B. LES CONSÉQUENCES DE LA CRISTALLISATION DU CORPS ÉLECTORAL SUR LES ÉLECTIONS DU CONGRÈS ET DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE

1. Le maintien de la paix civile et la participation des indépendantistes à l'ensemble des scrutins provinciaux

Les dispositions constitutionnelles en vigueur ont indiscutablement permis le maintien de la paix civile, conformément à leur objectif principal.

En outre, alors que l'interprétation du Conseil Constitutionnel avait fait craindre un boycott - annoncé - des partis du FLNKS des élections provinciales en cas d'application d'un corps électoral « glissant », l'intervention du pouvoir constituant a permis, pour toute la durée d'application de l'Accord de Nouméa, d'organiser cinq scrutins pour les élections provinciales et du congrès avec la participation de l'ensemble des forces politiques calédoniennes, indépendantistes comme non-indépendantistes.

2. Une incidence marquée sur les effectifs de la liste électorale spéciale pour les provinciales : le plus que doublement de la proportion d'électeurs non-admis à participer au scrutin

Il résulte des informations transmises par le Gouvernement au rapporteur que la proportion des électeurs privés de droit de vote pour l'élection des assemblées de province et du congrès par rapport au nombre d'électeurs inscrits sur la liste électorale générale est passée de 7,46 % en 1999 à 19,28 % en 2023. En d'autres termes, cette proportion a été multipliée par 2,45 entre 1988 et 2023.

Ainsi, il est indéniable que l'ampleur des dérogations aux principes d'égalité et d'universalité du suffrage est aujourd'hui supérieure à celles admises en 1998, lors de la signature de l'Accord de Nouméa.

D'une analyse partagée avec le Conseil d'État, compte tenu de ces évolutions démographiques et des effets induits par le « gel » du corps électoral, la compatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France « est incertaine alors que le processus défini par l'Accord de Nouméa est achevé 1(*)». Cela est d'autant plus probable qu'« avec l'écoulement du temps, les effets [induits] excèdent ce qui était nécessaire à la mise en oeuvre de l'Accord de Nouméa ».

3. Des situations paradoxales résultant du manque d'anticipation de certaines configurations familiales et individuelles

En dépit de désaccords sur le principe du dégel du corps électoral, les représentants des partis indépendantistes partagent, avec le Gouvernement et les partis non-indépendantistes, « un certain nombre de constats sur le fonctionnement actuel des listes électorales, notamment des incohérences dans les règles actuelles »2(*) et tous semblent convenir de la nécessité d'y remédier.

Comme l'a déjà constaté la mission d'information de la commission des lois du Sénat, conduite par François-Noël Buffet, Philippe Bas, Jean-Pierre Sueur et Hervé Marseille, « forts ces constats partagés, les différentes parties [devraient] entérine[r] le plus rapidement possible la nécessité de résoudre trois difficultés identifiées :

« - les écarts entre le nombre d'inscriptions sur la liste électorale spéciale à la consultation et celle pour les élections provinciales, chiffrés par le Gouvernement à 11 000 personnes natives de Nouvelle-Calédonie ;

« - le vide juridique entourant la situation des petits-enfants d'un électeur inscrit en 1998 sur la liste pour les élections provinciales, alors que celle des enfants des mêmes électeurs est prévue. En effet, les dispositions de l'article 188 de la loi organique précitées prévoient que seuls les enfants, et non les autres descendants, des électeurs inscrits sur les listes électorales en 1998 peuvent rejoindre le corps électoral pour l'élection des assemblées de province et du congrès ;

« - la question des conjoints de citoyens calédoniens qui ne disposent pas, contrairement au droit commun de la nationalité, d'une faculté, même conditionnée à une durée de mariage, d'accéder au bénéfice de la citoyenneté calédonienne et de participer aux élections provinciales »3(*).

4. Une incohérence induite entre les listes électorales et divergente de l'esprit de Nouméa

L'évolution démographique et les inscriptions sur les listes électorales calédoniennes - d'office ou à la demande des intéressés - ont conduit à une situation paradoxale régulièrement mise en avant par les partis politiques non-indépendantistes : le corps électoral référendaire, plus restreint que le corps électoral de droit commun, est, paradoxalement, sensiblement plus large que le corps électoral pour l'élection du congrès et des assemblées de province, comme le présente le graphique ci-dessous, alors même qu'il a vocation à désigner les représentants politiques des institutions locales qui ont un effet direct sur le quotidien des Calédoniens.

En l'occurrence, le corps électoral défini pour les consultations référendaires a toujours été conçu, dès les accords de Matignon-Oudinot comme plus restreint que celui défini pour les élections du congrès et des assemblées de province, dès lors que le citoyen qui souhaite participer au scrutin d'accession à la pleine souveraineté doit, notamment, justifier d'une durée de vingt ans de domicile à la date de la consultation alors que cette durée, qu'importe la nature du corps électoral - glissant ou gelé -, est abaissée à dix années pour l'inscription sur la liste électorale pour les élections provinciales.


* 1 Avis n° 407713 du Conseil d'État relatif à la continuité des institutions en Nouvelle-Calédonie, 7 décembre 2023.

* 2 Ces courriers ont été rendus publics et sont disponibles suivant ce lien.

* 3 Rapport d'information n° 879 (2022-2023), déposé le 12 juillet 2023, p. 47.

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