C. LA POURSUITE DE LA TERRITORIALISATION DE LA CNDA

1. Un budget maîtrisé à l'aune d'une pression contentieuse toujours plus soutenue
a) Une dynamique d'augmentation du contentieux devant la CNDA, confirmée par l'année 2023

La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ne dispose d'aucun pouvoir d'autorégulation de son activité juridictionnelle, celle-ci étant la conséquence mécanique, d'une part, du nombre fluctuant de demandeurs d'asile qui se présentent en France selon les événements géopolitiques mondiaux, et, d'autre part du rythme d'activité et du taux d'admission de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), dont la CNDA est juge en premier et dernier ressort et pour lequel le taux de recours est élevé, puisque 81 % des décisions de l'OFPRA ont fait l'objet d'un recours en 2022.

L'augmentation du nombre d'affaires entrantes s'inscrit dans une tendance durable depuis 2008. La Cour a ainsi triplé sa capacité de jugement en 10 ans, période pendant laquelle les affaires entrantes ont crû de 115 %. En effet, la CNDA est confrontée année après année à une hausse soutenue du contentieux de l'asile : de 2009 à 2019, la progression du contentieux s'est élevée à près de 140 %.

Après une année 2020 marquée par le confinement lié à la crise sanitaire et une évolution des entrées non significative (- 37 %), les entrées pour 2021 ont dépassé le niveau de 2019, année ayant enregistré un pic historique (+ 15,5 % par rapport à 2019).

Après une année 2022 marquée par une baisse du nombre d'entrées (- 10 %), l'année 2023 a fait l'objet d'un rebond du nombre de saisines (+ 5 %), qui s'est élevé à 64 685. Si le nombre d'affaires enregistrées n'a pas retrouvé son niveau de 2021, les entrées sont toujours dynamiques et supérieures de 9,5 % au niveau constaté en 2019.

Évolution du nombre d'affaires enregistrées par la CNDA

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

b) Une hausse des dépenses de fonctionnement, mais un manque de lisibilité sur le montant des crédits hors titre 2 affectés à la CNDA

L'action 07 « Cour nationale du droit d'asile » finance les dépenses de titre 2 de cette juridiction. Elles s'élèvent pour 2025 à 52 ,1 millions d'euros, soit une hausse de 5 % par rapport à 2024.

L'accroissement considérable du contentieux de l'asile a par le passé entraîné une augmentation régulière du plafond d'emplois du programme 165 afin de faire face au nombre de requêtes déposées devant la CNDA. Celle-ci a bénéficié de 90 % des créations d'emplois du programme 165 entre 2015 et 2020. Toutefois, aucune création d'emploi de magistrats ou d'agents n'a été accordée depuis 2021 à la CNDA, et ce sera de nouveau le cas en 2025.

S'agissant des dépenses de fonctionnement, qui sont imputées à l'action 06 Soutien, les moyens alloués à la Cour sont fixés dans le cadre de la gestion interne au Conseil d'État, et ne sont pas précisément détaillées dans les documents budgétaires. Cette situation est regrettable, compte tenu du poids que représente les dépenses de la CNDA dans les crédits du de la mission « Conseil et contrôle de l'État », à savoir plus de 10 % du budget total3(*).

D'après les informations transmises par la CNDA au questionnaire du rapporteur spécial, les crédits de fonctionnement affectés à la Cour devraient s'élever à 19,2 millions d'euros en 2024, d'après la dernière actualisation, contre 19 millions d'euros en 2023. Comme l'a souligné le rapporteur spécial dans son rapport sur la CNDA présenté à la commission des finances le 15 mai 2024, il serait souhaitable « de détailler toutes les dépenses allouées à la CNDA dans le projet annuel de performances du programme 165 "Conseil d'État et autres juridictions administratives" »4(*), et d'envisager à terme la création d'une action spécifique.

Par ailleurs, aucun crédit de titre 5 n'est affecté à la CNDA, mais celle-ci bénéficie tout de même des prestations des services centraux du Conseil d'État (direction de l'équipement, informatique, paiement des indemnités des collaborateurs, des frais de déplacement et formation professionnelle).

2. Des délais moyens de jugement en baisse mais toujours en deçà des objectifs fixés par le Législateur

Les moyens accordés à la CNDA sur tout le quinquennat précédent ont permis de renforcer ses capacités de jugement, avec un nombre de décisions jugées par la Cour qui est passé de 42 045 en 2020 à 67 147 en 2022. Toutefois, les délais de jugement et les stocks demeurent importants.

a) La poursuite de la maîtrise des délais de jugement et d'assainissement des stocks

Le principal enjeu de la Cour réside toujours dans la poursuite de la mise en oeuvre de la réforme du droit d'asile résultant des lois n° 2015-925 du 29 juillet 20155(*) et n° 2018-778 du 10 septembre 20186(*). Celle-ci a instauré des délais de jugement selon le type de procédure, qui ne doivent pas dépasser cinq mois pour les procédures ordinaires et cinq semaines pour les procédures accélérées.

Si le délai moyen de jugement de la CNDA s'est amélioré, force est de constater que le délai pour les procédures accélérées, qui s'élève à 4 mois et 29 jours en 2023, est toujours bien loin de l'objectif de 5 semaines fixé par le législateur. La réduction de ce délai de l'ordre de 15 semaines à échéance 3 ans semble donc assez irréaliste, comme cela a déjà été relevé par le rapporteur spécial.

b) Certaines dispositions de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration devraient permettre de réduire les délais de jugement de la CNDA

La loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, a introduit deux mesures qui pourraient être de nature à avoir des effets baissiers sur les délais de jugement.

Tout d'abord, la généralisation du recours au juge unique, sauf lorsqu'une question justifie un renvoi en formation collégiale, afin de rapprocher le juge des demandeurs et de réduire les délais de jugement7(*).

Par ailleurs, la loi du 26 janvier 2024 a acté la création de chambres territoriales de la CNDA, engagée dès l'année 2024 avec la mise en service de 5 premières chambres à Bordeaux, Lyon8(*), Nancy et Toulouse. La territorialisation de la CNDA devrait permettre d'améliorer légèrement les délais de jugement de la Cour en limitant le nombre de renvois grâce à une plus grande proximité des demandeurs et de la juridiction. Elle permettra également de limiter la concentration d'un grand nombre d'affaires auprès d'un nombre limité d'avocats, ce qui allonge sensiblement les délais d'audiencement des dossiers devant la Cour.

Cette réforme implique un surcoût budgétaire qui, d'après les réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial, devrait toutefois avoir un impact limité sur le budget de la CNDA. La territorialisation implique tout d'abord un coût d'aménagement des locaux préexistants, estimé à 1 million d'euros environ. Par ailleurs, comme le rapporteur spécial l'avait identifié dans son rapport précité sur la CNDA de mai 2024, la mobilisation d'interprètes au niveau territorial implique un surcoût, qui avait été estimé par les services de la CNDA à 1 million d'euros. En effet, dans le marché actuel, les interprètes qui interviennent en région bénéficient, d'une part, d'une rémunération supérieure de 25 % à celle des interprètes qui interviennent à Montreuil, et, d'autre part, du remboursement de leurs frais de déplacement. Ainsi pour l'année 2025, les 17 % prévus de dossiers traités en région correspondent à 9 240 sorties audiencées, qui donneront lieu à 4 700 vacations d'interprétariat.

Il convient enfin de souligner que la création des chambres territoriales n'entraînera aucune création de postes, puisqu'elle s'effectuera uniquement par redéploiement des effectifs du siège de Montreuil vers les chambres territoriales.


* 3 Rapport d'information n° 604 (2023-2024) du 15 mai 2024, déposé au nom de la commission des finances par M. Christian Bilhac.

* 4 Recommandation n° 8 du rapport d'information n° 604 (2023-2024) du 15 mai 2024, déposé au nom de la commission des finances par M. Christian Bilhac.

* 5 Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile.

* 6 Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

* 7 Sur ce point, voir les développements du rapport d'information n° 604 (2023-2024) du 15 mai 2024, déposé au nom de la commission des finances par M. Christian Bilhac.

* 8 Deux chambres territoriales ont été mises en service à Lyon.

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