TITRE III

SOUTENIR LES AIDANTS

Article 7
Pérennisation de dispositifs de répit pour les proches aidants

Cet article tend à pérenniser l'expérimentation de dérogations au droit du travail dans le cadre de la mise en oeuvre de prestations de « relayage » à domicile du proche aidant et de séjours de répit aidants-aidés.

La commission a adopté cet article avec modifications.

I - Le dispositif proposé : la pérennisation d'une expérimentation en matière de répit des proches aidants

A. Une expérimentation de dispositifs de répit innovants pour les aidants

1. Une expérimentation prévue par la loi « Essoc » de 2018

a) Des dispositifs permettant de déroger aux règles légales et conventionnelles sur le temps de travail

L'article 53 de la loi « Essoc » du 10 août 201894(*) a mis en place, pour une durée de trois ans, une expérimentation permettant des dérogations au droit du travail dans le cadre de prestations de suppléance à domicile du proche aidant (« relayage ») ou dans le cadre de séjours de répit aidant-aidé. Un décret du 28 décembre 2018 a permis l'entrée en vigueur de cette expérimentation jusqu'à fin décembre 202195(*).

Les dérogations au droit du travail prévues par l'article 53
de la loi « Essoc »

Dans le cadre des expérimentations prévues à l'article 53 de la loi du 10 août 2018, les salariés volontaires des établissements et services médico-sociaux ne sont pas soumis aux dispositions du code du travail, ni aux stipulations prévues par les conventions et accords collectifs applicables aux établissements et services qui les emploient ou par la convention collective des salariés du particulier employeur, concernant :

- le régime d'équivalence96(*) ;

- les temps de pause ;

- les durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail ;

- les durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail accomplies par un travailleur de nuit ;

- la durée minimale de repos quotidien.

Dans le cadre de ces dispositifs, la durée d'une intervention peut aller jusqu'à six jours consécutifs et le nombre total de journées d'intervention est limité, pour chaque salarié, à un plafond de 94 jours sur une période douze mois. La totalité des heures accomplies par le salarié ne peut excéder un plafond de 48 heures par semaine en moyenne, apprécié sur chaque période de quatre mois consécutifs.

Les salariés bénéficient dans ce cadre, au cours de chaque période de 24 heures, d'une période minimale de repos de onze heures consécutives. Cette période de repos pouvant être soit supprimée, soit réduite, l'intervention ouvre droit à un repos compensateur équivalent qui peut être accordé en partie pendant l'intervention.

Enfin, en cas de décès du conjoint employeur, il est permis au conjoint survivant non employeur de poursuivre le contrat de travail avec l'aide à domicile employé, sous réserve de l'accord de ce dernier, sous la forme d'un avenant au contrat de travail.

b) Les deux dispositifs expérimentaux

Le décret précité du 28 décembre 2018 a fixé deux cahiers des charges : l'un pour les prestations de séjours de répit aidant-aidé, l'autre pour les prestations de relayage à domicile.

Il convient de préciser que de telles prestations existent indépendamment de l'expérimentation et s'inscrivent alors dans les règles de droit commun.

En outre, ces dispositifs ne concernent pas seulement les personnes atteintes de troubles du neuro-développement et leurs aidants mais plus généralement toute personne en situation de handicap, ainsi que les personnes âgées dépendantes.

• L'expérimentation du relayage à domicile, inspirée du « baluchonnage » québécois, permet à des services d'aide à domicile de mobiliser un seul intervenant pendant plusieurs jours consécutifs en relais de l'aidant au domicile de la personne aidée.

Il s'agit d'offrir du répit à des aidants de personnes pour lesquelles l'accueil temporaire en dehors du domicile n'est pas adapté, en particulier pour des personnes présentant une atteinte des fonctions mentales, cognitives ou psychiques, pour lesquelles la préservation des repères est essentielle. Comme le précise le cahier des charges de l'expérimentation, l'intervention d'un seul professionnel, plutôt que de plusieurs qui se succèdent toutes les 8 ou 12 heures, est un élément essentiel de qualité de l'accompagnement proposé au couple aidant-aidé97(*).

• L'objectif des séjours de répit aidants-aidés est d'offrir, dans des conditions de sécurité médicale, des séjours et services diversifiés à la personne aidée et à son aidant. Les publics concernés sont les proches aidants, les personnes en situation de handicap, malades ou en perte d'autonomie, dont les personnes atteintes de maladies neurodégénératives. Les séjours doivent garantir un accompagnement médical et médico-social en fonction des besoins et proposer des formules renforcées de soutien aux aidants (répit, soutien psychologique, etc.).

Tout en constituant une rupture avec le quotidien, le séjour peut être d'autant plus bénéfique qu'il offre une certaine continuité. Selon le cahier des charges de l'expérimentation, l'enjeu est de mieux répondre aux situations individuelles des personnes et de favoriser l'accès aux loisirs et aux vacances des personnes aidées et de leurs aidants98(*).

c) Les établissements et services retenus pour mettre en oeuvre l'expérimentation

À l'issue d'un appel à candidatures national, lancé en janvier 2019 par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), la direction générale du travail (DGT) et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), en lien avec les agences régionales de santé (ARS), les conseils départementaux et les services déconcentrés de l'État, 51 candidats, pouvant représenter plusieurs établissements et services médico-sociaux, ont été sélectionnés et autorisés à mener l'expérimentation à partir du 10 mai 2019.

Parmi eux, 11 candidats dont la liste a été fixée par décret proposent des séjours répit aidant-aidé99(*).

Plus de 220 établissements et services ont ainsi été autorisés à mettre en oeuvre l'expérimentation dans 54 départements et 14 régions.

2. Une expérimentation prolongée deux fois

a) Une première prolongation de deux ans

La crise sanitaire ayant perturbé le bon déroulement de l'expérimentation, la LFSS pour 2022 l'a prolongée de deux années supplémentaires en fixant son terme au 31 décembre 2023100(*).

En outre, elle a prévu un financement des frais d'ingénierie et d'évaluation de l'expérimentation par la CNSA.

b) Une nouvelle prolongation jusqu'à fin 2024

La nouvelle stratégie « Agir pour les aidants » 2023-2027 du Gouvernement, présentée le 6 octobre 2023, prévoit notamment des mesures visant à « structurer l'offre de relayage à domicile » et à « promouvoir les vacances répit partagées ».

Dans cette attente, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024 a prolongé d'une année supplémentaire, soit jusqu'au 31 décembre 2024, la durée de l'expérimentation.

La commission des affaires sociales s'était prononcée en faveur de cette prolongation en plaidant pour l'accompagner d'un véritable bilan et d'une réflexion sur le modèle économique et juridique de ces dispositifs101(*).

3. L'évaluation des dispositifs : un bilan globalement positif

L'article 53 de la loi « Essoc » prévoit que le Gouvernement remette au Parlement, au plus tard six mois avant l'échéance de l'expérimentation, un rapport d'évaluation de ces dispositifs sur la base des contributions des établissements et services expérimentateurs, ainsi que des autorités compétentes pour les autoriser. Ce rapport n'a pas été remis au Parlement à ce jour.

La direction générale du travail (DGT) a toutefois communiqué à la rapporteure les résultats d'une évaluation réalisée en 2023 sur la base d'une combinaison d'outils de collecte complémentaires. Celle-ci permet de dresser un bilan globalement positif de l'expérimentation tout en mettant en évidence certaines difficultés liées à la mise en oeuvre opérationnelle de ces dérogations sur le terrain (cf. encadré ci-après).

Bilan de l'expérimentation de l'article 53 de la loi « Essoc »102(*)

Près de 691 prestations ont été mises en oeuvre dans le cadre de l'expérimentation : 151 prestations lors de la première phase entre mai 2019 et mars 2021, puis 540 prestations entre juin 2021 et mai 2023. Sur les 47 porteurs de la première phase d'expérimentation, 43 porteurs ont souhaité se maintenir pour la seconde phase, intervenant dans 63 départements.

Les personnes aidées sont pour la majorité d'entre elles des personnes âgées : 36 % des personnes aidées accompagnées dans le cadre du dispositif dérogatoire avaient 86 ans et plus. Dans près de 40 % des cas, la relation entre l'aidé et son proche-aidant est une relation de parent à enfant et, dans 26 % des cas, la prestation concerne une personne en situation de handicap.

Le degré d'assistance requis par la personne aidée de la part de son proche aidant est, dans plus de deux tiers des cas, une assistance permanente, y compris la nuit.

98 % des intervenants ont déclaré être « plutôt » ou « tout à fait » satisfaits à l'issue de l'expérience de prestations dérogatoires, seul 1 % a déclaré ne pas avoir été satisfait et 1 % ne s'est pas prononcé.

La satisfaction globale des professionnels s'explique par l'organisation du temps de travail permise par les prestations dérogatoires, qui leur offre une meilleure visibilité sur les plannings et permet de limiter leurs déplacements, par l'impact positif de cette organisation en termes de gratification et de reconnaissance, et par l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle permis par le dispositif.

En revanche, un état de fatigue est souligné par les intervenants à l'issue des prestations (charge mentale et psychologique, manque de sommeil, hyper-vigilance liée à la pathologie de l'aidé).

Enfin, certaines structures ont fait part de difficultés liées à la neutralisation des régimes d'équivalence. Au regard du coût pour les structures liés au paiement des heures d'inaction dans leur intégralité, certaines d'entre elles demandent que les régimes d'équivalence puissent s'appliquer dans le cadre de la pérennisation de ce dispositif103(*).

B. La proposition de pérenniser ces dispositifs

Le présent article propose de pérenniser immédiatement, en les inscrivant dans un nouvel article L. 312-23-5 du code de l'action sociale et des familles, les dérogations au code du travail permises par l'article 53 de la loi « Essoc » dans le cadre de prestations de suppléance à domicile du proche aidant d'une personne nécessitant une surveillance permanente ou dans le cadre de séjours dits de « répit aidants-aidés ».

Les dérogations prévues seraient les mêmes que celles en vigueur dans le cadre de l'expérimentation.

Les conditions d'application de cet article seraient fixées par décret.

II - La position de la commission : un dispositif à soutenir et à aménager

Le développement des solutions de relayage constitue l'un des axes de la Stratégie de mobilisation et de soutien pour les aidants 2023-2027 et la pérennisation du cadre dérogatoire dans lequel s'est déroulée l'expérimentation est actuellement à l'étude par le Gouvernement.

Considérant que l'expérimentation a fait ses preuves, tant du point de vue des binômes aidant-aidé que des professionnels, la commission est favorable à la pérennisation immédiate du dispositif. Celui-ci offre une solution de répit de longue durée qui peut permettre de soulager temporairement le proche aidant de sa charge et de préserver sa santé. Il s'avère particulièrement pertinent dans les cas où la personne aidée nécessite une assistance permanente.

S'agissant des personnes présentant un TND, le dispositif semble notamment indiqué pour les personnes pour lesquelles l'intervention d'une pluralité de professionnels serait susceptible d'aggraver les troubles.

Du point de vue des associations d'aidants, ces dispositifs restent cependant trop coûteux pour les familles. Compte tenu de leur intérêt, la rapporteure considère qu'il serait souhaitable de prévoir un financement adéquat de ces prestations.

Afin de tenir compte des retours d'expérience des intervenants et des structures, la rapporteure propose de permettre aux partenaires sociaux des branches concernées d'ajuster le dispositif afin qu'il réponde au mieux aux réalités du terrain.

À son initiative, la commission a adopté un amendement COM-12 permettant à un accord de branche de prévoir, dans le cadre de ce dispositif dérogatoire, un abaissement du plafond de jours d'intervention sur 12 mois consécutifs en-deçà de 94 jours, la fixation d'un nombre maximum de jours consécutifs d'intervention inférieur à 6 jours ou la mise en place d'un régime d'équivalence.

En outre, elle a prévu l'abrogation des articles de la loi « Essoc » du 10 août 2018 et de la LFSS pour 2022 fixant le cadre de l'expérimentation (amendement COM-13).

La commission a adopté cet article ainsi modifié.


* 94 Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance.

* 95 Décret n° 2018-1325 du 28 décembre 2018 relatif à l'expérimentation de dérogations au droit du travail dans le cadre de la mise en oeuvre de prestations de suppléance à domicile du proche aidant et de séjours de répit aidants-aidés.

* 96 Un régime d'équivalence assimile à la durée légale du travail une durée de présence supérieure. La mise en place d'un régime d'équivalence concerne les emplois comportant des périodes d'inaction.

* 97 Décret n° 2018-1325 du 28 décembre 2018 - Annexe 1.

* 98 Décret n° 2018-1325 du 28 décembre 2018 - Annexe 2.

* 99 Décret n° 2019-372 du 26 avril 2019 fixant la liste des séjours de répit aidants-aidés autorisés à mener l'expérimentation prévue à l'article 53 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance.

* 100 Loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022 - Article 55.

* 101 Cf. rapport Sénat n° 84 (2023-2024), tome II (commentaire de l'article 37), sur le projet de loi de financement pour 2024.

* 102 Évaluation réalisée sur la base de questionnaires aux intervenants, aux couples aidants-aidés, de tableaux de bord des structures expérimentatrices, de rencontres de terrain et d'entretiens avec un échantillon d'intervenants. Au total, 268 réponses aux questionnaires ont été recensées de juin 2022 à mai 2023.

* 103 Source : réponses de la direction générale du travail au questionnaire de la rapporteure.

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