EXAMEN DES ARTICLES

TITRE IER : INSTITUER DE NOUVELLES MESURES
DE SURETÉ APPLICABLES AUX CONDAMNÉS
POUR TERRORISME À LEUR SORTIE DE DÉTENTION

Article 1er
Renforcement de la mesure judiciaire de prévention
de la récidive terroriste et de réinsertion

Prenant acte du bilan particulièrement peu concluant de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, la commission a, en s'inspirant de dispositions déjà votées, souhaiter renforcer le contenu des obligations susceptibles d'être prononcées dans cette mesure ainsi qu'en modifier la procédure afin qu'elle soit prononcée par la juridiction régionale de rétention de sureté (JRRS). En outre, à l'initiative du rapporteur, elle a proposé un assouplissement des critères de prononcé de la mesure afin d'en améliorer l'opérationnalité et son adéquation aux profils des individus concernés.

Elle a adopté cet article ainsi modifié.

1. Le faible bilan de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion en dépit de l'acuité renouvelée de la problématique du suivi des condamnés terroristes sortants de détention

Au 31 décembre 2023, sont détenues 258 personnes condamnées pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste, dénommés « TIS ».

D'ici au 31 décembre 2026, on peut estimer entre 150 et 250 le nombre de « TIS » qui devraient sortir de détention. Parmi ceux-ci, entre 50 et 150 devraient faire l'objet d'un suivi socio-judiciaire. 122 n'ont pas été condamnés à une telle peine. Le nombre de personnes qui devraient sortir sans mesure, autrement dit « en sortie sèche », est estimé entre 25 et 50.

Ces libérations nombreuses d'individus condamnés pour des faits de terrorisme constituent un enjeu majeur de sécurité publique.

Il est en effet aujourd'hui largement admis qu'en dépit des réformes engagées au cours des dernières années, la prison peine encore à prendre en charge les individus radicalisés et ne permet pas d'aboutir, sur le temps de la détention, à un désengagement de l'idéologie djihadiste.

Les auditions menées par le rapporteur ont confirmé ce constat. Pour les services de renseignement intérieur, les sortants de détention constituent aujourd'hui l'une des principales menaces auxquelles notre pays est exposé en matière de terrorisme. La directrice générale de la sécurité intérieure, Céline Berthon, indiquait lors de son audition que figuraient parmi les personnes dont la libération était prévue en 2023 et 2024 des « profils lourds », souvent des personnes condamnées pour des projets terroristes particulièrement aboutis ou s'étant rendus pendant plusieurs années dans des zones tenues par les terroristes islamistes.

Il s'agit également d'une préoccupation majeure du procureur de la République antiterroriste qui, auditionné par le rapporteur, a affirmé que cette problématique des sortants de détention était aujourd'hui nouvelle, pour deux raisons cumulatives :

- leur nombre, estimé à 70 pour les deux prochaines années ;

- leurs profils, dès lors que les deux prochaines années verront des sorties de détention d'individus ayant été condamnés, en moyenne, à des peines significativement plus lourdes que les détenus libérés ces trois dernières années.

Face à cet enjeu majeur, les outils à disposition des pouvoirs publics, bien que nombreux, se révèlent dans la pratique soit incomplets, soit inadaptés pour permettre un suivi efficace des condamnés terroristes à leur sortie de détention.

Actuellement, face à leur dangerosité et afin d'éviter toute sortie « sèche » de détention, les pouvoirs publics privilégient des mesures administratives et de suivi judiciaire sans que celles-ci n'offrent, au regard de leur durée limitée et des mesures susceptibles d'être prononcées, un cadre de surveillance suffisant et durable pour prévenir et empêcher la récidive de tels faits.

Ainsi, la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) a une durée limitée à douze mois et offrent, de ce fait, des possibilités de surveillance jugées insuffisantes par les services de renseignement. Cette durée ne saurait, pour autant, être allongée, comme l'a récemment rappelé le Conseil constitutionnel. En outre, à l'instar de la surveillance exercée par les services de renseignement, la MICAS se révèle un outil incomplet dans la mesure où elle se limite à soumettre la personne à des mesures de surveillance, sans offrir d'accompagnement à la réinsertion, volet pourtant essentiel au développement d'une politique efficace de prévention de la récidive.

Dès lors, si les outils administratifs ont récemment été renforcés, la commission des lois du Sénat a, de longue date, insisté pour la mise en place d'un suivi des sortants de détention par des mesures judiciaires, qui constituent la voie juridiquement la plus pertinente et la plus protectrice des libertés individuelles, pour répondre à l'enjeu que représente, en termes de sécurité publique, l'élargissement des condamnés terroristes. À l'inverse, le prononcé d'une mesure administrative de surveillance à l'issue d'une peine n'apparaît pas satisfaisant eu égard aux objectifs fixés par le législateur au prononcé d'une peine, singulièrement en matière pénale.

Alors qu'ils devraient assurer cette finalité d'accompagnement à la réinsertion, les outils judiciaires, pourtant multiples, souffrent également de nombreuses lacunes.

Ainsi, depuis le 1er janvier 2021, 234 condamnés pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste, dénommés « TIS », sont sortis de détention.

Parmi celles-ci :

- 37 ont été soumis à un suivi socio-judiciaire ;

- 72 ont été placées sous surveillance judiciaire ;

- 23 ont fait l'objet d'une mesure de suivi post-peine ;

- 1 personne a fait l'objet d'une mesure judiciaire de prévention de la récidive et de réinsertion ;

- 68 personnes ont fait l'objet d'un sursis probatoire ou d'un aménagement de peine ;

- 33 personnes sont sorties sans mesure de suivi, soit qu'aucune mesure n'est juridiquement possible, soit que le profil de ces personnes ne justifiait aucune mesure de suivi. De fait, si les sorties « sèches » sont rares, celles-ci ne peuvent, en l'état du droit, pas toujours être évitées comme l'a rappelé le PNAT lors de son audition par le rapporteur.

Ceci étant, les mesures de suivi judiciaire susceptibles d'être prononcées se révèlent soit difficiles à appliquer, soit très insuffisantes au regard des profils concernés, y compris celles votées récemment par le législateur et applicables à ces seuls profils.

Il en va ainsi de la mesure de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, votée par le législateur en 2021 à l'occasion de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 dite « PATR ».

De l'aveu de l'ensemble des personnes auditionnées, le bilan de cette mesure est particulièrement décevant. Près de deux ans après sa création, celle-ci n'a pu être mise en oeuvre qu'à une seule reprise en raison de l'inadéquation entre les conditions requises par le législateur et la réalité des situations rencontrées.

Aux yeux des acteurs judiciaires chargés des réquisitions comme du prononcé de cette mesure, celle-ci s'avère particulièrement insuffisante pour deux raisons principales :

- d'une part, compte tenu de la rigueur et de la complexité des critères fixés par le législateur, la caractérisation des critères prévus par le législateur est particulièrement complexe ;

- d'autre part, elle n'offre pas, eu égard au contenu des obligations susceptibles d'être prononcées dans ce cadre, un suivi suffisamment adaptée à ces profils.

2. La proposition de loi ambitionne de substituer à cette mesure une nouvelle mesure mixte de réinsertion et de surveillance

L'article 1er reprend les dispositions visant à instituer une mesure de sûreté judiciaire applicable aux auteurs d'infractions terroristes, votée à deux reprises au Sénat en 2021, en lieu et place de la mesure de prévention de la récidive terroriste adoptée par l'Assemblée nationale en lecture définitive, après échec de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement.

Le dispositif proposé diffère des dispositions existantes sur deux points essentiels :

- il prévoit une mesure mixte tant d'accompagnement à la réinsertion que de surveillance, en lieu et place d'une simple mesure de réinsertion.

Ainsi, le contenu de la mesure serait renforcé en ce qu'il permettrait au juge de l'application des peines de prononcer des mesures de réinsertion supplémentaires par renvoi aux 3° de l'article 132-44 du code pénal et 5° de l'article 132-44 du même code, mais également de nouvelles interdictions ou obligations telles que : prévenir le SPIP de tout changement de résidence ou déplacement qui excéderait 15 jours (4° de l'article 132-44), informer le même juge de tout déplacement à l'étranger ou obtenir l'autorisation préalable pour tout déplacement à l'étranger (6° de l'article 132-44, 19° de l'article 132-45), interdiction de paraitre en tout lieu ou catégorie de lieux (9° de l'article 132-45), interdiction de contacts avec certains condamnés (12° de l'article 132-45) et d'entrer en relation avec certaines personnes ou catégories de personnes (13° de l'article 132-45), et une interdiction de détention ou port d'arme (14° de l'article 132-45).

- cette mesure serait prononcée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté, après avis du juge de l'application des peines chargé du suivi de la personne.

3. Des ajustements nécessaires pour garantir la sécurité juridique et l'opérationnalité de la mesure de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion

Compte tenu du bilan non-concluant du déploiement de la mesure de prévention de la récidive terroriste près de deux années après son vote au Parlement, le rapporteur a pu, lors de ses auditions, constater que des évolutions étaient particulièrement attendues par les services du parquet national antiterroriste (PNAT) comme des juges d'application des peines antiterroristes afin d'améliorer l'opérationnalité de la mesure et son adéquation aux profils des individus concernés.

La commission a donc, tout en conservant l'économie générale d'un dispositif qu'elle a déjà validé à deux reprises, souhaité, à l'initiative du rapporteur modifier sur cinq points les équilibres auxquels elle avait abouti lors de ces précédents travaux, à la lumière des observations formulées par les acteurs judiciaires après deux années d'application de la mesure.

En premier lieu, la commission a proposé une nouvelle caractérisation du critère de dangerosité, qui conditionne le prononcé de la mesure de sûreté existante et que la proposition de loi laissait sans modification.

La rédaction actuelle, si elle a le mérite de la précision, apparaît en effet peu opérationnelle. Les critères retenus sont à ce point restrictifs qu'ils se rapprochent de la définition de l'infraction d'association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste et rendent de ce fait la mesure quasiment inapplicable voire inopportune - les services du PNAT préférant ouvrir une nouvelle information judiciaire pour de tels faits.

Afin de garantir l'opérationnalité de la mesure, sans la fragiliser sur le plan constitutionnel, la commission a, à l'initiative du rapporteur, adapté la notion de dangerosité :

- en abaissant le critère de dangerosité à celui d'un risque élevé de récidive ;

- en visant l'adhésion avérée à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme, plutôt qu'une adhésion persistante, particulièrement difficile à caractériser après une longue période de détention et face à des profils qui font usage de techniques de dissimulation ;

- en introduisant un critère alternatif pour caractériser la particulière dangerosité en ajoutant le fait de souffrir de troubles graves de la personnalité, terreau particulièrement favorable à la récidive.

En deuxième lieu, la commission a élargi l'application de la mesure aux personnes condamnées à des peines supérieures à trois ans, non plus en cas de récidive mais dès réitération d'infractions à caractère terroriste, afin de faciliter le prononcé de cette mesure de réinsertion au contenu adapté à des condamnés présentant des troubles psychiatriques.

En troisième lieu, la commission a souhaité compléter les obligations susceptibles d'être prononcées dans le cadre de la mesure de sûreté créée par la proposition de loi, à la lumière des difficultés rencontrées par les juges d'application des peines spécialisés en matière terroriste pour assurer un suivi adapté à ces profils.

Ainsi, il lui est apparu nécessaire de renforcer tant l'accompagnement médical et psychiatrique, essentiel à la prévention de la récidive, que les obligations de déclaration ou d'autorisation des condamnés dans ce cadre. Pour ce faire, elle a prévu une obligation d'exercice d'activité professionnelle ou de formation, une possibilité d'interdiction par le juge de l'exercice de certaines activités, une obligation d'informer le juge d'application des peines de tout déplacement à l'étranger ou d'obtenir son autorisation préalable pour tout déplacement à l'étranger, une faculté d'interdiction de contacts avec certains condamnés et d'entrer en relation avec certaines personnes ou catégories de personnes, et une injonction de soins, sur le modèle existant pour le suivi socio-judiciaire.

De la même manière, la commission a supprimé certaines mesures, telles que l'interdiction de port d'arme - non nécessaire compte tenu des interdictions déjà en vigueur - ainsi que l'interdiction de paraitre en certains lieux ou d'établir sa résidence dans un lieu donné. Cette modification répond à une exigence constitutionnelle. Saisi de la conformité à la Constitution de l'allongement de la durée des MICAS à deux ans, le Conseil constitutionnel a en effet également apprécié la nécessité et la proportionnalité de ces mesures au regard de l'existence de mesures moins attentatoires aux droits et libertés individuelles existantes. Dès lors, un renforcement non strictement nécessaire du volet surveillance de cette mesure de sûreté judiciaire pourrait fragiliser les MICAS en dépit de leur bilan opérationnel très positif.

Enfin, dans le souci d'assurer la pleine opérationnalité de la mesure, la commission a souhaité allonger le délai d'évaluation du condamné quant à l'éligibilité d'une telle mesure de trois à six mois, délai opérationnel minimal compte tenu des délais d'attente pour le placement obligatoire dans un service d'évaluation de la dangerosité de l'intéressé.

Convaincue que l'ensemble de ces évolutions permettraient d'améliorer effectivement l'opérationnalité d'une mesure réservée aux seules condamnés terroristes et applicable à l'issue de leur peine de manière rétroactive, la commission a adopté l'article 1er ainsi modifié afin de doter les magistrats de l'ensemble des outils nécessaires au suivi des condamnés terroristes et ce, quels que soient leurs profils.

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 1er bis (nouveau)
Retrait d'un sursis probatoire et d'un suivi socio-judiciaire
pour inconduite notaire

Sur le modèle des dispositions applicables pour la révocation d'une mesure de semi-liberté, de détention à domicile sous surveillance électronique mobile ou d'une libération conditionnelle, la commission a estimé pertinent d'instituer, dans un article additionnel à l'initiative du rapporteur, la commission d'une nouvelle infraction comme motif de révocation d'une mesure de surveillance judiciaire ou d'un suivi socio-judiciaire pour les condamnés terroristes.

À l'initiative du rapporteur, la commission a souhaité, par l'adoption d'un amendement COM-3 portant création d'un article 1er bis, instituer la commission d'une nouvelle infraction et sa condamnation comme motif de révocation d'une mesure de surveillance judiciaire ou d'un suivi socio-judiciaire.

Depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, les auteurs de crimes ou de délits terroristes encourent, à titre de peine principale ou de peine complémentaire, une peine de suivi socio-judiciaire. Prononcé ab initio , par la juridiction de jugement, le suivi socio-judiciaire consiste à astreindre, pour une durée maximale de 10 ans en matière correctionnelle et de 20 ans en matière criminelle, la personne condamnée à des mesures de surveillance ainsi qu'à des obligations sociales ou médicales, dont la méconnaissance peut conduire à la réincarcération de l'individu.

En outre, lorsqu'ils ont été condamnés à une peine supérieure ou égale à 7 ans d'emprisonnement, ils sont éligibles à une mesure de surveillance judiciaire. Prévue par les articles 723-29 à 723-39 du code de procédure pénale, cette mesure ne peut être appliquée qu'aux personnes qui présentent une dangerosité élevée à leur sortie de détention et un risque important de récidive, établis par une expertise médicale.

En application des articles 723-35 et 763-5 du code de procédure pénale, ces mesures deux peuvent être révoquées en cas d'inobservation par le condamné des obligations et interdictions qui lui ont été imposées. Cette révocation peut conduire à un retrait prononcé par une décision du juge d'application des peines, de tout ou partie de la durée des réductions de peine dont il a bénéficié et ordonner sa réincarcération.

Les obligations susceptibles d'être prononcées dans le cadre
d'une surveillance judiciaire ou d'un suivi socio-judiciaire

Les obligations susceptibles d'être prononcées dans le cadre d'une surveillance judiciaire sont notamment, en application des articles 723-29 et suivants du code pénal :

- les obligations susceptibles d'être prononcées dans le cadre du suivi socio-judiciaire ;

- le placement sous surveillance électronique mobile ;

- l'obligation d'assignation à domicile en cas de condamnation à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour certains crimes sexuels et de sang ;

- l'injonction de soin, sauf décision contraire motivée de la juridiction.

Les obligations susceptibles d'être prononcées dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire sont celles prévues pour la probation, énumérées aux articles 132-44 et 132-45 du code pénal. Elles comprennent notamment :

- l'obligation de répondre aux convocations du juge de l'application des peines ou du service d'insertion et de probation ;

- l'obligation d'obtenir l'autorisation du juge de l'application des peines pour tout changement d'emploi ;

- l'obligation d'exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement ou une formation professionnelle ;

- l'obligation d'informer le juge de l'application des peines de tout déplacement à l'étranger ;

- l'interdiction de paraitre dans certains lieux définis par le juge ;

- l'interdiction d'entrer en relation avec certaines personnes énumérées par le juge ;

- le placement sous surveillance électronique mobile à titre de mesure de sûreté ;

- l'assignation à résidence, uniquement pour des individus condamnés à des peines de réclusion criminelle supérieure ou égale à 15 ans ;

- l'obligation de respecter les conditions d'une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologie, destinée à permettre sa réinsertion et l'acquisition des valeurs de la citoyenneté ;

- l'injonction de soin, sauf décision contraire motivée de la juridiction.

La commission a, en conséquence, introduit, aux articles 723-35 et 763-5 du code de procédure pénale qui prévoient les motifs de révocation des deux mesures de sureté précitées, un nouveau motif, le prononcé d'une nouvelle condamnation, afin de prendre en considération des observations favorables par les acteurs judiciaires de la lutte antiterroriste.

La commission a adopté l'article 1er bis ainsi rédigé.

Article 1er ter (nouveau)
Révocation d'une mesure de surveillance judiciaire
ou d'un suivi socio-judiciaire en cas de réitération

Sur le modèle des dispositions applicables pour la révocation d'une mesure de semi-liberté, de détention à domicile sous surveillance électronique mobile ou d'une libération conditionnelle, la commission a introduit un article additionnel à l'initiative du rapporteur afin de faire de la notion d'inconduite notoire un motif de retrait d'un sursis probatoire et d'un suivi socio-judiciaire pour les condamnés terroristes.

La commission a, à l'initiative du rapporteur (amendement COM-2), adopté un article additionnel complétant les motifs de la révocation de ces deux mesures judiciaires, l'une étant une modalité d'exécution des peines - le sursis probatoire - et l'autre étant une peine - à savoir le suivi socio-judiciaire.

De l'aveu des services compétents auditionnés par le rapporteur, en l'état du droit, un individu condamné pour des faits de terrorisme ou lourdement radicalisé peut parfaitement respecter « facialement » les obligations qui lui sont fixées dans le cadre d'un sursis probatoire ou d'un suivi socio-judiciaire tels que définis ci-avant tout en adoptant un comportement qui, sans constituer une infraction pénale ou une violation stricto-sensu de ces obligations, fait notamment obstacle à sa réinsertion - ce qui est dès lors incompatible avec les finalités poursuivies par la mesure judiciaire lui étant ainsi appliquée.

Sur le modèle des dispositions existantes en matière de semi-liberté, de détention à domicile sous surveillance électronique mobile et de libération conditionnelle, la commission a jugé opportun d'introduire la notion d'inconduite notoire aux motifs de retrait d'un sursis probatoire et d'un suivi socio-judiciaire. Notion initialement jurisprudencielle, l'inconduite notoire est une notion déjà largement appliquée par les magistrats de l'application des peines et éprouvée. À ce titre, elle a trouvé une consécration législative aux articles 713-44, 732-13 et 733 du code de procédure pénale qui prévoient les motifs de retrait des mesures, respectivement, de semi-liberté, de détention à domicile sous surveillance électronique et de libération conditionnelle.

Plus précisément, la commission a considéré, s'agissant du sursis probatoire, que dès lors qu'il était une modalité d'exécution d'une peine d'emprisonnement visant à dispenser l'intéressé de son exécution en tout ou partie, il était justifié qu'en cas d'inconduite notoire de l'intéressée, cette dispense puisse être révoquée. De façon analogue, elle a estimé qu'en ce qu'il constituait une peine, le suivi socio-judiciaire pouvait se voir appliquer le même raisonnement. Elle ne l'a en revanche pas retenue s'agissant de la surveillance judiciaire, eu égard à sa différence nature - à savoir une mesure de sûreté qui ne saurait emporter des prescriptions quant au comportement de l'individu.

La commission a adopté l'article 1er ter ainsi rédigé.

Article 2
Mesures de rétention de sûreté applicables aux condamnés terroristes

Constant à la fois la sortie de détention sans prise en charge médicale adaptée de condamnés terroristes souffrant de troubles graves de la personnalité et l'élargissement de condamnés terroristes dont l'ancrage idéologique présente une dangerosité avérée, la commission des lois a, à l'initiative du rapporteur, accueilli favorablement les deux mesures de rétention de sûreté applicables aux condamnés terroristes proposées par les auteurs du texte.

Consciente des craintes que la seconde mesure pouvait susciter eu égard à à l'absence de critère médical, elle a, par l'adoption d'un amendement du rapporteur, restreint le champ d'application de la mesure et préciser ses finalités.

Elle a adopté l'article 2 ainsi modifié.

1. Le suivi post-peine des condamnés terroristes souffrant de graves troubles psychiatriques ou encore particulièrement engagés dans une idéologie radicale

D'un constat partagé par l'ensemble des acteurs judiciaires et administratifs dans la lutte contre le terrorisme, l'élargissement des condamnés terroristes et leur prise en charge constitue un enjeu majeur et concentre les inquiétudes des services de renseignement spécialisés en la matière.

Depuis l'été 2018, 486 détenus islamistes ont été libérés selon la DGSI. Selon l'appréciation portée par ses représentants devant le rapporteur, si plus de la moitié de ces sortants présentent aujourd'hui un profil considéré comme « désengagé », parmi l'autre moitié, aux profils plus ambivalents, certains restent ancrés dans l'idéologie radicale. L'acuité du suivi après leur peine des condamnés terroriste est aujourd'hui entière : la DGSI estime ainsi que parmi les 391 détenus aujourd'hui incarcérés pour des faits de terrorisme, un noyau dur d'une cinquantaine d'individus présentent, à ce stade de leur peine qui est encore longue, un profil particulièrement inquiétant.

Auditionné par le rapporteur, le procureur de la République antiterroriste a affirmé que cette problématique des sortants de détention était aujourd'hui nouvelle pour deux raisons cumulatives :

leur nombre, estimé à 70 pour les deux prochaines années ;

leurs profils, dès lors que les deux prochaines années verront des sorties de détention d'individus ayant été condamnés, en moyenne, à des peines significativement plus lourdes que les détenus libérés ces trois dernières années.

Partageant ce constat, la juge d'application des peines antiterroristes (JAPAT), Françoise Jeanjacquet, a indiqué au rapporteur qu'il existe 35 % de condamnés terroristes pour lesquels il y a une incertitude ou un questionnement sur leur volonté de se réinsérer au sein de la société française et où le risque de récidive ne peut être totalement exclu et que, parmi eux, la moitié peut apparaître particulièrement dangereuse avec un risque de récidive important.

De façon analogue, parmi les 5 200 objectifs inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste et suivis par la DGSI, 20 % présentent un trouble psychique documenté. Son directeur, Nicolas Lerner, a d'ailleurs récemment rappelé, dans la presse, que « sur les douze attentats que la France a connus depuis fin 2018, sept auteurs présentaient des troubles soit psychiatriques, dans un nombre restreint de cas, soit psychologiques ».

Sur ce point, le PNAT a quant à lui estimé que la part des condamnés terroristes sortant de détention qui souffrent de tels troubles était comprise entre 10 à 20 %. De façon plus inquiétante, la JAPAT a, lors de son audition, indiqué au rapporteur que si les profils psychiatriques ou présentant des troubles de la personnalité actuellement incarcérés sont peu nombreux -de l'ordre d'une dizaine-, ils représentaient des cas très lourds et des individus potentiellement très dangereux, dont la prise en charge était particulièrement difficile au regard des outils juridiques existants.

2. La proposition de loi ambitionne d'introduire deux mesures de rétention de sureté applicables aux condamnés terroristes

Fort de ce constat, l'article 2 de la proposition de loi poursuit un double objectif :

- d'une part, il vise à ouvrir la rétention de sûreté prévue à l'article 706-53-13 du code de procédure pénale aux condamnés pour des crimes terroristes à des peines d'emprisonnement supérieures à quinze ans ou à dix ans en cas de récidive d'un tel crime ;

- d'autre part, il ambitionne de créer une nouvelle mesure de rétention de sûreté pour les condamnés TIS ne souffrant pas de troubles graves de la personnalité mais présentant une grande dangerosité, caractérisée, notamment par une possibilité très élevée de récidive, en introduisant un nouvel article 706-53-14-1 au sein du code de procédure pénale.

S'agissant du premier volet de la mesure, l'article 2 ne procède qu'à un élargissement du champ des personnes éligibles à la rétention de sureté à raison du type de crime qu'ils auraient commis, les autres critères ou conditions demeurant inchangées.

De ce fait ; il ne revient pas sur les équilibres existants et dont la conformité avec la Constitution a déjà été admise.

La rétention de sûreté

Définie par le quatrième alinéa de l'article 706-53-13 du code de procédure pénale, la rétention de sûreté « consiste dans le placement de la personne intéressée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure ».

L'article 706-53-13 du CPP exige trois conditions préalables pour que la rétention de sûreté puisse être envisagée :

la personne doit avoir été condamnée par une cour d'assises pour des faits d'homicide volontaire, de viol, de tortures et actes de barbarie ou d'enlèvement et séquestration. Si la victime était mineure, la présence d'une circonstance aggravante n'est pas exigée sinon la rétention de sûreté n'est applicable que si ces crimes ont été commis avec des circonstances aggravantes spécialement énumérées ;

la personne doit avoir été condamnée pour une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans, ou dix ans en cas de récidive légale ;

- la juridiction de jugement doit avoir « expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation en vue d'une éventuelle rétention de sûreté ».

À l'issue de ce réexamen, la rétention de sûreté peut être prononcée, à titre exceptionnel, si deux autres conditions sont réunies :

- il doit être établi que cette personne présente une « particulière dangerosité » et une « probabilité très élevée de récidive » parce qu'elle « souffre d'un trouble grave de la personnalité » ;

- il ne doit pas exister d'autre dispositif de prévention de la récidive suffisant.

Afin de permettre l'évaluation de cette dangerosité, la personne est placée pendant une durée d'au moins six semaines dans un service spécialisé chargé de son observation. La commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté (CPMS) se prononce sur la dangerosité et, le cas échéant, propose la mesure de rétention. Saisie par le procureur général sur proposition de la CPMS, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut prononcer la rétention de sûreté si elle estime que les conditions sont réunies.

Liée directement à cette mesure de rétention de sureté, la surveillance de sûreté consiste dans le prolongement des obligations de la surveillance judiciaire ou du suivi socio-judiciaire imposé au condamné. Elle est soumise aux mêmes conditions préalables que la rétention de sûreté, s'agissant des crimes commis et de la peine prononcée par la cour d'assises. Toutefois, il n'est pas nécessaire que cette dernière ait prévu un éventuel réexamen à l'issue de la peine.

La juridiction régionale de la rétention de sûreté peut décider de la mesure de surveillance de sûreté afin de prévenir un risque très élevé que la personne commette l'un des crimes mentionnés à l'article 706-53-13 du CPP.

La durée de la mesure est d'un an. Elle peut être renouvelée selon les mêmes modalités qui président à la décision initiale. La loi ne prévoit aucune limite au renouvellement de la mesure.

Le Conseil constitutionnel, saisi de la constitutionnalité d'une telle mesure, en a validé le principe ainsi que les principales modalités1(*). Ainsi, en s'appuyant sur un faisceau d'indices pour reconnaitre à cette mesure le caractère de mesure de sureté et non de peine. Il a considéré, sans exclure le caractère de sanction, qu'une telle mesure constituait une mesure de sureté, et ce pour quatre raisons :

- La mesure n'est pas prononcée par la juridiction de jugement ;

- « elle repose non sur la culpabilité de la personne condamnée (...), mais sur sa particulière dangerosité » ;

- « elle n'est mise en oeuvre qu'après l'accomplissement de la peine par le condamné » ;

- « elle a pour but d'empêcher et de prévenir la récidive par des personnes souffrant d'un trouble grave de la personnalité ».

De surcroit, le juge constitutionnel a considéré, eu égard à « l'extrême gravité des crimes visés et à l'importance de la peine prononcée », au fait que cette mesure était réservée « aux seules personnes particulièrement dangereuses parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité », et qu'elle « ne pourrait être ordonnée qu'en cas de stricte nécessité », que cette mesure était adaptée, proportionnelle et nécessaire, validant ainsi sa conformité avec la Constitution.

Le juge constitutionnel a toutefois censuré le caractère rétroactif d'une telle mesure « eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction ».

S'agissant de la création d'une nouvelle mesure de sureté, liée à l'appréciation d'une dangerosité reposant sur d'autres critères, les auteurs de la proposition de loi ambitionnent :

- d'ouvrir une telle mesure de rétention de sureté à des condamnés terroristes dont la particulière dangerosité est caractérisée par un double critère de « probabilité élevée de récidive » et d' « adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme, faisant ainsi obstacle à sa réinsertion », s'inspirant des critères retenus pour la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion prévue à l'article 706-25-16 du code de procédure pénale ;

- de ne pas réserver cette mesure aux personnes souffrant de troubles psychiatriques graves ;

- d'appliquer cette mesure à l'ensemble des condamnés pour des crimes et délits terroristes, à l'exception de l'apologie et de la provocation à la commission d'actes de terrorisme.

Pour ces deux mesures, les dispositions proposées ne reviennent pas sur les autres critères - à savoir l'absence de dispositifs de prévention de la récidive suffisant - ou garanties procédurales déjà validées par le Conseil constitutionnel.

3. Deux mesures permettant de compléter utilement les modalités de prise en charge des profils les plus dangereux à leur sortie de détention en raison de troubles graves de la personnalité ou d'une probabilité très élevée de récidive

Auditionnés par le rapporteur, la JAPAT comme le PNAT ont indiqué être favorables à l'extension aux condamnés terroristes des dispositions relatives à la rétention de sûreté existante pour ceux qui remplissent le critère du trouble grave de la personnalité. La JAPAT a ainsi estimé que ces profils pouvaient, au titre de leurs profils psychiatriques, être pris en charge dans le centre médico-social existant à Fresnes et affirmé au rapporteur l'intérêt de cette mesure pour certains profils de condamnés terroristes rencontrés, particulièrement difficiles à suivre à l'issue de leur peine en l'état du droit.

La direction générale de la sécurité intérieure a pour sa part estimé que ces dispositifs revêtaient un intérêt opérationnel non négligeable, mais que, compte tenu de leur non-rétroactivité, ils ne seraient utiles que pour « préparer l'avenir » sans permettre de traiter le « stock » existant de condamnés terroristes.

Forte de ces constats, la commission a considéré qu'il était indispensable de se doter de l'ensemble des outils permettant, à l'issue de leur peine, de prendre en charge de façon adaptée les profils des condamnés terroristes souffrant de troubles graves de la personnalité ou encore particulièrement dangereux, aux seules fins de prévenir la récidive. Elle a, par conséquent, validé sur leur principe ces deux mesures de sûreté judiciaire.

S'il ne fait pas de doute que le premier volet de la mesure ne présente pas de difficultés constitutionnelles, la commission a estimé que le second volet, en l'état initial de sa rédaction, devait être enserré de garanties supplémentaires afin d'en assurer la constitutionnalité.

C'est pourquoi, à l'initiative de son rapporteur, elle a limité l'application de la mesure de rétention de sûreté en l'absence de troubles psychiatriques aux personnes condamnées à des peines supérieures à quinze ans d'emprisonnement, ou dix ans en cas de récidive, pour les seuls crimes terroristes. Cette modification répond à une exigence constitutionnelle : saisi de la conformité à la Constitution de la surveillance et de la rétention de sûreté2(*) , le Conseil constitutionnel a en effet apprécié la nécessité et la proportionnalité de ces mesures non seulement au regard de la gravité des infractions commises, mais également de l'importance de la sanction prononcée par la juridiction.

Or, si la rédaction retenue dans la proposition de loi initiale limite bien le champ de la mesure à des quantums de peines particulièrement élevés, elle inclut dans son champ d'application des délits terroristes, ce qui pourrait induire une fragilité, sur le plan constitutionnel, de la mesure créée. 

En outre, par ce même amendement, elle a précisé les conditions de prise en charge des personnes soumises à cette mesure qui seraient double et les adapter à leurs profils : d'une part, permettre la prise en charge médicale, sociale et psychologique, de façon permanente, de la personne et, d'autre part, lui permettre l'acquisition des valeurs de la citoyenneté.

La commission a adopté l'article 2 ainsi modifié.


* 1 Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

* 2 Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

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