N° 441

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 mars 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1)
sur le projet de loi constitutionnelle portant
modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie,

Par M. Philippe BAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir le numéro :

Sénat :

291 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Rappelant que le contenu du texte ainsi que son calendrier d'examen avaient été choisis par le Gouvernement sans concertation préalable avec le Parlement, la commission des lois propose d'adopter le projet de révision constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie sous réserve de plusieurs modifications proposées par le rapporteur, Philippe Bas.

Ainsi, la commission valide, sur le principe, la suppression de toute référence à un corps électoral « gelé » et l'introduction d'un corps électoral restreint « glissant ». Elle a, pour ce faire, favorablement accueilli les conditions d'admission au scrutin proposées par le Gouvernement à savoir : la participation de l'ensemble des électeurs inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie natifs ou domiciliés depuis au moins dix années sur le territoire calédonien. De façon analogue, en proposant le maintien de l'entrée en vigueur de ce nouveau corps électoral au 1er juillet 2024, elle confirme sa volonté, exprimée sur le projet de loi organique portant report des élections provinciales, que le prochain scrutin provincial se déroule au plus tard le 15 décembre prochain.

Elle s'est toutefois attachée à améliorer le texte sur deux points principaux : d'une part, encourager avant tout la recherche d'un accord global sur l'avenir politique et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie et d'autre part, garantir les droits du Parlement en évitant tout contournement injustifié par l'exécutif sur le dossier calédonien.

I. LES CONSÉQUENCES DU « GEL » DU CORPS ÉLECTORAL POUR LES ÉLECTIONS AUX PROVINCES ET CONGRÈS DE LA

A. LE PRINCIPE ANCIEN D'UN CORPS ÉLECTORAL RESTREINT EN NOUVELLE-CALÉDONIE, DONT LE « GEL » POUR LES ÉLECTIONS AUX PROVINCES ET AU CONGRÈS A ÉTÉ VOTÉ EN 2007

Héritage des accords de Matignon-Oudinot, le principe d'un corps électoral restreint a été reconduit par l'Accord de Nouméa du 5 mai 1998. Plus précisément, il a été décidé, dans l'Accord de Nouméa, que des restrictions au corps électoral seraient mises en oeuvre tant pour les consultations d'accession à la pleine souveraineté, que pour les élections provinciales.

Ainsi, à propos des élections provinciales et territoriales, l'Accord de Nouméa prévoit dans son préambule que « le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée ».

Conformément aux orientations définies par l'Accord de Nouméa et en application de l'article 77 de la Constitution introduit en 1998 à la suite de la signature puis de l'approbation de l'Accord de Nouméa, la loi organique du 19 mars 1999 dans son article 188, limite le droit de vote à trois catégories de citoyens qui doivent répondre à l'un des critères suivants :

remplir les conditions pour être inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998, ce qui inclut ceux qui étaient effectivement inscrits et ceux qui auraient pu l'être, mais qui ne l'ont pas été, par exemple, parce qu'ils ne l'avaient pas demandé ;

être inscrits sur le tableau annexe et être domiciliés depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection au congrès et aux assemblées de province ;

être devenus majeurs après le 31 octobre 1998 et :

- soit justifier de dix ans de domicile en Nouvelle-Calédonie en 1998 ;

- soit avoir eu un de leurs parents remplissant les conditions pour être électeur au scrutin du 8 novembre 1998 ;

- soit avoir un de leurs parents inscrit au tableau annexe et justifier d'une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection.

Saisi de la conformité à la Constitution de la loi organique précitée, le juge constitutionnel, dans sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1990, fait prévaloir la théorie du corps électoral « glissant », estimant que doivent participer à l'élection des assemblées de province et du congrès les personnes qui, à la date de l'élection, figurent au tableau annexe et sont domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 1998.

En réponse à cette interprétation des dispositions constitutionnelles que le constituant a jugée non conformes à sa volonté initiale et aux engagements pris par l'État lors de la signature de l'Accord de Nouméa, a été introduit, par la révision constitutionnelle de 2007, un nouvel alinéa à l'article 77 de la Constitution qui dispose que : « Pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l'accord mentionné à l'article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l'occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer. ». Il a ainsi été acté, par une disposition interprétative du pouvoir constituant, le retour à un corps électoral « gelé » à partir de 2009 pour les élections provinciales et au congrès de Nouvelle-Calédonie.

B. LES CONSÉQUENCES DE LA CRISTALLISATION DU CORPS ÉLECTORAL SUR LES ÉLECTIONS DU CONGRÈS ET DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE

1. Le maintien de la paix civile et la participation des indépendantistes à l'ensemble des scrutins provinciaux

Les dispositions constitutionnelles en vigueur ont indiscutablement permis le maintien de la paix civile, conformément à leur objectif principal.

En outre, alors que l'interprétation du Conseil Constitutionnel avait fait craindre un boycott - annoncé - des partis du FLNKS des élections provinciales en cas d'application d'un corps électoral « glissant », l'intervention du pouvoir constituant a permis, pour toute la durée d'application de l'Accord de Nouméa, d'organiser cinq scrutins pour les élections provinciales et du congrès avec la participation de l'ensemble des forces politiques calédoniennes, indépendantistes comme non-indépendantistes.

2. Une incidence marquée sur les effectifs de la liste électorale spéciale pour les provinciales : le plus que doublement de la proportion d'électeurs non-admis à participer au scrutin

Il résulte des informations transmises par le Gouvernement au rapporteur que la proportion des électeurs privés de droit de vote pour l'élection des assemblées de province et du congrès par rapport au nombre d'électeurs inscrits sur la liste électorale générale est passée de 7,46 % en 1999 à 19,28 % en 2023. En d'autres termes, cette proportion a été multipliée par 2,45 entre 1988 et 2023.

Ainsi, il est indéniable que l'ampleur des dérogations aux principes d'égalité et d'universalité du suffrage est aujourd'hui supérieure à celles admises en 1998, lors de la signature de l'Accord de Nouméa.

D'une analyse partagée avec le Conseil d'État, compte tenu de ces évolutions démographiques et des effets induits par le « gel » du corps électoral, la compatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France « est incertaine alors que le processus défini par l'Accord de Nouméa est achevé 1(*)». Cela est d'autant plus probable qu'« avec l'écoulement du temps, les effets [induits] excèdent ce qui était nécessaire à la mise en oeuvre de l'Accord de Nouméa ».

3. Des situations paradoxales résultant du manque d'anticipation de certaines configurations familiales et individuelles

En dépit de désaccords sur le principe du dégel du corps électoral, les représentants des partis indépendantistes partagent, avec le Gouvernement et les partis non-indépendantistes, « un certain nombre de constats sur le fonctionnement actuel des listes électorales, notamment des incohérences dans les règles actuelles »2(*) et tous semblent convenir de la nécessité d'y remédier.

Comme l'a déjà constaté la mission d'information de la commission des lois du Sénat, conduite par François-Noël Buffet, Philippe Bas, Jean-Pierre Sueur et Hervé Marseille, « forts ces constats partagés, les différentes parties [devraient] entérine[r] le plus rapidement possible la nécessité de résoudre trois difficultés identifiées :

« - les écarts entre le nombre d'inscriptions sur la liste électorale spéciale à la consultation et celle pour les élections provinciales, chiffrés par le Gouvernement à 11 000 personnes natives de Nouvelle-Calédonie ;

« - le vide juridique entourant la situation des petits-enfants d'un électeur inscrit en 1998 sur la liste pour les élections provinciales, alors que celle des enfants des mêmes électeurs est prévue. En effet, les dispositions de l'article 188 de la loi organique précitées prévoient que seuls les enfants, et non les autres descendants, des électeurs inscrits sur les listes électorales en 1998 peuvent rejoindre le corps électoral pour l'élection des assemblées de province et du congrès ;

« - la question des conjoints de citoyens calédoniens qui ne disposent pas, contrairement au droit commun de la nationalité, d'une faculté, même conditionnée à une durée de mariage, d'accéder au bénéfice de la citoyenneté calédonienne et de participer aux élections provinciales »3(*).

4. Une incohérence induite entre les listes électorales et divergente de l'esprit de Nouméa

L'évolution démographique et les inscriptions sur les listes électorales calédoniennes - d'office ou à la demande des intéressés - ont conduit à une situation paradoxale régulièrement mise en avant par les partis politiques non-indépendantistes : le corps électoral référendaire, plus restreint que le corps électoral de droit commun, est, paradoxalement, sensiblement plus large que le corps électoral pour l'élection du congrès et des assemblées de province, comme le présente le graphique ci-dessous, alors même qu'il a vocation à désigner les représentants politiques des institutions locales qui ont un effet direct sur le quotidien des Calédoniens.

En l'occurrence, le corps électoral défini pour les consultations référendaires a toujours été conçu, dès les accords de Matignon-Oudinot comme plus restreint que celui défini pour les élections du congrès et des assemblées de province, dès lors que le citoyen qui souhaite participer au scrutin d'accession à la pleine souveraineté doit, notamment, justifier d'une durée de vingt ans de domicile à la date de la consultation alors que cette durée, qu'importe la nature du corps électoral - glissant ou gelé -, est abaissée à dix années pour l'inscription sur la liste électorale pour les élections provinciales.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : EN L'ABSENCE D'ACCORD LOCAL AVANT LE 1ER JUILLET 2024, UN DÉGEL PARTIEL DU CORPS ÉLECTORAL POUR LES ÉLECTIONS DU CONGRÈS ET DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE DONT LA MISE EN oeUVRE POURRAIT CONTOURNER LE PARLEMENT

A. LE DÉGEL PARTIEL DU CORPS ÉLECTORAL POUR LES ÉLECTIONS AUX PROVINCES ET AU CONGRÈS

1. Des motivations plurielles et un changement de méthode assumé par le Gouvernement

Comme détaillé dans l'étude d'impact du projet de loi constitutionnelle, en premier lieu, le Gouvernement considère que « le gel du corps électoral pour ces élections, par référence à la situation existante au 8 novembre 1998, ne répond plus aux exigences démocratiques résultant de nos principes constitutionnels et des engagements internationaux de la France »4(*).

En deuxième lieu, il justifie les évolutions qu'il propose par le constat qu' « (...) il est devenu aujourd'hui difficile de justifier que des électeurs installés de façon permanente en Nouvelle-Calédonie après l'approbation de l'accord en novembre 1998 - donc depuis 25 ans pour certains - ne puissent toujours pas participer à l'élection des membres du congrès, alors même que cette assemblée adopte les lois du pays et les réglementations locales qui régissent leur quotidien, dans le champ de compétence très étendu de la Nouvelle-Calédonie ou des provinces, et déterminent les choix politiques fondamentaux du territoire. Il paraît tout aussi singulier qu'un citoyen français né en Nouvelle-Calédonie, et qui y réside toujours aujourd'hui, ne puisse participer à ces élections locales alors même qu'il peut voter à toutes les autres élections et, généralement, a aussi pu participer aux trois consultations d'autodétermination de 2018, 2020 et 2021. »5(*).

En dernier lieu, le Gouvernement « propose de corriger les distorsions qui résultent de l'écoulement du temps et des évolutions démographiques depuis plus de deux décennies »6(*).

Le rapporteur, à la suite des auditions menées à Nouméa, n'a pu que constater que la révision constitutionnelle proposée ne fait, à l'évidence, pas l'objet d'un consensus entre les parties calédoniennes.

D'une part, l'ensemble des partis du FLNKS auditionnés ont rejeté la révision constitutionnelle, pour des raisons tenant parfois aux critères proposés, mais avant tout du fait de la méthode employée par le Gouvernement.

D'autre part, les partis non-indépendantistes, sans pour autant demander un dégel total du corps électoral, avaient pris position pour une condition de domiciliation fixée à trois ans, plutôt qu'à dix ans comme proposé par le Gouvernement, afin d'accéder à la citoyenneté calédonienne et au droit de vote afférent.

C'est pourquoi, de l'aveu même du ministre de l'intérieur et des outre-mer auditionné par la commission des lois du Sénat, « la démarche du Gouvernement procède d'une initiative unilatérale [en déposant ce projet de révision constitutionnelle]7(*) » étant précisé que « le Gouvernement a prévenu depuis deux ans que, si un accord politique global n'était pas trouvé en Nouvelle-Calédonie, il n'avancerait pas sur d'autres sujets, par respect pour les parties prenantes »8(*).

2. Les conditions d'un dégel partiel du corps électoral pour les seules élections provinciales et au congrès de la Nouvelle-Calédonie

Dans le projet de révision constitutionnelle déposé sur le Bureau du Sénat, le Gouvernement proposé de dégeler partiellement le corps électoral amené à se prononcer lors des scrutins provinciaux calédoniens.

Pour ce faire, il propose, dans un nouvel article 77-1 de la Constitution, un double assouplissement des restrictions électorales aujourd'hui en vigueur :

- en premier lieu, en incluant l'ensemble des natifs dans le corps électoral aux élections provinciales et au congrès de la Nouvelle-Calédonie ;

- en second lieu, en introduisant une condition de résidence, pour tout citoyen français, d'au moins dix années ininterrompues en Nouvelle-Calédonie pour conditionner l'admission des nouveaux électeurs aux scrutins provinciaux et du congrès calédoniens, rompant ainsi avec le principe d'un corps électoral « gelé » tel qu'établi par le constituant en 2007.

Afin de tirer toutes les conséquences de cette évolution de nature du corps électoral pour les élections provinciales et au Congrès, le Gouvernement propose de supprimer le dernier alinéa de l'article 77 de la Constitution introduit par la révision constitutionnelle de 2007 qui a précisé que seul le tableau annexe de 1998 devait être retenu pour établir les listes. Ce faisant, le tableau annexe qui serait visé par l'article 77-1 de la Constitution serait « vivant », et recenserait les personnes non-admises à participer aux élections provinciales après 1998, par opposition à celui visé par l'alinéa ainsi abrogé de l'article 77 qui, lui, est arrêté, en 1998.

3. Les conséquences du dégel du corps électoral
a) Une incidence importante sur les effectifs de la liste électorale spéciale

Selon les données communiquées par l'Institut de la statistique de Nouvelle-Calédonie et confirmée par le Gouvernement, le dégel, fut-ce partiel, du corps électoral proposé aurait une incidence importante sur les effectifs de la liste électorale pour les scrutins provinciaux calédoniens.

Ainsi, cette liste verrait sa composition augmentée de près de 14,5 % sous le double effet de l'inscription de 12 441 natifs, dont l'inscription sera quasi-automatique compte tenu de la facilité à démontrer les critères nécessaires à celle-ci, et de l'éligibilité à l'inscription de près de 13 400 citoyens français résidents en continu depuis au moins 10 ans en Nouvelle-Calédonie.

Par ailleurs, effet corollaire de l'augmentation du nombre d'inscrits sur la liste électorale pour les élections provinciales, le corps électoral pour les provinciales serait, pour la première fois depuis 2018, plus important, en nombre d'inscrits, que celui défini pour les consultations d'accession à la pleine souveraineté.

b) Un dispositif pérenne

Différence notable avec les principes actés lors de l'Accord de Nouméa et traduit dans le dispositif constitutionnel en vigueur, pour la première fois, il est proposé au constituant d'adopter un dispositif pérenne - bien que le titre XIII demeure, en l'état du texte proposé par le Gouvernement, intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ».

En cela, le dispositif proposé constitue une innovation juridique majeure en ce qu'il consacrerait de manière pérenne une dérogation aux principes d'universalité et d'égalité devant le suffrage, et ce, sans lien avec une éventuelle trajectoire institutionnelle et politique évolutive propre à la Nouvelle-Calédonie.

B. UNE ENTRÉE EN VIGUEUR DIFFÉRÉE AFIN DE RENDRE LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE SUBSIDIAIRE À TOUT ACCORD LOCAL

Afin de continuer de privilégier la recherche du consensus entre les parties prenantes comme mode principal de définition de l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, le projet de loi constitutionnelle soumet l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle à l'absence de conclusion de l'accord entre les partenaires politiques mentionné au point 2, de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998.

Plus précisément, il subordonne l'entrée en vigueur de cette révision constitutionnelle à l'absence de conclusion d'un accord devant intervenir avant le 1er juillet 2024 entre les partenaires politiques de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998.

Comme le détaille l'exposé des motifs rédigé par le Gouvernement, « si un accord entre les signataires de l'Accord de Nouméa vient à être conclu avant le 1er juillet 2024, ce qui reste en tout état de cause l'objectif poursuivi, le Gouvernement en tirera les conséquences en proposant à la représentation nationale, dans les meilleurs délais, un nouveau texte traduisant les termes du consensus qui s'est établi. Les critères d'inscription sur la liste électorale spéciale pour les élections provinciales seront alors revus conformément aux orientations du nouvel accord ».

C. UNE MISE EN oeUVRE QUI POURRAIT CONTOURNER LE PARLEMENT

Le projet de loi constitutionnelle introduit deux habilitations du pouvoir réglementaire pour prendre des actes sur des matières régies, en l'état du droit, par des dispositions législatives, y compris organiques pour certaines.

En premier lieu, le texte, dans sa version initiale et à son article 1er, renvoie la définition des conditions de son application, pour l'organisation des élections pour le premier renouvellement général des assemblées de province et du congrès postérieur à la publication de la loi, à un décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres. Selon le Gouvernement, cette habilitation du pouvoir réglementaire est justifiée par les délais enserrant les prochaines opérations électorales et serait limitée à deux mois, à compter de l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle, autrement dit avant le 1er septembre 2024.

Le texte renvoie, de même et dans son second article, à un décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres les conditions du report des élections nécessaires au premier renouvellement général des assemblées de province et du congrès dans l'hypothèse où un accord global serait conclu avant le 1er juillet 2024 ; matière, en droit commun, confiée au législateur organique.

Enfin, le Gouvernement a fait le choix de confier au Conseil constitutionnel, autorité constitutionnelle indépendante, le constat de la conclusion d'un tel accord global tripartite sur le dossier calédonien. Étant précisé que la saisine du Conseil constitutionnel avant le 1er juillet 2024 fait par elle-même obstacle à l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle, dans l'attente de sa décision, devant être rendue dans un délai de huit jours.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION : UNE NÉCESSITÉ JURIDIQUE, UNE LÉGITIMITÉ À CONFIRMER

A. L'IMPOSSIBILITÉ JURIDIQUE D'ORGANISER LE PROCHAIN SCRUTIN PROVINCIAL ET DU CONGRÈS SANS RÉVISION CONSTITUTIONNELLE

1. L'atténuation de la dérogation aux principes d'égalité et d'universalité devant le suffrage

Comme l'atteste le graphique ci-dessous, la proportion d'électeurs inscrits sur la liste électorale générale qui, en application des dispositions constitutionnelles proposées, ne seraient pas admis à voter pour l'élection des assemblées de province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie serait largement réduite. Elle serait divisée par 2,54, établissant ainsi à 7,6 % la part des électeurs non-admis à ces scrutins.

En outre, il est incontestable que cette atténuation de la dérogation aux principes d'égalité et d'universalité devant le suffrage permettrait de rétablir une proportion quasi équivalente à celle ayant été établie lors de la signature de l'Accord de Nouméa.

Plus généralement, comme l'a rappelé le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi constitutionnelle, « si les règles qui définissent l'établissement de ces listes ne sont pas modifiées, cet écart [en matière de proportion des électeurs inscrits sur la liste électorale générale et électeurs admis à participer aux scrutins provinciaux] ne pourrait que s'accentuer avec le temps »9(*).

2. La nécessité d'une disposition constitutionnelle pour dégeler le corps électoral comme pour maintenir des restrictions au corps électoral

D'une analyse partagée entre la commission des lois du Sénat et le Conseil d'État, seule une disposition constitutionnelle permettrait, d'une part, de dégeler le corps électoral calédonien, et d'autre part, d'établir de nouvelles - y compris d'une moindre rigueur - restrictions au corps électoral calédonien, justifiant ainsi pleinement la nécessité d'une telle révision constitutionnelle.

Plus précisément, comme l'a rappelé le Conseil d'État, « l'organisation politique issue de la mise en oeuvre de l'Accord de Nouméa ne peut, sous réserve des dispositions organiques intervenant dans le cadre des orientations définies par l'accord et à l'exception des cas dans lesquels les dispositions mêmes de la Constitution le permettent, être modifiée sans une révision de la Constitution, nécessaire pour s'écarter de ces orientations, et notamment pour modifier les dérogations aux règles et principes de valeur constitutionnelle que l'accord comporte »10(*).

Pour mémoire, comme l'a rappelé la commission des lois lors de son examen du projet de loi organique reportant les élections provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie, le Conseil d'État considère que ce prochain scrutin ne saurait, sans risque juridique majeur, se tenir sur la base du corps électoral restreint gelé prévu transitoirement par l'Accord de Nouméa.

B. VALIDER LE PRINCIPE DU DEGEL DU CORPS ÉLECTORAL TOUT EN ENCOURAGEANT LA RECHERCHE D'UN ACCORD GLOBAL ET PRÉSERVANT LE RÔLE DU PARLEMENT

1. Adopter, sur le principe, le passage d'un corps électoral « gelé » à un corps électoral restreint « glissant » tel que proposé par le Gouvernement

La commission des lois, à l'initiative du rapporteur Philippe Bas, propose d'adopter sous réserve de plusieurs modifications le projet de révision constitutionnelle proposé par le Gouvernement portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

Ainsi, elle valide, sur le principe, la suppression de toute référence dans la Constitution à un corps électoral gelé pour les élections provinciales et, en contrepartie, l'introduction d'un corps électoral restreint « glissant » pour ces mêmes élections.

Elle a, pour ce faire, favorablement accueilli les conditions d'admission au scrutin proposées par le Gouvernement, à savoir la participation de l'ensemble des électeurs inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie natifs ou domiciliés depuis au moins dix années sur le territoire calédonien.

2. Améliorer le projet de révision constitutionnelle en encourageant la recherche d'un accord global et préservant le rôle du Parlement pour sa mise en oeuvre

La commission s'est toutefois attachée, sur proposition du rapporteur, à améliorer le texte en poursuivant deux objectifs principaux :

- d'une part, rendre cette révision constitutionnelle pleinement subsidiaire à un accord global sur l'avenir politique et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Ainsi, la commission propose, aux seules fins de permettre l'adoption de mesures organiques et réglementaires ainsi que la préparation effective du prochain scrutin provincial, de maintenir l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle au 1er juillet 2024. Ce faisant, elle confirme son souhait, exprimé à l'occasion du projet de loi organique portant report des élections provinciales, de maintenir la date des élections aux assemblées de Province et au Congrès, au plus tard le 15 décembre 2024, sauf intervention d'un accord global tripartite.

Toutefois, elle propose parallèlement d'introduire un mécanisme permettant de suspendre le processus électoral (reporter la date des élections et l'effet des dispositions dégelant le corps électoral) à tout moment en cas d'accord global entre les parties, et ce, y compris après cette date et dix jours avant la tenue du prochain scrutin provincial. Elle propose ainsi d'allonger les délais de négociation envisagés par le projet de loi constitutionnelle, qui s'arrêtent au 1er juillet 2024 dans sa rédaction initiale, considérant que la priorité doit être donnée à un accord global, y compris à l'approche du scrutin provincial.

Poursuivant le même souhait de préférer un accord global à cette révision constitutionnelle, la commission propose, après avoir validé la suppression définitive de toute référence à un corps électoral gelé dans la Constitution - empêchant par conséquent son rétablissement - qu'un corps électoral restreint glissant soit appliqué dès le scrutin provincial et du congrès de 2024 et, permettre de reconduire, à l'avenir pour les prochains scrutins, les critères d'admission au scrutin ainsi votés par l'adoption d'une simple loi organique.

Enfin, elle propose, à l'initiative du rapporteur, de préciser le contenu de l'accord sur l'évolution politique et institutionnel devant être conclu dans le cadre des discussions prévues par l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 entre les partenaires de cet accord, en précisant qu'il doit assurer à tous les citoyens de Nouvelle-Calédonie un destin commun ;

d'autre part, garantir les droits du Parlement en évitant tout contournement injustifié par l'exécutif sur le dossier calédonien.

Elle propose, ainsi, de supprimer les deux habilitations du pouvoir réglementaire à prendre des dispositions de niveau organique pour reporter les élections et pour organiser le prochain scrutin provincial. Pour ce dernier, elle y a substitué un mécanisme dérogatoire d'adoption d'une loi organique dans des délais plus souples que ceux actuellement en vigueur. De façon analogue, elle n'a pas souhaité confier au conseil constitutionnel le constat de la conclusion d'un accord tripartite sur le dossier calédonien, qu'il appartient au seul Parlement de reconnaître.

* * *

Convaincue que le destin commun poursuivi par l'Accord de Nouméa ne saurait résulter que d'un accord global entre les parties calédoniennes et l'État, la commission se tient prête à prendre toutes les dispositions nécessaires à la mise en oeuvre d'un accord ainsi conclu qu'elle appelle de ses voeux depuis plusieurs années. Elle rappelle que, si aucun accord n'était conclu d'ici aux prochaines élections provinciales, les négociations devront naturellement reprendre dès après, afin de donner aux Calédoniens la visibilité nécessaire pour garantir leur avenir commun.

*

* *

Sous réserve de l'adoption des amendements du rapporteur, la commission est favorable à l'adoption du projet de révision constitutionnelle.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UN ACCORD POLITIQUE CONSTAMMENT RENOUVELÉ : LE PRINCIPE D'UN CORPS ÉLECTORAL RESTREINT EN NOUVELLE-CALÉDONIE

A. UN PRINCIPE INSCRIT DE LONGUE DATE DANS LES ÉQUILIBRES POLITIQUES CALÉDONIENS

1. De Matignon à Nouméa : le principe d'un corps électoral restreint en Nouvelle-Calédonie et le lien avec la citoyenneté calédonienne
a) Les accords de Matignon-Oudinot : l'introduction d'un principe de « populations intéressées à l'avenir du territoire »

Alors que les revendications politiques d'indépendance se radicalisent après l'accession au statut de territoire d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie en 1988, les tensions entre les différentes communautés s'accentuent jusqu'à culminer lors de l'embuscade de Hienghène le 5 décembre 1984 et de la prise d'otages d'Ouvéa le 22 avril 1988.

Si les accords de Matignon ont vu la question des restrictions au corps électoral traitée au travers de la définition de populations intéressées à l'avenir du territoire, il convient de rappeler que, dès juillet 1983, lors de la table ronde de Nainville-les-Roches, organisée par le secrétaire d'État chargé des départements et territoires d'outre-mer d'alors, Georges Lemoine, la question du corps électoral avait été mise à l'ordre du jour par les indépendantistes.

Cette table ronde n'avait toutefois pas permis de pacifier durablement la Nouvelle-Calédonie. En 1988, afin d'éviter que la Nouvelle-Calédonie ne sombre dans la guerre civile, le Premier ministre, Michel Rocard, dépêche une mission chargée de renouer le dialogue entre le FLNKS et le RPCR. Ces négociations aboutissent le 26 juin 1988 à une déclaration signée à l'hôtel Matignon par le Premier ministre, huit représentants du RPCR et cinq représentants du FLNKS : la paix civile a été restaurée et un nouveau statut, - le onzième depuis 1946 -, a été élaboré pour la Nouvelle-Calédonie.

Le 20 août 1988 intervient l'accord Oudinot, qui fixe le principe d'une consultation sur l'autodétermination à échéance de dix ans et organise un nouvel équilibre institutionnel.

Comme l'a rappelé l'article 1er de la loi référendaire du 9 novembre 1988, traduction juridique des accords de Matignon-Oudinot en vue d'en permettre l'approbation par un référendum, les dispositions de cette loi avaient « pour objet de créer, par une nouvelle organisation des pouvoirs publics, les conditions dans lesquelles les populations de Nouvelle-Calédonie, éclairées sur les perspectives d'avenir qui leur sont ouvertes par le rétablissement et le maintien de la paix civile et par le développement économique, social et culturel du territoire, pourront librement choisir leur destin »11(*).

Lors des négociations de l'accord de Matignon, la question du corps électoral a été de nouveau, comme en 1983, au centre des discussions. Les accords ont ainsi prévu que « les électeurs et électrices de Nouvelle-Calédonie qui seront appelés à se prononcer sur ce projet de loi référendaire ainsi que leurs descendants accédant à la majorité constituent les populations intéressées à l'avenir du territoire. Ils seront donc seuls autorisés à participer jusqu'en 1998 aux scrutins qui détermineront cet avenir : scrutin pour les élections aux conseils de province et scrutin d'accession à la pleine souveraineté. ». Ainsi, dès l'introduction du principe d'un corps électoral restreint en Nouvelle-Calédonie, ce dernier a été conçu comme s'appliquant au-delà des seules consultations référendaires, en incluant les scrutins aux institutions locales qui se résumaient alors aux provinces calédoniennes, considérant que ces scrutins étaient « déterminants pour l'avenir du territoire ». Conséquence logique de cette évolution institutionnelle, il était alors prévu par l'accord que « ces élections se dérouleront après une refonte des listes électorales ».

Pour traduire le point 6 de l'accord de Matignon qui prévoyait qu'« un scrutin d'autodétermination serait organisé en Nouvelle-Calédonie en 1998 », l'article 2 de la loi référendaire précitée prévoyait la tenue d'un scrutin d'autodétermination entre le 1er mars et le 31 décembre 199812(*). La loi référendaire a repris le point d'équilibre précédemment trouvé : elle disposait que, pour ce scrutin, seuls seraient admis à voter les électeurs inscrits sur les listes électorales en 198813(*). Il fallait donc avoir résidé au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie pour y prendre part.

Il était prévu, en outre, qu'étaient réputées avoir leur domicile sur le territoire, alors même qu'elles accomplissaient leur service national ou poursuivaient un cycle d'études ou de formation continue hors du territoire, les personnes qui avaient antérieurement leur domicile dans le territoire14(*).

Il faut toutefois attendre le décret n° 90-1163 du 24 décembre 1990 pris pour l'application de ces dispositions, pour qu'émerge la notion de « tableau annexe » alors construite par opposition à la liste électorale dite « spéciale » soit celle regroupant les seules personnes admises à participer aux scrutins calédoniens. Ainsi, dans son article 1er, le décret confiait à la commission de révision des listes électorales le soin de déterminer, pour chaque bureau de vote, « sur un tableau annexe ceux des électeurs inscrits sur la liste électorale dont elle constate qu'ils ne remplissent pas les conditions de domicile » prévues par l'article 2 de la loi de 1988 précitée15(*).

Avant la fin de l'application des accords de Matignon, les parties locales se sont accordées sur la nécessité d'éviter ce qu'elles ont alors dénommé, le « référendum couperet », prévu par l'article 2 de la loi référendaire jugeant qu'il avait toutes les chances d'aboutir à une impasse politique et qu'une solution consensuelle négociée entre les parties lui serait, en tout état de cause, préférable16(*).

b) L'accord de Nouméa : la reconduction du principe de restrictions au corps électoral indissociable de la nouvelle citoyenneté calédonienne
(i) La reconduction d'un corps électoral restreint

Si le referendum ainsi prévu a été repoussé, l'ensemble des parties locales calédoniennes se sont accordées, dès 1995, sur la nécessité de préserver les autres acquis des accords de Matignon-Oudinot, au premier titre desquels, le principe d'un corps électoral restreint.

Les discussions alors engagées entre les parties locales et l'État afin de reporter l'échéance définie par les accords de Matignon-Oudinot voient alors se confronter les projets institutionnels divergents du FLNKS et du RPCR. Fruits de ces discussions, les parties s'accordent par deux fois en moins de quatre mois, sur deux sujets politiques majeurs à l'échelle du territoire :

- une première fois le 1er février 1998 avec les accords de Bercy, en réponse au « préalable minier » souhaité par le FLNKS, permettant la construction d'une usine de nickel dans la province Nord accompagnée d'un échange de massifs miniers entre les entreprises engagées dans l'exploitation du nickel, matérialisant ainsi la promesse nouvelle d'un rééquilibrage économique entre les parties ;

- une seconde fois le 5 mai 1998, lors de la visite du Premier ministre, alors Lionel Jospin, à Nouméa, en signant l'Accord de Nouméa qui fixe une nouvelle organisation institutionnelle transitoire initialement prévue pour quinze à vingt ans à l'issue de laquelle une à trois consultations locales sur l'accession à la pleine souveraineté du territoire seraient organisées.

La problématique de la restriction du corps électoral a, comme auparavant, acquis une place cardinale lors des discussions : le FLNKS souhaitait reconduire le dispositif adopté lors des accords de Matignon, le RPCR préférant, quant à lui, une définition plus large du corps électoral17(*).

Dans la continuité des débats ayant conduit à la signature des accords de Matignon-Oudinot, la question des restrictions au corps électoral s'est posée tant pour les consultations d'accession à la pleine souveraineté que pour les élections provinciales.

Ainsi, la restriction du corps électoral pour les élections provinciales et au congrès constitue un point essentiel de l'accord de Nouméa, sur lequel se fonde la définition de la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie - innovation juridique et politique de l'Accord de Nouméa.

L'accord signé le 5 mai 1998 stipule en effet que :

« L'un des principes de l'accord politique est la reconnaissance d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. Celle-ci traduit la communauté de destin choisie et s'organiserait, après la fin de la période d'application de l'accord, en nationalité, s'il en était décidé ainsi.

« Pour cette période, la notion de citoyenneté fonde les restrictions apportées au corps électoral pour les élections aux institutions du pays et pour la consultation finale. Elle sera ainsi une référence pour la mise au point des dispositions qui seront définies pour préserver l'emploi local. »18(*)

Toutefois, fait nouveau, une révision constitutionnelle étant nécessaire pour mettre en oeuvre certains pans de l'accord de Nouméa, s'est posée la question du corps électoral pour la consultation des électeurs de Nouvelle-Calédonie sur l'accord de Nouméa lui-même, par opposition au referendum national organisé dix ans auparavant pour l'approbation de l'accord de Matignon.

Pour la consultation sur l'accord lui-même, ce dernier, dans son point 6.3, prévoyait qu'« un scrutin sera organisé avant la fin de l'année 1998 sur l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie, objet du présent accord. La loi constitutionnelle pour la Nouvelle-Calédonie permettra que ne se prononcent que les électeurs admis à participer au scrutin prévu à l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988. »

Pour les consultations finales prévues dans son point 5, l'accord de Nouméa, dans son point 2.2.1., stipule que « le corps électoral (...) comprendra exclusivement : les électeurs inscrits sur les listes électorales aux dates des consultations électorales prévues au 5 et qui ont été admis à participer au scrutin prévu à l'article 2 de la loi référendaire, ou qui remplissaient les conditions pour y participer, ainsi que ceux qui pourront justifier que les interruptions dans la continuité de leur domicile en Nouvelle-Calédonie étaient dues à des raisons professionnelles ou familiales, ceux qui, de statut coutumier ou nés en Nouvelle-Calédonie, y ont eu le centre de leurs intérêts matériels et moraux et ceux qui ne sont pas nés en Nouvelle-Calédonie mais dont l'un des parents y est né et qui y ont le centre de leurs intérêts matériels et moraux ».

Il est ajouté que : « pourront également voter pour ces consultations les jeunes atteignant la majorité électorale, inscrits sur les listes électorales, et qui, s'ils sont nés avant 1988, auront eu leur domicile en Nouvelle-Calédonie de 1988 à 1998 ou, s'ils sont nés après 1988, ont eu un de leurs parents qui remplissait ou aurait pu remplir les conditions pour voter au scrutin de la fin de 1998 » et « pourront également voter à ces consultations les personnes qui pourront justifier, en 2013, de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie ».

À propos des élections provinciales et territoriales, l'accord de Nouméa dans son préambule prévoit que « le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée ». Dans le point 2.2.1. de son document d'orientation, il est précisé : « Comme il avait été prévu dans le texte signé des accords de Matignon, le corps électoral aux assemblées des provinces et au congrès sera restreint : il sera réservé aux électeurs qui remplissaient les conditions pour voter au scrutin de 1998, à ceux qui, inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l'élection, ainsi qu'aux électeurs at teignant l'âge de la majorité pour la première fois après 1998 et qui, soit justifieront de dix ans de domicile en 1998, soit auront eu un parent remplissant les conditions pour être électeur au scrutin de la fin de 1998, soit, ayant eu un parent inscrit sur un tableau annexe justifieront d'une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection. »

Plus précisément, sur ce point, le texte n° 2 de la déclaration de Matignon, relatif aux dispositions institutionnelles et structurelles préparatoires au scrutin d'autodétermination, prévoit que constituent les populations intéressées à l'avenir du territoire les électeurs et électrices appelés à se prononcer sur le projet de loi référendaire définissant le nouveau statut, à savoir les électeurs inscrits sur les listes électorales du territoire en 1988 et y maintenant leur domicile.

Ce point de la déclaration n'a pu être mis en oeuvre, le Gouvernement ayant fait face a posteriori un obstacle constitutionnel à une telle restriction du corps électoral. La restriction du corps électoral aux assemblées de province et au congrès ne figurait donc pas au sein de l'accord d'Oudinot - second accord politique et juridique parachevant la construction des accords de Matignon-Oudinot - définissant l'organisation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, soumise à referendum le 6 novembre 1988.

Reprenant ce qui avait été initialement envisagé en 1988, le point 2.2.1. du document d'orientation de l'accord de Nouméa stipule que, « comme il avait été prévu dans le texte signé des accords de Matignon, le corps électoral aux assemblées des provinces et au congrès sera restreint ».

Ce dernier point, comme l'a rappelé Lucien Lanier, rapporteur au nom de la commission des lois du Sénat, « a suscité d'âpres et longues négociations entre les partenaires concernés, lesquels ne sont parvenus à un accord sur la rédaction des dispositions correspondantes qu'à la veille de leur examen par l'Assemblée nationale », illustrant la sensibilité du sujet des restrictions au corps électoral pour les élections provinciales19(*).

En conclusion, trois catégories d'électeurs aux élections provinciales et territoriales sont alors déterminées : la première est constituée des électeurs inscrits, ou qui pouvaient l'être, pour participer à la consultation du 8 novembre 1998 destinée à approuver ou à rejeter l'accord de Nouméa ; pour les deux autres catégories d'électeurs, le texte offre la possibilité de devenir ultérieurement électeur à certaines personnes, sous réserve de leur inscription ou de celle d'un de leurs parents sur le « tableau annexe ».

(ii) Un lien nouveau entre corps électoral et citoyenneté calédonienne

La réponse à la question du corps électoral appelé à voter aux élections des assemblées de province et du congrès présente un intérêt double : celui, évident, de déterminer ceux des citoyens qui sont susceptibles de désigner leurs représentants aux assemblées de province et au congrès de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi celui de déterminer le contenu de la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, notion nouvellement introduite par l'accord de Nouméa.

Le document d'orientation, prévu par le point 2, prévoit que « l'un des principes de l'accord politique est la reconnaissance d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. Celle-ci traduit la communauté de destin choisie et s'organiserait, après la fin de la période d'application de l'accord, en nationalité, s'il en était décidé ainsi.

« Pour cette période, la notion de citoyenneté fonde les restrictions apportées au corps électoral pour les élections aux institutions du pays et pour la consultation finale. Elle sera aussi une référence pour la mise au point des dispositions qui seront définies pour préserver l'emploi local. »

Or, la référence au corps électoral restreint constitue non seulement le moyen de lier attachement particulier à la Nouvelle-Calédonie et désignation des institutions qui lui sont propres - dont les pouvoirs sont particulièrement étendus du fait des importants transferts de compétence de l'État vers les collectivités calédoniennes prévus par l'Accord de Nouméa -, mais aussi le critère permettant de définir la citoyenneté calédonienne, créée par l'article 4 de la loi organique du 19 mars 1999 et fondant, pour partie, d'autres les restrictions, cette-fois ci en matière d'accès à l'emploi prévues à l'article 24 de la loi précitée.

2. Une mise en oeuvre juridique heurtée : les incertitudes quant à la définition du corps électoral restreint aux provinciales
a) La révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 : la consécration des restrictions au corps électoral en Nouvelle-Calédonie

Pour en garantir la traduction juridique du principe d'un corps électoral restreint, la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 a rétabli dans la Constitution un titre XIII intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie », comprenant les articles 76 et 77.

L'article 76 a, ainsi, permis l'organisation de la consultation tendant à l'approbation des dispositions de l'accord de Nouméa du 5 mai 1998 par un corps électoral restreint défini par référence à la loi référendaire du 9 novembre 1988.

Comme la question qui devait être posée n'était pas celle de l'autodétermination, comme cela avait initialement été prévu par les accords de Matignon, il n'était pas possible d'utiliser l'article 53 de la Constitution pour restreindre le corps électoral et une disposition constitutionnelle spéciale devait être adoptée : « Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française. Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988. » Ainsi l'accord de Nouméa a fait son entrée dans le texte constitutionnel, l'article 76 validant le corps électoral restreint prévu en 1988.

Par suite, conformément au second alinéa de l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988, ont pu participer à la consultation du 8 novembre 1998 les personnes inscrites sur les listes électorales du territoire à la date de la consultation et qui y avaient leur domicile depuis la date du référendum approuvant la loi statutaire de 1988.

Prenant également place dans ce nouveau titre XIII, l'article 77 de la Constitution détermine les matières dans lesquelles une loi organique doit intervenir pour fixer le statut de ce territoire. Il règle la situation après le référendum d'approbation en Nouvelle-Calédonie de l'accord de Nouméa.

En conséquence, il autorise le Parlement à prendre, par une loi organique, les mesures de l'accord de Nouméa qui nécessitaient une autorisation préalable du pouvoir constituant, parce qu'elles n'auraient pas été conformes à la Constitution avant sa révision, ce qui inclut la notion de transfert définitif de compétences, le régime particulier des lois du pays, la citoyenneté de Nouvelle-Calédonie et ses conséquences en matière électorale et d'emploi, la possibilité de revenir du statut de droit commun au statut civil particulier et l'organisation de la consultation à l'issue du processus de Nouméa.

Le dernier alinéa de l'article 77, dans sa rédaction initiale, dispose que les autres mesures nécessaires à la mise en oeuvre de l'accord de Nouméa sont définies par la loi.

Cette révision constitutionnelle, si elle dépasse largement la seule question des restrictions au corps électoral, n'en demeure pas moins centrale sur ce point. En effet, si la question du tableau annexe n'a pas été directement posée, les propos tenus par Lionel Jospin, alors Premier ministre, devant le Parlement réuni en Congrès, le 6 juillet 1998, réaffirment la continuité entre les accords de Matignon et l'accord de Nouméa sur ce point matriciel du consensus néocalédonien :

« Selon les accords de Matignon, seuls les électeurs appelés à participer au référendum de novembre 1988 seraient autorisés à participer également au scrutin d'autodétermination et aux élections des conseils de province et du congrès. Les accords n'ont pu être appliqués sur ce dernier point.

« Les signataires de l'accord de Nouméa ont donc souhaité que l'engagement pris s'applique pour la période qui s'ouvre. Bien entendu, tous les citoyens français vivant en Nouvelle-Calédonie conserveront le droit de voter pour les scrutins nationaux. Les restrictions ne s'appliqueront que pour les élections aux institutions locales. En raison des particularismes néo-calédoniens, il n'apparaît pas contraire aux principes démocratiques que des citoyens qui ne passent que quelques années seulement sur le territoire ne déterminent pas les décisions qui concernent celui-ci spécifiquement. »

b) La loi organique du 19 mars 1999 : la définition du corps électoral et la coexistence de listes électorales multiples

En application des nouvelles dispositions constitutionnelles, le Parlement a été saisi en décembre 1998 de deux projets de loi, organique et ordinaire, relatifs à la Nouvelle-Calédonie.

Conformément aux orientations définies par l'accord de Nouméa, la loi organique du 19 mars 1999 prévoit trois types de corps électoral pouvant être désormais distingués en Nouvelle-Calédonie, comme le montre le tableau ci-dessous.

Tableau schématique des trois listes électorales calédoniennes

Liste électorale

Fondement

Scrutins

Liste électorale générale

Code électoral

Référendums nationaux

Élections présidentielles

Élections législatives

Élections européennes

Élections municipales

Liste électorale spéciale pour les provinciales

Articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999

Élections du congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie depuis 1999

Liste électorale spéciale pour les consultations

Article 218 de la loi organique du 19 mars 1999

Consultations sur l'accession à la pleine souveraineté en 2018, 2019 et 2021

(i) La liste électorale pour les scrutins européens, nationaux et municipaux 

La loi organique ne comporte aucune disposition spécifique à ces scrutins qui sont, dès lors, soumis au régime de droit commun.

L'ensemble des citoyens français inscrits sur les listes électorales de droit commun en Nouvelle-Calédonie peuvent donc participer aux référendums nationaux, à l'élection présidentielle et aux élections législatives.

Par ailleurs, tous les citoyens de l'Union européenne installés en Nouvelle-Calédonie et inscrits sur les listes électorales de droit commun sont admis à participer aux élections municipales ainsi qu'à l'élection des représentants français au Parlement européen.

Toutefois, s'agissant des élections municipales, le document d'orientation de l'accord de Nouméa précise que « le corps électoral restreint s'appliquerait aux élections communales si les communes avaient une organisation propre à la Nouvelle-Calédonie »20(*).

(ii) La liste électorale spéciale pour les élections du congrès et des assemblées de province

En deuxième lieu, pour les élections des assemblées de province et du congrès, la loi organique, dans son article 188, limite le droit de vote à trois catégories de citoyens qui doivent répondre à l'un des critères suivants :

- remplir les conditions pour être inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998, ce qui inclut ceux qui étaient effectivement inscrits et ceux qui auraient pu l'être, mais qui ne l'ont pas été, par exemple, parce qu'ils ne l'avaient pas demandé ;

être inscrits sur le tableau annexe et être domiciliés depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection au congrès et aux assemblées de province ;

être devenus majeurs après le 31 octobre 1998 et :

o soit justifier de dix ans de domicile en Nouvelle-Calédonie en 1998,

o soit avoir eu un de leurs parents remplissant les conditions pour être électeur au scrutin du 8 novembre 1998,

o soit avoir un de leurs parents inscrit au tableau annexe et justifier d'une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection.

Il est précisé, par ailleurs, que « les périodes passées en dehors de la Nouvelle-Calédonie pour accomplir le service national, pour suivre des études ou une formation ou pour des raisons familiales, professionnelles ou médicales », ne sont pas interruptives, pour les personnes qui y étaient antérieurement domiciliées, du délai pris en considération pour apprécier la condition de domicile. Les raisons familiales, professionnelles ou médicales étant des conditions nouvelles par rapport aux conditions définies pour la consultation du 8 novembre 1998, première consultation à avoir ainsi fixé un délai de résidence et des motifs non-interruptifs de celui-ci.

S'agissant de l'établissement de la liste, l'article 189, de la loi organique précise que « les électeurs remplissant les conditions fixées à l'article 188 sont inscrits sur la liste électorale spéciale à l'élection du congrès et des assemblées de province. Cette liste est dressée à partir de la liste électorale en vigueur et du tableau annexe des électeurs non admis à participer au scrutin ».

Il revient à une commission administrative spéciale d'établir, dans chaque bureau de vote, la liste électorale spéciale et le tableau annexe des électeurs non admis à participer au scrutin.

Cette commission administrative spéciale est présidée par un magistrat de l'ordre judiciaire désigné par le premier président de la Cour de cassation et comprend un délégué désigné par le haut-commissaire et deux électeurs de la commune désignés par le haut-commissaire après avis du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Il lui incombe d'inscrire, à leur demande, sur la liste électorale spéciale, les électeurs remplissant les conditions exigées par l'article 188. Ceux-ci doivent, à cette fin, produire tous les éléments de nature à prouver qu'ils remplissent ces conditions.

La commission est par ailleurs, aux termes du même article, tenue de procéder à l'inscription d'office sur la liste électorale spéciale des personnes âgées de dix-huit ans à la date de clôture et remplissant les conditions d'ascendance et de domicile. Tout électeur faisant l'objet d'une radiation ou d'un refus d'inscription, ou dont l'inscription est contestée, est averti sans frais et peut présenter ses observations.

En outre, l'article 189 de la loi organique du 19 mars 1999 dispose que la liste électorale spéciale et le tableau annexe sont « permanents » et « font l'objet d'une révision annuelle ».

Par conséquent, chaque année, sont retirées du tableau annexe les personnes accédant à la qualité d'électeur, tandis qu'y sont ajoutées les personnes plus récemment arrivées en Nouvelle-Calédonie et qui ne peuvent participer aux élections au congrès et aux assemblées de province.

(iii) La liste électorale spéciale pour la consultation d'accession à la pleine souveraineté

En troisième lieu, la loi organique organise un cycle de consultations sur la question de l'accession à la pleine souveraineté qui doit clore l'application de l'accord de Nouméa.

Le point 2.2.1 du document d'orientation de l'accord de Nouméa prévoit une restriction du corps électoral pour les consultations sur l'accession à la pleine souveraineté qui doivent être organisées, ainsi il, prévoit que :

« Le corps électoral pour les consultations relatives à l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie intervenant à l'issue du délai d'application du présent accord (point 5) comprendra exclusivement : les électeurs inscrits sur les listes électorales aux dates des consultations électorales prévues au 5 et qui ont été admis à participer au scrutin prévu à l'article 2 de la loi référendaire, ou qui remplissaient les conditions pour y participer, ainsi que ceux qui pourront justifier que les interruptions dans la continuité de leur domicile en Nouvelle-Calédonie étaient dues à des raisons professionnelles ou familiales, ceux qui, de statut coutumier ou nés en Nouvelle-Calédonie, y ont eu le centre de leurs intérêts matériels et moraux et ceux qui ne sont pas nés en Nouvelle-Calédonie mais dont l'un des parents y est né et qui y ont le centre de leurs intérêts matériels et moraux.

« Pourront également voter pour ces consultations les jeunes atteignant la majorité électorale, inscrits sur les listes électorales, et qui, s'ils sont nés avant 1988 auront eu leur domicile en Nouvelle-Calédonie de 1988 à 1998 ou, s'ils sont nés après 1988, ont eu un de leurs parents qui remplissait ou aurait pu remplir les conditions pour voter au scrutin de la fin de 1998.

« Pourront également voter à ces consultations les personnes qui pourront justifier, en 2013, de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie. »

Conditions d'inscription sur les listes électorales
pour la consultation à l'accession à la pleine souveraineté

Conformément aux orientations définies par l'accord de Nouméa, l'article 218 de la loi organique dispose que « sont admis à participer à la consultation les électeurs inscrits sur la liste électorale à la date de celle-ci et qui remplissent l'une des conditions suivantes :

« a) Avoir été admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 ;

« b) N'étant pas inscrits sur la liste électorale pour la consultation du 8 novembre 1998, remplir néanmoins la condition de domicile requise pour être électeur à cette consultation ;

« c) N'ayant pas pu être inscrits sur la liste électorale de la consultation du 8 novembre 1998 en raison du non-respect de la condition de domicile, justifier que leur absence était due à des raisons familiales, professionnelles ou médicales ;

« d) Avoir eu le statut civil coutumier ou, nés en Nouvelle-Calédonie, y avoir eu le centre de leurs intérêts matériaux et moraux ;

« e) Avoir l'un de leurs parents né en Nouvelle-Calédonie et y avoir le centre de leurs intérêts matériels et moraux ;

« f) Pouvoir justifier d'une durée de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date de la consultation et au plus tard au 31 décembre 2014 ;

« g) Être nés avant le 1er janvier 1989 et avoir eu son domicile en Nouvelle-Calédonie de 1988 à 1998 ;

« h) Être nés à compter du 1 er janvier 1989 et avoir atteint l'âge de la majorité à la date de la consultation et avoir eu un de leurs parents qui satisfaisait aux conditions pour participer à la consultation du 8 novembre 1998. »

Le corps électoral ainsi défini s'avère - théoriquement - plus restreint que celui défini pour les élections du congrès et des assemblées de province, dès lors que le citoyen qui souhaite participer au scrutin d'accession à la pleine souveraineté doit, notamment, justifier d'une durée de vingt ans de domicile à la date de la consultation et au plus tard au 31 décembre 2014.

c) La décision du Conseil constitutionnel du 15 mars 1999 sur la loi organique : le choix d'une interprétation divergente du Constituant

Saisi de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel devait en examiner la conformité non seulement au regard de la Constitution, mais aussi au regard des orientations définies par l'accord de Nouméa, y compris lorsqu'elles dérogent aux règles ou principes de valeur constitutionnelle.

Dans sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, le juge constitutionnel estime cependant que de telles dérogations « ne sauraient intervenir que dans la mesure strictement nécessaire à la mise en oeuvre de l'accord ». Par conséquent, dans l'hypothèse où l'accord de Nouméa admettrait deux lectures possibles, le Conseil constitutionnel devait retenir la moins éloignée des principes constitutionnels. Comme énoncé dans le commentaire de la décision, « toute dérogation à un principe ou règle de valeur constitutionnelle ne peut en effet qu'être d'interprétation stricte : c'est la raison pour laquelle, dans le cas où l'accord de Nouméa peut admettre deux interprétations, la lecture la moins dérogatoire est seule susceptible d'être retenue. »

Ainsi, il juge qu'il ressort des dispositions combinées des articles 188 et 189 que doivent notamment participer à l'élection des assemblées de province et du congrès les personnes qui, à la date de l'élection, figurent au tableau annexe mentionné au I de l'article 189 et sont domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 1998.

Le juge constitutionnel fait donc prévaloir la théorie du corps électoral « glissant ». En l'absence de stipulation expresse de l'accord de Nouméa excluant la participation des Français installés en Nouvelle-Calédonie après le 8 novembre 1998 aux élections aux assemblées de province et au congrès, il a retenu l'interprétation la moins restrictive du corps électoral. Pourtant, les travaux préparatoires de la loi organique mettent en évidence une interprétation inverse, celle du corps électoral « gelé », selon laquelle le corps électoral restreint pour les élections au congrès et aux assemblées de province, prévu par l'article 77 de la Constitution, ne doit prendre en compte, pour l'application de la condition de dix ans de résidence, que les personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie entre 1989 et 1998.

Si l'on se reporte, en effet, à leur rapport respectif, les deux rapporteurs du projet de loi organique, d'une part, pour l'Assemblée nationale, René Dosière, et, d'autre part, pour le Sénat, notre collègue Jean-Jacques Hyest, se sont exprimés sans ambiguïté sur ce point.

Le premier précise ainsi : « À quel tableau annexe fait-on référence dans l'accord de Nouméa ? Il est clair qu'il s'agit du tableau qui a été constitué en vue de la consultation référendaire de 1998. Figurent sur ce tableau - et sont donc exclues de la liste électorale spéciale - les personnes qui ne respectent pas la condition fixée par l'article 2 de la loi référendaire du 9 novembre (1988), c'est-à-dire celles qui n'ont pas eu leur domicile en Nouvelle-Calédonie de la date du référendum du 6 novembre 1988 jusqu'à la date de la consultation, qui aurait dû être celle relative à l'autodétermination, de 1998. (...) Les personnes installées en Nouvelle-Calédonie, après le référendum de 1988 jusqu'à la consultation de 1998, pourront donc voter aux élections provinciales dès qu'elles auront rempli la condition de domicile. Les premières retrouveront ce droit de suffrage en 1999, les dernières à la fin de 2008. »21(*)

Le second détaille une interprétation identique : « l'intention sous-jacente à l'accord de Nouméa n'est pas d'instaurer un corps électoral “ glissant ”, s'enrichissant au fil du temps des personnes dont l'inscription serait progressivement portée au tableau annexe et qui en sortiraient pour devenir des électeurs au moment où elles pourraient justifier de dix ans de résidence »22(*).

Ainsi, selon les deux rapporteurs précités, le tableau annexe visé dans la deuxième catégorie d'électeurs admis à participer aux élections provinciales correspond à la liste des personnes qui n'étaient pas admises à participer au scrutin d'autodétermination de 1998. Il a été obtenu par différence entre la liste électorale générale qui comprend les personnes qui ont pu participer à toutes les élections et la liste électorale spéciale qui comprend les seules personnes autorisées à voter à la consultation de 1998. Ainsi, si la nature et l'objet du scrutin - la consultation sur l'accord de Nouméa ayant été substituée au référendum d'autodétermination - ont changé, le corps électoral devait rester fixé dans sa composition arrêtée dix ans plus tôt. Il en va donc de même pour le tableau annexe.

Comme le montre le tableau ci-après, le hiatus créé par cette divergence d'interprétation induite par une décision du juge constitutionnel n'est pas sans conséquence sur le nombre de personnes admises à participer aux élections provinciales et pour le congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Tableau résumant les divergences d'interprétation
des conditions requises pour participer aux élections provinciales

Conditions alternatives requises pour participer aux élections des assemblées de province et du congrès

Soit une entrée sur le territoire

Selon le législateur organique

Selon le Conseil constitutionnel

Être électeur en 1998

En 1988 au plus tard

Être inscrit au tableau annexe et avoir dix ans de résidence à la date de l'élection

De 1989 à 1998

À partir de 1989

Être majeur après 1998 et avoir dix ans de résidence en 1998

En 1988 au plus tard

Être majeur après 1998 et avoir un parent électeur en 1998

En 1988 au plus tard pour le parent

Être majeur après 1998 et avoir dix ans de résidence à la date de l'élection et avoir un parent non électeur en 1998 (inscrit au tableau annexe de 1998)

De 1989 à 1998 pour le parent

À partir de 1989 pour le parent

d) La révision constitutionnelle interrompue du 26 mai 1999 : un accord des deux chambres sur la nécessité d'une disposition constitutionnelle interprétative pour rétablir la volonté du Constituant

Fait inédit, en moins d'un an, la Nouvelle-Calédonie fut l'objet, après la révision constitutionnelle de juillet 1998 et l'examen du nouveau statut en 1999, d'un troisième débat parlementaire, à l'occasion de l'examen du projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie et à la Nouvelle-Calédonie, déposé le 26 mai 1999 à l'Assemblée nationale, comme une réponse à l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel.

Comme l'a souligné le rapporteur de ce texte au nom de la commission des lois du Sénat, Lucien Lanier, « cette disposition, tout en réglant une question controversée [était] étrangère au coeur du projet de loi constitutionnelle qui [visait] à doter la Polynésie française d'un statut constitutionnel »23(*).

Dans son article 1er, le projet de loi constitutionnelle prévoyait ainsi l'insertion d'un alinéa à l'article 77 de la Constitution, article rétabli par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 précitée relative à la Nouvelle-Calédonie :

« Le tableau auquel se réfère, pour la définition du corps électoral aux assemblées de province et au congrès de Nouvelle-Calédonie, l'accord mentionné au premier alinéa de l'article 76 est le tableau des personnes non admises à participer à la consultation prévue à cet article. »

La disposition a été adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale, le 10 juin 1999, et par le Sénat, le 12 octobre 1999. Mais la suite du projet de loi constitutionnelle qui le portait, dont il faut rappeler que l'essentiel concernait la Polynésie française, a été lié au projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature. Convoquée par décret du 3 novembre 1999, la réunion du Congrès du Parlement chargé d'examiner les deux projets de loi constitutionnelle a été annulée par un décret du 19 janvier 2000, au motif que les conditions d'adoption du second projet de loi constitutionnelle n'apparaissaient pas réunies. En conséquence, la disposition relative à la Nouvelle-Calédonie n'a pas pu être examinée par le Congrès.

e) La révision constitutionnelle de 2007 : le gel transitoire du corps électoral calédonien pour les élections du congrès et des assemblées de province

Par la suite, la Polynésie française a fait l'objet d'un nouveau statut, dans des dispositions différentes, le texte constitutionnel adopté par les deux assemblées en 1999, comprenant à titre principale des dispositions relatives à la seule Polynésie française désormais obsolètes.

La situation ainsi créée a donc appelée à l'adoption d'un nouveau dispositif.

Comme rappelé ci-avant, l'interprétation du Conseil constitutionnel ne produisait ses premiers effets électoraux utiles qu'à partir de 2009, dès lors que commencerait de se poser, en pratique, la question de l'inscription des ressortissants français arrivés en Nouvelle-Calédonie après 1998 et ayant dix ans de résidence sur le territoire.

Après plusieurs réunions du comité des signataires de l'accord de Nouméa au cours desquelles le FLNKS a rappelé son attachement au règlement de la question du corps électoral, lors du cinquième comité des signataires de l'accord de Nouméa, le 2 février 2006, François Baroin, alors ministre de l'outre-mer, a rappelé « l'engagement pris par le chef de l'État de régler cette question, -pendante depuis 1999-, d'ici à la fin de son mandat »24(*), et indiqué que le projet de loi constitutionnelle complétant l'article 77 de la Constitution, reprenant l'article 1er du texte adopté en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat en juin et en octobre 1999, devait être soumis au Parlement.

Déposé le 29 mars 2006 à l'Assemblée nationale, un projet de révision constitutionnelle comportant un article unique a été adopté par les deux chambres dans des termes identiques afin de « lever toute ambiguïté quant à l'identification du tableau annexe constituant un élément de la liste électorale établie pour les élections aux assemblées de province et au congrès de la Nouvelle-Calédonie »25(*).

Ainsi, a été introduit, par la révision constitutionnelle de 2007, un nouvel alinéa à l'article 77 de la Constitution qui prévoit que : « Pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l'accord mentionné à l'article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l'occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer. »

Si la précision entourant la rédaction de cette disposition apparait étonnante compte tenu du style usuelle employé en matière constitutionnelle, celle-ci s'impose en raison de l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 mars 1999 précitée.

Il a ainsi été acté, par une disposition interprétative du pouvoir constituant, le retour à un corps électoral « gelé » à partir de 2009 pour les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie.

B. LES CONSÉQUENCES DE LA CRISTALLISATION DU CORPS ÉLECTORAL SUR LES ÉLECTIONS DU CONGRÈS ET DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE

1. Le maintien de la paix civile et la participation des indépendantistes à l'ensemble des scrutins provinciaux

Les dispositions constitutionnelles en vigueur, conformes à l'esprit et à la lettre de l'accord de Nouméa, ont indiscutablement permis le maintien de la paix civile, conformément à leur objectif principal.

En outre, alors que l'interprétation du Conseil constitutionnel avait fait craindre un boycott - annoncé - des partis du FLNKS des élections provinciales en cas d'application d'un corps électoral « glissant », l'intervention du pouvoir constituant a permis, pour toute la durée d'application de l'accord de Nouméa, d'organiser cinq scrutins pour les élections provinciales et du congrès avec la participation de l'ensemble des forces politiques calédoniennes, indépendantistes comme non-indépendantistes.

2. Une incidence marquée des effectifs de la liste électorale spéciale pour les provinciales : le plus que doublement de la proportion d'électeurs non-admis à participer au scrutin

Il résulte des informations transmises par le Gouvernement au rapporteur que la proportion des électeurs privés de droit de vote pour l'élection des assemblées de province et du congrès par rapport au nombre d'électeurs inscrits sur la liste électorale générale est passée de 7,46 % en 1999 à 19,28 % en 2023. En d'autres termes, cette proportion a été multipliée par 2,45 entre 1988 et 2023.

Ainsi, il est indéniable que l'ampleur des dérogations aux principes d'égalité et d'universalité du suffrage est aujourd'hui supérieure à celles admises en 1998, lors de la signature de l'accord de Nouméa.

Évolution de la proportion du nombre d'électeurs non-admis à participer
aux scrutins provinciaux en Nouvelle-Calédonie entre 1998 et 2023

Source : commission des lois du Sénat, d'après les données de l'ISEE

D'une analyse partagée avec le Conseil d'État, compte tenu de ces évolutions démographiques et des effets induits par le « gel » du corps électoral la compatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France « est incertaine alors que le processus défini par l'accord de Nouméa est achevé ». Cela est d'autant plus probable qu'« avec l'écoulement du temps, les effets [induits] excèdent ce qui était nécessaire à la mise en oeuvre de l'accord de Nouméa »26(*).

Évolution du nombre d'inscrits sur la liste électorale spéciale
aux élections provinciales et sur le tableau annexe en Nouvelle-Calédonie
depuis l'accord de Nouméa

Source : commission des lois du Sénat, d'après les données de l'ISEE

Source : commission des lois du Sénat, d'après les données de l'ISEE

3. Des situations paradoxales résultant du manque d'anticipation de certaines configurations familiales et individuelles

En dépit de désaccords sur le principe du dégel du corps électoral, les représentants des partis indépendantistes partagent avec le Gouvernement et les partis non-indépendantistes « un certain nombre de constats sur le fonctionnement actuel des listes électorales, notamment des incohérences dans les règles actuelles »27(*) et tous semblent convenir de la nécessité d'y remédier.

Comme l'a déjà constaté la mission d'information de la commission des lois du Sénat, conduite par François-Noel Buffet, Philippe Bas, Jean-Pierre Sueur et Hervé Marseille, « forts ces constats partagés, les différentes parties [devraient] entérine[r] le plus rapidement possible la nécessité de résoudre trois difficultés identifiées :

« - les écarts entre le nombre d'inscriptions sur la liste électorale spéciale à la consultation et celle pour les élections provinciales, chiffrés par le Gouvernement à 11 000 personnes natives de Nouvelle-Calédonie ;

« - le vide juridique entourant la situation des petits-enfants d'un électeur inscrit en 1998 sur la liste pour les élections provinciales, alors que celle des enfants des mêmes électeurs est prévue. En effet, les dispositions de l'article 188 de la loi organique précitées prévoient que seuls les enfants, et non les autres descendants, des électeurs inscrits sur les listes électorales en 1998 peuvent rejoindre le corps électoral pour l'élection des assemblées de province et du congrès ;

« - la question des conjoints de citoyens calédoniens qui ne disposent pas, contrairement au droit commun de la nationalité, d'une faculté, même conditionnée à une durée de mariage, d'accéder au bénéfice de la citoyenneté calédonienne et de participer aux élections provinciales »28(*).

4. Une incohérence induite entre les listes électorales et divergente de l'esprit de Nouméa

L'évolution démographique et les inscriptions sur les listes électorales calédoniennes - d'office ou à la demande des intéressés - ont conduit à une situation paradoxale régulièrement mise en avant par les partis politiques non-indépendantistes : le corps électoral référendaire, plus restreint que le corps électoral de droit commun, est, paradoxalement, sensiblement plus large que le corps électoral pour l'élection du congrès et des assemblées de province, comme le présente le graphique ci-dessous, alors même qu'il a vocation à désigner les représentants politiques des institutions locales qui ont un effet direct sur le quotidien des Calédoniens.

Nombre d'inscrits sur les listes électorales
en Nouvelle-Calédonie, au 1er juillet 2023

Source : commission des lois du Sénat,
d'après les données de l'ISEE

Comme rappelé ci-avant, le corps électoral défini pour les consultations référendaires a toujours été conçu, dès les accords de Matignon-Oudinot, comme plus restreint que celui défini pour les élections du congrès et des assemblées de province, dès lors que le citoyen qui souhaite participer au scrutin d'accession à la pleine souveraineté doit, notamment, justifier d'une durée de vingt ans de domicile à la date de la consultation alors que cette durée, qu'importe la nature du corps électoral - glissant ou gelé - est abaissée à dix années pour l'inscription sur la liste électorale pour les provinciales.

La situation actuelle est donc, sur ce seul point, divergente par rapport à l'intention ayant animée les rédacteurs et signataires de l'accord de Nouméa.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : EN L'ABSENCE D'ACCORD LOCAL AVANT LE 1ER JUILLET 2024, UN DÉGEL PARTIEL DU CORPS ÉLECTORAL POUR LES ÉLECTIONS DU CONGRÈS ET DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE DONT LA MISE EN oeUVRE POURRAIT CONTOURNER LE PARLEMENT

A. LE DÉGEL PARTIEL DU CORPS ÉLECTORAL AUX PROVINCES ET AU CONGRÈS

1. Les motivations plurielles avancées par le Gouvernement

Comme l'a rappelé le ministre de l'intérieur et des outre-mer Gérald Darmanin dans un courrier adressé aux parties locales dès avril 2023, « ni le Gouvernement, ni aucune formation politique calédonienne ne sollicite le retour à la liste électorale générale pour les élections au congrès et aux assemblées de province. Le maintien ou non d'une citoyenneté calédonienne distincte de la citoyenneté française n'est donc pas en question : il s'agit d'une évolution irréversible »29(*). Il n'en demeure pas moins que de fortes revendications pour l'ouverture de ce corps électoral persistent.

Comme détaillé dans l'étude d'impact du projet de loi constitutionnelle, en premier lieu, le Gouvernement considère que « sans préjuger des évolutions du corps électoral qui pourraient résulter d'un nouvel accord entre les partenaires politiques et à la lumière de l'avis rendu par le Conseil d'État, le 7 décembre dernier, le Gouvernement estime que le gel du corps électoral pour ces élections, par référence à la situation existante au 8 novembre 1998, ne répond plus aux exigences démocratiques résultant de nos principes constitutionnels et des engagements internationaux de la France. »30(*)

En deuxième lieu, il justifie les évolutions qu'il propose par le constat qu'« (...) il est devenu aujourd'hui difficile de justifier que des électeurs installés de façon permanente en Nouvelle-Calédonie après l'approbation de l'accord en novembre 1998 - donc depuis 25 ans pour certains - ne puissent toujours pas participer à l'élection des membres du congrès, alors même que cette assemblée adopte les lois du pays et les réglementations locales qui régissent leur quotidien, dans le champ de compétence très étendu de la Nouvelle-Calédonie ou des provinces, et déterminent les choix politiques fondamentaux du territoire. Il parait tout aussi singulier qu'un citoyen français né en Nouvelle-Calédonie, et qui y réside toujours aujourd'hui, ne puisse participer à ces élections locales alors même qu'il peut voter à toutes les autres élections et, généralement, a aussi pu participer aux trois consultations d'autodétermination de 2018, 2020 et 2021. Or, ce sont presque 12 000 électeurs qui se trouvent aujourd'hui dans cette situation »31(*).

En dernier lieu, le Gouvernement avance que « Tout en restant fidèle au préambule de l'accord de Nouméa qui prévoyait que « le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée », le Gouvernement propose de corriger les distorsions qui résultent de l'écoulement du temps et des évolutions démographiques depuis plus de deux décennies »32(*). Plus précisément, sur ce point, il rappelle que « le nombre d'électeurs inscrits sur les listes électorales générales en Nouvelle-Calédonie exclus du droit de suffrage aux élections des membres des assemblées de province et du congrès, s'est creusé dans des proportions importantes : il est passé de 8 338 électeurs en 1999, soit 7,5% du corps électoral général, à 18 208 en 2009, 40 957 en 2019 et 42 596 en 2023. Il atteint donc désormais un électeur sur cinq »33(*).

2. Les conditions d'un dégel partiel du corps électoral pour les seules élections provinciales et au congrès de la Nouvelle-Calédonie

Dans le projet de révision constitutionnelle déposé sur le Bureau du Sénat, le Gouvernement propose de dégeler partiellement le corps électoral amené à se prononcer lors des scrutins provinciaux calédoniens.

Pour ce faire, il propose, dans un nouvel article 77-1 de la Constitution, un double assouplissement des restrictions électorales aujourd'hui en vigueur :

- en premier lieu, en incluant l'ensemble des natifs dans le corps électoral aux élections provinciales ;

- en second lieu, en introduisant une condition de résidence, pour tout citoyen français, d'au moins dix années ininterrompues en Nouvelle-Calédonie pour conditionner l'admission des nouveaux électeurs aux scrutins provinciaux calédoniens, rompant ainsi avec le principe d'un corps électoral « gelé » tel qu'établi à trois reprises par le Constituant.

Afin de tirer toutes les conséquences de cette évolution de nature du corps électoral pour les élections provinciales, le Gouvernement propose de supprimer le dernier alinéa de l'article 77 de la Constitution introduit par la révision constitutionnelle de 2007 qui a, comme explicité ci-avant, précisé que seul le tableau annexe de 1998 devait être retenu pour établir les listes. Ce faisant, le tableau annexe qui serait établi en application de l'article 77-1 de la Constitution serait « vivant », et recenserait les personnes non-admises à participer aux élections provinciales après 1998, par opposition à celui visé par l'alinéa ainsi abrogé de l'article 77 qui, lui, est arrêté en 1998.

3. Les conséquences du dégel du corps électoral
a) Une incidence importante sur les effectifs de la LESP

Selon les données communiquées par l'Institut de la statistique de Nouvelle-Calédonie et confirmées par le Gouvernement, le dégel, fut-il partiel, du corps électoral proposé aurait une incidence importante sur les effectifs de la liste électorale pour les scrutins provinciaux calédoniens.

Ainsi, cette liste verrait sa composition augmenter de près de 14,5 % sous le double effet de l'inscription de 12 441 natifs, dont l'inscription sera quasi-automatique compte tenu de la facilité à démontrer les critères nécessaires à celle-ci, et de l'éligibilité à l'inscription de près de 13 400 citoyens français résidant en continu depuis au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie.

Nombre de nouveaux inscrits sur la liste électorale provinciale
en application du projet de révision constitutionnelle, au 1er janvier 2024

Source : commission des lois du Sénat, d'après les données de l'ISEE

Par ailleurs, corollaire de l'augmentation du nombre d'inscrits sur la liste électorale pour les élections provinciales, le corps électoral pour les provinciales serait, pour la première fois depuis 2018, plus important, en nombre d'inscrits, que celui défini pour les consultations d'accession à la pleine souveraineté.

Évolution du nombre d'inscrits par liste électorale
en application du projet de révision constitutionnelle, au 1er janvier 2024

Source : commission des lois du Sénat, d'après les données de l'ISEE

b) Un dispositif pérenne

Différence notable avec les principes actés lors de l'accord de Nouméa et traduit dans le dispositif constitutionnel en vigueur, pour la première fois, il est proposé au Constituant d'adopter un dispositif pérenne - bien que le titre XIII demeure, en l'état du texte proposé par le Gouvernement, intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ».

En cela, le dispositif proposé constitue une innovation juridique majeure puisqu'il consacrerait de manière pérenne une dérogation aux principes d'universalité et d'égalité devant le suffrage, et ce, sans lien avec une éventuelle trajectoire institutionnelle évolutive propre à la Nouvelle-Calédonie.

B. UNE ENTRÉE EN VIGUEUR DIFFÉREE AFIN DE RENDRE LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE SUBSIDIAIRE À TOUT ACCORD LOCAL

Afin de continuer de privilégier la recherche du consensus entre les parties prenantes comme mode principal de définition de l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, le projet de loi constitutionnelle soumet l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle à l'absence de conclusion de l'accord entre les partenaires politiques de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998.

Plus précisément, il subordonne l'entrée en vigueur de cette révision constitutionnelle à l'absence de conclusion d'un accord devant intervenir avant le 1er juillet 2024 entre les partenaires politiques de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998.

Comme le détaille l'exposé des motifs rédigé par le Gouvernement, « si un accord entre les signataires de l'accord de Nouméa vient à être conclu avant le 1er juillet 2024, ce qui reste en tout état de cause l'objectif poursuivi, le Gouvernement en tirera les conséquences en proposant à la représentation nationale, dans les meilleurs délais, un nouveau texte traduisant les termes du consensus qui s'est établi. Les critères d'inscription sur la liste électorale spéciale pour les élections provinciales seront alors revus conformément aux orientations du nouvel accord.

« Une disposition d'entrée en vigueur à cette date, conditionnée par l'absence de conclusion d'un accord global, a été aménagée en conséquence. Si un tel accord est conclu, il appartiendra au Conseil constitutionnel, saisi par le Premier ministre, d'en établir le constat »34(*).

Le Conseil d'Etat propose en outre que le Conseil constitutionnel, auquel d'autres articles de la Constitution confient le soin d'établir des constats de même nature, soit chargé de constater l'existence d'un accord répondant aux caractéristiques énoncées ci-dessus. Il suggère qu'il soit saisi à cette fin par le Premier ministre dès la signature de l'accord.

La saisine du Conseil constitutionnel avant le 1er juillet 2024 fait par elle-même obstacle à l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle, dans l'attente de sa décision, devant être rendue dans un délai de huit jours.

C. UNE MISE EN oeUVRE QUI POURRAIT CONTOURNER LE PARLEMENT

Le projet de loi constitutionnelle introduit deux habilitations données au pouvoir réglementaire pour prendre des actes sur des matière régies, en l'état du droit, par des dispositions législatives, y compris organiques pour certaines.

En premier lieu, le projet de loi constitutionnelle, en son article 1er, renvoie la définition des conditions de son application, pour l'organisation des élections pour le premier renouvellement général des assemblées de province et du congrès postérieur à la publication de la loi, à un décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres. Cette habilitation du pouvoir réglementaire est justifiée par les délais enserrant les prochaines opérations électorales et serait limitée à deux mois, à compter de l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle, autrement dit avant le 1er septembre 2024.

Plus précisément cet article introduit une dérogation à la définition par une loi organique : de la composition du corps électoral, des opérations de révision les listes - notamment des motifs d'inscription d'office sur les listes - et des divers critères d'appréciation des conditions d'inscription, en particulier des motifs d'interruption de la durée de résidence nécessaire à l'inscription sur la liste électorale.

Il renvoie, de même, dans son second article, à un décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres les conditions du report des élections liées au premier renouvellement général des assemblées de province et du congrès dans l'hypothèse où un accord serait conclu avant le 1er juillet 2024 ; matière qui, en droit commun, est confiée au législateur organique.

Enfin, le Gouvernement a fait le choix de confier au Conseil constitutionnel, autorité constitutionnelle indépendante, le constat de la conclusion d'un tel accord global tripartite sur le dossier calédonien. Étant précisé que la saisine du Conseil constitutionnel avant le 1er juillet 2024 fait par elle-même obstacle à l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle, dans l'attente de sa décision, devant être rendue dans un délai de huit jours.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION : ACCEPTER LE DÉGEL DU CORPS ÉLECTORAL TOUT EN ENCOURAGEANT LA RECHERCHE D'UN ACCORD GLOBAL ET EN PRÉSERVANT LE RÔLE DU PARLEMENT

A. L'IMPOSSIBILITÉ JURIDIQUE D'ORGANISER LE PROCHAIN SCRUTIN PROVINCIAL ET DU CONGRÈS SANS RÉVISION CONSTITUTIONNELLE

1. Une atténuation de la dérogation aux principes d'égalité et d'universalité devant le suffrage

Comme l'atteste le graphique ci-dessous, la proportion d'électeurs inscrits sur la liste électorale générale qui, en application des dispositions constitutionnelles proposées, seraient privés du droit de vote pour l'élection des assemblées de province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie serait largement réduite : elle serait divisée par 2,54, établissant ainsi à 7,6% la part des électeurs non-admis à ces scrutins.

En outre, il est incontestable que cette atténuation de la dérogation aux principes d'égalité et d'universalité devant le suffrage permettrait de rétablir une proportion quasi équivalente à celle ayant été établie lors de la signature de l'accord de Nouméa.

Évolution de la proportion du nombre d'électeurs non-admis
à participer aux scrutins provinciaux en Nouvelle-Calédonie entre 1998 et 2023
et en application de la révision constitutionnelle de 2024

Source : commission des lois du Sénat, d'après les données de l'ISEE

Plus généralement, comme l'a rappelé le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi constitutionnelle, « si les règles qui définissent l'établissement de ces listes ne sont pas modifiées, cet écart [en matière de proportion des électeurs inscrits sur la liste électorale générale et électeurs admis à participer aux scrutins provinciaux] ne pourrait que s'accentuer avec le temps »35(*).

2. La nécessité d'une disposition constitutionnelle pour dégeler le corps électoral et pour maintenir des restrictions au corps électoral

D'une analyse partagée entre la commission des lois du Sénat et le Conseil d'État, seule une disposition constitutionnelle permettrait, d'une part, de dégeler le corps électoral calédonien, et d'autre part, d'établir de nouvelles - y compris d'une moindre rigueur - restrictions au corps électoral calédonien.

Plus précisément, comme l'a rappelé le Conseil d'État, « l'organisation politique issue de la mise en oeuvre de l'accord de Nouméa ne peut, sous réserve des dispositions organiques intervenant dans le cadre des orientations définies par l'accord et à l'exception des cas dans lesquels les dispositions mêmes de la Constitution le permettent, être modifiée sans une révision de la Constitution, nécessaire pour s'écarter de ces orientations, et notamment pour modifier les dérogations aux règles et principes de valeur constitutionnelle que l'accord comporte.

« Pourraient ainsi être corrigées, par exemple, les dispositions [...] qui prévoient de ne pas inclure dans le corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces les personnes qui se sont installées en Nouvelle-Calédonie après le scrutin organisé en 1998, ni celles qui, bien que résidant alors en Nouvelle-Calédonie, n'ont pas accompli les démarches permettant de s'inscrire sur les listes électorales, non plus que les descendants de ces personnes, même nés en Nouvelle-Calédonie.

« Les règles en vigueur concernant le régime électoral des assemblées de province et du congrès dérogent de manière particulièrement significative aux principes d'universalité et d'égalité du suffrage, notamment en excluant du droit de vote des personnes nées en Nouvelle-Calédonie ou qui y résident depuis plusieurs décennies. À défaut de modification des règles applicables, l'ampleur de ces dérogations ne pourrait en outre que s'accroître avec l'écoulement du temps »36(*).

3. La compatibilité d'un corps électoral restreint avec les engagements internationaux de la France

Comme l'a rappelé le Conseil d'État dans son avis sur le projet de révision constitutionnelle, « l'article 3 du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales affirme la nécessité « d'organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif ». La Cour européenne des droits de l'homme a déduit de ce principe l'exigence d'universalité du suffrage (CEDH, 2 mars 1987, n° 9267/81, Mathieu-Mohin et Clerfayt c./ Belgique). Si la Cour a admis par la suite (CEDH, 11 janvier 2005, n° 66289/01, Py c./ France) le principe d'un corps électoral restreint, elle s'est alors prononcée sur un ensemble de règles antérieures à la révision constitutionnelle mentionnée au point 4, et n'a admis l'existence d'un corps électoral spécifique qu'en raison du processus transitoire enclenché par la conclusion de l'accord de Nouméa. »37(*)

Il ajoute qu'« après la troisième consultation sur l'accession à la pleine souveraineté, le processus initié par l'accord de Nouméa a été complètement mis en oeuvre (point 2 de l'avis n° 407713 du 7 décembre 2023 précité). Si les règles qui avaient été définies par l'accord demeurent en vigueur, l'ampleur de la dérogation qu'elles apportent aux principes d'universalité et d'égalité du suffrage tend à s'accroître avec le temps. Ces règles étant consacrées par la Constitution, l'intervention du pouvoir constituant est en principe nécessaire pour les adapter afin de tenir compte de la situation présente et de son évolution, notamment démographique, en ce qui concerne la composition du corps électoral ».38(*)

Enfin, il estime que « les règles qui définissent aujourd'hui l'établissement du corps électoral de la liste spéciale pour l'élection du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie présentent un risque nouveau d'entrer en contradiction, d'une part avec les principes constitutionnels, d'autre part avec les engagements internationaux de la France » rappelés ci-avant39(*).

La commission des lois souscrit pleinement à cette analyse.

B. VALIDER LE PRINCIPE DU DEGEL DU CORPS ÉLECTORAL TOUT EN ENCOURAGEANT LA RECHERCHE D'UN ACCORD GLOBAL ET PRÉSERVANT LE RÔLE DU PARLEMENT

1. Au plan local, le constat d'une absence de consensus local sur le projet de révision constitutionnelle comme sur le calendrier des négociations permettant d'aboutir à un accord global

Au regard des enjeux politiques et juridiques entourant ce texte, le Président de la commission des lois, François-Noël Buffet, a souhaité qu'une délégation pluraliste de la commission puisse se rendre en Nouvelle-Calédonie pour rencontrer l'ensemble des représentants des parties aux accords de Nouméa ainsi que les parlementaires, les maires et les autorités administratives et juridictionnelles concourant à l'organisation des scrutins et à l'établissement des listes électorales calédoniennes. Cette délégation, composée de François-Noël Buffet, Philippe Bas, Philippe Bonnecarrère et Corine Narassiguin, s'est rendue les 16 et 17 mars 2024 à Nouméa.

Le rapporteur a souhaité rappeler à l'ensemble des acteurs auditionnés que le Sénat était saisi d'un texte dont le calendrier comme le contenu résultaient d'une décision du Gouvernement sans concertation préalable avec le Parlement.

Les auditions conduites à Nouméa ont permis de confirmer deux constats :

- d'une part, il n'existe pas de consensus local sur le projet de texte inscrit à l'ordre du jour du Sénat par le Gouvernement ;

- d'autre part, les parties calédoniennes ne s'accordent pas sur le calendrier envisagé pour conclure un accord global tripartite avec l'État sur la situation politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie.

En premier lieu, l'ensemble des représentants indépendantistes rencontrés ont fait part de leur rejet de la méthode ayant présidé au dépôt du projet de loi constitutionnelle, considérant qu'au-delà des enjeux juridiques soulevés par le Gouvernement d'une rupture avec la voie du consensus ayant présidé à la conclusion des accords de Matignon-Oudinot puis de Nouméa, témoignant d'une démarche unilatérale du Gouvernement.

Ainsi, le président du Gouvernement, Louis Mapou s'est ému d'une démarche qu'il a qualifiée « d'infantilisante » pour les parties calédoniennes et singulièrement les partis indépendantistes. De façon analogue, Roch Wamytan, président du congrès de la Nouvelle-Calédonie, a jugé que le Gouvernement faisait manifestement acte d'une « volonté de passage en force injustifiée et sur l'un des sujets les plus clivants dans l'histoire de la Nouvelle-Calédonie ». Enfin, le sénat coutumier s'est ému de ce choix gouvernemental estimant que celui-ci pouvait « mettre en péril une paix pourtant souhaitée par tous ».

En deuxième lieu, nombreux ont été les représentants des partis indépendantistes à souligner leur incompréhension quant au calendrier choisi par le Gouvernement pour le dépôt et l'examen du texte au regard de l'engagement de discussions locales entre indépendantistes et non-indépendantistes conduites sous deux formats différents, l'une avec Calédonie Ensemble, l'autre avec Les Loyalistes et Le Rassemblement.

Ainsi, Jean-Pierre Djaïwé, président du groupe UNI-Palika au congrès de la Nouvelle-Calédonie, a regretté qu'une « épée de Damoclès soit placée au-dessus de nos têtes par l'État alors que nous négocions localement ».

De la même manière, Robert Xowie, sénateur de la Nouvelle-Calédonie, s'est étonné qu'une « telle voie soit privilégiée sur celle d'un accord global pourtant possible par le chemin de la négociation ».

Parallèlement aux critiques quant à la méthode utilisée par le Gouvernement, plusieurs représentants des partis indépendantistes ont réaffirmé au rapporteur, en cohérence avec la position exprimée lors l'examen du projet de loi organique reportant les élections en février dernier, leur inquiétude sur les motivations de l'État pour justifier le dépôt du projet de loi constitutionnelle. Ainsi, Pierre-Chanel Tututgoro, président du groupe UC-FLNKS et Nationalistes au congrès de la Nouvelle-Calédonie, a indiqué au rapporteur que « la colonisation de peuplement ne s'était jamais arrêtée et allait s'amplifier » avec ce texte.

Enfin, plusieurs acteurs auditionnés ont fait part au rapporteur des risques induits par la méthode retenue par le Gouvernement. Ainsi, le président de l'Union Calédonienne, Daniel Goa a indiqué que ce projet, en ce qu'il « était porteur de la mort du peuple kanak, et porteur de risques importants pour la paix civile en Nouvelle-Calédonie ». Le président de l'association des maires de la Nouvelle-Calédonie, Florentin Dedane, s'en est, sur ce point, « remis au prochain congrès du FLNKS » prévu pour le week-end du 23 et 24 mars.

Loin d'être exposés par les seuls partis indépendantistes, ces risques ont également été soulignés par des acteurs non-indépendantistes. Ainsi, Philippe Dunoyer a estimé qu'il y'avait « de nombreuses raisons d'inquiétudes » et que « localement, la tension monte même s'il est difficile pour l'heure d'en voir des manifestations très concrètes ».

De son côté, l'Éveil Océanien, par la voix de Vaimu'a Muliava a rappelé que « même si le texte était voté et les élections organisées avant le 15 décembre 2024, il y a fort à craindre qu'un boycott soit organisé » et par conséquent, « qu'une remise en question de la paix civile suive ».

En troisième lieu, force est de constater que si l'ensemble des parties calédoniennes rencontrées se montrent ouvertes à un dialogue entre Calédoniens, ceux-ci ne s'accordent pas sur leur calendrier.

En effet, Jacque Lalié, président de la Province des Iles, a réaffirmé son souhait que « des négociations locales puissent aboutir et que les fils du dialogue soient maintenus ».

Si les représentants des Loyalistes et du Rassemblement rencontrés ont affirmé soutenir le projet de révision constitutionnelle, ils ont, plus encore, insisté sur la nécessité de son entrée en vigueur le plus tôt possible afin que le prochain scrutin provincial puisse être organisé au plus vite. À titre d'exemple, Sonia Backès, présidente de la province Sud, a indiqué « ne pas croire à la conclusion d'un accord dans un contexte électoral ». Rejointe sur ce point par Nicolas Metzdorf, député de la Nouvelle-Calédonie, ce dernier a indiqué au rapporteur que « seuls des élus avec une nouvelle légitimité démocratique pourraient conclure un accord global pour la Nouvelle-Calédonie ».

À l'inverse, Philippe Gomès, président de Calédonie Ensemble, a estimé qu'il est possible, en « desserrant la pression par un report du texte » d'aboutir à un accord global, souhaité par tous.

En quatrième lieu, les représentants des Loyalistes et du Rassemblement ont fait état de leur souhait de voir, à l'occasion de l'examen du projet de loi constitutionnelle, modifier la répartition des sièges des provinces au congrès de la Nouvelle-Calédonie, sur la base d'évolutions démographiques constatées depuis l'Accord de Nouméa. Regrettant ainsi le choix du Gouvernement d'avoir présenté un texte centré sur le seul corps électoral, Virginie Ruffenach a indiqué « qu'il était temps de rétablir une situation démocratique au congrès de la Nouvelle-Calédonie » appelant ainsi, aux côtés d'Alcide Ponga, à « rééquilibrer la répartition des sièges au profit de la province Sud au congrès » de la Nouvelle-Calédonie. De façon complémentaire, Georges Naturel, sénateur de la Nouvelle-Calédonie, a indiqué au rapporteur sa volonté de voir solutionner cette même question « afin de tenir compte des évolutions démographiques » ayant eu cours en Nouvelle-Calédonie depuis la signature de l'Accord de Nouméa en 1998, tout en appelant à « la tenue très rapidement d'élections provinciales pour renouveler le congrès ».

Enfin, en dernier lieu, au cours des auditions conduites à Nouméa par le rapporteur, les acteurs calédoniens de toute nature et indépendamment de toute orientation politique, loin de s'opposer sur les difficultés actuellement rencontrées par le Nouvelle-Calédonie, ont rappelé l'importance des défis auxquels devra répondre la Nouvelle-Calédonie à court, moyen et long terme. Il en va ainsi principalement de la crise économique et sociale actuelle résultant de la situation financière et industrielle particulièrement préoccupante des trois usines métallurgiques calédoniennes. Ainsi, Georges Naturel, sénateur de la Nouvelle-Calédonie, a rappelé au rapporteur que « le règlement d'un sujet institutionnel ne pourrait à lui seul suffire pour redresser durablement la Nouvelle-Calédonie » estimant que « la situation économique et sociale très dégradée devrait inciter chacun à trouver les voies et moyens de sa résolution ».

Au surplus, les acteurs économiques rencontrés ont confirmé rencontrer du fait de l'instabilité politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie des difficultés économiques prégnantes ayant pour conséquence une augmentation de près de 17% des liquidations judiciaires et de nombreux licenciements. À titre d'exemple, les représentants du secteur du bâtiment et des travaux publics ont indiqué qu'après avoir représenté près de 9 000 emplois en 2016, ce secteur ne dépassait pas aujourd'hui le seuil des 3 000 emplois ; soit une baisse nette de près de 6 000 emplois en moins de dix ans. La confédération NC Eco, lors de son audition, a ainsi affirmé qu'une accélération de la dégradation du climat des affaires et de la situation économique se faisait jour et appelé de ses voeux à une stabilisation institutionnelle rapide et durable afin d'y mettre un terme.

Auditionnés par le rapporteur, les dirigeants de la Société Le Nickel (SLN) ont, quant à eux, fait part de leur grande inquiétude de voir le ralentissement de la signature du « pacte nickel » induit par les difficultés à trouver un accord politique durable sur la situation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie.

D'un constat partagé, l'ensemble de représentants de l'association française des maires de la Nouvelle-Calédonie ont indiqué que les populations calédoniennes étaient « davantage préoccupées par la situation économique du pays qui induit des problèmes du quotidien que par la situation institutionnelle ».

2. Adopter, sur le principe, le passage d'un corps électoral « gelé » à un corps électoral restreint « glissant » tel que proposé par le Gouvernement

La commission des lois, à l'initiative du rapporteur Philippe Bas, propose d'adopter sous réserve de plusieurs modifications le projet de révision constitutionnelle proposé par le Gouvernement portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

Ainsi, elle valide, sur le principe, la suppression de toute référence dans la Constitution à un corps électoral gelé pour les élections provinciales et, en contrepartie, l'introduction d'un corps électoral restreint « glissant » pour ces mêmes élections.

D'un constat partagé avec le Conseil d'État, le rapporteur estime que la dérogation aux principes d'universalité et d'égalité du suffrage aujourd'hui induite par les règles résultant de l'Accord de Nouméa sont d'une rigueur telle qu'ils excluent du suffrage un nombre trop important de Calédoniens ayant un lien durable avec le territoire. C'est pourquoi, la commission des lois a approuvé le premier alinéa de l'article 1er du projet de loi en ce qu'il supprime définitivement la référence au tableau annexe de 1998, qui avait provoqué le « gel » du corps électoral, introduite par la révision constitutionnelle de 2007. Dès lors, la commission constate qu'il ne sera plus possible, à l'avenir, de rétablir le principe d'un corps électoral « gelé ».

Au surplus, la commission a constaté que l'ouverture « totale » du corps électoral - autrement dit l'application de la liste électorale générale - n'était ni souhaitable en Nouvelle-Calédonie ni souhaitée par les parties calédoniennes rencontrées.

La commission, a, dès lors, considéré que ce choix préservait les acquis des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa sur le principe de restrictions au corps électoral.

Elle a, pour ce faire, favorablement accueilli les conditions d'admission au scrutin proposées par le Gouvernement à savoir, la participation de l'ensemble des électeurs inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie natifs ou domiciliés depuis au moins dix années sur le territoire calédonien.

Le rapporteur a ainsi considéré que ces conditions permettent indéniablement de garantir le lien direct avec la Nouvelle-Calédonie pour tout électeur aux scrutins provinciaux et du congrès, plus encore que par le passé. En effet, chacune des conditions proposées par le Gouvernement repose sur l'existence d'un lien fort, uniquement direct - par contraste avec le lien indirect de la présence d'un parent demeurant durablement en Nouvelle-Calédonie prévu par l'Accord de Nouméa -, avec la Nouvelle-Calédonie. Ce lien pouvant dès lors naître d'une domiciliation continue sur le territoire ou de la naissance.

En outre, le rapporteur relève que si des oppositions véhémentes se sont manifestées quant à la méthode retenue par le Gouvernement et au calendrier d'examen de ce texte au sein des partis indépendantistes, ceux-ci n'ont pas soulevé de difficulté principielle et indépassable quant aux conditions retenues par le Gouvernement. Il en va, en particulier, des natifs pour lesquels l'ensemble des parties calédoniennes s'accordent à souhaiter leur admission aux scrutins provinciaux et du congrès à l'avenir. Sur ce point, Georges Naturel, sénateur de la Nouvelle-Calédonie, a fait part de son souhait d'assouplir la condition de résidence pour les époux de Calédoniens.

Par ailleurs, la commission se félicite que de telles conditions permettent de résoudre des difficultés identifiées de longue date et unanimement par les acteurs calédoniens et soulignées par la mission de la commission des lois sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie dès juillet 202240(*).

En effet, l'adoption de ces conditions permettrait de résoudre les écarts entre le nombre d'inscriptions sur la liste électorale spéciale à la consultation et celle pour les élections provinciales, mais également le vide juridique entourant la situation des petits-enfants d'un électeur inscrit en 1998 sur la liste pour les élections provinciales, alors que celle des enfants des mêmes électeurs est prévue, comme la question des conjoints de Calédoniens qui ne disposent pas d'une faculté d'accéder au bénéfice de la citoyenneté calédonienne et de participer aux élections provinciales par leur mariage ou leur résidence.

Comme énoncé ci-avant, l'un des effets induits par le dégel du corps électoral applicable aux élections provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie est de rétablir l'équilibre prévu à la signature de l'accord de Nouméa entre les trois listes électorales, ce dont se félicite le rapporteur.

Enfin, l'une des avancées du projet de révision constitutionnelle serait de réintroduire de la cohérence et de la clarté dans les dispositions électorales applicables aujourd'hui parfois difficilement applicables et intelligibles.

Plus précisément, s'agissant des conditions cumulatives définies par le Gouvernement, le rapporteur constate que les acteurs judiciaires comme les équipes du Haut-Commissariat rencontrés et chargés d'établir les listes électorales ont considéré que celles-ci étaient définies avec une clarté et une précision suffisantes pour être facilement objectivables et démontrables - le lieu de naissance et la durée de domiciliation ininterrompue, sauf motifs légitimes - sur le territoire calédonien pendant au moins dix années.

Sur ce point, la commission rappelle qu'il convient d'établir des procédures simples et efficaces d'inscription sur les listes électorales sur la base de critères clairs et intelligibles pour tous afin de garantir l'adhésion la plus large aux choix politiques opérés et de rendre effectif l'exercice des droits des Calédoniens, qu'ils soient non-indépendantistes ou indépendantistes. Le rapporteur souligne à cet égard, qu'en 2018, il avait été nécessaire de procéder à des évolutions des procédures d'inscription sur les listes électorales référendaires, en particulier le recours à une inscription d'office sur les listes, face à la non-inscription de plusieurs milliers d'électeurs qui remplissaient pourtant les critères nécessaires à leur participation à ces scrutins41(*).

Dès lors, ces conditions permettant de rétablir clarté, équité et cohérence dans l'établissement des listes électorales, même restreintes pour les élections provinciales de Nouvelle-Calédonie et d'ouvrir obligatoirement le corps électoral à l'avenir de manière glissante, la commission des lois a souhaité, à l'initiative du rapporteur, que ce dispositif soit validé.

3. Améliorer le projet de révision constitutionnelle en encourageant la recherche d'un accord global et préservant le rôle du Parlement pour sa mise en oeuvre

La commission s'est toutefois attachée, sur proposition du rapporteur, à améliorer le texte sur deux principaux points : d'une part, l'encouragement de la recherche d'un accord global et d'autre part, la préservation du rôle du Parlement.

a) Encourager la recherche d'un accord global jusqu'au prochain scrutin provincial

En premier lieu, la commission a souhaité, à l'initiative du rapporteur, rendre cette révision constitutionnelle subsidiaire jusqu'à une date très proche du scrutin provincial à un accord global sur l'avenir politique et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

La commission propose, aux seules fins de permettre l'adoption de mesures organiques et réglementaires ainsi que la préparation effective du prochain scrutin provincial, de maintenir l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle au 1er juillet 2024. Ce faisant, elle a confirmé son souhait, déjà exprimé sur le projet de loi organique portant report des élections provinciales, de maintenir la date des élections aux assemblées de Province et au Congrès, au plus tard le 15 décembre 2024, sauf intervention d'un accord global tripartite.

Toutefois, elle a parallèlement, par l'adoption d'un amendement n° 6 du rapporteur, introduit un mécanisme permettant de suspendre le processus électoral (reporter la date des élections et l'effet des dispositions dégelant le corps électoral) à tout moment en cas d'accord global entre les parties, et ce, y compris après cette date jusqu'à dix jours avant la tenue du prochain scrutin provincial. Elle propose ainsi d'allonger les délais de négociation envisagés par le projet de loi constitutionnelle, qui s'arrêtent au 1er juillet 2024 dans sa rédaction initiale, considérant que la priorité doit être donnée à un accord global, y compris à l'approche du scrutin provincial.

La commission a souhaité, après avoir validé la suppression définitive de toute référence à un corps électoral gelé dans la Constitution - empêchant par conséquent son rétablissement - qu'un corps électoral restreint glissant soit appliqué dès le scrutin provincial et du congrès de 2024 et, permettre de reconduire, à l'avenir pour les prochains scrutins, les critères d'admission au scrutin ainsi votés par l'adoption d'une simple loi organique à défaut d'un accord global qu'elle appelle de ses voeux, lui seul garantissant l'avenir de la Nouvelle-Calédonie par la prise en compte des attentes de tous les Calédoniens, quelle que soit leur origine (amendement n° 4 du rapporteur).

Enfin, elle a proposé, à l'initiative du rapporteur et par l'adoption d'un amendement n° 8, de préciser le contenu de l'accord sur l'évolution politique et institutionnel devant être conclu dans le cadre des discussions prévues par l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 entre les partenaires de cet accord, en précisant qu'il devait assurer à tous les citoyens de Nouvelle-Calédonie un « destin commun ».

b) Rejeter le choix discutable d'un contournement du Parlement sur le dossier calédonien

En second lieu, la commission a porté une attention particulière à la garantie des droits du Parlement, en évitant tout contournement injustifié par l'exécutif sur le dossier calédonien.

Elle a ainsi proposé la suppression des deux habilitations du pouvoir réglementaire à prendre des dispositions de niveau organique pour reporter les élections et pour organiser le prochain scrutin provincial par décret en Conseil d'État pris en conseil des ministres.

Soucieux d'éviter tout contournement du Parlement dans la définition des mesures nécessaires à l'organisation d'un scrutin local, le rapporteur constate sur ce point que des amendements identiques des sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont été déposés, illustrant le caractère transpartisan de la volonté du Parlement de ne pas être écarté du dossier calédonien.

Conscient des délais procéduraux particuliers enserrant l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi organique, le rapporteur propose en conséquence de déroger à ceux-ci au profit des délais applicables aux lois ordinaires afin d'en faciliter et d'en accélérer l'adoption. Ainsi, il tient compte de la nécessité de prendre l'ensemble des mesures nécessaires à l'organisation du premier scrutin dans un délai permettant une révision complémentaire de la liste électorale et l'exercice effectif d'un droit de recours pour les inscriptions sur celle-ci avant la tenue du scrutin, aujourd'hui prévue au plus tard au 15 décembre 2024.

De façon analogue, la commission n'a pas souhaité confier au Conseil constitutionnel le constat de la conclusion d'un accord tripartite sur le dossier calédonien, qu'il appartient au seul Parlement de reconnaître (amendement n° 7). Une telle disposition permettrait de garantir l'indépendance de l'autorité chargée de constater un tel accord - le Parlement n'étant pas partie à celui-ci - dont la survenance conditionne l'entrée en vigueur des dispositions constitutionnelles sans pour autant contourner le Parlement. De façon analogue, un amendement identique des sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a été déposé, soulignant une volonté partagée en la matière.

La commission a, en dernier lieu, souhaitée, par l'adoption de deux amendements nos 4 et 5 du rapporteur que le congrès de la Nouvelle-Calédonie soit consulté pour avis sur l'ensemble des dispositions organiques prises pour l'application de ces dispositions constitutionnelles nouvelles pour préciser les restrictions au corps électoral appliquées aux scrutins provinciaux et du congrès de la Nouvelle-Calédonie et prolonger l'application des conditions du « dégel » du corps électoral après 2024.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Dégel du corps électoral pour les élections au congrès
et aux assemblées de province de Nouvelle-Calédonie

L'article 1er du projet de loi constitutionnelle vise à dégeler le corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de Nouvelle-Calédonie.

Sous réserve de l'adoption des deux amendements qu'elle a adoptés, la commission est favorable à l'adoption de l'article 1er.

1. Le dispositif proposé : le dégel définitif du corps électoral pour les natifs et les personnes domiciliées depuis au moins dix années

Pour l'ensemble des raisons énoncées ci-avant, l'article 1er du projet de loi constitutionnelle vise à dégeler irrévocablement le corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de Nouvelle-Calédonie.

Pour ce faire, il propose :

- dans son I, de supprimer le dernier alinéa de l'article 77 de la Constitution, introduit par la révision constitutionnelle de 2007 afin de « geler » le corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie à l'année 1998.

Plus précisément, cet alinéa dispose que : « pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l'accord mentionné à l'article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l'occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer » ;

- au II, d'insérer un nouvel article 77-1 dans la Constitution afin d'introduire le principe d'un corps électoral restreint glissant pour ces mêmes scrutins.

Ce corps électoral serait constitué de l'ensemble des personnes remplissant une double condition cumulative : d'une part, être inscrites sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie, et d'autre part, être natives de Nouvelle-Calédonie ou y être domiciliées depuis au moins dix années.

Ce « dégel » du corps électoral serait pérenne, malgré son inscription dans le titre XIII intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ».

Ce même nouvel article 77-1 de la Constitution renverrait, dans son III, à une loi organique les conditions d'application de cette nouvelle disposition, en particulier s'agissant des conditions d'admission aux scrutins calédoniens.

Par ailleurs, le projet de loi constitutionnelle contient quatre alinéas non codifiés qui visent à renvoyer la définition des conditions de son application, pour l'organisation des élections pour le premier renouvellement général des assemblées de province et du congrès postérieur à la publication de la loi, à un décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres ;

- au III, prenant en compte les remarques formulées par le Conseil d'État quant à la délégation du pouvoir constituant au pouvoir réglementaire ainsi prévue pour déterminer les conditions d'application d'une disposition constitutionnelle, par dérogation au nouvel article 77-1 qui prévoit une loi organique pour le faire ou qui sont de nature ordinaire, le Gouvernement a souhaité encadrer cette habilitation dans le temps : celle-ci serait limitée à deux mois, soit du 1er juillet au 1er septembre 2024.

En complément, le Gouvernement a limité à trois domaines le champ de l'habilitation qu'il sollicite, à savoir :

la composition du corps électoral et les critères d'appréciation des conditions d'admission aux scrutins, « la détermination des motifs d'absence du territoire de la Nouvelle-Calédonie qui ne sont pas interruptifs de la durée de domiciliation de dix années mentionnée à l'article 77-1 de la Constitution » prévue par le 1° du III ;

- les opérations de révision des listes électorales, « les modalités selon lesquelles une révision complémentaire de la liste électorale intervient avant ces élections, au plus tard dix jours avant la date du scrutin » prévues par le 2° du III ;

les conditions d'inscription d'office sur la liste électorale spéciale, « la possibilité pour les électeurs remplissant les conditions mentionnées à l'article 77-1 de la Constitution d'être inscrits d'office sur la liste électorale et les modalités de cette inscription d'office », prévues par le 3° du III.

2. La position de la commission : valider le passage définitif d'un corps électoral « gelé » à un corps électoral restreint « glissant »

Pour l'ensemble des raisons exposées ci-avant dans l'exposé général, la commission des lois est favorable à l'adoption de l'article 1er sous réserve de l'adoption des deux amendements du rapporteur.

Ainsi, elle propose d'adopter sans modification le premier alinéa de l'article 1er proposé par le Gouvernement, validant ainsi la suppression définitive de toute référence dans la Constitution au principe d'un corps électoral gelé.

De façon analogue et pour toutes les raisons exposées ci-avant, elle n'a pas souhaité modifier les critères d'admission aux scrutins proposés par le Gouvernement au troisième alinéa de l'article 1er. Pour les mêmes raisons, la commission propose de ne pas modifier le champ des mesures identifié par le Gouvernement comme devant être impérativement prises malgré des délais contraints afin d'assurer le bon déroulé des opérations électorales au plus tard au 15 décembre 2024.

Toutefois, afin de rendre cette révision constitutionnelle pleinement subsidiaire à un accord global sur l'avenir politique et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie en vue de garantir le destin commun des Calédoniens, la commission propose, à l'initiative du rapporteur, un amendement n° 4 poursuivant un triple objet :

- en premier lieu, appliquer pour le prochain renouvellement général du congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie ce nouveau corps électoral glissant ;

- en deuxième lieu, permettre au Parlement d'étendre son application à un prochain scrutin - qu'il s'agisse d'un renouvellement général ou partiel - par l'adoption d'une simple loi organique, à défaut d'accord entre les parties calédoniennes intervenu d'ici à ce scrutin ;

- en troisième lieu, comme suggéré par le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi constitutionnelle, consulter pour avis le congrès de la Nouvelle-Calédonie sur l'ensemble des dispositions organiques prises afin de préciser les restrictions au corps électoral ainsi appliquées pour les scrutins provinciaux et du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Enfin, si comme l'énonce le Conseil d'État, le Gouvernement justifie le recours à un acte réglementaire par la « brièveté des délais » que lui laisse la date de report des élections à raison de l'intervention de la révision constitutionnelle, au 15 décembre 2024, « alors que de nombreuses opérations préparatoires aux élections doivent être accomplies, tout en laissant un temps suffisant au déroulement de la campagne électorale », la commission n'a pas souhaité accorder au pouvoir réglementaire une telle habilitation à intervenir dans des matières qui relèvent d'ordinaire du domaine de la loi organique ou ordinaire et touchent à l'essence de la démocratie dont le Parlement est le gardien.

Soucieuse d'éviter tout contournement du Parlement dans la définition des mesures nécessaires à l'organisation d'un scrutin local, la commission a adopté un amendement du rapporteur n° 5 qui vise à supprimer l'habilitation du pouvoir réglementaire à prendre des dispositions de niveau organique pour organiser le prochain scrutin provincial par un simple décret en conseil des ministres.

Conscient des délais procéduraux particuliers enserrant l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi organique, il est, en conséquence, proposé de déroger à ceux-ci au profit des délais applicables à tout texte de nature ordinaire afin d'en faciliter et d'en accélérer l'adoption, le cas échéant.

La procédure spécifique d'adoption des lois organiques
prévue par l'article 46 de la Constitution

Lors de la procédure parlementaire, en cas de désaccord du Sénat, la loi organique doit être adoptée par l'Assemblée nationale à la majorité absolue.

Comme pour tout texte de nature ordinaire, il s'écoule un délai d'au moins six semaines entre le dépôt d'un projet ou d'une proposition de loi organique et son examen en séance publique devant la première assemblée saisie, et quatre semaines pour la seconde assemblée saisie. En revanche, en cas de recours à la procédure accélérée par le Gouvernement, un délai minimal de deux semaines s'applique aux textes de nature organique entre leur dépôt et leur examen en séance publique dans la première assemblée saisie, alors qu'aucun délai minimal n'est prévu pour les autres textes législatifs. Si le Conseil constitutionnel a déjà admis, eu égard aux circonstances particulières résultant de la crise sanitaire de la covid-19, une dérogation jurisprudentielle à ce délai procédural, cette solution jurisprudentielle est toutefois guidée par les nécessités propres à cette situation exceptionnelle.

Le Gouvernement peut ensuite utiliser l'ensemble des moyens de procédure à sa disposition dans la navette législative (convocation d'une commission mixte paritaire - CMP, dernier mot donné à l'Assemblée nationale).

Source : viepublique.fr

Ainsi, cet amendement tient compte de la nécessité de prendre l'ensemble des mesures nécessaires à l'organisation du premier scrutin dans un délai permettant une révision complémentaire de la liste électorale et l'exercice effectif d'un droit de recours pour les inscriptions sur celle-ci avant la tenue du scrutin, aujourd'hui prévue au plus tard au 15 décembre 2024.

Sous réserve de l'adoption des deux amendements qu'elle a adoptés, la commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 1er.

La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 1er ainsi modifié.

Article 2
Entrée en vigueur de la disposition constitutionnelle et mécanisme de report des élections provinciales et au congrès de la Nouvelle-Calédonie

L'article 2 du projet de loi constitutionnelle vise à dégeler le corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de Nouvelle-Calédonie.

Sous réserve de l'adoption des trois amendements qu'elle a adoptés, la commission est favorable à l'adoption de l'article 2.

1. Le dispositif proposé : une entrée en vigueur des dispositions constitutionnelles subordonnée à l'absence d'accord entre les parties signataires de l'Accord de Nouméa

Afin de continuer de privilégier la recherche du consensus entre les parties prenantes et aboutir à un accord global tripartite sur l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, le projet de loi constitutionnelle soumet l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle à l'absence de conclusion d'un accord global sur la situation politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie entre les trois parties au dossier calédonien avant le 1er juillet 2024.

Ainsi, suivant les recommandations émises par le Conseil d'État, le Gouvernement a défini avec précision les caractéristiques de l'accord dont l'absence de conclusion subordonnerait l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions constitutionnelles de l'article 1er, en définissant :

les signataires de l'accord : les partenaires politiques de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 ;

le contenu de l'accord : l'évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie ;

le contexte de l'accord : son inscription dans le cadre des discussions prévues par l'Accord de Nouméa en cas d'achèvement du cycle de consultations sur l'accession à la pleine souveraineté par une réponse négative.

La conclusion de cet accord avant le 1er juillet 2024 entraîne, selon le cas, la caducité des dispositions de l'article 1er ou empêche leur entrée en vigueur.

En outre, le Gouvernement propose que le Conseil constitutionnel soit l'autorité chargée de constater l'existence d'un accord conforme aux caractéristiques ainsi définies. Ce dernier, saisi par le Premier ministre, disposerait d'un délai de huit jours pour statuer sur ce point, étant entendu que sa seule saisine empêche par elle-même l'entrée en vigueur de l'article 1er.

Enfin, il est proposé, de façon analogue au mécanisme proposé à l'article 1er, d'habiliter le pouvoir réglementaire, en cas de conclusion d'un tel accord constaté par le Conseil constitutionnel, à reporter par un décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres les élections nécessaires au premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle. En pareil cas, le terme des mandats en cours des membres du congrès et des assemblées de province serait alors logiquement reporté jusqu'à la première réunion des assemblées nouvellement élues.

Ce report aurait pour terme le 30 novembre 2025 au plus tard pour des scrutins aujourd'hui reportés au 15 décembre 2024 au plus tard.

2. La position de la commission : donner toutes ses chances à la conclusion d'un accord et préserver les droits du Parlement

Il appartient au pouvoir constituant de décider souverainement des conditions d'entrée en vigueur de ces dérogations, et d'en déterminer la date et les conditions d'entrée en vigueur.

Ainsi, si le constituant subordonne l'entrée en vigueur d'une disposition constitutionnelle à la survenance d'un événement extérieur, cet événement doit avoir un caractère matériellement certain permettant d'en constater l'occurrence sans ambiguïté ni marge d'appréciation. Il en allait ainsi pour la loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005 qui prévoyait que son entrée en vigueur serait subordonnée à celle d'un engagement international.

Dès lors, le choix de conditionner l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle à un accord, dont les caractéristiques ont été suffisamment précisées, et confiées à une autorité indépendante, qui n'est pas partie à la négociation politique calédonienne, apparaît, sur le plan juridique, incontestable.

Soucieuse de donner toutes ses chances à la conclusion d'un accord tripartite global sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, la commission souhaite, sans revenir sur la date d'entrée en vigueur prévue au 1er juillet 2024, par l'adoption d'un amendement du rapporteur n° 7, afin de permettre l'adoption de mesures organiques et réglementaires ainsi que la préparation effective du prochain scrutin provincial, introduire parallèlement un mécanisme permettant de suspendre le processus électoral à tout moment en cas d'accord global entre les parties, et ce, y compris après cette date et au plus tard jusqu'à dix jours avant la tenue du prochain scrutin provincial. Ce terme pourrait donc théoriquement être fixé au 5 décembre 2024, les élections ayant été reportées au plus tard au 15 décembre 2024 par l'adoption en des termes identiques par chacune des assemblées d'un projet de loi organique en ce sens. À ce stade, le rapporteur rappelle son attachement à la tenue du prochain renouvellement général des assemblées de province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie avant le 15 décembre 2024.

Ainsi, compte tenu du nouveau terme de la conclusion possible d'un accord, le rapporteur propose, en complément de la caducité, que l'adoption en conseil des ministres d'un projet de loi organique visant à reporter la date du premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle, afin de permettre l'adoption des mesures constitutionnelles, organiques et législatives nécessaires à la mise en oeuvre dudit accord, emporte report du décret de convocation des électeurs pour ce même scrutin.

En outre, de façon analogue au raisonnement développé à l'article 1er, le rapporteur propose, par l'amendement n° 6 adopté par la commission, de supprimer l'habilitation du pouvoir réglementaire à prendre des dispositions de niveau organique pour reporter les prochaines élections provinciales et au congrès de la Nouvelle-Calédonie, au profit d'une loi organique.

Ce même amendement ambitionne également de modifier l'autorité chargée de constater l'existence d'un accord entre l'État et les parties calédoniennes. En effet, le rapporteur n'a pas souhaité confier au Conseil constitutionnel le constat de la conclusion d'un accord tripartite sur le dossier calédonien, considérant qu'il appartient au seul Parlement de le reconnaître. Dès lors, il confie aux présidents des deux assemblées l'autorité de constater la conclusion, conformément aux caractéristiques exposées ci-avant, d'un tel accord. Ainsi, cette disposition permettait de garantir l'indépendance de l'autorité chargée de constater un tel accord - le Parlement n'étant pas partie à celui-ci - dont la survenance conditionne l'entrée en vigueur des dispositions constitutionnelles sans pour autant contourner le Parlement ;

Enfin, s'agissant du contenu de l'accord tripartite global susceptible de faire obstacle à l'entrée en vigueur de telles dispositions constitutionnelles, la commission a souhaité, à l'initiative du rapporteur par l'adoption d'un amendement n° 8, préciser le contenu de l'accord en indiquant qu'il doit, en plus de porter sur l'évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, assurer le destin commun défini par l'Accord de Nouméa du 5 mai 1998. Cette notion matricielle héritée de l'Accord de Nouméa doit être, aux yeux du rapporteur, le socle d'une d'une affectio societatis renouvelée entre les citoyens calédoniens qui fait encore défaut aujourd'hui.

Sous réserve de l'adoption des trois amendements qu'elle a adoptés, la commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 2.

La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 2 ainsi modifié.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 20 MARS 2024

M. Philippe Bas, rapporteur. - Durant notre bref séjour à Nouméa la semaine dernière - c'est mon troisième déplacement en Nouvelle-Calédonie au cours des cinq dernières années - avec le président Buffet, Corinne Narassiguin et Philippe Bonnecarrère pour rencontrer toutes les parties prenantes, nous avons constaté que la situation était tendue sur le plan économique et sur le plan social et n'avait pas progressé sur le plan politique, c'est le moins que l'on puisse dire.

Vous vous en souvenez, après le drame d'Ouvéa en 1988, la Nouvelle-Calédonie avait trouvé les voies et moyens d'une réconciliation entre Calédoniens, qui a été actée dans les accords de Matignon-Oudinot en 1988, puis dans l'Accord de Nouméa en 1998.

À la suite de l'Accord de Nouméa, la reconnaissance du statut de la Nouvelle-Calédonie a été consacrée dans la Constitution. Le processus politique prévu est arrivé à son terme après la tenue de trois consultations de la population en 2018, en 2020 et en décembre 2021 sur la question de l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Ces trois référendums ont donné lieu à une réponse négative, le troisième ayant fait l'objet d'un boycott, sur l'initiative du parti indépendantiste, qui a été suivi par la population.

L'Accord de Nouméa reposait expressément sur une notion à laquelle nous sommes très attachés, celle d'un destin commun. Au-delà du sujet de l'autodétermination, la question est aujourd'hui de savoir comment il est possible de construire un cadre stable permettant aux Calédoniens de vivre ensemble, leur opposition ne se réduisant pas à leurs origines, entre mélanésiens et Calédoniens de souche européenne ou d'origine chinoise et japonaise notamment.

Nous avons toujours considéré que ce destin commun ne pouvait se concrétiser qu'au travers d'un accord entre les parties calédoniennes, comme nous l'avons indiqué dans nos rapports d'information de juillet 2022 et de juillet 2023. Malgré la reprise des discussions depuis la fin de l'année dernière, force est de constater qu'elles n'ont pas abouti et, plus encore, qu'elles ne sont pas sur le point d'aboutir - au contraire !

Comme je l'ai précisé au début de mon propos, la situation est d'autant plus difficile que s'y ajoutent de graves difficultés économiques liées au gisement de nickel. En effet, l'usine du nord de l'île, dont le capital est en grande partie détenu par la province Nord, ne trouve pas repreneur. Des licenciements devraient avoir lieu dans les prochaines semaines. À la crise politique s'ajoute donc la perspective d'une crise sociale.

Dans ce contexte, nous sommes saisis d'un projet de loi constitutionnelle qui vise à établir les critères d'inscription sur la liste des électeurs admis à voter pour les élections aux assemblées provinciales, dont le résultat déterminera aussi la composition du congrès de la Nouvelle-Calédonie, lequel désigne à la représentation proportionnelle des groupes le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie - on pourrait dire que l'objectif du consensus est en quelque sorte inscrit dans ces institutions.

Depuis 2007, le corps électoral constitué pour la désignation des représentants à ces assemblées est « gelé ». Il s'agit d'un corps restreint et figé par des conditions établies en 1998. Depuis lors, la part des électeurs exclus de ce scrutin territorial est passée de 7 % à près de 20 %. Au regard du gel du corps électoral et de la diminution constante de la proportion des électeurs français, le Conseil d'État estime que la dérogation au principe de l'égalité devant le suffrage n'est plus justifiée.

Alors qu'il suffirait d'une loi organique pour toute autre partie du territoire, il faut en l'espèce réviser la Constitution du fait de la modification intervenue dans la Constitution pour tirer les conséquences de l'accord politique calédonien.

Par un projet de loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, nous avons prolongé jusqu'au 15 décembre prochain le mandat des membres du congrès et des assemblées provinciales qui arrivait à échéance au mois de mai prochain.

J'ai examiné ce projet de loi constitutionnelle avec circonspection. Il nous faut bien distinguer les sujets. Il importe de ne pas faire le deuil d'un accord et de chercher les voies et moyens de renforcer la propension des formations politiques à conclure un accord pour assurer la stabilité du territoire et son développement économique. Toutefois, je rappelle que le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin s'est rendu à six reprises en Nouvelle-Calédonie depuis le dernier référendum de décembre 2021 et que nous sommes loin d'un accord. Le véritable enjeu ici est non pas celui de l'avenir calédonien, mais celui de la continuité de la démocratie calédonienne. Faute d'accord, nous ne pouvons que modifier de manière unilatérale les critères d'inscription sur la liste électorale, mais, je le répète, cela ne doit en rien hypothéquer les chances de parvenir à un accord politique et institutionnel pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. D'ailleurs, si un accord est conclu d'ici au 1er juillet prochain, le Gouvernement prévoit de présenter à la représentation nationale un nouveau texte qui en traduira les termes.

Nous n'avons donc pas d'autre choix que de voter ce projet de loi constitutionnelle, car il y va de la démocratie calédonienne.

C'est pourquoi je vous propose d'accepter le dégel du corps électoral, tel que proposé par le Gouvernement : les Français nés sur le territoire depuis l'accord de novembre 1998 et tous les Français qui y résident depuis au moins dix ans pourront s'inscrire sur la liste électorale. Même si les partis indépendantistes n'y souscrivent pas au motif qu'ils souhaiteraient que cette règle s'inscrive dans le cadre d'un accord global, ces critères en eux-mêmes ne suscitent pas d'opposition de fond véhémente.

Je vous propose également de maintenir à ce stade le calendrier prévu dans le projet de loi organique que nous avons adopté et que l'Assemblée nationale vient d'adopter conforme, qui prévoit des élections au plus tard le 15 décembre prochain. Certes, je l'avais précisé, les délais me paraissent courts pour l'organisation juridique et matérielle de ce scrutin, mais le Gouvernement s'est engagé à les tenir - nous lui en donnons acte.

Toutefois, le Gouvernement prévoit qu'un décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres peut reporter les élections en cas de conclusion d'un accord. Il nous faut défendre les droits du Parlement. Ce n'est pas là une susceptibilité de ma part, mais quand il s'agit de l'établissement d'une liste électorale ou de prolonger les mandats d'élus arrivés à échéance, il revient au Parlement de légiférer. Aussi, je vous proposerai que le report des élections ne soit pas prévu par voie réglementaire, mais fasse l'objet d'une loi organique, dans les conditions d'examen prévues par l'article 45 de la Constitution, par dérogation à l'article 46.

Ce texte a été interprété comme un ultimatum aux parties calédoniennes pour conclure un accord avant le 1er juillet. Les forces politiques indépendantistes arguent qu'il faut laisser du temps au temps pour aboutir. Faisons droit à cette demande, car l'enjeu passe par un accord global. Si un accord est trouvé en octobre prochain, il conviendra de prendre le temps de le traduire via une nouvelle révision constitutionnelle.

J'ajoute que les règles retenues pour l'inscription sur la liste électorale ne s'appliqueront qu'au scrutin qui sera organisé dans quelques mois mais pourront être aisément reconduites par une simple loi organique pour les scrutins suivants. Ainsi, cette question fait toujours l'objet des négociations en cours. Certes, il nous faut prendre des décisions unilatérales pour organiser les prochaines élections, mais ne traitons pas les questions qui pourraient faire l'objet d'un accord global, même après les élections. Je le redis, ne nous attendons pas à ce qu'un accord soit conclu avant les élections, mais ne l'excluons pas non plus, en mettant une pression trop forte sur la date du 1er juillet. Ce sujet, qui est d'une très grande sensibilité politique, nous met face à nos responsabilités.

Je vous propose donc de donner un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi constitutionnelle sous réserve des amendements que je vous soumets.

Mme Cécile Cukierman. - Je salue le travail du rapporteur, qui a assez bien résumé le climat de tension dans lequel vivent les Calédoniens ainsi que les positions qui s'expriment aujourd'hui. Je parle aussi au nom de notre collègue Robert Wienie Xowie, sénateur de Nouvelle-Calédonie.

Les partis indépendantistes ont une vision globale, qui ne permet pas aujourd'hui d'accepter ce texte, par principe, oserai-je dire. Leurs revendications et leurs actions s'inscrivent dans la perspective d'un accord global, l'État ayant pour autant tout son rôle à jouer.

Contrairement aux propos du ministre Gérald Darmanin, tous les indépendantistes ne sont pas favorables à l'accord, pour les raisons que je viens d'évoquer. Nous en avons tous conscience, des tensions plus ou moins fortes peuvent survenir, mais ne les considérons pas comme une menace ou un chantage.

Nous ne voterons pas ce texte, notre collègue s'exprimera en séance la semaine prochaine.

M. Olivier Bitz. - Nous rejoignons l'analyse du rapporteur et nous le remercions pour son travail, qui est détaché de toute considération partisane. Il s'agit d'une question extrêmement sensible.

Nous le savons bien, ce territoire est au bord du gouffre au niveau économique, avec le report de la signature du pacte nickel, la mise en sommeil de l'usine du Nord, les difficultés de la Société Le Nickel (SLN) à Nouméa : ce sont 20 % des actifs qui sont directement concernés. Par ailleurs, il connaît aussi des difficultés en matière de finances publiques ; je pense notamment aux pertes mirobolantes du régime d'assurance maladie. La question économique ne pourra pas se résoudre tant qu'il n'y aura pas de solution politique, car les investisseurs ne peuvent pas se projeter.

Aujourd'hui, il faut effectivement traiter cette question urgente unilatéralement parce que nous n'avons pas le choix. Les élections provinciales doivent se dérouler, mais il ne faut pas préempter les discussions entre les indépendantistes et les loyalistes. Je partage toutefois le pessimisme du rapporteur quant à la possibilité d'un accord avant les élections.

Les élections doivent se dérouler de la manière la plus démocratique possible. C'est la raison pour laquelle le critère de domiciliation depuis au moins dix ans semble être un point d'équilibre susceptible de convenir à une très large majorité.

Nous restons aussi attachés à l'idée d'un destin commun. Il appartient avant tout aux Calédoniens de définir les voies à explorer pour y parvenir.

Je tiens à rendre hommage à l'action de Michel Rocard et de Lionel Jospin, qui ont su préserver la paix sur ce territoire. L'État doit être un incitateur. À chaque fois, c'est grâce à l'implication personnelle du Premier ministre qu'un accord a été trouvé. Avec les accords de Matignon et l'Accord de Nouméa, nous avons le recul nécessaire pour savoir ce qui peut fonctionner pour contribuer à apporter de la visibilité aux Calédoniens pour les vingt ou trente prochaines années.

M. Mathieu Darnaud. - Je salue à mon tour le travail du rapporteur pour sa proposition équilibrée compte tenu de la situation de la Nouvelle-Calédonie, en proie à des difficultés aussi bien économiques que sociales qui rendent peu plausible la conclusion d'un accord d'ici aux élections provinciales du mois de décembre.

Je souhaiterais que le rapporteur apporte des précisions à propos de l'échéance du 1er juillet : s'il convient de mettre en place toutes les conditions permettant de favoriser la conclusion d'un accord, je voudrais m'assurer que cette démarche ne parasite pas les enjeux de l'élection. Ce discours peut d'ailleurs s'appliquer à d'autres territoires ultramarins, voire à la Corse : le Gouvernement a fait montre d'intentions dans ces dossiers, mais il importe de dissocier les questions d'évolution institutionnelle des conditions qui rendent aujourd'hui difficile la conclusion d'un accord.

Mme Corinne Narassiguin. - Je remercie également le rapporteur pour son travail et pour le décryptage d'une situation que nous avons pu appréhender au travers de nombreuses auditions menées sur le terrain, aux côtés du président Buffet et de Philippe Bonnecarrère. Les opinions recueillies ont renforcé la conviction du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER), déjà exprimée lors de la discussion du projet de loi organique : selon nous, si le report des élections est bien sûr nécessaire afin de pouvoir modifier un corps électoral qui ne peut plus rester en l'état, il n'y avait aucune nécessité à déposer un projet de loi constitutionnelle dès à présent.

C'est en effet une erreur de la part du Gouvernement, qui vient s'ajouter à une série d'erreurs politiques commises depuis plusieurs années, plus précisément depuis que Matignon ne s'occupe plus de ce dossier, après qu'Édouard Philippe a quitté son poste de Premier ministre. Parmi ces erreurs figure l'organisation à marche forcée d'un troisième référendum, ainsi que la nomination de Sonia Backès au Gouvernement : s'y ajoute désormais la modification unilatérale du corps électoral dès 2024, alors que le Conseil d'État nous laisse bien plus de temps. Sans nier la difficulté de parvenir à un accord compte tenu des blocages locaux, ce projet de loi constitutionnelle aurait sans doute dû être utilisé comme une solution de dernier recours, en prévoyant de ne le présenter qu'au printemps 2025, voire au début de l'été.

Pour toutes ces raisons, le groupe déposera des amendements de suppression des deux articles afin de manifester son profond désaccord avec la méthode employée, en rupture totale avec le processus engagé en 1988 dans le cadre des accords de Matignon, puis prolongé en 1998 par l'Accord de Nouméa. En vertu de cette méthode, le législateur consacrait dans la loi ce qui avait d'abord été négocié sur le terrain par les parties locales, avec l'État comme partenaire actif et impartial.

Loin de cette position de surplomb, l'État agit désormais comme un partenaire agité, qui a perdu toute neutralité. Je crois qu'il incombe en particulier au Sénat de tracer un chemin, au-delà de nos appartenances partisanes, qui permette de retrouver le sens de l'Histoire, dans l'intérêt de la France, comme des Calédoniens.

Même si je maintiens que ce projet de loi constitutionnelle ne devrait pas être adopté, nous appuierons - dans l'hypothèse où la majorité sénatoriale estimerait qu'il faut absolument voter le texte aujourd'hui - les efforts du rapporteur tendant à le rendre le plus inoffensif possible. Le groupe SER pourra donc, par le biais d'amendements de repli, soutenir les amendements du rapporteur.

Nous irons malgré tout plus loin, estimant que le maintien de la date du 1er juillet 2024 équivaut à exercer une pression contreproductive. Sans nier l'existence d'obstacles à la conclusion d'un accord, notamment pour des raisons liées à la campagne électorale, nous soulignons que des discussions entre les factions modérées des indépendantistes et des non-indépendantistes avaient débuté, mais qu'elles ont justement achoppé en raison de l'irruption de ce projet de loi constitutionnelle. Même s'ils ont bien conscience des contraintes institutionnelles et des difficultés sociales et économiques auxquelles ils sont confrontés, ces acteurs locaux considèrent qu'ils n'ont pas vocation à être traités comme des enfants par un État paternaliste.

J'estime qu'il faut enlever cette pression en reportant la date d'entrée en vigueur du projet de loi constitutionnelle, si nous devions le voter. Nous proposerons donc un amendement visant à reporter cette date au 1er juillet 2025.

M. Philippe Bonnecarrère. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de son travail, ainsi que le président Buffet pour la qualité de l'organisation du déplacement en Nouvelle-Calédonie, qui nous a permis d'entendre toutes les parties.

Un destin commun pour la Nouvelle-Calédonie est absolument nécessaire, destin qui ne pourra être bâti qu'au travers de la conclusion d'un accord global, appuyé sur une répartition du pouvoir. Le Parlement doit prendre du recul et être vis-à-vis de nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie le gage d'une impartialité dans les discussions entre la communauté kanake, la communauté loyaliste et l'État. Peut-être que ces débats tripartites pourraient d'ailleurs s'élargir, à l'avenir, à la communauté wallisienne, à la fois dynamique et située à un point d'équilibre entre les deux autres communautés, ce qui pourrait constituer un ferment de réussite.

Je partage, par ailleurs, votre analyse des difficultés économiques et des tensions géopolitiques, ainsi que votre souhait de procéder avec prudence : toute modification constitutionnelle doit s'effectuer a minima.

Une question reste posée : comment ne pas hypothéquer les chances d'un accord, alors qu'un délai de 110 jours doit être raisonnablement prévu pour l'organisation de la campagne, les déclarations de candidatures et l'établissement des listes électorales ? Dans la pratique, un tel calendrier implique de déclencher le processus électoral à la mi-août pour un scrutin qui se tiendrait début décembre. Selon le raisonnement du Gouvernement, la possibilité d'un report existerait donc jusqu'au 1er juillet, tandis que vous proposez de la laisser ouverte pendant tout le processus électoral, soit jusqu'au mois de décembre.

Vous avez souligné à juste titre l'écueil qui consisterait à faire preuve de naïveté : si accord il doit y avoir, il est probable qu'il n'intervienne qu'après le scrutin, le contexte électoral ne permettant ni à la communauté kanake ni à la communauté loyaliste de faire des concessions, du moins publiquement. Vous nous avez incités, au regard de l'ancienneté des discussions - depuis le référendum de 2021 -, à maintenir la date envisagée, tout en évoquant à juste titre l'enjeu de stabilité.

Le groupe Union Centriste est en accord complet, premièrement, avec le dégel du corps électoral au titre de filet de sécurité, en accord avec la position exprimée par le Conseil d'État. Deuxièmement, nous approuvons, monsieur le rapporteur, votre approche très fine consistant à conserver des marges de manoeuvre en intervenant a minima, l'histoire politique ayant abouti à n'intégrer à la Constitution que les éléments ayant recueilli l'accord des Calédoniens. En s'attachant uniquement aux aspects transitoires et urgents et en n'appliquant les nouvelles dispositions qu'à la prochaine élection, vous laissez ainsi aux parties la possibilité de poursuivre les discussions après le scrutin territorial et évitez de nous obliger à procéder à une nouvelle révision constitutionnelle.

Troisièmement, vous proposez de substituer à la voie réglementaire un contrôle par le Parlement, ce qui nous semble parfaitement pertinent en vue de revenir au bon fonctionnement d'un régime parlementaire.

Le quatrième point de votre position consiste à ne pas remettre en cause la répartition des sièges entre provinces au congrès, ce qui nous paraît sage : le Conseil d'État a en effet indiqué qu'une telle modification n'était pas nécessaire dans l'immédiat.

Subsiste un point d'interrogation concernant la possibilité d'accorder un délai supplémentaire de réflexion et de négociation au-delà du 1er juillet, en offrant aux différents partenaires la possibilité de débattre quasiment jusqu'à la veille des élections. Si cette ouverture d'un champ de discussions complémentaires est bienvenue sur le principe, les parties prenantes l'entendront-elles ainsi ? Quelle sera la crédibilité de pourparlers entre des parties qui seront engagées en pleine campagne électorale ?

Une fois encore, nous n'avons aucun désaccord sur le point d'équilibre que vous souhaitez proposer, mais il nous faut désormais penser à la réception du message en Nouvelle-Calédonie : les acteurs locaux jugeront-ils ce délai supplémentaire de négociation crédible ? En tout état de cause, nous souhaitons supprimer tout prétexte qui permettrait d'invoquer une insuffisance des délais pour justifier l'impossibilité d'un accord.

Notre groupe attendra mardi prochain pour se positionner, afin de bien mesurer cette appropriation sur le terrain du schéma dont nous débattons ici. Nous souhaitons réduire les risques d'une crise, qui sont effectivement présents. Nous tenons à vous exprimer nos sincères remerciements pour les propositions que vous portez.

Mme Mélanie Vogel. - Je salue l'honnêteté intellectuelle dont le rapporteur a une nouvelle fois fait preuve. Le débat ne porte pas tant sur les modalités d'évolution du corps électoral que sur le fait de savoir si la méthode employée pour atteindre ce résultat a été satisfaisante pour toutes les parties, et est de nature à promouvoir une solution durable en Nouvelle-Calédonie.

Aucune option n'est véritablement satisfaisante étant donné que le Gouvernement a choisi de nous présenter un projet de loi constitutionnelle dès aujourd'hui, sans attendre que le délai donné par le Conseil d'État soit écoulé. Un vote ultérieur aurait pourtant permis de nous prononcer dans une situation de dernier recours, à un moment où un tel choix aurait sans doute été compréhensible par la Nouvelle-Calédonie. Or la temporalité de ce projet est actuellement vécue comme un instrument de la partialité de l'État dans les négociations, afin d'influencer à la fois le calendrier et le contenu d'un éventuel accord.

Il s'agit pour nous de déterminer laquelle des deux solutions - le rejet ou l'adoption de ce projet de loi - est la pire. Entre la tenue d'un scrutin sur la base d'un corps électoral à la légitimité dépassée et l'organisation d'élections sur la base d'un corps électoral unilatéralement choisi par la France, nous sommes convaincus que la seconde solution serait la pire.

Certes, la première solution n'est pas exempte de défauts, puisqu'un accord global intégrant la question du corps électoral resterait nécessaire. La seconde solution donne l'impression que l'État a rompu avec sa position d'impartialité, qui était pourtant essentielle à la résolution du problème : ce changement de posture risque de raviver les conflits, une éventualité dont la gravité ne doit pas être sous-estimée. De surcroît, elle placerait le Parlement dans une position assez problématique.

Nous appuierons toute initiative qui aurait pour effet de rendre le projet de loi le plus inoffensif possible, mais nous ne soutiendrons pas ce texte, ni sur le fond, ni sur la forme.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Je vous remercie pour ces positions mesurées. Tout d'abord, je tiens à réaffirmer que le maintien des élections sur la base du corps électoral actuel n'est pas une option envisageable, en raison de l'ampleur de la distorsion que ce corps implique par rapport à l'égalité de suffrage : en l'état, il ne permet pas la tenue d'élections régulières, à tel point qu'il faudrait même une révision constitutionnelle pour le maintenir.

Je souligne qu'écarter 20 % des électeurs français habitant dans une collectivité territoriale du droit de suffrage est tout sauf anodin, même en tenant compte du fait que le corps électoral doit être constitué de citoyens ayant un intérêt suffisant dans le présent et l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire d'électeurs qui ne sont pas simplement de passage à l'occasion d'une mission professionnelle de quelques années. Une intervention par la voie constitutionnelle est donc incontournable afin de permettre la tenue d'élections régulières.

S'agissant des chances de parvenir à un accord, nous considérons tous que l'avenir de ce territoire est entièrement subordonné à l'entente des Calédoniens sur un destin commun. La conclusion d'un tel accord avant les élections paraît improbable, et ne nous imaginons pas qu'une démarche parlementaire puisse jouer un rôle décisif dans les progrès des discussions, tant je pense profondément que négocier un accord le matin avant de s'opposer le soir lors de réunions électorales est ardu.

Afin de dégager la voie, nous devons affirmer qu'il n'y a plus d'ultimatum pour le 1er juillet, ce qui lève un obstacle aux négociations. Nous devons également dire qu'en cas d'accord nous prendrions le temps de le mettre en oeuvre, tandis qu'un report des élections ne poserait pas de problème. Enfin, il nous faut rappeler que nous jugeons plus plausible la conclusion d'un accord après les élections.

C'est la raison pour laquelle je vous propose une série d'amendements, qui vont dans le sens de l'apaisement de la contrainte ressentie par les indépendantistes et qui permettent aux négociations de se poursuivre, sans différer le moment à partir duquel une nouvelle étape s'ouvrira, c'est-à-dire celui des élections.

M. François-Noël Buffet, président. - Je rappelle que, s'agissant d'un projet de loi constitutionnelle, c'est le texte du Gouvernement que nous examinerons en séance.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n°  4 vise à dégeler le corps électoral dans les conditions que j'ai déjà mentionnées, uniquement pour le scrutin prochain, et ce afin de ne pas sortir définitivement la question de la liste électorale du champ des négociations. Par la suite, dans l'hypothèse où aucun accord ne serait conclu avant l'échéance des mandats qui commenceront après les élections, l'amendement prévoit la possibilité de reconduire le système électoral ainsi retenu pour les élections de cette année par une loi organique, sans avoir à recourir à un texte constitutionnel, écartant ainsi définitivement tout retour à un corps électoral « gelé ».

L'amendement n° 4 est adopté.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Le Gouvernement avait prévu de pouvoir reporter de nouveau les élections, en cas d'accord, par un simple décret en conseil des ministres. L'amendement n°  5 vise à éviter cette éviction choquante du Parlement, qu'il convient de rétablir dans ses prérogatives.

Mme Catherine Di Folco. - Pourquoi remplacez-vous la référence à l'article 77-1 de la Constitution - qui traite pleinement de la Nouvelle-Calédonie - par une référence à l'article 46 ?

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'article 46 de la Constitution détaille les modalités de discussion des lois organiques et impose un délai assez long entre le dépôt d'un projet de loi organique et sa discussion par le Parlement. Dans l'éventualité où un accord serait conclu avant les élections, il faudrait que la loi organique destinée à reporter de nouveau le scrutin intervienne dans un délai plus rapide que celui fixé par l'article 46 : c'est pourquoi il est fait référence à l'article 45.

L'amendement n° 5 est adopté.

Article 2

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n°  8 a une portée très politique et symbolique, puisqu'il s'agit de rappeler que l'objectif d'un accord global est d'assurer le destin commun de tous les Calédoniens. Les différentes parties donnent parfois l'impression de s'ignorer mutuellement, voire de s'opposer radicalement, ce qui n'est pas la bonne voie à suivre.

L'amendement n° 8 est adopté.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Le Gouvernement avait prévu que le Conseil constitutionnel constate la conclusion d'un éventuel accord. Il me semble au contraire que cette mission doit revenir à une instance politique indépendante du Gouvernement : les présidents des deux assemblées parlementaires pourraient avantageusement l'exercer.

L'amendement n°  6 est adopté.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Plusieurs intervenants se sont inquiétés de l'échéance du 1er juillet. J'ai d'abord pensé la supprimer complètement afin de lever toute ambiguïté et tout ressenti négatif, car elle a pu être considérée comme une forme d'ultimatum par certains interlocuteurs.

In fine, la solution que je vous propose consiste à conserver cette date, mais en lui retirant tout caractère contraignant. Le maintien de cette date est une nécessité : en effet, si l'entrée en vigueur de cette révision constitutionnelle était postérieure au 1er juillet, les actes juridiques précédant la convocation des électeurs ne pourraient pas être pris dans le délai que nous avons prévu pour l'organisation des élections. Un accord pourra donc être pris en compte après cette échéance du 1er juillet, qui servira donc de repère pour l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle.

L'amendement n°  7 est adopté.

M. François-Noël Buffet, président. - J'attire votre attention sur la forte dégradation de la situation de la Nouvelle-Calédonie survenue depuis notre visite effectuée quinze mois plus tôt, en particulier sur le plan économique. Le nouveau report de la signature d'un pacte nickel - il était censé aboutir quelques jours plus tôt - entraînera de lourdes conséquences sociales, les sous-traitants de l'usine du Nord venant d'apprendre qu'ils n'auront plus de travail.

Cette grave situation économique n'est pas sans conséquence sur la situation politique, tandis que les représentants du monde de l'entreprise nous ont alertés sur l'absolue nécessité de retrouver davantage de stabilité afin de reprendre la situation en main, stabilité qui passera par le biais du dégel du corps électoral et l'organisation d'élections, afin de repartir sur des bases saines.

Le contexte des élections à venir crée naturellement des tensions supplémentaires, mais la Nouvelle-Calédonie a besoin de cette stabilité et de se construire un avenir, sans quoi la situation risque de fort mal tourner. Notre responsabilité à l'égard des 280 000 habitants du territoire est essentielle, cette population ayant besoin de vivre ensemble et de créer de la richesse. Ce dossier nous préoccupe fortement.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 1er

M. BAS,
rapporteur

4

Application du corps électoral dégelé dès 2024 et le cas, échéant, prolongation possible par loi organique

Adopté

M. BAS,
rapporteur

5

Suppression de l''habilitation du Gouvernement à légiférer par décret en conseil des ministres

Adopté

Article 2

M. BAS,
rapporteur

6

Substitution du Conseil constitutionnel par les présidents des deux assemblées pour constater l'accord global et suppression de l'habilitation du Gouvernement à reporter les élections provinciales par décret en conseil des ministres 

Adopté

M. BAS,
rapporteur

7

Introduction d'un mécanisme permettant, en cas d'accord, d'interrompre le processus électoral jusqu'à dix jours avant le scrutin

Adopté

M. BAS,
rapporteur

8

Ajout de la notion de destin commun dans le contenu de l'accord global

Adopté

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET PROGRAMME DU DÉPLACEMENT

Paris

Rencontre au Sénat de M. Philippe Dunoyer, député de la Nouvelle-Calédonie, 1re circonscription, puis de M. Nicolas Metzdorf, député de la Nouvelle-Calédonie, 2e circonscription.

Entretien avec M. Georges Naturel, sénateur de la Nouvelle-Calédonie

Nouméa

Samedi 16 mars 2024

Entretien avec MM. Louis Mapou, président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Claude Gambey, directeur de cabinet, Louis Magnan, Charles Wea et Tomislav Gobekar, conseillers

Sénat Coutumier

Entretien avec les autorités coutumières

Entretiens avec :

- M. Roch Wamytan, président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie et Mme Frédérique Muliava, directrice de cabinet

- M. Robert Xowie, sénateur de la Nouvelle-Calédonie

- MM. Florentin Dedane, président de l'association des maires de Nouvelle-Calédonie (AMNC) et Alcide Ponga, maire de Kouaoua

M. Jacques Lalié, président de la Province des Îles Loyauté

Entretiens avec les représentants de groupes politiques calédoniens

UC-FLNKS et Nationalistes

M. Pierre-Chanel Tutugoro, président du groupe au Congrès

Mme Omayra Naisseline, conseillère

M. Sylvain Pabouty, membre du Congrès

Mme Kadrile Wrigth, membre du Congrès

M. Aloisio Sako, membre du Congrès

Union nationale pour l'indépendance (UNI)

M. Jean-Pierre Djaiwe, président

M. Adolphe Digoue, élu au congrès

M Judicaël Selefen, conseiller

M. Boris Ajapunhya, chef de cabinet

Union calédonienne (UC)

M. Daniel Goa, président

Mme Maryline Sinewami, vice-présidente

M. Romuald Pidjot, conseiller

M. Dominique Fochi, secrétaire général

M. Thierry Couzin, conseiller

L'Éveil océanien

Mme Veylma Falaeo, secrétaire générale

M. Vaimu'a Muliava, membre du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

M. Petelo Sao, conseiller de l'assemblée de la province Sud, conseiller municipal de la ville du Mont-Dore

Entretien avec les dirigeants de la SLN

Mme Nathalie Bakhache, secrétaire générale

M. Charles Dubois, directeur technique

Dimanche 17 mars 2024

Entretien avec Mme Sonia Backes, présidente de la Province Sud, et Brieuc Frogier, conseiller.

Rencontre des représentants de groupes politiques

Les Loyalistes

Mme Sonia Backes, MM. Philippe Blaise, Gil Brial et Brieuc Frogier, membres du congrès

M. Willy Gatuhau, maire de Païta

Mme Nina Julié, élue municipale au Mont-Dore

Mme Françoise Suve, membre du congrès

Mme Naïa Wateou, membre du congrès

M. Caël Normandon, membre des jeunes loyalistes

M. Karyl Trenyiwa, membre des jeunes loyalistes

Le Rassemblement

M. Alcide Ponga, président par intérim du parti Le Rassemblement

Mme Virginie Ruffenach, présidente du groupe Le Rassemblement au Congrès

Mme Nadine Jalabert, membre du congrès

M. Guy-Olivier Cuenot, membre du congrès

Mme Laura Vendegou, membre du congrès

M. Jordan Courtot, conseiller

Calédonie Ensemble

M. Philippe Michel, président

Mme Annie Qaeze, membre du congrès

M. Jean Kays, élu de la province Sud et ancien président du Sénat coutumier

M. Philippe Gomès, ancien député, élu au Congrès de la Nouvelle-Calédonie

Rencontre du comité Paroles, Mémoires, Vérité, Réconciliation (PMVR) représenté par Mme Jacqueline Bernut, M. Léonard Kaemo, Mme Clara Filippi, MM. Elie Poigoune et Gérard Sarda, Mmes Marie-José Michel et Marie-Neige Poanoui, MM. Jean-Pierre Aifa et Rock Apikaoua,

Entretien avec M. Bernard Deladrière, signataire de l'Accord de Nouméa.

Entretien avec les autorités judiciaires représentées par :

M. Bruno Dalles, procureur général près la cour d'appel de Nouméa

M. Gilles Rosati, premier président de la cour d'appel de Nouméa

M. Didier Sabroux, président du tribunal administratif de Nouméa

Rencontre des représentants de Nouvelle-Calédonie Économique (NC ÉCO)

Mme Mimsy Daly, présidente du Mouvement des entreprises de France de Nouvelle-Calédonie (Medef-NC)

Mme Elizabeth Rivière, présidente de la chambre des métiers et de l'artisanat de Nouvelle-Calédonie (CMA-NC)

M. Thierry Neuville, président délégué de la Confédération des petites et moyennes entreprises de Nouvelle-Calédonie (CPME-NC)

M. David Guyenne, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie (CCI-NC)

M. Jean-Louis Laval, président de l'Union des entreprises de proximité de Nouvelle-Calédonie (U2P-NC)

M. Benoît Meunier, président de la Fédération Calédonienne du Bâtiment et des Travaux Publics (FCBTP)

M. Roy Levay, président de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles de Nouvelle-Calédonie (FNSEA NC)

M. Charles Roger, coordonnateur NC ECO

Entretiens avec :

Mmes Sonia Lagarde, présidente de l'association française des maires de Nouvelle-Calédonie (AFMNC) et maire de Nouméa, Florence Rolland, maire de La Foa, MM. Pascal Vittori, maire de Boulouparis, Patrick Robelin, maire de Bourail et Yoann Lecourieux, maire de Dumbéa

M. Simon Loueckhote, ancien sénateur de la Nouvelle-Calédonie, signataire de l'Accord de Nouméa

MM. Ismet Kurtovitch, historien spécialiste de la Nouvelle-Calédonie contemporaine, Pierre Bretegnier, ancien vice-président de la province Sud et ancien vice-président du congrès de la Nouvelle-Calédonie et Luc Steinmetz, juriste et historien

Rencontre de M. Raphaël Romano, président de l'association « Un coeur, une voix » et de M. Stéphane Quinet, président de l'Association des Citoyens française de Nouvelle-Calédonie (ACFNC)

Rencontre de M. Louis Le Franc, Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en présence de MM. Théophile de Lassus, directeur de cabinet et Stanislas Alfonsi, secrétaire général

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl23-291.html


* 1 Avis n° 407713 du Conseil d'État relatif à la continuité des institutions en Nouvelle-Calédonie, 7 décembre 2023.

* 2 Ces courriers ont été rendus publics et sont disponibles suivant ce lien.

* 3 Rapport d'information n° 879 (2022-2023), déposé le 12 juillet 2023, p. 47.

* 4 Étude d'impact du projet de révision constitutionnelle, p. 2.

* 5 Ibid.

* 6 Ibid.

* 7 Audition de Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, par la commission des lois du Sénat, en date du 13 février 2024.

* 8 Compte-rendu de séance du Sénat en date du 27 février 2024.

* 9 Avis n° 407713 du Conseil d'État précité.

* 10 Ibidem.

* 11 Loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998.

* 12 En effet, le premier alinéa de l'article 2 de la loi précitée dispose qu'« entre le 1er mars et le 31 décembre 1998, les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront appelées à se prononcer par un scrutin d'autodétermination, conformément aux dispositions de l'article 53 de la Constitution, sur le maintien du territoire dans la République ou sur son accession à l'indépendance ».

* 13 Sur ce point le second alinéa de l'article 2 de la la loi précitée prévoyait expressément que « seront admis à participer à ce scrutin les électeurs inscrits sur les listes électorales du territoire à la date de cette consultation et qui y ont leur domicile depuis la date du référendum approuvant la présente loi ». 

* 14 Voir la dernière phrase du second alinéa de l'article 2 de la loi précitée.

* 15 Décret n° 90-1163 du 24 décembre 1990 pris pour l'application des articles 2 et 3 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998.

* 16 Voir les déclarations de Pierre Frogier en commission des lois lors de l'examen à l'Assemblée nationale de la révision constitutionnelle de 2007 précitée.

* 17 Voir le rapport sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie fait par Catherine Tasca, rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, n° 972, 9 juin 1998, p. 42.

* 18 Voir le point 5.3 de l'Accord de Nouméa signé le 5 mai 1998.

* 19 Rapport fait au nom de la commission des Lois du sénat par M. Lucien Lanier sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie, n° 2 (1999-2000), p. 19-20.

* 20 Voir le point 2.2.1. de l'Accord de Nouméa précité.

* 21 Rapport fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le projet de loi organique relatif à la Nouvelle-Calédonie et sur le projet de loi relatif à la Nouvelle-Calédonie par René Dosière, n° 1275 (1998-1999), pp. 190 à 193.

* 22 Rapport fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi organique relatif à la Nouvelle-Calédonie et le projet de loi relatif à la Nouvelle-Calédonie par Jean-Jacques Hyest, n° 180 (1998-1999), pp. 220 à 223.

* 23 Rapport fait au nom de la commission des Lois du Sénat par Lucien Lanier, précité, p. 12.

* 24 Pour plus de précisions, voir le relevé des conclusions du cinquième comité des signataires de l'accord de Nouméa du 2 février 2006.

* 25 Rapport fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale par Didier Quentin, sur le projet de loi constitutionnelle complétant l'article 77 de la Constitution, n° 3506 (2006-2007), p. 41-42.

* 26 Avis n° 407713 du Conseil d'État relatif à la continuité des institutions en Nouvelle-Calédonie, 7 décembre 2023.

* 27 Voir les courriers rendus publics, disponibles à l'adresse suivante : https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/discussions-institutionnelles-dans-une-missive-gerald-darmanin-affiche-ses-priorites-1401462.html.

* 28 Rapport « renouer avec la promesse d'un destin commun pour tous les Calédoniens » fait au nom de la commission des lois du Sénat par François-Noël Buffet, Philippe Bas, Jean-Pierre Sueur, et Hervé Marseille, n° 879, (2022-2023), 12 juillet 2023, p. 65-66.

* 29 Voir les courriers précités.

* 30 Étude d'impact sur le projet de loi constitutionnelle, p. 3.

* 31 Ibid.

* 32 Ibidem.

* 33 Ibidem.

* 34 Exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, p. 3-4.

* 35 Avis n° 407930 du Conseil d'État sur le projet de loi constitutionnelle, 25 janvier 2024.

* 36 Avis n° 407713 du Conseil d'État précité.

* 37 Avis n° 407930 du Conseil d'État précité.

* 38 Ibidem.

* 39 Ibidem.

* 40 Pour plus de précisions, voir développement partie II 3.

* 41 Voir l'article 1er de la loi organique n° 2018-280 du 19 avril 2018 relative à l'organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

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