laquelle nous devons répondre aujourd'hui est la suivante : réglera-t-on nos problèmes en intensifiant notre productivité ?

Dans ce contexte, l'addition de normes ne peut que provoquer de l'exaspération et renforcer la colère. Cependant, adoptons une approche raisonnable de la portée de notre exercice : s'attaquer aux normes ne suffira pas à résoudre nos problèmes.

Notre région accueille l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement Bretagne-Normandie. Il abrite plus de 1 000 chercheurs, parmi les plus réputés d'Europe, qui ne veulent aucun mal aux agriculteurs. Au contraire, leurs recherches sont grandement utiles pour éviter de faire de mauvais choix. Je pense notamment aux agriculteurs victimes de maladies professionnelles.

Pour renforcer l'attractivité du métier, il ne suffira pas de remettre en cause les normes. Il nous faut adopter une approche scientifique de ces questions ; les compétences sont disponibles pour nous recommander la marche à suivre.

M. Daniel Salmon. - Nous sommes dans une opposition frontale sur cette proposition de loi, qui constitue une fuite en avant et vise à perpétuer un modèle dont nous connaissons le résultat : perte colossale du nombre d'agriculteurs, siphonnage de la population du monde rural et effondrement de la biodiversité. Lever les entraves, certes, mais pour courir où ?

Le texte est contradictoire : il tend à vouloir protéger les agriculteurs de la mondialisation et de la concurrence déloyale, mais s'inscrit dans la recherche de compétitivité à tout-va qui a conduit aux résultats que je viens d'évoquer. Il faut mettre un terme à cette fuite en avant.

Vous dites que les agriculteurs n'utilisent pas de pesticides par plaisir. Il ne s'agit pas non plus pour nous d'interdire les pesticides par plaisir, mais en raison de constats objectifs et d'analyses, qui montrent bien que notre modèle n'est ni soutenable ni durable, et menace la santé humaine. Les articles de cette proposition de loi semblent aller contre la science. J'ai déposé une motion tendant à opposer une exception d'irrecevabilité, que nous étudierons en séance, puisque l'article 2 contrevient au droit de l'Union européenne.

L'article 4 est le seul qui soit entendable. Il porte sur la contestation des pertes agricoles. En revanche, nous proposerons des amendements de suppression pour chacun des cinq autres articles. Ce texte vise à prôner le facultatif en tout. Certes, les agriculteurs ne sont pas des délinquants, mais certains peuvent outrepasser la loi. Il faut des gendarmes de l'environnement, qui sont les agents de l'OFB et qui sont aujourd'hui attaqués, alors que le Sénat défend souvent l'autorité et l'ordre. À cet égard, je rappelle que seules 3 000 fermes ont été contrôlées sur l'année. Les attaques frontales contre l'Office sont contreproductives et inquiétantes.

M. Jean-Claude Tissot. - Ce texte représente un terrible retour en arrière. Alors que notre agriculture aurait besoin d'une vision de long terme pour entamer son indispensable évolution agroécologique, les auteurs font le choix du recul et du repli, en revenant sur des avancées difficilement obtenues. Votre vision des organismes du monde agricole et vos mesures ciblant l'Anses, l'OFB ou les comités de bassin sont très inquiétantes. Elles ont pour objectif de limiter l'action de ces entités, pour laisser la voie libre à la seule agriculture productiviste.

La même approche est privilégiée pour le domaine de l'eau, dans lequel de grandes notions sont développées de manière dogmatique, alors que cette ressource de plus en plus rare nécessite davantage de concertations et d'échanges permettant de réfléchir à ses usages.

Enfin, les mesures concernant les produits phytopharmaceutiques ne sont pas acceptables d'un point de vue sanitaire et environnemental. Vous ouvrez la porte à de terribles abus et empêchez toute évolution de notre agriculture. Ce sont les agriculteurs, dont j'étais, qui en paieront le prix, en matière de santé et de qualité des sols.

Pour ces raisons, nous avons déposé des amendements de suppression portant sur cinq des six articles. Seule notre position de vote sur l'article 4 reste ouverte.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je voudrais revenir à la loi Egalim, que j'ai présentée en 2018. Nous sortions alors des États généraux de l'alimentation et des conférences citoyennes, dont les objectifs ont été traduits dans la loi par des expérimentations. Il s'agissait d'objectifs franco-français et, dans un contexte pré-covid et pré-inflation, nous avons omis de prendre en considération ce qui se passait ailleurs et l'impact à long terme des mesures. Il faut avoir le courage d'évaluer l'impact de ces dispositions et de revenir sur certaines idées.

Quel est le constat, six ans après l'adoption de cette loi ? Les importations ont explosé et les Français consomment les substances dont on voudrait les préserver, dans les produits importés. Nous sommes seulement parvenus à détériorer la compétitivité. Les agriculteurs sont des gens responsables et utilisent avec parcimonie des substances dont ils connaissent les effets. Je rappelle ce principe : pas d'interdiction sans solution. La France n'est pas une île et nous sommes en compétition. Nous avons plus intérêt à accompagner nos agriculteurs dans l'amélioration de leurs pratiques que de les sanctionner.

M. Henri Cabanel. - On voit bien le clivage droite-gauche se dessiner sur cette question et je vais tenter de garder mon bon sens paysan, qui consiste à résoudre les problèmes de manière simple et efficace.

La souveraineté alimentaire nécessite de répondre au marché et je me demande si toutes les filières agricoles que nous défendons le font, notamment celle de la volaille.

Nous avons suffisamment de recul pour évaluer l'efficacité des mesures déjà prises. En ce qui concerne les remises, rabais et ristournes, j'irai dans le sens du rapporteur : les agriculteurs n'emploient pas ces produits phytosanitaires par plaisir. De plus, on ne peut pas nier les efforts qu'ils fournissent depuis une décennie pour utiliser moins d'intrants.

Par ailleurs, la séparation des activités de conseil et de vente des produits phytosanitaires ne fonctionne pas. Les fournisseurs de ces produits ont compris la volonté des politiques en matière de baisse des intrants. Ils ont intégré dans leur activité des conseils particuliers aux agriculteurs pour les accompagner, ce qui a été assez efficace.

J'en viens aux seuils pour les procédures environnementales sur les poulaillers. Nous sommes tous opposés à la surtransposition. Mais alors qu'un poulet sur deux est importé, si nous ne produisons pas de poulets d'entrée de gamme, nous laisserons le marché à d'autres. Il s'agit d'une question stratégique et il semble possible de répondre aux normes environnementales, tout en relevant les seuils.

Il faut trouver les moyens de faire des retenues d'eau. Cependant, il faudra de la réciprocité et une reconstitution des sols en carbone, qui permettra à l'irrigation d'être efficace. Sur du sable et dans des zones quasi désertiques, cela ne fonctionnera pas.

Toutefois, certaines décisions franchissent la ligne rouge, notamment au travers de l'article consistant à donner au ministre de l'agriculture le dernier mot, par rapport à l'Anses. Il s'agit d'opposer une volonté politique à une volonté scientifique, ce qui va trop loin.

En ce qui concerne les néonicotinoïdes, je préférerais prévoir des dérogations, notamment pour des filières telles que celle de la noisette, plutôt que d'ouvrir les vannes.

Je ne suis pas contre cette proposition de loi, mais ne suis pas tout à fait pour toutes les mesures prévues.

M. Yannick Jadot. - Nous avons besoin de ce débat ; la question démocratique constitue un enjeu essentiel de la souveraineté alimentaire.

Dans les années 1990, je travaillais avec le ministère de l'agriculture au moment de la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). La France avait créé un groupe international sur la multifonctionnalité de l'agriculture, parce que celle-ci recouvre des enjeux en termes de production, mais aussi d'aménagement des territoires, de sécurité alimentaire, d'entretien des paysages ou de protection de l'environnement. Il s'agissait de défendre cette idée dans la négociation internationale et de préserver un modèle agricole, de le protéger d'agricultures qui ne respectaient rien. Ensuite, le ministère a continué de se positionner en faveur de la multifonctionnalité sur la scène internationale, mais a souhaité mettre en place des restitutions aux exportations. Il s'agissait donc de refuser les importations, mais de subventionner les exportations ; le positionnement de la France sur la multifonctionnalité s'est alors effondré. Il nous faut résoudre cette contradiction.

À l'époque, je me suis battu pour garder les quotas laitiers et le protocole « sucre » quand certains pensaient qu'il fallait les supprimer pour gagner de la compétitivité internationale. Peut-on vraiment gagner en la matière sur le sucre face aux Brésiliens ? Je ne le crois pas. Notre compétitivité se joue sur la valeur ajoutée. Les coûts du travail en Europe seront toujours plus élevés qu'au Brésil, ce qui est du reste une bonne nouvelle.

Notre débat doit reposer sur des réalités. J'entends le débat sur la surtransposition mais, au sein de l'UE, nous ne sommes pas parmi les pays qui autorisent le moins de molécules, nous sommes dans la moyenne haute.

Il nous faut répondre à la question du revenu autrement qu'en faisant de la biodiversité, de la science et de la santé des variables d'ajustement. Nous, écologistes, devons mieux intégrer les difficultés de la transition. Le problème fondamental reste le revenu : des petits paysans ne touchent que 600 ou 700 euros par mois. Pourquoi tant de camions continuent de venir de plateformes à l'étranger et contournent la loi Egalim ? Pourquoi laisse-t-on autant l'agroalimentaire et l'agro-industrie imposer leurs prix ?

L'expérience conduite à Chizé a réuni 150 agriculteurs, qui ont réduit leur usage de pesticides de 50 % ; ils ont gagné en moyenne 20 000 euros de revenu parce qu'ils n'ont pas perdu en rendement et ont économisé sur les intrants. Nous devrions pouvoir en débattre sereinement pour avancer.

M. Pierre Médevielle. - Les discussions récentes sur le Mercosur ont montré les limites de la surtransposition française. Nous devons nous aligner le plus rapidement possible sur la législation européenne et les discussions en seront facilitées.

En ce qui concerne la santé, un sujet qui m'intéresse particulièrement, nous avons dérapé et fait la part trop belle aux marchands de peur. Certes, il y a eu des scandales sanitaires, mais nous avançons dans le bon sens. L'Anses, qui est parfois décriée, a mis en place un système calqué sur la pharmacologie humaine, qui prévoit des alertes et fonctionne bien. Il faut continuer d'avancer ainsi.

Les produits phytosanitaires ont mauvaise réputation, mais c'est la question du dosage qui pose problème. Le retour à une agriculture d'antan ne peut pas fonctionner ; c'est de l'idéologie pure.

M. Frédéric Buval. - J'ai entendu dire que la France n'était pas une île, mais la Martinique, qui subit depuis longtemps le scandale de la chlordécone, est bien une île, et c'est la France. Ce produit, déjà interdit aux États-Unis depuis vingt ans, a été utilisé pour lutter contre le charançon du bananier parce que des dérogations ont été accordées par plusieurs gouvernements successifs.

Les études médicales ont montré que l'explosion du nombre de cancers de la prostate à la Martinique est due à l'utilisation du produit. De plus, le traitement des bananeraies par voie aérienne a entraîné une exposition massive de la population, d'autant que les alizés balaient sans cesse. Toute la Martinique est affectée. Quand la chlordécone est utilisée, elle reste dans le sol pendant des siècles. Des bébés naissent malformés à cause de ce produit. Je m'abstiendrai ou voterai contre cette proposition de loi.

Mme Marie-Lise Housseau. - Globalement, j'adhère au texte, qui apporte des réponses attendues, notamment en ce qui concerne l'autorisation de certains produits actuellement autorisés en Europe.

Pour le stockage de l'eau, le texte précise qu'il doit concerner des projets présentant un intérêt général majeur. Il faut répondre aux attentes en la matière, à moins de condamner une partie de l'agriculture, notamment dans le Sud-Ouest. Je suis sénatrice du Tarn, département dans lequel j'ai dirigé la chambre d'agriculture.

En ce qui concerne les relations avec l'administration, les agriculteurs sont tétanisés par les contrôles, même si on peut trouver que ces derniers ne sont pas assez nombreux. Certains agents de l'OFB se comportent comme des « cowboys » et versent dans l'abus de pouvoir.

Je suis plus réticente sur l'article 1er et sur le fait de revenir sur la séparation du conseil et de la vente, pour redonner aux techniciens des coopératives agricoles la possibilité de se charger du conseil. Il faut continuer d'offrir aux agriculteurs un conseil indépendant. Il serait aussi dommage que le conseil ne soit plus obligatoire.

M. Franck Montaugé. - On peut être d'accord sur les constats sans approuver intégralement les solutions proposées. Il me semble que le sujet fondamental est d'inscrire l'agriculture française dans le cadre de la transition écologique et énergétique, ce qui vaut du reste pour tous les domaines de la vie économique et sociale du pays.

En 2014, à l'occasion de la discussion sur la loi d'avenir agricole engageant notre agriculture dans le développement durable, la notion de « triple performance » - économique, sociale et environnementale - avait été conceptualisée. Poursuivre dans cette direction correspond au sens de l'histoire. Toutefois, il faut le faire en tenant compte des difficultés rencontrées par de nombreux agriculteurs.

Les questions fondamentales sont celles du revenu, d'une part, et du soutien et de l'accompagnement à la production dans le cadre de stratégies de filières actualisées et adaptées, d'autre part. Je pense notamment à la filière du vin, engagée dans une réflexion pour reconsidérer la manière dont elle travaille afin de répondre au marché.

Le projet de loi d'orientation agricole que nous devons examiner ne contient aucune orientation. Il nous faut approfondir celle que nous avons dessinée en 2014, en étant pragmatiques. Tant que nous ne trouverons pas de mécanismes adaptés pour soutenir les revenus et accompagner les agriculteurs de certaines filières, nous ne résoudrons pas nos problèmes.

M. Daniel Gremillet. - Ce texte nous permet d'avoir un débat. La réalité nous rattrape, comme elle l'a fait sur la loi Egalim, et il nous faut prendre conscience du fait que nous perdons lentement pied.

L'agriculture travaille en vue de répondre à une attente sociétale de marché. Nos concitoyens, au travers de leurs achats, donnent parfois tort au législateur, puisqu'une partie de ceux-ci ne correspondent plus au modèle dans le cadre duquel nous produisons.

Nous avons évoqué la ligne politique et la ligne scientifique ; chacun doit rester sur la sienne. Inspirons-nous de ce qui se pratique en médecine : on n'arrête pas d'utiliser un médicament qui sauve des vies parce qu'il a des effets secondaires. Il s'agit d'un équilibre. Si nous ne prenons pas les bonnes décisions, des pans entiers de l'histoire paysanne et de nos territoires vont disparaître.

Mme Micheline Jacques. - Il faut faire confiance aux agriculteurs. Nous édictons des règles sans donner de marge de manoeuvre à ceux qui sont sur le terrain, en infantilisant nos concitoyens.

Savez-vous que la banane du Costa Rica, vendue sous le label agriculture biologique dans tous les supermarchés hexagonaux, est bien plus toxique que la banane produite dans les territoires ultramarins et ne disposant pas de ce label ? Je vous invite à regarder comment le Costa Rica utilise la chlordécone. Nous sommes en train d'asphyxier notre agriculture, alors que nous ouvrons nos portes à une agriculture qui n'est pas vertueuse.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Il ne doit pas y avoir de clivage droite-gauche sur le sujet de l'avenir de notre agriculture, de notre alimentation et de notre indépendance. Tout le monde utilise le mot « souveraineté », mais il faut déjà s'inquiéter de l'autonomie nécessaire à notre survie.

Tout le monde est d'accord sur la compétitivité : un agriculteur ne peut produire que s'il a de quoi nourrir sa famille et se développer.

L'agriculture est une chance pour notre pays et pour l'Europe. La seule politique intégrée au niveau européen, ou presque, porte sur ce domaine. Il y a plus de quinze ans, le secteur agricole rapportait plus de 11 milliards d'euros dans la balance commerciale. Aujourd'hui, sans les vins et spiritueux, la balance est négative, ce qui signifie que nous ne représentons plus rien. Nous avons besoin de produire pour exporter, mais aussi pour être moins dépendants et vulnérables par rapport au reste du monde.

Il n'y a pas de « petits paysans » ni de « petites exploitations », mais une agriculture diverse et variée.

Enfin, je souhaiterais que nous puissions évacuer le mot « pesticide » de notre vocabulaire. En effet, ce terme n'existe pas en droit communautaire, hormis en anglais. Nous utilisons des « produits phytopharmaceutiques », consacrés à l'entretien, au développement et à la santé des plantes.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er 

Les amendements identiques de suppression COM-2 et COM-7 ne sont pas adoptés.

Les amendements rédactionnels COM-28 et COM-29 sont adoptés.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Il faut accepter de revenir sur des réformes quand elles n'ont pas produit les effets escomptés. Cependant, on ne saurait se contenter d'une suppression sèche de la séparation entre vente et conseil. L'amendement COM-27 vise à esquisser les contours d'un « conseil stratégique global », qui serait facultatif.

L'amendement COM-27 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

Les amendements identiques de suppression COM-3 et COM-8 ne sont pas adoptés.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Les amendements identiques COM-33 et COM-24 rectifié visent à sécuriser juridiquement les dispositions de l'article 2 relatives aux pouvoirs du ministre chargé de l'agriculture en ce qui concerne l'Anses.

Les amendements identiques COM-33 et COM-24 rectifié sont adoptés. En conséquence, l'amendement COM-13 rectifié devient sans objet.

M. Vincent Louault. - L'amendement COM-14 rectifié vise à permettre au ministre de l'agriculture de saisir le comité de suivi des autorisations de mise sur le marché (AMM), pour demander un rapport afin de mieux évaluer les risques sanitaires et environnementaux, par rapport aux risques de distorsion de concurrence.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Le comité de suivi n'a ni la capacité, ni les moyens, ni l'expertise de produire des rapports complets et détaillés. Ce n'est pas sa vocation. Avis défavorable.

L'amendement COM-14 rectifié est retiré.

M. Vincent Louault. - L'amendement COM-18 rectifié vise à créer une possibilité pour le comité d'évaluation des AMM, dans lequel la profession des agriculteurs est bien représentée, de saisir le directeur général de l'Anses.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Le rôle du comité d'évaluation des AMM est de rendre des avis sur les conditions de mise en oeuvre des AMM, pas d'en solliciter. De plus, un autre amendement de Vincent Louault prévoit une évolution intéressante du comité. Avis défavorable.

L'amendement COM-18 rectifié est retiré.

M. Vincent Louault. - Je retire l'amendement d'appel COM-19 rectifié, qui vise à interdire à l'Anses de surtransposer des décisions européennes.

L'amendement COM-19 rectifié est retiré.

M. Vincent Louault. - L'amendement COM-20 rectifié tend à préciser la nécessité pour l'Anses d'encourager l'innovation et la création de solutions alternatives, notamment par l'émergence de technologies nouvelles qui pourront contribuer à l'adaptation au changement climatique. Il serait souhaitable que l'Anses se saisisse des questions de biocontrôle.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Ce n'est pas le rôle de l'Anses, mais des instituts comme l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), ou encore les instituts techniques agricoles. Avis défavorable.

L'amendement COM-20 rectifié est adopté.

M. Vincent Louault. - L'amendement COM-21 rectifié vise à transférer à l'Anses la compétence en matière d'AMM et d'expérimentations relatives aux macro-organismes non indigènes, sur la base d'une analyse du risque incluant l'impact sur la biodiversité que cet organisme peut avoir. L'utilisation de biocontrôle à base d'insectes entraîne une suspicion d'atteinte à la biodiversité. Or, la technique des insectes stériles est prometteuse. De nombreuses solutions de ce type vont émerger ; il faudra pouvoir statuer.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - L'utilisation d'insectes stériles semble constituer une voie d'avenir pour lutter contre certains nuisibles. Je pense notamment à la lutte contre la drosophila suzukii. Un programme financé par le Parsada est d'ailleurs en cours de création.

Je suis donc sensible à cet amendement, que je vous invite à retirer et à redéposer en vue de la séance publique. En effet, il faudrait que nous ayons le temps d'échanger avec le ministère sur la question.

L'amendement COM-21 rectifié est retiré.

M. Vincent Louault. - L'amendement COM-25 rectifié prévoit que le comité de suivi des AMM puisse s'autosaisir.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Avis favorable.

L'amendement COM-25 rectifié est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

Les amendements identiques de suppression COM-4 et COM-9 ne sont pas adoptés.

L'amendement COM-30 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-22 rectifié devient sans objet.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - L'amendement COM-32 vise à acter le relèvement possible des seuils de la procédure d'enregistrement, en cohérence avec la révision de la directive IED. L'objectif est de faciliter la création, l'extension ou le regroupement des élevages.

L'amendement COM-32 est adopté.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - La possibilité pour le préfet de procéder, au cas par cas, au basculement des projets de la procédure d'enregistrement vers la procédure d'autorisation correspond à une exigence de la directive 2011/92/UE concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, dite « directive EIE ».

L'amendement COM-31 vise à encadrer les motifs à partir desquels le préfet peut procéder à ce basculement, sans revenir sur le principe même de cette possibilité. En effet, l'autorisation est plus contraignante et par conséquent plus coûteuse, car elle est spécifique à l'exploitation et induit nécessairement une enquête publique allant de pair, depuis la loi relative à l'industrie verte, avec la tenue de deux réunions publiques obligatoires.

L'amendement COM-31 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

L'amendement COM-36 est retiré.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Il faudra discuter du problème de l'assurance en séance.

L'article 4 est adopté sans modification.

Article 5

Les amendements identiques de suppression COM-5 et COM-10 ne sont pas adoptés.

M. Vincent Louault. - L'amendement COM-12 rectifié vise à conférer un caractère cumulatif aux critères relatifs à la définition d'une zone humide. La définition des zones humides rendait cumulatifs les deux critères - pédologique et botanique. Par effet rebond, toutes nos collectivités ayant développé des zones industrielles ont été touchées en raison des obligations de compensation écologique et ont perdu 20 %, 30 % ou 40 % de la surface des zones industrielles créées.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Avis favorable.

L'amendement COM-12 rectifié est adopté. En conséquence, l'amendement COM-23 rectifié devient sans objet.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - L'amendement COM-34 tend à rationaliser la rédaction initiale en insérant, au sein du code de l'environnement, un nouvel article disposant que les projets destinés au stockage et au prélèvement de l'eau sont d'intérêt général majeur. Il s'agit également de sécuriser davantage le dispositif, en faisant explicitement référence à la directive 2000/60/CE établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, qu'il convient de respecter.

L'amendement COM-34 est adopté.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Je demande le retrait de l'amendement COM-15 rectifié, qui renvoie à des interprétations locales des critères relatifs à la définition des cours d'eau.

M. Vincent Louault. - Il y a deux irritants pour les agriculteurs : les zones humides et les cours d'eau. Nous avons besoin d'une définition robuste et fiable.

L'amendement COM-15 rectifié est retiré, de même que l'amendement COM-16 rectifié.

M. Vincent Louault. - L'amendement COM-17 rectifié vise à supprimer l'obligation de transmission des procès-verbaux dressés relatifs aux atteintes à l'environnement aux fédérations départementales concernées, de la pêche ou de la chasse.

Les fédérations transmettent ces procès-verbaux à de nombreuses associations, qui se portent parties civiles et cherchent à négocier avec le procureur. L'agriculteur préfère souvent payer que d'aller au tribunal. Il faut mettre fin à ce système.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Avis défavorable. Je note que la Fédération nationale des chasseurs est opposée à ce changement.

M. Laurent Duplomb. - Il faudra redéposer cet amendement en séance. Ce phénomène pourrait devenir de plus en plus pénalisant pour l'agriculture.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - La mesure est un peu radicale ; on peut la retravailler.

M. Vincent Louault. - La mesure est un peu radicale parce que les choses sont ainsi écrites dans le texte ; il faut du pragmatisme !

L'amendement COM-17 rectifié est retiré.

L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 6

Les amendements identiques de suppression COM-6 et COM-11 ne sont pas adoptés.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Après avoir échangé avec l'OFB et ses tutelles, j'en suis venu à la conclusion qu'il pourrait être opportun d'inscrire dans la loi le principe du contrôle administratif annuel unique des exploitations agricoles, dans le cadre de la mission interservices agricole, récemment instituée par une circulaire de novembre 2024.

En outre, l'amendement COM-35 vise à préciser, conformément à l'intention initiale des auteurs, que la mission a également pour finalité de privilégier la remise en état aux autres sanctions.

Le sous-amendement COM-26 est adopté.

L'amendement COM-35, ainsi sous-amendé, est adopté.

L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :

Article 1er

Auteur

N° 

Objet

Sort de l'amendement

M. TISSOT

2

Suppression de l'article

Rejeté

M. SALMON

7

Suppression de l'article

Rejeté

M. CUYPERS, rapporteur

28

Amendement rédactionnel

Adopté

M. CUYPERS, rapporteur

29

Amendement rédactionnel

Adopté

M. CUYPERS, rapporteur

27

Création d'un conseil stratégique global facultatif, dont le conseil stratégique phytosanitaire serait une déclinaison, facultative aussi

Adopté

Article 2

M. TISSOT

3

Suppression de l'article

Rejeté

M. SALMON

8

Suppression de l'article

Rejeté

M. CUYPERS, rapporteur

33

Pouvoir d'évocation du ministre chargé de l'agriculture en matière d'autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques

Adopté

M. Vincent LOUAULT

24 rect.

Pouvoir d'évocation du ministre chargé de l'agriculture en matière d'autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques

Adopté

M. Vincent LOUAULT

13 rect.

Signature conjointe des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement préalablement à des avis portant sur une demande de réévaluation européenne d'une molécule

Satisfait ou sans objet

M. Vincent LOUAULT

14 rect.

Mécanisme de saisine du comité de suivi des autorisations de mise sur le marché en cas de décision de l'Anses présentant un risque avéré de distorsion de concurrence 

Retiré

M. Vincent LOUAULT

18 rect.

Possibilité pour le comité de suivi des AMM de saisir le directeur général de l'Anses

Retiré

M. Vincent LOUAULT

19 rect.

Interdiction faite à l'Anses de surtransposer des décisions européennes

Retiré

Auteur

N° 

Objet

Sort de l'amendement

M. Vincent LOUAULT

20 rect.

Ajout d'une mission à l'Anses relative à l'innovation 

Adopté

M. Vincent LOUAULT

21 rect.

Transfert à l'Anses de la compétence relative à la délivrance d'AMM et d'autorisations d'expérimentations en matière de macro-organisme non indigène utile aux végétaux

Retiré

M. Vincent LOUAULT

25 rect.

Capacité d'autosaisine du comité de suivi des AMM

Adopté

Article 3

M. TISSOT

4

Suppression de l'article

Rejeté

M. SALMON

9

Suppression de l'article

Rejeté

M. CUYPERS, rapporteur

30

Possibilité de transformer les réunions publiques en une simple permanence en mairie pour tout projet soumis à autorisation environnementale

Adopté

M. Vincent LOUAULT

22 rect.

Remplacement de la consultation du public par une simple information de ce dernier pour les projets qualifiés d'intérêt général (PIG) et opérations d'intérêt national (OIN)

Satisfait ou sans objet

M. CUYPERS, rapporteur

32

Report du relèvement des seuils d'animaux à l'entrée en vigueur de la révision de la directive IED

Adopté

M. CUYPERS, rapporteur

31

Encadrement de la possibilité pour le préfet de basculer des projets de l'enregistrement à l'autorisation dans le cadre des ICPE

Adopté

Article 4

M. GREMILLET

36

Automaticité de l'enquête de terrain

Retiré

Article 5

M. TISSOT

5

Suppression de l'article

Rejeté

M. SALMON

10

Suppression de l'article

Rejeté

M. Vincent LOUAULT

12 rect.

Caractère cumulatif des critères relatifs à la définition d'une zone humide 

Adopté

M. Vincent LOUAULT

23 rect.

Caractère cumulatif des critères relatifs à la définition d'une zone humide 

Satisfait ou sans objet

M. CUYPERS, rapporteur

34

Intérêt général majeur des ouvrages de prélèvement et de stockage d'eau aux fins agricoles

Adopté

M. Vincent LOUAULT

15 rect.

Critères permettant la caractérisation d'un cours d'eau

Retiré

M. Vincent LOUAULT

16 rect.

Caractère cumulatif des critères permettant la caractérisation d'un cours d'eau

Retiré

M. Vincent LOUAULT

17 rect.

Suppression de la transmission aux fédérations départementales de pêche et de chasse des procès-verbaux dressés dans leur domaine de compétence

Retiré

Article 6

Auteur

N° 

Objet

Sort de l'amendement

M. TISSOT

6

Suppression de l'article

Rejeté

M. SALMON

11

Suppression de l'article

Rejeté

M. CUYPERS, rapporteur

35

Création d'une mission interservices agricole

Adopté

M. DUPLOMB

26

Transmission du procès-verbal des inspecteurs de l'environnement à leur autorité hiérarchique 

Adopté

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