B. DES EFFORTS RESTENT À FAIRE POUR ATTEINDRE LES OBJECTIFS DE LA POLITIQUE DE L'HÉBERGEMENT D'URGENCE

1. Le parc d'hébergement continue sa croissance, en lien avec une demande accrue

La baisse du chômage marque le pas en 2024, avec un taux de 7,1 % au sens du Bureau international du travail au deuxième trimestre, contre 7,0 % en 2023 à la même période.

En outre, l'évolution du taux de chômage n'a pas enrayé la progression de la grande pauvreté qui se constate mieux que partout ailleurs dans la mise en oeuvre de l'hébergement d'urgence. L'INSEE relève ainsi une augmentation du taux de pauvreté, passé de 13,7 % en 2016 à 14,4 % en 2022.

Le parc d'hébergement est l'un des indicateurs les plus sûrs de la détresse sociale. En effet, en application du principe d'accueil inconditionnel7(*), le parc d'hébergement d'urgence a l'obligation d'accueillir toutes les personnes qui en ont besoin, sans demander de justificatif ni de papiers. C'est donc le point de convergence de nombreuses situations difficiles, des personnes qui font face à des accidents de la vie aux femmes victimes de violences (qui font de plus en plus l'objet d'une prise en charge spécifique) et aux personnes à droits incomplets ou aux réfugiés qui ne trouvent pas de place dans le système d'accueil et d'hébergement spécifique du ministère de l'intérieur.

Le nombre de places d'hébergement tend ainsi à s'accroître d'année en année. Depuis 20 217, près de 52 000 places ont été créées. Si au 31 décembre 2023, le parc d'hébergement comptait 200 888 places, ce chiffre s'élevait à 202 700 en moyenne annuelle. L'année 2024 prévoyait une stabilisation autour de 203 000 places et le gouvernement s'est engagé à reconduire un parc au même niveau en 2025.

Évolution du nombre de places dans le parc généraliste

(en nombre de places)

Note : les CHRS sont des centres d'hébergement et de réinsertion sociale ; les CHU sont des centres d'hébergement d'urgence.

Source : commission des finances, à partir des projets annuels de performance

La hausse tendancielle des nuitées hôtelières, de 14 638 places depuis 2017, est à mettre en regard avec leur baisse dans les trois dernières années. Ainsi, la mise en oeuvre d'un plan de réduction a conduit à 8 583 nuitées de moins depuis 2020. Le rapporteur spécial salue cette évolution et encourage à la poursuivre. En effet, le mode d'hébergement en hôtel est particulièrement inefficace dans la réintégration des hébergés.

Néanmoins, malgré l'accroissement de la taille du parc, les services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO), dont le rôle est de placer en hébergement les personnes qui en font la demande, sont dans certains territoires débordés et ne peuvent remplir leur mission correctement. Cette observation est mise en évidence par l'évolution du taux de réponse positive des SIAO, qui est l'un des indicateurs suivis par la mission. Ce dernier, qui atteignait 66 % en 2022, est tombé à 56 % en 2023. La cible pour 2024 est de 54 %.

Dans ce contexte, les SIAO sont forcés d'établir une liste de critères pour filtrer les demandes d'hébergement, en porte-à-faux avec le principe d'accueil inconditionnel inscrit dans la loi. Tant la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accompagnement vers le logement (DIHAL) que les associations comme la Croix-Rouge ou la Fondation Abbé Pierre ont alerté le rapporteur spécial sur le fait que, dans certains territoires, les femmes enceintes ne peuvent être prises en charge qu'à partir d'un certain nombre de mois de grossesse.

Il résulte de ce constat de hausse de la demande non pourvue un accroissement depuis plusieurs années du nombre de morts à la rue.

Évolution du nombre de morts sans chez-soi ni logement personnel
au moment du décès

(en nombre de morts)

Source : commission des finances, à partir des données du collectifs Les Morts de la Rue

Cette évolution de la mortalité à la rue n'est que l'un des symptômes de la difficulté de la politique d'hébergement. De même, selon les chiffres présentés par la Fédération des acteurs de la solidarité et le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), le nombre d'enfants à la rue et s'étant vu opposer une impossibilité de prise en charge dans un hébergement d'urgence s'élevait à 2 043 fin août 20248(*).

Dans ces conditions, le maintien du parc d'hébergement à un niveau haut de 203 000 places est à la fois une nécessité à court terme et le symptôme d'une incapacité à formuler une voie de sortie.

2. La politique d'hébergement d'urgence ne parvient pas à enclencher un retour durable des personnes vers le logement

Le manque de places au sein du parc est lié à la difficulté à sortir les personnes accueillies de leur hébergement pour accéder à un logement conventionnel. Plusieurs causes peuvent être identifiées.

D'une part, après la réussite du premier plan Logement d'abord, qui a permis à 550 000 personnes d'être relogées entre 2018 et 2023, la pérennité de ce dispositif manque d'objectifs chiffrés d'envergure. En effet, outre la promesse de 30 000 places en intermédiation locative dans le parc privé et de 10 000 places en pensions de famille mentionnée supra, les ambitions de construction de logements très sociaux ne sont pas définies dans le deuxième plan. Or, c'est avant tout par ces logements en prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) que peut avoir lieu la réintégration des hébergés.

D'autre part, le développement des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) suit une pente bien moins élevée que celle des centres d'hébergement d'urgence (CHU) ou des nuitées hôtelières. Leur progression permet en effet de loger 5 842 personnes de plus qu'en 2017, alors que les places en CHU ont cru de 33 966 unités et celles en hôtel de 14 638. Or, ces centres sont ceux qui permettent le plus de réorienter les accueillis vers un logement durable.

Le rapporteur spécial relève en outre que la signature des contrats pluriannuels d'objectif et de moyen (CPOM) entre les CHRS et l'État, prévu par l'article 145 de la loi ELAN9(*), est loin d'arriver à son terme. En effet, les CHRS auraient dû avoir signé chacun un CPOM au 31 décembre 2022. En 2023, ce n'est encore que 37 % d'entre eux qui y sont arrivés. Pour l'année 2022, où le taux atteint était de 35 %, l'administration invoquait comme causes de retard la gestion de la crise sanitaire et le manque global de temps liées à la crise ukrainienne ou la mise en oeuvre du Ségur.

Évolution du nombre de CHRS faisant l'objet d'un CPOM

(en pourcentage)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Cette très faible application de la loi ELAN, qui se prolonge d'année en année, doit mener à s'interroger sur les relations entre l'État et les CHRS et sur les blocages à l'établissement d'une contractualisation. Une action résolue pour mener à bien ces signatures permettra aux centres d'avoir une meilleure vision pluriannuelle et de favoriser une prise en charge efficace des personnes hébergées.

Enfin, la question migratoire et de l'asile n'est pas étrangère aux difficultés que connaît le parc d'hébergement d'urgence.

En premier lieu, les Ukrainiens arrivés en nombre après l'invasion déclenchée par la Russie en février 2022, ont été accueillis en partie grâce à des crédits issus du programme 177. On recensait environ 6 000 ménages hébergés chez des particuliers ou dans des logements mis à disposition à titre gratuit et pour lesquels un accompagnement social était réalisé en fin d'année 2023.

L'enveloppe de 100 millions d'euros ouverte par le décret d'avance du 7 avril 2022 n'a ensuite jamais été reconduite, ni de ligne budgétaire ouverte. On peut néanmoins retracer le montant total des dépenses sur le programme 177 relatives aux dispositifs spécifiques en faveur de l'accès au logement des déplacés d'Ukraine, qui s'élevait en 2023 à 69 millions d'euros en 2023. Pour 2024, comme pour 2025, seuls des reports de crédits permettent de financer cette ligne. Il est dommageable que la maquette budgétaire n'intègre pas de brique ad hoc dans la mesure où la situation tend à se pérenniser.

En second lieu, les réfugiés et demandeurs d'asile d'autres pays, qui ont vocation à être pris en charge par le dispositif national d'accueil (DNA) qui relève du ministère de l'intérieur, sont nombreux à se tourner vers les dispositifs d'hébergement d'urgence de droit commun du programme 177.

En effet, l'engorgement que connaît le DNA pousse les personnes en situation irrégulière à chercher d'autres moyens de sortir de la rue. Ces personnes n'ayant pas accès au logement social, du fait de leur situation, elles tendent ainsi à rester bloquées en hébergement d'urgence tant que leur situation n'évolue pas.

Le budget pour 2025 porte la réduction de 9 325 places dans le parc d'hébergement du dispositif national d'accueil (DNA), faisant suite à une progression ces dernières années, avec 82 762 places en 2017 contre une prévision dans le PLF pour 2024 de 122 582 places. Les besoins en hébergement d'urgence de droit commun risquent dès lors d'être plus importants.


* 7 Article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles.

* 8 Sixième baromètre Enfants à la rue, UNICEF France et Fédération des acteurs de la solidarité, 29 août 2024.

* 9 Article 125 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

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