EXAMEN DES ARTICLES

CHAPITRE I
CHAMP D'APPLICATION

Article 1er
Champ d'application de la proposition de loi

L'article 1er fixe le champ d'application de la proposition de loi issue des travaux de la commission d'enquête du Sénat sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. Il établit un double critère en définissant, d'une part, les administrations concernées et, d'autre part, les prestations de conseil visées. Il pose par ailleurs le principe que les prestataires de conseil ou consultants ne doivent prendre aucune décision administrative.

Cet article a fait l'objet de nombreuses modifications lors de la première lecture du texte, aussi bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, ayant principalement pour effet de restreindre l'étendue des administrations auxquelles s'appliquera la loi et de faire sortir certaines prestations de son périmètre.

Ainsi, si le Sénat a, en première lecture, ajouté la Caisse des dépôts des consignations parmi les administrations concernées par le texte et choisi de faire référence aux « établissements publics de l'État » plutôt qu'aux « opérateurs », il a parallèlement fait sortir du champ d'application certaines prestations relevant plus de l'exécution ou de la technique, telles que la programmation et la maintenance informatiques. En outre, en matière de prestations de conseil juridique ou financier, le Sénat a étendu l'exception déjà créée en faveur des avocats pour leur activité de défense, des experts-comptables et des commissaires aux comptes à l'ensemble des professionnels du droit - y compris les avocats exerçant une activité de conseil - dès lors que ces professionnels sont déjà soumis à des obligations déontologiques sous le contrôle de leurs ordres respectifs.

L'Assemblée nationale a quant à elle fortement restreint le champ des établissements publics de l'État concernés par la loi en y excluant les établissements dont les dépenses annuelles de fonctionnement sont inférieures à 60 millions d'euros, seuil fixé à 200 millions d'euros pour les établissements de santé. Elle a en outre exclu les établissements publics à caractère industriel et commercial. S'agissant des prestations, l'Assemblée nationale a, d'une part, également exclu les prestations de conseil relatives aux participations de l'État et, d'autre part, prévu un décret devant préciser la nature des prestations pour lesquelles s'appliquera la loi. Elle a supprimé l'obligation pour les prestataires de proposer plusieurs scénarios aux administrations bénéficiaires, s'appuyant sur des informations factuelles et non orientées. Enfin, malgré l'adoption d'un article 1er bis qui étend l'application de la loi à certaines collectivités territoriales, l'article 1er a été complété d'une demande de rapport annuel précisant les prestations de conseil et le montant de celles-ci, devant être publié par les principales collectivités territoriales.

Tout en maintenant plusieurs apports de l'Assemblée nationale, et en particulier le seuil de 60 millions d'euros de dépenses annuelles de fonctionnement pour déterminer les établissements publics nationaux devant appliquer la présente proposition de loi, la commission a rétabli partiellement le texte du Sénat pour en restituer les ambitions en matière de transparence et d'encadrement du recours aux prestations de conseil dans le secteur public.

1. Un champ d'application de la proposition de loi reprenant le périmètre des travaux de la commission d'enquête sénatoriale

La présente proposition de loi, dont l'objectif est d'inscrire dans la loi les propositions de la commission d'enquête du Sénat sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques9(*), retient, dans sa version initiale, un périmètre claqué sur celui de la commission d'enquête, c'est-à-dire le « recours aux cabinets de conseil par l'État dans son ensemble » 10(*).

L'article 1er définit conséquemment ce périmètre à travers un double critère, l'un relatif à l'administration bénéficiaire de la prestation de conseil, l'autre relatif à la nature de la prestation réalisée. Seul le prestataire de conseil ou le consultant réalisant une prestation au bénéfice de l'une de ces personnes publiques et dans l'un des secteurs de conseil énumérés aurait à se soumettre aux obligations prévues par la présente loi. L'article 1er établit également le cadre général de l'intervention des cabinets de conseil dans la sphère publique.

a) Une définition des administrations concernées par le texte centrée sur l'État

Tel que déposé en première lecture au Sénat, le I de l'article 1er rend la loi applicable à trois catégories d'administrations : l'État et ses opérateurs, les autorités administratives et publiques indépendantes, ainsi que les établissements publics de santé, ces derniers relevant toutefois déjà des établissements publics de l'État11(*).

Inversement, les collectivités territoriales ont été volontairement exclues du périmètre du texte par ses auteurs, notamment au motif que les travaux de la commission d'enquête n'ont pas porté sur les enjeux spécifiques au recours par les collectivités territoriales aux prestations de conseil et qu'une étude approfondie du sujet devait être effectuée avant de légiférer en imposant un cadre uniforme à l'État et aux collectivités.

b) Un large spectre de prestations de conseil auxquelles s'appliquerait le texte

Les prestations de conseil pour lesquelles, lorsqu'elles sont réalisées au bénéfice de l'une des administrations mentionnées supra, s'appliqueront les obligations prévues par la présente loi relèvent, dans le texte déposé, de six catégories : le conseil en stratégie, le conseil en organisation des services et en gestion des ressources humaines, le conseil en informatique, le conseil en communication, le conseil pour la mise en oeuvre des politiques publiques et, enfin, le conseil juridique, financier ou en assurance.

Pour cette dernière catégorie, la proposition de loi prévoit cependant d'exclure du champ d'application l'assistance ou la représentation des parties devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires, ainsi que l'expertise-comptable et le commissariat aux comptes.

Les prestataires sont quant à eux définis au III de l'article 1er comme « les personnes morales de droit privé qui s'engagent avec l'administration bénéficiaire pour réaliser une prestation de conseil » et « les personnes physiques qui ne sont pas employées par une personne morale [ayant contracté avec l'administration pour une prestation de conseil] et qui s'engagent à titre individuel avec l'administration bénéficiaire pour réaliser une prestation de conseil », c'est-à-dire les autoentrepreneurs. Les consultants sont, conformément au IV de l'article 1er, « les personnes physiques qui exécutent les prestations de conseil pour le compte des prestataires ».

c) Deux limites à l'intervention des consultants dans la sphère publique

Enfin, le V de l'article 1er poserait les limites de l'intervention des cabinets de conseil en rappelant le principe selon lequel « les prestataires de conseil et les consultants ne prennent aucune décision administrative ». Ce rappel fait écho aux travaux de la commission d'enquête, qui ont mis au jour que des missions relevant de l'État auraient été « déléguées »12(*) à des prestataires privés et que la frontière était parfois floue entre consultants et responsables ou agents publics.

De même, compte tenu du risque que les cabinets de conseil puissent orienter la décision vers un scénario qu'ils considèrent comme prioritaire13(*), le V de l'article 1er inscrit dans la loi l'obligation pour les prestataires de présenter plusieurs scénarii à l'administration, ceux-ci devant s'appuyer sur « des informations factuelles et non orientées ».

2. Un périmètre amplement remanié lors de la première lecture au Sénat et à l'Assemblée nationale

a) Dans un mouvement contraire, le champ des administrations bénéficiaires a été à la fois restreint en ce qui concerne les établissements de l'État et élargi aux collectivités territoriales

La liste des entités publiques concernées par le texte a fait l'objet de nombreuses modifications au cours de la première lecture.

(1) Les modifications apportées par le Sénat en première lecture

Lors de l'examen du texte en commission des lois, la notion « d'établissements publics de l'État » a été substituée, par l'adoption de l'amendement COM-3 de sa rapporteure, à celle « d'opérateurs de l'État », plus fluctuante puisque cette dernière est une notion budgétaire qui recouvre des entités qui sont « majoritairement financées par des subventions de l'État ou des taxes affectées, ou porteurs d'enjeux importants pour l'État »14(*) et qui sont classées en tant qu'opérateurs chaque année, lors de l'établissement du « rapport sur les opérateurs de l'État » annexé au projet de loi de finances15(*) (également appelé « jaune budgétaire »).

En séance publique, le Sénat a, par l'adoption de l'amendement n° 27 rect. de Jean-Pierre Sueur, ajouté à la liste des administrations concernées par le texte la Caisse des dépôts et des consignations (CDC), qui n'est ni un opérateur de l'État, ni un établissement public de l'État, ni une autorité administrative ou publique indépendante.

(2) Les modifications apportées par l'Assemblée nationale en première lecture

L'Assemblée nationale a adopté 8 amendements modifiant le périmètre des administrations bénéficiaires. À l'exception de l'élargissement aux collectivités territoriales (voir le commentaire de l'article 1er bis), tous ont pour conséquence de restreindre le champ d'application de la loi, en prévoyant de nombreuses dérogations.

En premier lieu, l'Assemblée nationale a supprimé la mention des établissements publics de santé, au motif que ceux-ci sont déjà inclus dans la catégorie juridique des établissements publics de l'État16(*).

En second lieu, des exceptions significatives ont été prévues à la liste des établissements publics de l'État étant soumis aux obligations prévues par la présente loi. Seuls sont désormais concernés les établissements publics à caractère administratif (EPA), les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) ayant été exclus, au double motif que ceux-ci « ne sont pas chargés de définir [des] politiques publiques mais simplement d'exécuter des activités de service public dont les missions sont justement définies par les autorités en charge de ces politiques publiques et qui leur délèguent ces missions » et que le texte produirait « une rupture d'égalité entre les entreprises publiques, certaines comme la SNCF ou Radio France, échapp[ant] aux obligations prévues dans la proposition de loi grâce à leur statut de société anonyme » 17(*).

Des seuils ont en outre été fixés pour éviter « de créer une charge administrative trop importante [...] pour les établissements publics nationaux de taille modeste »18(*). Tel que transmis au Sénat en deuxième lecture, seuls sont désormais concernés par le texte les établissements publics nationaux « dont les dépenses de fonctionnement constatées dans le compte financier au titre de l'avant-dernier exercice clos sont supérieures à 60 millions d'euros19(*) ou, par dérogation, à 200 millions d'euros pour les établissements publics de santé20(*) ». D'après les rapporteurs de l'Assemblée nationale, la fixation du seuil de 60 millions d'euros a été retenu par référence au seuil applicable aux avances obligatoires versées aux petites et moyennes entreprises dans le cadre d'un marché public par certains établissements publics de l'État21(*). Ce seuil correspond également à celui qui est mentionné au 32° de l'article 179 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2020 de finances pour 2020, qui impose aux établissements publics nationaux la publication d'un rapport annuel sur leur recours aux prestations de conseil (voir le commentaire de l'article 3).

Les rapporteurs ont annexé à leur rapport une liste, établie par le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, qui présente « une première estimation » du nombre d'établissements publics nationaux qui resteraient dans le champ d'application de la loi en tenant compte de ce seuil de 60 millions d'euros. Cette liste fait état de 129 établissements (hors établissements publics de santé) sur les 627 établissements publics nationaux soumis à la comptabilité publique identifiés, ainsi que 116 établissements publics de santé, sur les 1 347 que comptait le pays au 31 décembre 202022(*).

En revanche, aucune estimation du nombre d'établissements publics de santé concernés par le texte après application du seuil de 200 millions d'euros n'a été fournie, ce seuil ayant été fixé lors de la séance publique.

Cela étant, le seuil de 60 millions d'euros pour les établissements publics nationaux hors établissement de santé maintiendrait dans le périmètre de la loi les établissements publics les plus importants en termes de budget, tels que Business France, la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, la Caisse nationale des allocations familiales, Voies navigables de France, l'Union des groupements d'achats publics, ou encore Météo France, Il en serait de même pour une vingtaine d'universités, les plus grands musées nationaux, les principaux ports et la plupart des agences régionales de santé.

A contrario, ce seuil exclurait du périmètre du texte, toujours selon la liste établie par le Gouvernement, les chambres départementales d'agriculture, la majorité des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires, certaines écoles de formation de la fonction publique ou encore certains musées nationaux de taille réduite.

Enfin, la Caisse des dépôts et des consignations a été retirée du périmètre du texte23(*), notamment au motif que « les obligations de transparence prévues par la proposition de loi, qui impliquent principalement la publication d'informations budgétaires dans le cadre d'un rapport établi par le Gouvernement, s'articuleraient mal avec les spécificités de cet établissement public », contrôlé par une commission de surveillance. Un article additionnel a cependant été adopté pour renforcer la transparence du recours aux prestations de conseil par la CDC (voir le commentaire de l'article 3 bis).

En troisième et dernier lieu, et contrairement à l'esprit des modifications précédentes, des dispositions relatives aux collectivités territoriales ont été adoptées. Si l'article 1er bis a étendu le périmètre d'application du texte aux collectivités territoriales (voir le commentaire de l'article 1er bis), l'article 1er a parallèlement été complété d'une demande de rapport annuel précisant les prestations de conseil et le montant de celles-ci, devant être publié par les régions, la collectivité territoriale de Guyane, la collectivité territoriale de Martinique, la collectivité de Corse, les départements, les communes de plus de 200 000 habitants, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de plus de 200 000 habitants et la métropole de Lyon24(*). Il s'agit du I bis de l'article 1er.

b) Des exceptions au champ des prestations couvertes par la proposition de loi

Tout comme pour les administrations concernées par le texte, le champ des prestations auxquelles le texte s'appliquera a été restreint lors de la première lecture.

(1) Les modifications apportées par le Sénat en première lecture

Outre des modifications rédactionnelles aux III et IV de l'article 1er pour clarifier la définition des prestataires de conseil et des consultants25(*), le Sénat a adopté deux amendements, présentés par sa rapporteure, excluant certaines prestations du champ d'application de la loi.

En premier lieu, le Sénat a exclu les prestations de programmation et de maintenance des prestations de conseil en informatique relevant du périmètre de la loi26(*), au motif qu'il s'agit de prestations d'exécution, très courantes, qui ne sont pas de nature à influencer la décision publique.

En second lieu, le Sénat a souhaité mieux prendre en compte la spécificité des professions règlementées du droit et du chiffre, en excluant l'ensemble des professions réglementées autorisées à délivrer des consultations juridiques, et non les seuls avocats, experts-comptables et commissaires aux comptes, de la catégorie du « conseil juridique, financier ou en assurance »27(*). En effet, ces professions sont soumises à des obligations déontologiques sanctionnées disciplinairement par des instances ad hoc, dont le cadre a fait l'objet d'un renforcement par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire. Chacune de ces professions réglementées dispose d'un code de déontologie, fixé par décret en Conseil d'État, qui prévoit notamment des règles spécifiques en matière de conflits d'intérêts et dont le respect est sanctionné disciplinairement.

(2) Les modifications apportées par l'Assemblée nationale en première lecture

Outre des modifications rédactionnelles ou mineures28(*), l'Assemblée nationale a amendé le II de l'article 1er sur deux points.

En premier lieu, elle a exclu des prestations de conseil juridique, financier ou en assurance celles relatives aux participations de l'État29(*), afin de ne pas « entraver le travail de l'Agence des participations de l'État », qui « nécessite des acteurs très spécialisés, des mesures de confidentialité très importantes et des ressources [devant] être mobilisées dans des délais très brefs »30(*).

En second lieu, estimant que « la définition des prestations de conseil dans la rédaction actuelle de la loi n'est pas suffisamment précise et dépasse largement l'objet du texte qui est d'encadrer l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques »31(*), l'Assemblée nationale a prévu la publication d'un décret devant préciser la nature des prestations de conseil concernées par la présente loi.

Il convient en outre de noter que l'Assemblée nationale a semblé hésiter quant au périmètre des prestations de conseil en informatique. En effet, la commission des lois a adopté un amendement de Laure Miller32(*) excluant les prestations d'appui et d'expertise technique ainsi que les prestations de réalisation informatique de la catégorie du conseil en informatique. Comme le soulignent les rapporteurs de l'Assemblée nationale, « l'amendement adopté réduit nettement le champ d'application du texte en matière de prestations informatique par rapport à la rédaction issue du Sénat », les catégories exclues représentant respectivement 644,2 et 932,7 millions d'euros en 2022, contre 156,1 millions d'euros pour le seul conseil en stratégie numérique ou en stratégie numérique des politiques publiques. En séance publique, la rédaction du Sénat a finalement été rétablie33(*), à l'initiative du rapporteur, Nicolas Sansu.

c) Un cadre d'intervention des consultants assoupli par l'Assemblée nationale

Enfin, si le V de l'article 1er n'a fait l'objet d'aucune modification au Sénat, l'Assemblée nationale a assoupli le dispositif initial, aussi bien au profit des consultants que de l'administration.

Sur le premier point, elle a supprimé l'obligation de proposer plusieurs scénarii à l'administration bénéficiaire34(*), au motif que « toutes les prestations intellectuelles, notamment les prestations en conseil informatique, n'ont pas vocation à donner lieu à l'élaboration de plusieurs scénarii ».

Sur le second point, elle a prévu que l'administration puisse demander au prestataire ou au consultant d'associer un agent de l'administration concernée à la réalisation de la prestation de conseil, afin de « réinternaliser des compétences au sein des administrations »35(*).

3. La position de la commission : limiter les exceptions à l'application de la loi aux cas les plus justifiés

Dans un esprit de compromis, la commission a accepté plusieurs des modifications apportées par l'Assemblée nationale, notamment l'instauration d'un seuil de 60 millions d'euros de dépenses annuelles de fonctionnement pour déterminer les établissements publics nationaux devant appliquer la présente proposition de loi, l'exclusion des prestations relatives aux participations de l'État ou encore la suppression de l'obligation, pour les consultants, de proposer plusieurs scénarii à l'administration bénéficiaire. Elle a en outre jugé opportun et conforme aux objectifs portés par le texte l'ajout de l'Assemblée nationale permettant à l'administration de demander au prestataire de conseil d'associer un agent.

En revanche, par l'adoption de l'amendement COM-4 présenté par sa rapporteure, elle a souhaité revenir sur certaines exclusions prévues par l'Assemblée nationale, qui ne lui sont pas apparues justifiées au regard des objectifs de transparence et d'encadrement du recours aux prestations de conseil dans le secteur public.

Cet amendement apporte six modifications au texte adopté par l'Assemblée nationale. 

En premier lieu, il supprime l'exclusion des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) du périmètre du texte. Les EPIC dont les dépenses annuelles de fonctionnement dépassent les 60 millions d'euros disposent largement des ressources humaines nécessaires pour appliquer la loi. Au demeurant, ces établissements dont le chiffre d'affaires annuel peut atteindre, pour certains, plusieurs milliards d'euros, par exemple la RATP, disposent également de ressources financières leur permettant de faire usage de prestations de conseil ; il est donc souhaitable que la loi leur soit applicable alors que leur action a des conséquences concrètes sur la vie quotidienne de nombreux citoyens.  

Dans une même logique, il supprime le rehaussement du seuil d'application de la loi pour les établissements publics de santé, fixé par l'Assemblée nationale - avec avis favorable du Gouvernement - à 200 millions d'euros, contre 60 millions d'euros pour les autres établissements publics nationaux. Le seuil de 60 millions d'euros n'inclut plus que 116 établissements publics de santé sur les 1350 que compte le pays ; il apparaît donc déjà suffisamment ciblé. En outre, il ne constitue pas un effet de seuil important, 91 établissements publics de santé étant encore concernés par le seuil de 200 millions d'euros, selon la liste actualisée transmise à la rapporteure par le Gouvernement.

En troisième lieu, l'amendement COM-4 supprime la demande de rapport sur le recours aux prestations de conseil par certaines collectivités territoriales, qui ne s'articule pas convenablement avec l'article 1er bis, les seuils étant différents dans les deux articles.

En quatrième lieu, il recentre sur « le conseil en stratégie numérique » le périmètre des prestations en informatique concernées par le texte, en reprenant la nomenclature définie par la circulaire n° 6391/SG du 7 février 2023 de la Première ministre relative au pilotage et à l'encadrement du recours aux prestations intellectuelles informatiques. Le « conseil en stratégie numérique » (ou « stratégies numériques politiques publiques ») est la notion utilisée pour qualifier les prestations qui « peuvent présenter des risques d'influence de la décision publique », c'est-à-dire les prestations ciblées par la commission d'enquête, tandis que les « appuis et expertises techniques » ainsi que les « prestations de réalisations informatiques », autres catégories introduites par la circulaire, incluent la programmation, la maintenance mais aussi la réalisation d'audits de cybersécurité, les installations de matériels ou progiciels, le support aux utilisateurs, etc. Elles revêtent un moindre enjeu en termes d'influence sur la décision publique. 

La présente proposition de loi étant conçue comme un outil juridique encadrant l'intervention des cabinets de conseil dans le secteur public, l'amendement COM-4 précise en outre que l'activité de conseil des banques, qui sont déjà régies par une règlementation qui leur est propre, n'est pas concernée lorsqu'il s'agit de conseil en matière de gestion de patrimoine, de conseil de gestion financière ou d'ingénierie financière et de conseil en investissement

Enfin, pour éviter tout détournement de l'esprit de la loi, l'amendement COM-4 précise que le décret d'application qui définira les prestations de conseil mentionnées au II de l'article 1er sera pris en Conseil d'État

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 1er bis
Extension du périmètre de la loi aux principales collectivités territoriales

L'article 1er bis, ajouté en deux temps lors de la première lecture à l'Assemblée nationale, étend le périmètre de la présente loi aux régions, aux départements, aux communes de plus de 100 000 habitants et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants. Il prévoit en outre la remise d'un rapport au Parlement sur les conséquences d'une telle extension.

La commission a supprimé cet article.

1. La mission « flash » de l'Assemblée nationale a conclu à la nécessité de réaliser une étude approfondie avant d'inclure les collectivités territoriales dans le champ de la proposition de loi

Afin de préparer l'examen du texte, la commission des lois de l'Assemblée nationale a mené une mission « flash »36(*), dont les conclusions ont été communiquées en juillet 2023, « sur le champ d'application de la proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques ». L'objectif de cette mission « flash » était de déterminer s'il apparaissait opportun d'intégrer les collectivités territoriales audit champ d'application.

Cette mission a naturellement identifié des enjeux communs à l'État et aux collectivités locales dans le recours à des conseils privés, au nombre de trois : un enjeu de transparence budgétaire et de bonne gestion des deniers publics, un enjeu de transparence dans la prise des décisions publiques, ainsi qu'un enjeu de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts.

Toutefois, malgré l'identification de ces enjeux communs, les deux rapporteurs37(*) de la mission « flash » ont constaté que « les prestations de conseil auxquelles les collectivités [territoriales] ont recours se distinguent [pour partie] de celles dont bénéficie l'État », aussi bien quant à la « nature » des prestations que des « motifs » justifiant leur recours.

Les travaux de la mission « flash » ont également souligné « qu'aucune donnée suffisamment précise n'existe actuellement pour estimer le montant global des prestations de conseil effectivement réalisées au bénéfice des collectivités locales ». Malgré le travail effectué par les députés, demeure donc une difficulté structurelle d'appréhension de l'étendue et des réalités économiques du recours aux prestations de conseil par les collectivités territoriales.

Enfin, si la mission « flash » a estimé que « le droit en vigueur, [qui] ne prévoit ni la mise en oeuvre d'obligations spécifiques en matière de transparence et d'évaluation de la part des acteurs publics, ni l'application de règles déontologiques particulières, pourrait à ce titre être renforcé », elle a parallèlement rappelé que le droit commun des collectivités territoriales et de la commande publique permettait « d'assurer un contrôle des marchés de conseil passés par ces collectivités ».

Ainsi, au regard de la spécificité du marché du conseil à destination des collectivités territoriales, de la méconnaissance des réalités chiffrées de ce marché et de l'existence d'un encadrement juridique de droit commun, les rapporteurs de la mission « flash » ont considéré que « l'extension systématique de l'ensemble des dispositions du texte » aux collectivités territoriales devait « être écartée », notamment car « elle risquerait de créer une charge administrative trop importante » pour celles-ci et qu'il était préférable, avant de légiférer, de réaliser « une étude approfondie afin de définir au mieux les obligations qui devraient être imposées aux collectivités et à leur conseil », dans l'optique d'une éventuelle application partielle de la proposition de loi38(*).

2. Malgré les conclusions de la mission « flash », l'Assemblée nationale a étendu, à l'initiative du Gouvernement, le périmètre de la proposition de loi aux collectivités territoriales

Conformément aux préconisations de la mission « flash », la commission des lois de l'Assemblée nationale a inséré39(*), à l'initiative de ses rapporteurs, le présent article 1er bis, qui, dans un premier temps, était limité à une demande de rapport au Parlement « étudiant les conséquences d'une éventuelle extension des autres dispositions de la présente loi aux collectivités territoriales et à leurs groupements sur le fonctionnement de ces collectivités et groupements ainsi que sur le marché du conseil au secteur public local ». Ce rapport devait être transmis avant le 31 décembre 2024 « après consultation des associations nationales d'élus locaux ».

En séance publique, les députés ont adopté un amendement40(*), présenté par le Gouvernement, qui, tout en maintenant la demande de rapport, étend le périmètre de la loi aux régions, aux départements, aux communes de plus de 100 000 habitants et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI) de plus de 100 000 habitants.

Interrogée par la rapporteure, la direction générale des collectivités locales (DGCL) du ministère de l'intérieur et des outre-mer a justifié ce seuil de 100 000 habitants par « la volonté d'éviter de faire peser une charge excessive sur des structures de taille réduite pour lesquelles les enjeux sont limités »41(*).

Ce seuil aurait été choisi par parallélisme avec d'autres obligations légales, notamment l'obligation de déclaration de situation patrimoniale et de déclaration d'intérêts42(*) pour les élus de ces communes et, en lien plus direct avec le recours aux cabinets de conseil, les règles de transparence applicables aux relations des représentants d'intérêts avec des élus.43(*)

Ce seuil de 100 000 habitants s'appliquerait à 42 communes et 129 EPCI à fiscalité propre, qui s'ajouteraient donc aux départements et aux régions.

Tel qu'adopté en séance publique par l'Assemblée nationale, l'article 1er bis rend applicable à ces collectivités la quasi-totalité de la proposition de loi, à savoir les II à V de l'article 1er, les articles 2, 5, 6 et 7, le I de l'article 9 et les articles 11 à 13, 17 et 18. En réalité, à l'exception notable du dépôt d'une déclaration d'intérêts par les consultants, imposé par l'article 10, les seuls articles non inclus sont ceux qui, par définition, ne peuvent s'appliquer qu'à l'État, comme l'article 3 qui prévoit la publication d'un rapport agrégeant les données relatives aux prestations de conseil, et les articles qui avaient été supprimés en commission - mais dont certains ont été rétablis en séance publique, comme l'article 15.

3. Une extension qui n'apparaît pas nécessaire et qui ne peut être acceptée en l'absence de consultation des associations d'élus locaux

Conformément à la position exprimée par le Sénat lors de la première lecture, la commission s'est opposée à l'extension du périmètre de la loi aux collectivités territoriales, aussi bien pour des raisons d'opportunité que pour des raisons de méthode.

Trois difficultés d'ordre méthodologique ont été relevées par la commission.

En premier lieu, les travaux de la commission d'enquête n'ont pas porté sur le recours par les collectivités territoriales aux prestations de conseil : aucun panorama exhaustif n'a pu, par conséquent, être dressé quant à l'étendue de ce recours.

En deuxième lieu, si l'Assemblée nationale a bien mené une mission « flash » sur le sujet, d'une part cette mission s'est opposée à une large extension du périmètre du texte aux collectivités territoriales et, d'autre part, elle a suggéré d'approfondir l'étude de la question avant de légiférer.

En troisième lieu, et il s'agit de la difficulté la plus significative, le Gouvernement, qui est pourtant à l'origine de cette extension, n'a mené aucune consultation auprès des associations des élus locaux avant de la proposer. L'absence de consultation par le Gouvernement a été confirmée à la rapporteure aussi bien par les associations d'élus locaux que par la DGCL. Par ailleurs, les associations d'élus locaux auditionnées par la rapporteure ont unanimement exprimé leur opposition à l'article 1er bis.

Outre ces difficultés de méthode, la commission n'a pas jugé judicieuse l'extension du périmètre de la loi aux collectivités territoriales.

En effet, le recours aux prestations de conseil par les collectivités territoriales relève de préoccupations généralement plus ciblées et souvent, d'ailleurs, imposées par la loi, à l'instar des évaluations environnementales qui doivent être obligatoirement réalisées par des tiers. L'intégration des collectivités territoriales dans le périmètre de la présente proposition de loi constituerait ainsi une superposition d'obligations qui peut paraître disproportionnée et représenter « une charge administrative trop importante », pour reprendre les termes des rapporteurs de la mission « flash » de l'Assemblée nationale.

En outre, l'opacité qui caractérisait, au vu des conclusions de la commission d'enquête, le recours aux prestations de conseil par l'État, ne concerne pas avec la même acuité les collectivités territoriales, pour lesquelles de nombreux mécanismes de contrôle et de transparence existent déjà : d'une part, le code de la commande publique s'applique pleinement aux prestations de conseil contractées par les collectivités territoriales, et, d'autre part, le code général des collectivités territoriales (CGCT) permet aux assemblées délibérantes locales, dans lesquelles siègent des membres de l'opposition, d'exercer un contrôle sur ces prestations de conseil, différence majeure avec les administrations centrales et les établissements publics nationaux.

Ainsi, les marchés de conseil passés par les exécutifs locaux par délégation des assemblées délibérantes font l'objet d'une information de ces dernières. Les présidents de conseil départemental et de conseil régional doivent également en informer la commission permanente44(*).

Plus généralement, les conseillers municipaux, départementaux et régionaux ont le droit d'être informés des affaires de leur collectivité qui font l'objet d'une délibération45(*), et l'exécutif local doit leur adresser une note de synthèse ou un rapport sur ces affaires avant la tenue de l'assemblée délibérante ou de sa commission permanente46(*). Ces différentes obligations sont également applicables aux établissements publics de coopération intercommunale47(*).

À ces contrôles internes peuvent s'ajouter des contrôles externes, réalisés par le préfet ou par la chambre régionale des comptes, bien que ces contrôles ne portent pas sur l'opportunité du recours à une prestation de conseil.

Pour toutes ces raisons, la commission a adopté l'amendement COM-3, présenté par sa rapporteure, de suppression de l'article 1er bis.

La commission a supprimé l'article 1er bis.


* 9 Rapport n° 578 (2021 - 2022) fait par Eliane Assassi au nom de la commission d'enquête du Sénat sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, déposé le 16 mars 2022.

* 10 Selon les déclarations du président de la commission d'enquête, Arnaud Bazin. Voir le compte rendu de la réunion constitutive du 25 novembre 2021.

* 11 Article L. 6141-1 du code de la santé publique.

* 12 Rapport de la commission d'enquête, page 20.

* 13 Rapport de la commission d'enquête, page 156.

* 14 « Opérateurs de l'État », annexe au projet de loi de finances pour 2023, p. 12.

* 15 Rapport prévu au 25° de l'article 179 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 16 Amendements identiques CL97 de Laure Miller et CL111 des rapporteurs, Bruno Millienne et Nicolas Sansu.

* 17 Amendement n° 139 de Gilles Le Gendre.

* 18 Rapport n° 2112 (XVIe législature) de Bruno Millienne et Nicolas Sansu, fait au nom de la commission des lois sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, déposé le 24 janvier 2024.

* 19 Amendements identiques CL72 de Marie-Agnès Poussier-Winsback et CL110 des rapporteurs, Bruno Millienne et Nicolas Sansu.

* 20 Amendement n° 149 de Marie-Agnès Poussier-Winsback.

* 21 Article R. 2191-7 du code de la commande publique.

* 22 Source : Panoramas de la direction de la recherche, des études de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé - Les établissements de santé, édition 2022.

* 23 Amendement CL148 des rapporteurs, Bruno Millienne et Nicolas Sansu.

* 24 Amendement n° 8 de Cécile Untermaier.

* 25 Amendement COM-6 de Cécile Cukierman, rapporteure.

* 26 Amendement COM-4 de Cécile Cukierman, rapporteure.

* 27 Amendement COM-5 de Cécile Cukierman, rapporteure.

* 28 Amendements identiques CL99 de Laure Miller et CL112 de Bruno Millienne, rapporteur, amendement n° 194 de Charles Sitzenstuhl et amendement n° 196 de Bruno Millienne, rapporteur.

* 29 Amendement n° 182 de Jean-René Cazeneuve.

* 30 Selon l'auteur de l'amendement, Jean-René Cazneuve. Voir le compte rendu de la première séance de l'Assemblée nationale du jeudi 1er février 2024.

* 31 Amendements identiques n° 31 de Lise Magnier et n° 141 de Fanta Berete.

* 32 Amendement CL98 de Laure Miller.

* 33 Amendements identiques n° 134 d'Anne Le Hénanff et n° 195 de Nicolas Sansu, rapporteur.

* 34 Amendements identiques CL100 de Laure Miller et CL113 de Bruno Millienne et Nicolas Sansu, rapporteurs.

* 35 Amendement CL14 de Cécile Untermaier.

* 36 Communication de Marie Lebec et Nicolas Sansu, au nom de la mission  « flash » de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le champ d'application de la proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, 12 juillet 2023.

* 37 Les députés Marie Lebec et Nicolas Sansu.

* 38 Les rapporteurs ont en effet estimé que « certaines dispositions de la proposition de loi paraissent, dans leur esprit, transposables aux collectivités » territoriales.

* 39 Par l'adoption de l'amendement CL149 de Bruno Millienne et Nicolas Sansu, rapporteurs.

* 40 Amendement n° 178 du Gouvernement, modifié par les sous-amendements n° 230 de Jean-René Cazeneuve, n° 238 de Cécile Untermaier, et n° 242 de Bruno Millienne et Nicolas Sansu, rapporteurs.

* 41 Contribution écrite de la DGCL transmise à la rapporteure.

* 42 3° du I de l'article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

* 43 6° de l'article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

* 44 Articles L. 2122-23, L. 3221-11 et L. 4231-8 du CGCT.

* 45 Articles L. 2121-13, L. 3121-18 et L. 4132-17 du CGCT.

* 46 Articles L. 2121-12, L. 3121-19, L. 3121-19-1, L. 4132-18 et L. 4132-18-1 du CGCT.

* 47 Articles L. 5211-1 et L. 5211-2 du CGCT.

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