EXAMEN EN COMMISSION
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Réunie le mercredi 6 décembre 2023, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de Mme Anne Souyris, rapporteure, sur la proposition de loi (n° 15, 2023-2024) visant à lutter contre la précarité de la jeunesse par l'instauration d'une allocation autonomie universelle d'études.
M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons à présent le rapport et le texte de la commission sur la proposition de loi (PPL) visant à lutter contre la précarité de la jeunesse par l'instauration d'une allocation autonomie universelle d'études. Cette proposition de loi, déposée par notre collègue Monique de Marco, dont je salue la présence à notre réunion, sera examinée en séance publique mercredi 13 décembre 2023, au sein de la niche parlementaire du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST).
Mme Anne Souyris, rapporteure. - La proposition de loi de notre collègue Monique de Marco répond à un constat partagé par l'ensemble des acteurs du monde de l'enseignement supérieur : le système de bourses sur critère social est à bout de souffle. En effet, il ne parvient plus à répondre ni au poids des inégalités sociales dans l'enseignement supérieur, ni à l'accélération de la précarisation des étudiants et des apprentis.
Notre commission a peu eu à se pencher, voire pas du tout, sur la situation des élèves du supérieur et en apprentissage, sur leur précarité spécifique et sur le système de bourses existant pour y répondre.
La question de la précarité étudiante et des apprentis a connu une forte visibilité lors des périodes de confinement. Il est apparu que, privés des possibilités d'exercer un emploi rémunéré en parallèle de leurs études, beaucoup d'étudiants ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins les plus élémentaires.
L'aide alimentaire s'est renouvelée pour répondre à ce nouveau public, en multipliant les épiceries solidaires, moins stigmatisantes, et en se rapprochant des lieux d'études.
Pourtant, les statistiques dont nous disposons semblent indiquer que la crise sanitaire, tout comme l'inflation sur les denrées alimentaires, a révélé une précarité qui existait, plus qu'elle ne l'a provoquée. Ainsi, en 2020, déjà 24 % des étudiants déclaraient rencontrer des difficultés financières importantes, contre 29 % aujourd'hui.
La rentrée 2023 a, de plus, vu la crise du logement frapper les étudiants, en s'étendant aux petites surfaces locatives de villes jusqu'alors épargnées, telles qu'Angers, Rennes ou Niort.
Mais derrière cette précarité matérielle, les professionnels de la santé que nous avons entendus insistent également sur les risques psychologiques liés à l'exclusion et à l'isolement social, ce dont témoignent la saturation du dispositif de soutien Santé Psy Étudiant dans de nombreuses universités, ainsi que la hausse inquiétante de tentatives de suicide chez les jeunes depuis la fin de la crise sanitaire de la covid-19.
Les inégalités socioéconomiques accentuent ces défis, affectant particulièrement les étudiants issus de milieux défavorisés. C'est pourquoi le système de bourses de l'enseignement supérieur accorde une aide complémentaire aux familles d'étudiants confrontés à des difficultés matérielles qui ne leur permettent pas d'entreprendre ou de poursuivre des études supérieures. Bénéficiant à plus de 780 000 étudiants par an, pour un budget de 2,6 milliards d'euros, ces bourses s'échelonnent de 1 450 à 6 300 euros annuels selon les ressources de la famille de l'étudiant. Leur gestion est confiée aux centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), qui proposent aussi une offre de restauration à tarif modéré à destination des étudiants - récemment adaptée aux zones rurales par l'initiative sénatoriale de la loi Lévy - et des places d'hébergement universitaire.
Pour autant, le système de bourses fait l'objet de critiques unanimes et croissantes, du fait de sa complexité et de son incapacité à répondre à la précarisation, notamment d'une partie des enfants de la classe moyenne. Le fonctionnement par échelon a longtemps engendré des effets de seuil, aboutissant à ce qu'une variation d'un euro du revenu annuel des parents puisse faire descendre l'étudiant d'un échelon et réduire ou faire disparaître sa bourse. Par ailleurs, les bourses font l'objet d'un fort taux de non-recours, et leur revalorisation annuelle paraît insuffisante pour couvrir les besoins les plus sommaires des étudiants.
Les syndicats étudiants entendus, y compris les plus modérés, insistent également sur la méconnaissance de l'autonomie des étudiants et sur l'absence de reconnaissance qui consiste à définir la situation sociale de l'étudiant par rapport aux revenus de ses parents jusqu'à ses 25 ans. Cela est d'autant plus étonnant que ce dernier peut être en rupture avec ses parents, ou travailler pour subvenir seul à ses besoins.
La proposition de loi que nous examinons a pour objet de répondre à cette impasse du système des bourses, en lui substituant une allocation autonomie universelle d'études.
Certes, cette solution peut sembler radicale de prime abord, mais elle est pourtant soutenue par des économistes, des présidents d'université et des intellectuels peu susceptibles de complaisance pour le grand soir. Une telle allocation fait par ailleurs l'objet, dans des termes comparables, d'un consensus transpartisan depuis des décennies dans des pays tels que le Danemark ou la Suède, qui y voient d'abord une manière de responsabiliser les étudiants et de récompenser leur assiduité.
L'article unique de la proposition de loi crée une allocation universelle au bénéfice de l'ensemble des étudiants du supérieur de 18 à 25 ans d'une part, et des élèves de la formation professionnelle d'autre part. Cette allocation est fixée au niveau du montant net du salaire minimum pour un apprenti de plus de 21 ans en dernière année d'apprentissage, soit 1 078 euros par mois en 2023.
Ce montant, qui peut paraître important, est à mettre en perspective, d'une part avec les ressources moyennes cumulées d'un étudiant en France, qui sont de 1 128 euros net par mois et, d'autre part, avec le fait qu'elle se substitue intégralement aux aides non servies par les Crous dans le droit existant. Il s'agit notamment des aides personnalisées au logement (APL) et des avantages fiscaux consentis aux foyers de rattachement des étudiants sous forme de crédit d'impôt et de demi-part fiscale.
Par ailleurs, cette allocation n'est pas dénuée de conditions. En plus d'être inscrit dans un établissement éligible à la perception d'une bourse, l'étudiant, comme l'apprenti, doit également faire preuve d'assiduité, être autonome financièrement et ne pas cumuler une situation d'emploi. Ces conditions permettent ainsi que les étudiants et les apprentis concernés se consacrent pleinement à leur réussite académique, et qu'à défaut l'allocation leur soit suspendue.
En revanche, les services du réseau des Crous, notamment la restauration universitaire et le logement, seraient maintenus pour les étudiants titulaires de l'allocation, de même que les aides spécifiques proposées par les collectivités territoriales.
Une telle aide universelle semble emporter de nombreux avantages.
D'abord, l'universalité répond à la problématique de non-recours aux droits, qui conduit trop souvent à des abandons d'études faute d'avoir la connaissance du système de bourses. De plus, les statistiques dont dispose l'administration semblent indiquer que de nombreux étudiants et apprentis sont dans une situation précaire sans pour autant être éligibles aux bourses sur critères sociaux, principalement dans la classe moyenne lorsque les études sont faites loin du foyer parental.
Un système universel permettrait également d'encourager l'émancipation des étudiants, en considérant leurs besoins indépendamment de la situation matérielle de leurs parents. Plus largement, un parallèle peut être esquissé avec d'autres âges de la vie pour lesquels la prise en charge par la collectivité ne pose plus question. Pour quelle raison la jeunesse, période de vulnérabilité accrue, est-elle renvoyée aux seules solidarités familiales ?
Reste la question du coût, non négligeable, puisque les auditions ont permis d'estimer qu'un investissement annuel de 25 milliards d'euros serait nécessaire. Cependant, compensé en partie par la demi-part fiscale et par l'arrêt d'autres prestations telles que les APL, ce coût est aussi à appréhender comme un investissement en capital humain, et doit permettre de former les travailleurs nécessaires pour relever les défis auxquels nous sommes collectivement confrontés dans les domaines de l'industrie, de la transition environnementale, de la santé, ou du numérique, par exemple.
Par ailleurs, une aide universelle ne fait pas nécessairement obstacle à des effets redistributifs, et permet même de réduire les inégalités sociales selon le mode de financement qui est retenu.
La proposition de loi est prometteuse, et nécessite certainement un débat nourri pour préciser certains éléments. Les travaux menés durant l'instruction du texte ont notamment permis de souligner l'opportunité qu'il y aurait à remplacer la condition d'âge par un quota de mois d'allocation, permettant ainsi de responsabiliser les étudiants et les apprentis et de leur donner la possibilité de construire des parcours plus proches du monde de l'entreprise, avec de nombreux stages. Le niveau de l'allocation pourrait également être discuté, et donner lieu à une modulation selon la situation de l'étudiant au regard de la cohabitation ou non avec ses parents, tant le loyer est une charge importante dans les dépenses. Par ailleurs, un tempérament pourrait être introduit concernant le non-cumul du travail salarié, afin de permettre des activités de tutorat ou des expériences professionnelles dans une limite raisonnable à définir, autour de 10 heures hebdomadaires. Enfin, une adaptation territoriale pourrait être introduite, afin de répondre à la diversité des conditions de vie suivant les localités, notamment dans les outre-mer. De telles évolutions feraient l'honneur du travail parlementaire, et permettraient d'adapter l'allocation proposée aux réalités que nous rencontrons dans nos territoires.
Pour conclure, face à l'essoufflement du système de bourses et à la précarisation des étudiants et des apprentis, ce texte prévoit de répondre par l'universalité et la confiance de la collectivité nationale en la génération qui vient. Il vise à permettre à chacun et chacune de suivre des études exigeantes, avec assiduité, et de se former pour, à son tour, contribuer à la vie de la Nation.
C'est pourquoi je demande à la commission de bien vouloir l'adopter.
Pour conclure, et bien qu'aucun amendement n'ait été déposé à ce stade, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives, d'une part, aux prestations accordées de manière universelle par la collectivité nationale aux étudiants ainsi qu'aux apprentis et aux lycéens de la voie professionnelle, et, d'autre part, aux bourses sur critères sociaux de l'enseignement supérieur. En revanche, ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé, et seraient donc considérés comme irrecevables, des amendements relatifs aux autres prestations et services accordés par le réseau des oeuvres universitaires, ou relatifs aux conditions d'attribution, aux règles de calcul et de versement des autres aides et prestations sociales.
Mme Monique de Marco. - Convaincues, avec Anne Souyris, de la nécessité de légiférer, nous avons retenu la proposition des syndicats d'étudiants d'une allocation universelle, que soutiennent également un collectif de présidents d'université ainsi que des économistes comme Philippe Aghion.
La présente proposition de loi est directement issue des travaux de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Je regrette d'ailleurs que celle-ci n'en examine pas le texte, en dépit de la demande que j'ai formulée en ce sens.
À l'occasion des travaux de la mission d'information sur les conditions de la vie étudiante que nous avons conduits en 2021 à la suite de la crise de la covid-19, nous avions constaté que les étudiants avaient été durement affectés par les conséquences des confinements, la privation d'emplois les ayant contraints financièrement. Notre rapport d'information concluait au besoin d'une refonte structurelle du système des bourses. Deux ans plus tard, cette réforme n'est toujours pas intervenue. Peut-être verra-t-elle le jour en 2025, si nous en croyons les annonces de la ministre chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Comme les précédentes, l'année 2023 est marquée par la précarité. Une étude de l'Institut français d'opinion publique (Ifop) a relevé qu'un étudiant sur deux avait déjà sauté un repas par jour, faute de moyens. C'est l'un des éléments déclencheurs de la présente proposition, avec la tribune que quatorze présidents d'université ont publiée. Ceux-ci estiment que l'allocation d'études doit s'inscrire dans un véritable projet de société et qu'il faut en débattre.
Au sein de l'Union européenne, notre pays est le seul, avec l'Espagne et Chypre, à ne pas avoir ouvert largement le bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans.
Dans notre proposition de loi, nous retenons une allocation d'un montant d'environ 1 100 euros par mois, équivalent au seuil de pauvreté, soit 67 % du Smic. Ce montant répond à la demande des syndicats d'étudiants. Adossé au Smic, il a la vertu d'être indexé sur l'inflation. Il nous semble cohérent au regard du montant de la seule dépense de logement des jeunes, qui représentait pas moins de 500 euros en moyenne par mois en 2020 selon l'Observatoire de la vie étudiante (OVE).
En 2020 toujours, le montant des ressources mensuelles des étudiants s'élevait à 910 euros.
Le taux de 67 % du Smic correspond également à la rémunération la plus haute prévue dans le droit actuel pour les apprentis âgés de moins de 25 ans, en dehors des dispositions plus favorables des conventions collectives.
Nous souhaitons que la nouvelle allocation complète, pour tous les apprentis âgés de 16 à 25 ans, les revenus versés par l'entreprise, lesquels s'avèrent très insuffisants. La grille indemnitaire des apprentis commence, je le rappelle, à 27 % du Smic, soit 430 euros mensuels environ.
La prise en charge des contrats d'apprentissage représente pour la puissance publique une dépense annuelle de 10,3 milliards d'euros, soit plus de quatre fois le total des différentes bourses. La proposition de loi vise d'ailleurs à interroger la pertinence du financement de cette politique, par rapport à un soutien direct aux jeunes apprentis.
L'allocation n'est pas cumulable avec le rattachement au foyer fiscal des parents ni avec le versement d'aides familiales, sauf dans les cas d'aides d'urgence. Elle remplace toutes les aides existantes, à l'exception des aides d'urgence versées par le Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous). Y serait fondue l'APL, dont le Sénat rappelle régulièrement les limites et dont le coût représente approximativement 1,5 milliard d'euros par an.
J'en viens à la question du financement, qui est la plus sensible et que nous ne cherchons pas à minimiser.
Le coût du dispositif apparaît le plus aisé à chiffrer, car, pour l'établir, il suffit de multiplier le nombre de mensualités par celui des étudiants. Il s'élève ainsi à environ 30 milliards d'euros par an.
La disparition de toutes les bourses, de toutes les aides sociales et de tous les dispositifs fiscaux permettrait un financement à hauteur de 5,6 milliards d'euros. Pourrait s'y ajouter la remise à plat de la politique de financement de l'apprentissage, dont j'ai indiqué qu'elle se chiffre à 10,3 milliards d'euros. S'ajoutent encore d'autres sources d'équilibre financier à ne pas négliger : par exemple, l'intégration du dispositif de la prime d'activité, celle des allocations chômage de jeunes qui reprendraient des études, celle aussi de la rémunération des étudiants des cursus médicaux. S'ajoutent enfin des retombées positives pour l'économie, un effet multiplicateur du fait du renforcement du pouvoir d'achat de cette tranche d'âge, peut-être également un effet positif sur le taux de chômage : les entreprises seront en effet contraintes de recruter pour compenser le retrait des jeunes du marché de l'emploi.
Les dépenses allouées à l'éducation comptent parmi celles que les économistes contestent le moins. Certains d'entre eux, tel Philippe Aghion, évoquent un revenu universel de formation. Ils l'associent à un investissement de l'État dans chaque jeune, dans la formation et le capital humain.
À ceux qui considèrent que le système des bourses sur critères sociaux est le plus juste, j'opposerai la progressivité du mécanisme actuel, qui ne bénéficie qu'à 37 % des étudiants. Certaines bourses se limitent à 1 450 euros pour une période de dix mois et les montants les plus élevés n'excèdent pas 6 335 euros. La faiblesse de ces montants oblige souvent les étudiants qui les perçoivent à abandonner leurs études pour travailler.
Un nombre important de jeunes issus des classes moyennes, mais pas assez pauvres pour bénéficier d'une bourse, subissent des effets de seuil.
Comme le montre le rapport d'information sénatorial de 2021, l'aide de la famille constitue en moyenne 42 % des ressources d'un étudiant, ce qui est considérable. En comparaison, l'aide publique ne contribue qu'à hauteur de 23 % au budget d'un étudiant.
Mes chers collègues, le texte que nous présentons est perfectible. Il a été pensé comme le point de départ du travail parlementaire et s'enrichirait d'une double lecture dans chaque chambre. Je suis donc très ouverte à la perspective d'amendements. C'est aussi un texte qui invite à réagir face à l'inaction du Gouvernement.
Je serais fière qu'après les travaux entrepris par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication le Sénat prenne ce sujet de la précarité de la jeunesse à bras-le-corps et adopte un texte, même minimal, en leur direction.
Pour nous, il ne s'agit pas d'un texte de posture. Depuis la période de la covid-19, notre jeunesse subit une dégradation de ses conditions de vie et de ses perspectives. Il s'agit d'insuffler à nouveau de l'espoir et de réaffirmer notre considération et notre souhait de réussite. Tel est le sens de cette proposition de loi.
En parallèle, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a été saisi par le président Larcher afin d'émettre un avis sur cette proposition de loi. Cet avis sera rendu prochainement ; nous espérons d'ici au 13 décembre, ou dans le courant du premier trimestre 2024.
M. Laurent Burgoa. - Cette proposition de loi reflète la réalité que vivent certains de nos étudiants, notamment depuis la crise liée à la covid-19. Mais, dans le contexte de l'examen du projet de finances (PLF) pour 2024, avec les contraintes légitimes imposées par notre commission des finances, le coût estimé à plusieurs dizaines de milliards m'interpelle. Ma question est donc la suivante : avez-vous travaillé en collaboration avec la commission des finances pour étudier l'impact de cette proposition de loi ?
Mme Frédérique Puissat. - Alors que nous bataillons pour quelques millions d'euros dans le PLF en cours de discussion, l'impact financier de ce texte se situerait, en fonction du périmètre et du montant de l'allocation, entre 6,5 et 34 milliards d'euros.
Par ailleurs, notre société est structurée par un code de la famille. Celui-ci précise que chacun des parents contribue à l'entretien et l'éducation des enfants, et y consacre des finances à proportion de ses ressources. Toutefois, certaines situations individuelles doivent être prises en compte, et un travail doit également être mené concernant le non-recours aux droits.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains émet un avis défavorable sur ce texte.
Mme Marion Canalès. - Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est favorable à ce texte. On connaît le vieil adage : « si jeunesse savait, si vieillesse pouvait » ; dans la situation actuelle, il conviendrait plutôt d'en inverser les termes : si jeunesse pouvait, si vieillesse savait. En effet, dans une société qui bascule massivement dans le grand âge, il s'agit de prendre au sérieux le temps de la jeunesse. Notre approche paternaliste en direction de la jeunesse, qui consiste à proposer des aides indirectes aux familles en passant par l'octroi de demi-parts ou de crédits d'impôt, doit être remise à plat.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain avait déjà défendu une proposition pour un RSA à destination des jeunes. De la petite enfance à la dépendance en passant par les étudiants, tous les publics fragiles sont aujourd'hui à considérer ; il ne viendrait ainsi à l'idée de personne d'affirmer que les personnes âgées doivent se contenter des solidarités familiales. Nos jeunes ont besoin d'une véritable autonomie, afin de ne pas dépendre d'un rattachement au foyer fiscal de leurs parents.
Le triptyque des ressources, déjà
énoncé par mes collègues, est bien connu : famille,
emploi, aides publiques. L'emploi, au même titre que le logement, est un
fort vecteur de reproduction des inégalités. Au sein des Crous,
seulement 7 % des besoins en matière de logement social sont
satisfaits. La Première ministre a indiqué qu'elle soutiendrait
la construction de 35 000 logements étudiants, sachant que la
promesse de 2018
- construction de 60 000 logements -
n'a pu être honorée. Quand ces logements n'existent pas, les
étudiants se reportent vers le logement privé, et l'objectif des
aides ne consiste pas à alimenter des bailleurs privés, qui,
par ailleurs, proposent parfois des logements à la salubrité
douteuse.
Un autre point concerne la précarité alimentaire. De nombreuses épiceries solidaires étudiantes se sont créées ; nous avons réussi, dans le cadre de nos échanges sur le PLF pour 2024, à abonder le programme permettant d'aider ces épiceries. Toutes ces dépenses s'adressent à des publics qui ne seraient pas contraints de se diriger vers les épiceries solidaires s'ils bénéficiaient d'une allocation leur permettant d'aller chez le commerçant de leur quartier. Aujourd'hui, l'accompagnement de la jeunesse s'éparpille dans diverses mesures.
Le sujet des étudiants ultramarins est également à considérer. Des propositions vont dans le sens d'une augmentation des bourses pour ces étudiants ayant des difficultés particulières.
À cela s'ajoute le sujet de la précarité menstruelle. Le Gouvernement a accepté un remboursement par la sécurité sociale pour les moins de 25 ans. Le montant de cet engagement s'élève entre 30 et 50 millions d'euros ; dans l'hypothèse où une allocation serait versée, ces sommes ne seraient plus consommées. Pour rappel, le coût de la précarité menstruelle s'élève pour ces jeunes femmes à 350 euros par an.
La contribution de vie étudiante et de campus (CEVC) de 100 euros, due chaque année aux étudiants, pourrait servir à abonder cette allocation. À cela s'ajoutent tous les coûts indirects pour la collectivité. Ainsi, entre 32 et 60 % des étudiants, selon les études et les syndicats auditionnés, renonceraient aujourd'hui à des soins, faute de pouvoir cotiser à des mutuelles ; un tel renoncement a un coût pour notre système de santé. Cette allocation, en favorisant l'autonomie des jeunes, occasionnerait de moindres dépenses, à terme, pour le budget de l'État.
Mme Florence Lassarade. - Cette proposition de loi met en lumière la détresse des étudiants, dont on sait que certains dorment dans des voitures. Je ne voterai pas ce texte, mais nous devons nous préoccuper, en premier lieu, du logement étudiant ; c'est sur cette question qu'il convient d'agir en priorité.
Mme Brigitte Devésa. - Personne ne peut douter de la précarité étudiante. Mais le coût estimé à 35 milliards d'euros, dans le contexte actuel, me paraît tout à fait excessif. Il aurait fallu réfléchir à d'autres solutions, comme, par exemple, la question des revenus. Beaucoup de choses sont à revoir, nous avons notamment évoqué le code de la famille et la question du logement. En l'état, le groupe Union Centriste n'est pas favorable à cette proposition de loi.
Mme Céline Brulin. - De notre côté, nous sommes favorables à cette proposition de loi pour toutes les raisons de précarité évoquées, et parce que les étudiants doivent gagner en autonomie. Une Nation doit investir dans sa jeunesse. Les remarques du groupe parlementaire majoritaire se concentrent sur la question du coût ; personne ne néglige ce point, l'auteure de la proposition de loi et la rapporteure ont précisé que le travail devait se poursuivre et qu'elles étaient ouvertes à des aménagements.
Je ne souhaite pas comparer cette dépense avec d'autres qui, à mes yeux, me semblent moins prioritaires. Nous connaissons tous les éléments budgétaires, mais cette proposition de loi mérite réflexion.
Les familles doivent soutenir leurs enfants dans la mesure de leurs ressources ou de leurs moyens, et elles le font du mieux possible. Sachant que moins de 10 % d'enfants d'ouvriers prolongent leurs études à l'université, on voit bien que de nombres familles, même le voulant, ne peuvent pas. Il ne s'agit donc pas d'un problème individuel, mais social, sur lequel nous devons nous pencher.
Ce qui est valable aujourd'hui pour les enfants d'ouvriers risque de l'être bientôt pour les enfants des classes moyennes. Ainsi, pour un couple de professeurs, il est aujourd'hui compliqué d'envoyer ses enfants à l'université, pour peu que celle-ci se trouve dans une autre région.
La question du logement est également primordiale, avec une inflation des loyers, qui pénalise en particulier les étudiants.
Mme Corinne Bourcier. - Nous pouvons comprendre les difficultés de certains étudiants, notamment sur la question du logement. Pour autant, le groupe Les Indépendants - République et Territoires sera défavorable à cette proposition de loi. Il est du devoir des parents de prendre en charge l'éducation de leurs enfants ; il s'agit d'une responsabilité familiale. Par ailleurs, le coût d'une telle mesure est trop élevé. D'autres solutions sont envisageables, avec des aides disponibles par le biais des Crous, des départements ou des centres communaux d'action sociale (CCAS).
Mme Monique Lubin. - Au-delà des étudiants, nous devons nous interroger sur la situation des jeunes dans leur ensemble. Ainsi avions-nous proposé la création d'un revenu minimum pour les jeunes. Cette responsabilité des parents avait déjà été votre leitmotiv à l'occasion des débats sur le revenu minimum. J'en déduis que, si vous êtes bien né, tout va bien, et si vous n'avez pas la chance de grandir dans un foyer avec des moyens, tant pis pour vous (Exclamations)... Inutile de vous exclamer, j'aurais pu en faire autant lorsque vous parliez de responsabilité familiale...
Mme Frédérique Puissat. - C'est le code de la famille !
Mme Monique Lubin. - Les codes sont faits pour évoluer. Il est trop facile de s'en remettre à la responsabilité des familles et de déplorer un coût trop élevé. La question des étudiants, mais aussi de la jeunesse et du grand âge, nécessite des investissements ; et l'on doit, en parallèle, s'interroger sur la manière de disposer de plus de recettes.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Sur un tel sujet, il convient de se garder des caricatures et des positions de principe. Nous sommes tous sensibles à l'idée que la précarité des étudiants s'aggrave. Il s'agit de trouver des solutions afin d'éviter le renoncement aux soins, les difficultés d'accès au logement et l'abandon des études.
Je m'interroge sur cette proposition de loi à trois titres. Se posent la question de la soutenabilité financière ; puis celle de la responsabilité parentale, essentielle pour l'éducation des enfants et remise en cause dans cette proposition de loi ; et enfin, au-delà du symbole, de manière presque ontologique, celle du message que nous adresserions à nos jeunes en leur disant que nous sommes prêts à les payer pour étudier. Une forme de responsabilité consiste à rappeler que l'on n'a pas à être payé pour étudier, se former et apprendre un métier.
Enfin, cette idée d'une allocation universelle forfaitaire, identique pour tout le monde, me semble peu pertinente. Sans doute faudrait-il que cette allocation, annoncée à 1 078 euros par étudiant, puisse varier en fonction de la spécificité des études et de la zone géographique.
Mme Laurence Rossignol. - Cette proposition de loi ouvre le débat sur l'allocation d'études. Le sujet n'est pas nouveau ; porté depuis quarante ans par les organisations étudiantes, il a rarement été débattu au Parlement.
Je m'étonne des réactions hostiles de nos collègues. Rappelons d'abord que le code de la famille n'existe pas ; seuls existent le code civil et le code de l'action sociale et des familles. Vous évoquez le code civil, qui précise notamment l'obligation alimentaire des parents à l'égard de leurs enfants ; cette obligation est due au-delà de la majorité de l'enfant, tant que celui-ci ne peut subvenir à ses propres besoins. Mais cette obligation dépend du niveau de ressources des parents.
Aujourd'hui, quels parents ont la capacité d'assumer le coût des études universitaires de leurs enfants ? Les universités se trouvent, le plus souvent, dans des villes et des métropoles, où la tension du logement est plus importante. À la lecture de récents rapports d'ONG travaillant sur la pauvreté, on constate que les étudiants, y compris ceux appartenant aux classes moyennes, sont de plus en plus nombreux à ne pas pouvoir se loger, et constituent également une part importante des bénéficiaires des Restos du coeur. Arrêtons de penser que tous les parents peuvent subvenir aux besoins de leurs enfants pendant leurs études.
Par ailleurs, j'entends régulièrement dans cette assemblée des injonctions appelant les gens, notamment ceux qui bénéficient du RSA, à travailler. Or, une telle logique limite les petits boulots étudiants, qui sont de moins en moins nombreux.
Par ailleurs, les bourses sont accessibles à des niveaux de revenus familiaux très faibles, et le niveau lui-même des bourses est très faible. Cette proposition de loi concerne principalement les classes moyennes. Or, qui s'oppose à cette proposition de loi aujourd'hui ? Ceux qui prétendent en permanence les défendre.
Je n'ai pas compris si votre hostilité concerne la remise en cause de la responsabilité parentale ou le coût de la mesure. Si les deux sujets vous hérissent, nous rappellerons le nombre de fois où nous avons proposé d'abonder le budget de l'État, en réduisant les exonérations dont bénéficient les entreprises, en suggérant de créer de nouveaux impôts, notamment sur la fortune, que vous avez refusés. Votre approche des questions d'équilibre budgétaire est non seulement à géométrie variable, mais résolument morale ; le fait que vous invoquiez un code de la famille qui n'existe pas en est la preuve.
M. Philippe Mouiller, président. - Quelle est votre question, madame Rossignol ?
Mme Laurence Rossignol. - Nous ne sommes pas là uniquement pour poser des questions, mais aussi pour donner les avis de nos groupes, Monsieur le président...
M. Philippe Mouiller, président. - Dans cette optique, je souhaitais simplement connaître votre sentiment.
Mme Laurence Rossignol. - Je soutiens l'adoption de la proposition de loi par la commission.
Mme Anne-Sophie Romagny. - La précarité étudiante ne peut pas être négligée, de même que la soutenabilité financière d'une telle proposition. Je pose une question simple : où trouve-t-on ces 30 milliards d'euros ?
Par ailleurs, on évoque souvent les difficultés des étudiants dans leur recherche d'emploi, mais les employeurs se plaignent également de ne pas trouver d'étudiants.
Plutôt que de réaliser un chèque en blanc, je serais davantage favorable à des aides ciblées, concernant le logement, l'alimentation, l'accès aux soins. J'attire également votre attention sur la capacité des étudiants à savoir gérer un budget ; en mission locale, on rencontre beaucoup de jeunes qui n'en sont pas capables.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je prolonge la question de ma collègue : comment va-t-on faire pour trouver les 100 milliards d'euros de baisse d'impôts de production, soit trois fois plus que le coût estimé de cette proposition de loi ?
Les familles participent à hauteur de 42 % aux dépenses des étudiants. Par ailleurs, le quotient familial bénéficie aux familles plus aisées, via des baisses d'impôts ; je m'étonne que l'on accepte ce mécanisme anti-redistributif - peut-être est-ce votre attachement au quotient familial qui conditionne votre opposition à cette proposition de loi.
Mme Anne Souyris, rapporteure. - J'ai entendu beaucoup de critiques, mais peu de pistes de réflexion ou de propositions d'amendements.
Concernant la question du coût, nous n'avons pas travaillé en concertation avec la commission des finances. Quand des jeunes ne peuvent pas faire d'études ou ne peuvent pas les choisir, cela représente un coût social et économique pour la Nation. Ce type d'allocation, en permettant aux étudiants en échec de bifurquer et de se réorienter, offre des opportunités de croissance à notre pays.
La solidarité familiale est naturellement essentielle, mais elle ne suffit pas ; si c'était le cas, nous n'aurions d'ailleurs pas besoin de bourses ni de logements étudiants. Je rappelle qu'il n'existe que 75 000 logements sociaux pour 3 millions d'étudiants.
Concernant le coût sanitaire, de plus en plus d'étudiants connaissent des difficultés psychologiques, voire psychiatriques. À Paris, le nombre de tentatives de suicide a augmenté de 40 %. La précarité étudiante n'explique pas tout, mais constitue un élément déterminant. Une allocation universelle permettrait de rompre l'isolement des étudiants, et les aiderait à se loger et à manger à leur faim. Elle aurait également le mérite de leur offrir une autonomie et leur apprendrait à gérer un budget et faire des choix ; d'où l'évolution suggérée de prévoir un nombre de mensualités plutôt que d'années, qui pousserait les étudiants à s'interroger sur leur manière de dépenser ce capital.
En outre, je rappelle que certains étudiants, en France, sont payés pour faire leurs études : les polytechniciens, les normaliens, autrefois les instituteurs. Cela existe déjà, et je ne crois pas que ces étudiants travaillent moins ou moins bien.
Nous avons évoqué le sujet des variations de l'allocation en fonction de certaines spécificités, notamment géographiques, avec des villes où la situation du logement est beaucoup plus tendue. Il doit être possible, en recourant à des décrets, d'adapter cette allocation en fonction des tarifs locaux. De même, au Danemark, quand un étudiant vit chez ses parents, son allocation est moindre de 400 euros ; et quand il quitte la cohabitation, il bénéficie de ces 400 euros supplémentaires.
Le coût global de cette proposition de loi semble important, mais cela répond à une situation d'urgence qui, à ce jour, n'est pas prise en compte. Pour rappel, 3 millions d'étudiants sont concernés. Les auditions ont mis en lumière un état de précarité inédit, avec un nombre croissant d'étudiants qui ne mangent pas à leur faim et se nourrissent au Secours populaire. Cette situation est scandaleuse pour un pays comme le nôtre, qui se veut une grande Nation et une démocratie attachée à l'éducation.
Des changements sont nécessaires. Au-delà de cette proposition de loi, nous devons prendre en considération d'autres coûts qui, à terme, vont grever notre budget. Je vous invite donc à réfléchir au dépôt d'amendements en vue de la séance publique.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.