EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 9 OCTOBRE 2024

M. Christophe-André Frassa, président. - Nous examinons aujourd'hui, selon la procédure de législation en commission définie aux articles 47 ter et suivants de notre Règlement, rapport de notre collègue Isabelle Florennes sur la proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités.

Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui répond à un enjeu à la fois complexe sur le plan technique et essentiel sur le plan opérationnel, puisqu'elle traite du mécanisme de purge des nullités. Sur ce sujet relativement aride, je tenterai d'être à la fois claire et concise.

Tout d'abord, qu'est-ce que la purge des nullités ? Vous le savez, les nullités en matière pénale ont - légitimement - des conséquences lourdes : un acte affecté d'un vice grave de procédure peut être déclaré nul et cette nullité interdit de faire référence, dans toute la suite des investigations et du jugement, non seulement à cet acte lui-même, mais aussi à l'ensemble des actes dits subséquents.

Une déclaration de nullité a donc des conséquences substantielles sur la vie des dossiers, et elle emporte des effets d'autant plus dévastateurs qu'elle intervient tardivement dans la procédure : on perçoit bien qu'une nullité mise au jour aux premiers stades d'une enquête peut être régularisée, à l'inverse d'un vice de forme qui ne serait repéré que quelques jours avant la tenue d'un procès...

C'est pourquoi, pour ménager un équilibre entre la loyauté de la preuve d'une part et la bonne administration de la justice de l'autre, le législateur a mis en place, dès les années 1990, des mécanismes visant à purger les nullités. L'un de ces mécanismes permet de considérer que toute nullité antérieure à la clôture d'une instruction est couverte par l'ordonnance de renvoi devant une juridiction de jugement : en d'autres termes, passée cette échéance, la nullité ne peut plus être invoquée par les parties. Ce mécanisme ne concerne que les dossiers traités sous la forme de l'instruction, à l'inverse de ceux qui font l'objet d'une enquête préliminaire : cela représente, certes, une minorité d'affaires - environ 2 % selon le ministère de la justice -, mais couvre les dossiers les plus complexes, les plus graves ou les plus techniques ; c'est dire que le sujet est d'une importance capitale pour nos juridictions.

J'en arrive à la proposition de loi qui nous occupe aujourd'hui.

Déposé par Philippe Bonnecarrère et François-Noël Buffet en juin 2024, le texte trouve son origine dans une censure prononcée par le Conseil constitutionnel le 28 septembre 2023 à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la purge des nullités en matière correctionnelle. En pratique, le requérant avait découvert ce qu'il estimait être une cause de nullité après la clôture de l'instruction, alors même que le vice supposé s'était produit pendant l'instruction elle-même : ainsi, la purge était intervenue sans qu'il ait eu l'occasion de faire valoir ses arguments. Le Conseil constitutionnel a estimé qu'une telle situation « [méconnaissait] le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense » dans la mesure où le droit ne prévoyait pas « d'exception à la purge des nullités dans le cas où le prévenu n'aurait pu avoir connaissance de l'irrégularité éventuelle d'un acte ou d'un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l'instruction ».

C'est ainsi que le Conseil a censuré une partie de l'article 385 du code de procédure pénale, en reportant l'effet de cette abrogation au 1er octobre 2024.

Je rappelle que la position du juge constitutionnel, loin d'être surprenante, était en pleine cohérence avec sa jurisprudence : il avait en effet censuré en 2021 le régime de purge des nullités en matière criminelle pour un motif analogue. Il s'agissait, à l'époque, du cas d'un accusé qui n'avait pas été mis en mesure de contester utilement sa mise en accusation avant que celle-ci ne soit devenue définitive pour la simple et bonne raison qu'il n'en avait pas eu connaissance. Le législateur était intervenu en créant, par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, un nouvel article 269-1 au sein du code de procédure pénale, afin de rendre notre droit conforme avec la Constitution.

Au-delà de ces développements théoriques, mes chers collègues, vous l'aurez compris : faute pour le législateur d'avoir pu modifier la loi en temps utile, il n'y a plus, depuis quelques jours, de purge des nullités devant les tribunaux correctionnels.

Plus encore, ce sont toutes les procédures de purge des nullités qui sont désormais menacées, comme en témoigne la QPC récemment transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel et qui vise à transposer à la matière criminelle ce que le Conseil a énoncé en 2023 pour le domaine correctionnel...

Il nous appartient d'agir sans tarder, comme le permet la proposition de loi déposée par nos anciens collègues.

Comme son titre l'indique, ce texte s'attache à sécuriser le mécanisme de purge des nullités dans l'ensemble de notre droit. De même que toutes les personnes ou entités que j'ai entendues en audition ou dont j'ai recueilli les contributions écrites, je me réjouis que la proposition de loi permette de traiter le sujet dans son ensemble et de gérer toutes les conséquences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, sans attendre de nouvelles censures.

Plus en détail, la proposition de loi prévoit d'exclure du mécanisme de purge des nullités tous les vices de procédure que les parties ne pouvaient pas connaître avant la clôture de l'instruction, ce qui répond directement à la décision du Conseil constitutionnel. Elle prévoit d'appliquer ce principe non seulement à la matière correctionnelle (articles 179 et 385 du code de procédure pénale), mais aussi dans les domaines contraventionnel (article 178) et criminel (articles 181, 269-1 et 305-1).

En pratique, le mécanisme instauré serait le suivant.

Au niveau contraventionnel, le tribunal de police serait compétent pour traiter des nullités qui n'ont pas pu être connues avant la clôture de l'instruction.

Le tribunal correctionnel serait compétent pour connaître des mêmes nullités, sauf dans l'hypothèse où celles-ci affecteraient les actes préalables à l'ordonnance de règlement : dans ce cas, les nullités qui se manifesteraient après l'expiration des délais prévus à l'article 175 du code de procédure pénale seraient soumises, selon la procédure de droit commun, à la chambre de l'instruction.

Une solution identique s'appliquerait pour les cours d'assises ou les cours criminelles départementales avec, là encore, un tempérament puisque l'accusé pourrait parallèlement saisir le président de la chambre de l'instruction d'une nullité qu'il considère ne pas avoir pu connaître pendant l'instruction, selon la procédure prévue depuis 2021 à l'article 269-1 du code.

Globalement, le texte constitue une réponse pertinente et équilibrée à la censure prononcée par le Conseil constitutionnel : je vous proposerai donc d'en respecter l'économie générale. Pour autant, mes travaux ont montré qu'il était nécessaire de corriger quelques difficultés techniques.

La première est purement légistique et concerne l'article 2, avec une actualisation de référence pour rendre le texte applicable dans les collectivités ultramarines régies par le principe de spécialité législative.

La deuxième concerne la prise en compte, en matière correctionnelle, de l'adaptation législative survenue en 2021 pour le domaine criminel : je vous proposerai d'adopter une rédaction rappelant que l'ignorance de la personne mise en cause ne peut lui profiter qu'en l'absence de manoeuvre ou de négligence de sa part.

Enfin, la troisième procède de la nécessité de rationaliser le dispositif en évitant tout doublon dans les procédures de purge et en écartant le risque d'un engorgement des chambres de l'instruction. Pour ce faire, je vous propose d'utiliser deux leviers.

Pour les tribunaux correctionnels, tout d'abord, il me semble préférable de supprimer la compétence que les auteurs souhaitaient confier aux chambres de l'instruction pour les ordonnances de règlement : une prérogative analogue peut sans difficulté être exercée par les tribunaux correctionnels eux-mêmes, ce qui simplifie la future procédure tout en assurant le plein respect de la jurisprudence constitutionnelle.

En matière criminelle, ensuite, les auditions ont révélé que le texte risquait de créer un doublon entre la compétence des cours d'assises, ou des cours criminelles départementales, et celle des présidents des chambres de l'instruction. Pour les mêmes raisons, je vous proposerai de nous en tenir à la compétence du juge du fond pour connaître de l'ensemble des nullités que l'accusé ne pouvait pas connaître avant la clôture de l'instruction.

En conclusion, je me félicite que le Sénat prenne ses responsabilités en adoptant une proposition de loi urgente et nécessaire et en employant, pour ce faire, la formule rapide que constitue la législation en commission. J'en appelle au Gouvernement pour faciliter l'adoption rapide du texte par l'Assemblée nationale : nos juridictions ont besoin que, sur un tel sujet, le Parlement agisse dans le consensus et dans la célérité.

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. - Comme l'a rappelé Madame la rapporteure, la proposition de loi dont l'examen nous réunit aujourd'hui fait suite à la décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2023 qui a censuré une partie de l'article 385 du code de procédure pénale.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a jugé que le mécanisme de purge des nullités devant le tribunal correctionnel n'était conforme ni au droit à un recours juridictionnel effectif, ni aux droits de la défense. Le mécanisme de purge des nullités encadre en effet le droit pour les parties de soulever des nullités au cours de l'information judiciaire, puis devant le tribunal correctionnel. En application de ce principe, aucune nullité ne peut être soulevée à l'audience dès lors que le tribunal a été saisi à l'issue d'une information judiciaire.

Il s'agit ainsi de la contrepartie logique de la possibilité donnée aux parties de soulever des nullités au cours de l'information judiciaire devant le tribunal. Les parties ne sont plus recevables à soulever des nullités puisqu'elles ont la faculté de le faire tout au long de la procédure d'instruction.

Or le Conseil constitutionnel a censuré l'article 385 du code de procédure pénale au motif qu'il ne permettait pas à une partie de soulever une nullité devant le tribunal alors même qu'elle n'avait eu connaissance de celle-ci que postérieurement à la clôture de l'information. Les effets de l'abrogation ont été reportés au 1er octobre 2024. Depuis cette date, le mécanisme de purge des nullités devant le tribunal correctionnel n'est plus applicable. Il apparaît donc indispensable de rétablir le mécanisme de purge des nullités. C'est précisément l'objet de la proposition de loi que vous examinez.

En effet, ce mécanisme est essentiel. Il permet de sécuriser les procédures en cours et de limiter les recours dilatoires afin d'éviter une remise en cause tardive de la procédure alors même que les parties disposent du droit de saisir la chambre de l'instruction tout au long de la procédure et que la chambre de l'instruction peut également relever d'office tout moyen de nullité à l'occasion de l'examen de la régularité de la procédure.

Ce dispositif est d'autant plus nécessaire que, lorsqu'un acte procédural est annulé, tous les actes subséquents le sont également : cela peut parfois conduire à l'annulation de pans entiers de dossiers de procédures longues et complexes. En cela, la purge des nullités contribue à la bonne administration de la justice. Elle constitue par ailleurs l'une des spécificités de la procédure d'information judiciaire en étant le corollaire d'un cadre procédural qui accorde une place renforcée au principe du contradictoire, et elle sécurise davantage les procédures d'instruction que les enquêtes préliminaires ou de flagrance pour lesquelles le contrôle des nullités ne s'exerce qu'au stade de l'audience de jugement.

Ainsi, cette proposition de loi rétablit le mécanisme de purge des nullités devant le tribunal correctionnel tout en ajoutant l'exception résultant de la décision du Conseil constitutionnel, c'est-à-dire en permettant qu'une nullité puisse toujours être soulevée si la partie n'a pu en avoir connaissance avant la clôture de l'instruction. Par cohérence, le texte prévoit cette possibilité devant l'ensemble des juridictions répressives, et non pas seulement devant le tribunal correctionnel.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est favorable à l'adoption de cette proposition de loi et aux amendements que vous présentez, Madame la rapporteure. Nous allons oeuvrer pour que la proposition de loi soit rapidement adoptée par l'Assemblée nationale, comme vous l'appelez de vos voeux.

M. Christophe Chaillou. - Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué les raisons qui nous conduisent à agir dans l'urgence : il est indispensable aujourd'hui de répondre à cette situation dans des délais contraints.

Il convient également de souligner le retard avec lequel le Gouvernement a souhaité se saisir de ce dossier. Comme vous l'avez très bien dit, Madame la rapporteure, il est urgent d'agir aujourd'hui pour rétablir le mécanisme de purge des nullités ; il y va de la sécurité juridique comme de la rapidité d'un certain nombre de procédures. Ce texte permettra ainsi de régulariser certaines situations sans porter atteinte aux droits fondamentaux des justiciables.

C'est la raison pour laquelle, nonobstant l'origine de ce processus, et en particulier de la question prioritaire de constitutionnalité, laquelle était susceptible de poser problème à certains d'entre nous, nous sommes favorables à cette proposition de loi, ainsi qu'aux amendements déposés par Madame la rapporteure.

Madame la rapporteure, vous avez évoqué la nécessité du consensus et de la célérité ; j'ajouterai, pour ma part, celle de la responsabilité.

EXAMEN DES ARTICLES SELON LA PROCÉDURE DE LÉGISLATION EN COMMISSION

M. Christophe-André Frassa, président. - Nous entamons l'examen des articles. Conformément au vade-mecum sur l'application des irrecevabilités en application de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient à présent d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi.

Conformément à ce que nous suggère l'intitulé du texte, je vous propose de considérer que ledit périmètre comprend les dispositions visant à garantir la conformité du mécanisme de purge des nullités en matière pénale aux normes de valeur supérieure.

Il en est ainsi décidé.

Article 1er

Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - L'amendement  COM-1 vise à consacrer la compétence des juridictions du fond pour connaître des nullités que les parties ne pouvaient pas connaître avant la clôture de l'instruction.

M. Didier Migaud, garde des sceaux. - Avis favorable.

L'amendement COM-1 est adopté.

Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - L'amendement  COM-2 tend à harmoniser la rédaction de l'article 385 avec celle qui avait été adoptée en 2021 s'agissant du même mécanisme en matière criminelle à l'article 269-1 du code de procédure pénale.

M. Didier Migaud, garde des sceaux. - Avis favorable.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

L'amendement d'actualisation légistique  COM-3, ayant fait l'objet d'un avis favorable du Gouvernement, est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Les sorts des amendements examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort

Article 1er

Mme FLORENNES,

rapporteure

1

Compétence des juridictions du fond pour traiter les nullités que les parties ne pouvaient pas connaître avant la clôture de l'instruction

Adopté

Mme FLORENNES,

rapporteure

2

Précision rédactionnelle et actualisation légistique

Adopté

Article 2

Mme FLORENNES,

rapporteure

3

Actualisation légistique

Adopté

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