EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article
unique
Création d'une allocation autonomie universelle
d'études
Cet article propose de créer une allocation autonomie universelle d'études au bénéfice de l'ensemble des étudiants du supérieur et des élèves de la formation professionnelle du second degré, versée par la collectivité nationale, sous conditions d'autonomie financière et d'assiduité.
La commission n'a pas adopté cet article.
I - L'instauration d'une allocation autonomie universelle d'études pour les étudiants et les apprentis par la refonte de l'ensemble des dispositifs existants pour faire face à la précarité de la jeunesse
A. Un système de bourses « à bout de souffle »
1. Le système de bourses sur critères sociaux hérité de la IIIe République désormais peu satisfaisant
Créées sous la IIIe République1(*), les bourses d'enseignement supérieur ont fait l'objet de propositions alternatives, notamment sous la forme d'une allocation d'études proposée à l'initiative du chrétien-démocrate Raymond Cayol, qui défendit la mesure au nom « de la valeur personnelle de l'étudiant, de sa qualité présente [et] du travail qu'il poursuit ».
Les bourses d'enseignement supérieur sont accordées, complémentairement à l'aide des familles, aux étudiants confrontés à des difficultés matérielles ne leur permettant pas d'entreprendre ou de poursuivre des études supérieures. L'article L. 821-1 du code de l'éduction précise ainsi que, « la collectivité nationale accorde aux étudiants, dans les conditions déterminées par voie réglementaire, des prestations qui sont dispensées notamment par le réseau des oeuvres universitaires (...). Elle privilégie l'aide servie à l'étudiant sous condition de ressources afin de réduire les inégalités sociales. »
Les bourses d'enseignement sur critères sociaux sont donc majoritaires et voient leur gestion confiée depuis 1955 au réseau pour les oeuvres sociales universitaire2(*), tandis que leur versement est effectué par les Crous. Elles ne sont cependant pas exclusives d'autres aides, telles que les bourses au mérite ou aux mobilités internationales. Cumulées, ces aides représentent 2,61 milliards d'euros de budget en 2024, au bénéfice de plus de 780 000 étudiants.
Évolution du nombre de
bénéficiaires de bourses sur critères sociaux
entre
2016 et 2022
2016-2017 |
2017-2018 |
2018-2019 |
2019-2020 |
2020-2021 |
2021-2022 |
|
Nombre de boursiers sur critères sociaux |
691 215 |
696 983 |
712 166 |
717 955 |
749 562 |
720 043 |
Part de boursiers |
37,7 % |
37,4 % |
37,5 % |
37,7 % |
38,4 % |
37,7 % |
Source : Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, sous-direction des systèmes d'information et des études statistiques (Sies)
L'éligibilité aux seules bourses sur critères sociaux est conditionnée par différents critères :
- la condition d'études : il faut être inscrit en formation initiale en France ou dans un pays de l'Union européenne, dans un établissement d'enseignement public ou privé habilité à recevoir des boursiers ;
- la condition d'âge : il faut avoir moins de 28 ans lors de la première demande de bourse ;
- la condition de ressources : l'administration considère le revenu brut global de la famille ou du tuteur légal de l'étudiant en année N-2.
Le montant annuel de la bourse, versé en 10 mensualités dans l'année, varie entre 1 454 et 6 335 euros selon l'échelon de l'étudiant. Ces échelons, qui varient entre 0 bis et 7, correspondent à des fourchettes de ressources du foyer de rattachement de l'étudiant. Afin de prendre en compte la situation du foyer, ces paliers sont eux-mêmes modulés par rapport aux « points de charge » définis par l'administration :
- selon la composition du foyer : 2 points par enfant autre que le boursier à charge fiscale et 4 points dans le cas où cet enfant étudie dans l'enseignement supérieur ;
- selon la distance entre le lieu d'étude et l'habitation : 1 point entre 30 et 249 km et 2 points au-delà ;
- selon des conditions particulières : situation de handicap, études en territoire ultra-marin, etc.
Montant 2023-2024 de la bourse sur critères sociaux selon l'échelon
Échelon |
Montant annuel |
Plafond de ressources correspondant |
0 bis |
1 454 € |
42 877 € |
1 |
2 163 € |
29 150 € |
2 |
3 071 € |
23 564 € |
3 |
3 828 € |
20 818 € |
4 |
4 587 € |
18 126 € |
5 |
5 212 € |
15 476 € |
6 |
5 506 € |
9 773 € |
7 |
6 335 € |
795 € |
Majoration pour les étudiants outre-mer |
+ 300 € |
Note de lecture : Un étudiant dont le foyer totalise trois points de charge, soit par exemple parce que ce foyer accueille un autre enfant scolarisé dans le secondaire et est situé de 30 à 249 km de l'établissement d'études supérieures, et dont le revenu fiscal de référence des parents est entre 29 150 € et 42 877 €, bénéficie d'une bourse annuelle de 1 454 € s'il étudie en métropole ou de 1 754 € s'il étudie en outre-mer.
Source : Arrêté du 13 avril 2023 fixant les plafonds de ressources relatifs aux bourses d'enseignement supérieur du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour l'année universitaire 2023-2024.
• Le système des bourses de l'enseignement sur critères sociaux fait l'objet de nombreuses critiques3(*), notamment du fait de sa complexité et de son incapacité à répondre à la précarité étudiante et à réduire les inégalités sociales dans la réussite académique.
La ventilation des montants des bourses par échelon engendre des effets de seuil problématiques. En effet, une variation à l'euro près dans le revenu annuel des parents peut faire descendre d'un échelon et réduire considérablement la bourse versée. Cet effet est d'autant plus fort concernant les échelons les moins précaires, à commencer par le 0 bis. Aussi ces effets de seuil sont-ils particulièrement défavorables aux classes moyennes.
Répartition du nombre de boursiers sur critères sociaux par échelon pour l'année universitaire 2021-2022
Échelon |
Nombre de boursiers |
Part de cet échelon |
0 bis |
229 564 |
31,9 % |
1 |
100 163 |
13,9 % |
2 |
51 830 |
7,2 % |
3 |
52 692 |
7,3 % |
4 |
51 801 |
7,2 % |
5 |
93 688 |
13,0 % |
6 |
82 303 |
11,4 % |
7 |
58 002 |
8,1 % |
Source : Cnous
Par ailleurs, des différences d'appréciation dans les modalités d'attribution des bourses subsistent entre les études qui relèvent respectivement du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, du ministère de la culture et du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
De plus, le système de bourses sur critères sociaux peine à répondre à la problématique des précarités étudiantes. D'une part du fait du non-recours et des modalités de fixation des bourses, qui aboutissent à ce que des étudiants précaires ne bénéficient pas de ces bourses ; d'autre part du fait du montant des bourses qui semble insuffisant pour couvrir les besoins des étudiants, a fortiori dans un contexte d'inflation durable.
Enfin, les bourses sur critères sociaux font l'objet d'une critique historique de la part des syndicats étudiants depuis la charte de Grenoble, en raison du maintien d'un principe de complémentarité à l'aide familiale et de l'absence de statut étudiant. La prise en compte des revenus du foyer des parents pour déterminer la situation sociale de l'étudiant est en effet vue comme méconnaissant le principe d'autonomie des personnes, et comme pouvant conduire à des formes de violences financières au sein de la famille.
La charte de Grenoble du 24 avril 1946 : acte fondateur du syndicalisme étudiant et premier appel à la mise en place d'un « salaire étudiant »
Article 1er
L'étudiant est un jeune travailleur intellectuel.
Article 2
En tant que jeune, l'étudiant a droit à une prévoyance sociale particulière dans les domaines physique, intellectuel et moral.
(...)
Article 4
En tant que travailleur, l'étudiant a droit au travail et au repos dans les meilleures conditions et dans l'indépendance matérielle, tant personnelle que sociale, garanties par le libre exercice des droits syndicaux.
Afin de répondre, en partie, à ces critiques, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a mis en place une concertation avec les organisations représentatives étudiantes visant à réformer le système de bourses sur critères sociaux en deux temps.
Ainsi, à la rentrée 2023, les moyens consacrés à ces dispositifs ont augmenté de 500 millions d'euros, notamment afin :
- d'augmenter le nombre de boursiers issus des classes moyennes via une hausse de 6 % des plafonds de ressources de l'ensemble des échelons ;
- de revaloriser l'ensemble des bourses de 370 euros par an afin de répondre à l'inflation ;
- de neutraliser les effets de seuil pour la rentrée 2023 en plafonnant la diminution du montant de la bourse d'un étudiant à l'augmentation de revenus de ses parents. Cette neutralisation exceptionnelle devrait être pérennisée lors de la deuxième phase de la réforme attendue pour 2025.
2. Des moyens insuffisants pour permettre au réseau du centre national des oeuvres universitaires sociales (Cnous) de faire face à la précarité étudiante grandissant
Créé en 19554(*), le réseau constitué par le Cnous et les Crous se voit confier la mission de « contribue[r] à assurer aux étudiants une qualité d'accueil et de vie propice à la réussite de leur parcours de formation », d' « assure[r] une mission d'aide sociale et de lutte contre le harcèlement dans le cadre universitaire » et de concourir à « l'information et à l'éducation des étudiants en matière de santé. »5(*).
Les Crous sont des opérateurs de l'État en matière de vie étudiante. Aussi font-ils participer les représentants des étudiants6(*) à leur gouvernance. Afin d'assurer ses missions, le réseau Cnous/Crous dispose d'un financement de 673,9 millions d'euros pour 2024.
Outre l'instruction et la gestion des demandes de bourses sur critères sociaux de l'enseignement supérieur, de la culture et de l'agriculture, les Crous assurent également :
- la gestion d'aides directes spécifiques pour les étudiants rencontrant des difficultés financières : après entretien avec un travailleur social et examen par une commission du Crous, une aide spécifique ponctuelle peut être attribuée deux fois par an, d'un montant de 3 071 euros en 2023-2024, ainsi qu'une aide spécifique annuelle correspondant à un échelon compris entre le 0 bis et le 7è ;
- la gestion d'aides indirectes relatives au logement et à la restauration : le réseau des Crous dispose ainsi d'un parc de plus de 175 000 logements étudiants à moindre coût. Il est également chargé d'organiser un service public de restauration universitaire à tarif modéré à proximité des lieux d'études7(*), qui permet de proposer 35 millions de repas complets par an aux étudiants.
L'accès des étudiants à une
offre alimentaire à tarif modéré :
le repas
à 1 € et la loi Lévy
Face à l'inflation soutenue et durable qui touche particulièrement les denrées alimentaires - elle devrait être de 13 % sur l'année en 2023 -, différentes mesures ont été prises afin de permettre d'assurer l'accès des étudiants à l'alimentation :
- la mise en place du repas à 1 € dans les restaurants universitaires gérés par les Crous : ce tarif social au bénéfice de l'ensemble des étudiants boursiers sur critères sociaux, et pour certains étudiants non boursiers en situation de précarité, a été mis en place en 2020 et prolongé depuis. Les autres étudiants bénéficient d'un tarif social dont le montant est gelé à 3,30 € ;
- la loi dite Lévy, du 13 avril 2023 visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré : afin de remédier aux inégalités d'accès au service public de la restauration universitaire, cette initiative sénatoriale a permis de créer, sur le modèle du titre-restaurant proposé aux salariés par les entreprises, un titre-restaurant au bénéfice de tous les étudiants qui n'ont pas accès à une structure de restauration universitaire, notamment dans la ruralité.
Enfin l'offre de logement et de restauration du réseau des oeuvres sociales n'est pas exclusive d'actions plus ponctuelles ou spécifiques, concernant la santé notamment (sensibilisation à l'accès au droit à la C2S), ou au contraire transversales, avec par exemple, les référents à la rupture de l'isolement en cité-universitaire.
3. Conséquences : une grande précarité étudiante et des effets préoccupants concernant la poursuite d'études et la réussite académique
La crise sanitaire a donné une visibilité médiatique à la précarité des étudiants, puisque ne pouvant pas exercer un emploi rémunéré en parallèle de leurs études, certains ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins et ont dû recourir à l'aide alimentaire. Le rapport du Sénat au sujet des conditions de la vie étudiante en France a souligné qu'une précarité spécifique des étudiants existait : en 2020 déjà 24 % des étudiants déclaraient rencontrer des difficultés financières importantes, contre 29 % aujourd'hui8(*). Elle a été renforcée par l'inflation durable sur les denrées alimentaires, et plus récemment par la crise du logement qui s'est désormais étendue aux locations de petites surfaces de villes jusqu'alors épargnées (Angers, Rennes, etc.).
Frappés par cette précarisation, les étudiants concernés souffrent souvent d'isolement et d'exclusion sociale, ce qui se traduit par une augmentation des risques psychosociaux (RPS) que ne parvient pas à absorber le dispositif « Santé psy étudiant » : 31 % des étudiants seraient concernés par les RPS9(*). Le même constat est fait par les services de santé des universités s'agissant de leur état de santé.
Cette situation augmente mécaniquement les échecs académiques, les refus de continuer des études ainsi que les abandons, ce qui constitue un gâchis humain et financier pour la collectivité. En effet, les travaux du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche10(*) établissent que, huit ans après le baccalauréat, les bacheliers précaires, quand ils ont poursuivi des études supérieures, ont obtenu, en moyenne, un niveau de diplôme moins élevé que les autres étudiants.
B. Une politique de soutien à l'apprentissage et aux lycéens professionnels non efficiente, conduisant à une précarisation
La Loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel est venue réformer le système de l'apprentissage, en confirmant son orientation vers une politique de soutien aux entreprises et des centres de formation d'apprentis (CFA), plutôt qu'aux apprentis eux-mêmes.
Le financement de l'apprentissage aux CFA est désormais effectué par les opérateurs de compétences (Opco), en fonction du nombre d'inscrits, selon un niveau de prise en charge déterminé par les branches professionnelles et adapté à la nature du diplôme préparé. L'opérateur France compétences émet par ailleurs des recommandations visant à faire converger ces niveaux de prise en charge.
Par ailleurs, les représentants de l'apprentissage soulignent des pratiques préjudiciables aux apprentis, de nature à renforcer leur précarité.
La grille de rémunération des apprentis est insuffisante pour répondre aux besoins de ces derniers, alors même que le contrat d'apprentissage entraîne la perte du bénéfice de la bourse sur critère sociaux. Pour rappel, un apprenti de 18 ans dans sa première année d'alternance gagne 27 % du salaire minimum de croissance, soit 430 euros par mois en 2023.
Rémunération minimale des apprentis selon l'âge et le niveau d'études en 2023
Situation |
1ère année d'études |
2ème année d'études |
3ème année d'études |
16 à 17 ans |
27 % du Smic ( 471 €) |
39 % du Smic ( 681 €) |
55 % du Smic ( 960 €) |
18 à 20 ans |
43 % du Smic ( 751 €) |
51 % du Smic ( 891 €) |
67 % du Smic ( 1 170 €) |
21 à 25 ans |
53 % du Smic ( 926 €) |
61 % du Smic ( 1 065 €) |
78 % du Smic ( 1 362 €) |
Source : Cnous
Aussi, une forte précarité est observée chez les jeunes apprentis, et appelle à un accompagnement social plus grand pour les jeunes, ou a minima, l'extension du bénéfice des allocations disponibles pour les autres étudiants.
Le même constat peut être fait concernant les lycéens de la voie professionnelle. Ces lycées font l'objet d'une réforme annoncée par le Président de la République en mai 202311(*), qui prévoit la mise en place d'une indemnisation des périodes de formation en milieu professionnel (PFMP).
Créée par décret, cette allocation de stage est mise en place à partir de la rentrée 2023-2024, et sera versée à partir de janvier 2024 sur condition d'assiduité.
Montant de l'allocation de stage selon le niveau de la formation suivie par l'élève en 202412(*)
Filières |
Niveau de formation |
Gratification annuelle maximale |
CAP |
1ère année |
300 à 350 € |
2ème année |
400 à 525 € |
|
Baccalauréat professionnel |
Seconde |
200 à 300 € |
Première |
450 à 600 € |
|
Terminale |
800 € |
|
Brevet des métiers d'art (BMA) |
1ère année |
600 € |
2ème année |
800 € |
|
Formation complémentaire d'initiative locale |
Post niveau 3 |
1 350 € |
Post niveau 4 |
1 800 € |
|
Mention complémentaire |
Niveau 3 |
1 350 € |
Niveau 4 |
1 800 € |
C. À défaut de prendre en compte la situation des jeunes actifs, certains pays ont fait le choix d'un modèle universel offrant un capital de droit à chaque étudiant
1. Le Statens Uddannelsesstøtte danois : une aide d'État universelle pour les étudiants
Le Danemark entretient une longue tradition de fonds pour étudiants13(*), mais c'est en 1970 que le Statens Uddannelsesstøtte (aide éducative d'État, ou SU) voit le jour dans sa forme contemporaine : une aide particulière à destination des étudiants nationaux.
La bourse du SU, ouverte à tout étudiant danois, fonctionne selon un système de tickets qui correspondent chacun à un droit mensuel à percevoir la bourse. Chaque étudiant se voit ainsi accorder une carte de tickets (Klippekort) correspondant à la durée de ses études, à laquelle s'ajoutent 12 mois et qui ne peut en principe dépasser 70 mois.
Les conditions d'éligibilité liées au SU sont les suivantes :
- posséder la citoyenneté danoise ou être assimilé à un citoyen danois ;
- ne recevoir aucune autre aide publique pour faire face au coût de la vie ;
- ne pas disposer de ressources annuelles au moins égales à la somme des douze montants mensuels du SU.
Le montant du SU est principalement fonction du lieu de résidence de l'étudiant et du fait qu'il vive chez ses parents ou pas. Ainsi un étudiant vivant de façon autonome touchait un SU de 6 321 DKK (850 euros) par mois avant impôt en 2021, contre 3 143 DKK (422 euros) pour un étudiant vivant chez ses parents. Par ailleurs, une décote existe pour les étudiants vivant chez leurs parents selon les revenus de ces derniers.
Le SU ne constitue pour autant qu'un élément du système universitaire danois, et trouve sa cohérence par rapport à l'ensemble de ses caractéristiques. En plus de ne compter que 259 456 étudiants en 2020, le Danemark opère une sélection poussée à l'entrée à l'université, et conditionne le SU à la réussite des examens, avec un échec autorisé sur l'ensemble de la scolarité. De plus, aucun service de restauration ou de logement universitaires comparable au Crous n'y existe.
2. Les faiblesses du RSA jeunes actifs
En France, les jeunes de 18-25 ans ont été d'abord exclus du RSA, avant la création du RSA jeunes actifs, par peur d'un risque de « trappe à pauvreté ».
Entré en vigueur le 1er juin 2009 en métropole, le RSA est en effet ouvert à toutes les personnes âgées de plus de 25 ans n'ayant pas atteint l'âge légal de la retraite. Le RSA donne lieu à la signature d'un contrat d'engagement avec le département, qui précise les actions d'insertion sociale et professionnelle auxquelles s'engage le bénéficiaire. Le RSA, anciennement appelé « RSA socle »14(*), est établi à 607,15 euros par mois pour un célibataire sans enfant, et bénéficie à 1,84 million d'allocataires pour un financement de plus de 15 milliards d'euros, à la charge des départements.
Les étudiants sont doublement exclus du bénéfice du RSA, d'abord du fait de la condition d'âge qui touche par construction une grande partie d'entre eux, mais également du fait de l'exclusion des élèves, étudiants et stagiaires au titre de l'article L. 262-4 du code de l'action sociale et des familles.
Il existe cependant des exceptions à cette exclusion :
- pour les étudiants qui seraient en outre parents isolés et peuvent à ce titre bénéficier d'une majoration du montant de l'allocation RSA15(*) ;
- sur dérogation expresse du président du conseil départemental, pour les étudiants de plus de 25 ans qui reprennent des études afin de prétendre à un métier qualifié16(*).
- pour les étudiants de moins de 25 ans qui peuvent bénéficier du RSA jeune actif17(*), c'est-à-dire qui remplissent la condition d'avoir travaillé au moins 2 ans à temps complet18(*) au cours des 3 dernières années avant la demande de RSA.
Ainsi, en 2021, les travaux de la commission des affaires sociales du Sénat19(*) estimaient que 91 000 allocataires du RSA étaient âgés de moins de 25 ans sur un total de 1 903 800 à fin 2018, parmi lesquels il faudrait encore retrancher les allocataires non étudiants pour arriver au nombre d'étudiants de moins de 25 ans bénéficiaires du RSA.
3. La France isolée en Europe : seuls trois États membres de l'UE
En Europe, seuls trois autres États membres ont choisi à l'instar de la France d'exclure les jeunes de l'accès à l'équivalent national du minimum social que constitue le RSA : l'Espagne (à 23 ans), Chypre (à 28 ans) et le Luxembourg (à 25 ans). Parmi les pays qui ne comportent pas de limite d'âge, trois ont en revanche introduit une minoration du revenu minimum à destination des jeunes afin de répondre à la crainte de désincitation au travail ou aux études.
Suivant ces exemples, le rapport de 2016 au Premier ministre de Christophe Sirugue, Repenser les minima sociaux, proposait une refonte systémique des dix minima sociaux20(*) en créant une « couverture socle commune » accessible, sous condition de ressources, à tout individu dès 18 ans sans tenir compte de la composition de son foyer. Le rapport estimait notamment que « les jeunes ne doivent en aucun cas être exclus des dispositifs de droit commun destinés à l'ensemble de la population, l'accès des 18-25 ans aux minima sociaux est incontestablement nécessaire ».
D. Le dispositif proposé : une refonte ambitieuse des dispositifs existants, revêtant un cout non négligeable pour la collectivité
1. Le dispositif proposé permet de répondre à la problématique de la précarité des étudiants
Afin de répondre aux limites intrinsèques du système des bourses, incapable de répondre de manière structurelle à la précarité des étudiants, le présent article propose d'instaurer une allocation universelle pour les étudiants du supérieur d'une part et pour les élèves de la formation professionnelle d'autre part.
Le 1° du I de l'article unique de la proposition de loi crée un nouvel article L. 531-4-1 dans le code de l'éducation, qui inscrit le principe d'une allocation autonomie universelle d'études versée par la collectivité nationale21(*) pour les élèves inscrits dans une formation professionnelle du second degré à partir de 16 ans. Le même article renvoie au décret la fixation des modalités de calcul du solde de l'allocation versée en complément des revenus perçus au titre d'un contrat d'apprentissage.
Le 2° du même I crée un article L. 821-1 dans le même code, qui inscrit le principe d'une allocation autonomie universelle d'études similaire pour les étudiants d'un établissement de l'enseignement supérieur public âgés de 18 à 25 ans.
Le II de l'article L. 821-1 nouvellement créé renvoie au décret la fixation du montant de cette allocation pour les étudiants du supérieur. Il précise que ce montant ne peut pas être inférieur au montant net du salaire minimum pour un apprenti de plus de 21 ans en dernière année d'apprentissage, ce qui correspond en 2023 à 1 078 euros.
Le III prévoit une condition d'autonomie fiscale et financière de l'étudiant vis-à-vis de ses parents pour bénéficier de l'allocation, ainsi qu'une condition relative à l'absence de contrat de travail, à l'exception des contrats d'apprentissage.
Le IV ajoute également une condition d'assiduité au sens de l'article L. 611-11 du même code, à défaut de laquelle l'allocation peut être suspendue.
Le V du même article nouvellement créé prévoit que l'allocation se substitue au bénéfice des prestations existantes pour les bénéficiaires, ce qui concernerait particulièrement les APL.
En revanche, le VI maintient la possibilité pour les étudiants titulaires de l'allocation nouvellement créée de conserver le bénéfice des prestations du réseau Cnous/Crous : restauration, logement, aides pour les étudiants en difficulté. Il maintient également le bénéfice des aides spécifiques proposées par les collectivités territoriales ou personnes morales.
Le VII étend le bénéfice de l'allocation créée à d'autres établissements que les seuls établissements publics : les établissements d'enseignement supérieur privés créés avant le 1er novembre 1952, les facultés libres, les établissements d'enseignement supérieur privés habilités par la ministre chargée de l'enseignement supérieur, les établissements d'enseignement supérieur technique privés reconnus par l'État et les classes préparatoires aux concours de la fonction publique administrative des instituts d'études politiques.
Le VIII prévoit la possibilité de fixer par décret les conditions dans lesquelles les personnes en situation d'études au-delà de 25 ans peuvent bénéficier de l'allocation.
Le 3° du II du présent article propose d'abroger les articles L. 821-2 à L. 821-4 du code de l'éducation.
Le II du présent article gage la charge créée par l'allocation par une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs.
2. Un dispositif ambitieux, donc coûteux
Le dispositif proposé se substitue non seulement aux systèmes des bourses, mais également aux aides financières dont bénéficient les étudiants et leurs familles, sans qu'elles ne leur soient spécifiquement destinées, que ce soit sous forme d'allocation ou de dépense fiscale :
- c'est le cas des aides au logement, principalement l'aide personnalisée au logement (APL) et l'allocation de logement sociale (ALS), qui concerneraient 792 000 allocataires étudiants dont 265 000 seulement seraient boursiers ;
- une aide indirecte importante en faveur des étudiants réside également dans l'avantage fiscal qui est accordé au foyer de leurs parents sous la forme de la demi-part fiscale22(*). Ce rattachement fiscal est permis pour les enfants étudiants de moins de 25 ans, et constitue une dépense fiscale évaluée à 600 millions d'euros.
Or, ces aides sont particulièrement difficiles à quantifier, puisque leurs systèmes d'information n'ont pas été conçus pour rattacher le bénéficiaire à une situation d'études ou non. Aussi, l'évaluation précise du nombre de bénéficiaires potentiels n'a pas été possible de la part des services de l'administration, car l'allocation nécessiterait la création de systèmes d'information spécifiques pour isoler les étudiants indépendamment de leur foyer de rattachement fiscal.
Les données disponibles permettent cependant d'estimer qu'elle pourrait concerner environ 3,2 millions de personnes : 2,8 millions d'étudiants et apprentis du supérieur et 400 000 élèves de lycée professionnel.
Un tel ordre de grandeur aboutirait pour cette réforme, toute chose égale par ailleurs23(*), à un coût annuel d'environ 30 milliards d'euros24(*), à comparer aux 5,9 milliards d'euros du système existant25(*).
II - La position de la commission
La rapporteure partage l'objectif poursuivi par le présent article, qui vise à lutter contre la précarité étudiante en instaurant une allocation autonomie universelle d'études.
Il lui semble notamment que l'universalité de cette aide permettrait de répondre à la fois à la problématique de non-recours aux droits qui touche particulièrement les étudiants, et aux limites rencontrées par le système de bourses sur critères sociaux. Les auditions menées ont confirmé qu'une population substantielle d'étudiants non boursiers connaissait une situation pouvant relever de la précarité, puisque 29 % des étudiants déclarent rencontrer des difficultés financières importantes en 2023, contre seulement 24 % en 202026(*).
Elle rejoint par ailleurs la préoccupation exprimée par les syndicats étudiants d'encourager l'émancipation des étudiants, en définissant leurs besoins indépendamment de la situation matérielle de leurs parents. Elle s'interroge plus largement sur le consensus qui existe au sujet d'autres âges de la vie, dont la prise en charge par la collectivité ne pose plus question, là où la jeunesse - période de vulnérabilité accrue - est renvoyée aux seules solidarités familiales.
Les économistes consultés lors de ses travaux lui ont par ailleurs confirmé que la dépense importante que constituerait une telle aide, de l'ordre de 25 milliards d'euros supplémentaires, n'était pas infondée. D'une part, cette dépense représente également un investissement en capital humain27(*) de la part de la collectivité, dont les retombées économiques à long terme sont non négligeables ; d'autre part, et contrairement aux idées reçues, une aide universelle ne fait pas nécessairement obstacle à des effets redistributifs de nature à réduire les inégalités sociales. Ces effets dépendent essentiellement du mode de financement retenu pour une telle aide.
La rapporteure souligne que le dispositif proposé n'est pas figé, et pourrait même gagner à évoluer lors des débats en séance publique afin de prendre en compte les observations recueillies lors de ses auditions. Ainsi, le fonctionnement de l'allocation proposée pourrait être converti en un « capital » de 60 mensualités, et le montant mensuel être modulé en fonction de critères objectifs (logement familial gratuit, etc.).
Cette solution aurait pour avantage de maintenir une forte autonomisation des jeunes, et de leur permettre d'alterner plus facilement entre phases d'activité et phases d'études, afin notamment de ne pas se maintenir dans un cursus universitaire inadaptée et de faciliter leur réorientation.
La commission a considéré que le dispositif proposé représentait une charge trop importante pour les finances publiques, et qu'il remettait en cause le caractère complémentaire aux solidarités familiales de l'aide publique.
La commission a supprimé cet article.
* 1 Si des bourses sont déjà attestées dans les universités médiévales, la bursa, et que les lycées fondés par Napoléon Ier à partir de 1802 permettent d'augmenter le nombre d' « élèves de gouvernement », c'est bien l'arrêté du 5 novembre 1877 concernant les bourses de facultés pour les licences qui les font entrer dans le droit commun.
* 2 Créé par la loi n° 55-425 du 16 avril 1955, le réseau des oeuvres universitaires est composé du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous) et des Centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous).
* 3 C'est notamment le cas du rapport remis par Jean-Michel Jolion à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en juillet 2023, qui souligne notamment le peu de redistribution du système de bourses, la mauvaise prise en compte des frais liés à la rentrée et l'existence de précarité pour certains étudiants décohabitants dont les ressources excèdent pourtant le plafond de l'échelon 0 bis.
* 4 Loi n° 55-425 du 16 avril 1955 portant réorganisation des services des oeuvres sociales en faveur des étudiants.
* 5 Article L. 822-1 du code de l'éducation.
* 6 Article L. 822-4 du code de l'éducation.
* 7 Article L. 822-1-1 du code de l'éducation.
* 8 Observatoire de la vie étudiante.
* 9 Observatoire de la vie étudiante.
* 10 Note d'information du Sies, Poursuite d'études et parcours des bacheliers précaires dans l'enseignement supérieur, juillet 2023.
* 11 Discours présidentiel lors du déplacement du 4 mai 2023 à Saintes en Charente-Maritime.
* 12 Décret n° 2023-765 du 11 août 2023 relatif au versement d'une allocation en faveur des lycéens de la voie professionnelle dans le cadre de la valorisation des périodes de formation en milieu professionnel.
* 13 Le premier fonds pour les étudiants y a été créé en 1913.
* 14 Jusqu'au 31 décembre 2015, le RSA était composé de deux dispositifs différents : le RSA « socle », actuel RSA, et le RSA « activité ». La mise en place de la prime d'activité a conduit à la disparition du second.
* 15 Art. L. 262-9 du code de l'action sociale et des familles.
* 16 Art. L. 262-8 du code de l'action sociale et des familles.
* 17 Art. L. 262-7-1 du code de l'action sociale et des familles.
* 18 Soit 3 214 heures sur deux années.
* 19 Sénat, commission des affaires sociales, rapport n° 267 : proposition de loi relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans, présentée par Monique Lubin, 13 janvier 2021, p. 6.
* 20 Outre le RSA, l'allocation de solidarité pour les personnes âgées (Aspa), l'allocation aux adultes handicapés (AAH), l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI), l'allocation de solidarité spécifique (ASS), l'allocation veuvage (AV), le revenu de solidarité outre-mer (RSO), la prime transitoire de solidarité (PTS), l'allocation temporaire d'attente (ATA) et l'allocation pour demandeur d'asile (ADA).
* 21 L'article L. 531-4-1 nouvellement créé renvoie à l'article L. 821-2 lorsqu'il désigne l'allocation autonomie universelle d'études mais, celui-ci étant abrogé par le 3° de l'article unique de la proposition de loi, il entend en réalité désigner l'article L. 821-1 créé par le 2°.
* 22 Article 196 B du code général des impôts.
* 23 C'est-à-dire en ne prenant pas en compte le report d'une population de jeunes travailleurs vers les études, ni l'effet d'appel que l'absence de condition de nationalité constituerait pour les étudiants internationaux.
* 24 À titre de comparaison, le PLF pour 2024 inscrit 26,6 milliards d'euros de crédits de paiement pour la mission enseignement supérieur et recherche.
* 25 Cette comparaison prend notamment en compte l'estimation de l'effet de la suppression du système de bourses sur critères sociaux, de l'accès aux aides pour le logement des étudiants (APL et ALS) et des avantages fiscaux consentis aux foyers de rattachement des étudiants.
* 26 Observatoire de la vie étudiante.
* 27 G. S. Becker, Human Capital, A Theoretical and Empirical Analysis, Columbia University Press for the National Bureau of Economic Research, New York, 1964.