EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
Dégel du corps électoral pour les
élections au congrès
et aux assemblées de province de
Nouvelle-Calédonie
L'article 1er du projet de loi constitutionnelle vise à dégeler le corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de Nouvelle-Calédonie.
Sous réserve de l'adoption des deux amendements qu'elle a adoptés, la commission est favorable à l'adoption de l'article 1er.
1. Le dispositif proposé : le dégel définitif du corps électoral pour les natifs et les personnes domiciliées depuis au moins dix années
Pour l'ensemble des raisons énoncées ci-avant, l'article 1er du projet de loi constitutionnelle vise à dégeler irrévocablement le corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de Nouvelle-Calédonie.
Pour ce faire, il propose :
- dans son I, de supprimer le dernier alinéa de l'article 77 de la Constitution, introduit par la révision constitutionnelle de 2007 afin de « geler » le corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie à l'année 1998.
Plus précisément, cet alinéa dispose que : « pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l'accord mentionné à l'article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l'occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer » ;
- au II, d'insérer un nouvel article 77-1 dans la Constitution afin d'introduire le principe d'un corps électoral restreint glissant pour ces mêmes scrutins.
Ce corps électoral serait constitué de l'ensemble des personnes remplissant une double condition cumulative : d'une part, être inscrites sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie, et d'autre part, être natives de Nouvelle-Calédonie ou y être domiciliées depuis au moins dix années.
Ce « dégel » du corps électoral serait pérenne, malgré son inscription dans le titre XIII intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ».
Ce même nouvel article 77-1 de la Constitution renverrait, dans son III, à une loi organique les conditions d'application de cette nouvelle disposition, en particulier s'agissant des conditions d'admission aux scrutins calédoniens.
Par ailleurs, le projet de loi constitutionnelle contient quatre alinéas non codifiés qui visent à renvoyer la définition des conditions de son application, pour l'organisation des élections pour le premier renouvellement général des assemblées de province et du congrès postérieur à la publication de la loi, à un décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres ;
- au III, prenant en compte les remarques formulées par le Conseil d'État quant à la délégation du pouvoir constituant au pouvoir réglementaire ainsi prévue pour déterminer les conditions d'application d'une disposition constitutionnelle, par dérogation au nouvel article 77-1 qui prévoit une loi organique pour le faire ou qui sont de nature ordinaire, le Gouvernement a souhaité encadrer cette habilitation dans le temps : celle-ci serait limitée à deux mois, soit du 1er juillet au 1er septembre 2024.
En complément, le Gouvernement a limité à trois domaines le champ de l'habilitation qu'il sollicite, à savoir :
- la composition du corps électoral et les critères d'appréciation des conditions d'admission aux scrutins, « la détermination des motifs d'absence du territoire de la Nouvelle-Calédonie qui ne sont pas interruptifs de la durée de domiciliation de dix années mentionnée à l'article 77-1 de la Constitution » prévue par le 1° du III ;
- les opérations de révision des listes électorales, « les modalités selon lesquelles une révision complémentaire de la liste électorale intervient avant ces élections, au plus tard dix jours avant la date du scrutin » prévues par le 2° du III ;
- les conditions d'inscription d'office sur la liste électorale spéciale, « la possibilité pour les électeurs remplissant les conditions mentionnées à l'article 77-1 de la Constitution d'être inscrits d'office sur la liste électorale et les modalités de cette inscription d'office », prévues par le 3° du III.
2. La position de la commission : valider le passage définitif d'un corps électoral « gelé » à un corps électoral restreint « glissant »
Pour l'ensemble des raisons exposées ci-avant dans l'exposé général, la commission des lois est favorable à l'adoption de l'article 1er sous réserve de l'adoption des deux amendements du rapporteur.
Ainsi, elle propose d'adopter sans modification le premier alinéa de l'article 1er proposé par le Gouvernement, validant ainsi la suppression définitive de toute référence dans la Constitution au principe d'un corps électoral gelé.
De façon analogue et pour toutes les raisons exposées ci-avant, elle n'a pas souhaité modifier les critères d'admission aux scrutins proposés par le Gouvernement au troisième alinéa de l'article 1er. Pour les mêmes raisons, la commission propose de ne pas modifier le champ des mesures identifié par le Gouvernement comme devant être impérativement prises malgré des délais contraints afin d'assurer le bon déroulé des opérations électorales au plus tard au 15 décembre 2024.
Toutefois, afin de rendre cette révision constitutionnelle pleinement subsidiaire à un accord global sur l'avenir politique et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie en vue de garantir le destin commun des Calédoniens, la commission propose, à l'initiative du rapporteur, un amendement n° 4 poursuivant un triple objet :
- en premier lieu, appliquer pour le prochain renouvellement général du congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie ce nouveau corps électoral glissant ;
- en deuxième lieu, permettre au Parlement d'étendre son application à un prochain scrutin - qu'il s'agisse d'un renouvellement général ou partiel - par l'adoption d'une simple loi organique, à défaut d'accord entre les parties calédoniennes intervenu d'ici à ce scrutin ;
- en troisième lieu, comme suggéré par le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi constitutionnelle, consulter pour avis le congrès de la Nouvelle-Calédonie sur l'ensemble des dispositions organiques prises afin de préciser les restrictions au corps électoral ainsi appliquées pour les scrutins provinciaux et du congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Enfin, si comme l'énonce le Conseil d'État, le Gouvernement justifie le recours à un acte réglementaire par la « brièveté des délais » que lui laisse la date de report des élections à raison de l'intervention de la révision constitutionnelle, au 15 décembre 2024, « alors que de nombreuses opérations préparatoires aux élections doivent être accomplies, tout en laissant un temps suffisant au déroulement de la campagne électorale », la commission n'a pas souhaité accorder au pouvoir réglementaire une telle habilitation à intervenir dans des matières qui relèvent d'ordinaire du domaine de la loi organique ou ordinaire et touchent à l'essence de la démocratie dont le Parlement est le gardien.
Soucieuse d'éviter tout contournement du Parlement dans la définition des mesures nécessaires à l'organisation d'un scrutin local, la commission a adopté un amendement du rapporteur n° 5 qui vise à supprimer l'habilitation du pouvoir réglementaire à prendre des dispositions de niveau organique pour organiser le prochain scrutin provincial par un simple décret en conseil des ministres.
Conscient des délais procéduraux particuliers enserrant l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi organique, il est, en conséquence, proposé de déroger à ceux-ci au profit des délais applicables à tout texte de nature ordinaire afin d'en faciliter et d'en accélérer l'adoption, le cas échéant.
La procédure spécifique d'adoption
des lois organiques
prévue par l'article 46 de la
Constitution
Lors de la procédure parlementaire, en cas de désaccord du Sénat, la loi organique doit être adoptée par l'Assemblée nationale à la majorité absolue.
Comme pour tout texte de nature ordinaire, il s'écoule un délai d'au moins six semaines entre le dépôt d'un projet ou d'une proposition de loi organique et son examen en séance publique devant la première assemblée saisie, et quatre semaines pour la seconde assemblée saisie. En revanche, en cas de recours à la procédure accélérée par le Gouvernement, un délai minimal de deux semaines s'applique aux textes de nature organique entre leur dépôt et leur examen en séance publique dans la première assemblée saisie, alors qu'aucun délai minimal n'est prévu pour les autres textes législatifs. Si le Conseil constitutionnel a déjà admis, eu égard aux circonstances particulières résultant de la crise sanitaire de la covid-19, une dérogation jurisprudentielle à ce délai procédural, cette solution jurisprudentielle est toutefois guidée par les nécessités propres à cette situation exceptionnelle.
Le Gouvernement peut ensuite utiliser l'ensemble des moyens de procédure à sa disposition dans la navette législative (convocation d'une commission mixte paritaire - CMP, dernier mot donné à l'Assemblée nationale).
Source : viepublique.fr
Ainsi, cet amendement tient compte de la nécessité de prendre l'ensemble des mesures nécessaires à l'organisation du premier scrutin dans un délai permettant une révision complémentaire de la liste électorale et l'exercice effectif d'un droit de recours pour les inscriptions sur celle-ci avant la tenue du scrutin, aujourd'hui prévue au plus tard au 15 décembre 2024.
Sous réserve de l'adoption des deux amendements qu'elle a adoptés, la commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 1er.
La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 1er ainsi modifié.
Article 2
Entrée en vigueur de la
disposition constitutionnelle et mécanisme de report des
élections provinciales et au congrès de la
Nouvelle-Calédonie
L'article 2 du projet de loi constitutionnelle vise à dégeler le corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de Nouvelle-Calédonie.
Sous réserve de l'adoption des trois amendements qu'elle a adoptés, la commission est favorable à l'adoption de l'article 2.
1. Le dispositif proposé : une entrée en vigueur des dispositions constitutionnelles subordonnée à l'absence d'accord entre les parties signataires de l'Accord de Nouméa
Afin de continuer de privilégier la recherche du consensus entre les parties prenantes et aboutir à un accord global tripartite sur l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, le projet de loi constitutionnelle soumet l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle à l'absence de conclusion d'un accord global sur la situation politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie entre les trois parties au dossier calédonien avant le 1er juillet 2024.
Ainsi, suivant les recommandations émises par le Conseil d'État, le Gouvernement a défini avec précision les caractéristiques de l'accord dont l'absence de conclusion subordonnerait l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions constitutionnelles de l'article 1er, en définissant :
- les signataires de l'accord : les partenaires politiques de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 ;
- le contenu de l'accord : l'évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie ;
- le contexte de l'accord : son inscription dans le cadre des discussions prévues par l'Accord de Nouméa en cas d'achèvement du cycle de consultations sur l'accession à la pleine souveraineté par une réponse négative.
La conclusion de cet accord avant le 1er juillet 2024 entraîne, selon le cas, la caducité des dispositions de l'article 1er ou empêche leur entrée en vigueur.
En outre, le Gouvernement propose que le Conseil constitutionnel soit l'autorité chargée de constater l'existence d'un accord conforme aux caractéristiques ainsi définies. Ce dernier, saisi par le Premier ministre, disposerait d'un délai de huit jours pour statuer sur ce point, étant entendu que sa seule saisine empêche par elle-même l'entrée en vigueur de l'article 1er.
Enfin, il est proposé, de façon analogue au mécanisme proposé à l'article 1er, d'habiliter le pouvoir réglementaire, en cas de conclusion d'un tel accord constaté par le Conseil constitutionnel, à reporter par un décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres les élections nécessaires au premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle. En pareil cas, le terme des mandats en cours des membres du congrès et des assemblées de province serait alors logiquement reporté jusqu'à la première réunion des assemblées nouvellement élues.
Ce report aurait pour terme le 30 novembre 2025 au plus tard pour des scrutins aujourd'hui reportés au 15 décembre 2024 au plus tard.
2. La position de la commission : donner toutes ses chances à la conclusion d'un accord et préserver les droits du Parlement
Il appartient au pouvoir constituant de décider souverainement des conditions d'entrée en vigueur de ces dérogations, et d'en déterminer la date et les conditions d'entrée en vigueur.
Ainsi, si le constituant subordonne l'entrée en vigueur d'une disposition constitutionnelle à la survenance d'un événement extérieur, cet événement doit avoir un caractère matériellement certain permettant d'en constater l'occurrence sans ambiguïté ni marge d'appréciation. Il en allait ainsi pour la loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005 qui prévoyait que son entrée en vigueur serait subordonnée à celle d'un engagement international.
Dès lors, le choix de conditionner l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle à un accord, dont les caractéristiques ont été suffisamment précisées, et confiées à une autorité indépendante, qui n'est pas partie à la négociation politique calédonienne, apparaît, sur le plan juridique, incontestable.
Soucieuse de donner toutes ses chances à la conclusion d'un accord tripartite global sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, la commission souhaite, sans revenir sur la date d'entrée en vigueur prévue au 1er juillet 2024, par l'adoption d'un amendement du rapporteur n° 7, afin de permettre l'adoption de mesures organiques et réglementaires ainsi que la préparation effective du prochain scrutin provincial, introduire parallèlement un mécanisme permettant de suspendre le processus électoral à tout moment en cas d'accord global entre les parties, et ce, y compris après cette date et au plus tard jusqu'à dix jours avant la tenue du prochain scrutin provincial. Ce terme pourrait donc théoriquement être fixé au 5 décembre 2024, les élections ayant été reportées au plus tard au 15 décembre 2024 par l'adoption en des termes identiques par chacune des assemblées d'un projet de loi organique en ce sens. À ce stade, le rapporteur rappelle son attachement à la tenue du prochain renouvellement général des assemblées de province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie avant le 15 décembre 2024.
Ainsi, compte tenu du nouveau terme de la conclusion possible d'un accord, le rapporteur propose, en complément de la caducité, que l'adoption en conseil des ministres d'un projet de loi organique visant à reporter la date du premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle, afin de permettre l'adoption des mesures constitutionnelles, organiques et législatives nécessaires à la mise en oeuvre dudit accord, emporte report du décret de convocation des électeurs pour ce même scrutin.
En outre, de façon analogue au raisonnement développé à l'article 1er, le rapporteur propose, par l'amendement n° 6 adopté par la commission, de supprimer l'habilitation du pouvoir réglementaire à prendre des dispositions de niveau organique pour reporter les prochaines élections provinciales et au congrès de la Nouvelle-Calédonie, au profit d'une loi organique.
Ce même amendement ambitionne également de modifier l'autorité chargée de constater l'existence d'un accord entre l'État et les parties calédoniennes. En effet, le rapporteur n'a pas souhaité confier au Conseil constitutionnel le constat de la conclusion d'un accord tripartite sur le dossier calédonien, considérant qu'il appartient au seul Parlement de le reconnaître. Dès lors, il confie aux présidents des deux assemblées l'autorité de constater la conclusion, conformément aux caractéristiques exposées ci-avant, d'un tel accord. Ainsi, cette disposition permettait de garantir l'indépendance de l'autorité chargée de constater un tel accord - le Parlement n'étant pas partie à celui-ci - dont la survenance conditionne l'entrée en vigueur des dispositions constitutionnelles sans pour autant contourner le Parlement ;
Enfin, s'agissant du contenu de l'accord tripartite global susceptible de faire obstacle à l'entrée en vigueur de telles dispositions constitutionnelles, la commission a souhaité, à l'initiative du rapporteur par l'adoption d'un amendement n° 8, préciser le contenu de l'accord en indiquant qu'il doit, en plus de porter sur l'évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, assurer le destin commun défini par l'Accord de Nouméa du 5 mai 1998. Cette notion matricielle héritée de l'Accord de Nouméa doit être, aux yeux du rapporteur, le socle d'une d'une affectio societatis renouvelée entre les citoyens calédoniens qui fait encore défaut aujourd'hui.
Sous réserve de l'adoption des trois amendements qu'elle a adoptés, la commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 2.
La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 2 ainsi modifié.