EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Création d'un répertoire des représentants d'intérêts agissant pour le compte de mandants étrangers

L'article 1er tend à créer un répertoire numérique, tenu et rendu public par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), des représentants d'intérêts agissant pour le compte de mandants étrangers.

Dès lors qu'ils exercent une influence sur la décision publique, réalisent toute action de communication à destination du public ou collectent des fonds sans contrepartie au profit d'un mandant étranger, de tels représentants seraient soumis à l'obligation de se déclarer auprès de la HATVP, qui procèderait à leur inscription sur ce registre. Le fait de se soustraire à cette obligation déclarative serait puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Partageant pleinement l'objectif de transparence poursuivi par ces dispositions, la commission a admis sans réserve dans son principe la création d'un tel registre. Elle a néanmoins souhaité en garantir la pleine opérationnalité, notamment en ajoutant les anciens présidents de la République, anciens membres du Gouvernement, anciens députés ou anciens sénateurs, pour une durée de cinq ans après l'expiration de leur mandat, à la liste des personnes avec lesquelles l'entrée en communication de l'agent d'influence donne lieu à obligation déclarative, en renforçant les prérogatives de la HATVP - en particulier en lui octroyant un pouvoir d'astreinte - et en autonomisant le registre prévu en application de la loi dite « Sapin 2 ».

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

1. Le dispositif proposé : un effort de transparence bienvenu dans la prévention et la lutte contre les ingérences étrangères

La présente proposition de loi a notamment pour objectif de garantir une meilleure transparence des tentatives d'ingérences étrangères conduites sur notre sol, qui doit permettre aux décideurs publics, lorsqu'ils sont la cible d'opérations d'ingérence, d'en être dûment informés.

Le cadre juridique français paraît à cet égard lacunaire. Si le répertoire numérique des représentants d'intérêts issu de la loi « Sapin 2 » peut permettre l'appréhension des liens entre certains représentants d'intérêts et des mandants étrangers, force est de constater que, ce dispositif visant moins la lutte contre les ingérences étrangères que la prévention de la corruption et des conflits d'intérêts, il se révèle inadapté à cet objectif.

Cette lacune du cadre juridique français est d'autant plus préoccupante que d'autres États se sont dotés de moyens juridiques dédiés spécifiquement à la lutte contre les ingérences étrangères. Aux États-Unis, le Foreign Agents Registration Act (ou FARA), prévoit un registre spécifique sur lequel doivent s'inscrire les agents travaillant pour le compte d'un mandant étranger. D'autres États, tels que le Royaume-Uni, l'Australie ou le Canada, se sont dotés ou sont en train de se doter d'outils similaires.

L'article 1er de la présente proposition de loi a donc pour objectif de combler cette lacune du cadre juridique français, en procédant à la constitution d'un répertoire numérique, tenu et rendu public par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), sur lequel seraient tenus de s'inscrire les représentants d'intérêts agissant pour le compte de mandants étrangers.

Seraient considérés comme soumis à cette obligation « les personnes physiques ou morales » qui, « sur l'ordre, à la demande ou sous la direction ou le contrôle d'un mandant étranger (...) et aux fins de promouvoir ses intérêts », qui :

- influent sur la décision publique, notamment sur le contenu d'une loi ou d'un acte réglementaire ;

- réalisent toute action de communication à destination du public ;

- ou collectent des fonds ou procèdent au versement de fonds sans contrepartie.

Le fait pour un représentant d'intérêts concerné par cette obligation de s'y soustraire serait puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Les mandants étrangers concernés seraient définis comme appartenant à l'une des trois catégories suivantes :

- les puissances étrangères ;

- les personnes morales qui sont directement ou indirectement dirigées ou contrôlées par ces puissances étrangères, ou dont ces dernières financent plus de la moitié des ressources ;

- les organisations politiques étrangères.

Les pouvoirs de la HATVP pour s'assurer du respect des obligations déclaratives ainsi posées seraient alignés sur ceux dont elle dispose déjà dans le cadre de la tenue du registre des représentants d'intérêts dit « Sapin 2 ».

2. La position de la commission : circonscrire la portée du dispositif à la lutte contre les ingérences étrangères, garantir son opérationnalité et renforcer les pouvoirs de la HATVP

2.1. Garantir l'opérationnalité du dispositif

Partageant pleinement son objectif, la commission a en premier lieu souhaité garantir l'opérationnalité du dispositif proposé. Elle y a à cette fin apporté trois modifications.

En premier lieu, elle a ajouté, par l'adoption des amendements identiques COM-27 de la rapporteure et COM-38 du rapporteur pour avis, les anciens présidents de la République, anciens membres du Gouvernement, anciens députés ou anciens sénateurs, pour une durée de cinq ans après l'expiration de leur mandat, à la liste des personnes avec lesquelles l'entrée en communication de l'agent d'influence donne lieu à obligation déclarative - en d'autres termes, les « cibles » d'opérations d'influence. Elle a ainsi entendu mieux tenir compte des spécificités des opérations d'influence étrangère, qui peuvent s'exercer de manière dissimulée et auprès d'un plus large éventail d'acteurs que la représentation d'intérêts classique.

En deuxième lieu, la commission a renforcé, par l'adoption de l'amendement COM-29 de la rapporteure, les prérogatives dont dispose la HATVP pour assurer le respect de l'obligation déclarative à laquelle seraient désormais soumis les représentants d'intérêts agissant pour le compte de mandants étrangers. Ainsi, se refusant à l'octroi d'un pouvoir de sanction administrative, la commission a néanmoins permis à la HATVP d'infliger une astreinte à hauteur de 1 000 euros par jour aux assujettis qui ne défèreraient pas, dans un délai de deux mois, aux mises en demeure de lui communiquer les documents ou informations qu'elle peut leur adresser, considérant le dispositif de contrôle applicable aux représentants d'intérêt issu de la loi dite « Sapin 2 » comme insuffisamment coercitif face à la problématique de l'influence étrangère. Elle a également ouvert à la HATVP la possibilité d'assortir son droit de visite sur place, après autorisation d'un juge des libertés et de la détention et en présence d'un officier de police judiciaire, dans les locaux des assujettis de la possibilité de se faire communiquer et de prendre copie des documents professionnels propres à faciliter l'accomplissement de sa mission.

Enfin, la commission a, par l'adoption de l'amendement COM-30 de la rapporteure, différé l'entrée en vigueur de la loi : constatant qu'une entrée en vigueur au 31 décembre 2024 n'était pas compatible avec le délai nécessaire à la mise en oeuvre opérationnelle du dispositif de l'article 1er dans le contexte d'une pleine mobilisation des services de renseignement sur la sécurisation des Jeux Olympiques et Paralympiques, la commission a repoussé cette entrée en vigueur au 31 décembre 2025.

2.2. Autonomiser le dispositif de lutte contre les ingérences étrangères par rapport au dispositif résultant de la loi dite « Sapin 2 »

D'un constat partagé par l'ensemble des personnes auditionnées par la rapporteure, le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale pourrait, en ce qu'il renvoie au régime des représentants d'intérêts tel qu'il est organisé par la loi dite « Sapin 2 », être source de confusion et limiter l'effet-signal souhaité par la création d'un nouveau dispositif ad hoc dédié au meilleur contrôle des activités d'influence étrangère.

À cette fin et à l'initiative de la rapporteure et du rapporteur pour avis, elle a adopté les amendements identiques COM-25 et COM-37 tendant à créer, à l'article 1er, un répertoire spécifique aux activités d'influence étrangère plutôt que de renvoyer au répertoire existant institué par la loi dite « Sapin 2 ». Ce faisant, elle a souhaité autonomiser les deux répertoires afin de conforter l'effet-signal envoyé par l'adoption d'un tel dispositif et rendre étanche ces deux outils afin d'éviter toute confusion sur leurs finalités.

Ainsi, elle a considéré que, d'un point de vue formel, ce cadre juridique nouveau ne peut être complètement distinct du régime existant applicable aux représentants d'intérêts qu'en supprimant systématiquement la référence à la notion de « représentant d'intérêts » - notion au surplus peu adaptée à la qualification d'activités d'influence étrangère - et en limitant, lorsque cela est possible, les renvois entre les deux régimes au profit d'une inscription « en dur » des dispositions applicables aux activités d'influence étrangères.

2.3. Circonscrire la portée du dispositif à la seule lutte contre les ingérences étrangères

Au regard des spécificités du mode opératoire des acteurs se livrant à des ingérences étrangères et de la palette d'outils mis à disposition des autorités administratives et judiciaires dans la lutte contre ces ingérences, la commission a souhaité mieux circonscrire ce champ d'action spécifique.

D'une part, la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale définit comme activités déclenchant l'obligation déclarative le fait d'« influer sur la décision publique en entrant en communication avec des élus ou décideurs » ; or, alertée sur ce point lors de ses auditions, il est apparu à la rapporteure que la notion d'influence sur la seule « décision publique » était trop restrictive compte tenu des modes opératoires de ces agents.

D'autre part, la rédaction résultant des travaux de l'Assemblée nationale inclut au surplus les activités, caractérisées par un critère matériel, consistant à « réaliser toute action de communication à destination du public », ou à « collecter des fonds ou procéder au versement de fonds sans contrepartie », sans exiger que ces activités soient conduites dans le but d'influer sur la vie publique. Il en résulte un élargissement excessif du champ d'application du dispositif qu'il est, dès lors, nécessaire de circonscrire à la seule lutte contre les ingérences étrangères considérant que celle-ci passe nécessairement par une meilleure transparence sur les influences étrangères, pratiques et activités parfaitement légales.

Pour y remédier, la commission propose, par l'adoption de l'amendement COM-26 de la rapporteure, de systématiser le critère d'influence sur la décision publique à l'ensemble des activités assujetties, - critère intentionnel qui complèterait ainsi le critère matériel relatif aux activités déjà retenu par la proposition de loi -, tout en retenant la notion plus large d'influence sur la conduite des politiques publiques.

Enfin, poursuivant le même objectif, elle a, par l'adoption de l'amendement COM-38 de la rapporteure, exclu les partis et groupements politiques de l'Union européenne de la catégorie des mandats étrangers, évitant ainsi tout risque d'inconventionnalité.

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 1er bis A (nouveau)
Contrôle de la HATVP sur le risque d'ingérence en matière de reconversion professionnelle

L'article 1er bis A, inséré à l'initiative de la commission, tend à compléter les missions de la HATVP en matière de lutte contre les ingérences étrangères.

D'une part, il tire les conséquences des dispositions de l'article 1er de la proposition de loi en précisant explicitement les missions de la HATVP en matière de lutte contre les ingérences étrangères.

D'autre part, il tend à mieux coordonner les missions de la HATVP en incluant, comme le préconise le rapport de l'OCDE sur la prévention des ingérences étrangères, au titre du contrôle de la mobilité public/privé et de la reconversion professionnelle des anciens ministres, présidents d'exécutifs locaux et membres d'une autorité administrative ou publique indépendante, le contrôle des risques d'ingérence étrangère, et ce, pour une durée de cinq ans - et non trois ans comme pour les autres contrôles.

La commission a ajouté l'article 1er bis A ainsi rédigé.

Au regard des nouvelles missions attribuées à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) à l'article 1er de la présente proposition de loi, la commission a souhaité, à l'initiative de sa rapporteure, adopter l'amendement COM-31, pour en tirer toutes les conséquences.

En premier lieu, il a paru nécessaire à la commission, dans un objectif de cohérence du droit, de compléter les missions aujourd'hui dévolues à la HATVP pour y faire figurer explicitement celles découlant des attributions lui échéant en vertu de l'article 1er de la présente proposition de loi.

En second lieu, la commission a souhaité tenir compte des préconisations de l'OCDE dans son rapport relatif à la lutte contre les ingérences étrangères en France4(*).

Ce rapport relève en particulier que « concernant la reconversion d'anciens responsables et agents publics au sein d'entités étrangères, le dispositif français ne permet pas aujourd'hui d'encadrer les mobilités au-delà de trois ans et n'inclut pas de disposition particulière sur la représentation d'intérêts étrangers. » Un tel constat a été partagé, lors de son audition, par Didier Migaud, président de la HATVP, qui a plaidé pour un « meilleur contrôle de la reconversion professionnelle des quelques 15 000 personnes qui font déjà l'objet d'un contrôle, sans que le risque d'ingérence étrangère ne soit aujourd'hui pris en compte ».

Dès lors, la commission a souhaité assurer une meilleure articulation des missions de la HATVP en matière de prévention des conflits d'intérêts pour la reconversion de responsables publics et en matière, désormais, de lutte contre les ingérences étrangères.

Elle a, à cette fin, inclu au titre du contrôle de la mobilité public/privé et de la reconversion professionnelle des anciens ministres, présidents d'exécutifs locaux et membres d'une autorité administrative ou publique indépendante, le contrôle des risques d'ingérence étrangère, et ce, pour une durée de cinq ans - et non trois ans comme pour les autres contrôles. En effet, il apparait que de nombreuses actions d'influence étrangère à destination d'anciens décideurs publics nationaux ou locaux soient menées plusieurs années après la fin de leurs fonctions au regard de leurs nombreux contacts et de leur influence parfois encore importante dans la vie publique. Au surplus, une telle durée de contrôle, bien que dérogatoire, est cohérente avec la durée introduite par la commission à l'article 1er par l'amendement COM-25 de la rapporteure qui élargit la liste des « cibles » de l'influence aux anciens élus nationaux pour une durée de cinq années à l'issue de leur mandat.

La commission a ajouté l'article 1er bis A ainsi rédigé.

Article 1er bis
Obligation pour les laboratoires d'idées de déclarer les dons et versements étrangers

Cet article, issu d'un amendement adopté en séance publique à l'Assemblée nationale, tend à ce que les laboratoires d'idées soient tenus de transmettre à la HATVP le montant des dons et versements étrangers qu'ils reçoivent.

La commission a adopté cet article en y apportant plusieurs précisions et l'a complété pour inclure dans son champ les Instituts.

1. Un financement des laboratoires d'idées sujet à débat

a) Le risque d'achat d'influence dans le cadre du débat d'idées

Les laboratoires d'idées participent à la diversité et à la qualité du débat démocratique. Leur visibilité, la notoriété qu'ils peuvent acquérir et l'appui qu'ils sont susceptibles d'apporter dans le débat public à une cause ou à une demande d'évolution des politiques publiques ou législatives en font des objets d'intérêt pour les puissances étrangères soit par la voie de l'entrisme, soit par celle de la création de structures dédiées à la promotion de leurs intérêts.

Dès 2014, le New York Times relevait l'importance de l'implication financière d'États étrangers dans les think tanks américains, dans le but d'y avoir une influence. Dans le cadre des mesures prises pour limiter l'influence étrangère sur la politique intérieure américaine, à la suite de l'ingérence russe dans l'élection présidentielle américaine, le Département d'État américain a mis en place en 2020 une mesure de publication des financements étrangers reçus par les laboratoires d'idées. Aujourd'hui semble-t-il mise en sommeil par l'exécutif, cette mesure fait l'objet d'une proposition de loi au Sénat américain.

b) Les laboratoires d'idées sont considérés par la HATVP comme des représentants d'intérêts

En France, l'inscription des laboratoires d'idées en tant que représentants d'intérêts a pu faire l'objet de débat et d'un contentieux porté par l'Institut Montaigne devant le Conseil d'État. En l'état du droit, ils doivent figurer au registre des représentants d'intérêts.

Comme l'indique la HATVP, les laboratoires d'idées formulent des propositions de réformes dans différents domaines d'intervention de l'État. Leur action de promotion de ces réformes les fait entrer dans la définition des représentants d'intérêts.

2. Le dispositif proposé

Au regard de l'importance des laboratoires d'idées dans le débat public, l'article 1er bis prévoit la transmission à la HATVP de la liste des dons et versements reçus de la part de toute puissance étrangère ou de toute personne morale étrangère.

Il renvoie à un décret en Conseil d'État la définition des modalités de cette transmission et notamment les conditions de la publicité des informations transmises.

3. La position de la commission : un meilleur encadrement des exigences imposées aux laboratoires d'idées

La commission approuve le renforcement proposé de la transparence des financements étrangers pour les laboratoires d'idées. Elle a adopté l'amendement (COM-11 rect.) déposé par Gisèle Jourda afin de soumettre aux mêmes obligations les Instituts destinés à pouvoir une langue ou une culture étrangère.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a également souhaité garantir la conventionnalité et la proportionnalité du dispositif en prévoyant que les financements par des États ou des personnes morales de l'Union européenne n'entraient pas dans le champ de l'obligation de déclaration et en renvoyant au décret la détermination d'un seuil au-delà duquel la déclaration sera obligatoire, celle-ci n'ayant pas vocation à s'appliquer au premier euro. Elle a donc adopté l'amendement COM-22.

La commission a adopté l'article 1er bis ainsi modifié.

Article 2
Rapport sur l'état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale en raison d'ingérences étrangères

Cet article prévoit la remise d'un rapport tous les deux ans au Parlement sur l'état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale, et notamment des menaces résultant d'ingérences étrangères. Ce rapport pourra faire l'objet d'un débat au Parlement.

La commission a adopté cet article sans modification.

La commission considère que la remise régulière d'un rapport au Parlement sur l'état des menaces et notamment sur celles résultant des ingérences étrangères participe de la prise de conscience et de la connaissance des menaces auxquelles est exposée la France et qui ne se révèlent malheureusement parfois que sous la forme de crises internes ou internationales ou d'attentats.

Elle a donc approuvé cet article tout en rappelant que la possibilité pour l'Assemblée nationale ou le Sénat d'organiser des débats relève de la responsabilité de chaque assemblée sans qu'une mesure législative soit nécessaire à cet effet.

La commission a adopté l'article 2 sans modification.

Article 3
Extension de la technique dite de l'algorithme aux cas d'ingérence étrangère

Cet article autorise, à titre expérimental, les services de renseignements à faire fonctionner des traitements automatisés de données afin de détecter des connexions susceptibles de révéler toute forme d'ingérence ou de tentative d'ingérence étrangère.

La commission a adopté cet article en lui apportant plusieurs précisions.

1. Un recours aux algorithmes encadré mais qui doit encore faire ses preuves

Le lexique de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) définit l'algorithme comme un « traitement automatisé de données de connexion dont la mise en oeuvre, prévue à l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, ne peut être autorisée que pour les seuls besoins de la prévention du terrorisme. »

L'algorithme vise à déceler, parmi des données de connexion transitant sur les réseaux des opérateurs de communications électroniques, dont des URLs, des indices caractérisant la préparation d'un acte de terrorisme, telle qu'une succession de connexions révélant un comportement représentatif d'une menace. 

Le recours aux algorithmes comme technique de renseignement a été ouvert par la loi du 24 juillet 2015 pour une période limitée, à titre expérimental. Initialement fixée au 31 décembre 2018, son échéance a été repoussée de deux ans par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, au regard de la mise en oeuvre tardive des premiers algorithmes, puis pérennisée par la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement.

La délégation parlementaire au renseignement (DPR) a plusieurs fois souligné les résultats décevants des algorithmes au regard de l'atteinte qu'ils portent aux libertés, puisque leur usage repose sur l'obligation faite aux opérateurs ou fournisseurs de communications électroniques de mettre en oeuvre sur leurs réseaux des traitements automatisés afin de détecter des schémas de connexions susceptibles de révéler une menace terroriste.

Sur son site internet, la CNCTR fait état du fonctionnement de quatre algorithmes.

Outre la limitation de son champ d'application à la finalité de prévention du terrorisme, la procédure d'autorisation de la mise en oeuvre de l'algorithme a été strictement encadrée : il ne peut ainsi être mis en oeuvre que pour une durée initiale de deux mois renouvelée par périodes de quatre mois, après avis préalable de la CNCTR sur le dispositif technique envisagé et les paramètres retenus.

S'agissant du fonctionnement de la technique en elle-même, le traitement des données de contenu des communications en a été exclu. En outre, il a été précisé que le traitement automatisé ne doit en aucun cas permettre d'identifier les personnes auxquelles les données de connexion analysées se rapportent. Ce n'est que dans un second temps qu'un service, en cas de révélation d'une menace terroriste, peut demander l'autorisation au Premier ministre de « lever l'anonymat », après avis de la CNCTR, sur les données de connexion en question et de les conserver.

La technique de l'algorithme est donc difficile à mettre en oeuvre pour trois raisons. Elle suppose l'identification de comportements d'usage d'internet qui correspondent à la préparation d'une attaque terroriste, leur traduction sous la forme d'un programme informatique, l'application de celui-ci aux données de connexion autorisées pas la loi et l'identification de cas pertinents, enfin la levée de l'anonymat et la levée de doute par le service à l'origine de la demande. Il s'agit donc d'une technique nécessairement limitée, mais susceptible de fournir des renseignements autrement inatteignables s'il est possible de la mettre en oeuvre de manière efficace.

2. Le dispositif proposé : une extension des finalités de l'algorithme

L'article 3 propose d'étendre la possibilité de recours à l'algorithme à la lutte contre toute forme d'ingérence ou de tentative d'ingérence étrangère. Cette extension est prévue pour une durée de quatre ans avec une clause couperet au terme de cette période. Un rapport à mi-parcours est prévu afin de présenter au Parlement l'état de la mise en oeuvre sur ces nouvelles finalités. À la suite de l'adoption en commission des lois à l'Assemblée nationale d'un amendement du groupe Socialiste et apparentés, ce rapport doit également présenter l'impact de l'élargissement sur l'efficacité de l'algorithme en matière de lutte contre le terrorisme.

3. La position de la commission : une extension possible sous réserve de précisions et d'une meilleure information du Parlement

La commission a admis l'argument présenté par les services selon lequel l'identification de schémas de comportements par l'algorithme serait plus aisée en matière d'ingérence qu'en matière de terrorisme, où le nombre d'auteurs isolés a considérablement augmenté ces dernières années.

Elle a été moins convaincue par la possibilité de mise en oeuvre à court terme d'un algorithme pour la lutte contre les cyberattaques au regard des difficultés techniques qui lui ont été présentées. Le délai de quatre ans prévu par l'article 3 permettra de juger de la faisabilité des algorithmes en la matière.

Afin de préciser le champ d'application de la technique de l'algorithme, la commission a adopté l'amendement COM-33 présenté par la rapporteure et autorisant le recours à cette technique pour la lutte contre les ingérences étrangères et les menaces pour la défense nationale, en plus de la lutte contre le terrorisme. La notion de « menace » paraît plus précise que celle visant « toute forme d'ingérence ou de tentatives d'ingérence étrangères » et permet d'inclure la lutte contre les cyberattaques.

L'amendement COM-33 recentre également le rapport demandé sur l'extension des recours à l'algorithme et prévoit la remise d'un deuxième rapport six mois avant la fin de l'expérimentation dont la date est fixée au 1er juillet 2028. Dans les deux cas une version comportant les informations classifiées sera remise à la DPR.

La commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.

Article 4
Possibilité de procéder au gel des fonds et des ressources économiques des personnes se livrant à des actes d'ingérence

Cet article ouvre au ministre chargé de l'économie et au ministre de l'intérieur la possibilité de décider, conjointement, le gel des fonds et ressources économiques des personnes physiques ou morales ou de toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes d'ingérence, y incitent ou y participent.

La commission a choisi de limiter le champ de cet article à la prévention des actes d'ingérence, parallèlement à l'élaboration d'un mécanisme renforcé de sanctions pénales prévu à l'article 4 bis.

1. Un mécanisme déjà utilisé en matière de recours contre le terrorisme

L'article L. 562-1 du code monétaire et financier donne une définition de l'acte de terrorisme sur le fondement de laquelle l'article L 562-2 permet le gel des avoirs « qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes de terrorisme, y incitent ou y participent ».

Ce mécanisme est soumis à une autorisation conjointe du ministre chargé de l'économie et du ministre de l'intérieur pour une durée de six mois, renouvelable.

Cette mesure, qui implique un travail important d'identification des personnes et de leurs avoirs, est complexe à mettre en oeuvre au regard des exigences de la jurisprudence administrative en matière de preuve et des coûts liés au gel des avoirs. Elle apparaît à certains égards davantage comme un signal envoyé que comme une mesure de sanction ayant vocation à être largement déployée.

2. Le dispositif proposé : une extension à la lutte conte l'ingérence

L'article 4 propose, sur le modèle des dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, d'inscrire dans le code monétaire et financier une définition de l'ingérence puis, sur ce fondement, d'étendre la possibilité de gel des avoirs à la lutte contre le phénomène.

3. La position de la commission : un signal utile en matière de prévention des actes d'ingérence

Tout en partageant l'objectif de cet article, la commission des lois a adopté l'amendement COM-34 de la rapporteure tendant à en restreindre la portée à la prévention des actes d'ingérence. Au regard des difficultés de mise en oeuvre des procédures de gel, il semble en effet peu réaliste d'essayer de lutter contre les cas d'ingérence avérés par ce mécanisme. La mesure garde cependant tout son sens dans les cas où l'autorité judiciaire ne sera pas en mesure d'intervenir et où une mesure d'entrave pourra être mise en oeuvre, sous le contrôle du juge administratif.

La commission a adopté l'article 4 ainsi modifié.

Article 4 bis (nouveau)
Aggravation des peines en cas d'ingérence étrangère

Cet article, introduit à l'initiative de la rapporteure, tend à prévoir une circonstance aggravante en cas d'infraction commise pour le compte d'une entité étrangère et à autoriser le recours aux techniques spéciales d'enquête.

Participant au renforcement des sanctions contre l'ingérence étrangère, l'article 4 bis crée une circonstance aggravante applicable aux infractions contre les biens ou les personnes conduites dans le but de servir les intérêts d'une entité étrangère. Le minimum de peine encourue est dans ces cas fixé à six ans d'emprisonnement et peut aller jusqu'à la perpétuité pour les crimes encourant dans d'autres cas une peine maximale de trente ans d'emprisonnement.

En complément de cet ajout au code pénal, l'article complète également le code de procédure pénale afin de permettre le recours aux techniques spéciales d'enquête dans les affaires d'ingérence étrangère. Cette mesure permettra une continuité entre les techniques utilisées en renseignement et celles ouvertes au juge une fois l'affaire judiciarisée.

La commission a adopté l'article 4 bis ainsi rédigé.

Article 5
Application dans les Outre-mer.

Cet article procède aux coordinations nécessaires pour permettre l'application des dispositions de la présente proposition de loi en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis-et-Futuna.

Tout en soulignant l'importance de cet article au regard du niveau d'ingérence étrangère dans les Outre-mer, la commission l'a adopté sans modification.

La commission a adopté l'article 5 sans modification.


* 4 OCDE, «  Renforcer la transparence et l'intégrité des activités d'influence étrangère en France : Un outil pour lutter contre les risques d'ingérences étrangères », avril 2024.

Partager cette page