II. CRÉDIBILISER LE VIRAGE EUROPÉEN DE L'ARMÉNIE, ET LE RÔLE GÉOPOLITIQUE DE L'EUROPE

A. ENCLENCHER UNE VÉRITABLE DYNAMIQUE EUROPÉENNE DANS LE SOUTIEN À L'ARMÉNIE

1. L'opportunité, pour l'Union européenne, d'affirmer son rôle géostratégique

L'Europe ne peut laisser l'Arménie, jeune démocratie agressée par un État autoritaire soutenu par la Turquie et la Russie, subir les menaces russes sur sa souveraineté pour prix de ses souhaits de liberté.

La première conséquence d'un désengagement européen serait de rapprocher l'Arménie du seul allié objectif qui lui reste dans la région : l'Iran. Téhéran, qui voit dans l'Arménie un utile État tampon tenant à distance les mondes russe et turc, est en effet le seul acteur régional à avoir tracé une ligne rouge à l'adresse de Bakou en estimant que toute modification de sa frontière avec l'Arménie - par la création du corridor souhaité dans le Syunik, ainsi - représentait une menace pour sa sécurité. Celle-ci lui serait d'autant moins acceptable qu'elle émanerait d'un Azerbaïdjan armé par la Turquie et Israël, et toujours soupçonné d'instrumentaliser la minorité azérie sur son sol. Se désengager serait une défaite morale, et pousser l'Arménie dans les bras de l'Iran serait une défaite stratégique majeure pour les Européens.

L'Europe doit en outre se garder d'adresser un blanc-seing aux puissances révisionnistes de la région, et réaffirmer son attachement à la déclaration d'Alma-Ata du 21 décembre 1991, par laquelle les républiques soviétiques devenues États membres de la Communauté des États indépendants sont convenues de « reconnaître » et de « respecter » « l'intégrité territoriale et l'immuabilité des frontières existantes des uns et des autres ». À défaut, l'Union enverrait un terrible signal sur le front de la guerre en Ukraine.

2. Afficher la promesse d'un soutien européen dans la durée, notamment via la FEP

L'action de l'Union européenne est pour l'heure bridée par la conception extensive de la neutralité qu'elle s'impose à elle-même. Elle a certes conclu un accord de partenariat global et renforcé, entré en vigueur le 1er mars 2021. Dans ce cadre, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé le 5 avril dernier l'octroi à l'Arménie d'un prêt sur quatre ans de 270 millions d'euros dans le cadre d'un programme intitulé « Résilience et croissance de l'Arménie 2024-2027 ». La deuxième occurrence du dialogue politique et de sécurité de haut niveau entre l'UE et l'Arménie s'est en outre tenue le 15 novembre 2023.

La principale réalisation opérationnelle de l'Union européenne est pour l'instant le déploiement, décidé en janvier 2023, d'une mission civile à la frontière entre les deux pays4(*). Celle-ci n'a hélas pas été autorisée par l'Azerbaïdjan à ouvrir un bureau dans sa capitale, ni à patrouiller de son côté de la frontière, comme le prévoyait à l'origine son mandat. Elle constitue cependant une incontestable réussite au regard des moyens qu'elle mobilise : elle parvient à dissiper dans une certaine mesure le brouillard de guerre azerbaïdjanais et augmente le coût politique pour Bakou de franchir de nouveau militairement la frontière. Les effectifs de la mission sont aujourd'hui de l'ordre de 120 personnes, mais devraient dépasser les 200 à la fin de l'année.

La mission civile de l'Union européenne en Arménie (EUMA)

L'EUMA a été officiellement créée par une décision du Conseil du 23 janvier 2023. Elle a été précédée d'une capacité d'observation de l'UE en Arménie (EUMCAP). Cette capacité avait déployé des observateurs de l'UE issus de la mission d'observation de l'UE en Géorgie du 20 octobre au 19 décembre 2022.

Par son déploiement du côté arménien de la frontière arméno-azerbaïdjanaise, elle vise à contribuer à la stabilité dans les zones frontalières en Arménie, à favoriser l'instauration d'un climat de confiance, à renforcer la sécurité humaine dans les zones touchées par des conflits, et à créer un environnement propice aux efforts de normalisation entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, soutenus par l'UE.

Les effectifs, exclusivement civils, de l'EUMA représentaient une centaine de personnes au total à sa création, dont quelque 50 observateurs non armés, et devraient doubler d'ici la fin de l'année 2024. La mission a son quartier général opérationnel à Yeghegnadzor, dans la province arménienne de Vayots Dzor. Stefano Tomat, directeur exécutif de la capacité civile de planification et de conduite (CPCC), du SEAE, exerce les fonctions de commandant d'opération civil, et Markus Ritter celles de chef de mission.

L'EUMA est une mission neutre et à caractère non exécutif, créée pour deux ans. Le renouvellement de son mandat n'a pas encore été décidé.

La mesure en cours de négociation que cette proposition de résolution européenne invite le Gouvernement à soutenir consiste en une mesure non létale de 10 millions d'euros, versée au titre de la Facilité européenne pour la paix, destinée à financer la construction d'un hôpital mobile dimensionné pour un bataillon de 500 soldats. Établie en 20215(*), cette facilité vise à permettre le financement, par les États membres de l'Union européenne, d'actions de l'Union européenne au titre de la politique étrangère et de sécurité commune destinées à préserver la paix, prévenir les conflits et renforcer la sécurité internationale.

L'intégration de l'Arménie parmi les bénéficiaires de la FEP avait été portée notamment par Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, dans un courrier adressé en octobre 2023 à M. Josep Borrell, haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

L'effet d'une telle mesure dépasse sans doute de loin son montant : outre qu'elle concrétiserait une demande explicitement formulée par l'Arménie, elle aurait un effet psychologique durable sur les soldats arméniens, d'autant qu'elle vaudrait en quelque sorte promesse d'un engagement renouvelé, une première tranche d'aide au titre de la FEP en appelant probablement une autre - ainsi que ce fut le cas pour la Géorgie en décembre 2021, en décembre 2022 et en mai 2023 ou encore pour la Moldavie en décembre 2021, juin 2022, mai 2023, et avril 2024.


* 4 Décision (PESC) 2023/162 du Conseil du 23 janvier 2023 relative à une mission de l'Union européenne en Arménie (EUMA).

* 5 Décision (PESC) 2021/509 du Conseil du 22 mars 2021 établissant une facilité européenne pour la paix, et abrogeant la décision (PESC) 2015/528.

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