EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 12 novembre 2024, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de résolution européenne, déposée en application de l'article 73 quinquies du Règlement et adoptée par la commission des affaires européennes, visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des Talibans.

M. Cédric Perrin, président. - Nous examinons une proposition de résolution européenne (PPRE) de Pascal Allizard, sur la prise de mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des Talibans.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je tiens à remercier notre collègue Pascal Allizard d'avoir eu l'initiative de la proposition de cette PPRE, que la commission des affaires européennes a adopté le 17 octobre dernier avec plusieurs amendements.

En complément du rapport très complet rédigé par nos collègues, un propos préliminaire s'impose sur les circonstances du retour au pouvoir des Talibans en 2021, qui a plongé l'Afghanistan dans la nuit.

Comme d'autres causes tout aussi justes, celle des Afghans avait fini, après les milliards déversés par la communauté internationale, par susciter une forme de lassitude. Devant les échecs répétés à résorber le mouvement taliban, les Etats-Unis ont, sous l'impulsion du président d'alors Donald Trump, engagé des négociations directes avec ce dernier, sans même y associer le gouvernement afghan. L'accord de Doha signé le 29 février 2020 prévoyait que les Talibans s'abstiendraient désormais d'attaquer directement les forces de la coalition et de soutenir le terrorisme international ; en échange de quoi les troupes étrangères se retireraient au bout de 14 mois. L'accord prévoyait aussi l'ouverture d'un processus de réconciliation inter-afghane.

En réalité, en négligeant d'associer le gouvernement aux discussions, on lui portait un coup fatal. Sa légitimité était minée, celle des Talibans renforcée ; ces derniers n'avaient aucune raison d'engager un processus de réconciliation avec une autorité qu'ils n'avaient jamais reconnue. L'accord était donc, dans une très large part, un faux-semblant qui permettait aux Etats-Unis de mettre fin au gouffre financier qu'était l'aide financière et militaire à l'Afghanistan. L'Union européenne était, elle, demeurée largement spectatrice.

C'est ainsi que le 1er mai 2021, à l'issue de la période des 14 mois prévue par l'accord, les troupes internationales commençaient leur retrait ; les Talibans lançaient au même moment une grande offensive. L'armée afghane, entraînée et équipée par les forces internationales, n'a tenu que quelques semaines. Dans de nombreuses provinces, la reddition a été négociée, sans combat, avec les Talibans.

Depuis, ces derniers font ce qu'ils savent faire de mieux : discriminer, opprimer, contrôler. Les femmes sont évidemment les premières cibles. Malgré les espoirs exprimés par certains à leur arrivée au pouvoir, les Talibans n'ont pas changé depuis 2001. Ils sont sans doute devenus un peu plus habiles, mais le fond reste le même. Ainsi, ils n'ont pas réimposé tout de suite les restrictions sur les femmes. Elles reviennent progressivement. Si le ministère pour la promotion de la vertu et la répression du vice a immédiatement été rétabli, ils ont attendu mars 2022 pour interdire l'enseignement secondaire aux jeunes filles, décembre 2022 pour leur fermer les portes des universités. En novembre de la même année, une série de lieux publics leur étaient défendus ; à la même période, elles ont perdu le droit d'exercer un emploi dans certains secteurs dont l'enseignement.

En août dernier, une nouvelle série de mesures est prise : interdiction de se déplacer sans tuteur masculin, obligation de se couvrir le corps et le visage, interdiction de tout contact visuel avec un homme qui n'est pas de la famille, interdiction de chanter ou de prendre la parole en public.

Les Talibans poursuivent ainsi une stratégie d'étouffement progressif des femmes, allant jusqu'à les priver littéralement de leur voix. L'Afghanistan est en train de redevenir une prison pour elles, alors que les acquis des vingt années de présence internationale sont brutalement remis en cause.

Y a-t-il malgré tout des motifs d'espoir ? Sans doute, car l'Afghanistan de 2021 n'est pas celui de 2001. On pouvait, il y a plus de vingt ans, condamner une population à l'ignorance en la privant d'accès au savoir. À l'ère d'internet, c'est beaucoup plus difficile. De plus, vingt années de relative ouverture, notamment dans le domaine de l'éducation, ne peuvent s'effacer d'un trait de plume. Il est donc probable que les Afghans ne se résigneront pas à voir la porte se refermer - encore faut-il que la pression internationale se maintienne.

Face aux nouveaux maîtres de Kaboul, la communauté internationale affiche une unanimité de façade. Les sanctions qui frappent les Talibans depuis 1999 ont été reconduites par le Conseil de sécurité en décembre 2023, à l'unanimité. Mais en réalité, les attitudes vis-à-vis du régime varient. D'abord, les pays du voisinage immédiat et de la région se sont accommodés, de fait, du retour des Talibans, même s'ils ne reconnaissent pas leur régime. Au demeurant, l'Iran, la Russie, la Chine n'ont jamais fait des droits des femmes une priorité. De plus, ils ne sont pas pressés de voir revenir une présence occidentale.

Du côté des anciens partenaires de la coalition, des divergences se font jour également. Certains pays du Nord, comme la Norvège, sont partisans de nouer un dialogue avec les Talibans, afin d'éviter une radicalisation encore plus grande. Le Japon est également sur cette ligne.

D'autres, dont la France, estiment qu'il ne faut au contraire pas céder sur les principes, car les Talibans s'empressent de mettre en scène toute concession comme une victoire et un pas vers la reconnaissance. Ce fut le cas lors de la rencontre de Doha les 30 juin et 1er juillet entre une délégation des Nations-Unies, dirigée par Roza Otunbayeva, directrice de la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (Manua), et les Talibans. L'ONU a en effet accepté de recevoir séparément des représentants de la société civile, validant ainsi la démarche d'exclusion des Talibans.

Dans ce contexte, la PPRE de notre collègue Pascal Allizard est particulièrement bienvenue. Elle vient en soutien de la position de la France, qui consiste à ne rien céder sur les principes, et à réaffirmer la nécessité d'un respect inconditionnel des droits des femmes et des jeunes filles. Cette PPRE a été adoptée par la commission des affaires européennes le 17 octobre dernier ; il nous revenait, en tant que commission compétente sur le fond, de l'examiner dans un délai d'un mois.

Je vous proposerai plusieurs amendements qui visent à préciser le propos. Certains sont de forme : ils tendent à corriger certaines expressions.

Un autre fait mention du soutien indispensable aux ONG qui oeuvrent en Afghanistan. Nous avons des associations toujours actives là-bas, certaines très anciennes, ainsi qu'un hôpital de pointe installé à Kaboul, l'Institut français pour la mère et l'enfant.

Enfin, j'ai souhaité l'ajout d'un alinéa pour réaffirmer avec force que toute discussion avec les Talibans doit inclure des représentants de la société civile afghane, et notamment des femmes.

Je souhaite, pour finir, appeler à tirer les leçons de l'Afghanistan. Elles sont accablantes : après vingt ans de présence massive dans le pays et des milliards de dollars dépensés, ce pays déjà si éprouvé par les guerres est revenu à son point de départ. Nous avons fait naître des espoirs au sein des parties les plus discriminées de la population, à commencer par les femmes et les minorités ethniques et confessionnelles, avant de nous résigner, dans les faits, au retour des Talibans au pouvoir. Un adage dit que « les femmes portent la moitié du ciel et doivent la conquérir ». D'où la nécessité, plus que jamais, de ne pas abandonner l'Afghanistan. Nous devons faire très attention à notre action en Afghanistan et dans le monde.

M. Cédric Perrin, président. - Merci pour cette présentation. Vous soulignez à raison les difficultés des relations avec l'Afghanistan. Certains pays considèrent qu'on n'a guère d'autre option que de s'en rapprocher, d'autres, dont la France, veulent s'en tenir à l'éloignement et n'établir aucun lien diplomatique. Mais ce qu'on voit aussi, c'est qu'une guerre qui a coûté 1 000 milliards de dollars aux Etats-Unis - une des plus chères de l'histoire américaine - a produit un résultat proche de zéro puisque la population afghane n'a pas voulu, manifestement, du système qu'on lui proposait. L'Afghanistan, finalement, interroge notre action diplomatique même. Nous avons de quoi nous questionner sur notre capacité à infléchir la position des Talibans : faut-il plus de diplomatie, ou plus de fermeté ? Je n'ai pas la réponse, mais je crois que cette PPRE a le mérite de poser ce débat.

M. Didier Marie. - Merci pour cette PPRE, elle est trans-partisane et a donné lieu à un débat intéressant en commission des affaires européennes. Il y a un risque d'acceptation des Talibans à l'échelle internationale, des pays reconnaissent le régime, par exemple la Chine, l'Arabie Saoudite, l'Iran, mais les diplomaties occidentales font aussi un pas dans sa direction. Pourquoi ? Parce que les Talibans ont instauré une paix relative dans le pays, ils ont organisé un contrôle des frontières, régulé le trafic de drogue ; cependant, une autre option, qui est la mienne, invite à maintenir une condamnation sans appel de ce régime et à prendre des sanctions contre ses responsables. La situation des femmes en Afghanistan est inacceptable, le régime des Talibans serre la vis, il en arrive à interdire toute image d'êtres humains. Ensuite, nous avons un devoir d'assistance au peuple afghan, ce qui passe par le renforcement de l'aide humanitaire et par des actions pour que cette aide arrive au peuple afghan plutôt qu'aux TTalibans, car nous ne ferions alors que les renforcer. Je souscris à la position de la France, nous sommes sur un chemin difficile, il ne faut rien lâcher et tout mettre en oeuvre pour secourir le peuple afghan, en particulier les femmes. Je me réjouis que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) ait jugé que les Afghanes, pour obtenir le droit d'asile dans un pays de l'Union européenne, n'aient pas à démontrer qu'elles font l'objet de persécution en Afghanistan - car cela signifie que, désormais, toute Afghane qui réussit à fuir est accueillie dans l'Union au titre de l'asile.

M. Rachid Temal. - Je vous rejoins, Monsieur le Président, pour dire que nous sommes face à des contradictions : est-ce que, quand un régime ne nous plait pas, il nous faut intervenir contre lui ? Si c'est le cas, la liste est longue... C'est là une vraie question pour la diplomatie. Autre contradiction : en aidant le peuple afghan, ne renforce-t-on pas les Talibans, puisqu'on est obligé de passer par eux pour atteindre la population afghane ? Nous pourrons peut-être un jour surmonter ces deux contradictions - mais pour le moment, elles sont devant nous, massives...

M. Roger Karoutchi. - L'Afghanistan est une démonstration de ce qu'il ne faut pas faire : en intervenant dans ce pays qu'ils jugeaient arriéré parce que tribal, les Soviétiques, en voulant y imposer la modernité, ont cassé la structure traditionnelle de ce pays qui avait son équilibre - on ne le dit pas souvent, mais sous le dernier roi afghan, Zahir Shah, les droits des femmes étaient équivalents à ceux des hommes. En cassant la structure traditionnelle, les Soviétiques, puis les Occidentaux, ont fabriqué une société déséquilibrée qui a fait le terreau des Talibans. On parle d'aide humanitaire, mais ce seront les Talibans qui en profiteront. On pourra accorder l'asile aux Afghanes, mais ce qu'il faut retenir, c'est qu'on ne peut imposer un régime à un pays qui n'en veut pas, et que si on essaie, on obtient un résultat pire que la situation de départ.

Mme Évelyne Perrot. - Que deviennent les enfants afghans ? N'est-ce pas par eux qu'on pourrait sauver les femmes, leurs mères ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Je salue ce travail remarquable et j'en profite pour tirer mon coup de chapeau à nos services diplomatiques, au premier chef à David Martinon, notre dernier ambassadeur en Afghanistan, et à nos forces de sécurité, qui ont évacué des Afghanes menacées, des journalistes, des intellectuelles, des activistes : la France n'a pas failli, et nos agents ont pris des risques importants pour assurer leur mission. Notre action se poursuit, nous protégeons par exemple l'athlète afghane Marzieh Hamidi, dont la voix est manifestement entendue en Afghanistan puisque le régime multiplie les actions de harcèlement contre elle.

Le risque de la banalisation est effectif, les Talibans viennent d'obtenir une victoire en étant présents lors de la COP 29 en Azerbaïdjan, c'est une première - la vigilance s'impose.

M. Alain Cazabonne. - Je partage l'avis de Roger Karoutchi et ce débat me rappelle que John Fitzgerald Kennedy avait dit que la guerre du Vietnam ne serait gagnée que par les Vietnamiens. Les Américains n'ont jamais perdu militairement, mais ils ont perdu sur le terrain. Pourquoi ? Parce que quand la population s'oppose à un régime, il peut tomber, et qu'on ne va pas le défendre de l'extérieur en éliminant physiquement ses opposants ; il est donc imprudent de vouloir changer un régime de l'extérieur, y compris quand on est le plus fort.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Merci aux auteurs de cette PPRE, leur travail m'évoque les échanges que nous avons eus avec Fawzia Koofi, ancienne députée afghane, membre de la délégation afghane pour les accords de Doha et qui a pu fuir l'Afghanistan au retour des Talibans. Les femmes afghanes ont besoin de notre soutien, celles qui sont parvenues à fuir militent dans des associations et ont pour seule volonté de rentrer chez elles et d'instaurer des droits pour les femmes.

M. Cédric Perrin, président. - Nous passons à l'examen des amendements.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - L'amendement COM-1 insère un alinéa 36 pour dénoncer « l'effet délétère des mesures visant les femmes sur la société afghane dans son ensemble, qu'il s'agisse des compétences dont celle-ci est ainsi privée, des relations entre les sexes ou de l'éducation ». En effet, le sort des femmes afghanes ne saurait être dissocié de celui de l'Afghanistan dans son ensemble : ce qu'elles subissent rejaillit sur leurs maris, leurs enfants, sur l'économie et sur la société.

L'amendement COM-1 est adopté.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - L'amendement COM-2 est rédactionnel.

L'amendement COM-2 est adopté.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - L'amendement COM-3 ajoute, parmi les exactions dénoncées, les mesures contraires aux droits humains.

L'amendement COM-3 est adopté.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Avec l'amendement COM-4, je vous propose de mentionner l'appui nécessaire aux ONG toujours présentes en Afghanistan, qui viennent en aide à la population afghane dans des conditions de plus en plus difficiles. Je vous propose également de supprimer le terme de « contrôle », qui suggère qu'en sus des contraintes toujours plus fortes imposées à leur action par les Talibans, ces ONG devraient faire l'objet d'une surveillance de la communauté internationale.

L'amendement COM-4 est adopté.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - L'amendement COM-5 demande que la communauté internationale impose aux Talibans, dans toutes les discussions qu'elle pourrait avoir avec eux à l'avenir, de faire une place dans leur délégation aux femmes et à la société civile. Lors de la réunion de Doha, les 30 juin et 1er juillet dernier, les représentants de l'ONU ont rencontré une délégation exclusivement composée de Talibans ; les organisations de la société civile n'ont, elles, été reçues que le lendemain. En faisant droit à ce qui était une revendication des Talibans, la communauté internationale leur a ainsi concédé une victoire symbolique importante : par cet amendement nous nous opposons à ce dangereux précédent.

L'amendement COM-5 est adopté.

La proposition de résolution européenne est adoptée à l'unanimité dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Merci pour votre soutien. Un mot encore : attention à ne pas faire d'amalgame dans le sort réservé aux femmes dans la région ; s'il y a bien des choses à dire sur les discriminations envers les femmes en Iran, par exemple, cela n'a pourtant rien à voir avec la situation en Afghanistan, où les femmes sont plongées dans l'obscurantisme absolu, c'est pire, de très loin.

M. Cédric Perrin, président. - Merci pour ce travail.

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