B. DES RÉPONSES INSUFFISANTES

Les réponses aux atteintes à la laïcité sont dispersées, hétérogènes, en fonction de la compréhension du phénomène et du bon-vouloir des acteurs.

1. Le contrat d'engagement républicain : un levier insuffisamment mobilisé

En application de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, complétée par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, toute association sollicitant l'octroi d'une subvention auprès d'une autorité administrative ou d'un organisme chargé de la gestion d'un service public doit souscrire un contrat d'engagement républicain.

Un décret du 31 décembre 2021 détermine le contenu de ce contrat, ses modalités de souscription ainsi que les conditions de retrait des subventions publiques. Ce décret est applicable depuis le 2 janvier 2022.

Le CER comporte sept engagements.

Le contrat d'engagement républicain (CER)

ENGAGEMENT N° 1 : RESPECT DES LOIS DE LA RÉPUBLIQUE

(...) L'association ou la fondation bénéficiaire s'engage à ne pas se prévaloir de convictions politiques, philosophiques ou religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant ses relations avec les collectivités publiques. Elle s'engage notamment à ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République.

ENGAGEMENT N° 2 : LIBERTÉ DE CONSCIENCE

L'association ou la fondation s'engage à respecter et protéger la liberté de conscience de ses membres et des tiers, notamment des bénéficiaires de ses services, et s'abstient de tout acte de prosélytisme abusif exercé notamment sous la contrainte, la menace ou la pression (...).

ENGAGEMENT N° 3 : LIBERTÉ DES MEMBRES DE L'ASSOCIATION

L'association s'engage à respecter la liberté de ses membres de s'en retirer dans les conditions prévues à l'article 4 de la loi du 1er juillet 1901 et leur droit de ne pas en être arbitrairement exclus.

ENGAGEMENT N° 4 : ÉGALITÉ ET NON-DISCRIMINATION

L'association ou la fondation s'engage à respecter l'égalité de tous devant la loi.

Elle s'engage, dans son fonctionnement interne comme dans ses rapports avec les tiers, à ne pas opérer de différences de traitement fondées sur le sexe, l'orientation sexuelle, l'identité de genre, l'appartenance réelle ou supposée à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion (...).

ENGAGEMENT N° 5 : FRATERNITÉ ET PREVENTION DE LA VIOLENCE

L'association ou la fondation s'engage à agir dans un esprit de fraternité et de civisme (...).

ENGAGEMENT N° 6 : RESPECT DE LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE HUMAINE

(...) Elle s'engage à ne pas créer, maintenir ou exploiter la vulnérabilité psychologique ou physique de ses membres et des personnes qui participent à ses activités à quelque titre que ce soit, notamment des personnes en situation de handicap, que ce soit par des pressions ou des tentatives d'endoctrinement.

Elle s'engage en particulier à n'entreprendre aucune action de nature à compromettre le développement physique, affectif, intellectuel et social des mineurs, ainsi que leur santé et leur sécurité.

ENGAGEMENT N° 7 : RESPECT DES SYMBOLES DE LA RÉPUBLIQUE

L'association s'engage à respecter le drapeau tricolore, l'hymne national et la devise de la République.

Dans un rapport7(*) récent, nos collègues Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien ont réalisé un bilan de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Selon les rapporteures, « force est de constater que le CER est loin de s'être imposé comme l'instrument de référence qu'il était censé devenir pour la lutte contre le séparatisme dans la sphère associative ».

D'après nos collègues, cet échec a deux causes principales :

- d'une part, la signature du CER relève davantage d'une formalité administrative que d'un réel engagement ;

- d'autre part, les services de l'État se sont insuffisamment emparés de ce nouvel outil. La loi a abouti à un nombre très réduit de cas de refus ou de retrait de subventions.

Les auditions du rapporteur de la présente proposition de loi ont confirmé ce constat mitigé, s'agissant du milieu sportif. La loi du 24 août 2021 n'a permis à ce jour qu'un seul retrait d'agrément d'une association sportive.

La mise en oeuvre du CER est très hétérogène sur le territoire, en fonction du degré d'appropriation de la loi par les acteurs. Ce dispositif n'est bien souvent qu'une simple formalité, une case à cocher sur un formulaire.

Le CER pourrait toutefois se révéler un outil puissant s'il était pleinement mobilisé par l'État et par les collectivités locales pour exercer un contrôle accru des associations sportives dès lors que des atteintes à la laïcité sont relevées, afin de protéger les adhérents et notamment les mineurs et personnes vulnérables. La loi de 2021 permet en effet de suspendre ou retirer l'agrément d'une association sportive qui méconnaîtrait le contrat d'engagement républicain (article L121-4 du code du sport).

Cependant, certaines collectivités sont particulièrement engagées. Le Conseil régional d'Ile-de-France conditionne par exemple, depuis 2016, l'octroi des subventions régionales aux associations sportives au respect d'une charte de la laïcité et des valeurs de la République.

2. Des moyens de prévention et de contrôle très insuffisants

Les moyens de prévention et de contrôle sont insuffisants, tant au niveau des préfectures que du ministère des sports. Ces moyens sont donc concentrés sur les situations les plus graves. Ils ne permettent pas d'agir dès les premiers signes de dérive, mais tout au plus de réagir à des situations déjà installées, grâce au bon-vouloir de « lanceurs d'alerte » dont la démarche n'est ni facile ni évidente.

Si des moyens importants sont consacrés à juste titre à la protection de la sécurité des personnes et de l'État, les dérives émergentes, les « zones grises » ne sont pas traitées suffisamment en amont.

Cette situation résulte d'une insuffisance de moyens et notamment de personnels.

Entre 2010 et 2020, les effectifs des préfectures ont baissé de 14 %. Dans un rapport publié en 2022 sur les effectifs de l'administration territoriale de l'État, la Cour des comptes a dénoncé le caractère non réaliste de cette diminution des effectifs, qui conduit à multiplier les contrats courts et à désorganiser les services préfectoraux8(*).

S'agissant du ministère des sports, celui-ci a été profondément réformé depuis 2019. L'administration de la Jeunesse et des Sports a été rapprochée de l'Éducation nationale. Cette réforme a conduit à la création d'une délégation régionale académique à la jeunesse, à l'engagement et au sport (DRAJES) au sein de chaque rectorat. Au niveau départemental, un service jeunesse, engagement et sport est constitué au sein de chaque direction des services départementaux de l'Éducation nationale (DSDEN).

En conséquence, depuis le 1er janvier 2021, c'est le programme 214 « Soutien de la politique de l'éducation nationale », de la mission interministérielle « enseignement scolaire », qui concourt au soutien des politiques sportives au titre de dépenses de fonctionnement et de dépenses de personnels qui mettent en oeuvre les politiques du sport dans les services centraux et déconcentrés ou qui concourent, par leurs fonctions transversales, à la mise en oeuvre de ces politiques (à l'exception des dépenses relatives aux conseillers techniques sportifs, budgétées sur le programme 219 « Sport » depuis 2020). Or le ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse (MENJ) ne dispose pas à ce jour d'outils lui permettant de distinguer avec précision les emplois consacrés à la politique du sport.

Avant cette réforme, entre 2016 et 2020, l'effectif des personnels mettant en oeuvre les politiques du sport, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de vie associative était passé de 3 693 à 2 032 ETPT9(*). Quant aux effectifs de conseillers techniques sportifs, leur nombre est passé de 1 600 ETPT en 2016 à 1 442 en 2024.

Or le réseau associatif sportif doit être accompagné, comme l'a souligné Marie-George Buffet, ancienne ministre de la jeunesse et des sports, lors de son audition par le rapporteur. La situation actuelle des services déconcentrés de l'État ne lui permet pas d'assumer pleinement ses responsabilités à l'égard du réseau associatif sportif, notamment dans les domaines de la prévention et du contrôle en matière d'atteintes à la laïcité.

Depuis l'an dernier toutefois, le ministère chargé des sports a bénéficié de 56 ETPT supplémentaires (+ 20 ETPT en 2023 et + 36 ETPT en 2024) afin d'intensifier les contrôles et de renforcer la prévention des phénomènes de radicalisation ou de séparatisme et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Au total, ce sont 220 ETPT qui sont dédiés au contrôle des établissements d'activités physiques et sportives.

Par ailleurs, les lacunes de la stratégie de formation ont été mises en évidence par le rapport précité de nos collègues Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien. Cette stratégie a permis de former 500 000 agents publics dont 380 000 au ministère de l'éducation nationale. Le nombre d'agents publics locaux formés n'est pas connu. Selon ce rapport, au rythme actuel de montée en puissance du dispositif, l'objectif de 100 % des agents publics formés fin 2025 est hors de portée. Sur le plan qualitatif, ces formations suscitent aussi un certain nombre d'interrogations, notamment car elles sont trop peu adaptées à chaque public.


* 7 Rapport d'information n° 383 (2023-2024), déposé le 6 mars 2024.

* 8 Les effectifs de l'administration territoriale de l'État, 2010-2021, rapport de la Cour des comptes du 14 avril 2022.

* 9 Équivalent temps plein annuel travaillé (ETPT).

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